10/03/2010
POUR UN REPUBLICANISME CRITIQUE
Bon, mon doigt m’handicape encore, mais je pense pouvoir reprendre normalement mes Notes, sur ce Blog, d’ici quelques jours.
Déjà celle là est plus consistante que les 2 dernières.
Car, en attendant cet avenir radieux (mes 10 doigts disponibles), je vous recommandee l’ouvrage d’une philosophe, Cécile Laborde : Français, encore un effort pour être républicain, qui va paraître, demain (c'est-à-dire le jeudi 11 mars) aux éditions du Seuil.
Certes, « demain est un autre jour », comme dit Olivia Ruiz, mais grâce au Blog, vous bénéficiez d’une présentation de l’optique de l’auteure, EN PREMIERE MONDIALE.
Vous êtes vraiment de vrais petits vernis.
En plus, c'est une optique enrichie par ma propre interprétation, à moi, personnellement.
Dites, vous êtes doublement, voire triplement, vernis :
- vous avez le beurre (l’indication du livre en avant première, aller ne lésinons pas, disons interplanétaire et n’en parlons plus) ;
- l’argent du beurre (l’interprétation gratos de bibi) ;
- et le sourire, sinon de la crémière, de Cécile Laborde (mais ça seulement si vous vous précipitez pour acheter le livre) !
Cet ouvrage prône un républicanisme critique.
La perspective de Cécile Laborde consiste à dépasser l’opposition du particulier et de l’universel, en montrant que les principes universels sont nés, et inscrits, dans des cultures spécifiques.
Il ne s’agit donc pas de défendre on ne sait quel étroit particularisme contre un grandiose universel mais :
- de savoir analyser les conditions d’élaboration et d’inscription de cet universel qui le particularise dans une culture ambiante (dans un stimulant Traité sur la tolérance, paru chez Gallimard en 1998, Michael Walzer en faisait déjà le constat)
- de rétablir l’égalité pour celles et ceux qui inscrivent ces principes universels dans d’autres contextes culturels, notamment les minorités religieuses.
Cécile Laborde récuse une approche idéologique de l’émancipation, où certains s’estiment déjà émancipés, libérés, et veulent imposer aux autres leur itinéraire émancipateur.
Cela revient à s’ériger en maître de morale, et donc adopter une démarche convictionnelle, légitime à ce niveau, mais qui transforme la laïcité en religion civile, quand elle prétend relever de la morale laïque, de principes républicains universels.
Elle met au centre de sa perspective la non domination, le fait de ne pas subir un pouvoir arbitraire et de ne pas être relégué dans une position sociale subalterne. Cela lui fait revisiter la notion de citoyenneté.
Bon, on peut avoir une discussion théorique avec Cécile Laborde, notamment sur la façon dont elle articule « domination » et « pouvoir ».
Mais, globalement, la perspective est extrêmement intéressante, et opère une sortie hors des impasses dans lesquelles les philosophes républicains se fourvoient
(Certes, c’est leur affaire, mais lo problémo est qu’ils veulent nous entraîner dans leur non-réflexivité, et ça, c’est « vachement craignos », comme Husserl l’indiquait déjà quand il avait été voir Platon dans sa caverne).
Vous savez quoi :
- vous allez toutes/tous vous précipiter demain (aujourd’hui ou hier, si vous lisez cette Note avec retard) dans les librairies, parce que la vente d’un livre, les 1ers jours de sa sortie induit la façon dont les libraires vont le mettre en avant ou pas.
- Vous n’allez pas vous déplacer pour n’acheter qu’un seul livre. Et donc, vous en profiterez, petits malins, pour acquérir également l’ouvrage de Myriam Revault d’Allonnes : Pourquoi nous n’aimons pas la démocratie ? paru en février.
Les 2 livres sont complémentaires, et vous allez apprécié (notamment) la réflexion de Myriam Revault d’Allonnes sur le pouvoir, et sur la spécificité du pouvoir démocratique.
C’était ma spéciale contribution : halte à LA journée de la femme. Vive la promotion, tout le long de l’année (et même au delà !), des femmes intelligentes.
Non mais.
12:40 Publié dans Laïcité et diversité culturelle | Lien permanent | Commentaires (2)
07/03/2010
LIBERTE + FEMINISME CONTRE FEMMES
MERCI DE RESTER FIDELE AU BLOG,
MALGRE MA DIFFICULTE (PROVISOIRE) A TAPER A LA MACHINE.
APRES LE BLOG D'UN AMI BELGE, JE VOUS RECOMMANDE LE BLOG D'UN AMI FRANCAIS (parisien même, mais No body is perfect!): LAURENT BLOCH:
Il nous incite à voir « Liberté », le film de T. Gatlif, autant le faire pendant qu'il est encore en salle :
http://laurent.bloch.1.free.fr/spip.php?article133
JE VOUS RECOMMANDE EGALEMENT L'ARTICLE DE WIDAD KETFI (in Le Monde, 7-8 mars): FEMINISTES CONTRE LES FEMMES
Il exprime très bien le caractère équivoque d'un CERTAIN féminisme actuel, plus enclin à combattre des femmes que des inégalités (criantes) bien françaises, au détriment des femmes.
W. Ketfi a 24 ans, elle est étudiante en journalisme. Souhaitons lui une très belle carrière et, dés à présent, retenons son nom.
17:04 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (2)
02/03/2010
Visitez le Blog d'Henri Goldman
Un vilain panaris m'empêche pratiquement de taper sur mon ordinateur!
En attendant d'être de nouveau opératinnel, je vousconvie à aller sur leblog de mon ami Belge H. Goldman,
qui parle de sujets fort proches de mon propre Blog.
19:36 Publié dans Blog | Lien permanent | Commentaires (5)
25/02/2010
UN MULTIRECIDIVISTE CHEVRONNE!
Après l’invocation sacrale de la laïcité contre une candidate NPA, Ilham Moussaïd, voici l’invocation faussée de la sécurité contre un candidat PS, Ali Soumaré :
L’instrumentalisation des valeurs va bon train dans la République dont Sarko est le roi !
Vous allez me dire qu’il ne s’agit pas de la même chose, puisque pour Ali Soumaré, il y a eu diffamation.
OK, mais supposer a priori que le port du foulard signifie que l’on croit en une pseudo infériorité de la femme, n’est-ce pas indirectement diffamatoire ?
