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19/01/2010

Allo Grand-mère, y’a plus de religion !

Ma grand-mère, sainte femme née à la fin du XIXe siècle, et solide campagnarde d’un village du Nord du Limousin, avait coutume de dire, quand quelque chose la choquait : « Y’a plus d’religion ! »

 

Il faut dire que notre belle campagne, lors des Trente Glorieuses, a vu venir de plus en plus, chaque été, des estrangers, habitants d’une lointaine contrée, d’au-delà du fleuve (La Loire), qu’elle désignait, avec un air méprisant comme : « Les Parisiens ».

Ces migrants (temporaires) piétinaient allègrement toutes nos valeurs, les belles valeurs qui, des siècles durant, avaient façonné la vie du village, forgé une mentalité aussi robuste que le granit.

Gamin, j’avais droit à de merveilleux œufs pondus du jour, que je gobais à même la coquille.

Quand les œufs devenaient un peu vieux, ils ne fallait plus des manger :

ils étaient alors « bons pour les Parisiens » !

 

Ma grand-mère, qui avait les idées très larges, admettait que les femmes se baignent dans des maillots qui laissaient voir leurs épaules et leurs cuisses.

Mais, comme il y a quand même des limites au laxisme, elle faisait la guerre à mes sœurs qui prétendaient, les coquines, se baigner en bikini, sous l’influence nocive de ces fichus Parisiens.

Pour ma grand-mère un maillot deux pièces soulignait le fait que les femmes (même les bonnes chrétiennes, paraît-il) ont des seins.

Et quand une pièce de tissus spéciale soulignait l’existence d’une poitrine, c’était que « y’a plus d’religion, ma brave dame. »

 

J’ai repensé dernièrement à ma grand-mère et, comme on n’arrête pas le progrès, je lui ai téléphoné via Internet, au Paradis, où elle se trouve depuis longtemps.

« Allo, grand-mère, lui ai-je dit. Cette fois c’est arrivé : effectivement, en l’an 2010, y’a plus d’religion du tout. »

« Comment ça, me répond-elle. C’est impossible. »

Car même si elle déplorait périodiquement que la religion dépérisse, ma grand-mère a toujours été intimement convaincue que la religion était éternelle.

Qu’elle nous enterrerait tous

Alors je lui ai expliqué.

 

Les clochers, ce n’est pas religieux, c’est patrimonial. C’est un député UMP qui vient de me l’apprendre

Les crucifix dans les écoles italiennes, c’est patrimonial itou.

Et je suis allé, il y a quelques semaines, du Québec, où des Maires m’ont soutenu que la prière au début des séances du Conseil municipal, cela n’avait rien, mais alors vraiment rien de religieux.

Patrimoine vous dis-je, patrimoine, comme Diafoirus, immortalisé par Molière, affirmait : « Le poumon ! »

 

EN REVANCHE 

Porter un foulard, ce n’est pas religieux, c’est politique peuchère !

Et les Suisse nous l’ont clairement fait comprendre : les minarets, ce n’est pas religieux, c’est politique itou.

 

Et en France, dernièrement, v’la t’y pas que le tribunal administratif de Bordeaux aurait dit, com’ça, qu’le caté(chisme), cela n’a rien de religieux !

 

Alors là, ma grand-mère, elle a été stupéfaite. Elle était venue une fois à Paris dans ces vieux jours (y’pasd’raison que les Parisiens viennent envahir le Limousin, et que les Limousins n’aillent pas à Paris !)

Elle avait vu le beau minaret de 35 mètres, de la Grande Mosquée de Paris et dans sa candeur paysannière, elle avait cru que c’était religieux.

Aussi religieux que Notre-Dame et ses deux tours !

 

« C’est ben triste tout ça » constate-t-elle.

Peut-être, répliquais-je, mais réjouis toi grand-mère, cela facilite quand même beaucoup les choses :

Si tout est soit patrimoine, soit politique, alors on ne va pas continuer à s’em..der à devoir respecter la laïcité et une de ses libertés fondamentales, la liberté de conscience, la liberté de religion !

Aux oubliettes, l’Article 18 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme

Aux chiottes, l’Article 9 de la Convention européenne des Droits de l’homme et des Libertés fondamentales,

A la poubelle, l’Article 1 et 2 de la loi (française) de séparation des Eglises et de l’Etat

 

Désormais, ce sera extrêmement simple

On fera un tri écologique, dans ce qui était jusqu’alors considéré comme religieux.

Si c’est du religieux bien d’chez nous, alors c’est du patrimoine et on peut y mettre plein de fric, le valoriser à tout va, voire le réintroduire dans la sphère publique.

Si c’est du religieux qui sent l’ailleurs, ça ne serait pas politique, des fois ? Si, bien sûr.

Aller ouste, du balai…

 

Il y a eu comme un silence

J’entendais ma grand-mère réfléchir

Fouiner dans son bon sens granitique

Et tout à coup elle a repris la conversation et m’a demandé :

 

« Dis, mon p’tit Jean, mais, au moins,  existe-t-il encore de la démocratie ? »

 

 

***

 

06/01/2010

SUR LA LAÏCITE DE SANG FROID

Cinq bougies pour le Blog

 

« Ce siècle avait deux ans,… »  affirme le père Hugo

Le Blog, lui, a 5 ans… et même quelques jours de plus,  puisqu’il a commencé le 19 décembre 2004.

Les débuts furent tout à fait confidentiels : au 31 décembre 2004, 15 visiteurs avaient effectué 24 visites, soit moins de 3 par jour !

A comparer 2009 avec les 6034 visiteurs de décembre qui ont effectué 11930 visites ce qui est (sans avoir longuement vérifié) parmi les meilleurs résultats depuis 5 ans

(malgré les fêtes qui font toujours chuter les chiffres : cela n’a pas été le cas cette année).

 

On peut dire que c’est avec l’année 2005 que le Blog a pris un progressif envol : 620 visiteurs et 1102 visites en janvier ; 838 visiteurs et 1411 visites en février, etc.

Précisément, l’idée de départ était d’avoir un instrument commode pour pouvoir intervenir lors de l’année du Centenaire de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat et parler (aussi) de la laïcité au XXIe siècle.

Le blog était alors très sérieux ! Si vous en avez la curiosité, grâce aux Archives, cliquez sur les premières Notes, vous le constaterez

Encore que, le fun n’était pas absent, avec l’idée d’une rubrique : « Le grand bêtisier de la laïcité ».

 

Ce cinquième anniversaire, et plusieurs commentaires de l’avant dernière Note, me conduisent à faire le point.

Le Blog affiche  clairement la couleur : Laïcité et regard critique sur la société.

 

L’objectif premier  consiste à combattre une fausse manière de vivre et de penser la laïcité, la manière « moutons de Panurge » : conformiste sur la société globale, et hypercritique sur la périphérie de cette société.

Combattre aussi une vision primaire et unilatérale où la laïcité ce serait la religion invisible : plus la religion serait invisible, plus il y aurait de laïcité

(avec l’hypocrisie inconsciente qu’il existe du religieux que l’on ne voit pas, ou ne veut pas voir, et du religieux que l’on voit beaucoup)

 

Ca, c’est la laïcité pour les vraiment nuls ! Pour ceux qui ont trop regardé la télé, et en sont intoxiqués !

Attention : l’intoxication médiatique peut-être mortelle pour l’esprit !

 

La laïcité, c’est un chouia plus compliqué ; elle demande une certaine finesse. Car elle est un équilibre entre :

-le refus du cléricalisme, de la domination de la religion (et de tout option philosophique d’ordre  convictionnelle) sur l’Etat et la société civile

-le respect, la garantie de la liberté de conscience et de la liberté des cultes

-l’égalité de traitement entre les religions et les religions et les convictions.

 

Equilibre subtile : la présence d’aumôniers dans les lieux fermés (comme l’armée ou l’hôpital) cela fait partie de la laïcité.

Mais si un aumônier profite de cette situation pour faire pression sur les consciences (sur la situation de faiblesse d’une personne malade, par exemple), il porte atteinte à la laïcité.

 

C’est pourquoi, la laïcité ira d’autant plus loin dans le respect et la garantie de la liberté de conscience et de culte, que les religions, les convictions (et ceux et celles qui les incarnent dans des situations précises) respecteront, eux aussi, les règles laïques.

 

Prenons un exemple : la loi Veil de 1975 sur l’IVG (interruption volontaire de grossesse). Elle réalise cet équilibre laïque de 3 manières :

-en séparant la loi d’une norme morale religieuse

-en autorisant l’objection de conscience des soignants qui, en conscience, ne peuvent effectuer d’avortement

-en remettant la décision finale à la femme concernée et non au médecin (qui, sinon, serait devenu un nouveau clerc).

 

Chacun étant, par ailleurs, non seulement libre de s’interdire à soi-même d’avorter et même de dire (de prêcher en chair, par exemple) tout le mal qu’il pense de l’avortement, dans le cadre de la liberté d’opinion.

Car la laïcité n’a jamais privé les religion de la liberté d’opinion sur la place publique : au contraire, elle l’a instaurée. Avant 1905, il y avait une surveillance sur les propos tenus en chaire.

Depuis 1905, on est dans le droit commun et  ne sont poursuivis que les propos qui pourraient être également poursuivis s’ils étaient écrits (par exemple) dans un journal.

 

Mais cela peut d’autant mieux fonctionner

-que l’objection de conscience provient effectivement de la conscience : dans les pays d’Amérique latine, en Pologne où l’Eglise catholique menace d’excommunication les soignants qui pratiquent des IVG, les choses sont plus difficiles.

-que la liberté de prêcher contre l’avortement ne se transforme pas en incitation à aller détruire du matériel dans les cliniques ou hôpitaux où ont lieu des avortements, comme cela a été le cas, avec des groupes protestants conservateurs aux USA.

 

En France, en gros, nous n’avons eu ni l’un ni l’autre : cela est un signe d’une bonne santé laïque de notre pays sur ce point.

Mais, comme toujours, on ignore ce qui va bien et on hypertrophie les problèmes.

 

Je prétends que cette conception de la laïcité :

 

1-se situe dans la « ligne » des définitions données par les pères fondateurs, ceux de la IIIe République qui se sont bien gardés d’avoir la politique religieuse autoritaire, puis persécutrice de la Révolution française : ils ont eu un rapport dialectique avec la Révolution)

(et cela, même si elle prends en compte de nouveaux problème mais, comme l’a écrit Jaurès : la fidélité d’un fleuve à sa source est d’aller vers la mer, pas de tenter de remonter le courant !)

 

2-est conforme à la laïcité qui, historiquement, a juridiquement et politiquement triomphé

(même s’il y a eu des visions plus extrêmes, comme lors du combat anticongréganistes de 1899 à 1904, où, par engrenage, la visibilité religieuse se trouvait elle-même combattue. Et on parlait alors de la recherche d’une « laïcité intégrale »)

 

3- que depuis 1989, certains tentent  (en se référant significativement de façon littéraliste, non critique à la Révolution et mettant sous le boisseau le fait qu’elle a abouti au terrorisme d’Etat) de mettre en œuvre une autre laïcité que la laïcité historique

 

C’est ce que j’ai expliqué (rapidement, avec les contraintes de signes liée à la publication d’un article dans un quotidien) dans ma tribune du Monde (reproduite dans ma Note du 24 décembre).

Je passe sur les injures, les menaces (cf. notamment « laïcité de sang chaud ») et notamment certains Blogs qui ont fait des gorges chaudes de cette tribune,

entre autre celui où 4 responsables d’organisations laïques se sont mis ensemble pour écrire un texte assez lamentable, montrant qu’ils n’avaient même pas lu l’article de bout en bout, puisqu’ils n’avaient intégré le fait que le terme de « sang froid » provenait d’Aristide Briand !

 

Je dialogue avec des internautes qui, eux-mêmes, sont dans le dialogue, même musclé (et vous allez le constater, je ne vais pas me priver d’être un peu polémique : j’expliquerai pourquoi la semaine prochaine)[1] :

(cependant, malheureusement avec 118 commentaires, même si certains dialoguent entre eux plus qu’avec moi, je dois faire un choix drastique)

 

Je vais commencer par répondre à J.-P. Lièvre, et d’abord lui donner une précision :

la demande d’un sang-froid laïque a été faite par Briand ( député socialiste, ancien rédacteur en chef de La Lanterne, publication anticléricale) à la Chambre des députés le 27 mai 1904.

Je rappelle que Briand est, de loin, le principal rédacteur de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat (« loi de 1905 »)

Voila la citation exacte de Briand :

« Je crois pouvoir dire à mes amis : Ayez du sans froid, sachez résister aux  surenchères, ne craignez pas d’être taxés de modérés, d’opportunistes. Personnellement, j’ai été traité de clérical (On rit), à cause de la modération de mon projet [de séparation des Eglises et de l’Etat] ; peu importe ! Le pays nous saura gré de la sincérité de nos efforts. (Applaudissement à l’extrême gauche et à gauche.)

(cf. Y. Bruley (éd.) : 1905, la séparation des Eglises et de l’Etat. Les textes fondateurs, Perrin, 2004, p. 145 s.)

