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25/06/2011

Hôpital et Laïcité

Conférence-Débat
 
Centre Migrations et Citoyennetés
 
Mercredi 29 juin 2011 de 18h00 à 19h3
 Ifri, salle de conférences, 27 rue de la Procession, 75015 PARIS -
Métro Volontaires (12) ou Pasteur (6)
 
 
 
discriminations
à l'hôpital
 
Une enquête sociologique, dirigée par Christophe Bertossi (Directeur du Centre Migrations
et Citoyenneté de l'IFRI),
qui la présentera, dément les
IDEES RECUES et les STEREOTYPES véhiculés sur la question.
.
Ses conclusions seront commentées par
John Bowen, University  Wachington, Saint-Louis, USA et
Jean Baubérot, Groupe Sociétés, Religions, Laïcités (CNRS-EPHE)
 
 
 
Une pièce d'identité vous sera demandée à l'accueil.
Pour plus d'information, contacter Pauline Ollier : 01 40 61 72 84 -
 
Institut français des relations internationales
27, rue de la Procession, 75740 Paris cedex 15
Tél : 01 40 61 60 00 - Fax : 01 40 61 60 60 - courriel :
ifri@ifri.org

21/06/2011

Contre l'interdiction des sorties scolaires aux mères qui portent un foulard;

Le Collectif Féministe Pour l'Egalité vous invite à participer une réunion publique

Mamans Toutes Égales
Dimanche 26 juin à 15h


Dans les locaux de la Ligue des Droits de l’Homme,
138 Rue Marcadet, 75018 Paris

(Métro Lamarck Caulaincourt ou Jules Joffrin)

Pour continuer la campagne contre l’interdiction faite aux mères d’élève portant un foulard de participer aux sorties scolaires.
Une garderie sera organisée pour les enfants.
Un pot d’amitié aura lieu à la fin de la réunion

 

Vous trouverez la pétition du Collectif "Mamans toutes égales , notamment, par le lien des Indivisibles :

 http://lesindivisibles.fr/documentation/revue-de-presse/m...

  Ils l'ont également diffusé sur leur facebook :https://www.facebook.com/pages/Les-Indivisibles/182318881134

et twitter :

 

Vous avez aussi le Site web de Mamans toutes égales :

http://mamans-toutes-egales.tumblr.com 

 

Contact 

collectif.mte@gmail.com

Je l'ai déjà plusieurs fois indiqué: il y a une actuellement une offensive pour marginaliser socialement les femmes qui portent un foulard. Dans les 26 propositions de l'UMP, celles qui ont le plus de "chances" (= de risque) d'être réalisées, sont celles qui les concernent directement ou indirectement.

- interdiction de travailler dans organisme qui concourent au service public, ou qui ont une mission d'intérêt général,

- demande d'une "certaine neutralité" dans les entreprises privées

Celà signifie leur rendre très difficile le marché du travail. Le but est clair: les cantonner à la maison. Mais cela ne suffit pas: Maintenant, Luc Chatel voudrait leur interdire d'encadrer les sorties scolaires dans les écoles où vont leurs enfants. Dans certains établissements, on les empêche de pénétrer dans l'école ou on les  fait rentrer par une porte dérobée, ce qui les stigmatise face à leurs enfants et les prive d'une activité sociale utile. Bref, tout est fait pour faire en sorte qu'elle ne soient pas des femmes comme les autres.

le collectif "Mamans toutes égales" se bat contre cette situation. Il a déjà obtenu un premier succés puisque Fillon modère les ardeurs liberticides de Luc Chatel, hésite à le suivre. Mais, attention, il peut s'agir d'attendre les vacances d'été pour réaliser son mauvais coup. Car Fillon n'a pas dit qu'il s'opposait à cette mesure. L'attentisme fillonien ne doit dopnc surtout pas conduire à baisser la garde.

Nous sommes tous concernés: ces interdictions ne sont pas seulement des atteintes contre des femmes musulmanes, même si celles-ci sont, effectivement, les premières visées. Ces interdictions sont des atteintes aux libertés publiques. De graves atteintes. ce ne sont pas les premières et, si nous laissons faire, ce ne sont certainement pas les dernières.

 Nous devons être tous consternés... et mobilisés. La liberté du minoritaire constitue toujours un indice fort de la bonne santé d'une démocratie. Tout un chacun est donc indirectement atteint dans SA PROPRE LIBERTE et peut l'être plus directement un jour ou l'autre. En 2004, au moment de la loi sur l'interdiction des signes religieux à l'école publique, il a été dit et répété d'une part, que cela allait "ramener la tranquillité", d'autre part que cela concernait des personnes mineures. Considère-t-on les femmes avec foulord comme d'éternelles mineures? En sommes nous revenus au Code Civil de 1804 qui minorait les femmes?

Ce qui se passe est d'autant plus stupide que si la suspiçion à l'égard du foulard s'est développée dans le contexte de la fatwa de l'imam Komeyni contre Salman Rushdie, et des peurs diverses concernant un islam politique transnational, la loi de 2004 a suivi le 11 septembre, la situation a bien changé depuis.

Voyons ce qu'il en est au niveau de "M - Mme Français moyen" très influencé par ce qu'il voit à la télévision: la mort, dans des conditions pourtant contestables, de Ben Laden n'a pas suscité de vagues de protestations dans ce que d'aucuns (comme fr Baroin par exemple) appellent le "monde musulman"; les révolutions arabes ont télévisuellement familiarisé des images de femmes à foulard combattant pour la démocratie et des sociétés de droits.

Aussi bien les politiciens au pouvoir ne peuvent même pas prendre comme cache sexe le prétexte d'une pression médiatique et de l'opinion publique. Non, s'est simplement leur course après Marine le Pen. Comme si cela allait leur faire gagner des voix! C'est à la fois liberticide et stupide. Comme si on voulait à tout prix diviser les Français.

Et dans cette politique folle, c'est la laïcité elle-même qui est menacée. Mais la laïcité, en fait, ce n'est vraiment pas leur affaire.

 

13/12/2008

PS et SEGOLENE, MARKETING, SYMBOLIQUE et POLITIQUE

Tout d’abord : Bravo les Québécois, vous avez renvoyé Mario Dumont à ses zactivités familiales, qu’il avait un peu négligées tout en défendant la famille.

Pour les autres internautes je précise que Mario Dumont est, au Québec, le leader d’une formation politique l’ADQ, qui prône des valeurs traditionnelles dites « québécoises » et, surtout, avait surfé, aux élections de 2007, sur un climat défavorable aux migrants (pour dire les choses vite et donc de façon trop schématique). Il avait eu 41 députés (sur 125). Il n’en a plus aujourd’hui que 7.

Bravo les Québécois, et pour vous féliciter concrètement, vous allez avoir bientôt, dans les librairies dignes de ce nom, le formidable ouvrage de votre honoré serviteur : Une laïcité interculturelle, le Québec avenir de la France ? (éditions de l’Aube). Patience, cela ne saurait tarder…

Comme le Québec est en avance sur la France, l’éditeur, pour équilibrer a publié le livre en France, avant le Québec. Et, ceux qui ont la chance inouïe d’être de beaux Français ou d’habiter dans ce merveilleux pays, vous pouvez déjà, sans bousculer les vieilles dames toutefois, vous précipiter chez les libraires pour l’acheter.

Ne tardez pas : il parait que chez Gibert, au Quartier Latin, le 1er stock commandé est déjà épuisé.

 

Et puis, tant que vous y êtes, achetez d’autres ouvrages publiés par les éditions de l’Aube. Tenez, comme cadeau de Noël, vous pouvez offrir les romans policiers de He Jiahong, qui se passent dans la Chine actuelle, et qui sont passionnants (Le mystérieux Tableau ancien ; Crime de sang ; L’Enigme de la pierre Œil de Dragon ; Crimes et Délits à la Bourse de Pékin).

Je vous recommande aussi deux autres livres : Après la démocratie d’Emmanuel Todd chez Gallimard, dont je vous reparlerai sûrement.

Voilà, en effet, une pensée libre et fondée sur des recherches très sérieuses qui pose la question qui me taraude aussi : Et si la France méritait Sarkozy ? Si elle l’avait élu non pas malgré ce qu’il est mais justement à cause de ce qu’il est ?

Parfois les propos sont un peu à l’emporte pièce, parfois je ne suis pas du tout d’accord, mais cela me semble toujours extrêmement intéressant et fourmille didées incorrectes et passionnantes (un exemple entre mille : les pages dures, courageuses et pertinentes sur Finkielkraut).

Enfin, pour celles et ceux qui veulent se recycler en sociologie, je recommande chaleureusement Les nouvelles sociologies de Philippe Corcuff chez Armand Colin (2ème édit. refondue parue en 2007).

Un livre de poche de 128 pages qui réussit le tour de force d’expliquer clairement les principaux domaines de recherches, tout en mettant en œuvre un esprit critique très pertinent. Là aussi, on perçoit l’ouvrage d’un homme libre, qui a pas mal appris du meilleur de Bourdieu et de ses analyses de la domination sans s’enfermer dans un système bourdieusien car la sociologie a aussi existé à côté de Bourdieu et continue après lui.

Il a écrit aussi La société de verre - Pour une éthique de la fragilité (Armand Colin, collection "Individu et Société", 2002), où il développe la notion intéressante de "Lumières tamisées" contre des « Lumières aveuglantes ».

Donc voilà quelques belles zidées de cadeaux, y compris à vous-même puisque, et c’est presque une citation de Ségolène (qui a du le trouver dans un livre ancien), « il faut aimer son prochain comme soi-même », et donc soi-même comme son prochain, non ?

 

Pour le moment, reprenons la suite de la Note du  6 décembre. Nous en étions au PS et au fait qu’au Congrés de Reims, des militants avaient sifflé l’envolée finale de Ségolène. Or, sans le dire, et exprès, la coquine citait Jaurès.

