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04/06/2009

ELECTIONS EUROPEENNES et CEREMONIE "OECUMENIQUE"

Le Blog ne va certes pas vous inciter à voter pour telle ou telle liste.

Cependant, dans la perspective défendue ici, il vous rend attentif à deux faits.

 

D’abord, dans divers pays, certains partis font du refus d’intégrer la Turquie à l’Europe un argument de campagne. Or l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne sera, ces prochaines années, un test clef en matière de laïcité.

En effet, la laïcité va à l’encontre des replis identitaires.

L’Union européenne se trouve aujourd’hui menacée par un tel repli si elle tourne le dos à un processus engagé de longue date et ne fait pas droit à la demande de la Turquie d’adhérer pleinement à l’Union.

Certains leaders politiques mettent en avant un argument géographique pour justifier leur refus.

Cela semble davantage un prétexte qu’une raison véritable.

 

 

Depuis longtemps la Turquie est considérée comme européenne.

La Turquie est membre fondateur de diverses institutions européennes comme l’Organisation européenne de coopération économique et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Elle a adhéré au Conseil de l’Europe dés 1949.

Mieux encore, elle a établi, dés 1963-1964, un accord d’association, incluant, une perspective d’adhésion, avec l’ancêtre de l’Union, la Communauté économique européenne (CEE).

L’Europe est une entité géographiquement construite par son histoire. Or dans une perspective de géohistoire, la thèse d’une Turquie étrangère à l’Europe n’apparaît pas tenable.

 

En fait, pendant longtemps, l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne ne présentait pas véritablement de difficulté spécifique. Comme d’autres pays se trouvaient requises certaines conditions économiques et des conditions politiques, notamment en matière de droits de l’homme et de respect des minorités.

Il s’agit là de règles générales importantes et qui doivent, naturellement, constituer les conditions de l’adhésion.

Récent, l’argument géographique (qui n’a pas été utilisé contre Chypre) me semble en cacher un autre : celui du repliement de l’Europe sur des « racines », considérées comme « essentiellement chrétiennes ».

 

Ce repli pose deux problèmes.

D’abord la mise en avant des « racines » est une référence nouvelle dans le champ politique.

Etant historien, je me garderai bien de minimiser l’importance de la dimension historique de toute communauté.

Mais si l’histoire comporte des racines, elle draine aussi avec elle, nouveauté et ruptures.

Ainsi les ruptures de la Réforme, puis des Lumières constituent des moments importants de l’Europe. Ce ne sont pas les seuls.

Privilégier les « racines », affirmer qu’il faut les « valoriser », constitue une option idéologique qui n’a absolument pas valeur d’évidence.

 

Dans les premiers temps de la construction européenne, ses artisans ne parlaient guère des « racines », ils privilégiaient le façonnement de l’avenir.

Ainsi, en 1950, lors de la rédaction de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, alors même que de puissants partis démocrates chrétiens se trouvaient au pouvoir dans plusieurs pays européens, personne n’a proposé alors de mentionner un héritage religieux.

Cinquante ans plus tard, lors de l’adoption d’une Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la bataille a fait rage autour d’une formule de ce type.

 

Du point de vue de l’historien, de plus, les « racines » de l’Europe, son « héritage » s’avèrent des réalités plurielles. Le christianisme, certes, y joue un rôle important ; il est source de civilisation et de conflits. Mais islam, judaïsme, philosophie,… y ont aussi leur part.

Privilégier des racines chrétiennes, affirmer devoir les « valoriser », c’est vouloir donner à l’Europe une identité religieuse.

Or les institutions européennes, tout en respectant les différents modes de relations entre la religion et les Etats existant en Europe, n’ont, en tant que telles, aucune référence religieuse.

Ce sont des institutions entièrement laïques.

Mais nous assistons, depuis quelques années, à des tentatives qui visent à relativiser cette laïcité institutionnelle européenne. Certains veulent qu’il soit fait référence à Dieu dans une future Constitution, d’autres veulent mentionner un héritage chrétien.

 

Tendanciellement, ces initiatives s’avèrent défavorables à la Turquie, pays laïque où l’islam est la religion majoritaire. L’APK, au pouvoir depuis 2002, se définit comme un parti démocrate musulman.

Or, pour l’essentiel, ce parti n’a pas porté atteinte à la laïcité turque. Cela même si, sur le plan local, certains ont signalé des tentatives pour interdire l’alcool et la mixité dans certains endroits publics.

Au demeurant, la liberté de religion et de conviction (problème bien antérieur, en Turquie, à 2002) doit constituer une exigence de l’UE dans ces négociations.

Mais refuser à priori l’entrée de la Turquie relève d’une autre démarche (celle des « racines chrétiennes »)

C’est pourquoi l’attitude envers la Turquie constitue un analyseur de la situation de la laïcité en Europe.

 

L’autre fait ne concerne que la région parisienne, mais il faut quand même le mentionner.

La distinction entre « antisionisme », choix politique, et « antisémitisme », doctrine de haine ne joue plus quand une liste dite « antisioniste » met en avant des révisionnistes.

Historiquement archi-faux, le révisionnisme, qui nie la politique d’extermination des juifs pendant la seconde guerre mondiale, est une terrible doctrine de haine.

Elle ne peut que raviver l’immense douleur des familles des victimes, et de tous ceux qui s’estiment (religieusement et/ou culturellement) juifs.

Pas la moindre compromission avec le révisionnisme n’est acceptable.

***

 

Enfin, dernier point d’actualité : la catastrophe de l’avion Rio-Paris d’Air France.

Rapidement 2 choses.

D’abord, le voyeurisme de certains médias, filmant, avec complaisance, l’angoisse puis la douleur des familles des victimes. Certaines chaînes de télé ont passé en boucle ces images de charognards.

Cela n’apporte aucune information : tout le monde se doute de cette angoisse, de cette douleur. Il n’est aucunement besoin de l’exhiber.

 

Ensuite, la cérémonie dite « œcuménique » à Notre-Dame à laquelle des représentants de la classe politique de tous bords ont participé.

Depuis l’explosion du DC-10 d’UTA, au-dessus du désert nigérien de Ténéré, en septembre 1989, on assiste à ce genre de cérémonies. C’est de la religion civile.

Certes, que l'on se recueille, que les familles des croyants aient droit à des cérémonies religieuses, bien sûr. Mais cela doit rester la respnsabilité de la société civile.

La manière officielle dont la cérémonie a été faite peut porter atteinte à la conscience de certaines victimes et de leurs familles. Non seulement parce que, dans l’avion, il y avait certainement des athées. Et, plus généralement, parce que ce genre de cérémonie politico-religieuse officielle n’a pas sa place dans un pays laïque.

Pour ma part, si je meurs dans un accident collectif, je désavoue à l’avance toute cérémonie de ce type et je demande à l’avance à ma famille et mes amis de s’abstenir d’y participer.

27/07/2005

L'EUROPE QUE L'ON AIME...

