01/06/2010
Israël: une politique désespérante: la réaction d'Esther Benbassa
Rentrant de Tokyo, je suis frappé de stupeur par l'acte commis par Israël contre le bateau qui tentait de briser le blocus de Gaza, cette "prison à ciel ouvert", pour un million et demi de personnes.
Je publie ci après la réaction et l'analyse d'Esther Benbassa, dont j'ai indiqué, à différentes reprises, dans ce Blog les activités courageuses et lucides dans la lutte contre les discriminations.
Nous, juifs de la diaspora, disons non à l'égarement d'Israël
Par Esther Benbassa | Historienne, dir. d'études à l'EPHE... | 01/06/2010 | 11H44
L'historienne Esther Benbassa, auteur en 2006 d'« Etre juif après Gaza », réagit ici à l'assaut meurtrier donné, lundi au large de Gaza, par un commando israélien sur une flottille humanitaire pro-palestinienne. Celle qui a signé « l'Appel à la raison » du collectif J-Call condamne « le pas de plus d'Israël vers le pire ».
Les commandos de la marine israélienne ont donné l'assaut lundi contre six bâtiments de la « flottille humanitaire pour Gaza » à bord de laquelle se trouvait des militants pro-palestiniens et du matériel de construction et de santé. Cette flottille naviguait dans les eaux internationales. On compte des dizaines de blessés et entre dix et dix-neuf morts selon un bilan provisoire.
Même si cette flottille avait peu de chances d'atteindre son objectif, à supposer même qu'elle ait provoqué les commandos israéliens et qu'elle ait, comme le suggèrerait une source officielle israélienne, manifesté une « violente résistance physique », Israël s'est attaqué à un symbole, à un symbole « humanitaire ».
Son image, déjà dramatiquement entamée par l'offensive contre Gaza en décembre 2008 et janvier 2009, ne pourra que se détériorer davantage, et comme il est d'usage, suivra une hostilité accrue des opinions publiques à son endroit.
D'autant plus que le symbole visé est celui de l'aide apportée à des civils palestiniens étouffés par le blocus israélo-égyptien, décimés par l'offensive contre Gaza, réduits à la misère et vivant au milieu des ruines. Ce sont ceux-là même qui convoyaient cette aide qui ont perdu leur vie en raison de leur engagement humanitaire.
Quelle qu'ait pu être leur éventuelle « résistance » à des militaires israéliens les attaquant hors des eaux territoriales d'Israël, aucune rhétorique ne saura fournir des arguments pour justifier cette barbarie, ni bien sûr aucune propagande pro-israélienne.
Ni la menace terroriste ni le fantôme régulièrement invoqué du méchant Iran travaillant à l'élimination d'Israël ne pourront justifier l'arrogance de ce dernier, qui tire honteusement parti de l'immunité que lui confère la Shoah.
Du Struma à l'Exodus, Israël perd de vue son histoire
Israël a oublié ce passé même qu'il rappelle pourtant sans cesse au monde pour couvrir ses propres méfaits. Rappelons-nous ces bateaux remplis de juifs fuyant l'Europe meurtrière qui tentaient d'accoster ici ou là pour échapper au massacre, et qui étaient refusés, repoussés ou torpillés comme le Struma en Mer Noire en 1942.
Même si ce qui s'est passé ce 31 mai à l'aube avec la « flottille humanitaire pour Gaza » n'a pas de points communs avec ces précédents tragiques, l'image du bateau, cible de violences, à l'approche des côtes israélo-palestiniennes, l'image, elle, est prégnante.
Qui ne se souvient encore de l'Exodus, qui transportait en 1947 des juifs émigrant clandestinement d'Europe vers la Palestine, à l'époque sous mandat britannique ? Un grand nombre d'entre eux étaient des réfugiés ayant survécu à l'Holocauste. La marine britannique s'empare du navire, et la Grande-Bretagne décide de renvoyer ses passagers en France et finalement jusqu'en Allemagne. Cet épisode, témoignage de la dureté de la répression britannique, donnera un coup de pouce à la création de l'État d'Israël.
Il est à espérer que ce qui s'est passé ce 31 mai précipitera les pourparlers israélo-palestiniens et la fondation d'un État palestinien. Mais quand bien même cette issue se confirmait (ce dont on peut tout de même douter dans l'immédiat), l'histoire d'Israël aura été une fois de plus terriblement entachée.
À qui oublie son histoire, il n'est pas d'avenir possible. Les Israéliens ont oublié leur histoire et poussent les diasporas juives à faire de même au nom de l'amour inconditionnel qu'Israël exige d'elles.
Le raid est un signal d'alarme pour l'Europe et les Etats-Unis
La « flottille humanitaire pour Gaza », hélas dans le sang, est un signal d'alarme non seulement pour Israël mais aussi pour l'Europe et les États-Unis. Le premier cédant aux démons d'une droite intransigeante. Les seconds, dans leur légèreté et leur tolérance excessive, se révélant incapables de mettre le premier au pied du mur. Cette fois, le moment est venu.
Au premier anniversaire de l'offensive contre Gaza, c'est à peine si les médias ont évoqué le souvenir de cette catastrophe. Le rapport de Richard Goldstone, accusant Israël et le Hamas de crimes de guerre, a été enterré. Et comme pour récompenser Israël (mais de quoi ? ), on lui a ouvert les portes de l'OCDE.
Un Etat palestinien dans les plus brefs délais, par l'intervention directe et autoritaire de l'Europe et des États-Unis, voilà ce qu'il faut désormais.
Et ce non seulement pour que les Palestiniens sortent de leur cauchemar, mais pour éviter aussi à Israël de poursuivre une politique suicidaire qui risque de le mener à court terme vers la disparition.
La Turquie, victime collatérale de la politique suicidaire d'Israël
N'oublions pas que le syndrome de Massada est inhérent à Israël. Dans l'Antiquité, à Massada, des Judéens assiégés préférèrent se suicider plutôt que de négocier avec l'ennemi d'alors, les Romains.
Après l'affaire de la flottille rouge du 31 mai 2010, Israël, s'il n'en est pas empêché par des tiers, pourrait bien se refermer davantage sur lui-même, essuyant de manière autiste les retombées internationales, et continuant de rationaliser à ses propres yeux et dans sa propre prison jusqu'aux actions les plus inhumaines.
Songe-t-on seulement aux juifs de la diaspora qui pâtiront eux aussi des retombées de cette affaire ? Le ressentiment contre Israël se confondra un peu plus avec un antisémitisme de moins en moins rampant.
À ce propos, a-t-on suffisamment relevé que la plupart des victimes sont turques ? La Turquie, dans les années 1930, est aussi le pays qui a accueilli nombre d'intellectuels juifs allemands persécutés, qui, pendant les années noires, a autorisé le passage de militants sionistes fuyant l'Europe pour la Palestine, et qui a été longtemps le seul Etat musulman à reconnaître Israël. Osons espérer que nulles « représailles » ne viendront toucher, désormais, les 20 000 juifs qui y vivent encore.
Le J-Call saura-t-il condamner l'égarement d'Israël ?
Ce 31 mai est une épreuve test pour le collectif « J-Call », ce mouvement né d'un « Appel à la raison » lancé il y a peu par des juifs européens qui, bien qu'attachés à Israël, entendent exercer leur droit de libre critique de la politique de ses gouvernants. J-Call saura-t-il se démarquer clairement et courageusement des positions radicales d'institutions juives comme le Conseil représentatif des instituions juives de France (CRIF), attachées à Israël de façon nombriliste et prêtes à tout admettre de lui, y compris le pire ?
Certains d'entre nous ont signé cet appel, malgré leurs réserves. J-Call tiendra-t-il ses promesses ? Agira-t-il sans délai ? Condamnera-t-il, sans réserve, lui, ce qui est arrivé ? Exigera-t-il l'ouverture immédiate d'une enquête internationale indépendante ?
L'heure est grave pour toutes les organisations juives de la diaspora. Au nom des morts de la flottille, victimes de l'impunité israélienne, au nom de l'histoire que nous portons, nous, juifs de la diaspora et d'Israël, pour que les souffrances des Palestiniens puissent prendre fin, et qu'un Etat palestinien puisse enfin voir le jour, recouvrons notre simple humanité et disons non à l'égarement d'Israël.
► Esther Benbassa a récemment publié Etre juif après Gaza (CNRS Editions, 2009) et Dictionnaire des racismes, de l'exclusion et des discriminations (Larousse, 2010).