C’est donc Jaurès qui s’est fait copieusement sifflé : son propos s’est trouvé confondu avec un discours de « télé-évangéliste » heurtant la « culture laïque » des dits militants. A partir de là j’avions pontifié pour vous bassiner avec mes dadas sur la nécessité de l’utopie, l’importance du symbolique,etc. Et, n’en doutez pas, je vais continuer.

 Cela vous apprendra à venir surfer sur mon Blog !

Ca y est, vous êtes remis dans la course ? OK. L’erreur commise est de croire que la « culture laïque » doit conduire à avoir un encéphalogramme plat au niveau du symbolique. Double erreur.

-         erreur de confondre une « culture laïque » et une culture athée. C’est une erreur symétrique à celle de Sarko quand il oppose « morale laïque » et morale des catholiques, comme si la morale laïque état réservée à ceux qui sont « sans religion » (comme disent les sondages). Et implicitement, je rencontre tout le temps cette erreur, au PS et ailleurs.

-         erreur de croire que les athées, indifférents en matière religieuse, agnostiques, etc vivraient en dehors du symbolique, de la croyance et même de ce que l’on peut appeler le « spirituel ». Comme le reste du pôvre monde, ils ont leurs croyances, leurs mythes, leurs légendes dorées et noires (tenez publicité gratuite : dans le livre sur Une laïcité interculturelle, je décrypte celles de féministes québécoises), leurs rituels, etc.

 

La culture laïque, c’est d’apprendre à distinguer l’ensemble du symbolique d’une démarche de connaissance, du savoir. En sachant d’ailleurs que les deux ne sont pas séparés à 100% (mais c’est itou pour religion et politique, Eglise et Etat, etc ); ce qui m’empêche pas qu’il peut exister une séparation assez conséquente pour être honnête et qu’une logique de séparation, ce n’est pas la même chose qu’une logique de liens étroits, de confusion.

Et la distinction entre le croire et le savoir est une contidion indispensable (même si elle n'est pas suffisante à elle seule) pour prendre de la distance à l'égard de ses propres croyances et pour savoir toute l'importance sociale (et même intellectuelle) du croire. Sinon on est dans l'illusion d'être soi même hors du champs des croyances, et de croire que les croyances d'autrui ne sont qu'illusions.

E. Todd, dans l'ouvrage cité, va jusqu'à dire que "la conscience de classe relève de la catégorie plus générale des "croyances collectives" dont la matrice est d'ordre religieux". Il fait du contexte actuel "d'isolement métaphysique des individus" (c'est ainsi qu'il le qualifie) un élément clef de la situation (p. 182 s; mais c'est un des thèmes récurrent du livre). 

La culture laïque doit être une culture libre et éclairée, du moins une culture qui tente d’être libre et éclairée : C’est un long chemin et un combat de chaque jour :

-         Libre d’être dans l’utopie, le symbolique, le spirituel. Et de mille manières. Et cela de façon consciente.

-         Eclairée car elle sait que le savoir, cela existe et qu’il faut aussi l’acquérir. Ne pas confondre croire et savoir. Eclairée, car elle pratique assidûment la gymnastique intellectuelle qui articule, sans les confondre, croire et savoir.

Cela n’est ni évident ni facile. Cela exige entraînement, effort, acquisition de matériaux appropriés, souplesse et fermeté, capacité de se critiquer soi-même, capacité aussi d’échapper au relativisme, au cynisme, au premier degrés qu’il soit religieux, moraliste ou scientiste.

Cela nécessite aussi le savoir que la réalité est toujours saisie à travers des représentations : quand vous voyez une chaise, vous ne voyez pas seulement un objet brut, car alors vous ne sauriez ni le nommer ni à quoi il sert. Vous voyez un objet que votre mémoire vous fait, immediatly, qualifier le « chaise » (ou de « fauteuil, ce qui ne connote pas la même chose), classement lié à un ensemble de représentations implicites.

Et c’est là que je répondrai à « Mulot » (5ème commentaire de la Note du 27/11) : si je veux accomplir une démarche de connaissance, acquérir un savoir un tantinet de l’ordre du scientifique, impossible de m’en tenir à la définition du Robert, de n’importe quel dictionnaire. Si, en revanche, je veux travailler sur les représentations sociales ; alors là, le dictionnaire me sera précieux. Eh oui, c’est selon. C’est cela la gym intellectuelle ! Et la solution de l’apparente contradiction que vous pointâtes, cher Monsieur.

 

J’avais annoncé, dans la Note du 6 décembre, que je réagirais à l’ouvrage de François Belley : Ségolène, la femme marque (éditions Peau de Com), que j’ai trouvé à la fois fort intéressant et réducteur. Il serait trop long de résumer l’ouvrage, et l’indication de son plan suffit à donner ses thèses principales :

I Ségolène R, une griffe politique.

II Ségolène R, une marque qui répond aux tendances du marché.

III Ségolène R, du statut de la marque à celui d’icône.

IV Ségolène R, de la phase de croissance à la maturité de la marque.

La faille du livre, c’est que tout au long, il nous explique en quoi Ségolène est géniale en marketing. Alors on se demande, au bout du compte, pourquoi elle n’a pas été élue présidente avec 60% des voix, même s’il indique, en cours de route que, question marketing, Sarko et sa campagne, ça a été pas mal non plus.

Il fait comme si elle dominait tout, était dans la toute puissance.

Le risque du livre, c’est de prétendre que Ségolène ce n’est que du marketing (c’est un peu aussi l’idée d’Emmanuel Todd, mais il le dit tellement allusivement, comme s’il s’agissait d’une évidence, on peut donc difficilement en débattre à partir de son livre).

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C’est là que je voudrais émettre deux constats, faire une hypothèse, apporter un témoignage de quelqu’un qui l’a vue à l’œuvre de prés et qui a tenté d’être à la fois acteur et sociologue (pas facile !).

 

D’abord premier constat, c’est que pendant que les militants sifflent Jaurès et négligent ainsi le symbolique, les experts en marketing, eux, s’y intéressent, et même s’y intéressent drôlement. F. Belley s’appuie beaucoup sur un ouvrage de Georges Lewy, au titre significatif, Les marques mythologies du quotidien (Village mondial, 2004).

Il y a dans ce livre une intelligence certaine de certains aspects du symbolique. Que cela plaise ou non, force est de le constater.

On ne peut pas reprocher aux gens d’être intelligents. Si on veut combattre leur influence, il faut être encore plus intelligents qu’eux (surtout que, bien sûr, on a beaucoup moins de puissance).

Second constat : Le politique, pour être « performatif », ne peut pas ignorer (c’est une litote !) les techniques de marketing (et tous les humains politiques y ont recours). Cela, je le constate, même si je le regrette.

En effet, le marketing n’est certes pas le mal en soi, mais dans sa puissance actuelle, et sans le vouloir (son but est de faire vendre dans un environnement très concurrentiel), il formate la société dans des codes réducteurs. Et les effets sont redoutables : voyez comment des codes vestimentaires s’imposent par pression médiatique, et auprès de celles et ceux dont les parents tentent de résister, par pression sociale des paires, aux élèves, maintenant dés le primaire.

 

J’indiquerai plus tard (il faut bien un peu de suspens !) ce que je pense de cette relation entre politique et marketing. Pourquoi il faut l’assumer, sans honte.

Mais je voudrais tout de suite faire l’hypothèse (et l’appuyer sur un témoignage) que si les techniques de marketing sont nécessaires pour réussir en politique, elles ne me semblent pas suffisantes. Quand on vous met en image une belle jeune femme ou une belle grande cause pour vous vendre un produit, le but n’est ni de rendre hommage à la beauté des femmes, ni de servir une cause humanitaire, mais bien de vous faire acheter le produit, sous couvert de marque.

Il y a une extériorité à peu près complète entre les deux.

Longtemps, j’ai cru qu’il existait la même extériorité en politique. Quand je suis devenu conseiller de Ségolène, et que j’ai approché de plus près le monde politique, je me suis aperçu que, d’une certaine manière, beaucoup de politiques, en tout cas du côté des socialistes, croyaient plus ou moins en ce qu’ils déclaraient publiquement, étaient convaincus de la véracité d’au moins une partie de ce qu’ils affirmaient. Que d’une manière générale, ils étaient moins cyniques que ce que je croyais.

Et mon changement de point de vue, paradoxalement, a été du à ce que mon rapport avec eux n’était plus essentiellement médiatisé par les médias de masse. Je les côtoyais dans la quotidienneté de leur action, dans des réunions en tout petit comité où ils n’avaient pas à donner le change.

Et cela s’applique à des gens dont je ne partage pas forcément les idées. Un Claude Bartolone, par exemple qui était alors ministre de la ville. est un homme de conviction. 

Mais cela s’applique au carré à Ségolène Royal. Au carré, que dis-je au cube car non seulement la manière relativiste dont j’ai parlé des convictions (« d’une certaine manière », etc) ne s’appliquait pas à elle ; d’autre part elle avait (déjà) des convictions plus personnelles que collectives.

Elle avait des convictions fortes, un élan enthousiaste, par exemple la conviction qu’elle allait (avec l’équipe qui l’entourait) réussir à inverser la socialisation à l’incivilité (je veux dire par là tout le contexte qui pousse les gamins  à devenir incivils, ce dont ils sont ensuite, elle le disait, les 1ères victimes) en socialisation en une citoyenneté civile.

(je rappelle à celles et ceux qui l'ignoreraient -quel blasphème!- que j'étais chargé des "Initiatives citoyennes".