Revenons a Ali Soumaré : Les élus UMP ont tiré plus vite que leur ombre ; c’est le résultat d’une propagande sécuritaire qui vise à l’auto-intoxication.
Il ne faut pas se laisser prendre au piège :
- de même que pour le foulard, le contraire de l’imposition est le libre choix et non l’interdiction ; de même le contraire du « tout sécuritaire » n’est pas l’angélisme ou la dénégation, mais l’art d’articuler sécurité et liberté
- de même qu’il aurait été utile de pouvoir débattre, dans de toute autres conditions, de l’identité nationale, de la citoyenneté, et de leurs mutations actuelles, de même le droit à la sécurité des personnes et des biens est très légitime.
Seulement voila, une véritable politique de sécurité-liberté est une politique non spectaculaire, non médiatiquement visible : il s’agit de produire du NON-EVENEMENT ; d’assurer que rien de fâcheux ne se passe. Il s’agit d’apaiser.
Là, on veut inquiéter (hou là là, les socialos, ils vont chercher des « multi récidivistes »…) Il s’agit aussi, de façon permanente, de « faire du chiffre ». Ce n’est certes pas ce que souhaitent la grande majorité des policiers.
(Et là encore, il y a un piège à éviter, celui qui consisterait à croire que l’on peut se passer d’une police démocratique)
Mais une police démocratique, cela relève d’une politique globale, qui n’est certes pas celle suivie actuellement.
Quand cela conduit à interpeller une adolescente de 14 ans, et à la transporter menottée et en pyjama au commissariat, l’opinion se réveille. Surtout qu’il s’agit d’une jeune fille de la classe moyenne.
Le parent moyen peut s’identifier, et s’inquiète.
Mais il ne s’agit que la face émergée de l’iceberg, et une des évolutions les plus inquiétantes de ces dernières années est cette diminution, multiforme, des libertés publiques, créant les conditions d’un régime autoritaire.
On se gargarise de la « République », on ferait mieux de se soucier un peu plus du fait que la Constitution qualifie al République de « démocratique ».
En vrac, quelques rappels, sur des domaines où je ne suis certes pas spécialiste, mais où je tente de m’informer comme citoyen.
On va voir que, sur le problème des libertés publiques, c’est le pouvoir qui est « multirécidiviste chevronné »
- la suppression du juge d’instruction : « pourquoi pas ? » disent certains juristes , « mais en tout cas pas au profit du parquet, car là on est dans la régression de la démocratie. »
- la manière dont les gens de l’UMP ont eu des pièces confidentielles (et dont certaines concernait un homonyme mineur) qu’ils n’auraient jamais du avoir : dangereuse collusion entre police, justice et pouvoir!
- les gardes à vue : ailleurs en Europe, les libertés de la personne suspectée (mais présumée innocente) sont beaucoup plus respectées : est-ce à dire que les policiers n’arrivent pas, dans ces autres pays, à faire leur travail sérieusement, à mener leur enquête ?
- les prisons françaises, les plus pourries des pays démocratiques européens, semble-t-il. Avec, en tout cas, le record d’Europe des suicides. Là encore, comment font les autres,
- etc, etc. Vous avez certainement d’autres exemples en tête
Les médias sont devenus le filtre de toute réalité. Nous devrions savoir, par leur intermédiaires, comment cela se passe ailleurs (respect des droits dans les gardes à vue, nettement moins de suicides, etc).
Mais puis que nous parlons de media : connaissez-vous un autre pays démocratique où le chef de l’Etat nomme lui-même les responsables des chaînes radio et télé publiques ?
Et à ce propos, pourquoi Pierre Joxe s’est retrouvé tout seul au Conseil constitutionnel quand il s’est agi d’avaliser ou de refuser cette dangereuse mesure ? (cette nomination par le chef de l’Etat)
Puisqu’on vient de nommer 3 nouveaux membres, c’est le moment de soutenir l’initiative de Joxe : réclamer le droit à ce que l’opinion dissidente d’un membre du Conseil Constitutionnel soit publiée et que chacun puisse juger sur pièce.
Cela comporterait 2 avantages importants :
- d’abord mettre chaque membre devant ses responsabilités : aujourd’hui on ne connaît pas les positions de chacun. Joxe, en transgressant ce tabou, en révélant qu’il s’est retrouvé seul dans des moments décisifs, montre le conformisme de ses collègues ;
- ensuite, connaître l’argumentation du ou des minoritaires permet de faire rebondir le débat dans la société, au lieu de recevoir tout cru les décisions du Conseil.
Jean-Louis Debré (le président du Conseil Constitutionnel) a laissé entendre qu’il réfléchissait à la question.
Est-ce la mise en route du processus ou une façon de débotter en touche ?
Ce serait pourtant un premier pas
(Un second serait de réviser le processus de nomination de ces Messieurs (au pluriel)/dame (au singulier). Tiens, les gens qui nomment les membres du Conseil, auraient-ils un « tchador’ dans la tête ?
On va me dire que la question du Conseil Constitutionnel ne passionne pas les foules.
Certes. Mais la vérification de la constitutionnalité, c’est pourtant le CADRE de la démocratie, puisque ce que c’est à l’intérieur de cet espace constitutionnel que les majorités politiques peuvent faire et défaire les lois.
C’est grâce à cela que la démocratie, ce n’est pas seulement le gouvernement de la majorité, c’est aussi le respect des droits de tous, majoritaires ET minoritaires.
J’ai bien peur que si rien n’est fait en ce sens, on subisse de plus en plus un pouvoir multirécidiviste et très chevronné quant aux atteintes aux libertés publiques !
14:47 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (1)
21/02/2010
Documentaire: Musulmans de france sur France 5
Soirée Spéciale
sur France 5
présentée par Carole Gaessler
Musulmans de France
Mardi 23 février 2010
à 20h35
Série documentaire de 3 X 52’
Un film de Karim Miské, Emmanuel Blanchard et Mohamed Joseph
Réalisé par Karim Miské et Mohamed Joseph
Une production : la Compagnie des Phares et Balises en coproduction avec France Télévisions et L’INA, avec le soutien de l’Acsé, du CNC et la participation de Public Sénat et Planète
Cette fresque passionnante et inédite raconte un siècle de présence musulmane en France. Une histoire tumultueuse faite d’attirance et de rejet. De violence et d’amour. Notre histoire commune.
