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25/11/2009

1905 et LES TENUES RELIGIEUSES

Voici le texte intégral de mon audition devant la Commission consultative des Droits de l’Homme (lundi  23 novembre)

Le début reprend en partie, sous une autre forme,  des éléments de mon audition devant la Mission Parlementaire (cf la Note du 21 octobre).

Mais, patience et ténacité !, la suite est trés différente, notamment par le parallélisme avec 1905 et sur les arguments donnés quant au double-court-circuit entre laïcité et égalité homme-femme.

Enfin, en PS, je réponds brièvement à 2 remarques d’internautes sur ma Note précédente.

 

Merci de m’avoir invité à vous donner mon point de vue sur une question actuellement objet d’un débat.

Je  dirai avec un peu d’humour et beaucoup de sérieux, que je suis « laïcitologue ».

Un peu d’humour car ce terme peut apparaître comme un néologisme quelque peu barbare. D’ailleurs, le correcteur de mon ordinateur l’ignore, alors qu’il connaît fort bien, par exemple, islamologue.

Beaucoup de sérieux car cette différence d’usage social n’est pas neutre.

Si envers les religions en général et l’islam en particulier on admet la différence entre une démarche de connaissance et une posture d’engagement, il n’en est pas de même, en France en tout cas, pour ce qui concerne la laïcité.

 

Sur ce sujet on confond volontiers engagement et connaissance. On s’autorise souvent à court-circuiter le savoir.

La différence entre les Etats-Généraux de la bioéthique, où on a organisé des allers-retours entre citoyens et spécialistes, et le débat social récurrent sur la laïcité (ou également aujourd’hui sur l’identité nationale) me semble très significative.

Pourtant, il existe de par le monde des laïcitologues, des spécialistes dont l’objet d’étude principal est la laïcité, les diverses laïcités :

 les Professeurs Micheline Milot, au Canada, Roberto Blancarte au Mexique, Alessandro Ferrari en Italie, Alfonso Pérez-Argote en  Espagne, pour n’en citer que quelques uns.

Et si, comme les documents internationaux le font, on traduit « Etat laïque » par « Secular State », et « laïcité » par « Secularism » on devra naturellement citer beaucoup d’autres exemples.

 

Les diverses laïcités possèdent des points communs, ce qui ne les empêche nullement d’avoir aussi des singularités, suivant les pays.

Alors, je voudrais examiner brièvement avec vous le cadre d’ensemble et la particularité de la situation française, en la reliant au problème dit du voile intégral, qui est l’objet de votre réflexion.

La première définition formalisée de la laïcité revient à Ferdinand Buisson, en 1883.

Pour cet intellectuel, « L’Etat laïque, écrit-il, [est] neutre entre tous les cultes, indépendant de tous les clergés, dégagé de toute conception théologique. » Cela permet « l’égalité de tous devant la loi » par « l’exercice des droits civils désormais assurés en dehors de toute conviction religieuse » et « la liberté de tous les cultes ».

 

Dans un ordre différent, et avec un autre vocabulaire, on retrouve des principes analogues dans une Déclaration universelle sur la laïcité, signée en 2005 par 250 universitaires de 30 pays.

La laïcité est le « respect de la liberté de conscience et de sa pratique individuelle et collective ; [l]’autonomie du politique et de la société civile à l’égard des normes religieuses et philosophiques particulières ; [la] non-discrimination directe ou indirecte envers les être humains. »

 

Il s’agit là de ce que Durkheim appelle la « société idéale », c'est-à-dire de représentations qui constituent, pour les acteurs de la vie politique et sociale, des principes directeurs, des objectifs à atteindre, voire des écarts à réduire. Mais se pose aussi le problème de leur interprétation, qui peut comporter certaines variations.

Toutefois, le point commun des exigences liées à la laïcité est de concerner avant tout l’Etat, et les institutions.

La séparation et la neutralité de l’Etat et des institutions constituent, en effet, l’instrument  qui permet le respect de la liberté de conscience, de culte et la non-discrimination pour des raisons de croyance.

Cet ensemble Etat et institutions peut être désigné par le terme de « sphère publique ». Là, les exigences de laïcité sont différentes pour les représentants de l’Etat et des institutions, et le reste des individus, en situation d’usagers.

La laïcité concerne d’abord la République et ses institutions, et non les individus.

 

Rappelez-vous dans le débat sur les signes religieux, les partisans de l’interdiction ont argumenté en indiquant qu’à leurs yeux, les élèves se trouvaient dans une situation très particulière et ne pouvaient être considérés comme  des « usagers ».

Cette interprétation l’a emporté, introduisant une dérogation, valable pour l’école publique, mais ne s’étendant ni aux écoles privées sous contrat, pourtant largement financées sur fonds publics, ni à l’Université.

Est-ce à dire que les personnes en position d’usagers n’ont aucune règle de laïcité à respecter ? Certes pas.

Les manifestations de prosélytisme n’ont pas lieu d’être dans une mairie, un hôpital, et aussi une école comme l’Avis du Conseil d’Etat de 1989 l’indiquait explicitement.

En revanche, dans la rue, il est tout à fait licite, par exemple, de distribuer des tracts pour une réunion d’évangélisation.

 

La rue fait partie de l’espace public, non de la sphère publique.

C’est une distinction essentielle entre une surface bien délimitée, et un espace par définition indéfini.

Dans l’espace public de la société civile, la première exigence de la laïcité consiste à respecter la liberté de chacune et de chacun.

Seul un trouble manifeste à l’ordre public, une atteinte aux droits d’autrui peut légitimement limiter cette liberté. Une tenue, une manière de se vêtir peut-elle relever d’un de ces deux paramètres ?

 

La question a déjà préoccupé des Parlementaires français, cela précisément lors des débats sur la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, en juin 1905.

Des députés radicaux-socialistes proposent d’interdire le port de la soutane[1] dans l’espace public et ne l’admettre qu’à l’intérieur des églises.

Sans plaquer une situation sur une autre, il vaut la peine de connaître leur argumentation, car les analogies sont indéniables.

Voilà, schématiquement, ce que dit le principal auteur de l’amendement[2] :

 

-         La soutane n’est pas, pour le clergé, une obligation religieuse, preuve en est qu’il ne la porte ni en Amérique, ni dans certains pays européens. C’est donc un vêtement politique, lié à l’ultramontanisme, terme qui signifie à l’époque un catholicisme étranger, fanatique, obscurantiste.

-         La soutane est une atteinte à l’ordre public car elle induit des « manifestations diverses » d’agressivité de la part de passants heurtés par la vision de soutanes dans la rue.

-         Les prêtres qui portent la soutane manifestent des sentiments anti-sociaux : ils croient être « plus que des hommes », ils la portent pour établir une « barrière infranchissable entre eux et la société laïque »

-         La soutane est un signe « d’obéissance directement opposée à la dignité humaine » qu’il faut interdire si on est soucieux « de la liberté et de la dignité humaines ». En ôtant sa soutane au prêtre vous lui permettrez de « lever la tête, causer avec n’importe qui (…), vous libèrerez son cerveau », vous mettrez fin à sa situation d’«esclave ».

-         D’ailleurs un grand nombre de prêtre attendent cette interdiction « qui les rendra libres » et ils deviendront partisans de la loi de séparation si elle leur permet d’enlever leur « robe ».

-          

A cela Aristide Briand oppose  qu’il serait contradictoire d’interdire le port de la soutane quand on instaure, par la séparation, « un régime de liberté » et qu’avec la laïcité, la soutane devient « un vêtement comme les autres ».

L’amendement proposant l’interdiction est repoussé par 391 voix contre 184.

 

Pourtant, si l’on se reporte à la situation d’alors, au conflit des deux France, aux combats que la République a du mener contre un catholicisme clérical, intransigeant, notamment peu de temps avant lors de l’affaire Dreyfus, les arguments avancés auraient pu apparaître convaincants.

Ils ressemblent, en tout cas, à ceux mis en avant aujourd’hui pour interdire le voile intégral.

Le thème de la « laïcité menacée » avait beaucoup de raisons d’être en 1905. Briand a prôné, face aux menaces, une attitude « de sang froid » comme étant la plus démocratique, la plus laïque et la plus efficace.

 

De nombreux juristes l’ont indiqué : si on peut réglementer le port du voile intégral, notamment quand il est indispensable de connaître l’identité des personnes, l’interdire de façon plus générale porte atteinte aux libertés publiques.

Car de deux choses l’une :

-         Soit le port de cette tenue est subi et alors une telle loi confinerait les femmes dans l’espace privé. La mise en place d’un dispositif social, comme pour d’autres atteintes et violences faites aux femmes est une solution non liberticide et plus opératoire. Et dans la mesure où il faudrait réprimer, cette répression devrait atteindre les hommes.

-         Soit le port du voile intégral est revendiqué, et la société démocratique repose sur le principe de l’autonomie de l’individu, même si (et ce n’est pas un sociologue qui dira le contraire) chaque individu subit de multiples déterminations, dont celles de la mode (au sens large) d’ailleurs ne sont pas les moins contraignantes. A cela une culture laïque doit refuser le cléricalisme. 

L’idée cléricale, c’est de croire que l’on connaît mieux qu’eux ce qui est bon pour les autres, qu’on peut les libérer malgré eux, parce qu’on serait soi-même totalement libre et éclairé, libéré de préjugés et de déterminations.

 

Une loi, ou un élément de loi, interdisant le port du voile intégral dans l’espace public tournerait le dos à la laïcité de 1905. Elle s’apparenterait à une « religion civile » où, comme le dit Jean-Jacques Rousseau, l’Etat cherche à imposer des principes essentiels du lien social comme des « dogmes ». Quand on transforme des principes en dogmes, on opère une double instrumentalisation.

-         D’abord on veut rendre infaillible, incontestable, une certaine interprétation de ces principes. On les enlève du nécessaire débat démocratique sur leur interprétation

-         Ensuite, on tend à un double jeu : appliquer de façon intransigeante ces principes à certaines personnes, et multiplier les point  aveugles où ces principes sont peu, voire pas appliqués. Notamment on tend à établir deux poids, deux mesures suivant que l’on est ou l’on n’est pas soi-même concerné.