La France condamnée
Il ne semble pas que cela fasse la une des medias ; raison de plus pour que votre blog favori (du moins je l’espère) vous donne la nouvelle : les juges de la Cour européenne des droits de l’homme ont condamné à l’unanimité la France pour n’avoir pas considéré comme de l’esclavage moderne le fait qu’une jeune Togolaise, Siwa-Akofa Siliadin, a été employée (et pas aux trente cinq heures !) sans aucune rémunération de 1994 à 1998.

Il est important de constater qu’en matière des droits fondamentaux la France n’a plus le dernier mot face à ses citoyens et habitants.

Et sachez qu’une association, fondée par deux journalistes courageuses et déterminées, le Comité contre l’esclavage moderne (31, rue des Lilas, 75019, Paris, tel : 0144528890, cotisation annuelle, 30 €) fait du très bon travail.
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06/03/2005

¨LAÏCITE ET CONSTRUCTION EUROPEENNE

LAICITE ET RELIGION
DANS L’UNION EUROPEENNE

Si la création du mot de « laïcité » est d’origine française, la réalité que recouvre ce terme n’est l’apanage d’aucune culture, d’aucune nation, d’aucun continent et la laïcité peut exister dans des conjonctures où le mot ne se trouve pas utilisé. Il n’existe d’ailleurs pas de laïcité absolue mais des formes concrètes de laïcité, plus ou moins partielles ou consistantes, différentes suivant les contextes historiques et sociaux.

PRINCIPES GENERAUX DE LA LAÏCITE

En fait, on peut parler de « laïcité » à partir du moment où le pouvoir politique n’est pas légitimé par le sacré, où la souveraineté provient de la nation et où on se réfère activement dans la vie publique à trois principes. Ces principes constituent un bien commun de l’Europe depuis l’élaboration de la Convention européenne des droits de l’homme. Mais, nous allons en reparler, ces principes sont appliqués de façon plus ou moins laïque suivant les pays et les domaines concernés.

- le respect de la liberté de conscience et de sa pratique collective. Ce respect implique la reconnaissance de l’autonomie de la conscience individuelle, de la liberté personnelle des êtres humains des deux sexes et leur libre choix en matière de religion et de conviction. Il implique également le respect par l’Etat, dans les limites d’un ordre public et de lois démocratiques, de l’autonomie des religions et des convictions philosophiques.

- la non domination de la religion sur l’Etat et la société. Cela implique l’autonomie de l’Etat, des pouvoirs et des institutions publiques par rapport aux autorités religieuses et philosophiques, la dissociation de la loi civile et des normes religieuses. Les religions et les convictions peuvent librement participer aux débats de la société civile, elles ne surplombent pas cette société et ne lui imposent pas a priori des doctrines ou des comportements

- l’égalité des religions et des convictions, tant sur le plan individuel que collectif. Cette égalité implique la dissociation de la citoyenneté (et des droits qui lui sont attaché) et de l’appartenance religieuse ou convictionnelle, l’égalité de traitement entre le (ou les) groupe(s) majoritaire(s) et les groupes minoritaires.

Ces trois principes ne peuvent être juxtaposés, ils comportent en effet des interférences. On pourrait les représenter sous la forme d’un triangle qui cernerait le périmètre de la laïcité. Mais comme aucun pays, aucune société, aucun Etat européen ne les réalise de façon absolue, les acteurs vont avoir tendance à privilégier un principe au détriment des deux autres.

Ainsi les croyants auront tendance à s’appuyer principalement sur le premier et à faire de la liberté de religion l’élément essentiel de la laïcité, les agnostiques et les athées se montreront beaucoup plus sensibles à la lutte contre la domination des religions et, d’ailleurs, les médias vont volontiers aborder la laïcité à partir de cet angle d’approche car il est le plus spectaculaire, le plus conflictuel. Les membres de religions ou de convictions minoritaires penseront avant tout à défendre l’égalité, la non discrimination.

Les principes de la laïcité, tout comme les droits de l’homme auxquels ils sont intimement liés ont été reconnus à travers un long processus historique. Au cours de cette histoire séculaire, là encore, un aspect fondamental de la laïcité a pu être privilégié.
Ainsi, en France, l’Edit de Nantes (1598), date importante dans la préhistoire de la laïcité, opérait déjà une dissociation des droits de citoyens et de l’appartenance religieuse : les protestants avaient accès à tous les emplois. Par contre, il établissait une liberté religieuse limitée (qui fut, de plus, supprimée par la Révocation de l’Edit en 1685).
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en 1789, proclame que le fondement de la souvereineté réside en la nation (et non dans un pouvoir sacré) (article 3) et la liberté des « opinions même religieuses » (article 10).
Mais si la Révolution française, dans un premier temps, dissocia effectivement la citoyenneté et l’appartenance religieuse, ensuite elle ne respecta pas la liberté de religion et fut le temps de l’impossible laïcité. Cependant, dès le début du XIXe siècle un premier seuil de laïcisation se trouve réalisé. Dans le cadre de cette laïcité partielle, la loi est déjà laïque, l’Etat laïque impulse le développement d’institutions non religieuses (produisant de nouveaux clercs) comme l’école et la médecine mais la morale collective reste imprégnée de religion.

Dans d’autres pays européens, au contraire, la liberté religieuse émergea progressivement dès les XVIIe et XVIIIe siècles mais, longtemps, les membres de religions minoritaires ne disposèrent pas de la totalité de leurs droits civils et politiques (ainsi, au Royaume Uni, les protestants « non-conformistes » furent éligibles en 1828, les catholiques en 1829, les juifs en 1858 et les athées en 1886).
On peut dire que, dans d’autres pays, tels l’Italie et l’Espagne, se sont produits des « aller-retour » entre laïcisation et catholicisation. Cela est particulièrement net en Espagne.
La Belgique, elle, s’est montrée particulièrement sensible à l’égalité entre religions et convictions puisque des conseillers humanistes existent à côté des aumôniers dans divers lieux où est proposée une aide spirituelle.

Ainsi la laïcité nécessite une perpétuelle ouverture à l’autre, un dialogue (au sens fort du terme) entre les êtres humains, les familles spirituelles, les nations. Arriver à tenir ensemble les trois principes laïques ne peut être réalisé de façon solitaire. Dans ce dialogue, chacun peut recevoir et donner.
La France peut être à l’écoute de pays européens qui vivent depuis plus longtemps qu’elle dans un pluralisme apaisé, même si elle a finalement pacifié les conflits religieux grâce à sa loi de séparation des Eglises et de l’Etat (1905) dont on fête cette année le centenaire. Les conflits historiques et leur solution peuvent, cependant, être créateurs de modernité et la laïcité française peut apporter, dans le dialogue entre nations et cultures, une vigilance quant à la liberté de penser, la formation à l’esprit critique nécessaire pour pouvoir effectuer un libre choix.
La liberté suppose, à la fois, le pluralisme et une démarche d’émancipation ; elle est, dans le même mouvement, liberté de conscience et liberté de penser. L’histoire de la laïcité française montre un attachement particulier à la liberté de penser, ce qui est précieux. Cependant, parfois, cette liberté de penser a écorné la liberté de conscience.

Tous les historiens le reconnaissent aujourd’hui à propos de la lutte anticongréganiste menée au début du XXe siècle. Les avis sont, naturellement, plus partagés pour la période récente, mais la question peut se poser à propos de la loi de 2001 visant les sectes et de celle de 2004 interdisant les « signes religieux ostensibles » à l’école publique. Mais il ne faudrait pas réduire la laïcité, même française, à ces lois.