. Episode 1 : Indigènes 1904-1945 (49’)
. Episode 2 : Immigrés 1945-1981 (58’)
. Episode 3 : Français 1981-2009 (64’)
Série documentaire sélectionnée au Fipa 2010 dans la section
« Situations de la création française »
Sortie du double DVD en mars 2010.
La série « Musulmans de France » est librement inspirée de :
Histoire de l’Islam et des Musulmans en France
du Moyen-âge à nos jours
Editions Albin Michel
23:11 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (2)
16/02/2010
Des féministes et des foulards.
D’abord une réaction d’humeur qui introduit notre sujet : je viens d’écouter France Inter et, avec Laurent Wauchier, c’était le punching ball sur les retraites. Fort bien. Mais pourquoi alors, les journalistes de la même station étaient, il y a quelques jours, dégoulinants de servilité devant la grande bourg’ d’ Elisabeth Badinter ?
Et le pire, c’est que je pense qu’ils ne s’en rendent même pas compte.
Bon, passons à notre sujet, lié à la tempête médiatique créée par la candidature d’Ilhem Moussaid en 4ème position par le NPA du Vaucluse. Je vous renvoie tout de suite au texte d’un sociologue talentueux car il complète ma Note
"Le NPA, le foulard et l'émancipation : avec Ilham Moussaïd", par Philippe Corcuff, Mediapart, 12 février 2010,
http://www.mediapart.fr/club/blog/philippe-corcuff/120210/le-npa-le-foulard-et-l-emancipation-avec-ilham-moussaid
Il y a plein de choses où je suis d’accord avec lui, notamment sur le fait que, quand on dit que « la laïcité privatise la religion », cela signifie que la religion est devenue un choix privé, un choix personnel, et pas du tout qu’elle doit devenir invisible.
Cela signifie que la religion n’est pas une institution qui comporte des obligations sociales : la justice, la médecine, l’école ne sont pas livrées au choix privé, encore que même pour ces institutions, nous soyons dans un certain processus de privatisation.
J’ai plusieurs fois abordé la question des mutations actuelles de la médecine. Celles et ceux qui ont consulté mes Notes n’ont pas du être surpris par l’échec de la vaccination contre la grippe A.
cela est un nouveau signe du fait que l’Etat ne peut plus imposer aussi facilement que par le passé certains actes médicaux. On comprend mieux alors les revendications de respect de la liberté de conscience dans les institutions de ce type. Elles s’inscrivent dans ce contexte général.
Corcuff indique très bien que la laïcité n’a ni empêché l’abbé Pierre de siéger en soutane à l’Assemblée Nationale, ni des listes socialistes ou autres de marquer explicitement « chrétiens de gauche » à côté du nom de certains candidats à des élections.
Je rappellerai en outre que la laïcité a été inscrite dans la Constitution en 1956 quand le Président du Conseil des Ministres (c’était le nom de l’époque) était MRP, parti démocrate-chrétien.
En Italie, c’est quand la Démocratie chrétienne était forte qu’on été votées les principales lois laïcisatrices (divorce, réforme du droit familial, avortement, … ).
Depuis la fin de la démocratie chrétienne, il y a plutôt un reflux de la laïcité italienne (bien qu’elle ait été décrétée par la Cour constitutionnelle de ce pays « principe suprême de la Constitution).
Dans la France de 2010, existe le petit parti « chrétien démocrate » de Christine Boutin.
Etc, etc.
Donc prétendre que la laïcité est « menacée », c’est une fois encore être dans le double discours.
Venons en à l’argument féministe. Je le prends davantage en considération.
Et notamment l’indication que, dans un certain nombre de pays, des femmes se battent pour avoir le droit de ne pas porter le foulard.
Que le foulard peut être un « symbole d’oppression ».
Qu’au minimum ce serait un grave manque de solidarité avec ces femmes que de le porter dans les démocraties occidentales.
Autre argument avancé : le fait de se couvrir la tête (et de porter des vêtements longs et qui rendent la silhouette plus ou moins informe) serait une façon de s’inférioriser comme femme, de considérer son corps comme « pécheur », etc (« sinfull » disent les Anglais).
Je n’ai pas besoin de détailler les arguments, vous les trouvez à longueur de médias.
Et je remarque qu’ils sont repris par des personnes pour lesquelles j’ai de l’estime. Je ne les balaye donc pas d’un revers de main.
Deux réponses sur le premier argument :
Quel est le contraire de l’imposition : l’interdiction ou le libre choix ?
Le contraire de la Révocation de l’Edit de Nantes (qui interdisait aux Français d’être protestant), c’était d’obliger les gens à être protestants ou permettre le choix de sa religion par chacun ?
Eh oui, interdiction et imposition font partie de la même structure.
Et malgré l’estime que je peux leur porter, je considère que les amis (et amies) qui tentent d’interdire idéologiquement à des femmes de porter le foulard, sous prétexte qu’il est imposé ailleurs, sont dans un schéma structurel analogue celui qu’ils/elles prétendent combattre
Attention de ne pas être dans un déficit inquiétant de démocratie.
La France n’est pas, Laïcité merci (ou Dieu merci, comme vous voulez) l’Iran ou l’Arabie saoudite à l’envers.
D’autre part, la solidarité doit s’effectuer avec toutes les femmes qui n’ont pas de libre choix.
Qu’il s’agisse du libre choix de ne pas le porter, ou du libre choix de le porter.
Un récent article du Times de Suna Erdem (28 janvier), une militante laïque turque, nous renseigne sur la situation dans ce pays. Les femmes qui portent le foulard sont exclues de l’université et, si elles ne sont pas issues d’une famille riche qui peut les envoyer étudier à l’étranger, elles deviennent des « houswives », des femmes au foyer.
En 1999 quand Merve Kavkçi, une politicienne musulmane portant un foulard fut élue au Parlement, elle se fit huer et mettre dehors par les députés. Elle du en fait quitter la Turquie.
Elle partit étudier à Harvard et devint une défenseuse de droits des femmes musulmanes qui, précise Suna Erdem, « subissent des humiliations et des discriminations »
L’actuel parti démocrate musulman au pouvoir, l’AKP, comporte (nous dit toujours S. Erdem) « beaucoup de femmes appréciées portant le foulard » mais il ne peut les présenter aux élections.
Elle continue en donnant d’autres exemples et termine en demandant que personne ne dise qu’interdire le foulard ou la burqa «constitue une étape pour le droit des femmes ».