14:48 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (6)
28/05/2010
ELOGE DU DOUTE ET D'UNE CERTAINE MANIERE DE CROIRE
Attention : Note réservée à un public averti : moins de 18 ans d’âge mental s’abstenir.
(Cette Note et la suite et la fin de mon dialogue avec J.-M. Schiappa, de la Libre pensée ? Cf. la Note du 20 mai)
Le doute peut conduire :
-Sur beaucoup de points, à de l’agnosticisme plus ou moins prononcé, notamment tout ce qui concerne des réalités vérifiables, mais que l’on a ni le temps ni la compétence de vérifier, et où son opinion serait dépendante du savoir ou du pseudo savoir (allez savoir !) d’autrui, donc d’une foi d’autorité.
Pour ma part, je suis douteur sur beaucoup de points qui semblent évidents, soit à mes contemporains, soit à la couche sociale des intellos, soit à mes diverses familles de pensée,...
-Sur d’autres points, l’agnosticisme est impossible dans la pratique, car existe la nécessité de prendre des décisions pratiques, et l’impossibilité de vérifier scientifiquement la validité des décisions prises.
Donc l’idée est d’accepter (en gros) les croyances reçues jusqu’à preuve du contraire, tout en tentant quand même de trier un peu pour tenter de prendre les moins bêtes, et d’être prêt à changer d’avis quand une qui semble plus intelligente se présente.
L’idée, aussi, est de savoir que l’on ne sait pas, donc de savoir que l’on est forcément dans la croyance plus ou moins stéréotypée, faute de mieux et peut-être temporairement. Bref, d’être ouvert à des idées neuves.
-Sur d’autres points encore, mais dans des champs forcément limités, étant donné le temps, l’énergie, la compétence, et également la solitude intellectuelle que cela demande, en vous coupant des croyances de vos contemporains (mais c’est aussi le cas de l’agnosticisme déjà décrit) d'entreprendre une démarche de connaissance.
Cette démarche vous fait prendre quelque distance avec des croyances stéréotypées, des croyances dominantes… et souvent aussi avec la bêtise ou la médiocrité ambiante.
L’essentiel est qu’il existe au moins un domaine où votre savoir ne soit pas dépendant d’autrui. Ne serait-ce que parce que cela vous apprend ce que c’est que le savoir (à quel point, "ce n’est pas de la tarte" d’acquérir un peu de savoir !).
Et donc, cela vous apprend aussi, pour tout le reste, à savoir que vous ne savez pas. Cela vous apprend le doute méthodologique, art de vivre fondamental.
-Mais, vivre avec le doute méthodologique chevillé au corps n’est guère facile, ni socialement tenable.
Parfois il faut accepter d’être un pratiquant (occasionnel) non croyant des stéréotypes sociaux, par compromis avec the famous « vivre-ensemble ».
Tel qu'on l'invoque aujourd'hui ce "vivre-ensemble" est, en fait, souvent, un compromis avec le conformisme moyen de la société ambiante en général, et aussi parfois de la bêtise satisfaite de ceux qui ont le pouvoir (économique, politique, culturel, etc) en particulier.
Bref, il est assez normal de ne pas avoir envie de se faire tout le temps jeter, de passer pour un asocial ou un fou. Même Galilée a accepté un compromis !
Alors, il faut vaguement reprendre à son compte quelques stéréotypes. Cela rassure autrui, et fait partie de l’éthique compassionnelle, de la nécessité d’être bienveillant envers les handicapés du bulbe.
Mais cela n’empêche pas de garder son quant à soi et d’entretenir soigneusement le doute intérieur au sein même de cette pratique sociale plus ou moins obligatoire :
un peu comme les Marranes espagnols ou les Nouveaux catholiques de la France de Louis XIV
(il s’agit des protestants qui faisaient semblant d’être catholiques, puisqu’on les obligeait à vivre selon le principe « Une foi, une loi, un roi. Et, vous savez quoi, les choses n’ont pas totalement changé depuis lors.)
-Mais, attention, point trop n’en faut et la vigilance s'impose : c’est que, vous leur donnez la main, ils veulent tout le bras, les cons !
Et quand ils ont le bras, ils vous réclament tout entier, corps et âme. Ils ne se contentent pas de cette conformité occasionnelle, ils voudraient que vous leur ressembliez, les petits salauds !
Ils ne sont pas complètement rassurés tant qu’ils ne vous ont pas réduit à leur propre bêtise. Il faut que vous soyez pareil à eux, avec les mêmes œillères, les mêmes angles morts. Ils vous veulent mouton de Panurge, pour pouvoir croire qu’il n’y a pas d’autre manière de vivre que le troupeau.
Ils n’assument pas la partialité de leur être.
C’est d’ailleurs précisément en cela qu’ils sont un peu bêtes (et méchants de surcroît) :
s’ils assumaient la partialité de leurs « idées », ils ne seraient plus dans des stéréotypes sociaux, mais s’aventureraient peu ou prou dans l’itinéraire d’une pensée personnelle.
C’est donc moins une affaire de contenu que de forme. Comme l’a très bien (presque) dit un grand philosophe contemporain : « On peut communier aux valeurs républicaines, mais pas avec n’importe qui »
-Alors, pour ne pas risquer l’accoutumance à la pire des drogue : la conformité sociale bête (et méchante envers tous les minoritaires, les non conformes), tout à coup, de temps à autre, une « saine » colère vous prend :
vous rompez la communion factice et ambiguë avec ceux qui instrumentalisent honteusement les dites valeurs, et/ou retournent leurs vestes avec une facile amnésie sur ce qu’ils ont dit et fait (qui vous déconcerte toujours !).
Attention, en effet, à ce que la gentillesse ne vous rende pas prisonnier du conformisme ambiant.
La bêtise a toujours de solides barreaux. Il y a va de votre survie, il y va de votre liberté, même si la douceur totalitaire de l’extrême centre, de l’extrême stéréotype, de l’extrême évidence satisfaite, peut être bien tentante et induire reconnaissance sociale et notoriété.
-Mais ces moments de lucidité créent toujours peu ou prou de la gène sociale, il sont affectivement, physiquement, socialement très coûteux, alors disposez de votre arme secrète :
vivre un peu décalé, prendre les choses au troisième degré et non au second comme tous les intellos de mes deux.
Le second degré, c’est (pour les Français, les autres trouveront des équivalents) de préférer Arte à TF1, en écoutant Arte au 1er degré, en croyant qu’on a là des « bonnes émissions » de télévision, de l’information « sérieuse », et tout le baratin que peut vous faire très sérieusement l’intello lambda (c'est 10% exact et 90% faux).
Le 3ème degré, consisqte à préférer TF1, mais pas au 1er degré bien sûr. Le 3ème degré, c’est de bien rigoler en regardant les films que Télérama prend avec des pincettes, et auquel ce magazine (à lire par ailleurs) ne met pas le moindre T, sauf quand ces films ont 30 ans, ou 40 d’âge (eh oui, vérifiez !).
L’art de vivre au 3ème degré, c’est de savoir qu’on perd moins son temps à s’intéresser aux extravagance de Lady Gaga qu’à prendre au sérieux la prose d’Elisabeth Badinter. D’abord c’est plus fun, ensuite c’est moins nocif. Et, dans le genre, c’est plus réussi.
Entre une pseudo intello show-biz et une vraie star du show-biz, choisissez la seconde. Mais, bien sûr, sans être dupe : le troisième degré vous dis-je.
-Et en même temps, sachez ne pas sacraliser votre attitude : on est souvent plus intelligent à plusieurs que tout seul.
Laissez-vous contester, accepter que l’on vous rentre dans le chou, ruminez les propos de ceux qui trouvent que vous exagérez.
Et puis, triez : mettez dans la corbeille à papier tout ce qui, décidément, vous paraît refléter la pensée moyenne, et faites votre miel de tout ce qui a rééquilibré votre partialité, de tout ce qui vous permet d’être plus dialectique, d’avoir une vue plus large des choses.
Tout ce qui vous permet de récupérer les éléments que vous avez été plus ou moins obligé de laisser en plan pour vous concentrer sur les angles morts.
-Enfin le gâteau doit obligatoirement avoir sa cerise : cette cerise, c’est d'avoir un peu d’humour sur soi-même : que votre doute, votre non-conformité soit votre instrument mais ne devienne jamais votre maître.
Ne vous laissez pas prendre à votre propre jeu.