PROBLEMES ACTUELS ET EVOLUTIONS EN EUROPE

La laïcité n’est donc pas une « exception française ». D’ailleurs Jules Ferry, avant de laïciser l’école publique avait fait effectuer par ses services une enquête pour savoir comment les pays qui avaient instauré l’obligation scolaire respectaient la liberté de conscience. Le « modèle français », s’est construit en analogie (ressemblances et différences) avec d’autres modèles. De même il existe une influence anglo-saxonne sur l’article 4 de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat (1905) qui a été l’article stratégique pour réaliser (presque) pacifiquement cette séparation, malgré un contexte très difficile. La France a donc bénéficié d’apports d’autres pays ; inversement la révolution et le premier Empire ont « exporté », parfois de façon guerrière, des éléments de laïcité notamment par le Code Civil.

Ces interférences, ces transferts ne signifient pas que les processus historiques aient été identiques. On peut, par exemple, mettre en contraste les évolutions britannique et française en référence à la distinction entre le processus de sécularisation et celui de laïcisation

La sécularisation s’effectue de façon dominante par le jeu de la dynamique sociale. Il n’y a pas là de conflit frontal entre la religion et le politique mais des conflits, ou tensions, internes au religieux comme à d’autres champs sociaux. La sécularisation est d’abord socio-culturelle (au XIXe et dans une partie du XXe siècle, elle a été liée à la croyance en la corrélation des progrès comme norme de légitimité implicite de la modernité ; montée d’espérances séculières) et elle correspond à une diminution de la pertinence sociale de la religion dans ce domaine.

La laïcisation s’effectue, en générale, de façon plus socio-politique, elle implique souvent un affrontement entre l’Etat et la religion dominante et elle met en jeu les structures juridiques et institutionnelles, induisant le déclin de la religion comme institution. Ainsi il existe une différence entre la sécularisation de la morale en Angleterre et la création de la morale laïque par l’école publique, institution liée à l’Etat-nation, en France.

Quand la sécularisation l’emporte sur la laïcisation (cas de la Grande Bretagne, mais aussi des pays scandinaves par exemple) cela signifie que la religion a réussi, globalement a s’adapter au changement social (voire même y a participé en certaines de ses composantes. La religion peut donc continuer à symboliser la nation et avoir toujours un certain caractère officiel.
Mais cette apparente continuité ne doit pas faire illusion : une certaine laïcisation s’opère, même quand le processus de sécularisation prédomine. L’Eglise établie d’Angleterre ne ressemble pas à ce qu’elle était il y a deux siècles ; l’Etat s’est laïcisé et elle-même s’est, en grande partie, autonomisée à l’égard de l’Etat. Il n’empêche, certains liens se sont conservés et la laïcisation reste partielle.

Si nous envisageons, de façon globale, la situation dans l’Union européenne, nous pouvons dire que nous trouvons une sécularisation établie et désenchantée.
Une sécularisation établie où la vie sociale s’effectue à distance de la religion. Non seulement la vie économique et sociale mais les mœurs sont sécularisées : on peut prendre l’exemple de l’Italie où une forte pratique catholique va de pair avec une démographie très basse, ce qui signifie une pratique généralisée de contrôle des naissance, à distance des prescriptions catholiques officielles. La situation n’est pas foncièrement dans d’autres pays où le catholicisme est la religion la plus importante.

Mais la sécularisation est également désenchantée : la croyance à la corrélation des progrès n’a plus la même force. A partir de la première guerre mondiale, qui a été avant tout une guerre européenne, est apparu l’ambivalence d’un progrès qui pouvait servir à une œuvre de mort comme à une œuvre de vie.
Mais on pouvait encore, au milieu du XXe siècle opposé ces deux sortes de progrès, par exemple le « bon » nucléaire civil contre le « mauvais » nucléaire militaire. Ce n’est plus possible aujourd’hui. Le progrès technique et scientifique s’est déconnecté du progrès moral et social. Il aboutit souvent à des dilemmes.
On pourrait citer à l’appui de cela les problèmes de bioéthique, des biotechnologies, de l’environnement. Le déclin de la croyance au progrès aboutit à ce que l’on appelle communément la « perte des repères ».
La baisse d’espérances séculières se traduit par du « zapping » institutionnel, par le consumérisme, les mutations de la militance et des changements importants dans le rapport au temps), face à une actualité qui privilégie le « furieusement religieux » et les mouvements de « contre-sécularisation ».
Ces mouvements trouvent une certaine crédibilité dans ce nouveau contexte et il est vain d’adopter, face à eux, une posture d’indignation morale.

Par ailleurs beaucoup d’Etats européens ont intégré des éléments au moins partiels de laïcité (remplacement du catholicisme comme religion d’Etat par un système « d’entente » avec différentes religions –le catholicisme conservant , cependant, un rôle plus ou moins privilégié- et évolution corrélative de la législation plus ou moins dissociée des normes officielles catholiques en Espagne, Italie, Portugal, fin de l’Eglise nationale en Suède,…) alors qu’en France la laïcité est devenue moins complète (subventions indirectes à certains cultes, création d’un type d’écoles mixte entre le privé et le public, intervention de l’Etat dans l’organisation du culte musulman, lutte antisectes,…).

Cependant il ne faudrait pas minimiser les différences qui existent entre le modèle dominant en France (existence d’autres modèles en Alsace-Moselle et dans des DOM/TOM) et celui d’autres pays européens (certains gardent un système où cohabite religion officielle et acceptation du pluralisme, mais même chez les autres il existe notamment une compréhension différente de la séparation, une différence dans le statut de la religion à l’école publique,…). Le traité d’Amsterdam estime que le statut des religions et organisations religieuses non-confessionnelles fait partie du « droit national ». Il serait utile de comparer, du point de vue des droits de l’homme, les différentes situations quant à la laïcité.

Une telle comparaison dépasserait les limites de cet exposé. Je vais seulement donner un exemple montrant comment, tout en restant dans sa logique propre, les Etats européens sont amenés à évoluer, à se poser de nouvelles questions. Ainsi traditionnellement, il existe un cours de religion catholique dans les écoles publiques italiennes, par contre dans « la France de l’intérieur » (c'est-à-dire hors les 3 départements d’Alsace-Moselle) un tel cours n’existe plus depuis la laïcisation de l’école publique en 1882.

La Cour constitutionnelle italienne, en 1989, a qualifié le principe de laïcité de l’Etat de principe suprême de l’ordre constitutionnel, interprétant la laïcité comme un « service des requêtes concrètes de la conscience civile et religieuse des citoyens » et la garantie de l’ »impartialité » de l’Etat et « la liberté de religion dans un régime de pluralisme confessionnel et culturel ».
Dans cette optique, le cours de religion catholique n’est pas apparu contraire avec la laïcité de l’Etat, mais à condition que soit sauvegardée la liberté des élèves de ne pas participer à cet enseignement (1991). Depuis lors, il existe des débats sur la façon d’assurer cette liberté.
En France, la question d’un « enseignement laïque de la religion » a été posée dés la fin des années 1980 et elle a aboutit, en 2002, au « Rapport Debray » préconisant cet enseignement pour passer d’une « laïcité d’ignorance » à une « laïcité d’intelligence ». Les chemins ne se sont pas rejoints, ils se sont –cependant- rapprochés.