 

OK, à la lettre, c’est moi qui résume par l’expression « laïcité de sang-froid », je le reconnais volontiers.

Il faut dire que l’expression de « laïcité » étant alors quasiment monopolisée par les partisans de la « laïcité intégrale », Briand est très sobre dans l’emploi du terme. Il ne l’utilise pratiquement pas… et la loi de 1905 non plus d’ailleurs

Mais qui va dire aujourd’hui que cette loi n’est pas la loi fondamentale de laïcité, en France ?

Comme dirait de Gaulle : ce ne sont pas ceux qui crient laïcité, laïcité, en sautant comme des cabris qui sont forcément laïques pour autant !

En revanche, ce sont eux qui induisent à qualifier la laïcité, pour prendre des distances avec leur conception rigide et appauvrissante.

S’ils voient rouge au moindre adjectif, c’est peut-être pour détourner l’attenion du fait qu’ils sont visés !

 

Donc, reconnaissez aussi (et je pourrais multiplier les citations car de nombreux autres discours de Briand vont dans le même sens) qu’aux tenant de la « laïcité intégrale, Briand oppose une autre laïcité, une laïcité de sang froid, la laïcité qui sait résister aux surenchères.

La laïcité de ceux qui ne craignent pas d’être taxés de cléricaux (de traîtres à la laïcité) pour construire un avenir laïque apaisé, contre ceux qui ne savent que jeter de l’huile sur le feu, en confondant une « laïcité intelligente » (dixit Régis Debray)[2] et inflation idéologique, à la portée de n’importe quel ignorant de ce que sont les objectifs de la laïcité.

 

Pour en finir avec cette sempiternelle querelle des adjectifs, voila ma position :

 

1-D’un côté, vouloir que la laïcité soit le seul substantif qui n’ait pas le droit d’être accompagné d’un adjectif est une position dogmatique, montrant bien une volonté d’orthodoxie, et même d’intégrisme, qui très souvent masque l’incapacité à argumenter.

Faute d’être capable d’avoir une argumentation rationnelle, fondée sur un savoir, eh bien on se cantonne dans la position commode : « pas d’adjectif à laïcité »

Ca, il n’y a pas besoin d’acquérir un quelconque savoir sur la laïcité, pas besoin de l’étudier, pour tenir un propos aussi sommaire

Un propos qu’un enfant de 4, 5 ans peut dire et redire à satiété.

Propos moutons de Panurge aussi !

(bien sûr, cela nous arrive à tous d’être moutons de Panurge : en soit ce n’est pas grave. Mais l’essentiel est de comprendre qu’on ne fait alors que réutiliser un stéréotype)

 

D’ailleurs celles et ceux qui passent leur temps à faire la guerre aux adjectifs (ils feraient mieux de consacrer le même temps à acquérir du savoir sur la laïcité), ne se privent pas pour.. ; utiliser eux même des adjectifs :

-« laïcité républicaine » alors que la dynamique laïque est très vivantes chez nos amis belges, espagnols qui vivent en monarchie constitutionnelle (un seul exemple : les activités de Bruxelles laïque)

-« laïcité menacée » : vision hautement défensive (au lieu d’être dynamique, entreprenante) de la laïcité.

 

2-Pour autant, chacun conserve son libre examen face à l’emploi d’adjectifs et, vous aurez remarqué que, pour ma part,

-je ne m’en tiens pas à un adjectif unique (ce qui les relativise par rapport au substantif « laïcité », mais cela est sans doute un peu trop subtil pour certains contradicteurs) ;

et suivant les situations j’en utilise plusieurs (inclusive, interculturelle, etc. « de sang froid, ferais je humblement remarqué n’est d’ailleurs pas un adjectif !)

-j’analyse, à chaque fois, le rôle de l’adjectif :

1. lutte-t-il pour une laïcité inventive, une laïcité qui soit le fleuve dont parlait Jaurès, lutte-t-il contre une vison orthodoxe, sectaire, appauvrissante, rigide, propre aux « surenchères" (comme Briand le dénonçait) de la  laïcité ?

2. ou au contraire, l’adjectif cherche-t-il à vider le substantif de son sens (comme dans la fameuse « laïcité positive » de notre monarque républicain) ?

That is the question, comme disait le regretté William !

(et ce n’est pas un hasard si, dans le Blog en question, et dans plusieurs sites Internet, on fait comme si j’étais un chaud partisan de cette laïcité positivo-sarkozienne : il s’agit de disqualifier et donc, peu importe, l’honnêteté intellectuelle)

 

Cela clarifie-t-il les choses ?

 

Bon, j’ai d’autres réponses à faire à  J.P Lièvre et à d’autre internautes. Cette Note est donc : « à suivre ».

 

 

 



[1] Je précise tout de suite que cet aspect polémique ne vise pas J.-P. Lièvre (qui pose d'intéressantes questions, et à bien le droit d'avoir son point de vue), mais traduit un énervement face à 20 ans (au moins) de surplace dans la querelle des adjectifs !

[2] Tiens, Debray, tout « républicain » qu’il soit a fini par se trouver obligé d’utiliser un adjectif, pour se démarquer de ceux dont il estime que la conception de la laïcité n’est pas…très intelligente.

02/01/2007

SCOOP : NOUS FÊTONS AUJOURD’HUI LE CENTENAIRE DE LA SEPARATION

Eh oui, vous avez cru fêter le centenaire de la séparation (française) des Eglises et de l’Etat le 9 décembre 2005. Erreur. Erreur dont j’ai été moi-même complice en organisant (avec d’autres) ce jour là une manifestation au Sénat pour rendre publique la Déclaration universelle sur la laïcité (que vous pouvez trouver sur ce blog dans la rubrique "Monde et laïcité"). En fait, c’est aujourd’hui 2 janvier 2007 que nous devons fêter ce centenaire. Et voici pourquoi…

 

Stop, maintenant que je vous ai appâté(j’espère), une page de publicité (comme à TF1 !!!) , ou plutôt le point sur le blog, après un peu plus de 2 ans d’existence (puisqu’il a été créé le 20 décembre 2004).

En 2005, le blog a reçu 38691 visites, le maximum étant atteint en décembre avec 7255 visites (logique puisque tout le monde a cru que c’était le mois du centenaire). On ne peut pas savoir le nombre global de visiteurs dans l’année car, contrairement aux visites, ce nombre n’est pas cumulable puisque le bloc a manifestement ses habitués. Mais la comparaison du nombre de visiteurs et du nombre de visites fait qu’on peut dire que la moyenne de fréquence mensuelle est entre 1,3 et 1,8.

En 2006, le blog a reçu 62642 visites. Le record étant le mois d’avril avec 8117 visites. C’est le mois où ont été publié, en 3 Notes successives, d’importants extraits du Rapport de l’International Crisis Group sur l’islam en France. Si vous avez manqué ces Notes, vous pouvez les retrouver facilement grâce aux Archives, à droite en bas de votre écran (ou alors lire ces extraits mélangés à mes analyses persos sur islam et politique en France dans mon livre : L’intégrisme républicain contre la laïcité, l’Aube. Je vous avais prévenu qu’il y avait de la pub !). Effectivement, c‘est une des plus belles réalisations du blog : j’ai même eu des journalistes qui m’en ont remercié !

Le blog s’essoufflait un peu quand j’ai lancé sa nouvelle formule, elle a réussi : on est passé de 3923 visites en septembre à 5613 en octobre, 6250 en novembre, 7128 en décembre (à les mois de 31 jours, j’adore !) avec, pour ce dernier mois 4718 visiteurs (visiteuses) différent(e)s. Voila, je ne vous ennuierai plus avant longtemps, avec de tels chiffres.

 

Passons maintenant au centenaire de la séparation. Pourquoi je prétends qu’il s’agit d’aujourd’hui, 2 janvier 2007 ?

Je précise tout de suite aux flics et grands Inquisiteurs de la laïcité (il y en a malheureusement, et pas qu’un peu !), qu’il y a un certain humour dans mon propos et donc que tout flicage habituel style : « Ah vous voyez, ce Baubérot, c’est un faux laïque, un traître à la laïcité, un méchant qui veut abolir la loi de 1905. » montrera seulement leur aspect primaire, que ce serait injurier l’homme de Neandertal de le comparer à eux! Mais je précise aussi que cet humour veut attirer l’attention sur quelque chose de sérieux. Cependant, seuls celles et ceux qui sont assez intelligents pour mettre leurs préjugés idéologiques au vestiaire pourront le comprendre. Les autres peuvent retourner à leurs catéchismes divers.

Pourquoi mon propos est-il sérieux ?

Parce qu’après tout la séparation de 1905 était la deuxième tentative du genre ; la première ayant eu lieu en 1795. La séparation de 1795 a échoué puisqu’elle a été abolie, non en 1801 comme on le prétend souvent (année de la signature du Concordat entre Bonaparte et le pape) mais en 1802, au moment de la ratification de ce Concordat (avec les Articles Organiques qui officialisaient le pluralisme religieux) par le Corps législatif.

Que disait la loi de séparation de 1905 ? Qu’un an après la promulgation de la loi, les édifices du culte, propriété publique seront attribués aux associations cultuelles qui se seront formées pour l’exercice du culte. L’échéance est le 11 décembre 1906.

Or qu’arrive-t-il ? Le 11 décembre 1906, à part quelques associations dissidentes, il n’y a aucune association cultuelle catholique qui se soit formée pour l’exercice du culte catholique.

Seules se sont formées des associations cultuelles protestantes et juives.

Grave !

De deux choses l’une, ou on passe outre, et c’est l’échec de la séparation. Ou on applique la loi et, désormais, l’exercice du culte catholique (sauf dans les quelques centaines des 36000 communes avec une ou plusieurs églises, où existe une association catholique dissidente) devient interdit : c’est la séparation « persécutrice », avec l’instauration du « délit de messe ».

Vous voyez, en 1905, la messe de minuit, la messe de Noël, interdite sur la quasi-totalité du territoire de la France!

C’est de toute façon aussi l’échec de la séparation, car c’est une situation intenable.

Comment en est-on arrivé là, à ce dilemme impossible ? A cette situation incroyable, que l’on veut absolument aujourd’hui chasser de la mémoire nationale et dont il n’a pratiquement pas été question dans la commémoration du centenaire?

C’est le rôle de votre blog favori de vous raconter ce que l’on vous cache pour des raisons idéologiques,

Que l’on vous cache aussi bien du côté des laïques que de l’Eglise catholique d’ailleurs, du moins dans la majorité des cas.

Pour savoir ce qui s’est passé, il faut revenir aux événements de l’année 1906. Par plusieurs Notes, je vous les ai racontés, en tout cas jusqu’à l’été 1906 (cf la rubrique : « Les nouveaux Impensés du centenaire »). Mais comme je suis bon prince (Ah Ah, diront certains, vous voyez, il avoue qu’il n’est pas un bon républicain ; hors de France, ce Baubérot de malheur !), je vais vous résumer la chose :

 

Résumé des chapitres précédents:

Briand avait  pourtant affirmé le jour du vote final :“ La réforme ainsi faite [sera] d’une application facile. ” Les événements de l’année 1906 lui donnent tort. Si de grands laïcs catholiques, certains cardinaux et évêques paraissent bien disposés, d’anciens congréganistes, la presse catholique et le peuple catholique de l’Ouest estiment que le libéralisme de la nouvelle loi constitue un leurre : son application sera “ persécutrice ”. En effet, on avait prétendu en 1901 que l’autorisation des congrégations serait la règle, ensuite elle fut systématiquement refusée. Il faut donc résister. La querelle éclate sur une mesure transitoire prise à la demande de députés catholiques : l’inventaire des biens, effectué conjointement par les deux parties pour éviter tout vol (art. 3), est considéré par certains comme un viol d’objets sacrés et des affrontements ont lieu[1], notamment là où la résistance à la Constitution civile du clergé avait été la plus vive[2]. On déplore un mort en mars 1906. Entre-temps (février), Pie X a vigoureusement condamné le principe de la loi, qui dénonce unilatéralement le Concordat.

La crise entraîne la formation d’un nouveau cabinet dont le ministre de l’Intérieur, Clemenceau, a une réputation de laïque intransigeant. Il indique pourtant aux préfets de n’opérer l’inventaire que lorsqu’il “ pourra s’accomplir sans conflit ”. Cet apaisement favorise la victoire du “ Bloc des gauches ” aux élections de mai 1906 : la séparation est donc validée par le suffrage (dit) universel (en fait masculin).

Usant des libertés nouvelles permises par la loi de séparation, le pape nomme 14 nouveaux évêques “ nés pour la guerre ”. Cependant, Mgr Chapon, évêque de Nice, agit pour l’application de la loi. Fin mai, l’épiscopat se réunit. Après avoir condamné le principe de la loi (72/2), les évêques pensent, malgré les pressions de Rome, “ possible d’instituer des associations cultuelles à la fois canoniques et légales ” (48/26) et approuvent un projet de statut présenté par Mgr Fulbert-Petit, archevêque de Besançon (59/17). On peut alors penser que le processus d’application de la loi va se mettre en marche. Sauf que, le vote des évêques est secret et que le pape doit se prononcer.