 

C’est typiquement ce qui risque d’arriver aujourd’hui, car :

 

-         D’une part, le principe de l’égalité femme-homme se réduit passant par l’entonnoir d’une conception unilatérale de la laïcité. L’Etat serait considéré comme laïque, même là où il est concordataire, même quand il reconnaît les diplômes délivrés par le Vatican, mais une partie de la population devrait passer une sorte d’examen de passage de laïcité. C’est un renversement complet par rapport à la laïcité de Ferry et de Briand et Jaurès où la laïcité concerne avant tout la République, pour assurer l’exercice individuel et collectif de la liberté de conscience de chacun.

 

-         D’autre part, le principe de laïcité se réduit en passant par l’entonnoir d’une conception unilatérale de l’égalité femme-homme, valable pour des secteurs marginaux de la société mais pas ou peu pour la société elle-même. On risque d’aboutir au paradoxe d’une assemblée, composée à plus de 80% d’hommes qui soumettrait à une amende le port du voile intégral, alors que des partis politiques importants payent une amende pour ne pas respecter la loi sur la parité !

 

 

Permettez-moi, pour finir, un propos citoyen. La citation d’un article paru dans Les cahiers rationalistes, organe de l’Union rationaliste, association dont je suis membre.

Cet article, et c’est également ma propre position, se prononce nettement et contre le port du voile intégral et contre une loi qui interdirait ce port dans l’espace public.

Elle serait, écrit son auteur, « immédiatement dénoncée comme antimusulmane » et donnerait aux « extrémistes » des arguments « difficilement réfutables » :

comment, diraient-ils peut-on oser interdire le nicab et autoriser « la diffusion de revues pornographiques dégradantes pour l’image de la femme, la publicité pour ces mêmes revues étalée dans la rue devant tous les marchands de journaux, l’affichage en dimension gigantesque d’images de femmes nues pour vendre des voitures ou des vacances » ?[3]

 

Etc : l’auteur continue la liste. Point est besoin ici de le faire car, vous avez compris, la teneur du propos. Elle est consiste à dire qu’il doit exister un équilibre dans ce qui est toléré par une société démocratique.

Si on considère, et tant que l’on considère, que tolérer ce qui vient d’être indiqué constitue un moindre mal par rapport à la censure, alors il faut considérer que tolérer le port du voile intégral dans l’espace public est un moindre mal du même ordre.

Sinon, on fait un beau cadeau aux « extrémistes » en les rendant attractifs auprès de gens qui ne le sont nullement et qui désavouent le port du voile intégral à la seule condition que l’on ne transforme pas en victimes celles qui le portent.

 

Ps :

- Pour J. F. Launay : Je suis d’accord que le pouvoir médical s’effrite. Je suis + dialectique que vous sur les raisons : ce n’est pas que de l’obscurantisme et les institutions trop sûres d’elles-mêmes conduisent à des catastrophe : je l’ai éprouvé, enfant et ado dans ma chair.

En tout cas, ce que j’ai voulu dire c’est : y’en a marre des reportages qui concernent l’attitudes de femmes dites musulmanes envers des médecins, sans replacer cela dans l’évolution générale du déclin de la déférence des malades envers les médecins.

C’est proprement « obscurantiste »

 

- Pour Gigi III : Je regrette, le reportage était sur une femme voulant être examinée par une autre femme ; pas sur un mari qui faisait du bazar. Cela est aussi différent que si vous répondiez « prêtres pédophiles » à la défense de prêtres qui vivent en concubinage.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

 

 

 

  

 

 



[1] Rappelons que la soutane est une grande et ample robe noire que les prêtres catholiques français portaient alors sur leurs vêtements habituels. Différence avec le voile intégral : on voyait leur visage, mais en revanche, le fait qu’il s’agisse d’une « robe » était alors considéré par les laïques comme une atteinte à la « dignité » de l’homme, le symbole que le prêtre qui la portait n’était pas vraiment un homme. Cette robe noire faisait qualifier les prêtres de « corbeaux » (comme aujourd’hui on dit les « Belphégor »)

[2] Pour un compte rendu plus complet, cf. J. Baubérot, L’intégrisme républicain contre la laïcité, L’Aube, 2006, p. 179-183.

[3] G. Fussman, Niqab, hijab et burqa, Les Cahiers Rationalistes, sept-oct 2009, 18.

15:07 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (10)

20/11/2009

La médecine expliquée au Haut Conseil à l'Intégration

Où le Haut Conseil à l’Intégration me poursuit de ses assiduités… via FR3 interposé !

 

 

Eh bien, je ne l’ai pas emporté au paradis ! Cela m’apprendra à taquiner ce monument républicain qui s’intitule le Haut Conseil à l’Intégration, et à révéler ses contre-vérités mexicaines (cf ma Note du 12 novembre)

Hier, sur FR3, avant une interview-express, on m’a ressorti comme « accroche », à la discussion sur la Mission d’information parlementaire sur la dite burqa, un reportage qui date… de janvier 2007, concernant le projet de Charte de la laïcité du HCI.

 

Le sujet, non pas le port du « voile intégral » mais les dites femmes musulmanes qui refusent de se déshabiller pour être examinées par un médecin homme

(dans le cas précis, il s’agissait d’un examen effectué par une gynécologue, mais avec un stagiaire homme regardant l’examen : il me semblait que la présence de stagiaires dans les examens médicaux était soumise à l’accord du patient, non ?)

 

A noter que bien des téléspectateurs ont du croire qu’il s’agissait d’un reportage actuel, d’une « affaire » toute récente. Or, je le répète, cela datait de près de 3 ans !

Etait-ce d’une telle importance qu’il fallait ressortir ce reportage du frigo ?

 

Et quel est le rapport entre les 2 problèmes (l’examen médical et la dite burqa)?

Pas la peine de chercher midi à 14 heures : la mise en cause de l’islam, ou d’un certain islam, si on veut faire plus raffiné.

Moi je dirai d’ailleurs, plus exactement, la construction sociale d’un imaginaire concernant la femme musulmane.

Ah ben mais, j’sais causer quand même, j’ai lu des livres de la collection Arlequin.

 

Pourtant, dans mes enquêtes, en France comme au Canada, j’ai interviewé des femmes non musulmanes  qui m’ont dit choisir des gynécologues femmes, et estimer en avoir le droit.

Il y en a même une (bien estampillée Française, je le précise, pas une horrible canadienne multiculturelle, et tout et tout!) un peu énervée par les débats récurrents sur le sujet qui m’a demandé si la majorité des hommes qui ont des problèmes de prostate allaient consulter des médecins  femmes, et si (comme probablement ce n’est pas le cas) pourquoi on n’en faisait pas tout un bazar.

 

Dans ce reportage, on a entendu la présidente d’alors de HCI déclarer, sans grand souci de logique, qu’on avait le droit de choisir son médecin…mais pas le sexe de celui-ci.

Comme dirait l’autre : ces choses là sont rudes, il faut pour les comprendre avoir fait des études.

La preuve, bibi, à bac+24, je n’y comprends goutte.

Mais c’est parce que j’ai des siècles de paysannerie limousine dans mes veines, et (en plus) j’en suis fier.

Fier car les paysans ils ne se laissent pas entuber par les bieaux discours, où l’on agite des gros mots ronflants, comme si la république était toujours à dix centimètres du précipice.

 

Là, la président d’alors du HCI a prétendu que le non choix du sexe de son médecin était un problème « d’égalité », renvoyant ainsi à la devise républicaine.

Je persiste et signe à trouver cela stupide.

Quand, dans un aéroport, on vous palpe, c’est un homme qui palpe les hommes, une femme qui palpe les femmes et le HCI ne crie pas au scandale.

Il n’en dit mot, et n’écrit pas de Charte, le coquin paresseux.

Pourtant, si on suit sa logique c’est beaucoup plus scandaleux, puisque là « l’égalité » est foulée aux pieds de façon institutionnalisée, et par la République elle-même.

Et la palpation est pourtant nettement moins ‘intime’

 

Donc, j’en conclus, avec le sens de la nuance, qui me caractérise, que notre merveilleuse République, que l’univers entier, que dis, les myriades d’étoiles, nous envient (les petits jaloux), la République, dis-je, est beaucoup plus menacée par les propos naïfs et double-jeu de ses représentants officiels que par un certain islam.

 

Naïfs, vraiment très naïfs, car on considère tout autrement les employés des aéroports et les médecins

(dont on peut penser qu’ils ont la même conscience professionnelle avec, dans les 2 professions, la même proportion d’obsédés de la chose que dans la population globale :

je vous laisse fixer vous-même le pourcentage, et décider s’il ne serait pas… un poil plus élevé chez les hommes que chez les femmes)

On raisonne de 2 façons totalement différentes, sans même s’en rendre compte.

 

Et pourquoi le fait-on ?

Parce que, depuis sa toute petite enfance, on a été socialisé à accepter le pouvoir du médecin, alors que l’on n’a pas été socialisé à accepter le pouvoir de l’employé de l’aéroport.

C’est aussi simple que cela et pas besoin d’avoir recours aux mots ronflants (aux mots dont l’emploi inflationniste me gonfle !), sinon pour masquer à ses propres yeux cette réalité sociologique de base.

 

Attention, je ne dit pas cela dans une perspective moralomachinchose.

Le pouvoir, ce n’est pas pipi-caca-boudin.

C’est une réalité sociale foncièrement ambivalente.

C’est à la fois un pouvoir de… (c'est-à-dire le pouvoir d’atteindre ses objectifs)

Et un pouvoir sur (sur les autres, naturlich)

Et le gros problemo is : le « pouvoir sur » risque toujours de déborder le « pouvoir de »

D’où un anticléricalisme qui a de multiple facettes.

 

 Le célèbre : « Attention. Ne confondons pas. Est-ce que ça vous chatouille, ou est-ce que ça vous gratouille », admirablement joué par Louis Jouvet, dans KNOCK de Jules Romain, (et le succès de cette œuvre) montre l’existence de cet anticléricalisme médical.

Socialement marginalisé, à partir de la fin du XIXe, mais toujours vivace, il se réfugie souvent dans l’œuvre littéraire, voire l’humour.