Et quand Ségo en parlait avec moi, j’avais tendance à actionner la douche froide : comment parvenir à inverser ainsi le cours des choses avec l’administration qui faisait de la résistance passive mais combien efficace, Allègre qui se mettait allègrement à dos les profs, le maire socialiste X, le député socialiste Y et le sénateur socialiste Z qui se plaignaient auprès de Jospin dés que les changements que nous tentions de faire les dérangeaient quelque peu, et Jospin lui-même qui intériorisait ce que Chirac prétendait être une « rupture de la cohabitation ».

Sans parler de 1000 autres contraintes globales, notamment socio-économiques (le socio-économique n’est pas tout mais ce n’est pas rien) que le gouvernement socialiste, tout faisant ce qu’il pouvait, ne transformait pas beaucoup!

Bref, ce que me disait Ségolène me semblait utopique, impossible à réaliser. Je commençais à le dire à ma ministre. Je la voyais qui me regardait alors l’air un peu malheureux. Et la phrase de Max Weber me revenait en mémoire : il faut croire en l’impossible pour réaliser le possible.

Et je me traitais intérieurement d’intellectuel à la con, qui allait briser son élan vers l’impossible, ne réussir qu’à risquer de la paralyser en la désenchantant. Je me reprochais une (pseudo ?) lucidité exacerbée qui minimisait le pouvoir de l’action.

Je voulais l’aider à réaliser tout ce qui était possible, mais, imprégné de mes analyses, n’arrivais guère, pour cela, à croire à l’impossible. J’ai compris alors que ma cup of tee n’était pas de faire de la politique.

Mais malgré tout, son enthousiasme communicatif m’a aidé à décider que, sur tel ou tel dossier, quelque soient les obstacles (notamment adminstratifs), je ne m’arrêterais pas, je ne cèderais pas.

Donc convictions fortes, capacité à se projeter dans un avenir autre. Et cet avenir autre ne correspondait pas forcément aux idées reçues de l’ensemble du PS. Mais je dois dire que, personnellement, je m’y trouvais assez à l’aise. J’ai d’ailleurs eu des remarques de membres du Cabinet, m’invitant à laisser de côté, à ne pas tenir compte, autant que faire se peut, des « dadas » de la ministre.

 

Et dits « dadas », qui hérissaient, me plaisaient en général, car je trouvais qu’elle avait une vision dialectique des choses. Exemple[1] : question de la ministre : Comment faire pour expliquer à une lycéenne qu’elle a le droit de dire « non » à un garçon qui veut coucher avec elle, si elle n’en a pas vraiment envie ? Qu’elle n’a pas à se plier à une pression sociale diffuse ? A ne pas faire comme tout le monde simplement pour faire comme tout le monde ?

Tu ne vas quand même pas entrer dans cette vision « moraliste » des choses ? me disait-on alors.

Moraliste, vraiment ? Au même moment, Ségolène se battait avec la même conviction, la même ardeur pour que les dites lycéennes puissent disposer de la pilule du lendemain, et ne pas avoir à avorter en cas « d’accident ». Et là, certains craignaient que cela nous fasse mal voir du centre, des ‘vieux’, de ces quelques % qui font basculer les élections dans un sens ou l’autre.

Moi je trouvais dans cette dialectique, une grande cohérence et dans les deux cas un combat pour la liberté des femmes qui ne craignait pas d’être à contre courant, de paraître « moralisateur » dans un cas, « laxiste » dans l’autre. Et j’étais alors heureux d’être dans la team d’une telle ministre.

Autre exemple : le bizutage. Là, on se heurtait également à l’incompréhension de beaucoup de « camarades », et… à de très puissants groupes de pression d’anciens élèves. Mais on connaissait des cas assez dramatiques.

Autre souvenir : je me rappelle une fois elle a passé des heures et des heures avec Elisabeth Guigou (alors ministre de la Justice) à propos d’un prof qui était un pédophile avéré et que, jusqu’à présent, l’Education nationale déplaçait régulièrement de collège en collège, que quand il avait sévi quelque part, et que des parents s’étaient plaints, on le mettait ailleurs, où il sévissait de nouveau.

Vous avez compris : l’idée c’était quand même d’arriver à le vider de son poste d’enseignant, à ce qu’il ne se trouve plus en contact avec des enfants.

Et voyant le temps que cela lui prenait, je lui ai dit : C’est admirable ce que vous faites, mais est-ce vraiment votre rôle de consacrer autant de temps à cette affaire ? Ne pourriez-vous pas déléguer ? Elle m’a répondu en substance : il y a tellement d’obstacles que si je ne m’en occupe pas personnellement, le dossier n’aboutira jamais. Et elle avait raison.

 

Parmi les « dadas » de la ministre, il y avait les contacts directs avec des profs ou des parents d’élèves. Et là aussi certains membres du Cabinet tentaient, parfois avec succès, de faire barrage. Quand des parents d’élèves ou des profs téléphonaient sur tel ou tel sujet, Ségolène voulait que, dans la mesure du possible (elle était souvent en réunion, bien sûr), on lui passe la communication et qu’elle puisse parler directement avec la personne qui appelait.

Des membres du Cabinet pouvaient cela un peu fou. D’abord, déclaraient certains, cela « donne une prime » aux contestataires (eh oui, étrange commentaire mais il a été fait); ensuite si ça commence à se savoir qu’un tel ou un tel arrive à avoir directement la ministre, on n’en aura jamais fini.

Je me souviens d’une fois où la pauvre secrétaire était très hésitante entre l’ordre de la ministre de tenter de la joindre quand X rappellerait et le contre ordre d’un membre du Cabinet lui demandant de surtout ne pas le faire.

Ségolène n’ignorait pas la validité du second argument  (ce sera sans fin); mais elle affirmait qu’elle avait besoin de ces contacts directs pour comprendre ce que ressentait les gens, pour ne pas être une bureaucrate, pour ne pas imposer de haut, etc.

 

Alors, bien sûr, on peut voir de l’habileté politique là dedans (et après tout, pourquoi pas ?) mais aussi ce qui m’a toujours plu quand j’ai été son collaborateur, le fait que j’avais affaire à une femme qui savait fortement qu’elle ne savait pas tout. Et croyez moi, dans la culture énarque, c’est rare ! Une femme qui avait conscience du risque d’être enfermée dans son ministère, dans sa fonction, de se couper du vécu du grand nombre.

Et justement, quelque chose que j’ai apprécié chez Ségolène c’est qu’elle alliait la capacité de synthèse qui provenait de sa formation à l’ENA à la capacité de doute, de se dire : « là, je ne sais pas », qui est typique du chercheur, mais le plus souvent étranger aux autres énarques que j’ai rencontrés. Alors certes, ce n’était pas une théoricienne spécialiste des concepts, elle avait une intelligence émotionnelle et intuitive.

Et l’idée qu’il fallait faire de la politique autrement, apprendre auprès des autres et vérifier la pertinence de son action, la taraudait déjà, en 1997-1998.

Donc quand Belley écrit que Ségolène est une des rares politiques « à s’inscrire dans une logique de marketing total où l’étude de marché constitue l’étape préalable à la prise de parole : celle qui vous permet d’identifier, par une analyse marketing précise, la demande du public et de construire, en conséquence un positionnement malin et une offre sensée. » (p. 42), c’est à la fois exact et pas exact.

 

Il est exact que le marketing fonctionne ainsi, et que c’est grâce à cela qu’il est efficace. On y reviendra. Mais si, justement, peu de politiques le font, c’est que cela demande en amont, quand il ne s’agit pas de vendre un produit matériel, une disposition d’esprit où on pense que l’autre à quelque chose à vous apprendre, la conviction que l’on ne doit pas lui imposer d’en haut un projet complètement ficelé et construit en dehors de lui.

Et je suis un peu étonné qu’Emmanuel Todd n’ai pas saisi cela, lui qui estime que le « découpage du Parti [socialiste] en niveaux culturels superposés l’a conduit à éliminer en son sein la représentation populaire et à se transformer en parti d’élus, largement décroché de la structure sociale globale » (p. 88)

Lui qui affirme que « le monde dit supérieur peut se refermer sur lui-même, vivre en vase clos et développer, sans s’en rendre compte, une attitude de distance et de mépris vis-à-vis des masses, du peuple, et du populisme qui naît en  réaction à ce mépris. » (p. 84)

Lui qui voit dans le soulèvement des banlieues d’octobre-novembre 2005 l’ « expression maladroite d’une volonté de participation à la vie politique » de la jeunesse défavorisée et non d’une minorité ethnique (page 130) et qui constate qu’au 1er tour de la présidentielle Ségolène Royal « fait remonter les lamentables 12% de vote ouvrier pour Jospin en 2002 à 24% en 2007 » et, chez les 18 – 24 ans, de 12,5% à 34% (p. 137-138).

Eh, camarade Todd, vous qui ne craignez pas d’effectuer des analyses très courageuses, combattant des idées morales reçues, pourquoi vous donnez ces chiffres sans vous en servir pour analyser les choses ? Votre détestation de Ségolène ne vous fait-elle pas prendre « une attitude de distance et de mépris », sous prétexte qu’elle ne présentait pas aux foules ébahies un programme complet et bien léché ?

Le programme complet il existait, et c’était celui du PS, un boulet qu’elle a traîné tout au long de sa campagne car il multipliait les « y’a qu’a »… et c’est justement ce dont les électeurs ne veulent plus, car ils savent bien qu’on les paye en fausse monnaie. Que la conception quantitativiste, style : « je suis plus à gauche que toi parce que je propose un smic à 2000 € et toi tu te contentes de 1800 », c’est complètement pipeau.

Et si c’était justement ça, cette conception QUANTITATIVISTE de la gauche (et de la laïcité quand on fait semblant que plus de répression signifie plus de laïcité : conception assez débile !) qui réduit le politique au marketing ?

Alors qu’être dans l’interaction des convictions (car la démocratie participative comporte deux phrases, celle de l’écoute et celle de la reprise, du trie), et se dépatouiller au milieu de multiples contraintes, c’est déjà beaucoup plus complexe.