Non seulement donc notre solidarité ne doit pas être à sens unique, mais voulons nous faire pareil que les laïques (autoritaires) turques :
Confiner des femmes dans leur foyer, sous prétexte de féminisme,
Les empêcher de pouvoir être pleinement citoyennes,
D’avoir un rôle public ?
Bref les forcer à ressembler à l’image que l’on a d’elles !
Autre argument mis en avant : le rapport au corps qu’induirait le foulard.
Permettez de vous raconter une manifestation à laquelle j’ai assisté peu après Mai 68 (je ne me rappelle plus la date exacte) qui me semble assez représentative de ce qui s’est passé ces années là.
C’était à la Mutualité et organisé par un mouvement féministe (le MLF ? La encore je ne sais plus).
C’était un vrai succès car l’assistance, nombreuse, était essentiellement composée de jeunes hommes, et leurs vêtements, leur manière de parler, etc montraient que la plupart venaient de quartiers populaires.
Je ne sais comment ce résultat avait été obtenu, sauf que les groupes gauchistes à cette époque avaient une réelle implantation dans ces quartiers.
Bref ces jeunes hommes écoutaient les jeunes femmes de la tribune leur expliquer que l’égalité des sexes n’existait pas (avec des exemples concrets) et que cela devait changer.
Ils écoutaient assez attentivement d’ailleurs.
Tout à coup, ces jeunes femmes ont toutes enlevé leur robe. Elles ne portaient rien en dessous, et elles se sont mises à danser, intégralement nues.
Cela a été la stupéfaction totale dans l’assistance.
Et chacun avait les yeux exorbités, ces yeux rendus célèbre par le loup de Tex Averi.
Moi comme les autres, bien sûr.
Mais cela ne m’empêchait pas de sociologiser un peu et de trouver cela fort ambigu, très ambivalent.
D’un côté j’arrivais difficilement à comprendre la raison de ce geste car il ne faisait que reproduire l’évolution de la publicité et des photos des magazines, qui déshabillaient de plus en plus les femmes.
Il faudrait retrouver l’année où le « nu intégral » a été autorisé dans les magazines (dits de « charmes »). Quand je cherche cela sur google, je n’ai aucun résultat (par contre, on me propose des photos très « hot » !), mais ce n’est pas avant le milieu des années 1960 à mon avis.
Donc ce qui se voulait (sans doute) provocation allait dans un sens socialement conformiste, reproduisait, à sa manière, l’évolution de cette société « capitaliste » tant honnie par ailleurs.
Et les médias d’ailleurs se sont régalés, ces années là, en photographiant des femmes enlevant leur soutien-gorge.
Ces photos ont fait vendre.
Au même moment où je me tenais de telles réflexions, je me disais aussi que si ces femmes faisaient cela, c’est que cela avait du sens pour elles.
Que, paradoxalement, elles estimaient se libérer en dansant nues devant des centaines de types qui se rinçaient l’œil.
Et je devais arriver
- soit à comprendre la signification que ce geste avait pour elles (comme sociologue),
- soit au moins à l’admettre (comme « militant », maintenant on dirait comme « citoyen » mais à l’époque on ne valorisait pas le terme de « citoyen » : c’était la Révolution qui était mise sur un piédestal, pas la République !)
La manière de se libérer est, elle aussi, un choix personnel : elle ne s’effectue pas en ligne droite, mais avec des zigzags, comme le tracé de la boule de billard.
Il n’empêche c’était diablement ambivalent. Mais c’était ainsi qu’elles menaient leur combat, et se « libéraient ».
Le foulard, lui aussi est ambivalent (et, sur beaucoup de points, moi aussi je suis ambivalent, je le reconnais volontiers).
Que le foulard donne des boutons à certains/certaines, certes.
Mais beaucoup de féministes que je connais (et d’autres que je ne connais pas) ont l’intelligence d’admettre que c’est avec un foulard que certaines femmes musulmanes se libèrent.
Seulement les médias ne leur donnent guère la parole.
Quant aux autres, celles qui affirment : « nous nous sommes battues pour que … et maintenant…. » (vous connaissez la chanson, là aussi on la trouve dans lous les médias),
je leur dis : oui, vous vous êtes battues, OK très bien, mais d’une façon qui n’était pas infaillible, loin de là et qui correspondait à certains défis d’une certaine époque.
Vous vous êtes battues et libérées à votre manière à vous.
Vos combats étaient ambivalents, les combats actuels le sont également d’une autre manière.
Et c’est peut-être d’ailleurs en partie votre ambivalence elle-même qui a contribué à produire l’ambivalence du nouveau combat.
Mais aussi (sachez avoir un regard d’ensemble) c’est en partie grâce aux acquis, aux résultats de vos combats, que les combats de féministes d’aujourd’hui sont différents.
Ce n’est pas nouveau d’ailleurs : dans les années 1980, j’avais des étudiantes féministes et qui m’indiquaient qu’elles subissaient des reproches de féministes de la génération précédente (celle des années 1960) parce qu’elles (=ces étudiantes) ne trouvaient pas incompatible avec leur féminisme, de porter des dessous sexy.
Mais, autre temps, autres combats.
Alors, en voulant que la génération actuelle fasse comme vous autrefois (que vous soyez génération années 1960, 1980_1990, ou même plus jeunes et dans la ligne), vous vous comportez de façon analogue aux femmes traditionalistes qui étaient contre votre démarche de libération.
Quelque soit votre âge, vous risquez vraiment de devenir vieilles d’esprit et de cœur.
Tout cela parce que, blessure narcissique !, votre combat n’était pas la fin de l’histoire
Et que celle-ci continue. Autrement, ne vous en déplaise.
Et en voulant refuser aux femmes qui portent un foulard de pouvoir agir dans la société,
En refusant à l’une d’elle d’être candidate d’un parti de gauche, d’être favorable à la contraception et à l’avortement, de se battre pour l’égalité, la justice, la solidarité (déclaration de Ilhem Moussaid à plusieurs journaux), ne devenez-vous pas antiféministes ?
Car vous tentez de faire ce qu’on appelle en sociologie, une « prophétie auto-réalisatrice », c'est-à-dire qui produit ce qu’elle annonce.
Vous voulez que les femmes à foulard ressemblent à ce que vous voyez d’elles (le foulard, pas l’ensemble, pas la complexité labyrinthique de tout être humain),
vous voulez les confiner dans la sphère privée, pour pouvoir vous rassurer à bon compte, et prétendre que vous aviez raison.
