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02/02/2010

« Voile intégral » et la Cour du Roi Pétaud : Il faut 2 résolutions solennelles.

Sur le voile intégral, j’arrive un peu, après la bataille (et avant la prochaine annoncée après les régionales).

Je ne ferai donc qu’un bref commentaire en indiquant qu’il me semble que le résultat est une demi victoire.

Rappelons nous le départ en fanfare, et en 15 jours, d’une Commission à propos d’une question dont à peu près personne ne parlait et qui était élevée, tout à coup, en big problème national.

 

Mais 3 choses se sont produites :

D’abord, les médias ont (relativement) peu suivi. Alors, pourtant, qu’une femme en dite « burqa » c’est très médiatique, en général il ne s’est produit que peu de surenchères.

Ensuite, l’opposition à la loi a été plus forte que prévue (sans parler du court-circuit avec la façon calamiteuse dont a été menée le débat sur l'identité nationale)

Enfin les parlementaires se sont lamentablement emmêlés les pinceaux ! Ils ont démontrés leur incapacité à traiter la question.

 

Non que cette question de « voile intégral » soit anodine : elle est au contraire, révélatrice de plein de choses.

Mais ce n’est certes pas la façon dont « travaille » une Commission Parlementaire, auditionnant qui elle veut (là surtout qui voulait son président) et retenant de ces auditions ce qu’elle veut, qui peut permettre d’avancer dans l’élucidation.

 

La caricature qu’a donnée la Commission, son aspect parodique, du début à la fin, avec les Dupont Dupont comme président et rapporteur, a visibilisé que cette manière de faire n’est vraiment pas sérieuse. C’est le contraire d’une démarche de savoir.

Et Copé, de son côté, a rendu également visible toute la dimension de politique politicienne de l’affaire. Les coups tordus, etc

 

Mais cette demi victoire est aussi une défaite pour la démocratie et, comme Français, comme Républicains, nous sommes atteints par ce qui s’est passé.

Si l’antiparlementarisme se développe dans ce pays, c'est d'abord la faute aux députés eux-mêmes. Qu’ils se posent une bonne fois quelques questions sur la manière dont ils fonctionnent.

Mais hélas le résultat, c’est nous tous qui le subirons !

Que ces M’sieurs dames les députés fassent preuve d’un peu de dignité dans l’accomplissement de leur fonction. Qu’ils se montrent un peu moins arrogants.

Sinon, ils risquent d’entraîner la démocratie dans leur incapacité et leur morgue. Et cela est très grave pour nous tous.

 

Je l’ai dit et écrit : je considère qu’il faut arriver à convaincre des femmes tentées par le port du « voile intégrale » que ce n’est pas du tout la bonne manière de contester la société. Mais ce n’est pas en donnant ce pitoyable spectacle que l’on peut y arriver si peu que ce soit.

 

Ce spectacle d’une démocratie tirée vers le bas par le peu d’intelligence de celles et ceux qui sont ses « représentants », cela doit bien faire rire aujourd’hui les extrémistes. On aurait voulu leur donner du grain à moudre, on aurait difficilement fait mieux.

 

Comment réparer cette défaite ?

La Commission aurait, à son insu, fait avancer les choses si désormais on y regarde à 2 fois avant de se livrer à semblable scénario. Mais je ne suis malheureusement pas sûr que ce soit le cas.

J’entends plutôt les Parlementaires se rejeter la responsabilité les uns sur les autres : pour certains c’est Gérin qui a été lamentable, pour d’autres Copé a tout gâché.

Et tous en choeur de conclure : « on reprendra le  dossier après les régionales »… C'est-à-dire quand on n’aura plus les électeurs sur le dos !

 

De deux choses l’une :

 

Où dire « on va faire une loi après les régionales » est une façon de botter en touche.

Après les régionales, comme avant, des députés un peu sérieux devraient avoir d’autres priorités. Rien qu’hier, France Inter en donnait 2 :

-         la façon scandaleuse dont se passent les gardes à vue ;

-         les 3 millions ½ de personnes qui n’ont pas de logements décents.

Et sur le "voile intégral", la Commission applique des recommandations qu'elle a faite, dont par exemple le développement d'actions de médiation

(alors que d'habitue ces recommandations sont surtout de la poudre aux yeux. Voyez, même la Commission Stasi)

 

Ou c’est rebelote, comme si rien ne s’était passé, et alors là, des rappels salutaires seront nécessaires. Il faudra de nouveau montrer l’aspect contre productif d’une loi générale.

 

Certains ont proposé une résolution solennelle. Ce serait le moindre mal.

En fait je suis tellement pour cette solution que j’incite à une campagne active pour que les députés votent DEUX RESOLUTIONS SOLENNELLES.

 

La première sur le dit « voile intégral »

La seconde, et de loin la plus importante, sur le fait qu’ils ont compris que le ridicule peut être mortel pour la démocratie. Qu’ils reconnaissent avoir très mal travaillé. Qu’ils nous promettent de changer frontalement leur manière d’exercer leur mandat. Bref, qu’ils se conduisent de telle sorte, qu’enfin ils méritent un peu notre estime.

Là, ils engageront ainsi un combat efficace contre l’extrémisme.

Sinon qu’ils craignent que moi-même, tout prof d’université que je sois, je les traite de « Bouffons ».

 

10:43 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (2)

26/01/2010

Commission des droits et voile intégral

Comme chacun le sait, la Mission parlementaire a rendu son rapport. Les médias en parlent. Je n'ai pas pu répondre aux propositions qui m'ont été faites, étant à Bamako pour un colloque très intéressant sur "L'Afrique des Laïcités", dont il faudra que je vous parle.

Mais, à ma connaissance, les médias ont passé sous silence l'Avis de la COMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE DES DROITS DE L'HOMME QUI EST POURTANT UN ORGANISME OFFICIEL. Je publie donc, ci après, intégralement son Avis et vous souhaite bonne lecture.

COMMISSION NATIONALE CONSULTATIVE

DES DROITS DE L’HOMME

 

Avis sur le port du voile intégral

 

(Adopté par l’Assemblée plénière du 21 janvier 2010)

 

 

 

1.       A la suite d’une proposition de résolution de M. André Gerin[1], une mission d’information parlementaire a été créée sur la pratique du port de la burqa ou du niqab sur le territoire national, rebaptisée par la suite mission d’information parlementaire sur le port du voile intégral. Celle-ci a été instituée afin d’établir « un état des lieux de la pratique du voile intégral en France » et d’examiner « ses conséquences concrètes dans la vie sociale » et « son articulation avec les principes de la République française et, en particulier, celui de la liberté et de la dignité des femmes ». Le rapport de cette mission doit être rendu fin janvier 2010.

 

2.       La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) veille au respect des droits de l’homme, en tant que principes indivisibles et universels. En l’espèce, une intervention législative pourrait mettre en jeu les principes de liberté de pensée, de conscience et de religion, de droit au respect de la vie privée, et de liberté d’aller et venir. En prenant en compte la pluralité des positions sur un sujet aussi complexe, la CNCDH entend préciser quelques principes.

