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16/10/2009

Evidence, Morale laïque et Ordre moral

Comme il était content de lui, votre très humble et très honoré serviteur, après sa Note du 10 octobre. Il croyait avoir trouvé la formule (THE formule en franglais), vérifiée par l’histoire, qui allait le faire passer à la postérité.

Il s’y croyait déjà.

« Les évidences d’aujourd’hui sont les conneries de demain »

C’était écrit en rouge et surligné !

Nul doute que, dans un élan unanime, les 36000 et quelques maires de France allaient la graver dans le marbre, la mettre au dessus des portes de leurs mairies, juste en dessous de « Liberté, égalité, fraternité »… et en un peu plus gros.

Nul doute que dans les discours de réception à l’Académie françooise, la formule serait reprise, pillée.

Qu’elle ferait date dans l’histoire de la pensée philosophico-épistémologico-heuristico-herméneutico-problématique.

 

Il était donc sur un petit nuage votre humble et honoré. Et ce, d’autant plus que Le Monde lui ayant demandé un beau discours pour la cérémonie de remise du Prix de la recherche universitaire, il avait trouvé une other formule ;

Il avait conclu par une so beautiful péroraison que cela lui avait valu un regard ébloui des dames :

« Le combat contre la glaciation culturelle est aussi urgent et important que celui contre le réchauffement climatique »

« La glaciation culturelle » : cette expression avait plu aux délicieuses, et elles étaient venues le lui dire au cocktail qui avait suivi.

 

Et juste au moment, où il téléphonait à un médecin soignant l’enflure des chevilles, voila-t-y-pas, qu’un faux derche,  et néanmoins ami pourtant, fait réaliser des économies à la Sécurité Joviale, en lui balançant dans les gencives :

« Attention au conformisme de l’anticonformisme ».

« Attention à l’élitisme »

Et vlan dans les dents !

 

Maintenant, tout rabougri, tout biscornu, rasant les murs avec honte, n’osant plus regarder les charmantes (de peur d’apercevoir leur air sévère), il demande quand même l’indulgence du jury,

Et, malgré le mauvais temps sécuritaire, le droit d’une petite plaidoirie.

 

La Note parlait de :

« pratiquer la gymnastique intellectuelle », de porter « son regard au-delà des impasses qui bloquent l’horizon », de « résister aux conformismes de tous poils, qu’ils soient ceux de la société ou ceux de groupes ou de communautés »,

bref d’«assumer, quand cela est nécessaire, le courage d’être seul », de « cultiver son individualité ». 

 

Ok, il existe un conformisme de l’anticonformisme : là je suis on ne peut plus d’accord.

OK également qu’il faille s’en méfier : on navigue toujours entre la peste du conformisme et le choléra de l’anticonformisme-nouveau conformisme (ou autre conformisme).

Mais il me semble, que c’est toujours une affaire de groupe, d’une collectivité, d’un ensemble social.

C’est pourquoi, d’ailleurs, je mettais ensemble société-groupe-communauté.

On ne peut être conforme tout seul, c’est un oxymore.

(pour causer savant)

 

Bien sûr, on peut croire avoir raison seul contre tous et s’enfermer dans la bonne conscience ; et c’est peut être ce que mon ami a voulu dire.

Mais d’une part, le coût social est très lourd : on se coupe des autres, des relations avec autrui nécessaires pour ne pas étouffer de solitude, à la limite on risque la folie.

On a besoin de l’approbation des autres, on a besoin de se rassurer en pensant (qu’au moins un tel ou un tel) pense comme vous.

 

Et pourtant, il faut bien que les idées neuves naissent quelque part. Et au début elles n’attirent pas la foule !

Et je crains que le mimétisme soit la nouvelle forme de domination de l’homme sur l’homme, quand les dominations hiérarchiques sont, en certains lieux du moins, moins prégnantes.

J’ai précisé d’ailleurs : qu’il fallait avoir « quand cela est nécessaire », le courage d’être seul : pas sur tout, pas tout le temps, pas de façon systématique.

Pour être clair, j’ajouterai que, même quand arrive l’heure d’avoir ce courage, en fait si on peut être (au moins temporairement) seul dans l’espace, on ne l’est pas dans le temps.

Car l’idée neuve, la mise en question du stéréotype, de l’évidence sociale, trop évidente pour être honnête, elle vient de loin, et est la résultante de ce qu’on a reçu + sa propre personnalité.

Une démarche individuelle contient peut-être d’autant plus d’apports divers qu’elle prend ses distances avec les conformismes sociaux, groupaux, communautaires.

De plus, je pense qu'il faut soumettre son idée neuve a d'autres; peut-etre ne la comprendront-ils pas, peut-etre recevrons nous une volée de bois vert. Mais soyons attentifs à leurs critiques, il y a toujours quelque chose de bon à prendre

 

 

Le petit PS sur l’affaire F. Mitterrand a lui aussi provoqué quelques réactions.

Relisez le : il reprochait à B. Hamont d’avoir suivi Marine Le Pen « au quart de tour » : bref d’avoir répété une accusation (apologie du tourisme sexuel, voire de la pédophilie) sans (visiblement) avoir vraiment lu, et étudié l'ouvrage attaqué.

Sans même d’ailleurs, avoir réfléchi sur le titre (significatif) de cet ouvrage : La mauvaise vie.

Et que, lors de sa parution, puis quand F. M: est devenu ministre no problemo. Il a fallu attendre Marine pour qu'il y en ai un!

 

Je n'ai pas regarde l'émission ou Marine s'est exprimée, mais tous les journaux que j'ai lus (et j'en ai lu pas mal, pour forger mon opinion), quelque soit leur opinion sur l'affaire ( par exemple, L'Express, qui est plutot contre F. M.), ecrivent que la citation qu'elle a faite etait "tronquee".

Rien d'etonnant a cela, d'aillieurs!

Rien à voir donc avec une « apologie »

Agir ainsi de la part de B. H. = déroger aux règles élémentaires de la morale laïque : on ne parle pas sans savoir, on n’accuse pas sur des ragots ou des rumeurs, on réfléchit un peu avant de causer dans le poste.

Surtout quand on se veut porte parole du principal parti d'opposition

Sinon on passe de la morale laïque à l’ordre moral.

 

Alors, il y en a même un qui a trouvé mon PS (m’a-t-il dit) : « d’autant plus curieux que tu es protestant ».

Incompréhension complète! Ce n’est pas seulement comme citoyen, mais aussi comme protestant que je hais l’ordre moral.

Faut-il rappeler que le cœur de la morale évangélique, c’est la déclaration de Jésus quand on lui demande de condamner « la femme adultère » : « que celui qui est sans péché jette la première pierre ».

Ce passage de l’évangile de Jean a eu de la peine à y figurer : il choquait les moralistes. Mais il y a en exégèse biblique un principe (que l’on ferait bien d’appliquer de façon générale d’ailleurs) qui s’appelle la lectio difficilior.

 

On sait que les manuscrits bibliques dont on dispose ne sont pas les manuscrits d’origine.

Ce principe est donc le suivant : plus une phrase ou un passage pose question, est un peu difficile à admettre ou à comprendre, plus il a de chance d’être authentique, d’être d’origine.

Les changements effectués par les copistes (c’est logique et on le vérifie en comparant les divers manuscrits dont on connaît les dates), vont toujours dans le sens…du conformisme, de la facilité à admettre et à comprendre.

Vous le constatez, on retrouve notre sujet de départ.

 

Marine a jeté la 1ère pierre, et Benoît s’est précipité pour jeter la seconde. Brrr, cela fait froid dans le dos.

 

Dernier point : Gigi III indique qu’elle a lu chez Lacouture qu’il décrit de vieux jésuites « jetés de leur cellules à la rue » suite aux décrets de Ferry.

Réponse :

 

-Effectivement, il y a bien eu, de façon récurrente, du XVIIIe au début du XXe, dans de nombreux pays des expulsions de jésuites. Ferry n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres

Voltaire écrit, dans son Traité sur la tolérance, qu’elle ne s’applique pas aux jésuites, que l’on doit les libérer malgré eux : typique les propos tenus aujourd’hui sur les dites burqas !

(je vous renvoie à mon Que sais-je ? sur Les laïcités dans le monde sur Voltaire et les jésuites)

La nocivité des jésuites a été pendant près de 2 siècles une évidence sociale.

Et ce n’était pas sans raison : il n’empêche maintenant on s’émeut, on plaint ces pôvres jésutes, on sait que l’on avait de beaucoup exagéré le « danger »’, que ce n’était pas ainsi qu’il fallait y faire face.

 

-Le livre de Lacouture sur les jésuites est donc une parfaite illustration de ma sentence (j’y tiens !) : « les évidences d’aujourd’hui sont les conneries de demain ».

On peut ajouter : ce qui était alors considéré comme bien, comme la défense de la liberté, de l’émancipation, etc est devenu exactement son contraire dans l’opinion dite « éclairée ».

Merdre, cela doit donner à réfléchir quand même, à ne pas coller à la pensée dominante d’aujourd’hui.

 

-Ce qui est intéressant, c’est que Ferry s’est rapidement rendu compte qu’il faisait fausse route et que quand, suite à une enquête, son Cabinet lui a dit que l’expulsion de congréganistes n’avait rien changé au contenu de l’enseignement de l’école libre ;

qu’on lui a suggéré, en conséquence, que la seule mesure efficace serait de supprimer l’école libre ; là il a refusé de le faire.

Il a préféré mettre son énergie sur du positif: la construction de l'école publique laïque.

 

Je raconte tout cela dans la 1ère partie de  mon livre La morale laïque contre l’ordre moral (Le Seuil).

Et, comme je l’ai indiqué, dans ma Note, j’ai privilégié les points où Ferry avait compris que les « évidences d’aujourd’hui sont les conneries de demain » aux points où, comme nous tous, Ferry était platement dépendant des évidences sociales de son temps et de son parti.