Ne CROYEZ ni à votre doute, ni à vos contestations. Ne les transformez pas en certitudes à quatre sous. Sachez vous distancier de vous-même, vous regarder d’ailleurs en vous trouvant parfois un peu grandiloquent ou ridicule.
Voilà, Cher Monsieur Schiappa, l’art du doute que je tente de cultiver, pour devenir, jour après jour, effectivement un peu libre, sans me CROIRE totalement libre pour autant.
Et, peut-être, sur le plan « spirituel », religieux ou philosophique, éthique ; bref sur les réalités supra-empirique, non vérifiables au niveau d’une démarche de connaissance[1], cette liberté se trouve liée à une croyance assumée, à une « profession de foi ».
Je vous le dis, puisque c’est là-dessus que vous m’avez interrogé.
Je suis protestant de naissance et dans mon adolescence, j’ai été tenté un temps me convertir au catholicisme, attiré par le judaïsme, pour lequel j’ai toujours beaucoup de sympathie.
Un peu plus tard, j’ai été agnostique, en gros de 1967 à 1975, puis suis redevenu protestant, autrement que par ma foi reçue.
C’est dire qu’il me semble être relativement au clair sur ce que je crois, et pourquoi.
Ce qui est idiot, c’est que (étant toujours au Japon, of course) j’ai oublié d’emporter avec moi, votre article de La Raison, point de départ de ces 3 Notes.
J’ai le souvenir, qu’à un moment donné, il était question du « Seigneur » (=Dieu), dans le sens où (si j’ai bien compris, je regrette de ne pas avoir le texte sous les yeux et je ne voudrais pas déformer) si on a un « seigneur », on ne peut pas être libre.
Là-dessus, il y a maldonne entre nous car je suis très proche de la théologie de la croix de Luther = le Seigneur, il meurt crucifié et abandonné, renié par Pierre (le symbole de l’Eglise !).
Avouez que, comme dominateur, on a trouvé beaucoup mieux, avant et après !
Ma religion ne m’interdit aucun doute, aucune mise en question, et en tout cas pas d’être le plus rigoureux possible quand je suis dans une démarche de connaissance.
Bien au contraire car en fait, le seul interdit c’est, pour employer un terme théologique, « l’idolâtrie », donc le fait de me prosterner (mentalement) devant une interprétation de la réalité, une puissance, etc.
Bref, de faire allégeance à quoi que ce soit.
C’est donc l’exigence de ne rien absolutiser, de conserver toujours un sens critique. Je CROIS donc qu’il s’agit d’une croyance libératrice, ou d’un ordre qui me libère.
J’ai fait allusion aux Nouveaux Catholiques.
Ces protestants qui faisaient en moitié semblant après la Révocation de l’Edit de Nantes.
Ce n’est certes pas une référence glorieuse.
Chez les Huguenots, on préfère se référer aux Camisards, ces castreurs de porcs qui ont parfois exercé leur art sur les curés et les soldats.
On les invoque quitte, parfois, à les embrigader dans de mauvaises causes (comme cela vient d’être fait par un protestant à propos de la burqa), contre la liberté et pour le conformisme satisfait de la société dominante.
C'est pourquoi j'aime mieux ne pas trop invoquer les Camisards.
Les Nouveaux Catholiques sont une référence beaucoup moins glorieuse, en aucune manière emblématique.
Et pourtant je les aime bien (même si j’ai –aussi- de la sympathie pour les Camisards, je ne joue pas les uns contre les autres). Car ils ne faisaient semblant que jusqu’à un certain point.
Jusqu’à ce qu’on cherche à les obliger à être idolâtres. A communier selon le rite de la transsubstantiation, pour eux le comble de l’idolâtrie.
Alors là, ils crachaient l’hostie, avec dégoût.
On était obligé de les faire communier entre deux dragons, rendant visible la contradiction de la société ambiante
Et ils s’arrangeaient quand même pour ne pas avaler l’hostie, ou alors à la macher (ce qui était un sacrilège) en marmonnant une injure.
Eh bien oui, je fais plein de compromis, chaque jour je tiens compte de la mentalité moyenne, je passe même souvent mon temps à être tolérant, à supporter les inepties ambiantes.
J’en ai, parfois, jusque là de l'invocation des nécessités du « vivre-ensemble »,
d’avoir sois disant les mêmes « « valeurs » » que des hypocrites, des tricheurs, des profiteurs, et surtout des ceus pour qui l’invocation des dites « valeurs » n’est qu’un prétexte à ne pas réfléchir, à paresser dans les stéréotypes, parce que penser c’est bien trop fatiguant, qu’il vaut mieux bêler à l’unisson du troupeau.
Mais quand la coupe est pleine, quand on veut que j’idolâtre la religion civile rrrrépublicaine ou les racines chrétiennes de la France, alors je dis calmement, sereinement, mais fermement : NON.
Envoyez moi vos dragons si vous voulez, et si vous l’osez. Mais vous ne me ferez pas avaler votre pilule.
Je la crache par terre.
Grattez un peu le Nouveau Catholique, et vous ne tarderez pas à trouver l’Hérétique.
.
[1] Cela ne signifie naturellement pas que religion, philosophie, éthique, etc ne puissent pas être un objet d’étude, au contraire. Et là, bien sûr, on doit pratiquer l’agnosticisme méthodologique. C’est ce que j’explique au début de mon Librio sur la Petite histoire du christianisme. Et, (on dit d’habitude « sans vouloir me vanter », moi je dis : « en voulant me vanter »), comparez avec la concurrence et vous verrez que, tout « croyant » que je suis, mon approche est différente de celle des culs bénis !
18:52 Publié dans DIALOGUE AVEC UN AUTEUR | Lien permanent | Commentaires (6)
20/05/2010
Croyance et liberté (réponse à J.-M. Schiappa, II)
Allez, on va s’extraire un peu des débats franco-français (pas complètement, vous verrez), et reparler de la question que m’a posée J.-M. Schiappa, dans l’organe de la Libre-pensée, La Raison : « Est-il possible d’être libre et de croire en même temps ? »
C’est bien plus intéressant que les ratiocinations gouvernementalo-sarkozystes sur la dite « burqa ».
Bien que, dans les cours que je donne actuellement à Tokyo, il y en a eu un (forcément) sur « Les débats autour du voile intégral en France », avec beaucoup de questions, tout à fait pertinentes des étudiants (et profs) japonais.
Les intellectuels japonais suivent cela de prés et l’ex image de la « France, pays des droits de l’homme » en pâtît une nouvelle fois.
Ainsi la résolution parlementaire a été très commentée par les journaux (du coup, cela fait plus de monde à mon cours : à petites causes, grandes conséquences !), alors que la presse française s’est intéressée aux présélectionnés de la Coupe du monde de foot (et moi, pauvre de moi, absent de mon pays, qui ne connais même pas le classement final du championnat de France, et la place d’Auxerre, mon équipe favorite !) ou à l’ouverture du festival de Cannes.
M’enfin, ici, au niveau des tenues, c’est plus Lady Gaga que « burqa ». D’ailleurs Lady Gaga, en fait, copie honteusement les jeunes Japonaises dont j’avais déjà constaté, à Shibuya et ailleurs, en 2008, les tenues extravagantes. Et depuis cela ne fait que croître et embellir. Elles sont d’ailleurs tout à fait nice et charmantes[1], et les yeux bridés, j’adorrre absolument !
La jeunesse japonaise a bien changé depuis 1992 (mes premiers cours). Mais j’éprouve toujours envers elle un peu d’amusement et beaucoup de tendresse.
Bon, et la croyance dans tout ça ?
J’avais indiqué dans ma Note (du 21 avril), qui commençait à répondre à J.-M. Schiappa, que mon point de vue sur la question comportait 3 points de départ :
-« Etre libre » n’est pas une mince affaire, que l’on se dise « croyant » ou « non-croyant ». Etre libre, plus exactement tenter de se libérer, est une entreprise constante où il faut soigneusement veiller à ne pas baisser la garde.
-Les croyances ne sont pas seulement religieuses, loin s’en faut. Personnellement, je n’ai jamais rencontré quelqu’un dont je puisse penser qu’il soit hors de toute croyance.
-Pour ce qui me concerne, je ne suis ni englobé par mon protestantisme, ni un protestant honteux de l’être. Je suis protestant et, en même temps, agnostique sur plein de questions où la société actuelle déborde de croyants et de croyances (on va en reparler de façon plus précise, dans cette Note et surtout la prochaine).