 

Je pourrais continuer pendant des heures. Mais chaque journée n’en a que 48 et il y a de multiples choses à faire ! Et beaucoup d’internautes me reprochent d’être trop long. Alors je m’arrête là. Dans la prochaine Note (samedi  prochain) je vous dirai quel est, à mon sens, la relation juste entre politique et marketing et puis j’enchaînerai sur les notions de base que le PS devrait acquérir quant à la laïcité, pour avoir une laïcité juste.

 

Je taquine bien sûr, et Ségolène et celles et ceux que le slogan "l'ordre juste" sort par les trous de nez.

Pour Todd, "l'ordre juste" est un slogan typiquement de droite. Là alors, comme angélisme de l'élite on ne fait pas mieux. Et c'est très contradictoire avec ce qu'écrit Todd par ailleurs qui montre que, subissant des choses étrangères à "l'élite", les gens des couches populaires ont souvent une analyse para-sociologique et para-économie politique plus pertinente que les premiers.

Dites à quelqu'un qui subit l'ordre de plein fouet, et qui sait qu'il le subira toujours, que la recherche d'un ordre juste est de droite!

Attention, Emmanuel, tu as mille idées, toutes plus brillantes les unes que les autres, mais parfois tu te prends pour le Luky Luke des sciences humaines: tu raisonnes plus vite que ton ombre.

Toute société (même révolutionnaire) a un ordre, un ordonnancement. Le very big problème c'est que l'ordre, indispensable, est toujours au profit de dominants, toujours un ordre injuste. Alors, rechercher un ordre plus juste, ce ne serait pas de gôche, ça?

 

Allez, bonne crise et bonnes fêtes !

 

 

 

 

 

 



[1] Je ne mets pas de guillemets à mes citations car, bien sûr, 10 ans après, ce n’est pas du mot à mot. C’est l’idée qu’il faut retenir.

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06/12/2008

PS: CE QUE SIFFLER JAURES VEUT DIRE

Donc voici ma 1ère leçon de laïcité au PS, pour l’aider à se rénover (au passage, je répondrai à la question de Mulot cf. le 5ème commentaire de la Note du 27/11). Oui, je sais que je suis un indécrottable professeur. Mais mon métier est justement d’être prof de laïcité et à mon âge (20 ans + un certain nombre de mois) on ne se refait pas.

Je suis donc un vilain récidiviste et après avoir expliqué la laïcité au Petit Nicolas, V’la que je me mets à vouloir l’expliquer au PS. Indécrottable, vous dis-je ! Oui, mais pour tout savoir sur la laïcité, Sarko, il a du débourser 16 € de son petit Smic (soit 0,0000000001 % de sa montre bling-bling, quand même !). Alors que pour le PS, c’est gratis pro Jaurès.

C’est que je suis de gauche depuis moult générations (mes ancêtres étaient Montagnards, en plus c’est même pas faux) et que le PS, je l’aime bien. Enfin, plutôt j’aimerais bien pouvoir l’aimer bien. Qu’il soit politiquement aimable. Et intellectuellement un peu aussi (j’en ai de ces exigences !). Et c’est pour cela que je me décarcasse, et mets en œuvre le proverbe préféré de ma grand-mère : « Qui aime bien, châtie bien ».

 

Je vais partir d’un incident du Congrès de Reims, que les médias ont rapporté sans l’analyser ni changer d’un iota les stéréotypes dans lesquels ils moulent l’actualité et qui, pourtant, sont très révélateurs de l’absence de réflexion sur la laïcité.

Ségolène Royal a conclu son intervention en déclarant : « Nous sommes le socialisme, levons nous, vertu et courage, car nous rallumerons tous les soleils, toutes les étoiles du ciel. » Sifflets abondants. « Bronca » précise même le Nouvel Obs.

Commentaire de militants (à votre très honoré serviteur) : « Nous ne supportons pas ces envolées de télé-évangélistes qui heurtent notre culture laïque»

J’ai entendu à la radio d’autres commentaires du même style. Un journaliste de France Inter a dit : « C’est du Barbelivien » (pour les analphabêtes de la belle culture Star’Ac, il s’agit de l’immortel chanteur de « Toutes les filles que j’ai aimées avant ». Cela vous dit quelque chose, quand même !).

En fait d’envolée de télé-évangéliste ou d’un chanteur pipole, il s’agissait d’une citation de Jean Jaurès. C’est lui qui a été copieusement sifflé.

Normalement, en l’apprenant, ils auraient du prendre conscience que Ségo leur avait mis le nez in the caca, comme disait Heidegger dans sa célèbre Disputatio avec Thomas d’Aquin. Pensez vous : sitôt appris, sitôt oublié. Cela entre par une oreille et sort par l’autre sans pénétrer en rien dans un hypothétique cerveau.[1] Ils vont continuer à nous bassiner avec leur pseudo « culture laïque », celle qui les conduit à ne pas supporter Jaurès.

5% qu’il fera le candidat PS en 2012, s’ils continuent de la sorte !

 

Donc, Réflexion N°1 de la 1ère leçon : pourquoi cette citation a paru insupportable, a conduit à la réaction primaire de la bronca ? (entre nous Ségo, tu aurais du les laisser siffler tout leur saoul, et reprendre : « Oui, comme l’a si bien dit jean Jaurès, Nous sommes le socialisme, levons nous… ». Là, cela aurait été vraiment drôle !).

Oui, pourquoi Jaurès est pris pour un télé-évangéliste ou un chanteur de variétés de masse ?

Pour le savoir, relisons la phrase : elle a du souffle, la garce : c’est une belle envolée utopique. Et v’la le problème : l’utopie ça eut payé, ma bonne dame, mais ça ne paye plus semble-t-il, auprès des militants classiques du PS. Pourquoi ? Parce que l’utopie nécessite d’être capable d’une projection au delà de la réalité empirique.

 

 

Redis-le me-le, me susurre une princesse internaute. OK. Je vous le redis d’une autre manière : le discours utopique, plus généralement le discours symbolique, dont le discours religieux fait partie mais pas seulement lui, c’est un discours qui a la capacité de permettre à ceux qui y adhèrent de dépasser la vision habituelle des réalités concrètes, matérielles, tangible pour permettre d’apercevoir des réalités d’un autre ordre, des réalités symboliques précisément.

Durkheim en a fort bien parlé par son opposition sociologique entre ce qu’il appellait « profane » et « sacré », « réalité expérimentale » et « réalité supra expérimentale ». Et dans le sacré, il mettait les effervescences révolutionnaires, et pas seulement des phénomènes explicitement religieux.

Il s’agit, écrit-il, « de se hausser au-dessus du monde de l’expérience » et d’avoir « les moyens d’en concevoir un autre » et il commentait : « la société idéale n’est pas en dehors de la société réelle, elle en fait partie. Bien que nous soyons partagés entre elles comme entre deux pôles qui se repoussent, on ne peut pas tenir à l’une sans tenir à l’autre. »

 Le rapport à ce que pour ma part, je préfère appeler « structures symboliques » est, selon Durkheim, ce qui « pousse la pensée en avant, par delà ce que la science nous permet d’affirmer », ce qui fait qu’un homme « peut davantage. Il sent en lui plus de force soit pour supporter les difficultés de l’existence, soit pour les vaincre » : l’individu est en fait « élevé au dessus de sa condition d’homme. »

(Toutes ces citations sont extraites des Formes élémentaires de la vie religieuse, que vient de republier les PUF avec une préface de J-P. Willaime).

Alors libre à chacun de croire ou non au contenu de ces réalités symboliques. C’est un tout autre débat. Durkheim lui-même n’y croyait nullement et se voulait un « rationaliste », ce qui ne l’empêchait pas d’analyser leur fonctionnement et leur impact.

 

 

Mon propos consiste simplement à montrer qu’en ignorant ce type d’analyse ou d’autres, multiformes, qui approchent et décryptent aussi à leur manière les réalités symboliques (J.-P. Vernant, Lévi-Strauss dont on vient de fêter le 100ème anniversaire et qui, un peu de publicité pour ma maison, déclarait, à propos de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes : « C’est là que mes idées essentielles ont pris forme », Libération, 22 septembre 1986 ; Luc de Heusch, Camille Tarot, etc, etc) on ignore une partie importante de la réalité sociale et on se condamne soi-même quand on veut être un parti de changement social.

 

Ceci indiqué, un des problèmes majeurs des politiques en général et de la gauche en particulier est la difficulté d’avoir un discours utopique qui projette dans un avenir autre un tant soit peu crédible quand on prétend par ailleurs être un parti de gouvernement.  Les lendemains qui chantent, sont devenus des hiers désenchantés (« Comme c’est beau » me susurre ma princesse internaute, « tu causes aussi bien qu’ San Antonio, quand tu t’en donnes la peine »).

Jaurès en parlant de rallumer tous les soleils, toutes les étoiles du ciel, réutilise un matériau symbolique d’origine religieuse au profit d’une espérance socialiste. C’était avant la Première guerre mondiale, l’URSS et son goulag, etc. C’était aussi quand le terme de « réforme » signifiait un mieux-être (cf. les congés pays du Front Populaire).

Maintenant la « réforme », c’est l’adaptation à de nouvelles conditions qui nécessitent de se serrer un peu plus la ceinture (cf. la « réforme des retraites ». Jospin n’a pas osé la faire quand il était 1er ministre, car il savait que cela le desservirait dans sa campagne présidentielle. Il n’y aurait pas échappé s’il avait été élu président).

On comprend très bien que, dans cette conjoncture, les gens se crispent sur leurs (souvent maigres) « avantages acquis », devenant conservateurs et souvent corporatistes.