 

10/10/2009

Jules FERRY et la LAÏCITE DE LIBERTE

Plusieurs internautes me demandent des précisions sur l’allusion faite par la dernière Notes concernant la position de Jules Ferry quant à la liberté de l’enseignement et la nécessité de la liberté pour la laïcité.

Certains s’en sont même montrés surpris.

Quelques uns semblaient penser que cela était quasiment impossible, et que j’avais dû tirer la couverture à moi.

 

Vous allez le constater, votre Baubérot chéri ne vous a nullement mené en bateau.

Ce n’est pas le genre de la maison !

Je faisais référence (implicite, je le reconnais) à un discours prononcé au Sénat, à propos de l’enseignement secondaire privé.

Mais, et c’est intéressant, déjà on peut remarquer que Ferry parle, lui, « d’enseignement libre ». Il veut dire par là, libre à l’égard de l’Etat. L’expression ne lui écorche pas la bouche ![1]

 

L’enjeu du débat d’alors est l’adoption d’une loi qui progressivement va élever le niveau des enseignants de ces établissements.

Ferry dit qu’il va y avoir des garanties pour que le délai soit suffisant et cela n’entraîne pas la fermeture d’établissements privés, mais (au contraire) élève leur niveau d’enseignement.

Et il déclare à ses adversaires de droite :

 

« Vous traiterez de paradoxal la proposition que je vais apporter ici : nous travaillons à nous créer des concurrents, la loi est faite dans l’intérêt de l’enseignement libre ».

En effet « l’Université [on désignait ainsi, depuis Napoléon, l’enseignement public dans son ensemble et pas seulement l’enseignement supérieur] respecte le principe de la liberté de l’enseignement » pour 3 raisons que Ferry explicite :

 

1)      il lui [= l'Université, l'enseignement public] serait « absolument impossible de pouvoir aux besoins » qui résulteraient de la « suppression des établissements libres ». Mais cette première raison, toute pratique, n’est pas la plus importante. Car s’ajoutent 2 raisons de principes

2)      elle travaille « à élever la concurrence des établissements libres, parce qu’elle a besoin de concurrence. (…) Il faut, à côté de l’Université des établissements libres qui, comme on dit familièrement, aillent de l’avant, qui courent les aventures, parce que l’Etat ne peut pas courir d’aventures, l’Etat ne peut pas faire d’expériences : il faut que quelqu’un fasse les expériences pour lui, et dans son intérêt. »

3)      Voulons nous « le retour à des doctrines de philosophie d’Etat, [parvenir] à une sorte de religion laïque d’Etat ? Messieurs, personne plus que moi n’est l’adversaire de tout ce qui peut ressembler à des doctrines religieuses ou philosophiques imposées par l’Etat ; j’en suis l’adversaire aussi résolu que vous-mêmes ! (…)

      Je distingue profondément [le respect de la Constitution et des lois] de tout système qui, ouvertement ou d’une façon déguisée, tendrait à imposer aux consciences une foi philosophique, comme vous messieurs, dans d’autres temps, vous avez voulu imposer une foi religieuse. »

 

«L’enseignement libre : une concurrence nécessaire » Sénat, 23 mai 1882 in Jules Ferry, La République des citoyens, tome I, présentation et notes d’Odile Rudelle, Paris, Imprimerie Nationale, 456ss.

 

Deux remarques.

La première : Il faut se replacer dans le climat de l’époque (la « guerre des deux France ») pour bien apprécier la portée de tels propos.

Ferry voyait loin et ne s’arrêtait pas à l’aspect très conflictuel que revêtait l’enseignement privé catholique (celui-ci enseignait une vision de la France souvent hostile à la République, considérait la Révolution française comme le « mal »), même s’il avait sévi contre les congrégations qui combattaient ouvertement le régime.

Ferry était capable de penser au-delà de l’antagonisme de son époque, pour estimer qu’il fallait expérimenter au niveau de la pédagogie, de la façon d’enseigner et que cela nécessitait un enseignement libre, des établissements francs-tireurs, aptes à courir des aventures.

 

Il est bien dommage que cette vision ait été ensuite assez largement abandonnée et que beaucoup de partisans de l’enseignement public se soient (dés l’entre deux guerres) méfiés des expérimentations et aventures en matière d’enseignements.

Il est clair que Ferry aurait souhaité que l’enseignement public ne se réduise pas à l’enseignement confessionnel ou à ses aspects confessionnels, mais joue un rôle d’explorateur avant-gardiste, dont l’enseignement public d’Etat, plus lourd à faire bouger, plus mammouth !, pourrait profiter.

Si la laïcité de liberté de Ferry avait été mieux comprise et plus suivie, notre enseignement public ne serait sans doute pas dans la situation qui est la sienne. Tout n’est pas une affaire d’argent et de moyens (même si cela compte).

Il faut avoir la lucidité et le courage de le dire, face à la langue de bois, aux propos répétitifs et stéréotypés.

La laïcité de combat a appauvri la laïcité, la laïcité de liberté l’enrichit.

 

Seconde remarque : contre tous les petits inquisiteurs qui veulent empêcher de penser librement, remarquons que Ferry n’exclut pas la possibilité que la laïcité se transforme en « une sorte de religion laïque d’Etat », qu’elle mime ses adversaires catholiques intransigeants, qu’elle devienne leur sœur ennemie, qu’elle cherche à « imposer aux consciences une foi philosophique ».

Il est conscient des risques de mimétisme.

La laïcité n’est pas une vierge immaculée, par essence pure et sans tache, que le moindre adjectif viendrait souiller, face à laquelle la moindre critique serait blasphématoire.

Un gros Merdre laïque aux fossoyeurs de la laïcité qui, en s’abritant derrière elle, veulent imposer à nos conscience, « ouvertement ou de façon déguisée », une « foi philosophique ».

Foi philosophique par ailleurs parfaitement désuète, voire obscurantiste, car elle ignore les débats philosophiques contemporains, notamment ceux sur le « Secularism » où, à quelques exceptions prés, la France est singulièrement absente.

 

Ceci écrit, je ne fais nullement de Ferry un saint laïque : républicain à l’intérieur, il est d’empire, il est impérialiste à l’extérieur. Sur les questions coloniales, en effet, il est beaucoup plus platement homme de son époque.

Mais, précisément, ce qui fait la grandeur de Ferry, et l’intérêt toujours actuel de ses propos, ce n’est pas quand il a partagé les idées de son temps, c’est quand il a su voir plus loin et plus haut, au-delà des bornes de l’horizon

 

Autrement dit, aujourd’hui, la double leçon de Ferry c’est : ne vous laissez pas prendre au pièges des idées dominantes:

Les évidences d’aujourd’hui sont les conneries de demain.

Pratiquez la gymnastique intellectuelle, exercez-vous à penser par vous-même

Assumez, quand cela est nécessaire, le courage d’être seul

Portez votre regard au-delà des impasses qui bloquent l’horizon

Ne soyez pas un mouton de Panurge.

.

Résistez  aux conformismes de tous poils, qu’ils soient ceux de la société ou ceux de groupes ou communautés !

Cultiver votre individualité

 

Petit PS : vu du Mexique (dont je vais vous parler dans quelques jours : c’est le 150 anniversaire de la séparation de l’Eglise et de l’Etat), la seule information donnée sur la « douce France » par CNN et BBC concerne l’affaire Mitterrand (Frédéric) ! (l’hôtel ne capte pas TV 5)

Que le porte-parole du PS ait suivi Marine Le Pen au quart de tour me semble lamentable.



[1] Je précise que cette Note n’est nullement un plaidoyer pour la loi Debré. C’est une autre question, que j’ai déjà abordée et que je pourrais ré-aborder à l’occasion.

Pour dire les choses très rapido (donc schématiquement ; mais vu que vous êtes des internautes subtiles, je peux me lâcher, vous rajouterez vous-même les nuances, et tout et tout,…), s’il n’y avait pas eu des cons laïques comme Laignel, le projet Savary aurait pu régler la « question scolaire », en remplaçant le dualisme par un pluralisme interne, qui aurait permis une diversité des projets et des expérimentations à l’intérieur du service public.

Savary aurait pu être le Briand de la question scolaire, mais il aurait fallu qu’il soit soutenu par des laïques plus finauds, à moins courte vue. La laïcité a perdu en 1984 parce que beaucoup de laïques autoproclamés ou institutionnels se sont montrés incapables de faire preuve de l’intelligence nécessaire à la situation d’alors.

02/10/2009

La Laïcité s'est-elle imposée par la violence, en France?

"La burka se veut contestation de la société marchande"?

Nous allons bientôt apprendre qu'elle permet de lutter contre le réchauffement climatique!

La laîcité a été imposée par la violence en France: sans contrainte il y aurait encore des crucifix dans les tribunaux et les écoles. »

Commentaire de Marc-Paul à ma dernière Note (je reprends ce qui me concerne).

 

Double réponse :

 

1) sur la « contestation de la société marchande » :

D’abord, relisez la Note, et (si vous l’avez enregistrée) réécoutez l’émission : votre citation est tronquée.

Voilà ce que j’écrivais dans la Note précédant votre commentaire :

 

« le retrait de la société n’est pas la bonne façon de la contester. C’est une façon non solidaire, où on court le risque de se croire « pur » et de voir les autres comme « impurs ».

Il y a beaucoup d’illusion égocentrique dans cette croyance à la pureté (que la burqa n’est pas la seule, loin de là, à manifester)

d’autre part, en fait, la burqa pousse au paroxysme l’uniformisation, la standardisation des personnes opérées par la marchandisation globale de la société.

Des personnes en burqa ne sont plus identifiables en tant que telles, elles ne sont plus individualisables. Il y a perte d’individualité. C'est également une exacerbation du look; de "l'habit qui fait le moine".