 

3.       La CNCDH rappelle que dans une société libérale, toute restriction aux droits garantis par la Constitution et par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, notamment le droit au respect de la vie privée et familiale, la liberté de pensée, de conscience et de religion, la liberté d’expression et la liberté de circulation doit être prévue par la loi, et constituer une mesure nécessaire, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui[2]. En ce sens, la loi doit être de portée générale, égale pour tous, et ne pas viser de situations particulières, conformément à l’article 34 de la Constitution. A cet égard, les lois d’exception comme les lois de circonstances doivent, dans la mesure du possible, être soigneusement évitées.

 

4.       C’est donc à l’aune du principe de nécessité que doit être jugée une intervention législative. Tout projet ou proposition de loi doit veiller à ce que les effets pervers ne soient pas supérieurs aux effets souhaités, et que les atteintes portées à la liberté de pensée, de conscience et de religion, au droit au respect de la vie privée, et à la liberté d’aller et venir soient strictement nécessaires, et proportionnés au regard du but qui les fonde.

 

 

·         Port du voile intégral et respect de l’ordre public

 

5.       Des limitations à la liberté de religion peuvent être fondées sur la nécessité de prévenir les troubles à l’ordre public[3]. Le port du voile intégral dans les espaces publics peut être, dans certaines situations, une atteinte à l’ordre public. Ainsi, la prohibition ponctuelle du port du voile intégral lorsque l’identification de la personne est nécessaire, par exemple au guichet de banques, pour des parents allant chercher leurs enfants à l’école, ou au sein d’hôpitaux peut être justifiée et nécessaire au regard de l’ordre public. Sur ce fondement, l’autorité réglementaire compétente peut prendre un acte administratif prohibant le port du voile intégral.

 

6.       Une telle prohibition du port du voile intégral ne peut être que limitée dans l’espace et dans le temps, et en raison de circonstances particulières. Dans un certain nombre de cas, cette prohibition est déjà appliquée. Une prohibition du port du voile intégral dans tous les espaces publics sur le fondement de l’ordre public ne saurait, sauf à étendre abusivement cette notion, être justifiée ni être considérée comme nécessaire dans une société démocratique, eu égard notamment à la gravité des atteintes aux droits de l’homme qu’elle occasionnerait.

 

 

·         Port du voile intégral et atteinte à la dignité

 

7.       La CNCDH souligne que le port du voile intégral lorsqu’il est imposé, est constitutif d’une atteinte à la dignité de la personne humaine. Ce vêtement apparaît pour beaucoup comme une contrainte sociale, que l’on peut considérer comme une forme d’oppression. Par ailleurs, la CNCDH comprend que l’absence de possibilité d’identification pose un certain nombre de problèmes au regard des principes républicains de liberté, d’égalité et de fraternité. L’impossibilité de distinguer le visage des femmes portant le voile intégral peut ainsi être perçu comme une négation de leur personnalité, et comme un refus de communication avec autrui ; en somme, le port du voile intégral rend la femme invisible aux autres et limite ses possibilités de relations sociales, cela empêchant, selon certains, que les femmes puissent y exprimer leur identité.

 

8.       A ce titre, la CNCDH rappelle que l’égale dignité des hommes et des femmes est consacrée par plusieurs textes de droit interne et international. Ainsi, le préambule de la constitution de 1946 rappelle dans son article 3 que la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme. De même, la Charte des Nations Unies et l’ensemble des traités internationaux garantissent une égalité effective des femmes et des hommes. En outre, la Convention pour l’élimination des discriminations envers les femmes du 18 décembre 1979, ratifiée par la France le 14 décembre 1983, prévoit à l’article 5 que les Etats « prennent toutes les mesures appropriées pour modifier les schémas et modèles de comportement socioculturel de l’homme et de la femme en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et des pratiques coutumières, ou de tout autre type, qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou l’autre sexe ou d'un rôle stéréotypé des hommes et des femmes ».

 

9.       Cependant, la gravité de cette atteinte à la dignité diffère selon que le port du voile intégral est revendiqué comme volontaire ou non, et, si certaines personnes portant le voile intégral partagent l’idée d’une infériorité de la femme, le vêtement en lui-même ne peut être purement et simplement assimilé à une idéologie. A ce titre, concernant les femmes revendiquant un port du voile intégral volontaire, il apparaît difficile de s’assurer de leur consentement réel, et des influences qu’elles ont pu subir. De plus, il est complexe de distinguer les femmes qui portent le voile intégral de manière revendiquée, des femmes qui le portent de manière subie. En ce sens, l’endoctrinement de certaines personnes peut, dans une certaine mesure être assimilable à une dérive sectaire.

 

10.   La prohibition du port du voile intégral pour des personnes revendiquant pleinement cette pratique pourrait aussi être regardée comme portant une atteinte à leur liberté de conscience. Par ailleurs, les femmes subissant le voile intégral se verraient doublement punies, dans la mesure où une loi risquerait de porter atteinte à leur liberté de circulation. De plus, les personnes imposant aux femmes le port du voile intégral pourraient continuer à jouir de tous leurs droits, alors même que celles qui en seraient victimes subiraient une véritable discrimination. Une loi prohibant le port du voile intégral dans les espaces publics risquerait donc d’avoir, en pratique, des effets pervers, et ne pas être proportionnée aux buts en vue desquels elle a été créée. Sans se prononcer à ce stade sur l’opportunité d’une loi ayant un champ d’application plus réduit, la CNCDH entend rappeler que le soutien aux femmes qui subissent des violences doit être une priorité politique, conformément à la Déclaration sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes[4], ce qui pourrait être une mesure plus appropriée pour protéger le droit à la dignité des femmes portant le voile intégral.

 

 

·         Port du voile intégral et laïcité

 

11.   La CNCDH rappelle son attachement au principe de laïcité. Consacrée depuis plus d’un siècle, la laïcité constitue ainsi une valeur fondatrice de la République française, conciliant la liberté de conscience, le pluralisme religieux et la neutralité de l’Etat[5]. La laïcité semble aujourd’hui faire l’objet de deux dérives contradictoires. D’une part, certains tendent à réduire le principe de laïcité à un simple principe de tolérance, justifiant un repli communautariste. D’autre part, certains semblent réclamer aujourd’hui un rejet de tout signe religieux dans l’espace public. Or, non seulement la République « assure la liberté de conscience » mais en outre elle « garantit le libre exercice des cultes » (article 1er de la loi de 1905), la République respectant « toutes les croyances » (Article 1er de la Constitution)[6]. La séparation des Eglises et de l'Etat ne doit donc pas être comprise comme visant à l'éviction hors de l'espace public de toute manifestation d'une conviction religieuse, mais comme l'affirmation d'une différence de nature entre d'une part la poursuite, par un ou plusieurs individus, d'un engagement intime qui leur est propre (l'adhésion à une croyance et les manifestations collectives possibles de cette adhésion) et d'autre part la participation du citoyen à la vie politique, c'est-à-dire aux affaires « publiques ». Ainsi doit être comprise la distinction fondamentale entre  « sphère privée » et « sphère publique »[7]. Si, dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit en application du principe de laïcité[8], il ne pourrait servir à lui seul de fondement à une prohibition du port du voile intégral.

Eu égard au principe de laïcité, il n’appartient pas à l’Etat de déterminer ce qui relève ou non de la religion.