LAÏCITE ET CONSTRUCTION EUROPEENNE

Et si les rapports Eglises-Etats continuent d’être diversifiés, il existe cependant à l’échelle européenne, une certaine laïcité juridique mise en œuvre jusqu’à présent par les institutions de Strasbourg.

La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (1950) reprend, dans son article 9 l’article 18 de la Déclaration Universelle des droits de l’homme sur la « liberté de pensée, de conscience et de religion » (droit qui implique la liberté de « changer » et de « manifester » sa « religion ou sa conviction »).
Elle précise cet article 18 en indiquant de façon limitative les « restrictions » qui peuvent être apportées à la manifestation de la religion ou de la conviction (2 aspects : être « prévues par la loi » ; et constituer des « mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publique, ou à la protection des droits et des libertés d’autrui »). Cette précision vient du fait que la Convention n’est pas seulement une déclaration de principes, elle permet un recours vis-à-vis des Etats qui ne la respecteraient pas.

La Commission européenne des droits de l’homme et la Cour européenne des droits de l’homme constituent des instances supra nationales de régulation des conflits au niveau des droits et, notamment, du « symbolique » : d’une manière générale on peut dire que la jurisprudence progressivement instaurée induit une sorte de ‘laïcité des conséquences’ ; sans empêcher l’existence d’une religion officielle, elle interdit que celle-ci ne contrevienne au « pluralisme – chèrement conquis au cours des siècles », « consubstantiel » à une « société démocratique » et « bien précieux », non seulement pour les croyants mais aussi pour « les athées, les agnostiques, les septiques ou les indifférents » (Cour, 25 mai 1993, Kokkinakis contre Grèce).
De même, « nul ne peut être contraint de devenir membre » et nul ne peut être « empêché de cesser d’être membre » d’une religion (Commission, 9 mai 1989, Darby contre Suède). Une sorte de neutralité religieuse est ainsi imposée aux Etats. Cependant, dans quelques cas, comme Otto-Preminger-Institut contre Autriche (20 septembre 1994), la Cour n’a pas jugé disproportionnées la saisie et la confiscation du film Le Concile d’amour et se différencie d’une perception laïque.

La Charte des droits fondamentaux et la Constitution européenne ont fait surgir de nouveaux enjeux. Le débat qui a débuté à l’automne 2000 à propos du préambule de la Charte a rebondi dans le processus d’élaboration d’une Constitution. Fallait-il se référer à Dieu dans le préambule de la dite Constitution ou du moins à l’ « héritage chrétien » de l’Europe ?
Les adversaires de cette dernière formulation étaient accusés de vouloir rayer le christianisme de l’histoire européenne. Rappelons qu’il n’avait pas eu un semblable débat lors de la rédaction de la Convention européenne, à un moment pourtant où des partis démocrates chrétiens forts et dynamiques se trouvaient à la pointe de la construction de l’Europe et où la pratique religieuse était dans beaucoup de pays européens, selon plusieurs indices, le double de ce qu’elle est maintenant.

Que les futurs livres d’histoire européenne abordent (le plus scientifiquement possible) le rôle historique joué par le christianisme. Quoi de plus normal. Mais une Charte, une Constitution sont des textes de nature juridique et, d’une manière générale, les références très allusives qu’ils pourront faire à l’histoire prêteront forcément matière à contestation.

Ce recours à l’histoire s’explique au moins en partie par le désenchantement de la sécularisation : la projection dans l’avenir est devenue beaucoup plus difficile, les lendemains sont incertains alors que la croyance au progrès a été longtemps presque consensuelle.
Arrive aujourd’hui une pensée rétrogressive qui, face à un avenir incertain, insiste sur l’importance de l’enracinement dans le passé. Il revient peut-être à un historien de prendre de la distance avec cette nouvelle idéologie. Parce que l’horizon n’est pas très visible, attention à ne pas privilégier le regard en arrière.Le salut consisterait alors à prendre conscience qu’il faut se ressourcer dans l’héritage chrétien de l’humanisme pour que l’humanisme lui-même puisse continuer à exister : « la laïcité est vis-à-vis du christianisme comme le lierre avec son arbre : elle en a besoin pour vivre et se développer » écrit dans un ouvrage qui a connu en France, un certain succès, un évêque Hippolyte Simon. Voilà où risque nous conduire la pensée rétrogressive : à un niveau social (et non simplement au niveau des choix individuels) le présent n’aurait pas le droit à la rupture, à la novation, il ne serait légitime que s’il se ressource au passé, s’il est normé par le passé.

Analysant ce livre au niveau de la stratégie qu’il implique, Danielle Hervieu-Léger indique : « il s’agit de revaloriser les médiations institutionnelles du christianisme pour le bénéfice inséparable de l’Eglise (catholique) et de la laïcité ». Nous trouvons là une religion civile implicite, une catholaïcité (qui peut être, à l’échelle européenne, une christianolaïcité, ou une laïcité oecuménique peu importe). Stratégie habile, car le désenchantement des valeurs séculières empêche, de façon générale, d’invoquer la science ou le progrès d’une façon qui ne serait pas inclusive par rapport au christianisme, ou même au « judéo-christianisme » (l’islam se trouvant dans une position socialement beaucoup plus ambivalente).
La possibilité d’un christianisme qui joue le rôle de « religion civile », selon la notion de Jean-Jacques Rousseau retravaillée par les sociologues (« donner une âme à l’Europe ») n’est pas exclue, même si le contexte européen est moins favorable au développement de cette religion civile que le contexte américain. La montée d’une méfiance à l’égard de l’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne est en partie dépendante de ce contexte.

La laïcité européenne, comme l’Europe elle-même se trouve donc en phase de construction. Elle est en mouvement et affronte de nouveaux défis.

- Défi de la mutation du religieux. Les processus de laïcisation ont, historiquement, correspondu à un temps où les grandes traditions religieuses constituaient des systèmes d’emprise. Le religieux aujourd’hui est travaillé par des processus d’individualisation. Partout où il est déconnecté des évidences sociales et de toute imposition politique, il aboutit à une liberté de choix qui déstabilise les systèmes religieux institutionnels.
C’est à partir de ce contexte global qu’il faut envisager l’émergence de nouvelles formes de religiosités, qu’il s’agisse de bricolages entre différentes traditions religieuses, de mélanges de religieux et de non-religieux, de Nouveaux Mouvements Religieux, mais aussi de formes diverses de radicalismes religieux. C’est aussi dans le contexte de l’individualisation qu’il faut comprendre pourquoi il est difficile de réduire le religieux à l’exercice du culte.
Au delà de ces très diverses manifestations, la religion (tout comme des convictions philosophiques) constitue, aujourd’hui un lieu de ressources culturelles. Un des problèmes clefs des laïcités d’aujourd’hui nous semble être le suivant : comment articuler diversité culturelle et unité du lien politique et social, tout comme les laïcités historiques ont du apprendre à concilier les diversités religieuses avec l’unité de ce lien.