Les femmes à foulard qui se battent pour être citoyennes à part entière font preuve de courage.
Mais, pour que la chaîne ne se reproduise pas indéfiniment, qu’elles intègrent dés maintenant l’ambivalence de leur propre combat ; qu’elles retiennent la leçon qu’à leur insu certaines féministes leur donnent, et qu’elles veillent à ne pas leur ressembler.
PS : on ne saurait tout traiter : il y a bien sûr aussi dans cette affaire aussi des aspects de politique politicienne (rivalité entre partis de gauche, donc bon moyen de discréditer le NPA ; volonté de jouer les Matamore après l’échec de la Commission sur la dite burqa, etc).
12:21 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (24)
07/02/2010
Manifeste québécois sur le pluralisme et la laïcité
Vous êtes toujours aussi nombreux à consulter le Blog (+ de 4600 visites dans les 14 premiers jours de février)
Merci de votre fidélité.
Et demain mardi 16, une nouvelle Note à partir de « l’affaire » de la candidate NPA : Des féministes et des foulards.
Voci la version intégrale d'un Manifeste déjà signé par plusieurs centaines d'universitaires québécois:
On va le constater: les analogies avec la situation française sont frappantes.
Manifeste pour un Québec pluraliste
Nous sommes d’allégeances politiques et intellectuelles diverses, mais nous partageons une profonde inquiétude quant à la direction que prend le débat sur l’identité et le vivre-ensemble au Québec. Il nous semble qu’une vision ouverte, tolérante et pluraliste de la société québécoise, une vision qui est selon nous en continuité avec les grandes orientations du Québec moderne, se trouve occultée par deux courants de pensée qui sont en rupture avec cette évolution et avec notre histoire. Ces deux courants finissent par converger dans une manière de concevoir la société québécoise qui, selon nous, risque de priver le Québec du dynamisme qu’insuffle aux sociétés une posture d’accueil et de dialogue, conditions essentielles à l’élaboration d’un authentique vivre-ensemble.
Deux courants convergents
Nous qualifierions la première de ces visions de nationaliste conservatrice. Elle voit le Québec comme ayant fait de trop larges concessions envers la diversité culturelle ces dernières années. L’interculturalisme, la laïcité ouverte, les pratiques d’accommodement raisonnable, le programme d’Éthique et culture religieuse (ECR) et d’autres politiques semblables sont perçus par les tenants de cette position comme mettant en péril une culture québécoise authentique et comme éclipsant la mémoire de la majorité historique.
La seconde vision revendique une laïcité stricte. Elle récuse les manifestations religieuses « ostentatoires » dans la sphère publique. Elle entend renvoyer le religieux hors de l’espace public, non pas au nom de valeurs québécoises majoritaires, mais au nom d’une conception de la société qui préfère limiter tout signe d’allégeance religieuse au seul espace privé.
Ces deux courants, a priori différents, convergent concrètement de deux manières. D’abord, dans la mesure où les pratiques et les signes religieux des minorités sont toujours plus « visibles » aux yeux de la majorité que les siens propres, les tenants d’une laïcité stricte et ceux d’un nationalisme conservateur se rejoignent dans une même attitude d’intransigeance à l’endroit des minorités, exigeant qu’elles se plient à une vision de la société québécoise qu’elles n’auraient pas contribuée à forger. Les deux courants convergent également lorsqu’une laïcité stricte est invoquée à l’encontre de citoyens membres de confessions religieuses dont les croyances sont tenues pour incompatibles avec la laïcité de la société québécoise.
Or, il existe une autre vision de la société québécoise, plus ouverte, plus tolérante et surtout plus dynamique dans sa conception des rapports sociaux : nous croyons qu’elle correspond, mieux que ne le font les visions que nous venons de décrire, aux exigences de la vie en commun dans une société plurielle et aux orientations sociopolitiques du Québec. Cette vision est actuellement fragilisée par la place qu’occupent le nationalisme conservateur et la laïcité stricte dans le débat public, par le fait aussi qu’aucun des deux principaux partis politiques québécois ne s’en fait explicitement le porte-étendard (même si cette vision a été, à différentes époques, embrassée tant par le Parti québécois que par le Parti libéral du Québec). Nous souhaitons exposer ici cette position pluraliste, qui nous semble la plus apte à répondre aux défis du Québec d’aujourd’hui et de demain.
Nous reconnaissons que les questions de culture et d’identité soulèvent les passions. Cela peut faire en sorte que le ton s’élève, que les attaques personnelles, le procès d’intention prennent le pas sur le débat raisonné. Nous constatons que le débat sur l’identité québécoise n’a pas échappé à cette tendance. Nous sommes convaincus que le Québec n’a rien à gagner à ce que les débats sur des enjeux aussi fondamentaux se fassent en termes aussi peu civils. Nous nous imposerons donc, dans les échanges que nous espérons avoir avec ceux qui ne partagent pas notre vision du Québec, de nous en tenir aux arguments et aux principes.
Le pluralisme
Le pluralisme en tant qu’orientation normative est accusé de plusieurs choses : de relativisme, de multiculturalisme trudeauiste, de « chartisme », d’antinationalisme, d’élitisme, etc. Plusieurs de ces accusations sont pourtant mutuellement exclusives. Ainsi, l’accusation de relativisme signifie que les pluralistes feraient peu de cas des droits et libertés de la personne ; au contraire, celle de « chartisme » sous-entend qu’ils absolutisent les droits et qu’ils sont prêts à tolérer, en leur nom, n’importe quelle pratique. Pas étonnant, donc, que selon le courant laïciste, le programme Éthique et culture religieuse, par exemple, fasse peu de cas de la Charte des droits et libertés du Québec, alors que, pour des tenants de la mouvance nationaliste conservatrice, ce programme réduit plutôt l’identité québécoise à la dite charte.
La position pluraliste, telle que nous la concevons, n’est ni relativiste ni chartiste. La position que nous défendons est plutôt la suivante : les membres des minorités culturelles et religieuses – excluons de l’analyse la problématique des rapports avec les peuples autochtones, si fondamentale qu’elle mérite une analyse distincte – ne doivent pas être victimes de discrimination ni d’exclusion sur la base de leur différence. De plus, lorsqu’elles sont issues de l’immigration, leur intégration à la société québécoise ne doit pas exiger une assimilation pure et simple. Nous croyons que chacun peut s’intégrer à la société québécoise – c’est-à-dire participer à la vie sociale, politique et économique – en demeurant attaché à des croyances ou à des pratiques qui sont distinctes de celles de la majorité, tant qu’elles ne portent pas atteinte aux droits d’autrui. Par exemple, si l’immigrant doit s’efforcer de s’intégrer à la société d’accueil et doit respecter ses lois et ses institutions, cette dernière doit, en contrepartie, veiller à lever les obstacles à son intégration et valoriser son apport. Le devoir d’adaptation est réciproque.