BHL et burqa = même combat

La burqa se veut contestation de la société marchande, et de la perte de sens qu’elle implique, elle n’en est que la caricature. »

 

Avouez que c’est quand même assez différent !

Ceci dit, Durkheim assignait au sociologue la mission de relier entre eux des faits sociaux qui, en apparence, n’ont pas de liens entre eux.

C’est que je tente de faire et, à mes risques et périls, continuerai de faire.

 

Je vais d’ailleurs peut-être vous surprendre une nouvelle fois : mais pour moi, la Commission « burqa » se situe dans une perspective analogue

Dans une société marchande qui hypertrophie les équivalences, ce qui part dans tous les sens, voire le n’importe quoi, la Commission fait partie de ces multiples réactions de type orthodoxe que l’on constate un peu partout.

Elle veut mettre des rails, où il suffirait ensuite de se laisser conduire…

 

Je comprends  cette attitude, comme sociologue, mais je ne peux l’approuver comme citoyen. Elle me semble aller contre une nécessaire liberté-responsabilité, contredire la nécessité d’une individualité citoyenne.

Certains sont allés très loin dans ce sens : ainsi Condorcet ou Ferdinand Buisson qui ne voulaient pas que l’on enseigne la Déclaration de 1789 aux enfants ; il fallait qu’ils trouvent tout seul (au risque de dévier !) les principes et valeurs qu’elle contient.

 

2) Sur la « laïcité imposée par la violence » en France. Et vous reprenez l’exemple des crucifix. J’écrivais :

  

« La mémoire est souvent obscurantiste par rapport à l’histoire, à cause de ses déviations idéologiques. Ainsi, on raconte partout que « l’école, en France, est gratuite laïque et obligatoire ».

Or cela n’a jamais été le cas. L’école publique est gratuite et laïque, l’instruction est obligatoire. Ce n’est pas du tout la même chose. L’école publique est laïque, dans le cadre de la liberté de l’enseignement

Et Jules Ferry a prononcé un discours très important, et trop méconnu, où il expliquait que cette liberté était indispensable à la laïcité elle-même.

 

Cette façon  de voir les choses a joué même pour quelque chose qui était bien le moins que l’on pouvait faire quand on instaurait la laïcité scolaire: enlever le crucifix des salles de classe.

On a veillé, même là (alors que cela concernait l’institution elle-même) à ce respect de la liberté de conscience.

La circulaire ministérielle à ce sujet est très claire : On enlèvera les crucifix au moment « impossible [à] préciser, [où] les hommes de bonne foi reconnaîtront que la place du crucifix est à l’église et non à l’école. »

Cela signifie que tant que les gens ne le comprennent pas, il est inutile, voire contre-productif, d’enlever autoritairement les crucifix, alors même que c’est dans la logique de la laïcité.

 

Et un chercheur japonais Kiyonobu Date a montré que l’historien devait faire de la dentelle pour pouvoir établir où le crucifix avait été enlevé et où il avait été maintenu.

Dans le département du Nord, certains bourgs sont surtout peuplés de socialistes guesdistes (adeptes du leader socialiste Jules Guesde) : on enlève ; d’autres d’ouvriers catholiques, on garde le crucifix fort longtemps. »

 

J’énonçais donc un certain nombre de faits, que vous ne contestez nullement, et pour cause. Vous me contredisez en affirmant de façon péremptoire que la laïcité a été imposée par la violence, en France.

Or cela est historiquement faux.

 

Et j’ai envie de vous demander, à partir de quelque travail d’historien, à partir de quels dépouillements d’archives, consultation de documents de « première main », vous en êtes arrivé à votre conclusion.

Car nous ne sommes pas ici dans le domaine de l’opinion, mais bien de la connaissance, de la démarche de type scientifique.

C'est-à-dire, non d’une vérité absolue, infaillible, mais de ce qui est, à un moment donné, le savoir le plus élaboré.

Et le débat, dans ce domaine, n’est pas un choc d’opinions, mais des contributions plurielles, fondées sur des recherches, pour arriver à ce savoir le plus élaboré, pour tendre à l’objectivité.

 

Je précise donc un peu la contribution que je donnais dans la dernière Note, et qui montre, qu’au contraire, c’est justement en refusant d’agir de façon violente que la laïcité a triomphé.

Et là, la mémoire peut aller contre l’histoire car la mémoire :

- ne connait que ce qui a été apparent, elle ne connaît pas le dessous des cartes

- retient beaucoup plus ce qui a été conflictuel que les accommodements, les transactions, les compromis.

En plus 2 mémoires ennemies ont les mêmes intérêts idéologiques à raconter une histoire légendaires :

- les laïques intransigeants ont intérêt  à  raconter la légende dorée d’une laïcité qui s’est imposée sans transiger

- les catholiques intransigeants ont intérêt à raconter la légende noire d’une laïcité « persécutrice ».

 

Reprenons le problème concret des crucifix, au début des années 1880.

A Paris,  le Préfet Hérold les fait enlever. Il s’en suit une intervention au Sénat, où ferry, en gros, couvre le dit Préfet. Voilà pour ce qui a été public, et ce qu’a retenu, en gros, la mémoire.

Mais cela ne tient pas compte de 2 choses :

 

D’abord, le dessous des cartes : les archives de Jules Ferry nous apprennent que le ministre avait été mis devant le fait accompli, qu’il a été fort en colère et qu’il a très sévèrement réprimandé le préfet, qui a du sacrifié son bras droit.

L’échange d’arguments montre 2 conceptions de la laïcité : une où l’on passe en force (Hérold), l’autre beaucoup plus accommodante (Ferry). Cela ne signifie nullement une laïcité molle ou faible d’ailleurs. Mais plutôt une laïcité dialectique.

Mais il faut, pour savoir cela, se plonger dans les Archives (elles sont à Saint-Dié, charmante petite ville des Vosges, où l’on peut boire un bon verre de gevurtz. Après sa journée de travail !)

 

Or, c’est la 2ème, (la laïcité accommodante) qui a été la règle. Non seulement Ferry a stoppé net le mouvement, mais (comme je l’indiquais dans ma Note) une circulaire n’a pas tardé à préciser que l’on devait procéder tout autrement.

Et ce furent des transactions, que la mémoire veut oublier

La circulaire (2 novembre 1882)  indique que le fait d’enlever le crucifix de la salle de classe dépend du “ vœu des populations ”. Aux préfets de l’apprécier au cas par cas.

Si les crucifix peuvent être ôtés, il convient de le faire avec respect, en évitant tout incident. Sinon, il ne faut pas risquer de “ porter le trouble dans les familles ou dans les écoles ”, car la loi adoptée “ n’est pas une loi de combat ” mais “ une de ces grandes lois organiques destinées à vivre avec le pays ”.

On enlèvera les crucifix au moment “ impossible [à] préciser, [où] tous les hommes de bonne foi reconnaîtront que la place du crucifix est à l’église et non pas à l’école ”.

 

Cet irénisme mécontente des laïques intransigeants: ce cas par cas remet en cause l’égalité devant la loi.

C’est pourtant aussi une ligne de conduite transactionnelle, qui allie fermeté et souplesse, qui guide Ferry dans « l’affaire des manuels » (mais non, pas d’Emmanuelle. Ne rêvez pas !).

Quatre manuels de morale laïque sont mis à l’index par le Saint-Siège. Des évêques menacent les familles du refus de sacrement de première communion. Celle-ci constitue, pour une part importante de la population, un rite de socialisation morale.

Ferry cautionne les auteurs mis à l’index mais admet que le manuel de l’un d’eux – celui de  Paul Bert ! – comporte des “ atteintes manifestes au principe de la liberté religieuse ”, et une nouvelle édition épurée en est publiée.

D’autre part, Ferry multiplie les contacts avec le Saint-Siège, rassure le pape sur le Concordat et la protection des missions catholiques dans les colonies. Loin de s’en indigner, il perçoit cette mise à l’index comme une canalisation du conflit car elle permet au pape de ne pas condamner globalement la loi (laïcisant l’école publique) elle même.

 

Mettant fin à cette affaire, la célèbre lettre de Ferry à “ Monsieur l’Instituteur ” (27 novembre 1883) fait preuve de fermeté... conciliatrice.

Elle insiste sur la primauté de l’instituteur et la relativité des manuels, ceux-ci ne doivent surtout pas être “ une sorte de catéchisme nouveau ”. D’où ce conseil à l’enseignant : ne mettez pas votre “ amour-propre ” à “ adopter tel ou tel livre ”, l’important est que les populations reconnaissent que vous “ n’avez d’autres arrière-pensées que de rendre leurs enfants plus instruits et meilleurs (...) alors la cause de l’école laïque sera gagnée ”.

 

Vient ensuite le passage souvent cité : “ Au moment de proposer aux élèves une maxime quelconque, demandez-vous s’il se trouve, à votre connaissance, un seul honnête homme qui puisse (...), de bonne foi, refuser son assentiment à ce qu’il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire ; sinon parlez hardiment. ”

 

Ce langage n’a pas évité le combat de catholiques militants contre l’école laïque et Pagnol a popularisé le souvenir de l’opposition entre le curé et l’instituteur.

Mais, en généralisant des incidents qui ont existé, on risque d’ignorer la méthode des pères fondateurs de la laïcité, la façon dont ils ont réussi son acclimatation à la population française.

 

En termes  polémiques ( “ athéisation ”, est-il écrit, alors que c’est “ laïcisation ” qui serait appropriée), un Bulletin catholique reconnait, en 1886, que cette laïcité accommodante est en train de gagner :

Lisez cette citation en remplaçant « athéisation » par « laïcisation » et elle prendre tout son sens :

 

“ L’athéisation brutale contenue dans la loi [de 1882], écrit-il, est, dans l’application, une athéisation cauteleuse, savante et progressive.