 

           

·         Prohibition du voile intégral et stigmatisation

 

12.   Par ailleurs, la CNCDH s’inquiète d’un débat qui risque d’assimiler l’ensemble des musulmans à une minorité radicale, même si la doctrine islamique majoritaire ne considère pas que le port du voile intégral soit une prescription religieuse. La CNCDH a déjà, à maintes reprises, dénoncé la stigmatisation qui tend à se développer à l’encontre des musulmans[9], et entend prévenir toute mesure favorisant l’hostilité à leur égard. Par ailleurs, la CNCDH pense qu’une loi prohibant le port du voile intégral, très probablement perçue et vécue comme anti-musulmane, risquerait de renforcer l’audience et l’influence de ces mouvements radicaux qu’il convient de condamner.

 

13.   A ce titre, la CNCDH estime que le port du voile intégral peut être l’expression d’une réaction à un sentiment de discrimination et de marginalisation qu’il ne faudrait pas encourager. C’est pourquoi, bien plus qu’une loi spécifique, un travail de médiation et de dialogue social pourrait permettre de régler un certain nombre de difficultés liées au port du voile intégral, et, dans une certaine mesure, permettre de modifier les pratiques de port du voile intégral qui sont fondées sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou l’autre sexe ou d'un rôle stéréotypé des hommes et des femmes.

 

14.   La CNCDH craint un regain de controverses internationales au sein des organisations internationales de promotion et de protection des droits de l’homme qui avaient émergés à la suite de la loi du 15 mars 2004, alors que le contexte actuel, apaisé, encourage à la prudence et à la mesure.

 

15.   La CNCDH estime nécessaire de faire œuvre de pédagogie, dès l’école, afin de permettre de faire une distinction nette entre la connaissance et la croyance, et de permettre à tous de mieux comprendre les religions et la laïcité en tant que faits historiques et faits sociaux, et de poser les bases d’un vivre ensemble.

A ce titre, la CNCDH souligne que l’éducation aux droits de l’homme, et les cours d’éducation civique, juridique et sociale doivent être une priorité, en visant les femmes et les hommes, afin de permettre la participation de tous à la vie de la cité, dans un esprit d’ouverture.

 

 

·         Applicabilité d’une prohibition du port du voile intégral

 

16.   La CNCDH souligne qu’une prohibition du port du voile intégral peut sembler difficile à mettre en œuvre en pratique. Il conviendrait à cet égard de prendre en compte les risques qu’une intervention législative pourrait entraîner pour les intérêts français et les Français à l’étranger.

 

17.   La rédaction d’une loi ne serait pas sans poser de problème. Concernant les personnes à qui cette loi s’appliquerait, il conviendrait de déterminer si la prohibition du port du voile intégral vise les ressortissants français, les candidats à la naturalisation, les résidents de longue durée, les détenteurs de visa de courte durée, ou les touristes…

 

18.   Par ailleurs se pose la question de savoir quelle serait la définition ou la description objective du vêtement incriminé et ou s’arrêtera l’interdiction.

 

19.   De plus, concernant le champ d’application territoriale d’une prohibition du port du voile intégral, plusieurs espaces peuvent être concernés : si le domicile semble exclu, au nom du droit à l’intimité, les notions d’espace public et d’espace privé restent à définir.

 

20.   Enfin, concernant les effets juridiques d’une éventuelle prohibition, il conviendrait de déterminer les sanctions prévues (amende, confiscation du vêtement litigieux), et les personnes étant visées par la loi (les femmes portant le voile intégral, leurs familles, ou leurs proches), ainsi que les cas d’aggravation de la peine, notamment pour la récidive.

     

21.   Sur le plan international, avant toute intervention législative, il convient de prendre en compte que les arguments invoqués et les dispositions adoptées risquent d’être transposés dans des pays étrangers, avec des objectifs diamétralement opposés. L’idée que chaque Etat est souverain pour imposer des codes vestimentaires, ou pour définir ce qui est conforme à la moralité ou à la dignité de la femme, peut introduire le relativisme juridique allant à l’encontre de l’universalisme des droits de l’homme, et de l’égalité entre les sexes.

 

22.   Au regard de l’analyse de tous ces éléments et du dispositif normatif existant, la CNCDH n’est pas favorable à une loi prohibant le port du voile intégral.

 

La CNCDH formule en conséquence les recommandations suivantes visant à guider les réflexions du Gouvernement et du Parlement sur le port du voile intégral :

 

1. En premier lieu, la CNCDH n’est pas favorable à une loi prohibant de manière générale et absolue le port du voile intégral.

 

2. Elle rappelle que le soutien aux femmes qui subissent toutes forme de violence doit être une priorité politique.

 

3. Elle préconise, afin de lutter contre toute forme d’obscurantisme, d’encourager la promotion d’une culture de dialogue, d’ouverture et de modération, afin de permettre une meilleure connaissance des religions et des principes de la République.

 

4. Elle appelle au renforcement des cours d’éducation civique – y compris l’éducation et la formation aux droits de l’homme – à tous les niveaux, en visant les hommes et les femmes.

 

5. Elle demande la stricte application du principe de laïcité et du principe de neutralité dans les services publics, et l’application des lois existantes.

 

6. Elle souhaite que, parallèlement, des études sociologiques et statistiques soient réalisées, afin de suivre l’évolution du port du voile intégral.

*****

(Résultat du vote en Assemblée plénière - pour : 34 voix ; contre : 2 ; abstention : 0)



[1] Proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête sur la pratique du port de la burqa ou du niqab sur le territoire national du 9 juin 2009.: http://www.assemblee-nationale.fr/13/pdf/propositions/pion1725.pdf

[2] Article 9 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

Liberté de pensée, de conscience et de religion

1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.

Article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques :

1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction de son choix, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, individuellement ou en commun, tant en public qu'en privé, par le culte et l'accomplissement des rites, les pratiques et l'enseignement.

2. Nul ne subira de contrainte pouvant porter atteinte à sa liberté d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction de son choix.

3. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l'ordre et de la santé publique, ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d'autrui.

4. Les Etats parties au présent Pacte s'engagent à respecter la liberté des parents et, le cas échéant, des tuteurs légaux de faire assurer l'éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs propres convictions.

[3] La Cour européenne des droits de l’homme considère ainsi que des exigences de sécurité individuelle ou collective peuvent justifier une limitation de la liberté de religion. Elle a décidé que les sikhs pratiquants portant le turban pouvaient être obligés de l’ôter afin de pouvoir porter un casque lorsqu’ils circulent à moto (X c. Royaume-Uni, no 7992/77, décision de la Commission du 12 juillet 1978, Décisions et rapports (DR) 14, p. 234), ou encore afin de pouvoir se soumettre aux contrôles en vigueur à l’entrée des consulats (El Morsli c. France (déc.), no 15585/06, 4 mars 2008 ou des aéroports (Phull c. France (déc.), no 35753/03, CEDH 2005-I, 11 janvier 2005).