Mais, au-delà de la caricature, l’oeuvre de Jules Romain est révélatrice d’un dilemme induit par une médecine entre l’exercice de ces deux formes structurelles de pouvoir : le ‘pouvoir de’ et le ‘pouvoir sur’ :

 Donc, répétons le, le pouvoir de réaliser son objectif (ici de soigner) et le pouvoir sur les autres pour maximaliser les chances d’obtenir cet objectif (ici sur les malades, qui deviennent, dans les sociétés occidentales modernes, des patients, ce qui marque une profonde mutation).

 

Le pouvoir de soigner est la responsabilité du médecin, et n’est jamais facile à exercer. Il comporte, depuis 1 siècle et demi, deux caractéristiques nouvelles, comme le constatent les historiens Lion Murard et Patrick Zylberman[1].

D’abord la distance entre la connaissance d’ordre scientifique et la perception immédiate s’accentue de façon structurelle (par rapport à la médecine empirique des siècles précédents) :

« La science des microbes mettait en contradiction le savoir et le témoignage des sens, privait le mécanisme de l’infection de tout support perceptif et détachait de la sorte la compréhension de l’imagination » (page 430).

Ensuite, désormais, le diagnostic devient précoce et incite à traquer la maladie (et la contagion) avant même son apparition :

« Et voilà le médecin en grand danger de s’aliéner des populations en quelque façon coupables des maladies qu’elles négligent d’étouffer. ‘Ce n’est pas seulement le malade qui est dangereux, leur serinait-on matin, midi et soir, c’est surtout le futur malade’ » (idem, 431).

 

   Une fois leur double constat effectué, les deux historiens sont logiquement conduits à parler des médecins comme des « ministres du culte nouveau » (idem, 431). En effet, au nom de leur connaissance de réalités invisibles, inapparentes, et du but qu’ils poursuivent, ils tendent à vouloir imposer des normes globales de vie.

L’exercice de leur ‘pouvoir de’ implique ‘pouvoir sur’, une domination sur autrui, consciente ou non peu importe.

L’existence de chaque être humain porte un ensemble complexe d’aspirations, de désirs, de volonté d’autonomie, d’objectifs divers.

La santé en fait partie, mais elle est loin d’être le seul, et on est d’autant moins enclin à lui sacrifier tout le reste, à accepter ‘le pouvoir sur’ que revendique le médecin, qu’un certain doute persiste sur son réel ‘pouvoir de’

(comme le montre l’empressement enthousiaste et unanime des foules de faire la queue pour être vaccinés contre la grippe H1N1 ! Nos concitoyens seraient-il tous devenus des « femmes musulmanes ? »

 

.Comme à l’égard du prêtre (terme pris dans un sens générique), dont la responsabilité dominatrice consiste à vous conduire vers « le salut », une relation ambiguë, faite de proximité et de distance, de confiance et de suspicion, s’instaure depuis lors entre le patient et le médecin.

Comme auparavant le laïc voulait pouvoir bénéficier des « secours de la religion », sans trop être sous sa coupe, le patient cherche à profiter des secours de la médecine, sans trop obéir aux prescriptions médicales, sans trop être sous la coupe du médecin.

Le libre choix du médecin (et donc de son sexe !) auquel on livre l’intimité de son corps est une précieuse liberté publique qui permet que le ‘pouvoir sur’ médical ne soit pas totalisant.

 

Mon petit doigt m’a dit que la présidente d’alors du HCI était une ancienne maoïste. Alors, qu’elle prenne (comme moi) un coup de jeune,

Et que nous allions ensemble manifester et crier à plein poumons : « Vive la juste lutte des femmes (dites) musulmanes contre le cléricalisme médical »

 

O gué, O gué, comme dirait Brassens.

 

PS : internautes chéris, si vous êtes très sages pendant le week-end, que vous alliez bien voir un médecin du sexe opposé, que vous vous fassiez vacciner, et que vous récitiez trois Ave, deux Pater et trente trois fois notre belle Devise républicaine,

Vous aurez sur votre Blog favori, dés le début de la semaine, ma nouvelle audition concernant le « voile intégral ».

Avec de l'inédit, en première mondiale; promis, juré. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] L’hygiène dans la République, Fayard, 1996.

14/11/2009

Jeudi 19 18 H.40-19 H. sur France 3, votre Baubérot favori

Pour ne pas subir, rétrospectivement, les foudres d’internautes qui vont sur le Blog,

Et pour favoriser le développement d’une Bulle égocentrique (pas spéculative), je vous signale,

Que vous pourrez M’ENTENDRE

(pourquoi me dit-on tout le temps : « Je vous ai VU à la télé » ? Y a pas d’son ? -comme dans les aéroports- Ou alors on reluque sans écouter ?)

Sur FRANCE 3, jeudi prochain de 18H40 à 19 H. (en première partie du Journal)

Devinez le thème ?

 

Et cette même semaine, vous aurez une Nouvelle Note, sur :

Pourquoi la question politico-religieuse est-elle si sensible quand il s’agit de l’identité nationale.

Les propos faux (vous avez raison P. Delmas, j’en ai pointé un dans ma Note du 12/11 « Fiers d’être Français », mais il en existe plusieurs) du document du HCI de 2007 serviront « d’analyseur » car, Non Gigi III, il ne s’agit pas du tout d’une « ignorance historique…vénielle » (comme les péchés du même nom ?) mais de contre-vérités idéologiquement NECESSAIRES pour prôner une conception « intégriste » de la laïcité, comme je le montrerai avec mon infaillibilité coutumière.

P. Delmas me demande pourquoi je suis contre le port de la burqa, et en commentaire d’une autre Note, J. Mouttapa m’avait demandé ma position sur l’analyse que D. Bouzar fait de la dite burqa.

Je préciserai cela aussi.

 

 Qu'on se le dise!

15:26 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (3)

12/11/2009

Fiers d'être Français...et Mexicains!

ET VIVE LE HAUT CONSEIL A L’INTEGRATION

 

D’abord un petite suite (et fin) des nouvelles du Blog. Depuis que j’ai signalé (cf. le début  de ma dernière Note) que, dés le 1er de chaque mois, blogspirit m’indique 2 chiffres bien différents quant au nombre de visites et à celui des visiteurs, j’ai eu des échos divergents.

Certains disent qu’il leur arrive de consulter 2 fois le Blog le même jour, d’autres que 2 personnes (voire parfois 3, mais c’est assez rare) consultent le Blog à partir du même ordinateur.

Alors, ne tergiversons pas : les 17493 pages et les 7326 visites d’octobre correspondent à 10000 visiteurs selon les syndicats et à 2500 selon la police.

De toute façon, c’est nettement plus que le nombre de femmes en burqa (qui varie, lui, selon les estimations officielles de 367 à 2000).

 

Je demande donc, que dis-je, J’EXIGE qu’une Mission d’information parlementaire soit, de toute urgence, consacrée à l’étude de mon Blog pendant 3 ans (puisqu’elle s’occupe de la burqa pendant 8 mois, le ratio est correct, non ?).

Sinon, je deviens un salafiste radical, pour, enfin, que l’on me prenne en considération.

C’est vrai, quoi : y’en a marre de pas être considéré comme un danger pour la République, une menace pour la douce France.

Alors que je suis un péril national.

 

En plus, les témoignages recueillis par une enquête confidentielle des ex-RG donnent des résultats très inquiétants pour les « valeurs » suprêêmes de la mère patrie.

Les Internautes qui surfent sur le Blog sont à 50% des perturbateurs de droite et à 50% des perturbateurs de gauche.

De droite puisque l’échantillon, sélectionné selon la méthode des quotas, et atteint par téléphone portable durant les cinq dernières minutes, donne 120% d’insatisfaits de Nicolas Sarkozy.

De gauche, puis que le même échantillon, contacté de la même manière les cinq minutes suivantes, donne 120% d’insatisfaits du PS.

 

Alors, Messieurs et Mes (quelques) dames les parlementaires adorés, REVEILLEZ VOUS et sachez combattre les véritables risques mortels que court notre pays, sachez le sortir de la perdition où il s’enfonce.

Aux armes députés, formez vos bataillons,…. qu’un Blog impur abreuve vos sillons.

 

Ouf, ça fait du bien !

 

Mais, c’est pas tout ça : pendant que le superparlement auditionne à tout va, le superprésident n’est pas en reste et, par besson interposé, il identiténationalise à tout va.

Et dire qu’il existe sur terre des hyper malheureux qui n’ont pas la chance, la joie, le bonheur, l’extase d’être Français.

Quel cauchemar ce doit être.

Mais il faut avoir le courage de l’affirmer : c’est bien de leur faute et ils n’ont que ce qu’ils méritent

Un dicton, bien de chez nous, déclare en effet :

« Tout homme (et cela inclut même les femme, c’est dire si on n’est pas bégueule) a deux patries : son pays et la France »

Alors pourquoi des milliards d’êtres humains ont-ils renoncé à leur patrie françoise ?

Alors que nos Préfectures voudraient tant les accueillir à bras ouverts

Et itou pour nos Consultas et Ambassades.

 

Il n’ont pas encore compris ce qu’écrivait Régis Debray en 1989 (il y a 20 ans, au moment de la chute du dit « Mur ») : « Comme l’Homo sapiens est un mammifère plus, la république est la démocratie plus ».

Et je vous rassure tout de suite, il ne parlait ni de la République américaine, ni de l’Allemande, ou de l’Italienne.

Non, de la seule, de la vraie, de l’unique.

De, affirmait-il fièrement, « ce par quoi notre pays fait, en Europe et dans le monde, exception. » (Le Nouvel Observateur, 3011/89).

 

(Précision : j’aime bien Debray et je ne voudrais pas que l’on croit que je le réduit à cet article. Lisez sa revue Medium, elle est fort intéressante. Le problème est le significatif succès qu’a eu l’article précisé, qui a donc été le catalyseur d’un courant d’idées qui, lui, continue tel quel, même si son auteur a, lui, évolué)

 

Laissons donc à leur triste destin les mammifères qui n’ont pas atteint l’âge d’or de l’homo sapiens, et polluent notre belle planète

(car entre nous, il n’y aurait que des Français sur terre, à part les soirs où le PSG affronte l’Olympique de Marseille, il se produirait quand même moins de massacres. Evident mon cher Watson)

Laissons les pour nous occuper de notre National Identity

(Ça c’est en anglais pour tout de suite prévenir les fervents Républicains qu’ils doivent à la hâte quitter ce Blog…. si ce n’était pas déjà fait).