- Défi de la mutation du social. Les processus de laïcisation se sont liés historiquement, nous l’avons souligné, avec la croyance sociale de la conjonction des progrès : par l’action du politique, aidé par des forces vives de la société, le progrès scientifique et technique pouvait engendrer du progrès moral et social. Cette croyance en fort déclin rend la projection dans l’avenir plus difficile, les débats politiques et sociaux moins lisibles.
Là encore cela nous incite à faire preuve de créativité pour inventer de nouvelles formes du lien politique et social capable d’assumer cette nouvelle conjoncture et de trouver de nouveaux rapports à l’histoire que nous construisons ensemble.

-Défi de la mondialisation. Les processus de laïcisation ont correspondu au développement des Etats. Les laïcités ont pris, d’ailleurs, des formes différentes suivant que l’Etat se montrait centralisateur ou fédéral. La construction de l’Union européenne, le (relatif mais réel) détachement du juridique de l’étatique qu’elle entraîne crée, nous l’avons vu, une nouvelle donne.
L’Etat, cependant, se trouve peut-être plus en mutation qu’en déclin. Tendanciellement, il agit moins dans la sphère du marché et perd, au moins partiellement, le rôle d’Etat providence qu’il a plus ou moins revêtu dans beaucoup de pays. Il intervient, par contre, dans des sphères jusqu’alors considérées comme privées, voire intimes et répond peut-être encore plus que par le passé à des demandes sécuritaires, dont certaines peuvent menacer la liberté de religion et de conviction.

La construction européenne s’effectue, d’autre part, dans le contexte de la globalisation. Celle ci induit une certaine déterritorialisation qui change fondamentalement les processus d’intégration de populations migrantes. Les processus de construction de la société civile changent également. Tout cela modifie le lien social et l’application du principe de laïcité peut difficilement ne pas tenir compte de telles modifications. Tout en exerçant notre droit de critique sur les aspects culturels économiques et sociaux de la mondialisation qui peuvent menacer les idéaux démocratiques de liberté et d’égalité, nous devons tenir compte de cette situation pour construire ensemble une laïcité qui n’existe plus seulement à l’échelle d’Etats-Nation, ni même de l’Europe, mais aussi à celle de notre commune planète.

04/01/2005

Politique des cultes

MODELE DE SOCIETE ET POLITIQUE DES CULTES EN EUROPE
PROBLEMATIQUE GENERALE
JEAN BAUBEROT (EPHE -GSRL)

(Texte paru dans Blandine Chélini-Pont (ed) : Modèle de société et politique des cultes en Europe, Presse Universitaires d’Aix-Marseille, 2004)
Ne pas citer sans mettre la référence. Merci

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Les organisateurs de notre Congrès international m’ont fait l’honneur et l’amitié de me demander de proposer, dans cette séance d’ouverture, une « problématique générale ». Cette tâche est d’autant plus redoutable que vont parler ensuite d’éminents juristes et politologues, ainsi que des personnes qui exercent d’importantes responsabilités en matière de politique des cultes. Or je ne suis rien de tout cela. Le modeste apport que je peux donner est celui d’un historien et d’un sociologue. La manière dont je questionne notre objet d’études risque donc d’être quelque peu décalée par rapport aux communications qui suivront. Si certaines ‘ passerelles’ apparaissent néanmoins, cela ne deviendra que plus significatif.

La seconde difficulté tient à l’espace géopolitique que je dois ‘couvrir’ : l’Europe, fort bien, mais quelle Europe ? Celle des cartes de géographie classique : de l’Atlantique à l’Oural, celle de l’Union européenne actuelle ou future (mais pourquoi exclure, alors, la Norvège ou la Suisse?), celle du Conseil de l’Europe ? La suite des exposés fait référence à quatre Europe différentes : l’Europe occidentale, l’Europe centrale, l’Europe orientale et l’Europe méditerranéenne. Permettez-moi de rester dans le flou artistique que me permet le caractère introductif de mon propos ; il vise à mettre en débat quelques instruments de mesure, relativement abstraits, dont les différentes situations se rapprochent ou s’écartent. A d’autres intervenants d’examiner -si ces instruments possèdent une quelconque pertinence- et d’évaluer la proximité, et les écarts.

Par ailleurs, l’Europe actuelle me semble être, d’un point de vue sociologique, une variante elle-même diversifiée, de ce que j’appelle la «modernité tardive », mais qu’il tout autant possible de nommer « l’ultra modernité » (Willaime J.-P., 1995) et, surtout, que l’on doit référer au processus de globalisation du religieux (Bastian J.-P. et alii, 2001). Cette variante, une sociologue britannique, Grace Davie (2002), a tenté d’en saisir certains traits généraux relativement spécifiques. Ces traits peuvent être considérés comme des éléments caractéristiques d’un modèle de société. Je vais reprendre de façon libre deux d’entre eux en indiquant, en cours de route, quelques problèmes qu’ils peuvent induire quant à une politique des cultes.

Voici ces deux traits :
UNE EXCEPTION EUROPEENNE ?

- Premier trait : la croyance se détache de l’appartenance (Believing without belonging) et, peut-on ajouter, inversement l’appartenance s’est souvent détachée de la croyance. Le maintien d’une appartenance religieuse proclamée, en dépit de l’affaiblissement des croyances, est un phénomène historiquement assez ancien. Il est mieux connu depuis que des enquêtes sociologiques permettent de différencier non seulement appartenance et pratique mais également appartenance et croyance. On peut se dire catholique, orthodoxe ou protestant et ne pas forcément croire en Dieu, par exemple. Comment une politique des cultes tient compte des appartenances très différenciées alors que les autorités religieuses auront tendance à revendiquer d’être les représentants religieux de l’ensemble des personnes déclarant avoir une appartenance qui corresponde à leur confession ?
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Le détachement de la croyance par rapport à l’appartenance n’est pas, lui aussi, un phénomène nouveau. Il prend, cependant, des caractéristiques neuves avec la quasi-disparition sociale de notions comme « orthodoxie » et « hétérodoxie ». Emerge désormais un individualisme religieux où chacun invente plus ou moins son propre itinéraire spirituel (en étant, à son insu, plus ou moins déterminé par des effets de mode liés au moyens de communication de masse). Il ne s’agit plus, comme dans le pluralisme classique, de pouvoir librement appartenir à une religion minoritaire, mais d’avoir le droit d’effectuer des mélanges entre diverses traditions religieuses, souvent réinterprétées au goût du jour. Les politiques des cultes n’en restent-elles pas à un pluralisme d’organisation alors qu’aujourd’hui l’individu lui-même s’avère pluriel, pratique un croire qui s’éloigne de ce que l’on a appelé jusqu’alors « religion » comme les mobile de Calder ou les machines de Tinguely s’éloignent des sculptures de Michel-Ange ou de Rodin ? Comment prendre en compte ce nouveau type de pluralisme.