Je vous avais laissé là, avec ma Note du 30 juillet 2006. Et comme ensuite j’ai eu d’autres sujets à traiter, puis j’ai changé (un peu) la formule du blog, je ne vous en ai plus reparlé. Et vous êtes quand même parvenu à dormir normalement ! Là, je dois vous l’avouer, vous m’avez bien déçus !

Mais comme je suis très bon prince (et récidiviste !), je vais vous raconter la suite :

 

Le Vatican estime que son prestige international est mis à mal et il craint une contagion de l’exemple français en Espagne, Portugal et Amérique latine. La résistance face aux inventaires fait espérer à Pie X un sursaut du “ peuple catholique ”. Une franche “ persécution ” lui semble donc préférable à des “ accommodements trompeurs ”, aux “ misérables avantages matériels de la loi de séparation ”. L’heure est à la résistance contre “ toutes les forces du mal ”, les ennemis extérieurs (“ la maçonnerie internationale ”), les adversaires internes (le modernisme théologique et la démocratie chrétienne)[1]. L’encyclique Gravissimo Officii (10 août 1906) donne l’ordre aux catholiques de ne pas se conformer à la loi. Deux mouvements entendent organiser malgré tout des associations cultuelles catholiques. L’un ne craint pas le schisme, l’autre veut rester dogmatiquement soumis à Rome et “ sauver les biens des églises malgré l’attitude du pape ”[2]. Après avoir eu la velléité de soutenir ce mouvement, Briand y renonce rapidement et imagine d’autoriser l’exercice du culte catholique sans association cultuelle, au bénéfice de la loi de 1881 sur les réunions publiques qui ne demande qu’une simple déclaration préalable. Pie X ordonne alors, par l’intermédiaire de Mgr Richard, archevêque de Paris, de “ s’abstenir de toute déclaration ”.

Et c’est ainsi qu’à l’échéance du 11 décembre 1906 rien n’est réglé et la loi n’est pas appliquée en ce qui concerne « la religion de la grande majorité des Français » (c’est ainsi que le Concordat qualifiait le catholicisme). Des contraventions sont dressées alors pour « délits de messe ». Va-t-on entamer des poursuites judiciaires ? Va-t-on condamner des prêtresà l’amende ? Comme le pape leur dira de ne rien payer, va-t-on emprisonner les prêtres ?

Briand va, une nouvelle fois, faire preuve d’inventivité, ce qui va sauver la situation.

D’un côté, il fait preuve de fermeté : puisqu’il n’y a pas d’association cultuelle catholique qui puisse en recevoir la propriété, l’Eglise catholique ne peut devenir propriétaire des biens qui lui seraient revenus si elle avait appliqué la loi.

Les évêques quittent alors leurs Palais épiscopaux. Des catholiques les accompagnent mais cela ne provoque pas des affrontements, contrairement aux inventaires. Le sang ne va pas couler, en tout cas pour cette première phase. Mais, analogie avec les inventaires, des catholiques interprètent alors la loi en terme de « spoliation », alors que si la loi avait été appliquée, la dite « spoliation » n’aurait pas eu lieu. Ceci dit, tout se passe à peu près dans le calme. D’ailleurs, conciliant au sein même de sa fermeté, Briand a enlevé les grands séminaires (où se forment les prêtres) de la liste des établissements à évacuer.

Les 42000 prêtres en exercice devront louer les presbytères où ils habitent et qui devaient soit devenir propriété des associations cultuelles, soit leur être dévolus gratuitement pendant 5 ans quand il s’agissait de propriétés communales. Cela sera un problème de l’année 1907, même des communes feront en sorte que le loyer soit modique (mais d’autres pas).

Cependant Briand est déjà dénoncé (par Combes notamment) comme un laïque laxiste.

Le grand problème reste les églises et les officies religieux qui s’y font. Briand (et Clemenceau) font arrêter les poursuites pour « délit de messe ». Noël va pouvoir être fêté sans problème. Mais c’est seulement parer au plus pressé. Il faut trouver une solution.

Briand prépare à la hâte une nouvelle loi. Cette loi confirme d’abord que les biens des établissements ecclésiastiques non réclamés sont attribués (conformément à l’article 9 de la loi de 1905) aux « établissements communaux d’assistance ou de bienfaisance ». Mais, fait nouveau par rapport à la loi de 1905, il prévoit que l’exercice d’un culte peut être assuré sans association cultuelle par des associations loi de 1901, par des réunions du type de la loi de 1881 ou, même à défaut de tout cela « les édifices affectés à l’exercice du culte (…) continueront(…) à être laissés à la disposition des fidèles et des ministres du culte pour la pratique de leur religion ».

Le clergé catholique demeurera, dans les églises, “ occupant sans titre juridique ”, situation très inhabituelle. Briand donne l’objectif de cette loi promulguée le 2 janvier 1907 (il y a donc 100 ans aujourd’hui) : « (L’Eglise catholique)a violé la loi (…) Aujourd’hui, l’ayant fait constater dans tout le pays, nous vous disons pas de représailles, ni de violence, ni de brutalité inutiles ; nous venons vous demander de faire une législation telle que, quoi que fasse Rome, il lui soit impossible de sortir de la légalité » (Chambre des députés, 21 décembre 1906).

La loi « que nous vous demandons de voter aura pour effet de mettre l’Église catholique dans l’impossibilité, même quand elle le désirerait d’une volonté tenace, de sortir de la légalité. (...) Elle sera dans la légalité malgré elle. ” (Sénat, 28 décembre 1906)

Que l’on me cite une autre loi adoptée pour éviter à un groupe, à une religion d’être dans l’illégalité alors qu’elle s’y met elle-même en ne se conformant pas aux lois existantes.

Voila comment le gouvernement de la République a réussi la séparation des Eglises et de l’Etat, grâce à la loi du 2 janvier 2007, cette loi méconnue et pourtant capitale. Voila ce que l’on veut oublier au moment même où l’on parle à tort et à travers du « devoir de mémoire ». Cela montre bien que l’on est dans l’instrumentalisation idéologique complète : il y a des obligations de mémoire et d’autres où l’oubli est également obligatoire, au mépris de toute démarche de connaissance.

Il faut savoir, en outre, que l’attitude du gouvernement a découragé les tentatives de catholicisme républicain et légaliste (qui se serait conformé à la loi de 1905). Il se produisit, cependant, quelques cas révélateurs. Ainsi, à Saint-les-Fressin et Torcy (Pas-de-Calais), une association cultuelle est créée par le desservant. L’évêque d’Arras estime qu’en observant la loi le prêtre désobéit à Rome. Il nomme un autre desservant qui ne crée pas d’association cultuelle. Vu l’article 4 de la loi de 1905, le Conseil d’État attribue les églises à ce nouveau desservant. L’aspect pacificateur de la séparation aboutit à ce paradoxe : au nom de la loi de 1905, la République donne raison aux prêtres qui refusent d’appliquer cette loi, contre ceux qui voudraient s’y conformer.

La France et le Saint-Siège renoueront des liens diplomatiques en 1921 et des négociations s’engageront. On aboutira à la formule d’associations diocésaines, administrées par un conseil de cinq membres élus sur une liste de huit candidats choisis par l’évêque, président de droit de l’association. Le Conseil d’État estimera le projet conforme à la législation française (décembre 1923), et Pie XI, en janvier 1924, publiera une encyclique acceptant les “ diocésaines ”.


[1] Cf. M. Larkin, L'Eglise et L'Etat en France, 1905, la crise de la séparation, Privat, 2004,, 213-217, 229.

[2] J.-P. Chantin, Les cultuelles des catholiques contre Rome ?, in J.-P. Chantin - D. Moulinet, op. cit., 113.



[1] De façon fine, J. Grévy analyse la résistance aux inventaires comme « une cérémonie expiatoire » (Le cléricalisme, voila l’ennemi ! Un siècle de guerre de religion en France, Armand Colin, 205, 199-206).

[2] P. Cabanel, La révolte des inventaires, in J.-P. Chantin - D. Moulinet (éd.), La séparation de 1905, Éd. de l’Atelier, 2005, 102.

31/07/2006

LES SUITES DE LA SEPARATION (suite) : LE CONFLIT INTERNE DANS LE CATHOLICISME

L'ASSEMBLEE DES EVEQUES (30 mai-1er juin 1906) 

 

Les Notes du Blog du 18 mai, 30 juin et 14 juillet, ont permis de suivre le déroulement (et la signification) de la crise des inventaires, la victoire électorale, en mai 1906, des partis favorables à la séparation et la crise interne du camp catholique (cf, la Catégorie : « Les nouveaux impensés de l’après centenaire »).

En particulier, à la fin de la Note du 14 juillet, alors que le pape semblait chercher à obtenir un refus d’appliquer la loi par l’épiscopat français (nomination de 14 nouveaux évêques, « en général des prêtres pleinement en accord avec le Saint Siège et dont beaucoup avaient été écartés de l’épiscopat pendant les années précédentes. (…) Par cette nomination très rapide Pie X provoque ainsi un rééquilibrage au sein de l’épiscopat français »[1]…susceptibles de faire basculer la majorité lors des votes), les « cardinaux verts » (c'est-à-dire des laïcs catholiques de la bonne société, dont plusieurs Académiciens), en revanche, demandaient aux évêques de se conformer à la qui n’empêche « ni de croire ce que nous voulons ni de pratiquer ce que nous croyons. »

C’est dans cette situation de conflit interne au catholicisme que les évêques français se réunissent en assemblée, peu après la victoire électorale de la gauche, les 30 mai et 1er juin 1906.

Il faut noter qu’aussi bien la nomination par le seul pape de nouveaux évêques que la possibilité pour l’épiscopat français de se réunir sont des libertés nouvelles rendues possibles précisément par la loi de séparation (« espace de liberté sans précédent » écrit Boudon). Au niveau donc des libertés acquises grâce à la loi, la séparation fonctionne.

A l’ouverture des travaux des évêques, le cardinal Richard (archevêque de Paris) lit une lettre du pape du 4 mars 1906 (adressée pour la réunion de la Commission préparatoire à l’assemblée) qui mentionne les consignes données aux 2 nouveaux archevêques et aux 14 nouveaux évêques. Pour le pape, il est nécessaire que ces indications soient connues des évêques, afin que ceux-ci puissent s’inspirer de la pensée pontificale dans les résolutions qu’ils prendront. Autrement dit, implicitement, le pape demande aux évêques de prendre sur eux, et d’assumer devant les catholiques français, les décisions que lui, pape, veut leur voir prendre.

En effet, les consignes données sont implicitement très claires (selon le PV de la séance) : la Lettre du pape demande aux évêques de:

  

-         se souvenir que « nous sommes nés pour la guerre »,

-         tenir compte de l’opinion et du jugement des « vrais catholiques de France » (ceux qui résistent aux inventaires)

-         sauvegarder les principes de justice et les « droits de l’Eglise »,

-         avoir présent à l’esprit, non seulement le jugement de Dieu mais aussi celui du monde qui « nous jugera très sévèrement si nous oublions la dignité de notre mission ».

En conséquence, les évêques devront examiner :

      -         « si l’acceptation (de la loi de séparation) faite en vue des avantages temporels qu’elle peut offrir ne serait pas de nature à   déconsidérer ceux qui paraîtraient avoir renoncé pour elle aux droits sacrés de la religion »,

-         « si une condescendance trop facile aux concessions hypocrites du gouvernement ne l’engagera pas à aller plus loin et à tout enlever, même les églises, quand l’émotion sera calmée et qu’il n’y ara plus à craindre de soulèvement populaire ».

En conclusion la lettre indiquait en substance : « Notre Seigneur demandera peut-être de grands sacrifices, mais ne devons nous pas tout lui sacrifier ? »

Au-delà du genre littéraire et de ses manipulations (ce n’est pas « le Seigneur », mais le pape qui réclame de « grands sacrifices » et qui veut que l’on lui sacrifie tout !), la manière même de poser les questions indique fortement quelles sont les bonnes réponses. On pense à la plaisanterie : « J’ai une réponse, qui a une question ? »

On le comprend facilement : les évêques sont accablés en entendant la lecture de cette lettre. Mais le staff joue finement. Le président élu de l’Assemblée, Mgr Fulbert-Petit, favorable à l’acceptation de la loi, rappelle que la lettre date de 3 mois et affirme que les circonstances ont changé (manière de relativiser très fortement l’autorité de ce texte). D’ailleurs, l’évêque auxiliaire de Paris, Mgr Amette, a demandé au pape si les évêques étaient libres de prendre leur décision et le pape a répondu « oui » (il pouvait difficilement répondre « non » !).

Il faut noter que l’argument donné (la date de la lettre) est un argument ad hoc. En effet, d’une part, sur le moment même, cette lettre n’avait nullement empêché la Commission préparatoire d’envisager une acceptation de la loi (elle avait adopté un avant-projet de statut dont nous allons reparler) ;  d’autre part si la publication du Règlement d’administration publique, confirmant la loi, pouvait rassurer, d’un autre côté le pape avait fait repousser la tenue de l’assemblée des évêques à une date postérieure aux élections législatives. Cela signifiait qu’en cas de victoire des modérés une position conciliante pouvait être prise, mais, la gauche ayant gagné, la situation (du point de vue du pape) était mauvaise et à l’affrontement plus qu’à la conciliation.