Parce que la National Identity concerne, au premier chef, the laicity. Et, plus précisément the specific french touch de la laicity.

 

Quand nous, scientifiques zimbéciles et zuniversitaires fumeux, loin de toute « réalité » (les députés de la Mission ne me l’on pas envoyé dire, cf. la Note du 28/10), on prend des « indicateurs » de laïcité[1], et on compare les différents pays

(Roberto Blancarte, et son équipe de sociologues latino-américains, l’ont fait pour la France et l’Amérique latine)

Vous savez quoi : la France n’est pas empiriquement (=concrètement) le pays le plus laïque

(Cela montre à l’évidence, que ces indicateurs ne peuvent être qu’archifaux, et qu’il faudra les changer jusqu’à ce que la France arrive en tête ;

d’ailleurs je ne sais pourquoi ces zigotos-sociologues ont eu le culot de « comparer » puisque -nombres de personnalités politiques dixit- la laïcité est une exception française à laquelle les Estrangers « ne peuvent rien comprendre »[2]

Et c’est sans doute parce qu’ils n’arrivent pas à comprendre qu’ils m’invitent si souvent pour en parler avec moi !)

 

- il y a des pays qui de n’ont pas du tout de Concordat, ni « cultes reconnus » ;

- il y en a d’autres où les subventions aux écoles privées sont moins fortes, voire riquiqui ou nulles ;

- il y a des pays où les fêtes religieuses chômées sont moins nombreuses, voire au choix des citoyens, etc, etc

- il y a même des pays où on ne reconnaît pas la validité des diplômes délivrés par le Saint-Siège,

C’est dingue, non !

Drôles de pays : des espèces de démocraties de mammifères moins, sans aucun doute !

 

Mais je vous rassure, on est quand même, et de très loin, laïquement les meilleurs dans l’Histoire du World.

Et je vais, dans cette Note et les prochaines, vous le démontrer derechef.

 

Une seule et unique condition pour rétablir la vérité : quitter les élucubrations, à dix millions de milliards de lieux de la « réalité » des zuniversitaires-zintellectuels, pour s’en tenir à la vérité établie des documents officiels, la seule qui compte.

Eux ne trompent pas, que non.

 

1ère leçon : L’Histoire.

 

En 2007, un organisme officiel, le Haut Conseil à l’Intégration, écrit au début d’un Rapport en vue d’établir une Charte de la laïcité : « Objet d’étonnement pour le monde, la loi [française] de séparation [de 1905] a suscité des émules et fait naître des imitations (…notamment) au Mexique »[3].

C’est beau, c’est grand, c’est limpide.

La France, institutrice des Nations.

Tiens Villepin et Sarko, quand ils auront fini de régler leur léger différent, devraient écrire ensemble un ouvrage sur le sujet.

 

Le monde entier en général et le Mexique en particulier ont assisté, interloqués, muets d’étonnement, à l’éclosion de notre laïcité chérie en 1905.

Et ils se sont précipités pour l’imiter.

Emules fervents de la France étonnante, ils se sont tellement précipités qu’à Mexico, ils ont séparé l’Eglise et l’Etat en …1859.[4]

 

Ça, c’est une sacrée imitation. Il faut reconnaître aux Mexicains, qu’ils sont, eux aussi, des « mammifères plus »… qui mériteraient presque d’être Français.

En effet, les Mexicains, en 1859, ont opéré de la manière suivante : ils se sont dit : « Imaginons ce que les Français vont faire en 1905, et… imitons les, sans plus attendre. »

Ils sont futés quand même, en buvant leur tequila !

Et ils viennent de fêter les 150 ans de la séparation mexicaine. Là, ils attigent un brin ; il aurait été plus poli de leur part d’attendre le bicentenaire de la loi de 1905, non ?

 

Mais il y a plus, car si intelligents soient-ils, les Mexicains, question subtilité, n’arrivent quand même pas à la cheville des habitants du pays de Descartes (mais non, halte à l’horrible calomnie, Kafka n’était pas Français).

Car, vous savez quoi,

Les Français de la IIIème République se sont dit eux :

« Puisque les Mexicains nous ont imités par anticipation en 1859, alors pour établir la séparation chez nous, il nous suffira d’imiter, à notre tour, l’imitation de la France faite, par avance, par le Mexique »

 

J’espère que vous suivez ce raisonnement sublime.

Si vous êtes largué, relisez le jusqu’à ce que vous compreniez le schmilblick, sinon gare à vous : Besson va vous retirer l’identité française si vous aviez l’aubaine d’avoir.

Si vous n’êtes pas Français, par contre, il est naturel que ce soit trop compliqué pour vous, alors consolez vous : c’est génétique, et rejoignez vite les autres mammifères, dans leur pôvres démocraties.

 

Donc pour les Français de France et de Navarre, je poursuis et donne quelques exemples :

En 1881, le Ministère des Affaires étrangères français demande à l’Ambassadeur du Mexique de lui communiquer les textes de loi mexicains portant sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat.

Il justifie cette demande en lui écrivant : Les Français sont « impressionnés par les résultats merveilleux de cette législation ».[5]

Il n’a pas ajouté : « cette législation que vous avez, avec 46 ans d’avance, honteusement copié sur celle que nous ferons en 1905 ». Mais c’est par pure délicatesse.

 

Ceci écrit, les Français se sont dit : « On a tout le temps d’imiter les Mexicains, puisque, de toute façon, ils nous ont, par avance, imité. Donc, ne nous pressons pas. »

Et quand les Mexicains ont envoyé à Paris les textes donnant « les résultats merveilleux de cette législation », cela a fait le bonheur des souris…françaises.

 

Cependant, à partir de 1903, les Français ont senti qu’il fallait faire quelque chose : les Mexicains de 1859 avait imité les Français de 1905…et on arrivait presque à la date fatidique, source de l’imitation mexicaine

(J’espère que vous me suivez toujours. Je vous avais prévenu : c’est hypersubtil, puisque c’est Français)

Alors les Français du début du XXe siècle ont multiplié les imitations de leurs imitateurs par anticipation :

 

Une des premières, et des plus importante, proposition de loi de séparation, déposée par Francis de Pressensé, président de la Ligue des droits de l’homme, et co-signée par Aristide Briand et Jean Jaurès, se réfère explicitement à l’exemple du Mexique.

L’année suivante, en 1904, paraît l’ouvrage L’Eglise et les Etats trois exemples de séparation Belgique - Etats-Unis – Mexique.[6] de Pierre-Georges la Chesnais.

Le plan de son livre, bien diffusé dans les milieux républicains, notamment francs-maçons, en donne clairement l’orientation : il va du système de séparation le moins laïque au système le plus laïque.

La séparation à la belge ne s’affranchit pas vraiment du « cléricalisme » même si elle l’affaiblit.

La séparation américaine a fait œuvre de « liberté ». Mais une partie de la religion tente de devenir une « puissance politique » et l’auteur prévoit de futures luttes entre cléricalisme et anticléricalisme.

En revanche, la séparation mexicaine a résolu le problème clérical : une législation séparatiste « complète et vigoureuse » se trouve « appliquée sans difficulté».

 

Cette séparation mexicaine laisse au clergé « tous les moyens nécessaires pour qu’il puisse se consacrer exclusivement (…) à l’exercice de son ministère sacré. » La « règle générale invariable » est « la plus parfaite indépendance entre les affaires de l’Etat et les affaires purement ecclésiastiques. » Il s’agit donc, selon lui, d’une loi de liberté.

En voilà un qui avait fort bien compris à quel point les Mexicains avaient, par avance, imité la France !

 

A la suite de notre auteur, des leaders radicaux, comme Clemenceau, Pelletan et des francs-maçons considèrent « dans le ‘modèle’ mexicain un exemple pour la République française »[7]

 

Aristide Briand, le rapporteur de la loi, rédige un chapitre consistant sur les « législations étrangères ».

Il commence par les pays où existe une « religion d’Etat ».

Ensuite, il aborde les pays qui, comme la France, en sont au « stade » de la « demi-laïcité ».

Enfin, il « étudie (…) quelques pays d’Europe » et « plusieurs grandes républiques américaines » où « l’Etat est réellement neutre et laïque » et où « les Eglises sont séparées de l’Etat ».

 

Briand s’attarde surtout sur les Etats-Unis et le Mexique qui clôt son chapitre.

Son propos s’inspire largement de l’ouvrage de La Chesnais et conclut : « Le Mexique possède (…) la législation laïque la plus complète et la plus harmonique qui ait jamais été mise en vigueur jusqu’à ce jour. Il est délivré depuis trente ans de la question cléricale et a pu se vouer entièrement à son développement économique : il connaît réellement la paix religieuse[8]

 

Devinette : s’il faut parler « d’imitation » (ce qui est un mauvais terme pour les historiens qui, dans leur ignorance complète de la « réalité », parlent de « transferts culturels »[9]) : qui a imité qui ?

La France ou le Mexique ?

Il est bizarre, de chez Bizarre, qu’aucun document mexicain n’écrive : « Objet d’étonnement pour le monde, la loi [mexicaine] de séparation [de 1859] a suscité des émules et fait naître des imitations (…notamment) en France. »

Ce serait moins éloigné de la ‘vérité historique’ !

 

Mais la dite vérité historique n’a rien à voir avec le document sur la laïcité du Haut Conseil à l’Intégration, qui l’ignore superbement !

Et n’estime pas avoir le devoir de la respecter, préférant la déformer pour des raisons idéologiques dont nous allons reparler)

(en revanche le rapporteur de la Commission « voile intégral » propose un « devoir de réserve » pour les prix Goncourt »

Bravo, bravissimo mais c’est trop timide : supprimons carrément la liberté d’expression, au moins le gouvernement pourra, enfin, faire son travail et la France sera heureuse, puisque tous les mal pensant la quitteront !)