Et les envolées utopiques, à d’autres…. On pourrait penser que ce réalisme là est un progrès, qu’il désacralise, déreligiosise (laïcise ?) le politique. Oui, mais….

 

 

Oui, mais Weber, lui-même, le grand désenchanteur par sa sociologie pratiquant la « neutralité axiologique » (= au niveau des convictions), a écrit : « il faut croire en l’impossible pour réaliser le possible ». L’utopie est mobilisatrice et sans elle, alors on ne réalise même pas les changements qui auraient pu être possibles.

C’est la raison pour laquelle, d’ailleurs, je trouve lamentable la façon dont la gauche se positionne sur la suppression de la pub sur la télé publique : bien sûr Sarko réalise cette réforme à la manière d’un homme de droite (cela vous étonne ?).

Mais au lieu de se limiter à le dénoncer, de faire de l’obstruction à la tribune parlementaire, en lisant du Montesquieu,[2] c’était le moment de proposer une télé utopique (cad intelligente et ludique à la fois).

Prenez Obama, s’il a (à la surprise générale) battu Hilary Clinton, puis gagné la présidentielle américaine, c’est en bonne part par sa capacité à crédibiliser un discours comportant des aspects utopiques (« yes, we can »).

 

Alors, les ceus qui ont sifflé Jaurès en croyant siffler Ségolène, les socialistes qui sont contre elle (voyez mon abnégation, je leur donne de « bons » conseils !) s’ils veulent ne pas enfoncer encore plus leur parti mais remonter un chouya, feraient bien de dépasser leur énervement primaire, pour

- comprendre se qui se passe

-comprendre pourquoi elle obtient, à chaque fois, des scores plus importants que prévu.

D’abord, elle a annoncé la couleur : « Désirs d’avenir », avec « Touche pas à mon pote » sera parmi les slogans inventifs de ces dernières décennies. Ce titre seul affronte déjà le problème clef : l’impression d’un manque d’avenir, d’un avenir bouché, d’un avenir retour en arrière.

Dans son livre dialogue avec Alain Touraine[3], Ségolène raconte qu’un jeune lui a dit : « Je n’ai pas peur de l’avenir, j’ai peur de ne plus en avoir. »

Mais il ne suffit pas de parler de "désirs d'avenir", encore faut-il apparaître capable d'en tracer le chemin.

Car diront les z’opposants, tout ça, c’est du marketing, indigne de notre beau parti. C’est d’ailleurs (si on enlève l’indignité) la thèse défendue par un ouvrage récent Ségolène la femme marque, par François Belley (Editions Peau de Com).

Cet ouvrage, que m’a offert une charmante journaliste de Canal + (eh oui, la vie présente des côtés agréables parfois) est très intéressant, non seulement sur Ségolène mais plus généralement sur le politique aujourd’hui et sa proximité avec « l’univers des marques ».

Pourtant, je pense que l’ouvrage rate quelque chose : cette proximité ne signifie pas qu’il s’agisse de deux univers identiques, et un leader politique qui se serait qu’une marque ne s’imposerait pas. Et Ségolène, dans sa campagne, s'est montré capable de proposer de l'avenir; même si certains ne veulent pas s'en rendre compte.

Si Ségolène, qu’Alain Duhamel n’avait même pas inclus, dans son ouvrage de 2006 présentant les portraits des candidats possibles à la présidence de la République, a fait le parcours qu’elle a accompli, c’est parce qu’elle ne se réduit nullement à être une femme marque, même si elle a intégré dans sa stratégie cet aspect des choses.

Quel rapport à l'avenir a-t-il été proposé?

 

Je dois retourner à mon travail normal, mais un peu de patience, je vais vous expliquer cela dans quelques jours et aussi  l’intérêt du livre cité, et ses limites. Et je vais vous faire des confidences inédites à partir de mes souvenirs du temps où j'étais dans le Cabinet de la ministre. Car c'est l'avantage que j'ai sur François Belley, je l'ai vue travailler de près, et je connais d'elle la face qui n'est pas médiatique.

Je vous expliquer aussi pourquoi, moi que cela devrait hérisser profondément (la lutte contre la marchandisation sans limite est un de mes dada), j’assume intellectuellement cette démarche et je pense que le PS ferait bien de s’en inspirer, du moins s’il en est capable.

Paradoxal le Baubérot ? Faux cul même? « Je le crois cohérent. » affirme très aimablement la princesse. Vous verrez bien ce que vous en pensez vous-même en lisant la prochaine Note.

(à suivre donc)

 

2 PS (sans jeux de mots !)

 Un PS pour mes amis Bruxellois. Ils sont nombreux et, je le sais, certains surfent sur ce blog. Donc une information : mardi prochain 9 décembre (jour anniversaire de la loi de séparation), à 16H45 à l’Université de Bruxelles (renseignez vous sur le lieu exact), on me remet un doctorat honoris causa. Ce serait vraiment sympa de vous retrouver à cette occasion.

L’autre PS pour Mulot : ben oui, j’avais annoncé une explication. C’était quand je pensais rédiger ma Note en entier. Ce sera donc pour la prochaine Note. En attendant, bravo d’avoir mis à jour une possible contradiction en lisant aussi attentivement le Blog. Le jour où il y aura une interro écrite, sûr que vous aurez la mention « très bien ». Et très cordial salut aux gens d’Evreux.

 

 



[1] A défaut de Barbélivien, cela me rappelle Brassens : « Par bonheur ils n’en avaient pas ». Il s’agissait, là, des « choses » et non de cervelle.

[2]«  C’est vrai, ça, affirme la princesse : ils pourraient au moins lire du Baubérot »

[3] Entre parenthèse, pierre dans le jardin de celles et ceux qui prétendent que son discours manque de contenu, je trouve qu’elle s’en tire très bien face à Touraine, assez souvent même ses propos sont plus intéressants que ceux du sociologue.

29/09/2008

MICHELINE MILOT ET LA SCIENCE DE LA LAÏCITE

HONORES PAR LE CNRS.

Très sympathique cérémonie, jeudi dernier pour la remise du prix Mattéi Dogan du CNRS à Micheline Milot, pour « l’excellence » de ses travaux sur la laïcité. Micheline Milot est la seule « non-française » à avoir obtenu ce prix, en sciences humaines. Non seulement ce prix couronne de beaux travaux, mais il constitue (à mes yeux) une double reconnaissance pour ce que l’on pourrait appeler une science de la laïcité (comme on parle de « sciences religieuses » par exemple

-reconnaissance qu’une approche scientifique de ce sujet est possible.

-reconnaissance que des travaux sur la laïcité peuvent partir de l’étude d’une situation non française (Le Canada/ le Québec) et, à partir de là, s’élargir à une réflexion sociologique et théorique sur la laïcité.

 

En effet, dans ses cours, comme dans des articles et ouvrages Micheline Milot a, la première, appliqué de façon systématique une démarche de sociologie historique de la laïcité à un autre pays que la France. L’ouvrage fondamental qui expose cette perspective est Laïcité dans le nouveau monde, le cas du Québec (Brepols, 2002)

Cela s’est avéré novateur quant à la laïcité, mais aussi quant à l’étude de l’histoire du Québec, à la conjonction de l’héritage français, du lien avec la Grande Bretagne et la continentalité américaine.

Dans l’histoire de la « Belle Province », nous trouvons une Eglise catholique socialement et culturellement majoritaire, mais politiquement dominée, une Eglise anglicane qui pourrait se montrer dominatrice (cf. l’Irlande jusqu’à son désétablissement), mais que le réalisme du politique conduit à renoncer rapidement à ses prérogatives, et des Eglises protestantes minoritaires et actives qui ne veulent surtout pas d’une Eglise établie.

Micheline Milot a insisté sur les aspects morphologiques de la société québécoise qui ont fait surgir une « certaine forme de laïcisation », bien sûr différente de la laïcisation française (parfois d’ailleurs plus précoce) et qu’elle analyse de façon précise, détaillée. Cette laïcisation s’est opérée, nous dit-elle, dans un « silence terminologique » qui perdure encore partiellement aujourd’hui.

Une des raisons historiques de ce silence apparaît due au fait que le terme de laïcité quand il aurait pu être utilisé a été organiquement associé à l’anticléricalisme français : c’était ce que la France donnait à voir de façon dominante. La politique anticongréganiste et l’exil de religieuses et de religieux français au Québec (et ailleurs) à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, en est une des manifestations les plus frappantes.

 

En fait, les internautes qui viennent régulièrement sur ce blog le savent, la construction de la laïcité française a été beaucoup plus complexe que ce l’on a pu en percevoir. Mais il est extrèmement décapant de savoir comment la laïcisation française a été perçue, hors des frontières de l’héxagone.

La perspective de Micheline Milot nous oriente vers la voie d’un comparatisme où la laïcité française, elle-même, peut recevoir un nouvel éclairage. Dans cette voie, elle a notamment dirigée un ouvrage collectif : La laïcité au Québec et en France (numéro spécial du Bulletin d’histoire politique, Vol. 13, printemps 2005)

Cette comparaison, Micheline Milot nous invite à la mener jusqu’aux problèmes les plus importants du XXIe siècle. Et elle a participe également en tant qu’expert, puisqu’elle a mené une enquête sociologique dans le cadre de la Commission qui a laïcisé l’enseignement public québécois et qu’elle est régulièrement consulté par le Conseil de l’Europe

Elle a également donné une contribution forte à la théorisation de la notion de laïcité, à sa confrontation avec les analyses récentes sur les problèmes des sociétés multiculturelles. Cela dans des articles de revues scientifiques, dans les ouvrages mentionnés et dans un magnifique livre de vulgarisation : La laïcité (Novalis, 2008)où elle répond à 25 questions essentielles que l’on se pose en la matière.