[4] Déclaration sur l'élimination de la violence à l'égard des femmes, 21 décembre 1993 :

 http://www2.ohchr.org/french/law/femmes_violence.htm

[5] Avis en réponse à la consultation du Bureau du Haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies sur le suivi par la France de la Résolution 7/19 du Conseil des droits de l’homme du 27 mars 2008 sur « la lutte  contre la diffamation des religions »,  (Adopté par l’Assemblée plénière du 12 juin 2008), http://www.cncdh.fr/IMG/pdf/08.06.12_Avis_diffamation_des_religions.pdf 

[6]  Art. 1. de la Constitution de la V° République :

« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. »

[7]La laïcité aujourd’hui, rapport d’étape de la CNCDH,  http://www.cncdh.fr/IMG/pdf/La_laicite_aujourd_hui.pdf   

[8] loi du 15 mars 2004 encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics :

http://legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000417977&fastPos=2&fastReqId=1659604492&categorieLien=cid&oldAction=rechTexte

A ce propos la CNCDH avait fait valoir : « La loi du 15 mars 2004 sur le port de signes religieux ostensibles dans les écoles publiques – primaires et secondaires - doit être appréhendée dans ce contexte. Issu d’une réflexion collective approfondie menée par une commission de Sages, présidée par le Médiateur de la République, ce texte ne doit pas être conçu comme une mesure discriminatoire à l’égard des religions dans leur ensemble ou d’une religion en particulier. Il a pour objectif de réaffirmer le principe de laïcité qui garantit la liberté de conscience et le pluralisme religieux dans l’espace public, en assurant la liberté de chacun de s’exprimer et de pratiquer sa religion. Si la loi interdit les signes religieux ostensibles, c'est-à-dire les signes et tenues dont le port s’apparente à une forme de prosélytisme religieux excessif, elle autorise les signes discrets d’appartenance religieuse ».

Avis en réponse à la consultation du Bureau du Haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies sur le suivi par la France de la Résolution 7/19 du Conseil des droits de l’homme du 27 mars 2008 sur « la lutte contre la diffamation des religions », 12 juin 2008 :

http://www.cncdh.fr/IMG/pdf/08.06.12_Avis_diffamation_des_religions.pdf

[9]Etude sur « l’intolérance et violences à l’égard de l’Islam dans la société française », 31 octobre 2003 http://www.cncdh.fr/IMG/pdf/Etude_Intolerance_a_l_islam_2003.pdf

 

17:00 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (11)

19/01/2010

Allo Grand-mère, y’a plus de religion !

Ma grand-mère, sainte femme née à la fin du XIXe siècle, et solide campagnarde d’un village du Nord du Limousin, avait coutume de dire, quand quelque chose la choquait : « Y’a plus d’religion ! »

 

Il faut dire que notre belle campagne, lors des Trente Glorieuses, a vu venir de plus en plus, chaque été, des estrangers, habitants d’une lointaine contrée, d’au-delà du fleuve (La Loire), qu’elle désignait, avec un air méprisant comme : « Les Parisiens ».

Ces migrants (temporaires) piétinaient allègrement toutes nos valeurs, les belles valeurs qui, des siècles durant, avaient façonné la vie du village, forgé une mentalité aussi robuste que le granit.

Gamin, j’avais droit à de merveilleux œufs pondus du jour, que je gobais à même la coquille.

Quand les œufs devenaient un peu vieux, ils ne fallait plus des manger :

ils étaient alors « bons pour les Parisiens » !

 

Ma grand-mère, qui avait les idées très larges, admettait que les femmes se baignent dans des maillots qui laissaient voir leurs épaules et leurs cuisses.

Mais, comme il y a quand même des limites au laxisme, elle faisait la guerre à mes sœurs qui prétendaient, les coquines, se baigner en bikini, sous l’influence nocive de ces fichus Parisiens.

Pour ma grand-mère un maillot deux pièces soulignait le fait que les femmes (même les bonnes chrétiennes, paraît-il) ont des seins.

Et quand une pièce de tissus spéciale soulignait l’existence d’une poitrine, c’était que « y’a plus d’religion, ma brave dame. »

 

J’ai repensé dernièrement à ma grand-mère et, comme on n’arrête pas le progrès, je lui ai téléphoné via Internet, au Paradis, où elle se trouve depuis longtemps.

« Allo, grand-mère, lui ai-je dit. Cette fois c’est arrivé : effectivement, en l’an 2010, y’a plus d’religion du tout. »

« Comment ça, me répond-elle. C’est impossible. »

Car même si elle déplorait périodiquement que la religion dépérisse, ma grand-mère a toujours été intimement convaincue que la religion était éternelle.

Qu’elle nous enterrerait tous

Alors je lui ai expliqué.

 

Les clochers, ce n’est pas religieux, c’est patrimonial. C’est un député UMP qui vient de me l’apprendre

Les crucifix dans les écoles italiennes, c’est patrimonial itou.

Et je suis allé, il y a quelques semaines, du Québec, où des Maires m’ont soutenu que la prière au début des séances du Conseil municipal, cela n’avait rien, mais alors vraiment rien de religieux.

Patrimoine vous dis-je, patrimoine, comme Diafoirus, immortalisé par Molière, affirmait : « Le poumon ! »

 

EN REVANCHE 

Porter un foulard, ce n’est pas religieux, c’est politique peuchère !

Et les Suisse nous l’ont clairement fait comprendre : les minarets, ce n’est pas religieux, c’est politique itou.

 

Et en France, dernièrement, v’la t’y pas que le tribunal administratif de Bordeaux aurait dit, com’ça, qu’le caté(chisme), cela n’a rien de religieux !

 

Alors là, ma grand-mère, elle a été stupéfaite. Elle était venue une fois à Paris dans ces vieux jours (y’pasd’raison que les Parisiens viennent envahir le Limousin, et que les Limousins n’aillent pas à Paris !)

Elle avait vu le beau minaret de 35 mètres, de la Grande Mosquée de Paris et dans sa candeur paysannière, elle avait cru que c’était religieux.

Aussi religieux que Notre-Dame et ses deux tours !

 

« C’est ben triste tout ça » constate-t-elle.

Peut-être, répliquais-je, mais réjouis toi grand-mère, cela facilite quand même beaucoup les choses :

Si tout est soit patrimoine, soit politique, alors on ne va pas continuer à s’em..der à devoir respecter la laïcité et une de ses libertés fondamentales, la liberté de conscience, la liberté de religion !

Aux oubliettes, l’Article 18 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme

Aux chiottes, l’Article 9 de la Convention européenne des Droits de l’homme et des Libertés fondamentales,

A la poubelle, l’Article 1 et 2 de la loi (française) de séparation des Eglises et de l’Etat

 

Désormais, ce sera extrêmement simple

On fera un tri écologique, dans ce qui était jusqu’alors considéré comme religieux.

Si c’est du religieux bien d’chez nous, alors c’est du patrimoine et on peut y mettre plein de fric, le valoriser à tout va, voire le réintroduire dans la sphère publique.

Si c’est du religieux qui sent l’ailleurs, ça ne serait pas politique, des fois ? Si, bien sûr.

Aller ouste, du balai…

 

Il y a eu comme un silence

J’entendais ma grand-mère réfléchir

Fouiner dans son bon sens granitique

Et tout à coup elle a repris la conversation et m’a demandé :

 

« Dis, mon p’tit Jean, mais, au moins,  existe-t-il encore de la démocratie ? »

 

 

***

 

14/01/2010

Afganistan ou la différence entre l'actualité et la réalité

Trois soldats français tués en Afganistan ces 3 derniers jours. Cela porte à 39, disent les médias, le nombre des morts français depuis le début de la particicipation de "notre" armée au conflit.

Les Canadiens ont nettement plus de morts, mais chez eux aussi, chaque nouveau mort fait la "une" de l'actualité.

Bien sûr, on pense aux familles.

Mais une question me taraude: c'est la guerre et les soldats occidentaux ne vont pas dans ce pays pour disputer un match de foot.  Alors, il y a une information que l'on ne nous dit jamais, c'est : combien tuent-ils d'Afgans?