Cependant, comme c’est souvent le cas, ce n’est pas la valeur rationnelle de l’argument  qui comptait mais le fait de trouver un argument. Beaucoup d’évêques ne demandaient qu’à être persuadés qu’ils gardaient une liberté de décision et donc tout argument qui allait dans ce sens…

Les votes furent secrets, chaque évêque rendant un bulletin où était marqué « oui » ou « non ».La première question était : « Peut-on accepter pratiquement les associations cultuelles telles qu’elles ont été établies par la loi de séparation ? ». Réponse massive : « Non » par 72 voix contre 2.

On pourrait croire que la ‘messe était dite’ et que les évêques avaient très massivement refusé d’appliquer la loi. Tel n’était pourtant pas le cas, comme les questions suivantes vont le montrer. En fait, ce premier vote se voulait une « question de pure forme censée entraîner un non catégorique démontrant ainsi la solidarité des évêques avec le pape »[2] et avec condamnation de la loi portée par l’Encyclique Vehementer Nos. Dans le « telles qu’elles ont été établies par la loi de séparation », il fallait comprendre : les associations réduites à ce qui était indiqué dans la loi, sans y ajouter des garanties d’orthodoxie catholique dans les statuts des associations (ce que la loi rendait tout à fait possible).

Seconde question, la question décisive : « Est-il possible d’instituer des associations cultuelles à la fois canoniques et légales ? ». 

« Canonique », c'est-à-dire conforme au droit canon de l’Eglise catholique, « légale », c'est-à-dire conforme aux dispositions de la loi de 1905. On le voit, cette seconde question donnait bien une interprétation restrictive à la première. Or, le résultat fut net : 48 « Oui » et 26 « Non ». Il semble que tous les cardinaux et  archevêques aient voté « oui » et que dans les 26 « non », il y ait eu les 13 évêques présents des 14 nouveaux évêques que le pape venait de nommer.

Toutes les précautions oratoires avaient été prises pour que ce vote positif n’apparaisse pas comme une offense au pape : il s’agissait d’éloigner des « malheurs redoutables » ; des « esprits sincères et éclairés » estimaient que « l’on pourrait à la rigueur user des associations cultuelles », à la condition qu’elles fussent « validement baptisées et organisées de façon à ne pas compromettre aucune des essentielles et légitimes exigences de l’Eglise ». Mais c’était également dire que, pour pratiquement les 2/3 des évêques (malgré le ‘rééquilibrage’ censé avoir été opéré par les nouvelles nominations), une telle conciliation était possible. En fait, il y avait une impertinence implicite car ces « esprits sincères et éclairés » n’étaient pas les « vrais catholiques » mentionnés dans la lettre papale et les « avantages temporels », les « concessions hypocrites » fustigés par cette dernière étaient pris en compte sans craindre que cela n’engagerait le gouvernement  « à aller plus loin ».

En tout cas, comme les ‘cardinaux verts’, la majorité des évêques ne considéraient pas qu’il existait conflit insoluble entre la loi (de 1905) et la conscience des catholiques.

Après une troisième question proposant le nom d’ « associations fabriciennes » pour de telles associations cultuelles (49 « Oui » contre 25 « Non ») (sous le régime concordataire existaient des « Conseils de fabrique » où siégeaient des laïcs et on voulait marquer la continuité), une quatrième et ultime question portait sur des projets de statuts élaborés par Mgr Fulbert-Petit et avalisés par le Commission préparatoire. La majorité fut encore plus nette : 59 « Oui » et 17 « Non ». Cela signifie que 9 des 26 opposants à la seconde question ne voulaient pas avoir l’air de désavouer le pape au niveau des principes, mais se ralliaient à une formule d’application pratique. Les irréductibles formaient moins d’un quart de l’épiscopat.

L’assemblée des évêques avait donc nettement tranché pour l’acceptation de la loi et démontré concrètement, en adoptant des projets de statut, qu’une telle acceptation (comme l’avaient indiqué les ‘cardinaux verts’) n’avait rien d’incompatible avec la doctrine et, plus précisément, l’ecclésiologie (= doctrine de l’Eglise) catholique. Une des raisons de son choix fut un mémoire confidentiel remis aux évêques sur les associations cultuelles en Allemagne. Son auteur, Mgr Fuzet, archevêque de Rouen, montrait que le Saint-siège, sous Pie IX, s’était accommodé, en 1875, d’une législation allemande (prussienne, en fait) nettement plus rigoureuse que la législation française de 1905[3]. Cependant, et à tort de mon point de vue (où le conflit des deux France a été avant tout un conflit sur l’identité nationale), les historiens ne notent pas le fait que l’Allemagne n’était pas considérée par le Saint-siège comme une « nation catholique », la « fille aînée de l’Eglise ».

Il n’en reste pas moins que les évêques se sont clairement prononcés pour une organisation conforme à la loi. Ils ont encore six mois pour le faire et mettre en place des associations régies selon les statuts qu’ils ont votés à une très large majorité (plus des ¾). Sauf que, les résultats des votes étaient secrets, le pape avait annoncé dans Vehementer Nos qu’il donnerait en son temps des instructions  pratiques et qu’il fallait maintenant qu’il accepte les décisions des évêques. Que va-t-il faire ?                            (à suivre)

DEMAIN OU APRES DEMAIN : une dernière Note (de dialogue avec des internautes qui ont mis des commentaires) avant une coupure d’été (reprise dans la deuxième moitié du mois d’août).

 

 



1[1] J.-O. Boudon, « Les évêques français face à la séparation », in Ph. Boutry et A. Encrevé, Vers la liberté religieuse : la séparation des Eglises et de l’Etat, Paris, Editions Bière, 2006, 275.

2   M. Larkin,  L’Eglise et l’Etat en France ; 1905 : la crise de la séparation, Toulouse, Privat, 2004,  218

3  On trouvera des extraits de ce rapport, que Mgr Fuzet publiera en 1913, dans J.-M. Mayeur,  La séparation des Eglises et de l’Etat, 3ème édit.,  Paris, Ed. de l’Atelier, 2005, 172s.

14/07/2006

LA LOI LAÏQUE, LA CONSCIENCE ET LA RELIGION

(Suite de la Note du 30 juin sur « Les Nouveaux Impensés »)

Introduction : Ces dernières années, il y a existé tout un débat (qui n’est pas fini) sur les exigences de la loi face à la religion. La loi doit toujours s’imposer, même quand elle contredit les normes religieuses, a-t-on dit de façon péremptoire. C’est cela la laïcité. Oui et non.

- Oui, car  la laïcité, c’est effectivement que les normes religieuses ne s’imposent pas à la société tout entière, ou fassent partie, si peu que ce soit,  des obligations légales de chaque individu. Cela signifie que les lois civiles et les normes religieuses sont différentes, dissociées, séparées, comme l’est la citoyenneté et l’appartenance religieuse.

  se trouve, selon moi, la limite du multiculturalisme, de la diversité culturelle : c’est ce qui est arrivé, au bout du compte, quand l’Ontario a renoncé (à juste titre, de mon point de vue) à créer  des tribunaux islamiques. Il  s'est produit un fort débat social à ce sujet ; les diverses opinions ont pu s’exprimer sans être diabolisées dés le départ (comme cela arrive trop souvent en France, dés que l’on n’est pas sur les positions dites « républicaines ») et ce débat démocratique a permis de faire émerger la frontière entre multiculturalisme et communautarisme et de rester dans le multiculturalisme sans verser dans le communautarisme.

- Non si, du coup, on refuse de se poser la question de la « conscience » : la loi doit tenir compte qu’elle ne s’applique pas à des animaux (même s’il s’agit anatomiquement de mammifères !) mais à des êtres humains dont on postule qu’ils possèdent une « conscience ». Bien sûr, il n’est pas possible d’accepter de façon illimitée l’objection de conscience : cela désorganiserait la société ; mais une chose serait de faire cela, une autre (bien différente) consiste à se poser la question de la conscience des individus sur de grandes questions la mettant directement en jeu.

Ainsi la loi Jules Ferry du 28 mars 1882 laïcisant l’école publique oblige cette école à s’arrêter un jour par semaine (outre le dimanche) pour faciliter la tenue du catéchisme et ainsi bien respecter la liberté de conscience. Le rapport de la Commission Stasi indique qu’il s’agit d’un « accommodement raisonnable ».

Autre accommodement raisonnable : la loi Weil de 1975 sur l’interruption volontaire de grossesse : les médecins qui considèrent l’avortement comme un « meurtre » ne sont pas obligés de le pratiquer. Ils restent des personnes privées, même dans leurs activités médicales. Cela doit signifier, à mon sens, aussi qu'une femme qui ne veut pas se déshabiller devant un médecin homme (ou vice versa) en a parfaitement le droit. Il n'ya pas que le médecin qui a droit à la liberté de conscience.

Ainsi la loi laïque n’est pas la tyrannie de la majorité ; elle est (démocratiquement) à la fois la décision de la majorité et le respect de la minorité, les individus minoritaires. C’est cela même, d’ailleurs, le principe de l’accommodement raisonnable[1].

Il est important de savoir que le débat sur la religion et la loi n’a pas commencé ces dernières années avec l’islam ou d’autres minorités religieuses. Ce fut un problème crucial de l’après séparation, et là le catholicisme était en jeu. La Note d’aujourd’hui, continuant celles de la rubrique : « Les nouveaux impensés de l’après centenaire », va vous plonger dans ce débat, tel qu’il a eu lieu il y a un siècle. Significativement, le centenaire a célébré le contenu de la loi, indiquant qu’il s’agissait d’une loi de liberté, mais il a soigneusement rejeté dans l’impensé ce qui s’est passé en 1906 et 1907, autour de la question cruciale : la religion, la conscience et la loi.  Voici le premier acte de ce débat : 

                                      

Je vous avais laissé sur un terrrrible suspens : le Règlement d’Administration  Publique (dont peu d’historiens parlent) confirme les dispositions (politiquement) libérales de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, alors que la crainte de certains catholiques était que la loi donne d’une main des libertés que le Règlement Administratif reprendrait de l’autre. Donc, les choses sembleraient aller vers l’apaisement. Sauf que, d’un autre côté, les incidents des inventaires poussaient le pape à l’intransigeance.

J’avais signalé, dans la 1ère des 3 Notes consacrées à la crise des inventaires, que le pape Pie X, avec l’encyclique Vehementer Nos avait vivement condamné la loi de séparation (11 février 1906). Cela semblait annoncer une attitude intransigeante. Quoique que le pape n’avait donné aucune directive pratique. Depuis 1802, le Saint Siège condamnait les Articles Organiques (qui avaient orienté de façon gallicane l’application du Concordat) ; cela n’empêchait nullement ces Articles de s’appliquer et d’être respectés par l’épiscopat et l’Eglise catholique en France.

L’épiscopat avait décidé de tenir une Assemblée des Evêques de France : une telle réunion, interdite jusqu’à la loi de séparation sans autorisation du gouvernement (aucun, même les gouvernements les plus cléricaux, ne l’avait accordé) pouvait désormais se tenir librement. En vue de cette Assemblée, des personnalités catholiques vont plaider pour une acceptation de la loi.

On appelle leur texte habituellement : La lettre des cardinaux verts, elle est publiée par Le Figaro, le 26 mars 1906. Pourquoi « les cardinaux verts » ? Parce que 6 des 23 signataires étaient membres de l’Académie française (et 5 autres membres d’autres Académies de l’Institut de France). Les autres sont également des Messieurs (il n’y a que des messieurs) fort distingués. Il y a (notamment) parmi eux des juristes et des députés.

Le principal  rédacteur de la Lettre était Ferdinand Brunetière. C’est un converti, il vient de l’autre camp : il a été très féru de philosophie positiviste. Il est donc bien placé pour mesurer l’ampleur du tournant effectué par la loi de 1905 par rapport à l’anticléricalisme d’Etat. Il avait cru que la séparation serait une accentuation de cet anticléricalisme d’Etat ; les libertés données par la loi sont pour lui une heureuse surprise. Dans la Revue des Deux Mondes (très célèbre à l’époque) qu’il dirige, il a déjà plaidé pour une acceptation de la loi (n° du 1/12/1905). Certes, indique-t-il, des associations cultuelles comprenant des laïcs contrôleront les ressources, mais c’est ce qui se pratique aux Etats-Unis : « il y a donc lieu de croire que ce qui a pu se faire aux Etats-Unis ne sera pas impossible en France » et que le pape fera quelques concessions à l’élément laïc, qui ne sont pas plus importantes que « celles qu’on a dû faire, en d’autres temps, à l’élément politique ».

Ceci dit, au début et à la fin de leur Lettre, les « cardinaux verts » affirment leur obéissance  au pape : « catholiques convaincus et fidèles, nous ne saurions avoir sur le caractère et l’esprit de (la) loi (de séparation) d’autre opinion que celle qu’exprimait le Souverain Pontife (= le pape) dans son éloquente encyclique du 11 février » : voilà pour le début. Et à la fin, rebelote : «…une loi dont nous protestons encore une fois que nous pensons tout ce que le Souverain Pontife en a dit solennellement ».