L’interculturalisme
Le fondement de la position pluraliste est le respect et la reconnaissance de la diversité, que celle-ci soit le fait de minorités ou de la majorité. Cette reconnaissance ne signifie pas qu’il faille tolérer toutes les pratiques culturelles et religieuses, ni que la société québécoise doive être conçue comme la juxtaposition de communautés culturelles repliées sur elles-mêmes. Bien au contraire, le type de pluralisme que nous défendons se veut un approfondissement des valeurs démocratiques sur lesquelles repose le Québec contemporain. C’est pourquoi, foncièrement, nous adhérons au programme de l’interculturalisme québécois, tel qu’il fut d’abord conçu par le PQ de Gérald Godin et René Lévesque et repris par le PLQ de Claude Ryan et de Robert Bourassa. Le Québec y est vu comme une société pluraliste, dont le français est la langue publique commune. La diversité y est perçue comme une richesse, dans les limites fixées par le respect des droits et libertés de la personne et des valeurs démocratiques. L’interculturalisme cherche également à favoriser les relations interculturelles plutôt que le repli identitaire. À quel aspect de ce programme les critiques du pluralisme s’opposent-t-il exactement, et que proposent-ils ?
Il nous paraît erroné d’avancer que cette politique de respect de la diversité mise en œuvre au Québec dans les dernières décennies ait eu comme conséquence la négation de la nation québécoise ou des intérêts de la majorité. Il n’y a nulle incompatibilité à affirmer à la fois le respect de la diversité et la continuité de la nation québécoise. Le Québec choisit déjà, en fonction de ses intérêts collectifs et de critères qu’il a lui-même établis, environ 70% des nouveaux arrivants sur son territoire (le fédéral s’occupant des réunifications familiales et des réfugiés). Il a adopté une charte de la langue française qui défend et promeut la langue de la majorité. Quant à la laïcité « ouverte », elle fait une distinction entre ce qui relève du patrimoine historique et ce qui serait une forme d’identification de l’État à une religion particulière. L’enseignement non confessionnel des religions prévu par le programme ECR, par exemple, accorde une place plus grande aux traditions chrétiennes en raison de leur importance historique au Québec. La position pluraliste ne cherche pas à remettre le compteur de l’histoire à zéro ; elle assume à la fois l’historicité et la diversité de la société québécoise.
La laïcité
Quant à la laïcité, elle est revendiquée avec vigueur dans les débats actuels, comme si les principes de cet aménagement politique étaient absents de la culture politique québécoise. Or, les caractéristiques de la laïcité sont mises en œuvre au Québec depuis des décennies ; la dernière étape fut d’ailleurs la laïcisation de notre système scolaire. Au Québec, l’État élabore les normes collectives sans qu’une religion ou qu’un groupe de conviction domine le pouvoir étatique et les institutions publiques. Il exerce sa neutralité en s’abstenant de favoriser ou de gêner, directement ou indirectement, une religion ou une conception séculière de l’existence, dans les limites du bien commun. Cette orientation politique répond à l’exigence de protéger la liberté de conscience et sa libre expression, de même que l’égalité de tous les citoyens. Cela signifie que les droits civiques et politiques des citoyens ne sont pas conditionnels à l’abdication des croyances et des pratiques de ceux qui les expriment. Au Québec, depuis 1774, aucun croyant n’est tenu d’abjurer une partie de sa foi pour avoir accès aux fonctions publiques. Les catholiques, faut-il le rappeler, furent les premiers à bénéficier de cette protection constitutionnelle.
Encore aujourd’hui dans plusieurs sociétés, les individus qui ne sont pas identifiés à la religion majoritaire non seulement ne jouissent pas de droits égaux, mais leur loyauté politique demeure suspecte. Cette même croyance, à l’effet que l’appartenance religieuse exprimée publiquement soit préjudiciable à l’identité nationale, surgit maintenant au Québec ; et selon ce diagnostic, une charte de la laïcité serait devenue nécessaire. Or, si on examine le contenu de cette requête, on s’aperçoit vite qu’une telle charte serait avant tout un instrument juridique interdisant la manifestation des adhésions religieuses des citoyens dans la sphère publique ainsi que les demandes d’accommodement pour motif religieux (en même temps, elle valoriserait les symboles chrétiens).
S’il est nécessaire et souhaitable de s’entendre sur la signification et la portée de la laïcité, nous croyons que l’interdiction pure et simple de toute manifestation d’appartenance religieuse ne répondrait à aucune nécessité sociale. En premier lieu, aucun groupe religieux, au Québec, n’est en mesure d’imposer ses normes à l’ensemble de la société ; ensuite, la manifestation de l’adhésion religieuse n’est pas en contradiction avec l’appartenance citoyenne. Par ailleurs, une telle interdiction aurait un effet discriminatoire, car elle ne viserait que les croyants appartenant aux religions comportant des prescriptions vestimentaires ou alimentaires. Enfin, une loi d’interdiction générale, même sous l’intitulé d’une charte de la laïcité, nous paraîtrait disproportionnée par rapport aux objectifs recherchés, notamment la neutralité des services publics.
Cette neutralité institutionnelle exige que les normes collectives soient appliquées de manière impartiale, quels que soit le sexe, l’origine ethnique ou religieuse de la personne qui dispense le service ou de celle qui le reçoit. Or, c’est déjà le cas : en effet, les lois et les politiques québécoises ne sont pas élaborées en fonction de normes religieuses. Les rapports entre les représentants de l’État (fonctionnaires, enseignants, etc.) et les citoyens ne sont pas de nature religieuse mais autre (administrative, pédagogique ou coercitive, par exemple). Le fait qu’un agent de l’État affiche un signe d’appartenance religieuse ne l’empêche nullement d’appliquer les normes laïques de façon impartiale ; le citoyen ne peut que constater ce signe religieux, de la même façon qu’il peut remarquer l’origine ethnique du fonctionnaire. Pas plus que la couleur de peau, l’accent ou le sexe, on ne peut présumer que cette affiliation religieuse constitue un biais qui interfère dans la manière dont le fonctionnaire applique la loi ou le règlement. En revanche, l’interdiction de signes religieux peut être justifiée si ceux-ci entraînent un dysfonctionnement du service, un problème de sécurité, un traitement discriminatoire à l’égard d’autres personnes, une atteinte réelle à leur dignité ou encore, s’ils donnent lieu à un prosélytisme. Faut-il le rappeler, la laïcité s’impose à l’État, non aux individus.