39 morts Français, mais combien d'Afgans tués par les Français?

Cette réalité là est médiatiquement invisible. On fait donc comme si elle n'existait pas.

Et certains trouveront la question elle-même blasphématoire!

11:38 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (11)

13/01/2010

ENNUIS

J'ai passé quelques nuits blanches, ces derniers temps.

Non pas parce que je parlais, la nuit durant, de laïcité, d'épistémologie et de paradigme à Laéticia Casta et à Marion Cotillard (qu'alliez-vous imaginer!)

Mais à cause d'ennuis de santé (ce qui est moins drole!).

Cela m'a fait prendre pas mal de retard sur mon programme de travail.

Donc pas de Note cette semaine. J'en suis désolé.

On se retrouve en début de semaine prochaine.

Je compte sur votre fidélité.

17:41 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (11)

08/01/2010

Seguin : le Républicain… bonapartiste

La mort de Philippe Seguin lui vaut un concert de louanges, et il est vrai que l’homme possédait une très forte personnalité.

 

Le Blog n’ayant pas vocation à commenter toute l’actualité, j’aurais fait silence sur l’événement, s’il n’y avait pas quelque chose de particulièrement frappant concernant les thèmes traité ici :

De Martine Aubry aux diverses personnalités de l’UMP, en passant par les commentateurs médiatiques, tous saluent le « grand Républicain »,  l’homme qui aimait passionnément la République, etc… sans dire que Seguin était, tout autant, passionné par le bonapartisme et qu’il avait consacré un livre plutôt louangeur à Napoléon III.

 

Certes, sous le Second Empire, la France s’est modernisée, le droit de grève a été reconnu (significativement 20 ans avant le droit de se syndiquer, alors que s’est l’inverse dans les autres pays démocratique : dans la France du « citoyen abstrait », le droit au conflit, à l’affrontement passe AVANT le droit de s’organiser pour discuter et négocier et trouver des compromis !)

Mais le bonapartisme est un césarisme, un régime fort peu démocratique.

 

Or beaucoup d’institutions dites « républicaines » ont été, en fait, instaurées ou façonnées par le Bonapartisme.

L’attirance de Seguin pour Napoléon III est bien dans la logique de la conception d’une République « exception française »

Car c’est souvent dans ses aspects peu démocratiques que la République française se veut une exception.

 

Au lieu de faire de la mort de Seguin une occasion de célébrer de façon acritique et quasi religieuse la République

Nous ferions bien d’être un peu plus rationnel : de rendre (certes) hommage à l’homme, y compris à ses « défauts » (le propos de Sarko est, là, juste : des défauts, mais rien de médiocre) et de réfléchir : cet amour partagé de la république et du bonapartisme était explicite chez Seguin, il est implicite chez beaucoup d’autres qui se veulent « républicains » et qui le sont de façon autoritaire.

12:07 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (10)

06/01/2010

SUR LA LAÏCITE DE SANG FROID

Cinq bougies pour le Blog

 

« Ce siècle avait deux ans,… »  affirme le père Hugo

Le Blog, lui, a 5 ans… et même quelques jours de plus,  puisqu’il a commencé le 19 décembre 2004.

Les débuts furent tout à fait confidentiels : au 31 décembre 2004, 15 visiteurs avaient effectué 24 visites, soit moins de 3 par jour !

A comparer 2009 avec les 6034 visiteurs de décembre qui ont effectué 11930 visites ce qui est (sans avoir longuement vérifié) parmi les meilleurs résultats depuis 5 ans

(malgré les fêtes qui font toujours chuter les chiffres : cela n’a pas été le cas cette année).

 

On peut dire que c’est avec l’année 2005 que le Blog a pris un progressif envol : 620 visiteurs et 1102 visites en janvier ; 838 visiteurs et 1411 visites en février, etc.

Précisément, l’idée de départ était d’avoir un instrument commode pour pouvoir intervenir lors de l’année du Centenaire de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat et parler (aussi) de la laïcité au XXIe siècle.

Le blog était alors très sérieux ! Si vous en avez la curiosité, grâce aux Archives, cliquez sur les premières Notes, vous le constaterez

Encore que, le fun n’était pas absent, avec l’idée d’une rubrique : « Le grand bêtisier de la laïcité ».

 

Ce cinquième anniversaire, et plusieurs commentaires de l’avant dernière Note, me conduisent à faire le point.

Le Blog affiche  clairement la couleur : Laïcité et regard critique sur la société.

 

L’objectif premier  consiste à combattre une fausse manière de vivre et de penser la laïcité, la manière « moutons de Panurge » : conformiste sur la société globale, et hypercritique sur la périphérie de cette société.

Combattre aussi une vision primaire et unilatérale où la laïcité ce serait la religion invisible : plus la religion serait invisible, plus il y aurait de laïcité

(avec l’hypocrisie inconsciente qu’il existe du religieux que l’on ne voit pas, ou ne veut pas voir, et du religieux que l’on voit beaucoup)

 

Ca, c’est la laïcité pour les vraiment nuls ! Pour ceux qui ont trop regardé la télé, et en sont intoxiqués !

Attention : l’intoxication médiatique peut-être mortelle pour l’esprit !

 

La laïcité, c’est un chouia plus compliqué ; elle demande une certaine finesse. Car elle est un équilibre entre :

-le refus du cléricalisme, de la domination de la religion (et de tout option philosophique d’ordre  convictionnelle) sur l’Etat et la société civile

-le respect, la garantie de la liberté de conscience et de la liberté des cultes

-l’égalité de traitement entre les religions et les religions et les convictions.

 

Equilibre subtile : la présence d’aumôniers dans les lieux fermés (comme l’armée ou l’hôpital) cela fait partie de la laïcité.

Mais si un aumônier profite de cette situation pour faire pression sur les consciences (sur la situation de faiblesse d’une personne malade, par exemple), il porte atteinte à la laïcité.

 

C’est pourquoi, la laïcité ira d’autant plus loin dans le respect et la garantie de la liberté de conscience et de culte, que les religions, les convictions (et ceux et celles qui les incarnent dans des situations précises) respecteront, eux aussi, les règles laïques.

 

Prenons un exemple : la loi Veil de 1975 sur l’IVG (interruption volontaire de grossesse). Elle réalise cet équilibre laïque de 3 manières :

-en séparant la loi d’une norme morale religieuse

-en autorisant l’objection de conscience des soignants qui, en conscience, ne peuvent effectuer d’avortement

-en remettant la décision finale à la femme concernée et non au médecin (qui, sinon, serait devenu un nouveau clerc).

 

Chacun étant, par ailleurs, non seulement libre de s’interdire à soi-même d’avorter et même de dire (de prêcher en chair, par exemple) tout le mal qu’il pense de l’avortement, dans le cadre de la liberté d’opinion.

Car la laïcité n’a jamais privé les religion de la liberté d’opinion sur la place publique : au contraire, elle l’a instaurée. Avant 1905, il y avait une surveillance sur les propos tenus en chaire.

Depuis 1905, on est dans le droit commun et  ne sont poursuivis que les propos qui pourraient être également poursuivis s’ils étaient écrits (par exemple) dans un journal.

 

Mais cela peut d’autant mieux fonctionner

-que l’objection de conscience provient effectivement de la conscience : dans les pays d’Amérique latine, en Pologne où l’Eglise catholique menace d’excommunication les soignants qui pratiquent des IVG, les choses sont plus difficiles.