Dans les parties de la France encore très catholiques (...), les préfets et les inspecteurs s’entendent pour la laisser, en grande partie, lettre morte : les crucifix sont en place, la prière se fait, et, si le catéchisme s’enseigne trop ouvertement, on ferme les yeux (...).

En un mot, on ne donne aux populations que la dose d’athéisme qu’elles sont capables de porter ; mais on veille à accroître constamment la dose. ”

 

La Bulletin constate donc (et déplore de son point de vue !) une démarche progressive et accommodante.

Elle peut être lue autrement : comme un souci de principe (libéralisme politique) et de réalisme électoral de rester en harmonie avec le plus grand nombre possible de catholiques. De leur montrer que combattre le cléricalisme, n’est nullement combattre la religion.

Et la loi de 1905 ira dans le même sens. Peut-être plus encore.

Non, décidément non, la laïcité ne s’est pas imposer en France par la violence.

C’est au contraire, selon les expressions de Briand, une laïcité de « calme » et de « sang froid » qui a gagné.

 

PS : je n’ai pas parlé du crucifix au tribunal, dont parle Marc-Paul, la démonstration serait encore plus manifeste : il n’a été enlevé qu’en ….1972 !!!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

23/09/2009

Ce soir ou jamais!, la dite burqa et Vivre libre.

(Jeudi 1er ou Vendredi 2, un nouvelle Note qui, notamment, répondra à Marc-Paul)

 

Rapidement, au milieu d’une journée bien remplie, avec mille choses à faire, je voudrais revenir un peu sur l’émission « Ce soir ou jamais ! » à laquelle j’ai participé hier soir.

Le philosophe Paul Ricoeur m’a dit un jour que, chaque fois qu’il passait à la télévision, il était mécontent de ce qu’il avait dit (« cela va trop vite » précisait-il) et il « refaisait le film » toute la nuit.

Et là, précisait-il en souriant, « je me trouve très bon, mais c’est un peu tard… ».

 

Bon, je suis, disons, à moitié content. Ce soir ou jamais ! est, comme Frédéric Taddéi l’a d’ailleurs précisé, une émission « où l’on peut finir ses phrases ».Donc parmi ce qu’il y a de mieux dans le paysage audio-visuel.

Quel révélateur du système médiatique d’ailleurs dans ce simple constat ! Car il est bien exact que dans la majorité des émissions qui existent à la radio et à la télé, les invités ne sont pas assurés de pouvoir finir leurs phrases.

 

Mais il y a, ici comme ailleurs, les contraintes du système pèsent. J’ai pu voir un jour des archives de l’INA (Institut National Audiovisuel) et c’était extrêmement intéressant.

Il y a eu véritablement 2 époques.

La première, la télévision jouait un rôle pédagogique de vulgarisation du savoir. J’ai visionné des séquences de l’émission (d’alors) Lectures pour tous, avec Lévi-Strauss, Roland Barthes, Raymond Aron, Sartre, etc. 

C’était presque des cours, avec un rôle de médiateur du journaliste. Ses questions, ses remarques permettaient de rendre accessible ces « leçons » au public intéressé.

Et puis, arrive une rupture. L’ère Bernard-Henry Lévy. Là, le look devient prédominant (visage romantique, chemise blanche ouverte,…) et l’intellectuel médiatique, que dis-je, l’intellectuel show-biz est né.

Aujourd’hui, tout le monde doit tenir compte de ce contexte. Et du coup, on aimerait pouvoir approfondir davantage. Mais plusieurs sujets doivent être traités dans la même soirée.

 

Je n’ai donc dit qu’une partie de ce que je voulais dire.

J’ai tenté de poser une question. Dans une société qui privilégie les propos blocs, est-il possible d’avoir une position dialectique, d’être à la fois contre la burqa et contre une éventuelle loi l’interdisant?

 

Il est possible de reprendre une partie du problème, celle qui est en lien avec de précédentes Notes sur « Vivre libre ».

Vivre libre suppose à la fois, d’un point de vue laïque, liberté de penser et liberté de conscience.

Plus précisément encore : la liberté de penser, dans le cadre de la liberté de conscience.

 

La première raison du fait qu’une loi interdisant la burqa ne peut pas être prise au nom de la laïcité est que l’impératif de la liberté de conscience est le premier impératif laïque.

Bien sur, cette liberté ne se module pas de la même manière suivant les lieux et les rôles sociaux.

Mais dans l’espace public de la société civile, elle doit être la plus large possible. Elle inclut la liberté de manifester sa religion, la libre expression religieuse comme non religieuse.

C’est cela la laïcité républicaine, telle qu’elle a été construite sous la Troisième République, dans le cadre des lois de libertés votées des années 1880 à 1905.

Liberté de réunion, de colportage, de la presse, des syndicats, liberté d’association, séparation des Eglises et de l’Etat qui donne plus de liberté aux Eglises,....

C’est la Révolution jacobine, République absolue héritière de la Monarchie absolue et mère du Bonapartisme qui a voulu expurger le religieux de l’espace publique : enlever les calvaires, débaptiser les noms de lieux rappelant des saints, etc

Cela on ne songe pas une seconde à l’appliquer aujourd’hui au catholicisme. En revanche, pour l’islam, la tentation est toujours là.

 

La mémoire est souvent obscurantiste par rapport à l’histoire, à cause de ses déviations idéologiques.[1] Ainsi, on raconte partout que « l’école, en France, est gratuite laïque et obligatoire ».

Or cela n’a jamais été le cas. L’école publique est gratuite et laïque, l’instruction est obligatoire. Ce n’est pas du tout la même chose. L’école publique est laïque, dans le cadre de la liberté de l’enseignement

Et Jules Ferry a prononcé un discours très important, et trop méconnu, où il expliquait que cette liberté était indispensable à la laïcité elle-même.

 

Cette façon  de voir les choses a joué même pour quelque chose qui était bien le moins que l’on pouvait faire quand on instaurait la laïcité scolaire: enlever le crucifix des salles de classe.

On a veillé, même là (alors que cela concernait l’institution elle-même) à ce respect de la liberté de conscience.

La circulaire ministérielle à ce sujet est très claire : On enlèvera les crucifix au moment « impossible [à] préciser, [où] les hommes de bonne foi reconnaîtront que la place du crucifix est à l’église et non à l’école. »

Cela signifie que tant que les gens ne le comprennent pas, il est inutile, voire contre-productif, d’enlever autoritairement les crucifix, alors même que c’est dans la logique de la laïcité.

 

Et un chercheur japonais Kiyonobu Date a montré que l’historien devait faire de la dentelle pour pouvoir établir où le crucifix avait été enlevé et où il avait été maintenu.

Dans le département du Nord, certains bourgs sont surtout peuplés de socialistes guesdistes (adeptes du leader socialiste Jules Guesde) : on enlève ; d’autres d’ouvriers catholiques, on garde le crucifix fort longtemps.

 

En 1904, Jaurès affirme explicitement qu’il ne faut pas obliger autoritairement l’Eglise catholique à abandonner, dans ses structures, ce qui va contre la liberté de penser (l’aspect très hiérarchique et dogmatique, qui s’imposait alors).

Il faut compter avec une évolution interne où les catholiques s’acclimateront progressivement à la laïcité, en comprenant de mieux en mieux que la laïcité ne va pas à l’encontre de la liberté de conscience.

 

S’il est nécessaire malgré tout d’être répressif par rapport à des traditions qui créent un destin irréversible (l’excision par exemple), il en va autrement de ce qui est réversible.

Une burqa, cela s’enlève, même si ce n’est pas forcément évident de le faire. Mais se libérer n’est jamais une mince affaire.

 

Et c’est là qu’il faut se montrer dialectique.

Un des aspects contreproductif de l’éventualité d’une loi (en plus de ceux que j’ai indiqués à l’émission) serait, par volonté de défendre la liberté de conscience, de taire les critiques que l’on peut faire à la burqa.

Plusieurs l’ont écrit : c’est déjà un résultat très néfaste de la création, en urgence, de cette Commission :

Alors que plus de 90% des musulmans français sont contre la burqa, le fait que les quelques centaines de femmes qui la portent risquent d’être de futures victimes, risque de faire taire les objections contre la burqa.

 

Or précisément, et je crois me souvenir que Fr. Lalanne l'a indiqué dans le débat d'hier soir,  la ‘communauté musulmane’ (terme commode, on sait bien qu’elle est plurielle) doit débattre de la burqa, comme de bien d’autres choses.

C’est exactement l’application de ce que disait Jaurès en 1904 à propos des catholiques et de la laïcité.

J’ajouterai que des débats de ce type n’ont pas à se tenir en vase clos, ni pour l’islam ni pour aucune autre religion et conviction.

Nous ne sommes pas une juxtaposition d’individus, de groupes, de communautés mais des personnes et des collectivités en interrelation, en reconnaissance réciproque.

 

De même que j’ai donné mon avis à propos de la récente décision du Grand Orient, ou que j’ai dit publiquement en certaines circonstances que je regrettais le non accès des femmes à la prêtrise, et que je m’interrogeais sur sa signification ;

De même chacun peut avoir son avis sur la burqa et participer à un débat sur ce sujet. Quand il m’est arrivé de parler à des femmes portant la burqa, je leur ai dit franchement mon désaccord.

 

Pour moi, la burqa est une sorte d’uniforme intégral, et dans uniforme, il y a uniformisation.

Un uniforme partiel peut être une façon de visibiliser une identité. Un uniforme intégral, comme la burqa, pose un important problème.

Je parle, naturellement, de la burqa choisie, pas de la burqa subie, qui elle, pose en outre le grave problème de la domination homme/femme.