Voilà le genre de propos qui faisait sauter au plafond les laïques : comment, ces ‘grand esprits’ déclarent ne pas penser par eux-mêmes et laisser le pape penser à leur place !

Certes, mais ne nous laissons pas abuser par l’apparence : les  ‘cardinaux verts’ sont plus audacieux qu’ils en ont l’air : ils affirment que dans les « discussions » qui ont eu lieu entre catholiques depuis le vote de la loi « les objections qu’on opposait (aux associations cultuelles prévues par la loi) se rapportaient presque toutes au texte primitif de la loi de Séparation, mais non pas au texte définitif ».

Or c’est précisément ce que fait l’encyclique Vehementer Nos ; et comme la Lettre a été écrite juste après l’Encyclique, il est clair que cette Encyclique est implicitement visée. Et cela, curieusement, les historiens ne le mentionnent pas.

Par ailleurs, de quelle modification est-il question ? L’ajout de l’article 4 : l’obligation pour les associations cultuelles de se conformer aux « règles générales » de leur culte ; donc pour les associations catholiques, de respecter la hiérarchie et la constitution « monarchique » de leur Eglise, mettant fin aux espoirs d’un « catholicisme républicain ». Les cardinaux verts précisent : « Cela veut dire (…) qu’une association cultuelle catholique sera légalement celle dont les membres seront « en communion » avec leur curé, ce curé avec son évêque, et l’évêque lui-même avec le Souverain Pontife. » Donc cela est clair (alors qu’il y a encore des personnes qui soutiennent que les catholiques n’ont obtenu cette disposition qu’avec les accords de 1923-1924[2]

 

Nous avons déjà vu cela lors du centenaire, dans la rubrique : « Les impensés de la loi de séparation ». Je reprends le problème dans l’ouvrage que je publie début octobre aux éditions de l’Aube : L’intégrisme républicain contre la laïcité (avec plein d’autres sujets : l’égalité des sexes, l’islam, le multiculturalisme, les sectes, les laïcités non françaises, etc).

Les signataires attirent l’attention des évêques sur les dangers d’un refus :

-         « nous réduirons le catholicisme (français) à l’état de religion privée, et l’exercice du culte à une pratique réservée désormais aux seuls privilégiés de la fortune »

-         « les inventaires prendront (alors) toute leur signification ; et de par la loi, dans un avenir plus ou moins prochain, la conséquence de cette résolution sera la confiscation des biens de l’Eglise par l’Etat » et « sans doute » aussi la réalisation du « vœu de quelques sectaires » : « la maison de Dieu transformée en grenier à foin ou en salle de danse ».

-         « si nous ne formons pas d’associations cultuelles (…) c’est la guerre civile qui se trouvera déchaînée. Le voulons nous vraiment dans le fond de nos cœurs ? Et sommes nous prêts à en prendre la responsabilité ? »

Après ces indications très claires (qu’il faut retenir et qu’il sera nécessaire d’avoir à l’esprit quand nous aborderons la suite des événements) sur l’aspect irresponsable d’un refus de la loi, les ‘cardinaux verts’ s’interrogent : « jusqu’où pousserons nous l’obéissance à la loi ? » A cette question, ils disent répondre « franchement » que « comme chrétiens » ils se sentent « tenus de la pousser plus loin que d’autres » et que « comme citoyens », ils doivent « non pas accepter mais subir la loi, jusqu’au point où son application violerait ouvertement les droits de notre conscience et les règles de notre religion. »

Les cardinaux verts indiquent donc une limite (elle aussi) très clair et qui correspond à ce que nous avons dit. Il y en a que cela choque et qui croient que c’est contraire à la laïcité : ces gens là ne se rendent pas compte qu’ils sont dans une vision absolutiste de la loi et qu’en leur temps ils auraient désavoué la campagne pour Dreyfus ou la résistance des protestants à la révocation de l’Edit de Nantes : la République absolue n’est pas plus démocratique que la Monarchie absolue.

Ayant tracé cette frontière, les cardinaux verts indique, de façon tout aussi clair, que la loi de 1905 ne l’a pas franchie : la loi, indiquent-ils nous permet « de croire ce que nous voulons » et de « pratiquer ce que nous croyons »  (c’est le bout de phrase souvent cité). Et ils précisent :

-         la hiérarchie subsiste « tout entière »,

-         le droit des évêques de communiquer avec Rome « s’exerce librement »,

-         les édifices du culte catholique demeurent « à la disposition d’associations formées et dirigées par l’évêque » Ils proposent donc de « négliger aucun moyen légal de faire abroger ou modifier cette loi ». Là encore, ils se situent tout à fait dans le cadre d’une démocratie laïque où des citoyens ont le droit d’essayer de faire légalement changer les lois. On peut penser qu’ils espèrent obtenir encore quelques aménagements, mais surtout le propos comporte un aspect tactique : dans l’espace de liberté du discours catholique d’alors, pour qu’une parole soit entendue (et n’oublions pas qu’il s’agit de laïcs au sens de non clerc, s’adressant à des clercs épiscopaux), il faut être en accord avec le pape et celui-ci a condamné la loi : ils naviguent donc très habilement entre plusieurs récifs.

 C’est pourquoi, ils affirment : « nous devons profiter, si restrictives soient-elles, de toutes les possibilités d’organisation que cette loi nous laisse » et ainsi « nous travailleront dans l’intérêt de la patrie et de la religion. »

C’est aussi à ce moment là de la Lettre qu’ils réaffirment qu’ils pensent de la loi la même chose que le pape ; mais entre les déclarations de soumission du début et de la fin, le propos a été audacieux. On peut même dire qu’il a été une leçon de laïcité à destination des évêques et (indirectement) du pape.

Ainsi des personnes de la (très) bonne société catholiques, marqués à droite, comportant parmi elles quelques comte et marquis, ont intériorisé les règles essentielles de la laïcité. Par ailleurs, elles indiquent les conséquences logiques d’un refus de la loi de la part de l’Eglise catholique.

Cette intériorisation de la laïcité n’est, bien sûr, pas faite par le Saint-Siège : le pape retarde la tenue de l’Assemblée des évêques ; il nomme 14 nouveaux évêques de tendance intransigeante, en leur disant (en plus !) qu’ils sont « nés pour la guerre ». Bref, il apparaît clair qu’il fait pression pour un refus d’appliquer la loi : QUE VONT FAIRE LES EVEQUES FRANÇAIS ?

Le terrrrrible suspens continue !!!

(à suivre)

 

 



[1] Cf, notamment M. Milot, in J. Baubérot, La Laïcité à l’épreuve, Universalia, 2004.

[2] Dont nous parlerons dans la dernière Note consacrée aux nouveaux Impensés. Patience….

30/06/2006

La signification des inventaires de 1906: un rite plus qu'une insurrection

Résumé des chapitres précédents : la loi de séparation des Eglises et de l’Etat votée et promulguée le 9 décembre 1905, il faut, selon l’article 3, faire l’inventaire des biens des édifices cultuels avant leur « dévolution » (= remise gracieuse) aux associations chargées de « l’exercice du culte ». Pour plusieurs raisons : maladresse (due à la logique administrative ou provocation voulue ?) d’une circulaire, volonté d’en découdre de certains catholiques, et surtout croyance d’autres que les inventaires constituent le prélude à une « spoliation », …, certains inventaires donnent lieu à des incidents plus ou moins violents. Le 3 mars 1906 un manifestant est grièvement blessé (il décèdera le 20 mars), le 6 mars un autre est tué.

Cela entraîne la démission du gouvernement Rouvier, qui n’a pas su gérer la crise, et la formation d’un gouvernement Sarrien, avec 2 hommes forts : Briand aux cultes (il sera, du coup, ‘démissionné’ du parti socialiste SFIO, qui ne veut plus participer aux gouvernements « bourgeois ». Jaurès, nous l’avons vu, lui ayant fait une casse dans l’affaire) et Clemenceau à l’Intérieur. Ce dernier, qui s’était montré auparavant intransigeant, adresse une circulaire aux préfets leur demandant de suspendre les inventaires partout où il risque d’y avoir des incidents violents.

Le 6 et le 20 mai, les élections législatives  reconduisent une majorité de gauche, renforcée par rapport à la précédente législature. La politique laïque républicaine est onc approuvée par le pays légal).

 

Par la précédente Note sur le sujet, en mai, je vous ai laissé en plein suspens (Pour la relire, vous pouvez consulter la catégorie : « Les nouveaux impensés »). L’Eglise catholique allait-elle accepter la loi ? La crise des inventaires pouvait faire pencher certains pour un refus, du moins s’ils prenaient leurs désirs  pour des réalités, et généralisaient en pensée une résistance qui en fait,  ne se produisait qu’à certains endroits.

Cette France du refus est constituée par :

-         un milieu parisien, bourgeois ou aristocratique,

-         des zones de catholicité qui avaient déjà été celles qui avaient refusé la Constitution civile du clergé en 1790-1791 (l’Ouest breton et vendéen, le sud-est du Massif central),

-         des poches + ou – fortes dans le Nord, le pays basque, l’Est et les Alpes.

 

C’est pour l’essentiel (nous dit Patrick. Cabanel[1]) « la France des forts recrutements sacerdotaux et congréganistes, celle des chrétientés rurales, parfois montagnards, toujours périphériques, parlant des dialectes ou des langues régionales. » (une circulaire avait, quelques années auparavant, visé les prêtres donnant l’instruction religieuse en langue régionale).

 C’est la « France blanche », entrée en dissidence depuis 1902 (=l’arrivée au pouvoir de Combes) où le retour chez eux de « congréganistes sécularisés » (cf. la catégorie « Emile Combes ») complique « la mécanique du jeu successoral et la répartition des rôles entre ciel et terre ». Par ailleurs, des réseaux de résistance clandestins se sont mis en place ; ce qui montre bien que la poursuite de la « laïcité intégrale », si elle avait eu lieu, aurait pu aboutir à des catastrophes.

Cette « France blanche », l’administration républicaine en parle de façon méprisante : il s’agit, selon elle, d’individus « ne possédant aucune instruction », « complètement illettrés et arriérés », faisant preuve de « fanatisme déconcertant» et sous l’influence de personnes voulant créer « une agitation en apparence religieuse, mais en réalité politique ».

« Déconcertant » : une fois de plus on fustige ce que l’on ne comprend pas ou que l’on ne veut pas comprendre. Les citations de Cabanel que j’ai faites, montre que pour l’historien analysant froidement (et le plus scientifiquement possible) les choses, cela n’a rien de déconcertant : si la dimension politique n’est pas absente, elle n’est en rien totalisante et on ne peut réduire cette affaire à cette dimension politique : les souvenirs douloureux de la Révolution (la Constitution civile du clergé n’avait rien de laïque et de démocratique),  les atteintes linguistiques, la répression anticongréganiste,… avaient fait que la coupe était pleine et qu’une seule goutte d’eau pouvait faire déborder le vase. Mais une vision sacralisée de la laïcité (style : nous avons forcément raison en tous points) a induit un jugement sommaire et moraliste rejetant les opposants dans  les ténèbres de l’obscurantisme (« arriérés ») et du « fanatisme ». C’est de la mauvaise information où on se conforte dans l’idée que l’on est les bons, combattant les méchants. Il n’est pas étonnant qu’ainsi, on se laisse déborder, on ne puisse pas maîtriser les choses : la laïcité suppose d’être intelligent et de chercher à comprendre, même ce qui est désagréable à comprendre.

 

 Et, par ailleurs, le bureaucrate lambda ne se rend même pas compte qu’il tient des propos boomerang : parler d’individus  sans instruction, « complètement illettrés », un tiers de siècle après la loi sur l’obligation de l’instruction, n’est-ce pas un aveu d’échec au moins partiel, de l’administration républicaine dans les régions concernées ?

Aujourd’hui toujours, vous avez ce genre de propos tenu, par une sorte de vulgate intégriste républicaine, contre les personnes qui ne sont pas le petit doigt sur la couture du pantalon pour dire oui et amen à une vision intransigeante de la laïcité. On les accuse alors d’obscurantisme et de fanatisme ; mais l’obscurantisme et le fanatisme, il est d’abord chez ceux et celles qui croient avoir toujours raison et, du coup ne cherchent ni à comprendre, ni à analyser, s’abêtissant eux-mêmes par la même occasion.

 

Les analyses de Cabanel peuvent être complétées par celles de Jérôme Grévy[2] qui montre très bien que la résistance aux inventaires a été vécue souvent comme « une cérémonie expiatoire », une « gigantesque catharsis collective » qui, à terme, favorisa la pacification (ce qui montre bien, là encore, qu’il faut voir plus loin que le bout de son nez !).