-que la liberté de prêcher contre l’avortement ne se transforme pas en incitation à aller détruire du matériel dans les cliniques ou hôpitaux où ont lieu des avortements, comme cela a été le cas, avec des groupes protestants conservateurs aux USA.

 

En France, en gros, nous n’avons eu ni l’un ni l’autre : cela est un signe d’une bonne santé laïque de notre pays sur ce point.

Mais, comme toujours, on ignore ce qui va bien et on hypertrophie les problèmes.

 

Je prétends que cette conception de la laïcité :

 

1-se situe dans la « ligne » des définitions données par les pères fondateurs, ceux de la IIIe République qui se sont bien gardés d’avoir la politique religieuse autoritaire, puis persécutrice de la Révolution française : ils ont eu un rapport dialectique avec la Révolution)

(et cela, même si elle prends en compte de nouveaux problème mais, comme l’a écrit Jaurès : la fidélité d’un fleuve à sa source est d’aller vers la mer, pas de tenter de remonter le courant !)

 

2-est conforme à la laïcité qui, historiquement, a juridiquement et politiquement triomphé

(même s’il y a eu des visions plus extrêmes, comme lors du combat anticongréganistes de 1899 à 1904, où, par engrenage, la visibilité religieuse se trouvait elle-même combattue. Et on parlait alors de la recherche d’une « laïcité intégrale »)

 

3- que depuis 1989, certains tentent  (en se référant significativement de façon littéraliste, non critique à la Révolution et mettant sous le boisseau le fait qu’elle a abouti au terrorisme d’Etat) de mettre en œuvre une autre laïcité que la laïcité historique

 

C’est ce que j’ai expliqué (rapidement, avec les contraintes de signes liée à la publication d’un article dans un quotidien) dans ma tribune du Monde (reproduite dans ma Note du 24 décembre).

Je passe sur les injures, les menaces (cf. notamment « laïcité de sang chaud ») et notamment certains Blogs qui ont fait des gorges chaudes de cette tribune,

entre autre celui où 4 responsables d’organisations laïques se sont mis ensemble pour écrire un texte assez lamentable, montrant qu’ils n’avaient même pas lu l’article de bout en bout, puisqu’ils n’avaient intégré le fait que le terme de « sang froid » provenait d’Aristide Briand !

 

Je dialogue avec des internautes qui, eux-mêmes, sont dans le dialogue, même musclé (et vous allez le constater, je ne vais pas me priver d’être un peu polémique : j’expliquerai pourquoi la semaine prochaine)[1] :

(cependant, malheureusement avec 118 commentaires, même si certains dialoguent entre eux plus qu’avec moi, je dois faire un choix drastique)

 

Je vais commencer par répondre à J.-P. Lièvre, et d’abord lui donner une précision :

la demande d’un sang-froid laïque a été faite par Briand ( député socialiste, ancien rédacteur en chef de La Lanterne, publication anticléricale) à la Chambre des députés le 27 mai 1904.

Je rappelle que Briand est, de loin, le principal rédacteur de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat (« loi de 1905 »)

Voila la citation exacte de Briand :

« Je crois pouvoir dire à mes amis : Ayez du sans froid, sachez résister aux  surenchères, ne craignez pas d’être taxés de modérés, d’opportunistes. Personnellement, j’ai été traité de clérical (On rit), à cause de la modération de mon projet [de séparation des Eglises et de l’Etat] ; peu importe ! Le pays nous saura gré de la sincérité de nos efforts. (Applaudissement à l’extrême gauche et à gauche.)

(cf. Y. Bruley (éd.) : 1905, la séparation des Eglises et de l’Etat. Les textes fondateurs, Perrin, 2004, p. 145 s.)

 

OK, à la lettre, c’est moi qui résume par l’expression « laïcité de sang-froid », je le reconnais volontiers.

Il faut dire que l’expression de « laïcité » étant alors quasiment monopolisée par les partisans de la « laïcité intégrale », Briand est très sobre dans l’emploi du terme. Il ne l’utilise pratiquement pas… et la loi de 1905 non plus d’ailleurs

Mais qui va dire aujourd’hui que cette loi n’est pas la loi fondamentale de laïcité, en France ?

Comme dirait de Gaulle : ce ne sont pas ceux qui crient laïcité, laïcité, en sautant comme des cabris qui sont forcément laïques pour autant !

En revanche, ce sont eux qui induisent à qualifier la laïcité, pour prendre des distances avec leur conception rigide et appauvrissante.

S’ils voient rouge au moindre adjectif, c’est peut-être pour détourner l’attenion du fait qu’ils sont visés !

 

Donc, reconnaissez aussi (et je pourrais multiplier les citations car de nombreux autres discours de Briand vont dans le même sens) qu’aux tenant de la « laïcité intégrale, Briand oppose une autre laïcité, une laïcité de sang froid, la laïcité qui sait résister aux surenchères.

La laïcité de ceux qui ne craignent pas d’être taxés de cléricaux (de traîtres à la laïcité) pour construire un avenir laïque apaisé, contre ceux qui ne savent que jeter de l’huile sur le feu, en confondant une « laïcité intelligente » (dixit Régis Debray)[2] et inflation idéologique, à la portée de n’importe quel ignorant de ce que sont les objectifs de la laïcité.

 

Pour en finir avec cette sempiternelle querelle des adjectifs, voila ma position :

 

1-D’un côté, vouloir que la laïcité soit le seul substantif qui n’ait pas le droit d’être accompagné d’un adjectif est une position dogmatique, montrant bien une volonté d’orthodoxie, et même d’intégrisme, qui très souvent masque l’incapacité à argumenter.

Faute d’être capable d’avoir une argumentation rationnelle, fondée sur un savoir, eh bien on se cantonne dans la position commode : « pas d’adjectif à laïcité »

Ca, il n’y a pas besoin d’acquérir un quelconque savoir sur la laïcité, pas besoin de l’étudier, pour tenir un propos aussi sommaire

Un propos qu’un enfant de 4, 5 ans peut dire et redire à satiété.

Propos moutons de Panurge aussi !

(bien sûr, cela nous arrive à tous d’être moutons de Panurge : en soit ce n’est pas grave. Mais l’essentiel est de comprendre qu’on ne fait alors que réutiliser un stéréotype)

 

D’ailleurs celles et ceux qui passent leur temps à faire la guerre aux adjectifs (ils feraient mieux de consacrer le même temps à acquérir du savoir sur la laïcité), ne se privent pas pour.. ; utiliser eux même des adjectifs :

-« laïcité républicaine » alors que la dynamique laïque est très vivantes chez nos amis belges, espagnols qui vivent en monarchie constitutionnelle (un seul exemple : les activités de Bruxelles laïque)

-« laïcité menacée » : vision hautement défensive (au lieu d’être dynamique, entreprenante) de la laïcité.

 

2-Pour autant, chacun conserve son libre examen face à l’emploi d’adjectifs et, vous aurez remarqué que, pour ma part,

-je ne m’en tiens pas à un adjectif unique (ce qui les relativise par rapport au substantif « laïcité », mais cela est sans doute un peu trop subtil pour certains contradicteurs) ;

et suivant les situations j’en utilise plusieurs (inclusive, interculturelle, etc. « de sang froid, ferais je humblement remarqué n’est d’ailleurs pas un adjectif !)