 

Dans ma Laïcité expliquée à Nicolas Sarkozy et à ceux qui écrivent ses discours (Albin Michel) je conseillais au Président de lire Micheline Milot (cf. page 82). Je crains n’avoir guère été entendu. Mais à défaut, le jury du CNRS chargé de décerner le prix Mattéi Dogan a lu cette auteure. Et visiblement, il a apprécié.

 

 

 

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16/05/2008

MAI 68: A PRATIQUER PLUS QU'A COMMEMORER!

REPRENEZ DONC UN PEU DE LAÏCITE DIALECTIQUE

LA PETITE MADELEINE, C’EST (juste) LA CERISE SUR LE GATEAU !

D’abord, vous n’y échapperez pas!!, quelques nouvelle de THE livre : La laïcité expliquée à Nicolas Sarkozy et à ceux qui écrivent ses discours (Albin Michel)

Il fait l’objet d’une virulente attaque de l’ancien président de la Fédération Protestante de France, J. A. de Clermont, dans l’hebdomadaire Réforme (qui le présente, lui, de façon élogieuse, comme une « leçon de laïcité »).

Outre un désaccord de fond, l'ancien président me semble avoir confondu Lettre à Sarzozy et....Lettre à la Fédération Protestante de France. Ne trouverait-on pas un peu de nombrilisme dans sa réaction? D'autre part, croire que la FPF est visée, même quand elle n'est pas citée, ne serait-il pas une manière de refuser les questions générales que je pose aux chrétiens "tentés par les sirènes sarkozystes" ? De désamorcer ces questions en me mettant dans la posture du 'méchant'?

Bon, je répondrais dans le N° de la semaine prochaine. Je voudrais juste indiquer qu’au-delà des contre sens (je ne suis pas du tout contre une actualisation de la loi de 1905, je suis, en revanche, farouchement contre des modifications qui privilégieraient le croire religieux sur le non croire ou d’autres croire, c’est plus qu’une nuance !), cette attaque est révélatrice du malaise que mon livre provoque chez certains chrétiens. (Pas tous, d’autres m’envoient des mels de félicitations)

Ce malaise se manifeste de façon très simple : plutôt que des objections argumentées (je n’ai rien contre, au contraire : cela fait avancer le débat), ce qu’on me dit est, en substance : « pas vous, pas ça »

Alors là, il y avait maldonne, et je suis fort content de l’avoir dissipée.

J’avais beau écrire que je n’étais pas plus partisan d’une laïcité unilatéralement ouverte aux religions que d’une laïcité rrrrépublicaine, comme les partisans de cette dernière me faisaient régulièrement un procès en trahison de la laïcité, comme ils m’accusaient de n’importe quoi (être un complice actif de « l’intégrisme fondamentaliste américain », entre autres…), cela a provoqué un effet de croyance.

La croyance était que, finalement, c’était essentiellement la liberté religieuse et elle seule que je défendais.

Pourtant, merde (à vauban, naturellement), j’avais écris un bouquin sur « La morale laïque contre l’ordre moral », j’ai toujours tenté d’expliquer que la laïcité se composait de plusieurs éléments, etc, etc. J’ai clarifié mes critiques face à la notion de « laïcité ouverte »,… Enfin je ne vous refais pas le topo…

C‘est terrible l’image que certains vous collent à la peau. Avec ce livre, je l’ai cassée, sans même le rechercher (je ne pensais pas que tant de gens se laissaient prendre à des attaques aussi débiles). Ambiance cassée. Tant mieux.

Il y a aussi un autre phénomène, c’est que les gens veulent être confortés dans leurs croyances. Alors quand ils lisent, ils sélectionnent, ne gardent en mémoire que ce qui leur plait. Ils ne se confrontent pas vraiment avec ce qu’écrit l’auteur.   

Et je dis à tous les amoureux déçus : excusez moi, mais vous ne m’aviez pas vraiment lu. Mon livre se situe dans le même chemin que les précédents. Simplement le contenu de ce à quoi il s’affronte a changé, même si la forme reste la même : l’unilatéralisme.

Aller, pour les consoler, je vais leur envoyer une photo de Carla, dédicacée (par moi naturellement),….

Je ne pense pas que quelqu’un puisse trouver le moindre reniement de mes livres passés et de ce que j’y écrivais. Mais les discours de Sarko obligent à reprendre les choses. Puis qu’il défend une « politique de la diversité », il fallait éclaircir le fait, qu’à mon sens, une « politique de la diversité », ce n’est pas cela, ce pourrait être bien différent.

Aller, vous reprendrez bien un peu de laïcité dialectique. Le goût est un peu fort, la première fois que l’on en mange. Mais, très vite on apprécie. Car vous savez, dans ce monde de conformisme fade, la dialectique, ça donne de la saveur,

Je ne vais pas m’étendre trop longuement.

Mais, quand même, pour ne pas être maso, juste signaler que The livre a trouvé  aussi des partisans. Des enthousiastes, qui dévorent, qui adorent tout : le contenu, le style, les blagues…des qui l’ont lu d’une traite, dans le métro, le RER, le train. Et certains même riaient tellement, que leurs voisins les regardaient d’un drôle d’œil (si, si,…)

Et puis, des un peu plus réservés. Des gens sérieux, qui ont trouvé le contenu intéressant, mais l’humour un peu  facile, un peu déplacé, c’est quand même le président quoi. OK, mais il a fait des choses tellement hénôrmes, le petit Nicolas.

C’est bizarre, car c’est un peu la conception : les blagues = c’est le privé ; le sérieux = c’est le public.Et si Mai 68, que l’on commémore beaucoup, c’était de pouvoir mélanger le sérieux et la blague.

Il existe une expression québécoise que j’aime bien : « dire les choses à la blague ». C’est quand il y a du sérieux, du fond dans la blague.

Certains sont étonnés : ce livre, ça ne vous ressemble pas ! Ah bon. Encore l’image ! Mais j’ai trouvé une réponse tout prête : c’est ma manière de fêter Mai 68. En cherchant moins à le commémorer qu’à le pratiquer. Enfin, le pratiquer un peu. En retrouver, un petit quelque chose.

La petite madeleine de Proust. Je n’ai rien contre. Mais tout un repas de madeleines…

Et à regarder les vitrines des librairies, c’est un peu ça, non ? Alors, suivez mon conseil (d’ami) : nourrissez vous de dialectique Et, après, je vous offre comme petite madeleine, quelques souvenirs perso (pratiquement ceux publiés, toujours dans ce même numéro de Réforme, dans le cadre d’une table ronde avec André Sénik)

Donc voilà quelques souvenirs de l’ancien combattant, Jean Baubérot :

- Où en étiez vous de votre parcours intellectuel quand le mouvement a éclaté?

Mai 68 est survenu après plusieurs années de contestations effectuées notamment par des jeunes. On l’oublie trop souvent. Pour ma part je m’étais engagé, comme lycéen, contre la guerre d’Algérie au tournant des années 1950 et 1960.

Beaucoup d’adultes me disaient alors en substance : « tu n’est qu’un adolescent, tu n’y comprends rien. De Gaulle en donne aux Arabes plus que ceux-ci en veulent. L’Algérie n’a pas à être indépendante et ne le sera jamais. » J’entendais cela de la part de conseillers presbytéraux de ma paroisse et d’autres personnes.  

Et puis, est arrivé le référendum de mars 1962 ou 90% des Français se sont prononcés pour l’indépendance. Je n’avais pas encore l’age de voter, mais j’ai constaté que les adultes retournaient leur veste, sans reconnaître, en plus, qu’ils s’étaient trompés ! Cela les a complètement décrédibilisés à mes yeux… et je me suis promis de ne jamais devenir comme eux, de ne jamais répéter passivement les idées dominantes.

Je n’étais pas le seul ! Dans les mouvements de jeunes, qu’ils soient protestants, catholiques ou communistes la critique des institutions s’est développée. Et nous pensions que les surréalistes avaient échoué, faute de transformer le monde ; et la révolution d’Octobre, faute de changer la vie. Il fallait lier les deux.  

Pour ma part, j’ai menée cette critique des institutions trop sûres d’elles-mêmes, sur deux fronts : la revue des étudiants protestants, Le Semeur : nous promettions un abonnement à prix réduit aux « couples tentant l’union libre ». Il faut se replacer dans le contexte de l’époque (où la contraception était encore illégale en France, il fallait passer commande en Angleterre) pour saisir la fureur des bons parpaillots !

En même temps, le n° du Semeur sur « les Ruines » (= les adultes) affirmait que les fondamentalistes américains avaient bien le droit d’être rigoristes sur le plan sexuel s’ils le souhaitaient. C’était avant tout la bonne conscience centriste, les évidences, dans le domaine de la sexualité comme dans les autres, que nous attaquions.

Le second front était l’Union des Etudiants communistes, où j’avais adhéré. Quand ma tendance, celle des « Italiens » (c'est-à-dire ceux qui se réclamaient du philosophe Gramsci) a été exclue par le Parti Communiste, j’ai rejoint le CRIR, Centre révolutionnaire d’Initiatives et de Recherches. L’utopie était d’arriver à faire, à plusieurs, une critique de la société du XXe siècle analogue à celle que Marx avait faite pour le XIXe. Mais, en même temps, notre sens de l’humour qui nous empêchait de nous prendre trop au sérieux !  

Après avoir dirigé Le Semeur, je dirigeais la revue Hérytem, critique politique de la vie quotidienne quand Mai 68 a commencé. Là encore, la critique se voulait globale, il fallait à la fois changer la société, changer la politique, changer la vie.  

- Quels souvenirs marquants avez vous conservé de ce moment?  

Globalement les mêmes que beaucoup d’autres : les barricades, les discussions interminables, les slogans inventifs, la Sorbonne occupée. Là, les locaux de la Ve section, la section des sciences religieuses de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, étaient occupés par les anarchistes qui avaient mis une grande banderole : « Ni Dieu ni Maître. » C’était géant !  