Et, ensuite, j’avais rappelé (formation permanente assurée gratos!) les analyses classiques de Durkheim, et la façon dont il distingue, 2 types différents de croyances :
- Celles qui concernent des réalités supra empiriques, symboliques, transcendantes, les « convictions », religieuses, philosophiques, morales (Durkheim indique qu’elles fonctionnent de la même manière et, depuis de nombreux travaux sociologiques l’ont confirmé).
- Celles qui sont immanentes et concernent au premier chef des réalités empiriques, des problèmes concrets, et qui (cf. Durkheim) doivent remédier sans cesse à l’aspect « fragmentaire » et incertain des démarches scientifiques.
Distinction importante, mais pas si absolue que l’on ne l’imagine, car (on va le voir) même pour les réalités empiriques, le sens que l’on donne aux choses est important.
Voilà, en gros, l’endroit où j’ai envie de reprendre le propos.[2] Cela, en indiquant qu’en deçà de la croyance, la psychologie sociale, l’anthropologie, la sociologie parlent de représentations sociales.
Quand vous êtes tout petit, tout baby que vous soyez, on va vous apprendre que tel objet est une « table », tel autre un « livre ».
Mais si ces mots désignent des réalités empiriques tangibles, ils s’insèrent également dans un ensemble qui donne sens et même (peut-on dire, consistance) à ces objets.
Un livre, ce n’est finalement le même objet, suivant que vous savez lire ou pas, que vous comprenez ou non la langue dans laquelle il est écrit.
Longtemps, chez moi, un livre (particulièrement indigeste !) a servi d’excellent cale-pied !
Quand on désigne « une table », « un livre », ou d’autres objets empiriques, il existe toujours le risque de ne pas sortir du substantialisme. Cela arrive, même aux meilleurs !
Ainsi, Hannah Arendt avait CRU récuser les termes de « religion séculière » et de « religion politique » par une métaphore : le talon de ma chaussure n’est pas un marteau parce que je peux m’en servir pour planter des clous dans le mur (donc les « religions séculières ou politiques » ne sont pas des religions)
Excuse me, part’naire, mais c’est bien l’propos d’une philosophe un tantinet substantialiste ! En fait, au moment précis où je plante des clous avec, c’est, dans la réalité empirique hic et nunc, un marteau plus qu’une chaussure. C’est une « chaussure marteau »
Quitte à redevenir uniquement une chaussure trois minutes après.
Dans la durée, certes, cela reste principalement une chaussure qui a joué le rôle momentané d’un marteau (ou devenir une arme dans une autre circonstance, et être une chaussure arme).
Mais si, régulièrement, je passe mon temps à taper des clous avec la dite chaussure, à la fin, cet objet risque de ne se déformer, donc de plus être une chaussure confortable. Il pourra servir, par contre, habituellement de marteau efficace : j’aurai pris le bon coup de main pour m’en servir.
Ou, dés le départ, il peut s’agir d’une vieille chaussure hors d‘usage ou passée de mode, ou que j’ai assez vu comme chaussure, ou l’ex chaussure de ma fille qui a grandi et changé de pointure,…bref un objet dont je me sers maintenant régulièrement comme marteau.
Une chaussure peut donc se transformer en marteau et devenir un marteau chaussure (tout comme une politique peut se transformer en religion politique)
D’abord, tout le monde a droit à une seconde chance, même une chaussure. C’est l’idéal démocratique ! (Cet argument, c’est uniquement pour le fun, bien sûr !)
Ensuite, c’est cela même le changement social, M’dame l’éminente philosophe.
Enfin, c’est très écolo, le recyclage ! Et c’est traditionnel aussi ; car ma grand-mère (dont je crois vous avoir déjà parlé à l’occasion !), question recyclage, elle était championne.
Et si Hannah Arendt était venue dire à ma grand-mère qu’une chaussure ne pouvait pas être un marteau, cette dernière lui aurait vertement répliqué que, naturellement, une bourgeoise, ça ne sait pas grand-chose de la vie réelle du peuple.
La métaphore est donc très intéressante, très riche, à l’insu de son auteure !
Et pour en finir, avant que cette métaphore ne vous rende complètement marteau (tiens, voilà un « marteau » qui n’a pourtant empiriquement rien de tel !), on peut imaginer le dialogue suivant :
-« Tiens, tu as mis là une chaussure, mais elle n’est pas du tout à sa place et il n’y en a qu’une pourquoi donc ? »
-« Parce que ce n’est pas une chaussure, c’est un marteau. »
Mine de rien, avec mes propos complètement marteaux, je vous ai conduit au cœur du problème de la représentation sociale, et même de la croyance sociale [3]: nous avons des perceptions qui proviennent de l’habitude, du sens déjà là, déjà établi, du savoir sédimenté, devenu plus ou moins stéréotypé. Nos perceptions sont immédiatement INTERPRETATIVES et nous CROYONS qu’elles désignent la réalité.
Pour la brillante Hannah (mais cela arrive à tout le monde d’être dans la naïveté et le premier degré), une chaussure, c’est une chaussure, ce n’est pas un marteau. Na !
Elle CROIT tellement énoncer une évidence, qu’elle ne pousse pas sa réflexion plus loin.
Du coup, elle tient un propos de Monsieur Tout le monde et, ce jour là, dit une bêtise, puis n’en démord pas.
Eh bien, c’est exactement ce qui s’est passé dans le discours rrrépublicano-jacobin sur les filles à foulard.
Sauf que, là, c’est plus vicelard et vicié encore. Au lieu de dire : « une chaussure est une chaussure », on a dit « une femme à foulard est une femme soumise ». Là, l’interprétation était pourtant, dés le départ manifeste ; et donc matière à discussion. Mais on a nié être dans l’interprétatif pour pouvoir être péremptoire.
On s’y est tenu à cette équivalence, sans en démordre, en dépit de tous les démentis empiriques et des nombreuses enquêtes sociologiques.
(sur ces dernières, cf. le remarquable article de Valérie Amiraux : « L’“affaire du foulard” en France. Épure d’un fait social ou, retour sur une affaire qui n’en est pas encore une », Sociologie et sociétés, XLI (2), 2009, 273-298)
Mais il faut dire qu’entre temps, ce fut la big big big décadence dans une certaine philosophie : la preuve on est passé d’Hannah Harenth à Elisabeth Badinter. C’est dire !
Heureusement que ma grand-mère n’est plus « de ce monde » ; elle a déjà assez vu, et entendu d’horreurs pendant la guerre, la pôvre !
Bref, je continue mon propos épistémologique et de haute scientificité. Ma brillantissime et très frappante démonstration ne signifie pas que représentation sociale et croyance soient kif-kif. Ce sont, en psychologie sociale notamment, deux notions distinctes.
Dans son ouvrage Vie et mort des croyances collectives (Paris, Hemann, 2006), Gérald Bronner dit (en gros) que 2 indicateurs sont communs aux 2 notions, et 2 autres spécifiques à celle de croyance.
Ce qui est commun :
1) Une représentation sociale, tout comme une croyance, possède ce qu’on appelle des « pouvoirs causaux », un « profil fonctionnel ». En termes plus simples, cela signifie qu’une représentation sociale constitue un élément opératoire pour prendre des décisions, choisir une option plutôt qu’une autre. Elle constitue une vision des choses implicitement orientée à une finalité.
2) D’autre part, le contenu d’une représentation sociale (et d’une croyance) a tendance à être « holistique » : elle a un contenu déterminé et pourtant elle tend à ne pas seulement impliquer un seul élément de la réalité mais à contenir implicitement une vision d’ensemble.
Une représentation sociale, comme une croyance, fait sens parce qu’elle inclut implicitement d’autres représentations sociales auxquelles elle est reliée, elle implique un ensemble de représentations.
Ce qui est spécifique aux croyances (pour Bronner) :
1) Les croyances ont des « contenus intentionnels ». Cela signifie que les individus ont des rapports « de validation volontaire à des énoncés qui peuvent faire sens pour autrui ».
Il y aurait donc un aspect plus actif dans les croyances que dans les autres représentations sociales.
2) D’autre part, les croyances sont des « états intentionnels de second ordre ». Cela signifie que même si toutes les croyances qui sont les nôtres ne sont pas « toutes présentes consciemment à notre esprit, elles pourraient le devenir, pour peu seulement que nous le voulions. »
Il y aurait donc un aspect plus explicite dans les croyances que dans les autres représentations sociales.
Mais la distinction n’est peut-être pas toujours aussi claire.