En effet, en choisissant de porter une burqa, la personne s’englobe dans une identité et, à partir de cet englobement, elle gomme ses autres singularités, ses autres caractéristiques individuelles :

son âge, sa silhouette, son sexe même (car après tout qui peut assurer qu’une personne en burqa est bien une femme ?), tout ce que peut dire son visage, etc

Avec une burqa, impossible de sourire.

 

Un visage est une présentation de soi à autrui, une façon de conjuguer individualité et appartenance à la société. Une mise en communication non verbale, qui complète l’autre.

Avec la burqa, les deux sont mises  en cause.

Mais la mise en cause de l’individualité est, à mon sens, doublement beaucoup plus grave que celle de l’appartenance à la société (alors que c’est, généralement, la « provocation » à l’égard de la société qui émeut).

Sans doute, certaines personnes portent la burqa parce que la société établie ne leur est guère supportable. Et il y a, en effet, mille raisons de contester la société.

 

Cependant,

- d’une part, je pense que le retrait de la société n’est pas la bonne façon de la contester. C’est une façon non solidaire, où on court le risque de se croire « pur » et de voir les autres comme « impurs ».

Il y a beaucoup d’illusion égocentrique dans cette croyance à la pureté (que la burqa n’est pas la seule, loin de là, à manifester)

- d’autre part, en fait, la burqa pousse au paroxysme l’uniformisation, la standardisation des personnes opérées par la marchandisation globale de la société.

Des personnes en burqa ne sont plus identifiables en tant que telles, elles ne sont plus individualisables. Il y a perte d’individualité. C'est également une exacerbation du look; de "l'habit qui fait le moine".

BHL et burqa = même combat

La burqa se veut contestation de la société marchande, et de la perte de sens qu’elle implique, elle n’en est que la caricature.

 

Mais dire cela implique 2 choses :

1)      D’abord, être logiquement contre une interdiction qui va court-circuiter la parole, la confrontation (ce qui ne signifie pas une absence totale de réglementation : on ne peut confier, à la sortie d’une école, un enfant à quelqu’un que l’on ne peut identifier comme étant la mère ou une personne apte à avoir cet enfant).

2)      Ensuite, ne pas se situer soi-même dans le même englobement : quand j’ai dialogué avec des femmes en burqa, j’ai vite dépassé le choc que leur tenue me causait, pour leur parler en tant qu’individu autonome, au même titre que moi.



[1] Je vais vous donner bientôt un autre exemple : une stupidité affirmée péremptoirement par le Haut Conseil à l’Intégration, qui aurait pourtant le DEVOIR de ne pas écrire des choses aussi fausses.

11:33 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (15)

17/09/2009

CE SOIR OU JAMAIS

PLUSIEURS INTERNAUTES M'AYANT REPROCHE DE NE PAS AVOIR SIGNALE TELLE OU TELLE PRESTATION RADIO OU TELE,

JE VOUS SIGNALE QUE (sauf imprévu) JE PARTICIPERAI A L'EMISSION CE SOIR OU JAMAIS, SUR FRANCE 3, MARDI PROCHAIN 22 SEPTEMBRE.

Bisoux à toutes et tous!

RAJOUT le lundi 20: J'ATTENDS, EN CONSEQUENCE, MERCREDI 23 POUR REDIGER UNE NOUVELLE NOTE. J'AURAI PEUT ÊTRE DES CHOSES A DIRE APRES L'EMISSION. A très bientôt donc et, comme dirait France Inter, "merci de votre fidélité"!!!

 

 

16:22 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (4)

14/09/2009

Le Grand Orient et les femmes (suite et fin)

Chers Amis,

J’ai reçu tellement de réactions intéressantes à ma dernière Note sur le GOF et les femmes que je continue, quitte à ce que la fin des Notes sur « Vivre libre » soit encore retardée.

De toute façon, vous allez le constater, cela pose, autrement, la question de la liberté/libération.

Ne serait-ce que parce que plusieurs personnes m’ont dit (en substance) : «ta note est très bien. Mais tu devrais faire plus attention le GOF est puissant. C’est très risqué de t’en prendre à lui. »

Même si c’était le cas (normalement les gens du GOF doivent, selon leur propre conception de la démocratie, accepter la critique, non ?), qu’importe.

La liberté a un prix et ce n’est ni la 1ère fois, ni la dernière, que je m’en acquitterai.

Je vais donc aggraver mon cas. Car l’actualité versatile a déjà oublié cet événement, qui pose cependant plusieurs questions de fond.

 

Si beaucoup d’internautes m’ont dit s’être « délectés », « régalés », etc…quelqu’un a trouvé que je virai trop « au style Canard Enchaîné ».

Sauf que, justement, dans le dit Canard, il n’y a pas un mot sur ce refus des Francs-maçons du GOF d’initier les femmes.

Autrement dit, le slogan de mon blog pourrait être :  « Le Blog où vous trouverez ce qui n’est pas dans Le Canard Enchaîné », ou quelque chose d’approchant. La formulation peut être améliorée…

Et puis, j’annonce la couleur : « Notes amusantes et savantes… »

 

Le Blog avait commencé par être plutôt savant, et la savanterie, ou même une savantissime savantitude (clin d’œil à Ségolène) y revient de temps à autre.

Depuis que la Samaritaine a disparu, c’est dans le Blog que l’on trouve tout (et le reste).

Mais un Blog n’est pas un article dans une revue scientifique à Comité de lecture.

Et tenter de vivre libre, c’est peut-être justement d’avoir plusieurs facettes, de regarder la réalité de plusieurs manières, avec plusieurs formes de pensée.

 

Bon, tentons, maintenant, après avoir remercié toutes celles et ceux qui ont fait des éloges (et je n’y suis pas indifférent , étant très vaniteux!), de dialoguer avec celles et ceux qui ont fait des remarques.

Cela complètera la Note précédente, car c’est vrai que l’humour, c’est bien, mais c’est une sorte de coup de gueule, qui n’est pas exhaustif, loin de là.

Je reprends donc les divers arguments qui m’ont été présentés, en les résumant sans (j’espère) les déformer :

 

1ère Remarque : « les hommes ont bien le droit de se retrouver entre eux, de temps à autre. Cela n’est pas choquant en soi ».

OK. J’avoue que ce genre de regroupement unisexe, personnellement je n’en vois pas l’intérêt.

Je comprends facilement que des femmes ait éprouvé (éprouvent encore dans certains pays, groupes, situations) le besoin de parler entre elles de la domination masculine et quelles sont les meilleures manières de s’en libérer.

 

Mais, d’une part, les hommes n’ont pas, globalement, à se libérer d’une domination des femmes, même si, telle femme peut dominer tel ou tel homme (domination sociale d’un côté, domination individuelle de l’autre, ce n’est pas la même chose)

D’autre part quand le GOF a été créé, au XVIIIe, ce n’est certes pas pour cette raison que la maçonnerie a été réservée aux hommes.

 

Cela est d’abord du à la façon dont, justement, les femmes étaient marginalisées et considérées comme des mineures, des être humains non libres.

Les francs-maçons «  doivent être hommes de bien et loyaux, nés libres et d'âge mûr et discrets, ni serfs ni femmes ni hommes immoraux et scandaleux, mais de bonne réputation. »

Retenez bien cela : la franc-maçonnerie a, historiquement, été réservée aux homme à partir d’une conception de la femme comme n’étant PAS NEE LIBRE.

 

 Ensuite, et la fin de la phrase le montre, la mixité aurait immédiatement provoqué les plus folles rumeurs (débauches, etc : il y a eu ce genre d’accusations, même avec un GOF exclusivement masculin).

Donc la seconde raison de réserver l’initiation maçonnique aux homme : l’idée que MIXITE = IMMORALITE.

Dés ce moment là d’ailleurs, les femmes de l’aristocratie purent participer à certaines activités : l’appartenance à une haute classe sociale compensait en partie « l’infériorité » due au fait d’être femme.

On n’en n’est plus là naturellement.

Et le recours à l’histoire, à la tradition, voire aux textes fondateurs, est analogue à l’argument : les femmes ne peuvent pas être prêtres, car Jésus n’avait que des disciples hommes.

 

Remarque 1 bis : « pour discuter de problèmes de « masculinité » être entre hommes n’est pas inutile, et on ne discute pas assez de la masculinité »

Je suis tout à fait d’accord sur la 2ème partie de la remarque.

Les hommes ont cru qu’ils étaient à la fois le masculin et le genre humain ; qu’ils représentaient la normalité.

Donc ils ne se sont guère posé l a question de l’identité masculine dans une humanité qui comporte deux genres.

OK, mais là encore le faire entre hommes uniquement me semble très appauvrissant. Attention à la substantialisation identitaire. Ce qui est intéressant c’est l’aspect relationnel de l’identité.

Toutes les questions posées par le mouvement queer vont contre cette substantialisation.

 

Mais, bon, je suis tolérant, et admet tout à fait que puisse exister des choses dont, non seulement, je ne vois pas l’intérêt, mais qui me choquent. Seulement je ferai, à mon tour remarquer

1) que se retrouver entre mecs de façon informelle, de temps à autre, et avoir, dans la longue durée une organisation unisexe, ce n’est pas du tout la même chose. Ah non, pas du tout.

2) que le GOF ne s’est pas particulièrement fait remarquer par une réflexion poussée sur la « masculinité », mais en revanche, il débat et prend parti sur la plupart des sujets de société, où on ne voit pas en quoi ce peut être intéressant de discuter « entre hommes ».

3) que les gens qui mettent en avant ce genre d’arguments le considèrent eux-mêmes comme très insuffisant puisqu’ils l’accompagnent de 2 autres (indiqués ci après) :

 

Remarque 2 : « il existe des loges féminines et « même » (délicieux même !) une obédience mixte : Le Droit humain. »

Yes, I know.