-j’analyse, à chaque fois, le rôle de l’adjectif :

1. lutte-t-il pour une laïcité inventive, une laïcité qui soit le fleuve dont parlait Jaurès, lutte-t-il contre une vison orthodoxe, sectaire, appauvrissante, rigide, propre aux « surenchères" (comme Briand le dénonçait) de la  laïcité ?

2. ou au contraire, l’adjectif cherche-t-il à vider le substantif de son sens (comme dans la fameuse « laïcité positive » de notre monarque républicain) ?

That is the question, comme disait le regretté William !

(et ce n’est pas un hasard si, dans le Blog en question, et dans plusieurs sites Internet, on fait comme si j’étais un chaud partisan de cette laïcité positivo-sarkozienne : il s’agit de disqualifier et donc, peu importe, l’honnêteté intellectuelle)

 

Cela clarifie-t-il les choses ?

 

Bon, j’ai d’autres réponses à faire à  J.P Lièvre et à d’autre internautes. Cette Note est donc : « à suivre ».

 

 

 



[1] Je précise tout de suite que cet aspect polémique ne vise pas J.-P. Lièvre (qui pose d'intéressantes questions, et à bien le droit d'avoir son point de vue), mais traduit un énervement face à 20 ans (au moins) de surplace dans la querelle des adjectifs !

[2] Tiens, Debray, tout « républicain » qu’il soit a fini par se trouver obligé d’utiliser un adjectif, pour se démarquer de ceux dont il estime que la conception de la laïcité n’est pas…très intelligente.

29/12/2009

Poulidor le gaucher et la laïcité scolaire

(Nouvelle)

 

Une Note très inhabituelle (pour certains un tantinet déconcertante) en réponse aux questions métaphysico-orthographiques d’internautes habitués de ce Blog,  concernant son auteur !

 

Jean, occupé à lire les dizaines et dizaines de commentaires de sa dernière Note (et se proposant de répondre à certaines remarques lors de la prochaine) m’a refilé, une fois encore, la patate chaude, à moi, Mouloud, écrivain à mes heures.

Mais, je vous le promets, c’est la dernière fois de l’année que j’accepte.

Jean m’a fait une suggestion : « Présente la chose de façon romancée, invente un personnage. Il pourrait s’appeler Roger, être le petit frère de Raymond Poulidor[1]. Tu vois je te mâche le travail ! »

Je me suis mis à l’ordinateur, et voilà ce que cela a donné :

 

(La scène se passe le 3 avril 1992)

 

Saint Léonard de Noblat (Haute-Vienne). Prés de la Maulde, une ferme aménagée de façon moderne, bâtiment typique de la rurbanisation de la campagne. Dans une pièce, deux valises ouvertes, des livres et des classeurs qui jonchent le sol.

Un homme se prépare pour un long voyage à Tokyo. Il trie ce qu’il emporte, sort de sa bibliothèque un dictionnaire des synonymes, hésite à le prendre. Quand les cours sont traduits, ne vaut-il pas mieux répéter les mêmes mots ?

Une envie subite le prend : il feuille l’ouvrage, s’arrête à une page précise : celle de la lettre G.

Entre « gâtisme » et « gaudriole », il trouve l’adjectif « gauche » et, pour l’illustrer,  quelques joyeusetés synonymiques: « balourd, disgracieux, embarrassé, nigaud, pataud, raide »,…Suit un envoi opportun : « pour d’autres synonymes, confère bête ». Avec tact,  l’auteur n’a pas ajouté « et méchant »  même si l’association des deux qualités va de soi. Merci Hara-Kiri !

 

Devant « embarrassé », Roger reste de marbre. Il garde son sens de l’humour face à « pataud ». « Bête » ? Prenant son courage à main gauche, il se reporte à la page 66 pour en connaître les synonymes.

La liste est longue : « abruti, balluche, bêtasse, bovin » Il s’étonne : pourquoi les belle vaches rousses limousines seraient-elles aussi bêtes que gauches ? L’inventaire continue : « cucu, demeuré, enfoiré -d’Hara-Kiri nous passons à Coluche !- fada, gauche, jobard, niquedouille -plutôt mignon niquedouille-, patate, tartignole. Confère stupide. »

 

Là, main gauche ou droite, le courage manque un peu. Quelles nouvelles expressions vont fleurir ?

Il s’amuse, certes, mais pas totalement. Les mots souvenirs d’une gaucherie raillée n’apparaissent guère plaisants. S’il était femme, juif, homosexuel,… Mais qui va prendre au sérieux la plainte d’un gaucher ?

Gaucher honteux quand il se tait ; gaucher ridicule s’il en parle. La solution : oublier semblable alternative dans l’alcool ? Et si, prenant gauchement son verre, Roger tachait la moquette, comment l’expliquerait-il sinon de façon mal-à-droite ?

 

Un petit coup de spleen. Aucune raison pourtant d’en faire un drame. Il est « allé aux études », comme cela se dit ici. Il est même « monté à Paris » pour passer de l’agriculture à la culture. 

Belle mobilité sociale ! Elle n’évacue pas tout à fait la question qui le taraude : qui se trouve « bête » dans cette histoire ?

Le gaucher d’être gauche ? Le dictionnaire qui considère « gaucherie » et « bêtise » comme synonymes ? Le droitier qui prétend : « aucune importance ; quelle paranoïa d’en faire tout un plat ! » ? L’école laïque d’avoir voulu forcer les gauchers à devenir droitiers ?

 

Attention Ecole et… pas n’importe laquelle ! L’école laïque de la grande époque ; celle qui formait des citoyens, favorisait l’ascension sociale. N’en constituait-il pas lui-même un vivant exemple ? Né cul-terreux, devenu prof. d’université. Et des milliers comme lui.

L’Ecole laïque donc, d’avant les réformettes perpétuelles, d’avant la télévision pour tous. Une institution vénérable ; il n’arriverait jamais à convaincre personne en jouant au pseudo-justicier.

 

L’Ecole laïque connaissait son devoir, se donnait les moyens de le réaliser. Dés qu’en maternelle, dame institutrice avait aperçu un porte-plume dans une main gauche, sa vocation n’avait fait qu’un tour.

Et pan, un bon coup de règle (pédagogique !) sur « la mauvaise main » ; la parole autorisée la désignant telle, expliquant le geste et lui donnant sens.

Petit coup de règle et propos sereins pour l’adulte. Double gifle, double humiliation pour l’enfant. « Il fallait bien, lui précisera-t-on plus tard, inculquer les ‘bons’ automatismes. »

Oh, encore le porte-plume… Pan, un second coup de règle. Normalement, un seul aurait du suffire, mais puisqu’il n’en n’était pas ainsi…

Tu finiras bien, comme tes petits camarades, par te servir de « ta jolie main ».

 

La droite. La main normale. Celle imposée aux gauchers « contrariés » (quels synonymes indique le dictionnaire à « litote » ?).

Et pan, nouveau coup de règle. Un instituteur cette fois.

Pan, pan, jusqu’au jour où ils seront neuropsychiatrisés, les gauchers. Pas tout à fait embastillés. Vive 1789, et pan sur les doigts gauches. Il n’existe pas de Déclaration des droits d’enfant gauche.