D’abord, bien des croyances sont passives, reflet d’une conformité sociale. L’historien, notamment, travaille beaucoup sur les croyances passives d’une époque passée, ce qui peut le mettre en alerte sur les croyances passives de la notre.
Ensuite, le « pour peu seulement que nous le voulions » serait à commenter longuement.
Là est tout le problème. Car, précisément, NOUS NE LE VOULONS PAS : un des éléments fondamentaux de la croyance sera de mettre énergie et ténacité à faire que nos croyances ne soient pas reconnues consciemment comme telles.
Tendanciellement, pour qu’une croyance soit assumée comme telle, il faut qu’elle ne soit déconstruite et, du coup, fragile, non dominante. Les croyances dominantes tendent à ne pas VOULOIR être des croyances, car alors, il serait possible, dans une société démocratique et pluraliste, de ne pas les partager, de les mettre en question, d’en débattre.
Je ne sais ce que Bronner met dans son « pour peu que nous le voulions », mais pour moi, il y a là, toute la question de la domination de l’être humain par l’être humain.
Tenez, prenons un exemple, absolument au hasard : demandez à, mettons, Elisabeth Badinter si elle estime que ses propos sur le visage (et, hier, contre la parité femme-homme, qui devait immanquablement produire le pire « communautarisme ») relèvent de la croyance.
Demandez au député moyen, français ou belge, qui aujourd’hui élève le élisabethbadintérisme en idéologie d’Etat qui doit s’imposer par la force, s’il estime être dans une croyance. Demandez, et vous ne serez pas déçu !
Ces M’sieurs-dames estiment que ce qu’ils disent est seul légitime. Et quand, vous le mettez en cause, c’est la colère ou l’arrogance, et non le débat.
(Vous avez remarqué que j’utilise le verbe « estimer », même si en fait je ne les estime guère. Mais je ne vais quand même pas employer le verbe « penser » !)
C’est pourquoi, j’aurais tendance à modifier un peu la question de Jean-Marc Schiappa pour la poser autrement :
Est-il possible d’être libre et de croire passivement ?
Est-il possible d’être libre et de croire aux croyances dominantes ?
Cela induit une autre question :
Est-il possible d’être libre et de refuser de douter ? Et cela de toute croyance, qu’elle soit convictionnelle (religieuse, philosophique, morale, politique) ou qu’elle se rapporte à des objets ou situations empiriques.
(à suivre : Promis, je ne vous ferez pas attendre un mois cette fois. Aceux et celles qui en douteraient, sachez que justement, ce sera sur doute et croyance, et (bien sûr) je veux vous donnez des raisons de « croire » en moi !!!)
[1] Comme vous le savez, cette distinction vient d’Husserl, a été reprise d’une autre manière par Heidegger, avant de sombrer, sous Sartre, dans l’être et le néant
[2] Je l’avais continuée, mais repartir de la fin de ma Note nécessiterait de disposer de ma documentation habituelle, or je n’ai pas tout transporté à Tokyo !
[3] Admirez mon art de la pédagogie, c’est d’ailleurs après m’avoir lu que, dégoutté par une telle maïeutique, Socrate a bu la ciguë en déclarant : « la relève est faite ».
09:47 Publié dans DIALOGUE AVEC UN AUTEUR | Lien permanent | Commentaires (3)
15/05/2010
Les 3 chantages du projet de loi sur la dite "burqa"
Chers Amis,
Je deviens un vrai politique : une vrai de vrai ! La preuve, je vous promets depuis Mathusalem la suite de mon dialogue sur la croyance,… et je ne réalise pas cette promesse.
Mais, il faut dire que l’actu-burqa me poursuit de ses assiduités, et que moi-même je cours après le temps.
Là, c’est le gouvernement qui a reçu un deuxième avis négatif du Conseil d’Etat et qui persiste à vouloir faire sa loi.
Avec 3 chantages à la clef.
Premier chantage : On veut nous mettre dans la situation : ou vous êtes pour la loi, ou vous êtes pour la dite burqa.
Stupide : croyez-vous que ces M’sieurs-dames du Conseil d’Etat, qui sont on ne peut plus bon-chic, bon-genre, et tous les juristes auditionnés par la Mission Parlementaire, soient favorables au port de la « burqa » ?
Croyez-vous que la Libre-pensée, qui a été l’organisation la plus offensive contre la loi de toutes les organisations auditionnées par la Mission parlementaire soit favorable au port de la burqa ?
Le problème n’est pas la dite burqa, le problème est la défense des libertés publiques et l’extension indue de la notion d’ordre public qui, dans un pays démocratique, doit être soigneusement limité.
Comme l’indique Le Figaro (14 mai), les « Sages » du Conseil d’Etat estiment que « la restriction des libertés au nom du « Vivre ensemble » « serait sans précédent ».
Donc, on nous abreuve de grands mots : « dignité », « égalité homme-femme », etc pour esquiver le vrai débat, celui de l’Etat de droit.
Il faut le dire et le redire sur tous les tons : on n’a pas besoin d’être d’accord avec ce que disent les femmes qui portent une burqa (ou un nicab) pour être contre la loi.
Second chantage : le Conseil Constitutionnel ne pourra pas nous désavouer en pleine campagne électorale.
Les députés socialistes présentent un contre-projet impliquant une interdiction partielle. Il n’est pas fameux, mais c’est un progrès par rapport à la position de départ de beaucoup d’entre eux.
Sauf quelques uns peut-être, très populistes, ils ne devraient pas voter la loi. .. qui passera quand même, puisque la majorité est…. Majoritaire.
Oui, mais le hic, c’est que mon petit doigt (qui est toujours très bien renseigné, il a travaillé pour le KGB, la CIA, les services secrets monégasques, et Monsieur X sur France-Inter, c’est dire) m’a dit à voix basse que les socialistes ne présenteront pas un recours devant le Conseil Constitutionnel.
Ils se contenteront d’admirer les merdouilles qui surgiront lors de l’application de la loi et de dire : « on vous l’avait bien dit ! »
Et de voir si on l’applique de la même manière aux Champs Elysées et dans le XVIIIe
Donc –dixit Le Figaro (décidément, j’utilise des sources très gauchistes)- « les premiers contentieux et une éventuelle question préalable de constitutionnalité » surgiront…. « juste avant les élections présidentielles ».
Or le dit Conseil, c’est 8 sur 9 personnes de droite + Charasse, nommé par Sarko, avec qui il est pote, et qui croit que la laïcité l’oblige à ne jamais entrer dans une église. Bref, un grand libéral !
Donc, le chantage implicite est : vous n’allez pas quand même pas retoquer une loi UMP, non voté par les socialos, en plein campagne électorale ! Rappelez-vous qui vous a fait roi !
Troisième chantage : la Cour européenne des droits de l’homme et la France pays des dits droits.
Alors là, c’est le chantage le plus vicelard !
La patate chaude va arriver, une fois toutes les juridictions internes épuisées, à Strasbourg, siège de la Cour européenne.
Et là, merveilleux chantage implicite, on va mettre la Cour devant un dilemme : ou vous acceptez une loi qui porte atteinte aux libertés publiques, ou vous désavouez la France, merveilleuse patrie éternelle des droits de l’homme et vous donnez une victoire à l’islamisme radical !
(que cela soit vrai ou faux, peu importe, cela se joue au niveau des représentations sociales, sur lesquelles je vous dirai des choses vachement intéressantes, dès que cette chienne de vie me laissera la possibilité de vous faire ma fameuse Note sur les croyances)
CQFD !
Les motifs du projet de loi sont, pour certains, ahurissants. C’est un virage complet dans la conception de l’Etat de droit.
- l’ordre public ne dépend plus des 3 composantes habituelles : tranquillité, sécurité, salubrité, mais de « comportements » (ici une façon de s’habiller et non un comportement qui soit une interaction sociale) « qui iraient indirectement à l’encontre de règles essentielles du contrat social républicain qui fonde notre société »
Admirez le conditionnel et le « indirectement ». Et l’invocation de la République, alors que les défenseurs de la loi nous donne l’exemple des députés belges (qui, eux, ont refusé de consulter leur Conseil d’Etat : énhaurme !!!) et que, jusqu’à plus ample dislocation, la Belgique est une monarchie
(Précisons que le Sénat belge n’a pas encore voter la loi, et pour qu’il la vote, il faut que le pays ne disparaisse pas, ce qui n’est pas gagné : les parlementaires flamands et wallons se tapant sur la figure dés que la burqa n’est plus en jeu.)