-Second trait : les Eglises sont généralement, considérées en Europe comme un « service public » (Public utility). On peut synthétiser cette représentation par la notion de « religion déléguée » (en anglais « Vicarious religion », expression plus expressive car elle renvoie au vicaire, un pasteur de second rang qui effectue des taches considérées un peu comme subalternes). Cela signifie que l’aspect institutionnel de la religion est privilégié, et aussi que cette institution apparaît un peu problématique par rapport à ce qu’elle a représenté dans le passé. Ce service public -face auquel la plus grande partie de la population se trouve dans une situation de consommateur irrégulier et passif- assure certains besoins religieux, la symbolisation de moments importants de la vie ainsi que d’autres services liés à l’assistance à autrui. A ce titre, les religions reçoivent, en Europe, affirme Grace Davie, divers types de reconnaissance par l’Etat. Leur caractère formel ou informel, et les dispositions qui y sont attachées, varient suivant les pays et les religions.

Cette approche non française est décapante pour nous car, malgré l’article 2 de la loi de séparation, pour notre sociologue, la France tranche moins, sur ce point, du reste de l’Europe que les Etats-Unis ou le Canada. On peut bien sûr en débattre, mais notons quand même l’utilisation, incongrue mais sociologiquement significative d’une certaine mentalité, par les parlementaires du terme de « religions reconnues » dans un rapport officiel (Assemblée Nationale, 1996).

Quoiqu’il en soit, une question se pose : quels types de légitimations sont-ils mis en avant par les différentes politiques des cultes européennes pour justifier ces variations externes et internes ?

Pour Grace Davie ces deux traits distinguent l’Europe non seulement de continents comme l’Afrique ou l’Amérique latine, mais aussi des Etats-Unis d’Amérique. Le choix le plus ordinaire des Européens est l’absence de pratique religieuse régulière sans que cela implique la renonciation à avoir recours, un jour ou l’autre, aux Eglises. Les Eglises sont là, elles le seront toujours. Au contraire, l’Américain ordinaire estimera que son besoin éventuel des Eglises dans le futur nécessite qu’il s’y engage dés maintenant. La notion de « volontarisme » supplante celle de service public. En conséquence, la dissociation du croire et de l’appartenance y est moins forte. A sa manière, Grace Davie indique d’il existe, pour elle, une « exception européenne » qui consiste à être composée de sociétés sécularisées. Sans doute ce constat est-il discutable. Qu’en est-il, par exemple, de la situation de pays que certains qualifient de « post-athées » ? Cependant, ses thèses sont suggestives et peuvent servir de toile de fond à notre réflexion.

LAÏCISATION ET EUROPE :

Je voudrais, cependant aller plus avant et pouvoir repérer plusieurs situations types en Europe, à partir de leur construction socio-historique (et dont je déduirai, en conclusion, quatre questions pour une politique des cultes). Pour mener à bien une telle démarche, je propose de considérer que la laïcisation, voire la laïcité, sont des notions qui ne connotent pas une situation spécifiquement française, mais puissent être ‘dénationalisées’, prendre place dans un ensemble conceptuel plus vaste, une perspective socio-historique globale. La démarche est assez inhabituelle ; il me faut donc en justifier la pertinence. Je le ferai, paradoxalement, à partir du discours d’acteurs français et notamment de deux textes qui me semblent particulièrement significatifs.

Le premier texte est un classique, dont on ne tire peut-être pas toute la substantifique moelle. Il s’agit de l’article « Laïcité » du Dictionnaire de Pédagogie de Ferdinand Buisson, philosophe et administrateur, adjoint de Jules Ferry et de ses successeurs, (avec toute l’ambivalence d’une telle position). Ce texte constitue la première réflexion théorique sur la notion de laïcité. Le point de départ historique est, pour Buisson, la « confusion des domaines » et « la subordination de toutes les autorités à une autorité unique, celle de la religion » Mais, par le « lent travail des siècles », « peu à peu les diverses fonctions de la vie publique se sont distinguées, séparées les unes des autres et affranchies de la tutelle étroite de l’Eglise ». Il cite, comme exemples significatifs, l’autonomisation de l’armée, puis celle des fonctions administratives et civiles, et celle de la justice. Pour lui, « toute société qui ne veut pas rester à l’état de théocratie pure » se trouve obligée d’entrer dans ce mouvement de distinction et d’affranchissement. Cependant, jusqu'à la Révolution française (et notamment la « Déclaration des droits de l’homme »), il est resté incomplet car « sur chacun de ces pouvoirs et sur l’ensemble de la vie publique et privée » le clergé a conservé « un droit d’immixtion, de surveillance, de contrôle ou de veto ». Avec la Révolution, « l’idée de l’Etat laïque, de l’Etat neutre entre tous les cultes, indépendant de tous les clergés, dégagé de toute conception théologique (a émergé). L’égalité (…) devant la loi, la liberté de tous les cultes, la constitution de l’état civil et du mariage civil, et en général l’exercice de tous les droits civils désormais assurés en dehors de toute condition religieuse, telle furent les mesures décisives ». Et, conclut-il, aujourd’hui -c'est-à-dire en 1883, date de la première parution de ce texte- « malgré près d’un siècle d’oscillations et d’hésitations politiques, (…) rien n’a pu empêcher la société française de devenir la plus séculière, la plus laïque de l’Europe ».

De ce texte significatif, nous pouvons retenir :

- la description d’un processus de longue durée de sortie de la théocratie, que nous pouvons qualifier de processus de laïcisation,
- ce processus est à double entrée : une distinction entre les institutions sociales, un affranchissement de ces institutions de l’autorité de « l’Eglise », de la religion,
- dans ce processus la Révolution, comme instance politique, fait (en France) franchir une étape décisive (un seuil, selon ma terminologie), étape liée à une référence aux droits de l’homme : à partir de ce moment là, la religion n’est plus une institution englobante,
- résultat : selon Buisson, la France est le pays le « plus laïque de l’Europe », ce qui signifie que d’autres le sont aussi (en 1883 !) même s’ils le sont moins. Autrement dit, au delà de l’apologétique, il y a sous jacente, l’idée que le processus de laïcisation est une réalité européenne (idée que cherchent à démonter de nombreux articles du Dictionnaire),
- les caractéristiques de la laïcisation sont plurielles (égalité devant la loi, liberté de tous les cultes, etc.) et se situent dans le champs des droits de l’homme, et dans le rapport de la religion et de l’Etat-nation.
-et « l’Etat laïque » se définit comme neutre, indépendant et dégagé du théologique. Notons que l’Etat est considéré comme laïque alors que la séparation des Eglises et de l’Etat sera accomplie seulement en 1905. Cela montre, qu’en fait, pour les pères fondateurs, il existe différents niveaux de laïcité.

Le second texte est moins connu mais non moins intéressant : il s’agit de la première définition de deux néologismes, de la même famille sémantique que « laïcisation » ou « laïcité » par l’Académie française (cf. Fiala P., 1991): « laïcisme » et « laïciste » : le « laïcisme » est la doctrine « qui reconnaît aux laïques le droit de gouverner l’Eglise, d’ordonner les prêtres, d’élire les évêques, et, en certains cas, d’administrer les sacrements ». Et les « laïcistes », se sont les adeptes de cette doctrine « fort répandue au 16e siècle en Angleterre » (complément au Dictionnaire de l842). Ces mots vont prendre, en français, une signification fort différente ensuite, mais certains historiens anglais, comme Norman Sykes, dans une étude classique (1934), utilise la notion de « laïcisation » pour qualifier l’augmentation du pouvoir des « laïcs » (c'est-à-dire du roi, de ses conseillers politiques,… membres laïcs de l’Eglise d’Angleterre) dans le gouvernement de l’Eglise établie.