 

En attendant ce lendemain qui chante, « objet d’étonnement pour le monde », ce document du HCI est….absolument INIMITABLE

 

PS :  Question aux Internautes : quelles sont les RAISONS IDEOLOGIQUES de La Contre-vérité énoncée par le HCI ?  Car, bien sûr, il s’agit de cela.

Les paris sont ouverts.

Et vos commentaires les bienvenus

Prochainement sur ce Blog: la réponse et comment et pourquoi la laïcité française a CHANGE D’IDENTITE NATIONALE pendant la Vème République

2ème PS : consultez la vidéo de l’audition par la Mission Parlementaire du Collectif des Féministes pour l’égalité : http://www.assemblee- nationale.fr/13/commissions/ voile-integral/voile-integral- 20091028-2.asp



[1] Démarche habituelle en sociologie

[2] Dixit notamment F. Bayrou (La Croix, 12/4/07), mais il est loin d’être le seul.

[3] Haut Conseil à l’Intégration, Charte de la laïcité dans les services publics et autres avis, Paris, La documentation française, 2007, 192.

[4] Oui, ils fait cela en 1859, et la France, pas très contente de cette imitation précoce, leur à fait comprendre que l’on imite le « pays des droits de l’homme » qu’à ses risques et périls, et a…envahi le Mexique pour lui imposer un Empereur : Maximilien.

Mais, dans leur volonté farouche, d’imiter la France, les Mexicains ont vaincu l’armée française (à Puébla), puis exécuté l’Empereur et re-séparé l’Eglise et l’Etat en 1874.

[5] Cité par J.-A. Meyer, L’Amérique Latine, in J.-M. Mayeur et alii, Histoire du christianisme, tome 12, Paris, Desclée – Fayard, 1990, 965.

[6] P.-G. La Chesnais, L’Eglise et les Etats trois exemples de séparation Belgique - Etats-Unis – Mexique, Paris, Pages Libres, 1904.

[7] J.-P. Scot, ‘L’Etat chez lui, l’Eglise chez elle’ Comprendre la loi de 1905, Paris, Le Seuil, 2005, 321.

[8] Le Rapport de Briand est facilement consultable sur le site Internet de la Ligue de l’enseignement : www.laicite-laligue.org et je vous en avais déjà parlé (petits veinards !) dés 2005 sur le Blog.

 

[9] Cf. le texte stupide commis par votre très honoré serviteur : Transferts culturels et identité nationale dans la laïcité française, Diogène, 218, avril 2007, 18-27

11/11/2009

Débat sur la dit "burqa" sur France 24.

Pour celles et ceux qui recoivent

FRANCE 24,

je signale un débat sur le "Voile intégral", ce soir (mercredi 11 novembre) de 19H10 à 20H avec (normalement)

Caroline Fourest, Taricq Oubrou (dont je vous recommande l'ouvrage: Profession imâm, paru chez Albin Michel) et moi-même.

Demain ou vendredi, une nouvelle Note: "Soyons fiers d'être Français....ou Mexicains et Vive le Haut Conseil à l'Intégration". Vous l'aurez compris, il y a quelque ironie dans ce titre!!

10:25 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (3)

05/11/2009

Nouvelles, Lévi-Strauss, Identité nationale

1)      Nouvelles du Blog

D’abord quelques nouvelles du Blog. Je l’ai dit et redit : je ne cherche naturellement pas l’audimat ! Ceci dit, le jour où il n’intéressera plus grand monde, je l’arrêterai.

On est loin d’en être là, pour le moment, et la rentrée s’est bien passée.

 

Blogspirit me donne 3 séries d’indications :

-les « visiteurs uniques »

-les « visites »

- les « pages »

En août, mois traditionnellement plutôt creux, 2021 visiteurs uniques ont effectué 5368 visites et lu 13367 pages.

En septembre : 2729 visiteurs, 6430 visites et 16235 pages

En octobre : 3092 visiteurs, 7326 visites et 17493 pages.

 

Voilà, vous savez tout, sauf que je m’interroge sur la notion de « visiteur unique » : cela doit correspondre au nombre des ordinateurs, mais avec plus d’un internaute utilisateur.

Si je dis cela, ce n’est pas QUE  pour préparer ma future candidature à la candidature pour désigner le candidat à la prochaine présidentielle, en dopant les statistiques.

Ou pour avoir le monopole de la pub de l’Oréal, encore que je le vaux bien !

Non, c’est à cause d’un phénomène qui m’intrigue.

 

Le 1er jour de chaque mois, le nombre de visiteurs et le nombre de visites est toujours très différent. Par exemple, le dimanche 1 novembre, blogspirit m’indique 144 visiteurs et 272 visites.

Cela fait presque 2 visites par visiteur ce 1er novembre. Je veux bien qu’il y ait des accros qui ne sauraient passer un happy day sans consulter 2 fois le blog, mais quand même !

Il me semble qu’il est plus vraisemblable que certains ordinateurs ont plusieurs utilisateurs et que le bouche à oreille fonctionne à la maison ou au bureau.

Mais, peut-être je me mets le digitus in occulo, comme disent nos amis Lettons.

Qu’en pensez-vous ?

 

Pour en finir avec les stat, je suis également réjoui par le nombre de « pages »

Il y a environ 2 pages ½ par visite, ce qui semble indiquer un réel intérêt (mais, là aussi, je ne sais pas exactement ce que cela recouvre, et suis preneur d’informations).

 

.Enfin, pour terminer par une congratulation réciproque, l’interactivité fonctionne bien : les commentaires sont, en général, tout à fait intéressants, même si (et je le regrette) je ne peux répondre à tous.

Mais j’ai noté pas mal de remarques ou questions lors de 2 dernières Notes, que je garde en mémoire, pour lancer une série de Notes qui va associer ce qui se passe avec la Commission parlementaire sur la burqa et le débat bessonien sur « l’identité nationale ».

C’est dans ce cadre plus vaste que je tenterai de répondre à ces remarques et questions.

 

2)      Autre nouvelle : Une présidente pour l’Europe

Je signale à celes et ceux que cela intéresse une initiative citoyenne :

Face aux vieux routiers politiques et bureaucratiques en lice pour la présidence européenne, soutenir quelqu’un qui apporterait quelque chose de neuf :

Mme Vaira Vike Freiberga, ex Présidente de la République de Lettonie (1999-2007) et vice-présidente du Groupe de réflexion pour l’avenir de l’Europe.

 

Exilée de son pays quand il était sous occupation soviétique, Mme Freiberga a séjourné en Allemagne, Maroc, Canada, ce qui lui donne une connaissance forte de diverses parties du monde. Elle a, entre autres, reçu le prix Hannah Arendt en 2005.

Pour en savoir plus et, si accord, signer la pétition :

http://www.unepresidentepourleurope.eu/

 

3)      Claude Lévi-Strauss

Juste un petit témoignage personnel : en 1986, j’ai été élu président de la section des Sciences Religieuses de l’Ecole Pratique des hautes Etudes.

C’était une vraie rupture car, d’habitude, le poste considéré comme plus ou moins honorifique, était réservé à des professeurs en fin de carrière.

Cela a donc fait grincer les dents de certains collègues. Mais j’ai pu compter dés le départ sur l’appui de Claude Lévi-Strauss, qui avait été longtemps professeur à la section et qui considérait certains de ses livres (notamment Tristes Tropiques) comme la mise en forme livresque de ses cours à l’EPHE.

Il m’a aidé lors du Centenaire de la section et, quand je le lui ai demandé, il a accepté d’envoyer des lettres au Ministère pour contrer telle ou telle décision fâcheuse.

 

4)      L’identité nationale :

Exemple typique de la méthode Sarkozy :

au départ l’idée est bonne (comme celle du Grand Paris ou de la réforme des collectivités territoriales, actuellement véritable usine à gaz, etc).

En effet, en 50 ans (ce qui est peu) la France a « perdu » son Empire colonial et est devenu un pays multiculturel.

Pendant des générations (encore pour la mienne), on avait enseigné aux petites Françaises et aux petits Français

-         et que « nous » avions le second Empire du monde (carte murale à l’appui, avec du violet montrant la France présente partout dans le monde)

-         et que les blancs habitaient en Europe, les jaunes en Asie, les noirs en Afrique et Océanie, etc

Cela marque !

En 50 ans, la France est passée d’une grande puissance impériale à un pays de puissance moyenne, dans un monde globalisé.

 

Si on remonte plus loin (et un de mes dada consiste à affirmer que, dans le présent, dans la réalité actuelle d’un pays, on trouve non seulement les fameuses « racines », mais surtout différentes strates historiques, qui pèsent toujours implicitement)

la France a été le centre, non pas du monde, mais de son monde, mettons sous Louis XIV. Le français était, par exemple, la langue de l’élite des différents pays.

En fait l’échec final de la Révolution (avec d’une part sa fuite en avant, où elle a sacrifié ses propres ‘fils’[1], d’autre part son retour en arrière qui a engendré finalement Napoléon Bonaparte) a été masqué par la mythologie de « la France pays des droits de l’homme »

Or, comme chacun le sait, ou devrait le savoir, les 1ères Déclarations des droits de l’homme ont été élaborés en Amérique anglaise et dans la jeune USA.

Jellinek a montré que chaque Article de la Déclaration de 1789 est la reprise, avec ça et là quelques modifications, d’un Article d’une des Déclarations américaines[2]

 

Sous la Troisième République,

-         d’une part les « droits de l’hommes » ne se sont pas appliqués à l’Empire colonial,

-         d’autre part, les lois sociales, les emplois publics (encore aujourd’hui pour certains d’entre eux) ont été réservés aux Français, alors même que de nombreux migrants participaient à la construction du pays.

Au XXe siècle, certains croyaient encore que chaque être humain avait deux patries : son pays et la France.

Et Joséphine Baker chantait : « J’ai deux amours, mon pays et Paris. »

La France a gardé longtemps l’illusion qu’elle était le nombril du monde.

Et certains continuent de croire qu’elle est universelle à elle toute seule.

 

Pendant la décolonisation, on a menti allègrement, on a bercé les Français de trompeuses illusions, envoyant les soldats du contingent se faire tuer pour une cause perdue d’avance.

Puis on a tourné casaque, sans vraiment s’expliquer.

Tout cela ne s’est pas évanoui du jour au lendemain.

Tout cela a laissé des traces, de nombreuses traces.