- la burqa est interdite comme étant une « réclusion publique ». Eh oui, bien sûr, car sinon les couvents, les délicieuses carmélites, etc. On ne va pas chagriner Benoît XVI, il paraît qu’il a déjà quelques menus soucis actuellement.
- « nos concitoyens », prétend l’exposé des motifs, « y voient, s’agissant du voile intégral porté par des femmes, le revendication ostensible d’un refus de l’égalité entre les hommes et les femmes ».
Génial : d’abord qu’est-ce qui permet d’affirmer cela : existe-t-il une étude un tant soit peu scientifique qui le prouve ?
Et, même si cela était mille fois prouvé, au nom de quoi l’opinion de la majorité sur la minorité fait loi ?
Mon petit doigt m’a également dit que « nos concitoyens », au bistrot du coin, quand ils ont fini de causer sur Habermas, et de déposer leur bulletin de PMU, déclarent péremptoirement, que les députés sont « nuls de chez nul. »
Mon petit doigt prétend qu’en plus, au niveau de la Mission parlementaire, on en a une preuve manifeste :
Le 8 juillet, la Mission a démarré, bille en tête, sur la laïcité : on va faire une loi Stasi II, le retour. Etc. La lecture du compte rendu de séance est éloquente là-dessus.
Et puis, patatra, les grandes associations laïques ont dit : non, pas possible d’interdire le voile intégral au nom de la laïcité. Qu’importe, le rapporteur tronque son rapport, et l’affaire est faite.
Manque de pot, le chœur des juristes auditionnés dit la même chose. Et là, le rapport de force est quand même un peu différent.
Le grand défenseur des libertés publiques, Jacques Myard, déclare que, « sous la menace », les juristes prennent la décision que veut le politique lors de l’audition de Rémy Schwartz, et celui-ci répond (en gros) : chiche (exactement : « je doute que vous puissiez menacer le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme pour obtenir une décision favorable » (c’est page 387 du Rapport : intéressant, non ?)
Brefs les juristes leur disent tous : non surtout pas au nom de la laïcité : vous vous plantez.
Et du coup, les membres de la Mission reculent.
Moralité : Les députés de la Mission d’information ne savaient pas ce qu’est la laïcité quand ils ont commencé leurs travaux.
Bravo, bravissimo !
Mon petit doigt conclut que les députés, vu l’image déplorable qu’ils donnent de la démocratie à « nos concitoyens », vont s’autodissoudre.
Mais, rassurez-vous mon petit doigt va être, lui aussi, interdit : c’est un impertinent, qui ne respecte pas les « exigences fondamentales du « vivre-ensemble » dans la société française et donc (contrevient) à l’ordre public. »
Mon petit doigt ne salue pas les députés, chapeau bas !
Et, enfin, mon petit doigt me souffle : que fait Badinter, Robert pour les dames ?
Là, les libertés publiques ne semblent plus l’intéresser. Il se tait. Il regarde OSTENSIBLEMENT ailleurs.
17:58 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (30)
12/05/2010
EXCLUSIF: UN SONDAGE SIGNIFICATIF
VOICI (en attendant la Note sur les croyances, qui débutera par un commentaire de la chronique de T. Legrand, ce matin sur France-Inter et consacrée au vote d'une résolution parlementaire sur la dite "burqa"), LE RESULTAT EXCLUSIF D'UN SONDAGE:
Ce sondage a été réalisé, par téléphone portable, entre minuit et 3 heures du matin, auprès d'un échantillon de 1234,5 personnes, âgées de 3 à 127 ans d'âge mental, et vachement représentatif de la population nationale (il y avait même un député dans l'échantillon, c'est dire si on a été libéral).
De plus, c'était fait en suivant très très scrupuleusement la méthode des quotas (laitiers, of course).
Question: QUEL A ETE L'EVENEMENT DE LA JOURNEE DU MARDI 11 MAI 2010?
REPONSES:
-l'annonce de la présélection par R. Domenech des Bleus pour la coupe du monde de foot?: 66,66665 %
-le vote d'une résolution condamnant le "voile intégral" par l'Assemblée Nationale?: 0,00001 %
-ni l'un ni l'autre? : 33,333333 %.
12:17 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (4)
07/05/2010
DISCRIMINATIONS
Deux infos importantes :
D’abord la présentation d’une étude sur les discriminations subies par les musulmans
Ensuite la présentation du Dictionnaire des racismes, de l’exclusion et des discriminations.
1) Mediapart :
Une première étude évalue la discrimination massive qui frappe les Français musulmans
Par Jade Lindgaard
Les Français musulmans sont-ils plus discriminés que les autres? La question est quasiment taboue. Il n'existe aujourd'hui qu'une poignée de données parcellaires sur la discrimination en France en raison de la religion. C'est une page qui est en train de se tourner grâce au travail d'un chercheur américain, David Laitin, professeur de sciences politiques à l'université de Stanford.
Dans le cadre du programme «Egalité des chances» de Sciences-po et de la French American Foundation, il publie avec deux chercheuses une étude sur le marché du travail français (à lire ici) qui se demande si «les Français musulmans sont discriminés dans leur propre pays».
L'enquête est expérimentale. C'est un testing, c'est-à-dire que les chercheurs ont envoyé à des employeurs potentiels les candidatures fictives de personnages inventés par eux-mêmes, leur permettant de comparer le sort réservé aux uns et aux autres.
Résultat: les CV à «caractère musulman» reçoivent 2,5 fois moins de réponses que les CV «manifestement chrétiens».
Pour les auteurs, c'est «une discrimination considérable à l'égard des musulmans» qui révèle une «vérité dérangeante»: «Dans la République française théoriquement laïque, les citoyens musulmans issus de l'immigration rencontrent, toutes choses égales par ailleurs, des obstacles à l'intégration par l'accès à l'emploi bien plus élevés que leurs homologues chrétiens.»
Mais qu'est-ce qu'un CV musulman? Hors de question d'écrire en toutes lettres la religion du personnage, cela aurait été parfaitement incongru. Les enquêteurs ont joué sur les prénoms de leurs candidates: «Marie», de tradition chrétienne, et « Khadija », nom de la première épouse de Mahomet. Et indiqué des signaux plus précis encore d'appartenance confessionnelle: Marie a travaillé au Secours catholique et fut bénévole aux Scouts et Guides de France tandis que Khadija est une ancienne employée du Secours islamique et fit du bénévolat pour les Scouts musulmans de France.
Pour le reste, les deux femmes sont identiques: célibataires, 24 ans, de nationalité française, habitantes de quartiers socio-économiquement équivalents (à Lyon), dotées d'un BTS de comptabilité et gestion, et de trois ans d'expérience professionnelle. Pour que la comparaison entre les candidats soit valable, il fallait qu'ils se correspondent en tous points sauf pour leur religion.
Elles sont noires, et selon le scénario élaboré par les chercheurs sans jamais que cela ne figure dans les CV, proviennent toutes deux de l'immigration sénégalaise. Pourquoi ce choix? Parce que vivent en France une dizaine de milliers de personnes originaires de deux communautés du Sénégal, les Joola et les Serer, qui comprennent une minorité chrétienne suffisamment nombreuse pour être comparée aux musulmans de même origine. Les deux groupes sont présents en France depuis environ le même nombre d'années. «Marie» et «Khadija» s'appellent donc toutes deux «Diouf», un patronyme typiquement sénégalais.
Un troisième personnage, «Aurélie Ménard», fut créé pour faire diversion. Les CV de Marie et Khadija ne furent pas transmis aux mêmes entreprises, mais toujours en couple avec celui d'Aurélie. C'est un cabinet associatif, ISM-CORUM, spécialisé dans l'étude des discriminations, qui a posé les candidatures. Le temps de réponse des employeurs a varié entre une journée et un mois. La période d'envoi s'est étalée sur quatre mois. Au total, un peu moins de 550 CV ont été envoyés.
- Comme l'Alsace-Lorraine sous la IIIe République
Que s'est-il donc passé une fois les documents envoyés? Alors que Marie Diouf a obtenu 21% de réponses positives (un rendez-vous pour un entretien d'embauche), Khadija Diouf n'a pu compter que sur 8% d'issues favorables. Pour 100 réponses positives, Khadija n'en reçoit que 38, soit près de 2,5 fois moins.