J’ai reçu alors une très belle leçon de réalisme politique de la part de mon « patron » (de thèse), Daniel Robert. Il m’a dit : « Baubérot, vous qui êtes bien avec les anars, allez avec eux pour veiller à ce que, quand ils partiront, ce ne soit pas des gens de la VIe section de l’EPHE, celle des sciences sociales, qui occupent nos salles de cours. »

Il y avait, en effet, une rivalité entre les deux sections en matière de locaux ! Face aux inflations idéologiques, c’était une bonne dose de prosaïsme réaliste : derrière la révolution, la vie quotidienne continue ! En bon historien, Daniel Robert s’inquiétait moins de l’effervescence révolutionnaire –elle n’aurait qu’un temps !- que de ce qui arriverait à la fin de la dite révolution. D’abord très surpris, j’ai réfléchi et j’ai compris qu’il avait raison.  

Mon regard sur les « événements » était ambivalent. D’un côté Mai 68 nous apportait la preuve que nous avions eu raison et donnait une ampleur insoupçonnée à la contestation. Les dirigeants du protestantisme, pour qui nous étions la « génération perdue de la guerre d’Algérie », étaient persuadés que les choses se calmeraient avec l’arrivée d’une nouvelle vague de jeunes ; ils en étaient pour leur frais ! Le Parti Communiste aussi.  

De l’autre, nous préparions, à l’Alliance des Equipes Unionistes, depuis deux années un voyage à Cuba. Celui-ci a eu lieu en juillet août 1968 et nous nous sommes trouvés en décalage avec d’autres jeunes de deux, trois ans nos cadets, qui avaient décidé de venir au dernier moment, lors du mouvement de Mai 68. Ces derniers étaient politisés de très fraîche date et montrèrent un enthousiasme unilatéral.

Nous avons réussi, par le réseau de la JEC (la Jeunesse étudiante chrétienne, contestataires catholiques), à rencontrer des opposants et avons bien perçu que tout n’était pas rose. Et ils ne voulaient pas le voir ! En s’amplifiant, la contestation était devenue, pour parodier une phrase célèbre, « l’infini à la portée des caniches. »

- Quel regard portez vous sur votre implication et sur l'ensemble de la révolte (étudiante, ouvrière, voire politique)?  

J’ai vécu Mai 68 comme le feu d’artifice qui clôture la fête. Les années suivantes ont été celles d’un tri, parfois douloureux, entre ce qui était solide et ce qui était illusoire dans les contestations menées. Un tournant a été pour moi une étude de Maxime Rodinson sur « Sociologie marxiste et idéologie marxiste ». J’ai beaucoup discuté avec l’auteur, un grand islamologue. Il m’a convaincu que l’objectivité n’était pas forcément « bourgeoise », au contraire il valait la peine d’y consacrer beaucoup d’efforts !  

Une autre grande question était la suivante : peut-on avoir une vie « normale » sans trahir ce que nous avons voulu être ? Etre adulte sans être conformiste ?   Je m’étais rapproché de Vive La Révolution, VLR, groupe anarcho-maoïste. Notre slogan préféré était : « Les pro-chinois en pro-Chine.» C’était une manière de contester la tournure dogmatique que prenait la contestation, avec notamment les maos de la Gauche Prolétarienne. Il fallait contester la contestation elle-même ! Cela donnait parfois le tournis !  

Pour moi la grande leçon de cette période, qui va de la guerre d’Algérie à Mai 68, est la suivante : les idées minoritaires ne sont pas forcément vraies, mais les idées majoritaires sont presque toujours fausses. Même vraies au départ, leur transformation en idées dominantes les change en stéréotypes qui traînent dans toutes les poubelles.

Et pourtant, la démocratie est « le plus mauvais système excepté tous les autres. »… et le bon sens, la sagesse populaire a parfois raison contre des constructions intellectuelles sophistiquées, mais idéologiques.

Je n’ai pas cessé d’explorer ce paradoxe depuis quarante ans, et de vivre dans la tension que cela suscite. A tort ou à raison, j’estime que je ne m’en porte pas plus mal.

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01/09/2005

DECLARATION SUR LA LAÏCITE

DECLARATION D’UNIVERSITAIRES

DE DIFFERENTS PAYS SUR LA LAICITE

 

Fruit d’un travail d’une année, une Déclaration  sur la laïcité vient de recevoir sa rédaction finale. Issue d’une idée lancée par trois universitaires de trois continents différents, cette Déclaration, a été rédigée à la suite d’un processus collectif  auquel ont participé des dizaines d’universitaires de différents pays. Elle constitue une résultante entre l’avis celles et ceux qui souhaitaient un énoncé analytique et de ceux et celles qui désiraient une proclamation solennelle.

 

Ce texte constitue donc une déclaration non péremptoire qui, en fait, veut essentiellement susciter des réflexions, des débats. Surtout il vise (c’est son objectif premier) à se déconnecter de la situation française ou même européenne ou occidentale et, en la lisant, il faut se rappeler que ce qui peut avoir valeur d’évidence en France ou en Occident, n’est pas forcément un acquis pour l’ensemble de la planète. Nous avons voulu proposer des pistes sans nous poser en donneurs de leçons.

 

Nous avons voulu
-donner une définition de la laïcité qui en fait un principe universel
- indiquer, en conséquence, que la laïcité n’est pas une « exception française »
- dire que beaucoup de pays ont des aspirations laïques, même si la laïcité n’est pas réalisée
- donner le moyen à des intellectuels de ces pays d’exprimer ces aspirations
- montrer, qu’en matière de laïcité, la chose est plus importante que le mot

 

Y avons-nous réussi? Nous le dira l’ampleur des réponses, le nombre de celles et ceux qui voudront bien signer ce texte. Précisons la règle du jeu : la signature n’implique pas un accord avec la lettre des formules mais avec les grandes orientations du texte, l’état d’esprit général et la volonté de trouver un accord qui puisse rassembler des individus de différents pays, de différents continents.

Dans un premier temps, la signature du texte est réservée aux Universitaires, au sens large de toutes celles et de tous ceux qui travaillent dans l’Université[1]: professeurs, chercheurs, ingénieurs, administratifs, doctorants, post-doctorants rattachés à un laboratoire ou à une formation de recherche.

Si vous appartenez à une de ces catégories, demandez le texte de la Déclaration en écrivant envoyer à l’adresse mel suivante : declarationlaicite@hotmail.fr

 Chacun est prié d’indiquer son institution de rattachement (même si, naturellement, il ne l’engage pas) et surtout sa nationalité.

 

Par ailleurs, la signature peut être accompagnée de commentaires et/ou de remarques critiques. Ces commentaires et ces remarques seront considérés comme des annexes de la Déclaration. Elles l’enrichiront et manifesteront que le soutien au texte n’a rien d’inconditionnel, ne fait perdre à personne son individualité propre (ce qui est en accord avec le texte lui-même). Signatures, commentaires et remarques sont également à envoyer à l’adresse mel : declarationlaicite@hotmail.fr

 

 

 

N’hésitez pas non plus à diffuser largement cette Déclaration auprès de tous vos collègues susceptibles d’être intéressés. Sachez qu’une version du texte en anglais, espagnol et arabe est en cours de préparation. Les volontaires pouvant traduire le texte dans d’autres langues seront les bienvenus.

 

Le 9 décembre 2005, jour anniversaire du centenaire de la loi française de séparation des Eglises et de l’Etat, cette Déclaration sera présentée à la presse, à Paris, dans une salle aimablement prêtée par le Sénat (et pourquoi pas dans d’autres pays) munie, espérons-le, de multiples signatures de personnes de nationalités très diverses.

 

Ensuite, dans un second temps, la signature de la Déclaration sera ouverte à toutes celles et tous ceux qui souhaitent s’associer à cette initiative.

 

Cette démarche en deux temps a pour but d’éviter toute récupération politique, religieuse ou idéologique de la Déclaration, cela dans la conformité à l’esprit de la Déclaration.

 

Nous espérons donc à la fois promouvoir une certaine idée de la laïcité, critique, en cette année du centenaire de la séparation (française) des Eglises et de l’Etat, avec toute conception de la laïcité « exception française ». Nous voulons aussi promouvoir un dialogue, un débat international sur la laïcité (où la chose est plus importante encore que le mot). Nous espérons que, si vous êtes universitaire, vous voudrez bien participer à cette initiative.

 

Jean Baubérot (Ecole Pratique des Hautes-Etudes)

 

Roberto Blancarte (Collegio de Mexico)

 

 Micheline Milot (Université du Québec à Montréal)


[1] Ce qui, en France, inclut naturellement les IUFM.

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05/02/2005

COMMISSION STASI

La laïcité, le chêne et le roseau
Jean Baubérot

(Ce texte est un article publié dans Libération le 15 décembre 2003, juste après la remise au Président de la République, par la Commission Stasi, de son rapport sur la Laïcité. Rappelons le contexte : la Commission avait notamment voté le principe d’une loi interdisant les signes religieux dits « ostensibles » à l’école publique avec un commentaire indiquant que tout foulard était considéré comme un signe religieux ostensible. Lors d’un premier vote, 3 personnes sur les 20 s’étaient abstenues : Alain Touraine, Ghislaine Hudson, la proviseure de la Commission et moi-même, mais au bout du compte, j’ai été le seul a maintenir mon abstention jusqu’au bout).

Dans la rubrique « Evénement » ce texte est suivi d’un article plus long sur la Commission et son contexte, texte paru dans une revue américaine.