On comprend mieux, dés lors, les problèmes sémantiques. On a coutume de dire, en France, que le terme de « laïcité » est « intraduisible en anglais ». Cela est naturellement a priori faux puis que ce mot est d’origine grecque. Il vaudrait mieux dire qu’il n’est pas utilisé car il ne fait pas sens dans la situation britannique où le rapport Eglise(s)-Etat est structurellement différent de celui qui existe en France (mais aussi d’autre pays de l’Europe latine). Il suffit de penser à la définition de « l’Etat laïque » donné par Buisson (neutre, indépendant, dégagé…) pour constater qu’on ne peut pas l’appliquer à l’Etat britannique. Mais, inversement, il me paraît tout à fait possible de soutenir que l’existence, dans le Royaume Uni du XIXe et du XXe siècle, d’éléments de « laïcisme » (au sens de l’Académie en 1842) constitue une des raisons non seulement de l’absence, mais de l’aspect presque impensable que revêt le terme (et, jusqu’à présent la situation) de « laïcité » en anglais. Il y a d’ailleurs un autre terme plus technique, dans la culture protestante pour qualifier ce type de relations : l’érastianisme.

Pourtant, si le Royaume Uni n’est pas un Etat laïque, cela ne signifie pas, pour autant, que le problème de la distinction entre les institutions sociales, de l’émergence d’institutions autonomes, de leur affranchissement d’un pouvoir religieux ne se soit pas posé.

Ainsi l’école (élément capital du lien entre l’Etat et la Nation) prend, au Royaume Uni comme ailleurs, de plus en plus de caractéristiques institutionnelles au XIXe siècle. Elle est l’enjeu de nombreux conflits et les milieux libéraux comme non-conformistes luttent pour une école « unsectarian », c'est-à-dire dégagée de l’influence de l’Eglise d’Angleterre et dont le cours de morale ne s’appuie pas sur un enseignement confessionnel. Cela aboutit au compromis du Forster Act de 1870.

Autre problème, celui de l’égalité des droits, notamment des droits politiques, par la dissociation entre une pleine citoyenneté et l’appartenance religieuse. Il se résout progressivement : les non-conformistes deviennent éligibles en 1828, les catholiques en 1829, les juifs en 1858, les athées enfin en 1886 (cf. Baubérot J. – Mathieu S., 2002).

Autrement dit, les critères d’un processus de laïcisation (retenus à partir du texte de Buisson) existent aussi au Royaume Uni, même si le processus s’effectue de façon implicite, spécifique, incomplet. Ainsi, le roi (ou la reine) est, jusqu’à aujourd’hui obligatoirement membre de l’Eglise d’Angleterre dont il est le chef. Mais avec cette exception significative (que l’on retrouve, de façon analogue, dans les royautés scandinaves), il s’agit moins de la citoyenneté en tant que telle que de la nationalité : cette appartenance (et cette fonction) religieuse du souverain explicite que l’Eglise établie (ou nationale) constitue une partie de l’identité symbolique de la nation. C’est cette structure maintenue qui empêche le processus de laïcisation d’induire un Etat laïque. Cependant cette identité symbolique, depuis plus d’un siècle, ne constitue pas un obstacle à la laïcisation de la citoyenneté. L’alchimie complexe du Royaume Uni (rappelons que l’Eglise d’Angleterre, anglicane, n’est établie qu’en Angleterre où les autres dénominations et religions ont un statut associatif de charities. Elle est séparée de l’Etat ailleurs, en Ecosse, l’Eglise établie est l’Eglise d’Ecosse, presbytérienne et il n’y a plus d’Eglise établie en Irlande du Nord et au Pays de Galles), cette alchimie contribue à l’originalité de ce modèle. L’Eglise d’Angleterre se dédouble pour jouer un double rôle de confession religieuse et de religion civile au sens de Roberto Bellah et Philip Hammond (1980).

C’est pourquoi, contrairement à d’autres auteurs, il ne me semble pas possible de rapprocher le Royaume Uni et la Grèce, autre modèle où la religion constitue une partie importante de l’identité nationale. Non pas que la laïcisation, comme processus, soit inconnue de l’histoire grecque. Les mesures prises pour limiter l’influence de l’Eglise orthodoxe au début de l’indépendance, pendant le règne du roi Othon de Wittelsbach, allèrent, notamment, dans ce sens. D’une manière plus générale, on peut dire qu’il existe un mouvement, sur le long terme, de différenciation structurelle et fonctionnelle de la société, analogue à celui d’autres pays européens.

Mais la Constitution grecque (de 1975, révisée en 1986) en vigueur aujourd’hui a été promulguée au nom de la « Sainte Trinité, consubstantielle et indivisible » et déclare que « la religion dominante en Grèce est celle de l’Eglise orthodoxe orientale du Christ ; l’Eglise orthodoxe de Grèce reconnaissant pour chef Notre Seigneur Jésus-Christ est indissolublement unie à la Grande Eglise de Constantinople et à toute autre Eglise chrétienne de même dogme, observant immuablement (…) les saints Canons apostoliques et synodaux ainsi que les saintes traditions » (article 3). Aucune autre Constitution de l’Union européenne n’entre ainsi dans le domaine dogmatique, doctrinal, ecclésiologique. La précision du vocabulaire et la mention explicite de certains termes sont très significative : il existe « un lien profond entre la tradition orthodoxe et l’identité grecque » (Hammond Ph., 1988).

D’autre part, l’imbrication de la religion orthodoxe et de l’Etat, héritage de l’Empire byzantin, ainsi que l’influence de cette religion sur diverses institutions semble très forte, créant un problème d’égalité des droits (exemples, notamment, dans Messner Fr., 1999). Cela a entraîné la condamnation de l’Etat grec par la Cour européenne des droits de l’homme, notamment par l’arrêt du 25 mai 1993 (Kokkinakis contre Grèce), relative au prosélytisme religieux. Ce prosélytisme est, en effet, pénalisé car on considère dangereux pour le pays « tout effort de propager des idées non orthodoxes » (Makrides V., 1994). Pour un sociologue, cette sorte de « quasi-monopole » religieux de l’orthodoxie, d’entrave à une libre circulation des « vérités » religieuses fait de la Grèce un cas problématique par rapport aux normes européennes quant à la « liberté de religion et de conviction ». Les difficultés soulevées par l’inscription de la religion sur la carte d’identité sont connues. L’érection d’un lieu de culte d’une religion autre que l’orthodoxie nécessite l’avis du métropolite local.A un autre niveau « il n’est pas douteux que le facteur religieux influence (la) politique étrangère (grecque) » (Kokosalakis N., 1996).