Spécialiste de discrimination positive et animateur d'un séminaire à Sciences-po sur les politiques antidiscriminatoire
Cette enquête est une première; elle n'est pas dénuée de faiblesses. La double insistance sur les activités à caractère confessionnel des candidates est peut-être outrée, et a pu braquer des employeurs qui n'auraient pas réagi de la même manière autrement. Ont-ils rejeté la musulmane ou la militante? Autre limite: ce sont des femmes noires qui ont fait l'objet du testing, et non des hommes arabes, pourtant soumis à des préjugés potentiellement plus dégradants.
L'étude ne risque-t-elle pas de sous-estimer et de biaiser la compréhension du rejet supposé à l'égard des musulmans? Non, conteste David Laitin: «Nos résultats sous-estiment l'ampleur de la discrimination, puisque peu de Français associent l'islam radical aux Sénégalais. Pourtant, nous constatons une discrimination significative. Nos résultats sont d'autant plus intéressants.»
Ce projet est né du constat de «plusieurs signes de malaise dans la société française vis-à-vis des musulmans, surtout depuis le 11 Septembre: la controverse autour de l'entrée de la Turquie en Europe, du port du voile, de la construction de mosquées...», explique Marie-Anne Valfort, maître de conférences en sciences économiques à Paris I, et co-auteure de l'enquête. Peut-on conclure à l'existence d'une discrimination des musulmans en France? «Ce n'est qu'une première étape, il fallait commencer par caractériser cette discrimination», explique la chercheuse, qui poursuit le travail avec ses collègues. Parallèlement au testing, une enquête a été menée, sous la forme de jeux comportementaux, pour comprendre comment se produisent les décisions conduisant à de la discrimination. Les premiers résultats en sont attendus d'ici la fin de l'été.
2) La librairie Le Divan et les éditions Larousse, à l'occasion de la parution du
Dictionnaire des racismes, de l'exclusion et des discriminations
vous invitent à une rencontre-débat, le mardi 11 mai à 19h30,
avec Esther Benbassa, directrice de l’ouvrage, historienne,
directrice d’études à l’Ecole pratique des hautes études,
et 3 des 40 contributeurs:
Jean-Christophe Attias, directeur d’études à l’EPHE,
Pascal Blanchard, co-directeur du Groupe de recherche Achac et chercheur associé au laboratoire Communication et Politique (CNRS),
et Georges Sidéris, maître de conférences à l’IUFM de Paris-Université Paris 4 Sorbonne.
La discussion se poursuivra autour d’un verre.
Librairie Le Divan , 203, rue de la Convention, 75015 Paris. Accès : M° Convention.
- Pour consulter l'ensemble des comptes rendus, entretiens et émissions de radio et de télévision auxquels cette publication a donné lieu depuis le 25 mars, cliquer ici
- Pour télécharger le communiqué de presse de l'éditeur, cliquer ici
Dans quelques jours : la suite de la Note sur la croyance.
Peut-on vivre sans croire ?
Quelles sont les divers types de croyances ?
Croyance et liberté ?
19:43 Publié dans Laïcité et diversité culturelle | Lien permanent | Commentaires (2)
30/04/2010
LA LOI SUR LE VOILE INTEGRAL
Table ronde
La loi du voile : l’État du dÉbat
03 mai 2010
18h00-20h00
Salle Denys et Maurice Lombard, 96 Bd Raspail, 75006 Paris
Faut-il interdire le port du voile islamique en France ? Quelles doivent être les modalités d’une éventuelle interdiction : générales, ou ménageant des distinctions entre types de voile ou espaces de prohibition ? Comment mener le débat public ? Dans quel cadre juridique s’inscrit-il ? Comment concilier libertés individuelles et valeurs républicaines ? Le port du voile est-il l’expression d’une liberté ou d’une servitude ?
Cette table ronde propose de faire un état du débat en France (ses lieux, ses protagonistes, ses procédures) et d’analyser les argumentaires mobilisés ainsi que les travaux des commissions parlementaires (Stasi, Gérin, Raoult), au prisme de différents points de vue (religieux, sociologique, politique, juridique, etc.).
On introduira des éléments comparatifs avec la situation en Egypte, où le débat est vif.
L’inscription de l’Islam, religion et culture, dans le paysage français, renvoie à des interrogations fortes sur sa compatibilité avec les valeurs de la République, le respect des droits humains (notamment l’égalité hommes-femmes), ou encore avec la déclinaison des politiques dites d’intégration.
Parmi les thématiques qui ont suscité le débat public, celle des tenues vestimentaires des femmes corrélées à la pratique de l’islam, le voile sous toutes ses déclinaisons, a indiscutablement suscité les échanges les plus virulents dans l’arène politique. Cette montée dans l’agenda, contraignant les pouvoirs publics à se saisir de la question, s’est faite en deux temps.
En 1989, l’apparition du foulard islamique dans les écoles et les premiers incidents consécutifs, ont amené le gouvernement à saisir le Conseil d’Etat, dont l’avis invitait les pouvoirs publics à une prudence législative, et à une vigilance sur l’obligation scolaire, les règles de sécurité, et le respect de l’ordre public, ce qui conduisait à localiser la gestion des litiges.
Mais ce dispositif n’a pas mis fin aux tensions et, au terme d’une longue gestation, la loi du 15 mars 2004 est venue prohiber le « port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse » dans les établissements scolaires de l’enseignement public.
Mais le débat sur le port du voile a rebondi selon deux modalités : à travers la question du port du voile dans d’autres espaces que l’école (université, monde du travail, services publics et autres lieux publics…) qui occasionne des contentieux de plus en plus abondants ; par la mise en cause de nouveaux voiles « intégraux », correspondant à de nouvelles pratiques, dont la visibilité et la symbolique autour du corps féminin ne pouvaient que relancer le débat.
Aussi, il semble que nous nous acheminions vers un nouveau traitement législatif d’une question de société, comme l’a indiqué récemment le chef de l’Etat à la suite des travaux de la mission d’information parlementaire sur le port du voile intégral, qui a remis son rapport le 26 janvier 2010.
Denis Gril
Professeur à l'Université de Provence, rattaché à l'IREMAM (Aix en Provence),
Le voile dans les textes sacrés…
Anne Levade
Professeur de droit, Université Paris XII, membre du Comité de Réflexion et de Proposition sur la Modernisation et le Rééquilibrage des Institutions de la Vème République
Le niqab selon la loi française…
Jean Baubérot
Directeur d'études Emérite à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes (chaire "Histoire et sociologie de la laïcité")
Déroulement de la Commission Gérin …
Nathalie Bernard-Maugiron
Chargée de recherche en droit (Développement et Sociétés)
Revirement législatif sur la loi du niqab en Egypte…
Maryam Borghée
Master II en sociologie EHESS… sous la direction de Michel Wierworka
Le phénomène du "voile total" …
Présentation et animation: Sabrina Mervin, chercheure au CNRS, historienne, co-directrice de l’IISMM
Attention: inscription nécessaire auprès de Marie-Hélène Bayle, au: 0153635602;
Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche - École des Hautes Études en Sciences Sociales
96 boulevard Raspail – 75006 PARIS, téléphone 01.53.63.56.00, télécopie 01.53.63.56.10, iismm@ehess.fr, http://iismm/ehess.fr
18:27 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (38)
27/04/2010
La liberté de conscience des femmes
Je reprendrais le dialogue avec J.-M. Schiappa dans ma prochaine Note, en tenant compte des commentaires rédigés sur la 1ère.
Etant donné que le débat sur la dite « burqa » s’enflamme, je vous propose aujourd’hui une invité exceptionnelle : Valentine Zuber
J’avais signalé sous article dans Réforme, Plusieurs internautes sont allés consulter le site de cet hebdo, mais l’article n’est accessible qu’aux abonnés.
Ils me l’ont alors réclamé et Valentine a accepté qu’il soit republié sur le Blog.
Donc, voila de VALENTINE ZUBER :
« Pour une laïcité respectueuse de la liberté de conscience, même de celle des femmes »,
Je voudrais réagir à la mise en cause par Max Chaleil de certains protestants qui renieraient selon lui le combat en faveur de la liberté et de la laïcité porté par leurs ancêtres depuis le XVIe siècle. En éludant le problème de la burqa ils mettraient, ce faisant, « les femmes, la religion et la démocratie » en grave danger.
Sans m’appesantir plus que cela sur le formidable et très contestable raccourci historique qui est devenu un véritable lieu commun de la mythologie bien pensante des protestants français, je crois au contraire que c’est le genre de raisonnement tenu par Max Chaleil qui est potentiellement porteur d’atteintes graves à la laïcité et à la liberté individuelle, et en particulier celles des femmes.