Mais c’est par transgression, et pour protester (déjà) contre le machisme de ces Messieurs, qu’avec Maria  Deraismes (une grande et belle figure trop méconnue), le processus de création du Droit Humain s’est enclenché dans les années 1880.

L’idée au départ était de rendre mixte toute la franc-maçonnerie.

Récupérer, plus d’un siècle plus tard, ceux que l’on a mis dehors, prendre argument de leur existence pour continuer à ne pas changer, cela ne me semble pas d’un progressisme échevelé, non ?

Et le fait est que certaines femmes veulent adhérer au GOF. Pour plusieurs raisons, et notamment parce que ce qu’il dit et ce qu’il fait est ce qui a le plus d’impact.

 

Mais même si je désapprouve, même si comme individu je ne comprends pas (comme sociologue, je cherche à tout comprendre, mais c’est une autre histoire), je peux arriver à admettre, à tolérer.

Encore une fois : la tolérance ne se mesure pas à l’anecdotique mais à ce qui vous choque.

 

Remarque 3 : « que voulez-vous, il y a toujours une distance entre ce que l’on dit et ce que l’on fait ! »

Là, on en arrive au cœur du problème.

Et le terme de « distance » est totalement inapproprié. Le GOF n’est pas dans une « distance », dans un « écart » entre l’idéal et le réel : il est dans un double discours permanent.

Cela, même l’ancien Grand Maître l’a, d’ailleurs, fait remarquer.

D’un côté, il se veut le meilleur défenseur de la laïcité, un farouche partisan des « valeurs républicaines »…. Pour les autres.

De l’autre, il invoque, pour ce qui le concerne, la « tradition ».

Une tradition qui, quand elle a été créée signifiait (il faut le redire) que les femmes n’étaient pas considérées comme des individus libres et que la mixité était synonyme d’immoralité.

Pour ce qui le concerne, il est toujours, implicitement mais structurellement, lié à ces 2 croyances, qui sont le contraire de la laïcité et des dites valeurs républicaines d’aujourd’hui.

 

Le pseudo argument de la « distance » déborde de beaucoup le cas du GIOF nous est seriné par tous les rrrépublicains, quand on les pousse un tantinet dans leurs retranchements.

Même Dominique Schnapper l’utilise, et précisément pour excuser et fortement minimiser le fait qu’en France les femmes aient voté un siècle après les hommes.

Alors que cette différence d'un siècle est liée au fait même que l'être humain femme n'était pas considérée comme un individu abstrait. Seul l'homme (blanc) était perçu ainsi.

 

Et après cela, nos rrrépublicains chéris affirment, sur toutes les chaînes de télé et de radio, complaisantes et complices, non seulement que l’égalité homme-femme mais que la mixité  constituent les valeurs centrales de la laïcité.

Ils s’indignent en choeur de ce qu’il existerait des minorités religieuses ou culturelles qui ne respecteraient pas scrupuleusement cette laïcité-mixité.

Ils ont ainsi des tas de sujets où nos rrrépublicains ne se privent pas de traiter de traître à la laïcité tous ceux qui n’en ont pas la même conception qu’eux.

Et sous le prétexte que « la laïcité républicaine » (sic) ne saurait tolérer le moindre adjectif, ils font passer leur conception de la laïcité (souvent entachée de beaucoup d’ignorance) pour LA laïcité.

 

Les gogos s’y laissent prendre car la société dominante marche à fond dans la combine :

lors de la Commission Stasi une femme membre de cette Commission, avait proposé qu’une loi rende illégal, en France, les associations non mixtes.

Elle prétendait qu’elle en connaît une (naturellement musulmane !) exclusivement réservée aux hommes.

Je n’ai d’abord rien dit, pour observer ce qui allait se passer. Eh bien l’idée a paru raisonnable à beaucoup. Il a fallu faire remarquer qu’alors la Commission Stasi allait proposer d’interdire le GOF.

Qu’est-il arrivé : on est immédiatement passé à l’ordre du jour.

Ce qui devait être interdit, au nom de la laïcité, une minute avant était, miracle !, devenu chose la plus normale qui soit dans la RRRRépublique.

 

Tous les gens qui prônent la tolérance ajoutent : oui mais, attention, il y a de l’intolérable ». Eh bien, mon INTOLERABLE à moi-même personnellement, il est là.

Il est dans le système triangulaire qui fonctionne très bien dans notre douce France :

 

Il est chez ceux qui fonctionnent ainsi :

-         1.No body étant perfect, j’ai bien le droit de ne pas faire ce que je dis. D’ailleurs, je suis laïque par essence, par définition.

-         2.Cela n’empêche en aucune façon d’être un chevalier du bien (enfin le bien validé par l’audimat !) ; ceux qui disent autre chose que moi doivent aller rôtir en enfer : ce sont des antilaïques, au mieux d’horribles hérétiques

-         3.D’ailleurs, ma légitimité sociale reste intacte ; je suis et reste un grand défenseur de la laïcité socialement reconnu, es qualité et tout et tout

 

Je connais beaucoup de maçons, même parmi ceux qui ont peut-être voté pour le maintien d’un GOF unisexe, ou qui sont membres d’autres loges unisexes qui ne sont pas dans le 2 et dans le 3.

Parce qu’ils ne se croient pas laïque par essence, parce qu’ils ne court-circuitent pas le débat par du terrorisme intellectuel.

Je l’ai indiqué d’ailleurs dans ma Note précédente, ce qui à faire à un internaute que j’avais « réussi le tour de force d’une charge nuancée » !

Avec ceux là, OK, j’ai un sérieux désaccord : ce n’est pas grave. Au contraire, presque : pas de pensée unique, pas de clonage intellectuel.

J’ai d’ailleurs dédié cette Note précédente à un maçon qui était pour le maintien du GOF exclusivement masculin, mais qui n’était certes pas dans une orthodoxie laïque et ne craignait pas le débat.

 

Mais les ORTHODOXES DE LA LAÏCITE , ceux qui font exactement le contraire de ce qu’ils disent et surtout qu’ils veulent imposer aux autres.

Ceux qui, en plus, ne sont pas socialement ridicules, et puent la bonne conscience, ceux là sont des gens extrêmement dangereux.

Plus menaçants pour la laïcité que les « intégristes » religieux puisqu’ils l’emprisonnent..

Et si la laïcité française à mauvaise réputation, est internationalement peu attractive, ils en ont une large part de responsabilité.

***

Appendice : Remarque 4. un sociologue qui connaît bien la maçonnerie m’a fait remarquer qu’il y avait peut-être une raison « valable » à la décision du GOF : son caractère initiatique.

Il existe 2 grands types de ritualisation initiatique : les féminines et les masculines.

Et donc, poursuit mon ami, on peut invoquer une raison « anthropologique ». Cependant, ajoute-t-il, « la plupart des loges affiliées au GO ont des réunions qui ressemblent plus à des réunions de club politique qu’à des réunion de société initiatique ».

Cette remarque m’a beaucoup intéressée. Elle induit plusieurs commentaires :

 

-          on peut constater qu’au départ, la maçonnerie n’a pas prévue une double initiation divergente, féminine et masculine.

-          d’ailleurs, exception confirmant la règle, au XVIIIe, une femme a été initiée comme un homme : elle avait réussi à surprendre les « secrets » des maçons (en faisant un trou dans le mur !). Ces derniers, aimablement, lui ont donné le choix : l’initiation ou la mort. Devinez ce qu’elle a choisi, cette coquine !

-          dans la décision prise il y a quelques jours de ne pas initier les « dames » au GOF, la « raison anthropologique » n’a pas été invoquée

-          l’invoquer poserait le très intéressant problème : existe-t-il des invariants anthropologiques ? Si oui, lesquels ?

 

On sait que le grand combat de Benoît XVI et de l’encadrement épiscopal du catholicisme consiste précisément à affirmer haut et fort qu’il y a des invariants anthropologiques et qu’il ne faut pas les transgresser.

     Ce n’est pas parce que l’Eglise catholique le dit que c’est forcément faux. Mais, ce n’est pas forcément vrai non plus.

     Il s’agit d’un débat essentiel (dont le blog pourra reparler).

On y retrouve l’ambivalence dont parlait les Notes : « Vivre libre» entre ordonnancement du monde et ordre établi.

Mais je ne poursuis pas cette piste, aujourd’hui. Je dirai seulement ceci :

Pour que le GOF ne soit pas dans une hypocrisie structurelle, dans un double discours constant, il devrait s’obliger à dire qu’il a la même position de principe que l’Eglise catholique, … avec des conséquences internes analogues. Ou alors, il doit vite se reprendre et changer.

Sinon, en tant qu’organisation en tout cas, il n’a plus de crédibilité laïque.

***

PS : Muriel, ce que vous demandez, dans votre commentaire de la Note du 6 septembre, relève typiquement de l’accommodement raisonnable, tel qu’il est compris dans la laïcité québécoise

Je vous renvoie à mon ouvrage : Une laïcité interculturelle, Le Québec avenir de la France ? (L’Aube, 2008).

 

2ème PS de dernière minute : Rodet, il me semble avoir une entourloupe dans votre commentaire car si l’info donnée par la presse était complètement fausse, le GOF aurait protesté, et il a les moyens de se faire entendre.

Ce qui m’intéresse, ce n’est pas ce qu’il n’y a pas d’écrit dans les statuts, c’est la réalité du fonctionnement.

Oui on non, il y a-til eu refus à56% d'initier les femmes?

Oui ou non, l'ex grand maître, J.-M. Quillardet a-t-il déclaré: "On apparaît en contradiction avec nos propres principes de laïcité, d'égalité, d'universalité" (Le Monde, 6-7/9/09)

 

 

06/09/2009

Le Grand Orient : OUI aux Loges-piscines exclusivement réservées aux Hommes.