« Un minimum d’attention, Roger, tu ne dois plus accomplir ce geste stupide où ton porte-plume passe de la bonne à la mauvaise main, dans le sens inverse du bon sens... Non mais, gamin, ne te mets pas à pleurnicher bêtement… » Tu as sept ans, peut-être huit, bientôt neuf. 

 

Pleurez ballots, bêtasses, niquedouilles, et autres petits synonymes ! Pleurniche tout ton saoul, gaucher de huit ans. Tu crois obéir, t’appliquer, être sage comme l’image que tu obtiendrais si…

Tout à coup, confusion extrême : les yeux en colère du maître indiquent, sans l’ombre d’un doute, que cette merde de porte-plume est encore repassé dans « la main honteuse ». Cette main, penses-tu, qu’il faudra finir par couper tant elle s’avère nuisible.

Quel horrible magicien peut jouer ce cruel tour de passe-passe ?

Personne d’autre que toi-même, Roger. Tu es coupable et réciteras trois Ave et cinq Pater.

Que nenni, je me trompe de France : nous sommes à ‘la Laïque’. Alors, mon enfant, tu écriras cent lignes, de la main droite bien sûr. Etre gaucher est ta faute, et ton orthographe de fautes est remplie.

 

Comment se soucier de l’orthographe ? Pan ; le coup, le regard, la voix. S’il lui en prenait le désir, le dernier de la classe pouvait se fixer comme but de devenir l’avant dernier, puis de progresser encore… Lui, aucune espérance de cette sorte, il le savait bien.

« Maître d’école qui es sur terre, que ta volonté soit faite dans la classe, si ce n’est au ciel. Epargne moi les coups de règle de ce jour. »Aucune chance de voir exaucée semblable prière.

Il ne serait jamais innocent. Il lui faudrait toujours affronter la main qui frappe, le regard dragon, la voix cinglante ou attristée (« tu me déçois énormément »)… Et le résultat de cette infirmité délictueuse : une écriture lamentable ; une orthographe impossible.

 

Vers quinze ans, pourtant, le corps enseignant annonça à Roger une bonne nouvelle : l’interdiction d’écrire de la main gauche était désormais abolie. L’école laïque vaque la nuit du 4 août et, malgré tout, sonnait l’heure de la libération.

Pourquoi ? L’obstination ? L’âge ? Ou tout simplement le passage du collège au lycée ?

Roger ne s’attarda guère dans une recherche des causes. On lui rendait sa main, c’était l’essentiel.

 

Impraticable liberté : personne ne lui avait appris à écrire de la main apte à le faire. Les premières tentatives s’avérèrent tâtonnantes, tel un aveugle décontenancé par la lumière soudaine.

Un professeur énonça alors doctement la conclusion logique : « En somme, vous êtes gaucher des deux mains ! » Fine plaisanterie : le quolibet « gaucher des deux mains » lui colla à la peau, même quand il devenait moins malhabile.

En fait, la « gaucherie » restait entière dans sa tête. Le sentiment d’être physiquement handicapé, moralement non-conforme. Sans avenir : pouvait-il envisager de demander un jour sa (belle) main à une éblouissante jeune-fille, lui qui n’en avait que des « mauvaises » ?

 

Gauche : synonymes non répertoriés : complexé, timide. « Embarrassé », certes, avec les demoiselles. L’une d’elles lui avouera un peu plus tard : « Quel pataud tu fais ! Je me demandais quand tu te déciderais enfin à m’embrasser sur la bouche. »

Il aurait pu lui répondre : « Mais, joie, j’ai osé, enfin. Il a fallu pour cela que j’obtienne le premier prix d’histoire au concours général des lycées… Malgré mon orthographe déplorable. »

 

Le pire n’est pas toujours sûr. L’école laïque qui l’avait tant malmené, avait fini par le récompenser. Elle n’était pas quitte pour autant.

Adulte, il s’était rendu compte, avec colère, qu’à l’époque où il usait ses fonds de culotte à l’école primaire, on savait très bien qu’il n’était en rien nécessaire d’obliger les gauchers à écrire à droite.

Qu’au contraire cela entraînait certains troubles : dyslexie, dysorthographie, bégaiements,… (et il avait tout subi).

Une docte revue, L’Education Nationale, avait même réalisé un numéro spécial sur la question.

Et il y avait belle lurette que les enseignants de la Perfide Albion ne « contrariaient » plus les gauchers.

 

Mais les instits de ‘la Laïque’ ne voulaient pas le savoir. Ils étaient les hussards noirs de la norme républicaine.

Ils n’allaient quand même pas suivre un modèle anglo-saxon !

L’école laïque devait être sans adjectif, non une école ouverte.

 

Nanti d’un statut ‘scientifique’, Roger possède la réputation d’un homme calme, au caractère plutôt heureux. Maîtrisant son passé, il réserve pour son jardin secret la commémoration de son souvenir.

Souvenir profond, tenace, fort. Mémoire vive d’une expérience fondatrice, âpre comme les coups drus reçus autrefois. De temps à autre la blessure resurgit un tantinet. Il la sent comme l’ancien opéré ressent parfois sa cicatrice.

Dans son dictionnaire intérieur, « bêtise »  rime avec « évidence », « certitude », « conformisme »,  « bonne conscience »… ou même « anticonformisme » estampillé comme tel.

 

Méfiance à l’égard d’intellectuels, combattants de toutes les bonnes causes… médiatiques. Doutes devant les propos des spécialistes és-Lumières. Ses anciens maîtres leur ressemblaient, en moins prétentieux.

Au bout du compte, il avait beaucoup appris : grâce à l’école laïque, malgré elle, contre elle.

Cela fait partie de sa vie même, de sa capacité à goûter la saveur de petits plaisirs.

Pour vivre heureux, vivons fragiles, vivons blessés ? Pas trop quand même !

 

Aller, il l’emporte ce satané dictionnaire avec quelques romans de gare, pour s’amuser -au troisième degré- de leur description de plantureuses blondes.

Assez gambergé, il faut reprendre les rangements. Faire ses bagages constitue toujours une opération délicate.

On risque d’oublier l’essentiel et, précisément, c’est ce que Roger allait faire : laisser à Saint Léonard les notes susceptibles de constituer la première version de ses cours.

 

Des notes écrites de sa main gauche. Il y repense, mais avec sérénité maintenant. Les petits moments dépressifs chez lui ne durent guère.

Hypothèses géniales, tissus de banalités ou propos ne méritant ni cet excès d’honneur, ni cette indignité, il a pu noircir des pages et des pages sans risquer de se faire taper sur les doigts.

Gloses griffonnées, avec toujours ses sempiternelles fautes, de sa chère main gauche, hier meurtrie, aujourd’hui reconnue dans ses œuvres jusqu’en Extrême Asie.

 

Décidément, l’optimisme reprend le dessus. La vie revêt un charme particulier. La difficulté de l’itinéraire, les obstacles vaincus permettent à Roger de goûter, plus intensément qu’un droitier, la douceur d’un sein de lune un soir de clair de femme.

 

BONNE ANNEE 2010 A TOUTES ET TOUS.

Et puisque vous êtes fidèles au Blog, je vais vous faire un cadeau : je vous promets d’augmenter la durée du jour dans (en gros) les 6 prochains mois.

Qu’on se le dise.

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Ceux qui n’ont pas fait assez d’études pour savoir de qui il s’agit doivent, de toute urgence, consulter Internet pour connaître cette famous gloire limousine