En tant qu’historienne de la laïcité, je voudrais rappeler que la laïcité française (d’inspiration protestante ou non) ne s’est parée du discours féministe que depuis très peu d’années.
D’un point de vue historique, on peut même dire que le processus de laïcisation français s’est presqu’entièrement déroulé à l’insu du développement du droit des femmes. C’est ainsi que l’universalisme abstrait défendu dès la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789, prétendait parler de l’homme en tant qu’être humain alors qu’en fait il ne s’adressait véritablement qu’à l’homme, en tant que représentant du genre masculin.
Et s’il est vrai que si la Révolution a bien accordé certains droits civils aux femmes, elle ne leur a rien lâché en ce qui concerne leurs droits politiques. On a longtemps appris sur les bancs de l’école publique française que l’instauration du suffrage universel datait en France de la Révolution de1848, sans jamais préciser qu’il s’agissait d’un « universel » uniquement masculin…
La France a d’ailleurs accordé extrêmement tardivement le droit de vote aux femmes (1944-45), bien après des pays comme le Danemark ou le Royaume-Uni (1915), la Belgique (1920) ou même la Turquie (1934).
Il faut dire que dans le contexte du conflit des deux France, entre Républicains et Catholiques, les femmes étaient considérées comme étant des alliées inconditionnelles de la France cléricale et donc politiquement soumises au parti de la réaction.
Ce stéréotype a longtemps perduré et la laïcité française s’est partiellement construite sur la mise à l’écart de la moitié de la population, celle jugée politiquement peu sûre. La laïcité française n’a donc en aucun cas été le garant d’avancées féministes pendant la plus longue partie de son histoire en France.
Le discours semble avoir changé depuis la fin des années soixante-dix. Et la militance féministe s’est récemment emparée de l’étendard de la laïcité. Une partie d’entre elle l’a fait en défendant le refus de l’ouverture de l’école publique aux filles voilées pour tenter de les détacher de leurs mentors.
En dépit des bruyantes proclamations en faveur de l’émancipation de toutes les femmes, il ne me paraît cependant pas que le discours de type laïque antiféministe ait vraiment disparu du paysage.
Et certaines féministes républicaines s’en sont paradoxalement faites les courroies de transmission. Lors des grandes consultations sur la laïcité (comme lors de la commission Stasi de 2003), les jeunes filles intéressées n’ont pas ou très peu été entendues par les experts.
Et le discours sur l’émancipation nécessaire et volontariste que la République devrait aux « faibles femmes » musulmanes menacées par leur mari, frère ou père, rappelle bien souvent les discours paternalistes et machistes des Républicains de la fin du XIXe siècle qui mettaient en cause les qualités physiologiques et morales de ces premières « faibles femmes » alors sous l’emprise de leurs émotions hystériques et de leurs curés.
A cause de ses impensés paternalistes et idéologiques, le discours féministe républicain, dominant dans les médias en France, s’est donc inscrit à contre-courant de celui du féminisme anglo-saxon ou du féminisme musulman naissant qui prônent d’abord la liberté accordée aux femmes dans leur choix de vie plutôt qu’une libération imposée de l’extérieur par l’Etat aux individus.
Discours idéologique, et donc par cela aussi peu laïque que possible, le féminisme républicain continue de réclamer une politique coercitive contre certaines femmes au nom de leur liberté, là où la laïcité prône le respect et la liberté d’expression et de croyance pour tous les individus considérés comme adultes et responsables.
Une féministe républicaine comme Elizabeth Badinter a pu ainsi proclamer sans sourciller devant la récente Mission parlementaire sur le port du voile intégral que la liberté de conscience ne pouvait pas être complètement respectée en France puisque l’Etat combattait les sectes, auxquelles elle a immédiatement assimilé le mouvement salafiste prônant le port du voile intégral par les femmes[1].
Ce qui se joue en effet dans ce débat, c’est l’opposition culturelle centenaire entre deux conceptions antithétiques de la liberté individuelle en matière de religion :
une conception de la liberté de type libérale qui fait de la conscience individuelle un absolu et une conception de la liberté de penser qui, en se voulant « émancipatrice », s’arroge le droit de limiter la liberté de conscience de certains individus sous le prétexte qu’ils sont aliénés et incapables de se défendre.
M. Chaleil consacre un long paragraphe dans lequel il s’imagine dans l’esprit d’une femme voilée (!!!) pour démontrer que celle-ci n’aurait aucunement « la possibilité de décider par elle-même… ».
Que sait donc l’homme blanc chrétien occidental qu’il est de la psychologie de la femme, en particulier musulmane ?
Quand donc tous ces « défenseurs des femmes » les prendront enfin comme des individus à part entière, responsables et majeures politiquement ?
Les laisserons-nous s'exprimer à leur manière sans toujours chercher à déprécier leurs arguments, tirés d’une raison agissante qui vaut bien la nôtre ?
Ce n’est pas un hasard si, aujourd’hui comme hier, ce sont les femmes qui sont l’objet (et la cible) de ce discours républicain soi-disant émancipateur.
La figure stéréotypée de la femme musulmane voilée comme prototype de la victime a été popularisée par le grand débat politico-médiatique pour être ensuite instrumentalisée par le discours des féministes républicaines dont le mouvement « Ni putes ni soumises », complètement récupéré par le monde politique et non représentatif, s’est fait le porte-voix.
Mais les musulmanes mises en cause ne se sont généralement pas reconnues dans ce discours et ont commencé à réagir, en se réclamant elles aussi, de la laïcité de l’Etat comme garante de leur liberté religieuse.
On entrevoit depuis quelques années maintenant l’émergence d’un discours féministe musulman qui entretient des rapports à la laïcité à la fois moins passionnels que les précédents et, aussi paradoxal que cela puisse paraître, plus sécularisés.
La candidature récente aux élection régionales de la jeune femme s’affichant ouvertement de convictions musulmanes du NPA en est un écho instructif. Bizarrement, ce discours a de la peine à se faire entendre et disparaît trop souvent sous les cris indignés de ceux qui ont le pouvoir, en particulier celui des mots.
La relecture particulièrement partisane que M. Chaleil fait de l’analyse sociologique du phénomène du voile intégral proposée par Jean Baubérot en est une illustration saisissante.
Trop souvent en effet, les médias continuent à préférer diffuser les tribunes d’indignations bien pensantes des intellectuels bourgeois désemparés devant les manifestations ostensibles d’une certaine identité musulmane qui se considère comme depuis trop longtemps bafouée par la culture dominante.
Et ils ne veulent pas prendre en compte les tentatives d’explication (qui ne sont en aucune manière des approbations) de ceux qui veulent éclairer les termes et les raisons socio-culturelles de ce débat en cours dans la plupart des grandes démocraties.
Les « affaires du voile islamique » successives et la récente polémique sur le port du voile intégral ainsi que le calamiteux débat sur l’identité nationale ont progressivement islamisé les termes du débat.
C’est un moment de recomposition culturelle particulièrement important que nous vivons actuellement et qui met singulièrement à l’épreuve la volonté de maintenir un débat réellement démocratique et laïque dans les pays qui s’en réclament.
En ne cessant de demander des lois, certains voudraient construire artificiellement des murs qui, comme tous les murs, ne sont jamais assez hauts pour endiguer la contestation de ceux qui se sentent écartés du débat public et niés dans leurs singularités individuelles.
Je crois au contraire que le principe de la laïcité française tel qu’il est magnifiquement exposé dans le premier article de la loi de séparation de 1905[2] est assez solide par lui-même pour n’avoir pas besoin de se voir préciser (et limiter) par des lois particulières et de circonstance.
Je veux croire à une laïcité moderne à la fois féministe et respectueuse de la liberté d’expression de tous les individus, qu’ils soient de genres masculin ou de genre féminin.
Et je veux défendre encore une fois l’inaliénabilité de la conscience en appelant au respect absolu de celle-ci, en tant que femme, chrétienne protestante, viscéralement attachée au principe démocratique et à la laïcité de l’espace et du discours publics.
Valentine Zuber, Maître de Conférences à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, chaire de Sociologie des religions et de la laicité », 2 mars 2010.
[1]. Rapport d’information au nom de la Mission d’information sur la pratique du voile intégral sur le territoire national, Président M. André Gérin, Rapporteur M. Éric Raoult, Députés , 26 janvier 2010. Texte : http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i2262.asp, Audition d’Elizabeth Badinter, 9 septembre 2009, p. 104.
[2] « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public».
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