Tout cela fait partie des difficultés, des craintes, des peurs, dans la construction d’un avenir commun.

Et une mutation aussi profonde rend les tâtonnements, voire les tensions, inévitables.

 

Donc en parler n’est pas, a priori, une mauvaise idée, au contraire.

Tout comme ne pas se contenter d’un petit Paris, enfermé dans son périph, ou réduire les échelons administratifs ne sont pas de mauvaises idées.

Et comme la suppression de la pub sur le service public de télévision a été une bonne idée. Le Grenelle de l’environnement, etc.

Il faut reconnaître cela, si on veut affronter les défis sarkoziens. Ne pas faire la politique de l’autruche (pardon pour les autruches, car il paraît qu’elles ne se masquent pas du tout la réalité en s’enfouissant la tête dans le sable)

 

Mais voilà, comme toujours avec Sarko Ier, les bonnes idées sont toujours instrumentalisées, au service d’opérations politiciennes qui les dénaturent.

Et le PS, jusqu’à présent est incapable d’avoir soit des bonnes idées avant Sarko, soit (puisqu’il ne faut pas trop en demander !) de savoir trier entre la bonne idée et son instrumentalisation.

 

L’instrumentalisation du débat sur l’identité nationale : Patrick Buisson, le FN, le PS piégé (une nouvelle fois), les résultats juste avant les régionales, etc.

Vous savez cela aussi bien que moi. Pas la peine de faire un dessin !

Mais il y a un défi à relever.

Eh bien , on va le faire.

D’autant plus que le Blog n’a pas attendu, puis qu’existe déjà une rubrique « Laïcité et crise de l’identité française »

Vous pouvez déjà vous y repporter pour qvoir quelques bisquits dans le débat

Le Blog avait tout prévu!

Vous savez quoi ; c’est moi qui, en 2007, aurait du…. (je vous laisse deviner la suite !)



[1] Ce qui est le plus significatif dans la Révolution française, c’est que l’on n’a pas pu en mémoriser des héros positifs pour élaborer un récit fondateur. Les Révolutionnaires se sont autodétruits réciproquement. A comparer avec les pères-fondateurs de la Révolution américaine, héros positif du récit fondateur US.

[2] G. Jellinek, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Paris, 1902.

28/10/2009

Une Mission parlementaire boumerang !

Commentaires sur mon audition devant la Mission parlementaire sur le voile intégral

(cf. le texte de ma déclaration préalable dans la Note du 21/10/09)

 

 

J’ai pris du temps avant de commenter mon audition devant la Mission parlementaire, d’abord parce que je voulais prendre quelque recul face à mes premières impressions, ensuite parce que je voulais ne pas en rester aux impressions et, malgré un agenda surchargé, visionner l’ensemble de la séance.

J’invite d’ailleurs celles et ceux qui ne l’ont pas fait à visionner à leur tour la séance. Ils pourront ainsi confronter ce que j’écris avec leur propre jugement.

http://www.assemblee-nationale.fr/13/commissions/voile-integral/voile-integral-20091021-1.asp

 

Je ne m’attendais certes pas à un dîner de gala. J’ai pourtant été très surpris par la façon dont l’audition s’est déroulée. Surpris et inquiet pour le fonctionnement de la démocratie.

J’avais d’ailleurs un peu préparé un argumentaire pour expliciter mon exposé initial. Mais il se fondait sur un autre niveau de débat, et j’ai du complètement improviser.

Ma surprise a été renforcé par le fait que la veille j’avais participé à une table ronde « de la société civile » (comme on dit !) : « L’habit fait-il toujours le moine ? » Différentes opinions s’étaient exprimées. Mais toutes témoignaient d’un autre niveau intellectuel.

Revenons à la Mission parlementaire.

 

Une Commission sous influence :

D’abord le président de la Commission, André Gérin, a commencé par une intervention de 10 bonnes minutes qui définissait la ligne… de la Mission, comme si elle avait une pensée unique et  unanime (emploi à plusieurs reprises du « nous »).

Gérin recherchait un effet méthode Coué par la répétition de mots blocs comme « intégriste », « fondamentaliste », obscurantiste », « barbare »,… et il bouclait la discussion avant même qu’elle ne soit commencée.

Cela constituait une sorte de manœuvre d’intimidation : je n’avais pas encore ouvert la bouche et mon propos était déjà considéré comme hérétique, déviant par rapport à ce que la Commission devait penser.

Gérin a effectué une synthèse très unilatérale (cf. ci après) des auditions de la Mission et il a même annoncé quel serait le contenu d’une future audition ! Merveilleux.

 

Mais le plus surprenant, pour moi, était la façon dont l’ensemble des députés présents laissaient faire leur président : on aurait dit de petits garçons (et quelques petites filles) se faisant mener à la baguette par un maître d’école autoritaire.

 

Ce cadrage dogmatique a été renforcé par le fait que juste après mon intervention, Gérin a donné la parole à Jacques Myard, qui ne l’avait pas demandée !

Mais l’ordre de mission attribué à son compère était clair : être immédiatement un tonton flingueur pour le cas ou tel ou tel député aurait pu accepter certains de mes arguments.

 

Un anti-intellectualisme primaire :

Et Myard a, tout de suite, mis en place un argumentaire qui allait fonctionner jusqu’à la fin des débats : vous êtes un intellectuel, donc « à mille lieux des réalités » ; vous nous dites qu’ « il faut  négocier » alors qu’il « faut combattre ».

Je n’avais jamais parlé de « négocier » !

Plus tard, alors que j’avais indiqué avoir effectué une enquête sociologique de 2 ans au Québec, il m’a été répondu, de façon un peu méprisante : « Ce n’est pas parce que vous avez rencontré une musulmane au Québec… » !

Belle conception de l’enquête sociologique !

 

La stratégie m’a paru très au point et a fonctionné pendant toute la demi-heure de la discussion

-         au lieu de débattre du contenu de ce que j’avais dit, on m’a obligé à rectifier, à me défendre : à expliquer rapidement ce qu’est le travail d’un historien et sociologue, une démarche de connaissance, à rappeler que je n’avais jamais parlé de négocier,  à préciser que j’avais exercé pendant plus de 20 ans des activités de direction et que je me suis coltiné les problèmes évoqués, en leur apportant des solutions, etc.

-         cela n’a pas empêché des piqûres de rappel : l’accusation d’ « intellectualisme », d’être un « intellectuel » (un gros mot pour ces so called anti obscurantistes !) a été reprise. De même le terme « négocier » est revenu plusieurs fois comme si cela avait été le centre de mon propos.

-         à part une exception (j’y reviendrai), les 2 ou 3 interventions qui se sont voulues un peu plus nuancées, étaient elles-mêmes obligées d’être sur la défensive, de se situer par rapport à leurs collègues, alors que ceux-ci attaquaient billes en tête et sans vergogne, eux !

 

Les députés ont donc fait comme si seul un intello pouvait leur tenir de semblables propos, et quand j’ai un peu haussé le ton, en réponse à leurs attaques (je croyais qu’il s’agissait d’une Mission d’information !), m’ont quasiment reproché de mettre en cause la représentation nationale.

Myard dans sa seconde intervention a même dit : « je ne peux accepter et personne n’acceptera ici »… que je compare la dite burqa et le communisme stalinien.

 

Voici maintenant, quelques réflexions regroupant par thème les débats qui ont eu lieu:

 

1) Sur la laïcité :

En fait, les intervenants qui ont joué la surprise ont fait preuve de mauvaise foi : la conception de la laïcité que j’ai développée  (traitée, par 2 fois de « laïcité de circonstance » !) avait déjà été exposée, de façon analogue, par 2 associations militantes :

-         l’Union des Familles Laïques (par ailleurs favorable à une loi) leur a dit qu’une loi ne pouvait être prise au nom de la laïcité: « Le principe de laïcité doit rester cantonné à la sphère publique. L’étendre à la société civile revient à faire un contresens sur ce qu’il signifie. Une telle extension, loin de renforcer le principe de laïcité, l’affaiblirait ».

-         La Fédération nationale de la Libre Pensée (défavorable à une loi) : « La laïcité (…) est un mode d’organisation politique des institutions. Elle vise, par la séparation des Eglises et de l’Etat (loi de 1905), à distinguer institutionnellement le domaine de l’Administration et des services publics du domaine privé de la vie des citoyens. »

 

Par ailleurs, tout en se montrant comme moi, opposée au port de la « burqa », la Libre-pensée a été peut-être encore plus incisive dans le refus de la loi :

Quelques citations de la déclaration de son représentant :

« Ce sont toujours les dictatures qui ont voulu imposer un mode de vie et des modes vestimentaires [suivent divers exemples]. L’Histoire regorge de ces tentatives totalitaires de vouloir régenter la vie des gens. »

Et la Libre-Pensée continue : « Il nous semble qu’interdire le port de la burqa, dans ce que nous considérons comme la sphère privée, est attentatoire aux libertés individuelles et démocratiques. 

Il semble que nous soyons désormais dans une logique qui tend à restreindre toujours davantage la liberté de comportement des personnes (…) Nous estimons qu’il appartient aux femmes, et aux femmes seules, de déterminer leur comportement»

Lire l’ensemble de l’intervention dans La Raison, n° 245, novembre 2009. Brumaire CCXVIII.

 

Il est intéressant de constater que l’ensemble de ceux qui disent qu’une loi ne se justifie en aucune manière au nom de la laïcité est nettement plus large que sur le problème du foulard à l’école.

 

Mon affirmation que la première exigence de laïcité s’applique à la République elle-même n’a rencontré aucun écho. En fait leur invocation de la laïcité est manipulée par leur invocation de l’égalité femme-homme

(et inversement comme nous allons le voir).

En effet l’évocation de l’égalité des sexes sert à rejeter dans l’impensé tout ce qui a trait à la laïcité et qui ne peut être directement rattaché à cette égalité.

L’invocation de l’égalité des sexes sert donc avant tout à une conception réductrice de la laïcité.

 

2) Sur les discriminations :

Je passerais sur l’interprétation, contraire à tout savoir historique, de la loi de 1905 comme loi qui a su « stigmatiser » si cette invocation ne cautionnait pas une future loi. Plus généralement, j’ai été effaré d’entendre, de plusieurs députés, que c’était « nous » qui étions actuellement stigmatisés, et non celles et ceux  qui sont victimes de discriminations.