Après leur très brillante interprétation de Tartuffe, les Frères jouent à la COMEDIE FRANCAISE, deux nouvelles pièces en alternance : La paille et la poutre  (d’un certain J-C) et Heureusement que le ridicule ne tue plus (d’après Labiche)

 

(Note à la mémoire de mon ami Bruno Etienne)

 

Oui, c’est inhabituel, du jamais vu dans le Blog : 2 Notes en 2 jours, et deux « Grands bêtisiers de la laïcité » en 8 jours

Mais je reviens d’un séjour sur Mars et, là, surprise, j’ai eu la parfaite illustration de ce que j’indiquais dans ma Note d’hier : « Vivre libre II ; L’anticléricalisme nécessaire. »

 

La planète Mars se divise en 2 parties : Lutèce d’un côté, Province de l’autre.

Il existe des loges-piscines de Francs-charpentiers regroupées sous le nom de Grand Orient  dans les deux régions. Et certaines m’ont invité à débattre de la laïcité.

Il existe chez nos amis francs-charpentiers du GO 2 sortes de réunions :

-         les fermées réservées aux seuls membres, aux gens normaux, à des hommes;

-         les ouvertes, plus laxistes (un peu comme la « laïcité ouverte », si vous voyez ce que je veux dire) où d’autres humains (moi par exemple, et même quelques femmes) peuvent venir.

Naturellement, les réunions avec Bibi étaient des réunions ouvertes.

Et à chaque fois, il y avait 2 intervenants : un Franc du collier et moi.

 

En Province, j’ai parlé notamment dans la ville de Festival, invité par une loge-piscine intitulée « La Cane de Jeanne ». Ce fut un débat super-intéressant dans une atmosphère extrêmement conviviale, avec des remarques et questions fort pertinentes

Bref, tout se passait très bien, quand … cherchez la femme : l’une d’entre elles demanda : « Pourquoi je ne peux pas adhérer à votre loge-piscine ? »

Le big chef expliqua que les Francs-charpentiers avaient des loges-piscines réservées aux femmes, où celles ci pouvaient s’ébattre librement entre elles. Il existait même, en cherchant bien, quelques loges-piscines mixtes. C’est dire la largesse extrême de la fraternité charpentière !

Mais, allez savoir pourquoi, les femmes ne sont jamais contentes, et celle-là, dépitée, cita Brassens : « C’est vous que je préfère ».

 

Dans la conversation plus perso qui suivit, mes sympathiques Francs-charpentiers m’expliquèrent que cette femme avait raison ; qu’il était stupide de perpétuer une tradition qui faisait sens au XVIIIe siècle, mais plus du tout maintenant.

Ils me rassurèrent en m’indiquant que les choses étaient train de changer et que très prochainement l’usage exclusif de leurs loges-piscines aux hommes serait aboli.

 

Quelques temps après, c’est à Lutèce que la loge-piscine « Le Cadet de mes soucis » m’invita. Là, le débat fut plus sportif.

Ma conception de la laïcité fut jugée accommodante, donc mollassonne, flasque, voire avachie.

 Il fallait tenir ferme, comme le chène face au roseau, les valeuuuurrrrs  rrrrrrépublicaines, dont la laïcité-mixité était le plus beau fleuron.

Je compris mieux pourquoi, il était plus qu’impératif pour eux de changer le règlement de leurs loges-piscines.

 

Je dois dire de plus qu’un débat sportif n’est pas pour me déplaire. Par ailleurs, j’aime beaucoup la façon dont les francs-charpentiers débattent :

aucune manifestation en pour ou contre, aucun applaudissement ni murmure. Bref, on tente de brider toute réaction sommaire, émotive ; de privilégier la raison rationnelle

Cela change des « débats » télévisés.

Cela rejoint ma propre conception de la rationalité et du débat démocratique.

 

Cependant à Lutèce, quelque chose m’a gêné aux entournures : toutes les interventions provenant de la salle avaient abondé dans le sens de mon contradicteur franc du collier. En soi, rien de répréhensible,

… sauf qu’à la fin de la séance, pas mal de francs-charpentiers sont venus chaleureusement me remercier de mon intervention. Tellement chaleureusement, et parfois avec des commentaires très élogieux, que cela dépassait les nécessités de la politesse. Comme si j’avais parlé pour eux, par procuration.

Diable, pourquoi ne s’étaient-ils pas exprimés en séance ? La parole franc-charpentière serait-elle moins libre que je ne l’avais cru ?

Il y aurait-il implicitement une orthodoxie laïque ?  Du moins au Cadet Rousselle lutécien.

Car cela contrastait complètement avec la liberté de ton qui avait régné à Festival où des avis divergents s’étaient exprimés dans la réunion elle-même.

 

En tout cas, j’attendais confiant le résultat de la consultation sur la mixité des loges-piscines. Nul doute que, massivement…

Et le résultat vient de tomber : un score à faire rêver Nicolas Sarkozy lui-même : 56%.

Oui, mais 56% contre la mixité !

La proposition (il faut dire extraordinairement révolutionnaire !) : laisser chaque loge-piscine être mixte ou pas, selon son franc désir, ne fut pas retenue.

 

Merdre, on veut rester entre mecs dans nos loges-piscines ont voté ces Messieurs. C’est pour’ pas avoir d’emmerderesses dans nos pattes qu’on a choisi le G.O. On s’rait plus chez nous sinon !

Même certains ont dit au journal Le Monde (6-7 septembre) : vous savez, les gonzesses, on leur donne la main, elles vous bouffent tout le bras : « Si nous initions des dames[1], rien ne dit qu’elles ne postuleront pas au conseil de l’ordre et deviennent, pourquoi pas, grande maîtresse ! ».

C’est vrai çà, les femmes ne savent plus rester à leur place et donc « l’identité » (également invoquée auprès du Monde) du G.O. ne s’en relèverait pas.

 

Il y a même un frère qui m’a demandé, très inquiet, s’il était vraiment vrai qu’en France le Parlement acceptait des « députés dames ».

Honteux, j’ai du me résoudre à lui répondre (comme en Bretagne) : « dame, oui. ». « Quand même moins du seuil fatal de 5%? » a-t-il interrogé, franchement apeuré cette fois, mais gardant espoir.

Il y en a 17% ai-je confessé très piteusement.

17% !!!. « M’alors, les valeurs républicaines sont foutues ! » Là, il est tombé dans un coma profond qui depuis pèse d’autant plus sur ma conscience qu’un médecin femme a ignoblement profité de cet état comateux pour tenter de le soigner.

J’aurais du lui annoncer cette très triste nouvelle avec beaucoup plus de ménagement.

Et surtout le rassurer en lui indiquant que la France est quand même dans la queue de peloton en la matière. Non mais, les valeurs républicaines sont toujours fièrement debout !

 

Un autre m’a dit : « Tout fout l’camp sur votre planète. Il paraît que, dans un pays d’Orient, un [vrai] fou voulait avoir 3 femmes ministres dans son gouvernement. Trois femmes, vous vous rendez compte ! Des gens un peu moins déraisonnables ont réussi à en larguer deux. Mais il en est quand même resté une. Quel laxisme ! Heureusement, nous ne sommes pas l’Orient, nous sommes le Grand Orient. »

 

 

Un troisième franc-charpentier est intervenu : « En plus, en 2008, il y a eu l’initiation sauvage de 6 femmes[2] au sein de 5 loges-piscines, tout comme il y a des ordinations sauvages de femmes prêtres. On va-t-on bon Dieu ! Chez nous, cela devient exactement comme chez les cathos»

Et comme, timidement, je faisais remarquer que de très mauvais esprits, limite  blasphémateurs, allaient justement dire, que leur critique de la religion… je fus interrompu de façon péremptoire : « Rien n’a voir avec cet obscurantisme moyenâgeux.  Nous sommes les Lumières,  nous n’avons que trois siècles de retard. »

 

Je bats ma coulpe : j’ai eu quelques instants de doute. Mais, finalement, je fus complètement  rassuré.

Pour deux péremptoires raisons :

-         d’abord, Le Monde indique les réactions recueillies auprès des francs-charpentiers: ceux-ci récusent tout « sexisme », le Grand Maître rejette, d’un revers de manche, toute accusation « d’attitude rétrograde ». Ouf, des idiots comme moi auraient pu s’y laisser prendre.

-         Ensuite non seulement mes amis du GO ne sont pas sexistes, mais ils n’ont aucune féminophobie. De cela je peux en témoigner : dans le repas qui a suivi ma prestation à Lutèce, il y avait plein de femmes : aux cuisines, pour servir les plats, pour débarrasser les tables.  C'est dire!

Je n’aurai donc aucune raison d’éclater de rire (ou de me mettre en colère) quand l’un d’entre eux prétendra me donner une leçon de laïcité !



[1] Des "dames" ! Donc parler d"'emmerderesses" et de "gonzesses" relève, bien sûr, du fameux "droit à la carricature". Les francs-charpentiers ne disent même pas les greluches, les meufs, les nénettes, les mémés, les rombières, les tombeuses, les nymphos, les bobonnes, les mégères non apprivoisées,... Non ils usent d’un terme hyper galant, voire désuet. Ils ont le respect et tout et tout. Ils sont trop choux ces francs-charpentiers !

[2] Et Richard Antony de chanter : « Dis moi, fille sauvage… ». Oui, je sais, la référence date, mais dés années 1970, pas du XVIIIe siècle 

05/09/2009

VIVRE LIBRE II : L’ANTICLERICALISME NECESSAIRE

Allez, c’est la rentrée : aujourd’hui on va être un peu sérieux. Mais rassurez-vous, il n’y aura pas d’interrogation écrite !

On poursuit seulement la Note du 24 août : Vivre libre n’est pas une mince affaire.

 

Comme chacun le sait, la liberté n’est ni « la loi de la jungle », ni le droit de faire n’importe quoi. Et c’est sans doute un invariant anthropologique (qui prend des formes multiples suivant les civilisations) d’allier la liberté (entendue globalement comme une façon de vivre non instinctive) et la règle.