La résistance a plus été vécue, en fait, le plus souvent (et notamment à la campagne) comme une cérémonie religieuse que comme une insurrection. L’espace de l’inventaire a été sacralisé en cercles concentriques :

- la doyenné (= ensemble de paroisses) permet de manifester une solidarité entre paroisses : à l’appel du tocsin,  on se précipite dans la paroisse voisine où va avoir lieu l’inventaire. La menace venant de l’extérieur, de la ville

- la paroisse : représentée par le clocher où des guetteurs annoncent l’arrivée des agents de l’administration et des forces de l’ordre. Parfois des cyclistes font des va-et-vient  pour informer de la situation. La résistance commence alors dans les rues du village, l’église symbolise ce village ; curé(s) et fidèles se barricadent dans l’église. Autour d’elle, la foule conspue les forces de l’ordre et crie : « Vive la liberté ».

- l’entrée de l’église : c’est là que les incidents peuvent devenir violents ; l’église est à la fois la maison commune des paroissiens et la maison de Dieu (j’ajouterai aussi : l’endroit où l’on prie pour les morts, car je crois que cet aspect important est souvent sous-estimé). C’est donc une atteinte à la communauté et un « sacrilège » d’entrer de force dans l’église.

La porte de l’église constitue l’objet stratégique : les forces de l’ordre soit crochètent la serrure, soit enfoncent la porte à la hache. La tension monte, le curé (qui est à l’intérieur) ne maîtrise pas forcément la situation. Des gens habituellement paisibles peuvent devenir menaçants et violent. Il y a une sorte d’ivresse de foule qui se produit et qui a été souvent décrite pour d’autres cas de figure. Tout dépend là de l’existence de médiateurs et de leur capacité à être des faiseurs de calme (maires, conseillers généraux,…)

-                     - l’intérieur de l’église : là chaises et fagots ont été entassés pour ralentir la progression des autorités vers le tabernacle, lieu sacré. Mais, normalement, le curé reprend là le contrôle des opérations et fait en sorte que l’attitude des paroissiens vise moins à empêcher l’inventaire d’avoir lieu qu’à transformer l’événement en rite collectif. Des cantiques sont entonnés (le Miserere, le Credo, le Pace Domine, le Je suis chrétien, etc : parfois des chants ont été composés pour la circonstance). Les agents de l’administration peuvent être aspergés d’eau bénite (comme s’ils étaient le diable). Bref, tout est fait pour que l’inventaire soit vécu comme une persécution religieuse.

-                     - Après l’inventaire, des cérémonies expiatoires ont lieu, notamment la dévotion au Saint Sacrement. Et le curé (quand cela s’est passé sans trop de casse) félicite ses paroissiens. Par exemple, le curé de Montcoutant, dans le Poitou, leur tient ce discours : « Vous avez été de vrais Français, par votre bravoure , de vrais catholiques par votre foi, des gens bien élevés, par votre irréprochable tenue, de vrais soldats du Christ enfin, par votre admirable discipline ».

 

            C’est l’idée que « l’honneur est sauf » : on est vaincu dans les faits, mais on ne s’est pas rendu, et donc on est moralement vainqueur ! L’événement de l’inventaire a été une sorte de prédication en acte, destinée à ranimer la foi, il a eu un effet catéchétique. Et J. Grévy de conclure : « Alors que, en définitive, l’administration avait rempli sa mission et établi ses listes, l’interprétation religieuse des inventaires permit aux catholiques qui avaient tenté de s’y opposer de les percevoir comme une victoire ».

 

            Par ailleurs, pour compléter le tableau, il faut signaler que les publications socialistes antimilitaristes, elles, mettent en parallèle les verdicts cléments (souvent un jour de prison avec sursis) qui sont pris face à ce que ces publications qualifient « d’antimilitarisme pratique » des soldats et officier qui « pour ne pas déplaire à leurs belles mères » ont refusé d’effectuer les inventaires et les verdicts beaucoup plus lourds qui frappent les « antimilitaristes d’intention et de conseils » (+ les socialistes qui font de la propagande antimilitariste) : Le « prolétaire soldat, conclut Le Socialiste, n’a droit ni à une conscience, ni à quoi que ce soit qui lui ressemble. »[3]

 

           Pendant le crise des inventaires, une Commission composée de parlementaires (Briand et Buisson en étaient membres) et de non parlementaires avaient tenus 4 réunions pour élaborer le Règlement d’administration publique prévu par la loi (et très redouté par des catholiques qui affirment que la loi est, certes, assez libérale mais qu’il s’agit d’un leurre et que le Règlement va, lui, être « persécuteur »). Curieusement, à l’exception notable de Jean-Paul Scot, les livres retraçant l’histoire de la séparation (Larkin, Mayeur, etc) ne parlent pas (sauf erreur de ma part) de ce Règlement, pourtant tellement craint. Terminé en février 1906, il reçoit quelques modifications mineures du Conseil d’Etat, le 7 mars.

           Il confirme totalement les dispositions libérales de la loi, le Conseil d’Etat ayant justement enlevé ce qui écornait un tant soit peu ces dispositions. Il déclare, notamment : « Les associations cultuelles se constituent, s’organisent et fonctionnent librement sous les seules restrictions résultant de la loi de 1905 » et le rapport du Conseil enfonce le clou en indiquant « telle Eglise, s’inspirant d’une conception démocratique peut poursuivre ses destinées », « telle autre Eglise, de beaucoup plus nombreuse dans notre pays[4], pourra, par des clauses insérées à cet effet dans ses statuts, maintenir la hiérarchie des pasteurs et leur autorité sur les fidèles. »

           La précision est capitale : en effet, nous l’avons vu, les adversaires de l’article 4 avaient obtenu une mention article 8 qui nuançait un peu l’obligation pour une association cultuelle de se conformer « aux règles générales d’organisation de (son) culte » (= pour une association catholique d’obéir à la hiérarchie). Cette mention indiquait que le Conseil d’Etat « se prononcera en tenant compte de toutes les circonstances de fait ». Le dit Conseil indique clairement qu’il ne limitera pas les conséquences de l’article 4. La thèse soutenue par certains (notamment le juriste et ancien ministre Jean Foyer) lors du centenaire indiquant que l’article 8 avait annulé les effets de l’article 4 n’a pas l’ombre d’un prétexte.

           Excusez ces détails un peu techniques, mais important au niveau de la compréhension des choses et de l’enchaînement des événements.

          Par ailleurs, le Règlement ne comporte rien au niveau de la nomination des évêques : là aussi on ne reprend nullement d’une main ce que l’on avait donné de l’autre : c’est une confirmation de l’entière liberté du pape de nommer qui il veut et comme il le eut (avec ou sans consultation préalable).

         A la publication de ce Règlement, le correspondant  à Rome du journal Le Temps, écrit : « (Cela) cause au Vatican une grande joie. (…) Plusieurs personnages ecclésiastiques passent du plus noir pessimisme à un optimisme parfait. »

       Les conditions d’une acception de l’Eglise catholique semblent bien satisfaites. Mais…. La suite début juillet : les républicains ne sont pas au bout de leurs peines, de nombreux renversement de situation sont à prévoir. Pourrez-vous survivre à ce terribbble suspens…

 

          

 

 

 

 



[1] P. Cabanel, « La révolte des inventaires » in J.-P. Chantin – D. Moulinet, La séparation de 1905, L’Atelier, 2005, 91-108.

 

[2] J. Grévy, « Le cléricalisme ? Voila l’ennemi ! » Un siècle de guerre religieuse en France, A. Colin, 2005.

 

[3] Cité par J.-M. Duhart, La France dans la tourmente des inventaires, Jouè-les-Tours, Alan Sutton, 2001.

 

[4] Du coup, J.-P. Scot (« L’Etat chez lui et l’Eglise chez elle », Le seuil, 2005, 279) écrit « l’Eglise catholique » : en fait ce n’est formellement dit, mais tout le monde comprend que c’est bien d’elle qu’il s’agit.

18/05/2006

LA FIN DE LA CRISE DES INVENTAIRES (en 1906)

De la fin de la Crise des Inventaires

A la victoire électorale (mars-mai 1906)

Des leçons pour aujourd’hui

 

 

Je vous ai laissé, il y a déjà plusieurs semaines, en pleine crise des inventaires, début mars 1906 (cf. la catégorie « Les nouveaux impensés de l’après centenaire »), et vous êtes plusieurs à réclamer… la suite. A croire que certains n’en dorment plus. C’est vrai que la précédente Note sur le sujet date du 14  mars. Promis, je ne vous laisserai plus ‘en plan’ aussi longtemps. En plus, j’ai une semaine de retard car je vous avais promis une nouvelle note le 11 mai,…et elle n’est jamais arrivée par suite de problèmes d’ordinateurs.

Voici la suite des événements.

Nous en étions donc aux 6 et 7 mars 1906. Le 6 mars, les inventaires ont fait une victime, à Boeschepe en Flandres. Le 7 mars, est publié le Règlement d’Administration publique (dont nous reparlerons, car il aurait du calmer les inquiétudes des catholiques) et le même jour, il se produit un débat houleux à la Chambre et le gouvernement Rouvier est renversé (267 voix contre 234).

Briand, comme les autre socialistes du nouveau parti socialiste unifié (la SFIO ou Section Française de l’Internationale Socialiste), a voté contre le gouvernement, après avoir prononcé un discours où il a déploré son « manque de prévoyance » et où il a lancé aux adversaires de la séparation, qui espèrent la faire échouer grâce à cette crise des inventaires :

« La loi restera ce qu’elle est en réalité, bien différente de ce que vous auriez voulu : elle restera une loi de tolérance et d’équité… dont il ne tenait qu’à vous de faire une loi d’apaisement. Si elle devient une loi de meurtre, comme on l’a dit tout à l’heure, ce sera par vous ! ». Et il s’adresse ensuite à la majorité parlementaire ainsi : « Quant à nous, messieurs, (…), nous saurons garder notre sang froid ; nous nous garderons de tout acte qui pourrait avoir pour conséquence ce que beaucoup, hélas désirent, appellent même de leurs vœux les plus ardents (…), à savoir mettre du sang sur la loi et sur la République. Non cela ne sera pas. La loi sera exécutée avec modération et prudence, mais aussi sans faiblesse ».
Briand reste donc fidèle à sa conception de la laïcité, en dépit de la tourmente, de la menace qui pèse sur la République : il continue de vouloir du « sang froid », terme qu’il avait déjà utilisé à plusieurs reprises lors des débats sur la séparation. Pour lui tolérance, équité, modération, prudence ne sont nullement synonymes de « faiblesse ». Il ne répond donc pas aux provocations et aux violences par un durcissement, mais au contraire par la volonté de ne pas dévier de la ligne fixée, du cap de « l’apaisement », persuadé que c’est ainsi et non en ressemblant à ses adversaires extrémistes que la laïcité triomphera. Belle leçon !

Le président de la République appelle un radical Jean Sarrien, homme de gauche mais assez terne, pour succéder à Rouvier. Clemenceau, qui  n’en ratait pas une, commentait : « Ca ? Rien ! Tout un programme ! » Mais Sarrien veut que Briand fasse partie de son ministère. C’est logique : ainsi il pourra appliquer « sa » loi. Or cette venue se heurte à deux difficultés : d’une part Briand exige que Clemenceau soit également ministre, ce qui n’était nullement prévu ; ensuite Briand va avoir des problème avec son parti, qui ne veut plus collaborer avec un « gouvernement bourgeois ».

Pourquoi Briand, qui n’aimait pas Clemenceau, tenait-il tant à l’avoir comme collègue ? Pour l’obliger à partager les responsabilités du pouvoir. Clemenceau avait traité Briand (et Jaurès) de « socialistes papalin (= du pape) » et Briand savait qu’il serait très difficile d’appliquer sereinement la loi et de prendre les décisions difficiles qui s’imposaient sous le feux de ses critiques. Clemenceau était un homme politique, mais aussi (et peut-être alors surtout) un homme de plume, un journaliste. Il se montrait un critique féroce et avait une réputation de « tombeur de ministère ». Il semble qu’il se complaisait quelque peu dans ce pouvoir de nuisance.

De tout temps, il est nettement plus facile de démolir que de construire ! Vérité élémentaire, mais néanmoins juste. Il fut difficile de convaincre Clemenceau. Passer de l’autre côté de la barrière  c’était subir à son tour le feu de la critique. Briand lui fit remarquer : « l’opposition n’est pas une carrière. Il n’y a qu’au pouvoir que l’on peut servir ses idées ».

Cela me permet de répondre à une pertinente remarque d’Achtungseb sur ma Note de la semaine dernière concernant le sexisme de la Déclaration de 1789 : Il a tout à fait raison de souligner que Condorcet a été un partisan du droit des femmes, et Condorcet a eu d‘ailleurs beaucoup d’autres idées pertinentes, « en avance sur son temps » comme on dit. Le problème est que Condorcet a toujours échoué à faire passer ses idées dans la réalité. Il ne s’agit pas de le lui reprocher mais de le constater car, significativement, aux Etats-Unis les spécialistes insistent sur ces échecs répétés, tandis qu’en France Condorcet n’ayant jamais eu le pouvoir, peut être (considéré comme) un pur, un visionnaire, quelqu’un dont on se réclame de manière plus ou moins religieuse. Attention à cette manière de privilégier le pur ciel des idées au détriment de la basse réalité concrète : c’est ainsi que l’on peut philosopher à l’infini et attaquer tout le monde sans jamais mettre les mains dans le cambouis. Avoir les mains pures car, comme le disait Péguy, on n’a pas de mains. Attention à ne pas avoir, à l’égard du pouvoir, la même attitude que les bourgeois du XIXe siècle avaient (officiellement) à l’égard de la sexualité : c’est sale ! C’est ainsi que l’on vote pour des candidatures de témoignage,… et qu’un certain Le Pen peut se retrouver au second tour de la présidentielle : en 2007, souvenez-vous de 2002. Dans la Note de la semaine prochaine d’ailleurs, on va parler (mais à la manière du Blog) des présidentielles.