« Il ne faut pas inverser les rôles » a déclaré un député, en les inversant précisément !

 

Ma référence à la page du Monde où un journaliste racontait tout ce qu’il a du subir parce qu’il s’appelait « Mohammed », et sur la multiplicité des témoignages reçus par le quotidien à la suite de ce texte, a complètement fait flop !

Plus généralement, ma demande d’élargir la Mission pour y inclure « l’ensemble des problèmes liés à la diversité de la société française » n’a rencontré aucun écho.

Sur les discriminations, une seule personne s’est déclarée d’accord et m’a posé une question sur les accommodements raisonnables : cette députée (G. Pau-Langevin) est femme et Française des Antilles : cherchez l’erreur !!!

 

3) Sur l’égalité des sexes :

C’est d’ailleurs la seule femme qui s’est exprimée (et son intervention a duré, au plus, une minute) dans une assemblée où il y avait environ 15 hommes et 5 femmes. Les hommes ont tenu le crachoir, plusieurs intervenants 2 fois.

Les femmes, elles, se sont tues, ce qui m’a stupéfait.

Donc à l’exception d’une intervention d’une minute, seuls les hommes ont parlé, alors même que l’on m’a dit qu’il fallait refuser une situation où « les hommes monopolisent la parole ».

On comprend alors que ma proposition de lutter contre le « nicab », notamment par « l’exemplarité » : une République exemplaire dans ce domaine étant mieux en mesure de "convaincre", n’a rencontré aucun écho.

 

La Mission veut aller en Belgique, sans doute parce que certaines municipalités belges pénalisent  le port du « nicab » par une amende.

Il faut dire que l’idée est savoureuse : des femmes paieront le droit de porter le « nicab » comme… des parti politiques (et non des moindres !) payent une amende pour pouvoir ne pas appliquer la loi sur la parité !

 

En fait l’invocation de l’égalité des sexes est manipulée par l’invocation de la laïcité : tout ce qui a trait aux inégalités entre sexes existantes est rejeté dans l’impensé, si on ne peut les relier à la laïcité.

L’invocation de la laïcité sert donc avant tout à une conception réductrice de l’égalité des sexes.

 

4) Sur le dit voile intégral :

Le voile intégral c’est l’Afghanistan et le salafisme (avec d’ailleurs une confusion entre le salafisme politique et le salafisme piétiste et contre sociétal). C’est donc « la barbarie » (dixit J. Glavani).

Autrement dit  le port du voile intégral est complètement déconnecté de tout le social, de tout le contexte français, de l’ensemble des interrelations dans lesquelles il se situe !

Peut-il exister une négation plus complète de la sociologie ?

Autrement dit aussi : il y a les bons (les civilisés) et les méchants (les barbares).

Gérin a parlé, à deux reprises, de « défi de civilisation ».

Le terme de « défi » pourrait être intéressant si ce que j’ai dit concernant les « mesures positives » qui sont les plus aptes à lutter contre le port du voile intégral avait eu un écho. Mais seul un député s’y est intéressé.

En fait, Gérin parle de « défi » dans le sens de « conflit » : conflit des civilisations : cela ne vous dit rien ?

 

En tout cas, rien n’a été repris, et discuté, de la liste que j’avais donnée des raisons du port du « nicab » en France.

Fait significatif : alors que j’avais indiqué que j’étais « résolument contre le voile intégral et contre une loi » et que j’ai exposé les raisons de cette double opposition, ils ont fait comme si être contre la loi signifiait être pour le port du voile intégral.

Les députés ne semblent avoir aucune idée de la diversité des raisons qui induit à porter le voile intégral. Télérama (n° du 31/10) cite le cas de Marie « mère de famille qui a vécu l’enfer du viol et de la toxicomanie ».

 

Cependant, j’avais une supériorité sur les membres de la Mission : j’ai déjà parlé à des femmes portant un « voile intégral ».

D’après ce que l’on m’a dit, eux n’en ont pas encore rencontrées. Ils sentent bien qu’il faudrait le faire, mais repoussent la chose… et, sauf exception, leur opinion est déjà faite.

 

Personne n’a fait écho à ma distinction entre le « réversible » et « l’irréversible », l’être  et le vêtement : on a fait comme si le port du voile intégral était irréversible, avec des gens complètement emmurés dans leurs certitudes et que l’on devait « contraindre » parce qu’il était impossible de les « convaincre ».

Le Monde, n° du 25-26/10 cite le cas de « carole », une femme de 30 ans qui portait le voile intégral depuis 10 ans et « l’a troqué récemment pour une jupe courte, les cheveux au vent et les talons hauts. »

 

Et le PS ?

 

 Il y avait une vingtaine de députés. Comme le tiers de la Mission est composé de membre du PS, ils devaient être sept…ou alors ils font de l’absentéisme.

J’en connaissais deux. J’ai cru en repérer un troisième, qui était un peu plus rationnel que les autres. Il s’appelle Pierre Cardo. Vérification faite, il est UMP. Bref, impossible d’entendre un discours un peu de gauche. Comme je l’ai déjà indiqué, à part G. Pau-Langevin, personne n’a embrayé sur mes propos concernant les discriminations.

Cela pose quand même de sacrées questions !

 

 

 

 

1er PS: Merci à toutes celles et ceux qui m'ont téléphoné, écrit, envoyé des mels, mis un commentaire,...

2ème PS: Désolé, j'écris cette Note à 11 heures du soir. Je ne peux la prolonger en répondant aux questions des commentaires. Ce sera pour la prochaine fois.

 

 

 

21/10/2009

Mon audition à la Commission "Voile Intégral"

Voici le texte intégral de la déclaration que j'ai prononcée, ce matin, 21 octobre, devant la Commission Parlementaire sur le "voile intégral".

 

 

Mesdames, Messieurs les membres de la Mission d’Information,

 

Je voudrais d’abord vous remercier de m’avoir invité à m’exprimer devant vous.

Comme vous avez pu le lire sur mon curriculum vitae, je suis historien et sociologue de la laïcité et, précision qui ne figure pas sur le cv, j’ai fondé la première (et à ce jour unique) chaire de l’enseignement supérieur consacrée à ce sujet.

Cela me conduit à étudier, entre autre, les relations entre politique et religion, les représentations sociales et leurs significations symboliques, dans une perspective sociologique et historique ;

l’histoire n’étant pas seulement l’étude du passé, mais de l’historicité d’une société, des traces historiques présentes dans l’aujourd’hui et des changements qui s’opèrent dans le temps. L’historien s’intéresse aussi au devenir social.

Mon propos consistera donc à vous donner une position citoyenne, fondée sur un savoir universitaire, malheureusement forcément très allusif dans le temps imparti.

 

Votre Commission travaille sur un sujet complexe, qui met en jeu de nombreux éléments.

Le savoir disponible sur le voile intégral montre que celles qui le choisissent le relient à une contestation, une prise de distance maximale, un refus de la société.

Une société qui refuserait d’être critiquée ne serait plus démocratique, pour autant le voile intégral n’est certainement pas la bonne manière de mener une mise en question.

 

 

Partons d’un constat : Le port du voile intégral provient de plusieurs raisons, conjointes ou non.

Il peut signifier, explicitement ou implicitement, que la société est ressentie comme une menace, dont il faut se protéger au maximum.

Il peut constituer une façon d’affirmer, avec une visibilité hypertrophiée, une identité radicale face à ce qui est perçu comme une uniformisation sociale, un primat de la logique de l’équivalence sur des valeurs morales et religieuse.

Il peut manifester une volonté de « retour aux origines », liée à une lecture littéraliste de textes sacrés, séparer le « pur », c'est-à-dire ceux qui seraient les vrais croyants, et « l’impur », l’ensemble de la société.

Il peut également être une manière extrême de retourner un stigmate face à des discriminations ressenties.

 

Enfin, puisque le voile intégral est un vêtement de femmes (des hommes ayant d’autres signes distinctifs), ce voile intégral conteste le fait que, dans les sociétés démocratiques modernes, les rôles masculins et féminins doivent être interchangeables.

D’autre part, il refuse radicalement ce qui apparaît comme l’hypersexualisation de la femme liée à la communication de masse, à l’importance de la marchandisation dans les sociétés modernes.

Ces dernières raisons sont sans doute encore plus importantes quand le voile intégral est subi.

 

Mais, même choisi, le voile intégral se fourvoie.

Ainsi, un refus du risque d’uniformisation sociale conduit, là, à porter un uniforme intégral. Cela est fort différent du fait de manifester son identité par tel ou tel signe : par le port du voile intégral, on englobe sa personne dans une seule identité, on gomme, autant que faire se peut, ses autres caractéristiques personnelles, on efface son individualité.

Plusieurs personnes que vous avez auditionnées ont insisté, à juste titre, sur l’importance du visage, le visage est une présentation de soi à autrui, une façon de conjuguer l’appartenance à la société, la relation à l’autre et l’individualité.

 

Pour autant le voile intégral n’est pas la seule dérive allant dans ce sens, ainsi l’addiction au virtuel peut être considérée de manière assez analogue.

De même l’hypertrophie accordée par certains aux « racines » permet une séparation symbolique avec d’autres peuples engagés avec nous dans la construction de l’avenir.

 

Par ailleurs, le souci de la pureté se manifeste aujourd’hui de façons multiples, dans diverses croyances religieuses et non religieuses.

Une certaine façon de mettre en avant la laïcité participe même de cette logique.

Et, vous le savez, le refus d’accorder aux femmes les mêmes possibilités de rôles sociaux qu’aux hommes, est l’objet de nombreuses stratégies souvent implicites et subtiles, d’autant plus efficaces.

 

La recherche souvent exacerbée de l’identité, le désir parfois quasi obsessionnel de purification sont des réponses, qui aboutissent à des impasses, voire à des caricatures de ce que l’on prétend combattre.

Il s’agit donc de fausses réponses à des difficultés, voire des souffrances réelles rencontrées par beaucoup de personnes dans la société d’aujourd’hui.

Le voile intégral en est un signe particulièrement visible, mais très minoritaire.