La laïcité, en effet, a été conçue historiquement afin d’empêcher l’État ou certains groupes de la société de s’approprier le droit de se faire juges des opinions, des croyances ou des pratiques des citoyens. La volonté d’assurer absolument l’émancipation à l’égard de croyances considérées autoritaires ou passéistes, en refusant tout accommodement au nom d’un impératif laïque, comporte tous les ingrédients d’une possible exclusion, contraire à l’objectif d’intégration. L’égalité, tant d’un point de vue juridique que social, peut s’exprimer selon des modalités différentes, pourvu que les moyens pour assurer sa mise en œuvre n’affectent pas l’égalité de statut des citoyens, l’égalité des ressources pour la conduite de sa vie et l’égalité des chances dans l’accès à l’éducation, au travail, à la justice, aux services de santé.
Il faut se méfier de toute proposition de modèle idéal de laïcité, décrétant définitivement selon quelles modalités d’aménagement le religieux doit être balisé dans les lois et la définition du vivre-ensemble. Nous reconnaissons que les situations particulières doivent faire l’objet de débats et de discussions, et le rapport Bouchard-Taylor en avait déjà identifiées un certain nombre. La raison principale qui doit nous inviter à la prudence est que les mondes vécus ne correspondent jamais à des modèles définis à l’avance, que les situations personnelles et sociales sont changeantes, qu’elles exigent des ajustements continus et de nouveaux équilibres à trouver. La laïcité n’est pas une façon de résoudre les tensions (réelles ou imaginaires) en les supprimant.
Les valeurs communes
Ces derniers temps, il a beaucoup été question des « valeurs québécoises » dans le débat sur le vivre-ensemble. Selon certaines voix, ces valeurs seraient mises en péril par certaines mesures, tels les accommodements raisonnables. Les tenants de ce discours considèrent que la majorité aurait le droit d’exiger des immigrants (un terme qui, dans leurs arguments, désigne parfois des personnes et des communautés installées au Québec depuis des générations) qu’ils se conforment aux dites valeurs. Les accommodements (raisonnables ou non), le cours ECR et d’autres mesures seraient coupables, selon certains, de rendre les valeurs minoritaires supérieures à celles de la majorité, et selon d’autres de gommer toute notion de valeur en affichant un relativisme moral et culturel complet. Mais qu’en est-il de ces « valeurs communes » ?
Le discours des valeurs communes prend deux formes. Selon certains nationalistes conservateurs, la diversité des manières de concevoir la « vie bonne » ne serait qu’apparente. Il y aurait un Québec profond, une majorité silencieuse qui n’aurait jamais renié ses valeurs traditionnelles, lesquelles représenteraient la véritable identité québécoise. Pour certains, ces valeurs traditionnelles, inhérentes à l’identité québécoise, seraient liées au catholicisme ; celui-ci revêtirait maintenant une valeur patrimoniale, au nom de laquelle seraient circonscrits le contenu de l’espace public du Québec et la possibilité d’y exprimer sa différence.
Cette rhétorique reflète davantage le volontarisme de ses défenseurs qu’une quelconque réalité de la société québécoise. Par quelle symbiose mystique parviennent-ils à déceler le contenu véritable des valeurs de cette majorité ? Force est de constater qu’ils y projettent leurs propres préférences, leurs propres conceptions de la vie bonne, postulant qu’elles font l’objet d’un vaste consensus.
La deuxième forme que prend le discours des valeurs communes erre non pas par ce type de projection, mais plutôt par un excès d’abstraction. Afin d’identifier des valeurs qui seraient véritablement communes derrière le foisonnement des modes de vie qui coexistent dans l’espace public, il y aurait un consensus sur des énoncés formulés abstraitement, comme la démocratie, les droits, la liberté, le pluralisme et l’égalité des hommes et des femmes. Les valeurs qui figurent dans la « Déclaration portant sur les valeurs québécoises » que doivent maintenant signer tous les immigrants au Québec sont de ce type.
Être en faveur de la démocratie, des droits : rien de plus louable. Mais quelle est l’extension précise de ces droits ? Comment définir les limites concrètes de la liberté religieuse ? De la liberté d’expression ? Il en va de même pour la valeur que représente indiscutablement l’égalité des hommes et des femmes. Qu’implique précisément cet engagement, au-delà du respect des lois ? Lorsqu’il s’agira de répondre concrètement, le pluralisme de la société québécoise mettra en évidence des façons inévitablement diverses de le faire. Le pluralisme des valeurs exige non pas que nous tentions de réduire cette diversité, mais que nous trouvions des moyens de dialoguer et de prendre des décisions communes qui ne gomment pas artificiellement notre diversité. C’est à l’ouverture, à la tolérance et au respect mutuel que nous convie le pluralisme qui est au fondement de nos institutions démocratiques.
Car ce pluralisme des valeurs au sein de la société québécoise n’est pas un défaut. Au contraire, c’est un signe de la vitalité de nos institutions démocratiques et de la robustesse des protections que nous accordons aux libertés civiles. Il faudrait s’inquiéter si notre société était effectivement aussi consensuelle que le prétendent les chantres des valeurs communes.
Les chartes des droits et les institutions
Confiance dans nos institutions, disions-nous. Or, la « crise des accommodements raisonnables », qui fut à l’origine de la commission Bouchard-Taylor, fut aussi, pour certains, une crise des institutions. Elle reposait sur une une perception erronée : les droit et les tribunaux n’auraient pas démontré leur capacité à encadrer l’application des accommodements sur la base de valeurs et de principes importants, tels que l’égalité des sexes. Plusieurs étaient alors d’avis que seule une délibération de nature politique pouvait permettre de fixer des limites adéquates aux pratiques d’accommodement.