Revenons a Clemenceau : donc il accepte l’idée d’entrer au gouvernement, ce qui (grâce à Briand,  et cela mérite d’être souligné) marque un tournant dans sa carrière (et change l’histoire, vu le rôle joué par Clemenceau en 1917-1918). On raconte que, du coup, Sarrien l’invite, veut lui offrir l’apéritif, lui demande : « Qu’est-ce que vous prenez ? » Et Clemenceau de répondre : « Le ministère de l’Intérieur » !

Bref ces deux hommes, qui continuèrent de ne pas s’aimer, font partie désormais du même gouvernement. Ce n’est certainement pas dans la France d’aujourd’hui que l’on verrait pareille chose ! (excusez moi, celle là, je n’ai pas pu me retenir de la faire !).

Le second problème était le parti socialiste. Rouvier avait déjà demandé, en 1905, à Briand de faire partie de son gouvernement. Cela aurait été logique : ainsi il aurait défendu le projet de loi de séparation comme Ministre des cultes et non comme rapporteur de la Commission. Mais Briand, à ce moment là, avait demandé l’autorisation à Jaurès et ce dernier avait dit non. Cette fois Briand ne demande plus l’autorisation mais, simplement, il avertit Jaurès de la chose. On est le 11 mars 1906 et, le soir, il y a une réunion du Conseil du parti socialiste SFIO. Or celui-ci a fait sons unité sur le mot d’ordre de classe contre classe. Millerand avait pu (difficilement d’ailleurs) être membre du gouvernement Waldeck-Rousseau (1899-1902) sans être exclu du parti socialiste, la position de Briand est plus délicate encore. Il veut s’en expliquer devant ses amis. Jaurès l’en empêche en lui disant que ce n’est pas à l’ordre du jour du Conseil. Briand se tait... et apprend, par l’éditorial de Jaurès dans l’Humanité du lendemain, que ses petits camarades se sont re-réunis après son départ et l’ont exclu.

Jaurès, à qui Briand (par son brio !) avait plusieurs fois sauvé la mise quand il était en difficulté (par exemple quand on avait appris, au parti, que la fille de Jaurès avait fait sa première communion ; ce qui montre une certaine intolérance des socialistes de l’époque), a donc fait preuve de mesquinerie. Bien sûr, il y a plusieurs raisons d’estimer Jaurès, mais il ne faudrait pas cependant en faire rétrospectivement un saint, sous prétexte qu’il n’a jamais été au pouvoir et qu’il a été assassiné juste avant la guerre de 14-18, ce qui a fait qu’il n’a pas eu à prendre la décision difficile d’être pour ou contre l’Union sacrée. Toujours cette manie de la pureté…

En fait Jaurès, à mon avis, a eu peur que si Briand parle, il arrive à convaincre un certain nombre de gens et donc divise le parti. Et Jaurès s’était aligné sur la stratégie oppositionnelle de Guesde. Cela signifiait rompre avec une culture spécifique du socialisme français où ce socialisme se situait dans le prolongement des idéaux républicains, dans la filiation de la Révolution française, voulant actualiser la Déclaration des droits par des droits sociaux. Cela signifiait d’accepter d’être dans l’opposition et de ne pas pouvoir faire passer dans la réalité sociale au moins quelques uns de ses objectifs. La déclaration de Briand à Clemenceau montre que telle n’était pas sa position.

Alors certains ont traité Briand d’ « arriviste » qui se serait servi du socialisme pour parvenir au pouvoir. Le biographe de Briand (Unger) rétorque, avec raison, que 20 ans passé à l’extrême gauche dont 15 ans dans des organisations socialistes « C’est bien long » et il rappelle que Briand a du attendre sa 4ème tentative et d’avoir 40 ans avant de devenir député (Poincaré, un autre surdoué, l’a été à 30 ans et ministre à 33 ans). Briand aurait pu rompre beaucoup plus tôt et ainsi faire une carrière plus rapide. Et donc comme toujours, un jugement moraliste est un jugement à courte vue.

Poincaré était fils de polytechnicien, donc d’une autre classe sociale. Que le parti socialiste (comme des mouvement d’action catholique, le parti communiste, et -nous l’avons vu- avec les 2 Notes sur l’International Crisis Group, les mouvement dits « islamistes » au tournant du XXe et du XXIe siècle) ait alors eu un rôle d’ascenseur social, pour Briand comme pour d’autres, est indéniable. Heureusement d’ailleurs, mais il faut en prendre conscience : l’école n’a jamais joué ce rôle seule. La structure associative, même (et peut-être surtout) très contestataire le joue aussi. Cela participe du jeu d’action et d’interactions qui existe dans une société démocratique.

Par ailleurs, l’évolution de Briand n’a rien d’isolée : la stratégie oppositionnelle du parti socialiste SFIO rencontre des oppositions. Millerand, déjà cité, mais aussi Viviani (ami de Briand : ils partageait le même appartement pour réduire les frais) ont la même attitude que Briand. Ce sont trois avocats, et ce n’est peut-être pas un hasard : quand on est avocat, il ne faut pas se contenter d’une parole de témoignage, il faut arriver à gagner des procès. Autrement dit : on a une culture du résultat, ce qui n’est pas forcément le cas des enseignants (dont je suis). L’opposition ad aeternam (acceptée alors par Jaurès) n’est pas la cup of tea des avocats !

Mais Briand a une raison spécifique d’entrer dans le gouvernement : on est en train de lui saboter « sa » loi de séparation. Il y a urgence. Et il est logique qu’il ne refuse pas la difficulté d’aller au charbon pour qu’elle puisse réussir malgré les difficultés.

En définitive voilà l’explication que je donnerai : Briand a été, longtemps, un sobo, c'est-à-dire un socialiste bohème (comme vous avez maintenant des bobos, bourgeois bohème). Son univers était essentiellement ces milieux un peu marginaux, même s’il avait des relations dans d’autres milieux.  Dans le monde bourgeois de l’époque, il se sentait lui-même un peu marginal. Donc il évoluait dans cet univers là, mais il ne faut pas oublier qu’il n’en appréciait pas le sectarisme, le dogmatisme, les querelles de clan qui y régnait assez souvent : ainsi il s’est vivement opposé à Paul Lafargue, le gendre de Marx, aux guédistes (partisans de Jules Guesde, qui avait toujours défendu la ligne oppositionnelle, classe contre classe).

Son élection comme député, puis sa nomination comme rapporteur de la Commission parlementaire sur la séparation le font rapidement changer d’échelle. Sans doute estime-t-il qu’il y a, parmi ses amis politiques, beaucoup de gens pas très intelligents. Ce n’est pas forcément mieux dans les autres milieux ! Mais partout des individualités émergent, cela y compris parmi les « adversaires » de droite, y compris parmi (horribile !) des prélats catholiques. La Commission sur la séparation, notamment, lui a fait faire l’expérience qu’il y avait des gens intelligents et raisonnables dans divers bords et que pour réussir des réformes, il fallait que ces gens là arrivent à s’entendre, en transgressant plus ou moins les querelles rituelles, les oppositions convenues. Bien sûr, mes propos sont très politiquement incorrects, il n’empêche, avant de me faire un procès idéologique, on ferait bien de réfléchir à cette expérience qu’a eu Briand qui a rencontré du sectarisme, des visions à courte vue, une rhétorique passionnelle, de l’inflation idéologique chez ses amis politiques et de la raison chez certains de ses adversaires.

Ainsi, au gouvernement, il va bien s’entendre avec Poincaré. Ce dernier devient sa « caution bourgeoise » alors que Briand lui apporte le frémissement des aventures faubouriennes…

 

Le climat est alors très passionnel. Voila comment le magazine catholique, Le Pèlerin en rend compte (de façon polémique) : « Donc les catholiques se font tuer. Les prisons commencent à regorger de catholiques. Partout, hâtivement des tribunaux, comme autant de comités de Salut public, fonctionnent et condamnent les catholiques. » (11 mars 1906). La suite est du même acabit. L’allusion aux Comités de Salut public veut rappeler les heures noires de la Révolution. Des cartes postales qui mettent en scène des affrontements en donnant le mauvais rôle aux républicains  les qualifient de « combistes », voulant relier ce qui se passe aux expulsion des congrégations.

Mais Briand avait du flair. Clemenceau, laïque intransigeant, adversaires des accommodements de la loi de séparation, et notamment de l’article 4, va faire la politique de « recul » qu’il combattait auparavant ! Il avait écrit dans L’Aurore : « reculons aujourd’hui et nous aurons la guerre civile demain » (le 6 mars) ce qui était recycler le thème de « la république menacée ». Le 16, dix jours plus tard, ministre de l’Intérieur, il envoie une circulaire confidentielle  aux préfets. Il commence par prôner une « inflexible fermeté », pour ajouter quelques lignes plus loin : « A la première manifestation de résistance, les agents chargés des inventaires se retireront sans recourir à la force. » L’inventaire n’aura lieu que lorsqu’il « pourra s’accomplir sans conflit. » Semblable circulaire aurait valu, certainement un article vengeur dans L’Aurore, indiquant que la république était mise en péril, si la circulaire avait été écrite par un autre. Cela montre bien qu’il faut, comme dirait Briand, garder son « sang froid » face aux effets de manche et aux inflations idéologiques. La république est plus solide que des républicains intransigeants voudraient nous le faire croire. Elle peut avoir la stratégie du roseau.

C’est d’ailleurs cette stratégie qui l’emportera et permettra à la loi d’être appliquée, malgré toutes les « menaces » et les « difficultés ».

Le 20 mars, la presse ayant fait état de cette circulaire, Clemenceau s’explique : « Nous trouvons que la question de savoir si l’on comptera ou ne comptera pas des chandeliers dans une église ne vaut pas une vie humaine. »  Là encore on n’est nullement dans l’invocation inflationniste des grands principes. J’ai repensé à cette phrase lors de l’affaire des caricatures contre Muhammad. Certains journaux, que l’on a connu moins pressés de défende la liberté d’expression quand la France s’est trouvée concernée, ont prétendu trouver ces caricatures mauvaise mais se faire un devoir de les publier, pour « défendre la liberté d’expression ». Un moderne Clemenceau aurait pu leur rétorquer : « la publication de ‘mauvaises’ caricatures ne vaut pas une vie humaine ».

La situation s’apaise donc et, en bonne partie grâce à cela, les élections de mai 1906 sont un nouveau succès pour la gauche.

Les socialistes étaient 43 dans l’ancienne Chambre, maintenant il y a 54 socialistes SFIO et 20 socialistes indépendants dont Briand, Viviani, Millerand.  Les radicaux et radicaux-socialistes étaient 233, ils sont maintenant 247, le centre gauche avait 62 députés, il en a maintenant 90.

Le suffrage dit « universel », en fait masculin (le pays légal) ratifie massivement la loi de séparation. Il a été convaincu que cette loi ne portait pas atteinte à la liberté religieuse et que les Eglises pouvaient, comme Briand l’avait indiqué, vivre « paisiblement » dans les règles qu’elle fixait.

Maintenant une question se pose : si le suffrage avait été véritablement universel, si les femmes avaient voté, que serait-il arrivé ? La majorité aurait-elle été différente ? En 1906, en général les femmes ne votent pas encore, dans les autres pays, sauf parfois à des élections municipales, comme au Danemark. C’est vers 1915, 1920 qu’elles vont pouvoir voter en divers endroits… mais pas en France.

Mais posons nous quand même la question.

Répondre de façon péremptoire est impossible. On peut faire, cependant, trois remarques :

-         le discours républicain justifiait le refus de donner le droit de vote aux femmes par le stéréotype de la femme « soumise » à l’influence cléricale (cela ne vous rappelle rien ?). Si on prend ce discours au pied de la lettre, alors il n’est pas sur que les résultats eut été identiques. Mais faut-il croire dans ce stéréotype à la fois laïque et antiféministe ? J’en doute.

-         ce que l’on peut dire, c’est qu’au tournant du XIXe et du XXe siècle, des femmes entrent en politique, et elles y entrent des deux côtés : on trouve des femmes dans la résistance aux expulsions des congrégations, dans la résistance aux inventaires, etc. Mais on trouve également des femmes dans le camp laïque, voire anticlérical, dans la mesure où elles sont admises : dans les « Comités de dames » de la Ligue de l’enseignement, dans les banquets républicains (où elles ont du mal à se faire accepter parfois). Emile Combes affirmait qu’il était le président du Conseil qui avait embrassé le plus de femmes (et ce n’était pas pour lui déplaire !). Il s’agit, bien sûr, de minorités actives, mais des deux côtés

-         quand les femmes auront, enfin, le droit de vote, les résultats n’en seront pas bouleversés. Il n’y aura pas un vote nettement plus à droite des femmes par rapport aux hommes.