L’établissement de règles = l’ordonnancement humain du monde, la construction de la société. Même Robinson Crusoé est un être social : il a été « socialisé » durant son enfance, sa jeunesse.

Le problème est que l’indispensable ordonnancement du monde est aussi un arbitraire ordre établi qui organise structurellement des inégalités entre humains et limite la liberté plus que nécessaire.

Et donc, comme on le disait en « Mai 68 » : on a raison de se révolter ». Oui, mais toute révolution engendre un nouvel ordre : la Révolution française : le bonapartisme (et l’école en France est plus bonapartiste que « républicaine » dans son fonctionnement) ; la soviétique : léninisme et stalinisme, etc.

 

Le problème est donc que la liberté se trouve sans doute dans une articulation maîtrisée de l’ordre et de la révolte.

Individuellement, on peut être dans la pure révolte, mais s’il ne s’agit pas d’une révolte en trompe l’œil (explicitement je suis révolté ; implicitement je fais des tas de compromis quotidiens… quand cela m’avantage), cela conduit à la folie.

Certains en ont payé le prix, tel Antonin Arthaud et d’autres…

 

On a écrit parfois que l’histoire humaine est une histoire de la liberté.

Cela est faux, si on considère cela de façon évolutionniste : l’histoire serait une conquête progressive où l’humain serait de plus en plus libre.

C’est un peu naïf de croire cela, et l’on sous estime la liberté dans les civilisations dites « non modernes ».

Cela est exact, ou du moins on peut considérer l’histoire humaine à partir des multiples tentatives, sans cesse recommencées, de se libérer.

Cela nécessite un perpétuel anticléricalisme, dont l’objet se déplace suivant les dominations principales du temps et du lieu.

Mais en sachant que la dialectique anticléricalisme-création de nouveaux cléricalismes n’en finit jamais.

Et qu’en soi-même on a un petit clerc .

 

Très schématiquement, au niveau d’une vue cavalière de l’histoire: le christianisme a porté un message de liberté, puis a donné la chrétienté, avec une séparation de plus en plus marquée entre clercs et laïcs ; le protestantisme a été un anticléricalisme religieux et a engendré de nouvelles orthodoxie et liens entre politique et religion.

Alors est arrivé l’idéal laïque (largement entendu) qui a proclamé que la souveraineté n’avait pas d’origine transcendante. L’ordre ne venait plus d’en haut, mais se construisait à partir de l’en bas, d’en bas, du peuple.

Affirmation très corrosive, fondée sur la croyance que l’ordre et la liberté pouvaient se concilier très facilement grâce à la raison et à la science (en fait à la Raison et à la Science, si vous voyez ce que je veux dire).

Comte disait : que 2 et 2 fassent 4 ne relève pas de la liberté conscience. On vit toujours sur ce fondement, sauf que l’on sait aussi que 2=2+’ est une réalité culturelle, dépendante d’une certaine forme de mathématiques.

Plus largement on a cru à des évidences rationnelles et naturelles de l’ici-bas.

Sauf que de Marx (la valeur n’est pas un en soi, elle résulte d’un travail) à Max Weber, on a appris que toute réalité humaine est socialement construite, aucune n’est « naturelle ».

Et la psychanalyse est venue nous dire que, plus profond que le rationnel = nos angoisses, nos peurs fondamentales, notre mal vivre.

 

En fait, comme le souligne Talad Asad[1] la modernité s’est fondée sur 2 mythes divergents

-         le mythe des Lumières où le politique (la construction de l’ordre social) est le discours de la raison publique, mythe lié à la capacité des élites de diriger les êtres humains (lien entre la philosophie des Lumières et le « despotisme éclairé »)

-         le mythe révolutionnaire du suffrage universel, où le politique est l’expression de la volonté du peuple (= du laos grec) obtenu en quantifiant l’opinion (rationnelle ou pas !) des différents individus-citoyens

 

On a historiquement résolu cette contradiction de 2 manières :

-         en affirmant qu’il fallait être un être humain rationnel et libre pour pouvoir être citoyen et en clivant les individus en 2 : ceux qui étaient dignes de la citoyenneté (les propriétaires puis les presque tous les hommes blancs à partir de 1848) et ceux qui n’avaient (soi disant !) pas assez de raison et de liberté pour être dignes de la citoyenneté (un temps les non propriétaires, les domestiques, les sans domicile fixe, pendant plus longtemps les femmes et les colonisés ; de façon permanente les enfants)

-         en encadrant les humains par des institutions qui se sont construites comme telles au XIXe siècle : l’école et la médecine. Grâce à ces institutions les élites éduquaient le laos (=le peuple) à la raison, à avoir une vie et une pensée rationnelle.

 

Ce n’est pas un hasard si la France -qui est allée loin dans ce qu’en sociologie on appelle « sécularisation transfert » (transfert d’une transcendance religieuse à des transcendances profanes)- est le pays où les femmes n’ont voté qu’un siècle après les hommes (dans beaucoup d’autres pays démocratique, la différence est de 30 ans)

Ce n’est pas non plus un hasard si la France est un pays où la construction de telle institutions à été précoce : ainsi la loi interdisant l’exercice illégal de la médecine, fondement de la construction de l’institution médicale (au sens moderne du terme), date de 1803, époque où tous les historiens de la santé vous diront que les dits médecins ne guérissaient ni plus ni moins que les dits charlatans.

 

C’est moins admis dans la mentalité collective que pour l’école, mais la médecine a un rôle d’ordre fondamental et les médecins l’ont exercé sans complexe.

Ecoutons le Dr Cavaillon, Médecin-chef du Service central de Prophylaxie au Ministère du Travail et de l’Hygiène, en 1928 (mais ce livre était encore largement diffusé au milieu du XXe siècle) diffuser le message médicalo-républicain et nous apprendre ce que doit être une « femme moderne »:

« la femme moderne, ce n’est plus celle (…) qui est suffisamment armée pour la vie quand la capacité de son esprit se hausse à ‘connaître un pourpoint d’avec un haut de chausse.’ [bref l’ignorante]

Ce n’est pas non plus la « garçonne » soucieuse seulement de paraître aux yeux des hommes et qui délaisse toute la vie intérieure pour la ‘foire aux vanités.’

Ce n’est pas également l’intellectuelle pure, préoccupée seulement de savoir, oublieuse de son corps, et méprisant la vie familiale.

C’est au contraire celle qui sait faire droit aux exigences de l’esprit comme à celle du corps, qui sait être à la fois instruite sinon même diplômée, qui peut être à la fois jolie femme et maman aussi compétente que dévouée ; qui a su aussi bien préparer ses examens de lettres et de sciences que suivre des cours de cuisine et avoir son diplôme d’infirmière.

C’est celle qui en un mot a su s’adapter à tous ses rôles multiples : de femme, d’épouse, de mère, d’éducatrice, de gardienne de la santé du foyer, celle à qui tout incombe et qui doit tout mener à bien : les grands devoirs et la foule des menus détails,

celle qui ne regarde plus la vie en ignorante craintive et désarmée, mais bien en femme avertie des dangers et des joies, des devoirs et des droits, de la protection que lui donnent ou lui refusent les lois, en femme soucieuse d’assurer sa santé, son bonheur, et la santé et le bonheur des siens. »[2]

 

Il ne faut pas seulement sourire (ou s’indigner) d’un semblable propos, l’important est de comprendre à quel point, même dans la modernité, la liberté est encadrée, fait l’objet de prescriptions.

Et le début de la liberté, consiste à ne pas croire, qu’il était ainsi autrefois et qu’aujourd’hui on serait libre. On est toujours dans la même ambivalence, même si la citoyenneté s’est élargie et les institutions déclinent.

On en reparle la semaine prochaine. Juste pour le moment, un dernier constat :

 

A quelle raison socialisait-on : la raison rationnelle ou la raison du plus fort  (qui, chacun le sait, depuis la Fontaine, est « toujours la meilleure » !)?

Les 2 sans doute. Les tenant de l’ordre font mine de croire qu’il s’agit QUE de raison rationnelle ; mais quand ils sont de l’autre côté de la barrière, que cette raison brime leur liberté, ils rejoignent les tenant de la révolte et pensent qu’il s’agit de la raison du plus fort.

 

(suite et fin la semaine prochaine).



[1] Formation of the Secular, Standford University Press, 2003, 23

[2] Préface à : Doctoresse [Marie]Houdré. Ma Doctoresse. Guide pratique d’hygiène et de médecine de la femme moderne. Cet ouvrage se voulait très progressiste.  Il prône une certaine émancipation de la femme. Il est complètement totalisant au niveau de ses prescriptions à suivre « Pour la santé et le bonheur »:.elles vont des recettes alimentaires à des indications comme celle-ci :

le sport est nécessaire pour les jeunes-filles : « courses, sauts et lancers, jeux de balles et de ballon, voilà qui fatiguera les muscles et usera le trop plein de l’ardeur juvénile. Bien compris et bien surveillé, le sport est une sauvegarde de premier ordre en matière de moralité sexuelle. »

Ensuite, quand elles se marient : quelle périodicité pour l’intimité des époux : « Parfois on abuse » et « on devient ensuite hargneux et injuste l’un pour l’autre. Ou bien on s’en tient à une continence excessive, et l’on se sent nerveux, inquiet, agité… Suivant les tempéraments, la saison, le loisir » = « goûter les plaisirs du mariage de une à trois fois par semaine. »

Et précise : « Trop de gens s’imaginent que c’est une nécessité physiologique de satisfaire l’appétit sexuel chaque fois ou à peu prés qu’il se manifeste. C’est là une erreur totale. Comme tous les appétits, celui-là doit être discipliné. »

Bon appétit quand même !