Nous croyons que le dialogue entre les institutions judiciaires et les institutions politiques est nécessaire. Ce dialogue est inscrit dans la logique même de nos institutions. Les droits énoncés dans les chartes québécoise et canadienne peuvent en effet être restreints par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Dans des cas « extrêmes », le législateur a même la faculté de déroger à certains droits ou libertés. Nous sommes donc loin du « gouvernement des juges » qui figure, de manière si prééminente, dans le discours de ceux pour qui « le droit a trop parlé ».
Il nous paraît périlleux de banaliser les textes fondamentaux que sont les chartes des droits. Or, c’est précisément ce que sous-entendent certains discours actuels, dans lesquels les chartes sont, d’une manière selon nous spécieuse, mises en concurrence avec d’autres valeurs. Sont convoqués ici, comme des contrepoids aux chartes, l’égalité entre les femmes et les hommes, la séparation de l’Église et de l’État, la primauté de la langue française et, selon un projet de loi récemment déposé par l’un des partis d’opposition à l’Assemblée nationale, le patrimoine historique du Québec. Le caractère tautologique de cette énumération mérite d’être souligné. Certains éléments (comme l’égalité hommes-femmes) sous-tendent déjà, en effet, des concepts juridiques généraux, tels que l’interdiction de la discrimination. De même, la séparation entre l’État et la religion : cette séparation, qui fut explicitement reconnue par nos tribunaux dès les années cinquante, a depuis été conceptualisée comme découlant des libertés fondamentales (conscience et religion) garanties par les chartes des droits. C’est donc faussement que certaines propositions font de la séparation de l’État et de la religion une valeur distincte, susceptible d’influer sur l’interprétation de la Charte québécoise. Et comment parler des valeurs québécoises sans évoquer aussi la protection des droits et libertés, la justice et la primauté du droit, la protection des minorités, la solidarité sociale, le rejet de la discrimination et du racisme ?
Un tel discours de banalisation réduit les chartes des droits à un ensemble abstrait et désincarné de normes. En réalité, la sphère des droits et libertés englobe, on le voit, plusieurs des valeurs auxquelles on se réfère dans les débats actuels. Évoquons d’ailleurs, pour boucler la boucle, la difficulté de définir ce qu’il faut entendre par le « patrimoine historique du Québec ». Plusieurs, dont nous sommes, soutiendront que le respect des droits des minorités, et notamment des minorités religieuses, fait justement partie de ce patrimoine historique. Dès 1832, la Chambre d’assemblée du Bas-Canada (Québec) innovait en adoptant une loi qui reconnaissait, à toute personne de religion juive, les droits et privilèges des autres confessions. L’égalité des cultes sera ensuite affirmée en 1840, puis réaffirmée en 1851 dans la Loi sur la liberté des cultes, toujours en vigueur. Nos chartes des droits sont héritières de cette longue tradition historique de tolérance et d’ouverture. N’en déplaise à ceux qui tiennent à opposer droit et histoire (ou droit et identité), le droit fait également partie de l’histoire. De notre histoire.
La voie de la continuité
Une stratégie populaire chez les critiques de la position que nous avons défendue ici est d’affirmer que la perspective pluraliste serait en porte-à-faux avec la trajectoire historique du Québec. Les faits indiquent au contraire que ce sont les tenants d’une laïcité stricte et d’un nationalisme identitaire conservateur qui choisissent la voie de la rupture. La voie de la reconnaissance raisonnable de la diversité nous apparaît être celle de la continuité avec l’histoire du Québec. La Charte québécoise des droits et libertés, l’interculturalisme, la Charte de la langue française, la laïcité ouverte sont toutes des formes de gouvernance qui visent à établir un équilibre, certes toujours mouvant, entre les préoccupations légitimes respectives de la majorité et des minorités culturelles, linguistiques et religieuses. Nous croyons que la recherche constante de cet équilibre honore la nation québécoise, qu’elle est un préalable à la recherche d’un authentique vivre-ensemble. Nous souhaitons qu’elle se perpétue.
17:29 Publié dans MONDE ET LAÏCITE | Lien permanent | Commentaires (86)
05/02/2010
"Voile Intégrale": le Rapport de la Mission parlementaire
Camarades blogueurs, il faut savoir être dialectique (dialectique -tique, tique, aurait chanté Soeur Sourire!).
Je viens de recevoir le Rapport de la Mission d'Information Parlementaire intitulé: Voile Intégral le refus de la République. Je ne m'attarderai pas sur le titre, dont un des objectifs consiste à masquer le fait que la Mission ne débouche pas sur une proposition de loi (ah mais, ce n'est pas à un vieux singe que l'on apprend à faire des grimaces!). Ce document me permet de changer de ton par rapport à ma Note du 2 février.
Attention je ne la désavoue nullement, mais la dialectique permet de tenir ensemble 2 perspectives différentes:
- d'un côté la Mission a donné une image assez lamentable de la France et de sa manière de comprendre la laïcité (en terme plus diplomatique que les miens -elle écrit dans un quotidien et pas dans un Blog- Stéphanie Le Bars ne dit pas autre chose in Le Monde du 5 février dans son article sur "les dégâts collatéraux du débat sur le port du voile intégral")
-de l'autre, au contraire des Missions parlementaires sur les dites sectes, elle nous donne un Rapport complet, incluant les auditions, et donc très substantiel et qui permet de confronter les points de vue. Cela me semble fort heureux pour la démocratie, et c'est pourquoi je l'écris : votre Baubérot adoré, il est sévère (envers les puissants surtout) mais juste!
(Cf. la revendication, juste, de Pierre Joxe pour le Conseil Constitutionnel: que les avis minoritaires puissent être portés à la connaissance du public. A noter que la Commission Stasi, elle, N'A PAS publié les auditions: si elle l'avait fait il aurait été beaucoup plus difficile à certains de ses membres de prétendre que ces auditions les avaient fait changer d'avis et devenir partisans d'une loi!)
Tant mieux que la Mission ait agi ainsi : je préfère de beaucoup être content plutôt que furieux! Et surtout BRAVO à celles et ceux qui se sont coltinés la confection de ce Rapport (de 658 pages) et qui ont permis qu'il soit publié dans des délais courts.
Reste maintenant à se plonger dedans!
Vous pouvez le trouver à la Boutique de l'Assemblée Nationale, 7, rue Aristide Briand, 75007 Paris, tel: 01 40 63 00 33.
Et sachez que vous aurez, dés ce week-end, la publication dans votre Blog favori d'un texte passionnant sur le pluralisme et la laïcité écrit par des Universitaires canadiens/québécois. Qu'on se le dise...
12:43 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (1)