Six mois après avoir été installée par le Président J. Chirac, la Commission Stasi a rendu son rapport. Il faut le souligner ce document constitue en soi un évènement. En effet, au-delà de telle ou telle proposition qui fait, tout naturellement, réagir l’opinion, il est la première explicitation de la laïcité énoncée au nom de la République. Attention à la nuance : le rapport Stasi n’est en rien une doctrine d’Etat, il est le résultat d’une commande de l’Etat et donc parle au nom de l’Etat.
Toute la différence entre un régime autoritaire et une démocratie vivante est là. Démocratie vivante car ce rapport, loin de clore le débat le fait rebondir. Le calendrier nous est favorable : la célébration du centenaire de la loi de séparation de 1905, dans plus d’un an, peut faire espérer un débat de longue durée. La laïcité a besoin d’un tel débat, à condition qu’il évite l’inflation idéologique, la prédominance des affects sur la raison.

Première dans l’histoire de la République, le rapport dissipe de nombreuses équivoques. Il est impossible de réduire la laïcité à l’un de ses aspects.Celle-ci est, indissociablement, « liberté de conscience, égalité en droit des options spirituelles et religieuses, neutralité du pouvoir politique ». La dernière expression est peut-être un peu trop allusive mais elle se trouve très vite précisée : la laïcité « soustrait le pouvoir politique à l’influence dominante de toute option spirituelle ou religieuse, afin de pouvoir vivre ensemble » dit le texte.
Cela ne signifie nullement que ces différentes options soient privées de toute capacité d’expression publique. Au contraire : « la laïcité distingue la libre expression spirituelle ou religieuse dans l’espace public, légitime et essentielle au débat démocratique, de l’emprise sur celui-ci qui est illégitime ». En effet, « en garantissant la libre expression de chacun, en procurant à tous l’éducation qui forgera l’autonomie et la liberté de jugement, l’Etat inscrit la laïcité dans la filiation des droits de l’homme ».

Ce rapport, je l’ai voté dans son ensemble et je me suis abstenu dans une de ces parties. Certains me reprochent ce dernier vote, qui a empêché une unanimité complète. Où est le drame ? En m’abstenant je n’ai fait que pratiquer cette « autonomie et liberté de jugement » que l’on dit volontiers être un des biens les plus précieux de la laïcité face aux extrémismes politiques ou religieux. Par ailleurs, je renforce l’autorité du texte en montrant qu’il ne s’est pas produit une unanimité de façade. Chacun s’est déterminé en conscience et il est bien qu’il en soit ainsi.
Pour ma part, il existe un accord fondamental sur l’esprit général du texte dont, au même titre que les autres membres de la Commission, j’estime être un des auteurs et une différence d’appréciation concernant l’interdiction des signes religieux à l’école.

Comment pourrais-je ne pas être fondamentalement en accord avec un texte qui, dés le départ, met la laïcité en perspective historique ? Loin d’en faire un principe abstrait, intemporel, notre document explicite comment la laïcité s’est construite à travers l’histoire tourmentée de notre pays, rendant possible d’autres figures de la laïcité ailleurs et rompant ainsi avec une vision où elle serait qu’une « exception française ».

Bien plus, il est reconnu explicitement que deux modèles de laïcité se sont opposés et, qu’avec la loi de séparation, c’est le modèle « libéral et tolérant » qui a triomphé. Non que ce dernier modèle soit laxiste, mais si la France cesse définitivement, en 1905, « de se définir comme nation catholique », d’un autre coté elle renonce « au projet d’une religion civile républicaine ».
Résultat à moyen terme: « l’ensemble des composantes de la société se rallie au pacte laïque. L’insertion en 1946 puis en 1958 de la laïcité parmi les principes constitutionnels consacre cet apaisement ».

Une telle analyse ne constitue pas un simple rappel du passé. Elle informe la perspective générale du texte, et parfois de façon très audacieuse. Je ne prendrais qu’un seul exemple. A l’indication -classique- d’un « équilibre des droits et des devoirs », le rapport précise que cela peut être réalisé grâce à « ce que les Québécois qualifient d’ ‘accommodements raisonnables’ ». Dans une autre partie du texte, le rappel de « l’instauration d’un jour vacant en plus du dimanche (à l’école) pour permettre l’enseignement religieux » par Jules Ferry, puis le rappel de l’inscription des aumôneries dans la loi de 1905, est accompagné du commentaire suivant : « les exigences d’une neutralité absolue sont donc tempérées par les « accommodements raisonnables » permettant à chacun d’exercer sa liberté religieuse ».
Ces passages revêtent deux significations. D’abord, que la laïcité française peut emprunter au Quebec la pratique de « l’accommodement raisonnable » pour résoudre des problèmes concrets ; ensuite que, de fait, cette méthode a déjà été utilisée aux périodes fondatrices de la laïcité et donc qu’elle est foncièrement laïque.

Qu’est ce que l’accommodement raisonnable ? C’est la prise en compte du risque de discriminations indirectes. Une mesure, en apparence neutre, peut très bien avantager certains citoyens par rapport à d’autres. Ainsi le fait que le dimanche soit le jour férié général, avantage les chrétiens par rapport à des personnes dont les convictions sont différentes. Au Quebec, on a donc remplacé cela par l’obligation, pour « les employeurs, à ne pas faire travailler leurs employés plus de six jours consécutifs »° Voilà pour l’accommodement. Mais celui-ci doit rester « raisonnable » et ne pas désorganiser le bon fonctionnement d’une institution ou d’une entreprise. Et cet aspect « raisonnable » permet de sortir de la logique du ‘tout ou rien’.

La proposition de modification des jours fériés scolaires prend sens à partir de cette optique. Je comprends mal certains commentaires : qu’un élève n’ait pas classe le jeudi de l’Ascension ou le jour de la Toussaint serait de la pure laïcité républicaine ; qu’il n’ait pas classe les jours de Kippour et de l’Aïd, serait de l’affreux communautarisme !
Et que l’on ne dise pas : « c’est ainsi, c’est la tradition » à des populations auxquelles on demande précisément de renoncer à certaines de leurs traditions en invoquant l’universalisme laïque. Agiter le chiffon noir du « communautarisme » chaque fois que l’on veut donner un peu de pluralisme à ce qui reste parfois, en fait, une catho-laïcité condamne à terme la France à être un pays singulièrement ringard. Sais-t-on que le chef d’Etat français, avec l’Alsace-Moselle, est le dernier chef d’Etat de la planète à nommer un évêque catholique. Bravo l’immobilisme ! Et, personnellement, je regrette d’ailleurs que la Commission se soit montrée si timide sur les trois départements de l’est.

L’accommodement raisonnable aurait pu même servir davantage de fil directeur aux propositions énoncées par le texte. Précisons d’emblée qu’il ne s’applique pas pour tout ce qui concerne fondamentalement les droits de la personnes : pas d’accommodements raisonnables pensables pour l’excision, les mariages forcés, les injures ou actes racistes ou antisémites. Là, une seule excision, un seul mariage forcé ou une seule injure sur le « territoire de la République » s’est forcément un de trop. Le seul problème consiste donc à mener un combat le plus efficace, le plus opératoire possible pour faire disparaître cet inacceptable. Et on sait très bien à quel point cela est difficile, demande une mobilisation de tous les instants. Ne dispersons donc pas nos forces.

Les signes religieux « ostensibles » entrent-ils dans cette même catégorie de l’inacceptable? La Commission a répondu oui et à refusé tout accommodement raisonnable au nom « notamment (de) l’égalité entre les hommes et les femmes ». On a parlé d’intériorisation, par les femmes, d’un statut d’infériorité, et même de « maltraitance ».
Le forcing, à la fin des travaux, était tel qu’il apparaissait bien difficile de s’opposer à cela sans avoir l’air d’être un horrible mec tolérant une situation inacceptable de soumission des femmes. Pas étonnant qu’au sein d’une Commission, où beaucoup étaient très partagés, les résistances soient tombées les unes après les autres. Je pense être assez au clair dans ma tête sur l’unité de la personne humaine pour écouter sans me laisser impressionner. Or qu’ai-je entendu ? Qu’il n’était pas question d’étendre cette disposition d'interdiction des signes ostensibles aux établissements privés sous contrat bénéficiant de fonds publics. Un membre de la Commission, logique avec lui-même l’a demandé. La réponse a été sèchement non, coupant court à tout débat sur ce point.

Est-on alors vraiment sérieux ? Penserait-on un quart de seconde qu’injures ou actes racistes et antisémites pourraient être interdits dans le public et admis dans le privé sous contrat ? Que l’on pourrait, dans ces établissements, pratiquer des excisions ? Ne reconnaît-on pas implicitement par là que les significations du foulard (car la « grande croix » n’a rien à voir avec les rapports de genre, soyons sérieux là aussi !) sont beaucoup plus complexes, voire parfois paradoxales qu’on veut bien nous le dire ? Que c’est à tort que l’on établit un continuum absolu entre le foulard et d’autres aspects, ne serait-ce que la mise en cause des programmes (qui, elle, ne sera pas plus tolérée dans le privé sous contrat que dans le public).
Et qu’en est-il de l’unité de la République quand celle-ci se prépare à interdire le foulard à l’école publique et à financer les futures écoles privées sous contrat, qui vont se créer précisément pour recevoir les jeunes filles à foulard ? Ne vaut-il pas mieux tolérer un port discret du foulard dans l’école de tous (en se donnant les moyens de faire respecter les limites énoncées par le Conseil d’Etat) plutôt que se préparer à financer leur port ostensible dans des écoles particulières ?

Le vent souffle et certains pensent que la tempête est là. Admettons que le diagnostic soit exact (encore que la Commission ne se soit pas donné les moyens de vérifier ce que représentent quantitativement les dérives qu’elle a constatées). Alors, la stratégie du chêne peut en séduire beaucoup. Et pourtant, l’école laïque me l’a appris, c’est le roseau subtil qui plie et ne romp pas.

14:20 Publié dans EVENEMENTS | Lien permanent | Commentaires (0)