 

La laïcité est régulièrement invoquée face au voile intégral. Les exigences de laïcité sont, en fait, très différentes suivant les secteurs de la société.

Permettez moi d’effectuer brièvement quelques rappels qui, indirectement ou directement, concernent notre sujet.

 

La première et la plus forte exigence de laïcité concerne la République elle-même, qui doit être indépendante des « religions et des convictions » philosophiques particulières, n’en officialiser aucune, assurer la liberté de conscience et l’égalité dans l’exercice du culte.

L’application de ces principes connaît toutefois, en France, certaines dérogations.

Ainsi, en Alsace-Moselle, malgré l’article 2 de la loi de 1905, il existe 3 « cultes reconnus » : catholicisme, judaïsme, protestantisme.

 

Les lois de séparation elles-mêmes, votées de 1905 à 1908, prévoient une mise en pratique accommodante, puisque (entre autres) elles autorisent la mise à disposition gratuite et l’entretien d’édifices du culte existant alors.

Mais l’islam n’était pas présent dans l’hexagone. Et, sans intention discriminatrice, la République peine pourtant à réaliser l’égalité entre religions, au détriment de l’islam.

Malgré certains progrès,  elle est encore loin d’y parvenir.

 

La seconde exigence de laïcité concerne les institutions où des actes de prosélytisme ne sont pas autorisés.

Dans son Avis de 1989, le Conseil d’Etat interdisait un port ostentatoire de signes religieux à l’école publique qui serait lié à des manifestations de prosélytisme, mais tolérait un port ne s’accompagnant pas de comportements perturbateurs.

 

 

La loi de mars 2004 est allée plus loin, pour l’enseignement primaire et secondaire, mais -significativement- pas pour l’Université où les personnes sont majeures.

Elle a donc introduit une dérogation, dont les effets se sont avérés ambivalents puisque cela a notamment induit un processus de création d’écoles privées à « caractère propre » musulman.

On peut être attaché à la liberté (républicaine) de l’enseignement et s’interroger sur les conséquences paradoxales d’une loi « de laïcité » dont un des  effets consiste à favoriser l’enseignement privé confessionnel.

Cela montre en tout cas que les conséquences d’une loi ne sont jamais univoques et que certaines n’ont pas été, sur le moment, forcément totalement prévues.

 

Un troisième secteur de la société est l’espace public de la société civile, qui est à la fois un prolongement de la sphère privée et un lieu de débat, de pluralisme, de grande diversité d’expressions.

Là, l’exigence principale de la laïcité consiste à assurer la liberté. Liberté et pluralisme dont nous avons une conception plus large qu’il y a 50 ans.

Est-ce à dire, pour autant qu’il n’y aurait aucune exigence de laïcité dans cet espace public de la société civile, et dans la sphère privée ?

Je ne le pense pas.

Le Préambule de la Constitution donne les principes qui forment l’idéal de notre république, parmi lesquels l’égalité des sexes.

Chacun sait bien qu’il y a une distance entre réalité idéale et  réalité empirique.

L’objectif consiste à agir sans cesse pour réduire cette distance. Comment le faire ? Il est nécessaire d’opérer une distinction entre l’irréversible et le réversible.

 

L’irréversible atteint l’individu dans sa chair, dans son être même.

Il induit une sorte de destin.

La puissance publique doit empêcher, autant que faire se peut, l’irréversible de se produire pour que les individus qui le subiraient ne se trouvent pas marqués à vie, pour qu’ils puissent avoir librement des choix personnels.

L’excision constitue un exemple-type d’irréversible.

La loi peut contraindre et réprimer.

 

Pour le réversible, le respect de la liberté individuelle est une priorité, priorité limitée seulement par un trouble manifeste à l’ordre public démocratique ou par une atteinte fondamentale aux droits d’autrui.

Le réversible, concerne l’extérieur de la personne : ainsi, quelque couverte ou découverte qu’elle soit, il s’agit non pas d’elle-même mais d’une image qu’elle donne à voir à un moment précis.

Les vêtements, on les met et on les ôte, ils ne vous collent pas à la peau.

On peut changer d’avis et décider de se vêtir autrement si l’on est convaincu que ce changement est souhaitable.

 

Depuis longtemps, la sagesse des nations a émis un constat d’une portée sociologique indéniable : « l’habit ne fait pas le moine ».

Cela nous invite à ne pas nous montrer mimétiques : ce n’est pas parce qu’une personne s’enferme dans un uniforme intégral, qu’il s’agisse d’une carmélite ou d’une musulmane, qu’il faut porter sur elle un regard identique, un regard qui dissoudrait son individualité dans son uniforme, sa tenue.

Il faut, au contraire, séparer son être et son paraître.

Il faut agir avec la conviction que, comme toute personne humaine, elle possède de multiples facettes, et peut activer celles que, pour une raison où une autre, elle met actuellement sous le boisseau.

Et, comme au billard, cet objectif ne s’atteint pas en ligne droite.

 

Entre le permis et l’interdit, existe le toléré, où l’on combat par la conviction et l’exemplarité,  où l’on agit au cas par cas, pour veiller à ne pas être à terme contreproductif.

Pour ce qui est réversible, réglementer, quand certaines nécessités de la vie publique l’exigent, est beaucoup plus approprié que légiférer.

Améliorer le dispositif social pour lutter contre des tenues subies est également important.

Mais une loi qui conduirait celles qui subissent le port du voile intégral à ne plus pouvoir se déplacer dans l’espace public induirait une situation pire que la situation actuelle.

Et, pour le voile intégral choisi, contraindre irait le plus souvent à l’encontre de convaincre, or il s’agit essentiellement de convaincre.

 

Pour ceux qui veulent convaincre et sont bien placés pour le faire, je pense notamment à l’immense majorité de nos concitoyens musulmans opposés au voile intégral, le pouvoir coercitif de la loi risquerait fort de se révéler un allié désastreux.

N’étant pas comprise, s’ajoutant à une situation la plupart du temps difficile, cette coercition augmenterait fortement un ressenti victimaire, dont nous savons qu’il a, par ailleurs, ses raisons.

Ce ressenti victimaire, et c’est là une raison fondamentale d’être à la fois résolument contre le voile intégral et contre une loi, dépasserait très largement le petit nombre de celles et ceux qui sont favorables au port de cette tenue.

 

Il faut se montrer très attentif au fait qu’une éventuelle loi serait la seconde loi qui, au niveau du symbolique, quoique l’on en dise, semblerait viser l’islam, même si ce n’est pas du tout ce que vous souhaitez faire.

Une telle dynamique législative créerait un engrenage dont il serait très difficile ensuite de se défaire.

L’idée fausse qu’une société laïque est «antimusulmane » se renforcerait auprès de beaucoup de musulmans, et notamment de  musulmanes aujourd’hui opposées au port du voile intégral. 

 

Inversement, les éléments antimusulmans de la société française ne se priveraient pas d’y voir un encouragement et de donner une interprétation extensive de cette nouvelle loi, comme certains l’ont déjà fait, malheureusement, pour la loi de 2004.

La spirale infernale de la stigmatisation, des discriminations au prénom ou au faciès, et de la radicalisation manifesterait que rien n’est résolu, au contraire.

Une troisième loi apparaîtrait à ce moment indispensable à certains.

Mais cela ne ferait qu’empirer les choses.

Alors une quatrième loi serait réclamée...

 

Un tel scénario catastrophe n’a rien d’invraisemblable. Il s’est déjà produit, juste après l’affaire Dreyfus, avec la lutte anticongréganiste.

Radicalisant les positions en présence, chaque mesure en appelait une autre plus forte. Ce combat se prévalait des valeurs de la République, de la défense de la liberté, de l’émancipation citoyenne.

Les colloques qui ont eu lieu cent ans après ces événements montrent que le jugement des historiens, quelle que soient leurs orientations par ailleurs, est tout à fait différent.

Ce désir de « laïcité intégrale », c’est ainsi qu’on la nommait à l’époque, risquait d’entraîner la République à sa perte et ne pouvait avoir des résultats émancipateurs.

Et les historiens ont loué Aristide Briand d’avoir changé le cap, d’avoir rétabli une laïcité « de sang-froid ».

La ‘laïcité roseau’ est plus solide qu’il n’y paraît, plus apte à affronter des tempêtes qu’une pseudo ‘laïcité chêne’, qui séduira par son aspect massif, alors que cet aspect constitue précisément sa faiblesse.

 

Déjà, d’après le travail de terrain que j’ai pu effectuer, la nomination d’une Commission, dont le titre cible uniquement le problème du voile intégral, a rendu plus difficile son désaveu par des musulmans.

Elle a engendré un effet systémique où se manifeste parfois une solidarité entre victimes.

Elle a, enfin, alimenté des craintes de rejet.

Certes, votre Commission aura sans doute à cœur de proposer des mesures plus générales mais le précédent de la Commission Stasi, et la déception de certain de ses membres face à la suite unilatérale qui lui a été donnée, peuvent faire redouter une fâcheuse répétition.

Certains ne manqueront pas de dire qu’il aurait été plus utile de rechercher la réalisation des propositions de la Commission Stasi que de les oublier et de se focaliser sur la seule question du voile intégral.

 

Pour renforcer la relation de confiance qui doit exister entre la République et ses citoyens musulmans, pour isoler l’extrémisme et, ainsi mieux le combattre, il me semble que vous devriez, dés maintenant, prendre l’initiative audacieuse de transformer votre Commission en Commission de réflexion sur l’ensemble des problèmes liés à la diversité de la société française.

Si cette diversité n’est pas un fait totalement nouveau,  son ampleur est le signe d’une mutation de notre société, comme d’ailleurs d’autres sociétés démocratiques modernes, dans un contexte international troublé.

Il n’est pas surprenant que cela s’accompagne de tensions, de tâtonnements, d’incertitudes et même de craintes.

Aux représentants de la nation de tracer des voies d’avenir.

 

Je vous remercie de votre attention. 

 

 

Je pense vous donner la semaine prochaine des commentaires sur la discussion qui s'en est suivie et qui a été, disons, assez sportive! (en tout cas très révélatrice de l'idéologie quasi consensuelle des Parlementaires, membres de la Commission).