Toujours est-il qu’en mai 1906, la « majorité républicaine » gagne largement les élections. Mais ensuite

-quel est le bilan de la crise des inventaires ?
-les catholiques vont-ils se conformer aux dispositions de la loi ?
Le terrible suspens continue…
Réponse dans 15 jours ou trois semaines car, je ferai retour, la semaine prochaine, aux problèmes actuels.

 

 

14/03/2006

DE LA LOI DE 1905 A LA CRISE DES INVENTAIRES

Cette semaine dans le Blog :

2 Notes

La première sur les "Nouveaux impensés » : on fait comme si l’année du centenaire étant fini, on n’avait pas à s’intéresser à la manière dont la séparation a été appliquée. Or cette manière est pleine d’enseignement. Ne reculant devant aucun sacrifice, votre Blog favori va vous raconter, tout au long de l’année, comment et pourquoi la séparation a réussi à être appliqué, malgré mille difficultés.

La seconde continue les aventure de Mag et de Clara : ce que le roman Emile Combes et la princesses carmélite, improbable amour (éditions de l’Aube) ne vous a pas dit.

Et n’oubliez pas, pour les Internautes parisiens et parisiennes

La grande soirée autour du roman

(dialogue entre Jean Baubérot et Catherine Portevin, journaliste à Télérama)

le MERCREDI 22 MARS A 19 HEURES

A L’IESR, 14 rue Ernest Cresson (en fait la Porte cochère tout de suite après le 14, et c’est au fond de la cour), Paris XIV, tout près du métro Denfert-Rochereau

Ne ratez pas cette occasion de dialogue et de prendre un pot convivial ensemble.

 

                                             Du vote de la loi

A la crise des inventaires

Au moment où la loi de séparation va être promulguée (8 décembre 1905) Albert de Mun, député catholique rallié, membre de l’Académie française, écrit dans le quotidien La Croix, un article très virulent où il compare cette loi à la mise à mort du Christ. Cela lui permet d’ailleurs d’utiliser une expression qui relie l’antisémitisme chrétien (l’accusation de « déicide », d’avoir tué Dieu) et l’antimaçonnisme catholique, en parlant de la sentence portée par « le Sanhédrin maçonnique ».

Quel est le « crime » commis ? Comme je l’ai déjà expliqué c’est la perte de la dimension catholique de l’identité nationale (que les catholiques considéraient être conservée grâce au Concordat) qui est très douloureusement ressentie : « l’apostasie officielle de la France est proclamée » affirme Mun. Selon lui, le but de la loi est d’ « anéantir l’Eglise de France »

Mais, en fait, implicitement Mun est obligé de reconnaître que la loi est libérale : au milieu de ses invectives, il écrit en effet : « Nous avons le cou dans le nœud coulant. Doucement, progressivement, (…) dans quelques mois (…on) serrera la corde pour l’étranglement décisif. »

Mun et d’autres catholiques annoncent donc des catastrophes à venir, puisqu’ils ne peuvent démontrer qu’elles existent déjà. En effet, ce qui frappe l’observateur c’est le calme avec lequel le pays a suivi les débats parlementaires et le vote de la loi par les députés puis les sénateurs. Après les années chaudes du gouvernement d’Emile Combes (plusieurs Notes du Blog vous en parlent), la situation semble dépassionnée. Il n’y a pas d’enthousiasme laïque (les militants ont compris que l’on s’était éloigné de la poursuite de la « laïcité intégrale »), il n’y a pas de crainte quant à la disparition de la liberté religieuse chez ceux que l’on pourraient appeler les ‘consommateurs de catholicisme’ ou les ‘catholiques intermittents’. Par contre, les catholiques pratiquants sont partagés. Pour une partie de l’élite, la loi est acceptable si le processus de son application ne l’aggrave pas. L’abbé Gayraud, autre député catholique, recommande « la souplesse du roseau ». Mais, l’éditorial de Mun nous l’a montré, d’autres  pensent qu’il faut faire preuve d’une « féconde intransigeance » et que l’Eglise catholique va se régénérer par la souffrance et le martyre.

La crise des inventaires va être provoquée par cette catégorie de personnes qui veulent mettre à jour l’aspect (selon eux) implicitement spoliateur de la loi.

Les inventaires étaient prévus par l’article 3 de la loi et, au moment de leur vote, n’avaient pas soulevés de difficulté. Au contraire, c’était un député du centre-droit, Alexandre Ribot qui, semble-t-il, avait demandé à Briand de prévoir cela pour éviter la disparition d’objets et les contestations lors du processus d’affectation des églises aux associations qui devaient se former pour pourvoir à l’exercice du culte.

Mais le climat était à la suspicion réciproque : certains élus et maires craignaient que des curés fassent disparaître des objets précieux, susceptibles ensuite de leur procurer des ressources. En revanche, pour des catholiques militants, les inventaires pouvaient être le prélude à des mesures de confiscation (on est toujours dans l’optique d’une préparation d’une future persécution).

Le  décret du 29 décembre 1905 intervient dans un faux climat de sérénité. Il prescrit à l’administration des Domaines de procéder à un inventaire « descriptif » et « estimatif » des biens. C’est là que l’affaire se corse. Guillaume Tronchet[1] indique que le préfet devait, pour faire procéder aux inventaires, coordonner des personnels et des directives issus de 5 ministères (ce qui montre bien la complexité administrative française !) ; les ministères :

-des cultes (d’où émanait la directive)

-de l’Intérieur (ministère de tutelle du préfet)

-de la guerre (des troupes étaient mises à disposition)

-de la Justice (présence d’officiers de police judiciaire)

- des Finances (qui prenaient en charge les dépenses occasionnées par les inventaires et auxquels se rattachaient les agents d’Enregistrement).

C’est justement de ce dernier service  (la Direction générale de l’Enregistrement) que va émaner une circulaire qui va alourdir le contexte : le 2 janvier cette circulaire dit qu’il faudra demander aux prêtre l’ouverture des tabernacles. Les tabernacles sont de petites armoires placées au milieu de l’autel d’une église catholique et qui contiennent les vases sacrés (« ciboire ») où l’on conserve les  hosties consacrées. On sait que dans la religion catholique, il y a une « présence réelle » du Christ dans ces hosties consacrées. Donc certains crient à la « profanation ».

Briand est furieux ; il estime que cette demande témoigne d’une « brutalité aussi inutile que malveillante » et trouve cette « prescription superflue (…) des plus suspecte ». Il se demande s’il ne s’agit pas d’une provocation.

Ce n’est pas impossible. Mais il est plausible aussi que cela soit un exemple (parmi beaucoup d’autres !!) d’œillères administrativesLe bureaucrate suit imperturbablement sa logique sans se préoccuper du reste : comme ces armoires sont fermées à clef, on peut y enfermer des choses, et donc…

Bref, la presse catholique s’indigne, crie au « sacrilège » ; des interpellations ont lieu à la Chambre (19 janvier). Le sous-secrétaire d’Etat aux cultes -Merlou- cherche à rassurer : ce sera aux curés d’ouvrir les tabernacles avec toutes les précautions nécessaires ; en aucun cas ils seront crochetés (autrement dit : si les curés ne les ouvrent pas, tant pis ; d’ailleurs l’archevêque de Paris va donner comme instruction aux curés de donner à l’agent d’Enregistrement le nombre de vases sacrés contenus dans les tabernacles, mais en aucun cas de les ouvrir).

Les premiers inventaires s’effectuent sans incident en province. Il va en être autrement à Parisdes heurts ont lieu lors des inventaires des églises de sainte Clotilde et Saint Pierre du Gros Caillou. Dans la première, la police mettra plus de 4 heures pour enfoncer les grilles et pénétrer à l’intérieur en brisant des verrières et en se passant les chaises que les manifestants (qui lancent des projectiles sur les forces de l’ordre) ont amoncelés derrière la porte. Ces manifestants sont de jeunes royalistes de l’Action Française et des jeunes du mouvement Le Sillon. Ils sont étrangers à la paroisse et le curé démissionne considérant que son « autorité » a été « bafouée ». Il est particulièrement heurté par l’attitude combative de certaines femmes : aussi bien lors du combisme que dans la crise des inventaires, c’est l’entrée de femmes dans l’action politique.

Le gouvernement est présidé par Rouvier (centre gauche) qui ne s’est guère investi dans le processus de séparation et qui ne se montre pas à la hauteur des événements. Des ordres contradictoires vont êtres donnés. D’abord, on ordonne d’être ferme (« on ne négocie pas avec des rebelles quand on a la loi pour soi ») ; ensuite est demander de différer les inventaires quand on se rend compte qu’ils vont créer des difficultés ; enfin on demande d’hâter les opération, pour qu’elles soient finies à la mi-mars (les élections législatives étant en mai 2006). On demande à la fois d’intimider et d’éviter tout incident !

Pour ouvrir les portes sans les défoncer à la hache, il faut avoir recours à des ouvriers serruriers. On cherche parmi les serruriers « républicains », mais ceux-ci reçoivent des lettres de menaces et, dénoncés par certains journaux, voient fondre leur clientèle aisée. Le ministère de l’Intérieur propose alors d’utiliser des militaires. Comme certains désobéissent, le Ministère de la guerre ne veut plus de cette solution et propose de faire venir des serruriers éloignés du lieu où s’effectue l’inventaire. Mais c’est alors le Ministère des finances qui ne veut pas payer les déplacements. Bref, comme l’indique justement Tronchet, « les instances gouvernementales cherchent à se débarrasser du problème en le faisant circuler d’un ministère à l’autre. »

Et là, quelques préfet se disent : « mais en fait, nous avons des spécialistes sous la main ! »

Devinez de qui il s’agit ? Vous donnez votre langue au chat ? C’est pourtant simple : des crocheteurs de serrure, on en trouve à la pelle….. en prison !

Et contre une promesse de réduction de peine, voila en quelques endroits que l’on commence à utiliser ces talents jusqu’alors inemployés. La presse catholique, qui qualifiait déjà de « cambrioleurs » les agents requis pour faire les inventaires, jubile : Le gouvernement s’adjoint le « concours de l’immoralité ». « Nos régiments doivent servir de garde (…) aux vagabonds louches, (…) à ceux que la société à rejeter »[2].

Après que, par l’Encyclique Vehementer Nos, le pape ait condamné la loi de séparation (sans indiqué encore quel comportement les catholiques devaient adopter (on reviendra sur ce sujet), la carte des violences liées aux inventaires ressemble à la carte des curés réfractaires (les prêtres qui n’avaient pas accepté, en 1791, de prêter serment à la Constitution civile du clergé). Les principales régions sont l’Ouest breton et vendéen, le Sud-est du Massif Central, avec en plus le département du Nord, le pays Basque et quelques poches dans les Alpes.

C’est, écrit Patrick Cabanel, « la France  (…) des chrétientés rurales, parfois montagnardes, toujours périphériques, parlant des dialectes ou langues régionales »[3]. Et Cabanel montre que la poursuite de la « laïcité intégrale » jusqu’en 1904 a mis de véritables bombes à retardement en faisant entrer cette France là « dans une forme de dissidence dont il ne faut pas sous-estimer l’ampleur ».

En plusieurs endroits donc, des incidents violents se produisent.

Le 3 mars 1906, à Montregard, dans la Haute-Loire, une foule surexcitée, armée de gourdins et de fourches, poursuit le percepteur et les 3 gendarmes qui l’accompagnent. Ceux-ci se réfugient à la mairie, mais des bagarres éclatent, un manifestant menace le brigadier, un gendarme tire. Un manifestant est grièvement blessé : il décèdera le 24 mars.

A Boeschepe, dans les Flandres, l’opération se déroule d’abord dans le calme. Le percepteur est son fils sont accompagnés de gendarmes et de Dragons. Arrivée de 150 à 300 manifestants (selon les sources !) qui forcent les barrages, brisent la porte de la sacristie, font irruption dans l’église. Le percepteur est renversé, piétiné, blessé. Paniqué, son fils tire…et tue un boucher de 35 ans.Nous sommes le 6 mars.

Le lendemain, séance houleuse à la Chambre ; le gouvernement est renversé (267 voix contre 234). Cela a quelques semaines des élections.

Le pari d’une séparation pacifique semble perdu. Le pays va-t-il penser que « la religion » est menacée ? Des catholiques espèrent qu’après la Chambre de la séparation, va arriver « la Chambre de la réparation ».

(à suivre !!!)

  



[1] « Le cabinet Rouvier et l’administration préfectorale dans la crise des inventaires », Communication au colloque : « Nouvelles approches de l’histoire de la laïcité », Paris, novembre 2005.

[2] Le Pèlerin, 1/4/1906, cité par J.-M. Duhart, La France dans la tourmente des inventaires,Alan Sutton, 2001, 54.
[3] P. Cabanel, « La révolte des inventaires », J.-P. Chantin – D. Moulinet, La séparation de 1905, Ed. de l’Atelier, 2005, 94.