La ressemblance entre le modèle grec et le modèle britannique consiste dans le fait que, dans les deux cas, une religion particulière joue le rôle de religion civile. Mais ce rôle s’effectue de façon structurellement différente Contrairement à l’Eglise d’Angleterre, l’orthodoxie grecque n’accepte pas un dédoublement entre son rôle de confession religieuse et son rôle de religion civile. Elle tente, au contraire, de maintenir un continuum entre les deux fonctions.

Si les royautés scandinaves se rapprochent du modèle britannique (mais, cependant, sans le jeu complexe Angleterre-Royaume Uni), des gouvernements de pays de l’ex-Europe de l’est (Bulgarie, Roumanie, par exemple), me semblent plus ou moins attirés par le modèle grecque. On le sait, ils partagent ave la Grèce, et leur culture religieuse dominante (même s’ils comportent des minorités religieuses plus fortes) et l’histoire tourmentée de la domination ottomane. Mais, sortant du communisme, ils n’en sont pas moins dans une démarche globale de meilleure prise en compte de la liberté de conscience et de religion (cf., pour la Bulgarie, Peteva J., 2002).

En France, les mesures laïcisatrices des années 1880, notamment (mais pas seulement) la création d’une école laïque publique, enseignant une morale laïque, et les lois de séparations des Eglises et de l’Etat (promulguées de 1905 à 1908 et complétées par un accord entre la France et le Saint-Siège en 1923-1924) ont produit, en France, une très nette laïcisation, mais sans doute moins radicale que beaucoup ne se l’imaginent. En effet, une loi comme celle, fondamentale, du 9 décembre 1905, instaurant la séparation des Eglises et de l’Etat, si elle a complété le processus de laïcisation, a aussi limité le « laïcisme », dans le sens donné par l’Académie française en 1842 (c'est-à-dire un gallicanisme d’Etat) et cela contre le souhait de nombre de laïcisateurs.

J’ai rapporté ailleurs (Baubérot J., 1990) les conflits internes au ‘camp’ laïque pendant la période précédant la séparation (et les divers types de séparation prônés par les différentes tendances). Je donnerai, ici, un autre indice en citant deux Notes du Bureau des cultes du Ministère de l’Intérieur : « la loi de Séparation, en enlevant au Gouvernement tout contrôle sur le recrutement du clergé et toute action sur celui-ci, a été pour les congrégations de prêtres l’événement inespéré qui a rendu à peu près inopérante à leur égard la loi de 1901 », écrivait-on en octobre 1917. Et quatre ans plus tard, en novembre 1921, même antienne : « la loi de 1905 (…) a été une loi antilaïque. Beaucoup de Républicains reconnaissent aujourd’hui l’erreur commise. Il est trop tard et jamais Rome ne voudra consentir à rétablir un concordat qui consacrait les avantages obtenus au cours de dix siècles par l’Ancien Régime sur la papauté » (cf. Guitton M, 1999) Il ne faut naturellement pas faire de la surinterprétation, mais de telle Notes présentent l’intérêt de montrer que le modèle français est lui-même plus complexe qu’il n’y paraît et de prendre à rebours l’idée d’une laïcité « dure » en 1905 et libérale depuis quelques décennies. Cela ne conduit pas à nier d’indéniables évolutions, et notamment le tournant que représente la fin de la « querelle scolaire » en 1984
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Parallèlement à cette évolution française, en Italie et en Espagne, les Concordats ont été renégociés, des systèmes d’entente avec d’autres religions ont été conclus, la législation civile s’est éloignée des normes religieuses dominantes (notamment en matière de mœurs). En Italie, selon un arrêt de la Cour Constitutionnelle, le principe de laïcité (« compris autrement qu’en France » a-t-on coutume de dire dans mon pays, mais cette divergence de sens est loin d’être totale et le terme de « laïcité » n’a pas forcément comme norme unique son sens français) fait partie des principes suprêmes du système juridique italien (cf, notamment, Ferrari A, 2000). Aujourd’hui, de façon idéal-typique, L’Etat belge, l’Etat espagnol, l’Etat italien, l’Etat portugais me semblent relever du type de ‘l’Etat laïque’ tel que Buisson l’avait défini en son temps. On peut dire, globalement que les divers systèmes de l’Europe latine se sont rapprochés, même si des différences non négligeables subsistent.

On le constate, par exemple, dans la différence d’approche actuelle entre l’Italie et l’Espagne, d’une part, la France de l’autre dans la gestion des Nouveaux Mouvements Religieux, ou la façon –typiquement française- de réduire quasi obsessionnellement la laïcité à un seul problème : hier le subventionnement aux écoles privées, aujourd’hui la « question du foulard ». Mais là se trouve peut-être en jeu ce que Théodore Zedlin appellerait « les passions françaises ». Schématiquement, si on reprend la manière dont Maurice Barbier (1995) distingue séparation et neutralité, on peut soutenir l’idée que la France est plus « séparée », l’Espagne et l’Italie parfois plus « neutres ».

Dans ce troisième type, il n’existe pas vraiment de religion civile quoiqu’en fait, il soit difficile de s’en passer totalement. Le catholicisme joue encore en partie ce rôle, en demie teinte, en Italie et plus encore en Espagne. La situation est particulièrement mouvante et complexe en France où Jean-Paul Willaime (1993) parle d’une « recomposition éthique de la religion civile » par un « œcuménisme des droits de l’homme ». La façon dont est invoquée actuellement les « valeurs républicaines » (à comparer avec les références bien différentes de l’après « mai 1968 ») tient aussi parfois plus de la religion civile que de la laïcité.

Il me semble donc possible de schématiser les diverses situations européennes, dans l’optique de la laïcisation, sous la forme d’un triangle dont les trois angles seraient constitués par le modèle britannique, le modèle grec et le modèle français. D’autres modèles, comme le modèle allemand, se trouveraient à l’intérieur du triangle, leurs caractéristiques comportant plus ou moins des analogies avec chacun des trois modèles. Ainsi, il est significatif de constater que les Eglises allemandes (Eglise catholique et Eglise évangélique) effectuent davantage de lobbying à Bruxelles pour obtenir un rôle institutionnel des Eglises en Europe que l’Eglise d’Angleterre, par exemple. Mais pour ne pas figer le schéma, il faut rappeler que si les relations Etat-religion sont traitées selon le principe de subsidiarité, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme montre que cette Cour impose, par respect de la liberté de religion et de conviction (article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales) et selon le principe de non-discrimination (article 14), une certaine neutralité des Etats et donc, de mon point de vue, une certaine laïcisation européenne, en tout cas comme norme juridique dont les Etats doivent tenir compte.

LAÏCISATION ET SECULARISATION :

La notion de laïcisation, telle qu’elle a été perçue, met en avant le rôle social de la religion comme ‘institution’ (au sens wébérien du terme). Cet aspect institutionnel se relie à l’action du politique. Certes, l’initiative laïcisatrice peut d’abord provenir de secteurs de la société civile mais il faut, en règle générale, une mobilisation et la médiation du politique pour que les intentions laïcisatrices s’opérationnalisent et se réalisent empiriquement. Selon Micheline Milot (2002) la laïcisation, « introduit dans le politique une mise à distance institutionnelle de la religion dans la régulation sociale de la société, notamment en contexte pluraliste ».Il existe, d’ailleurs, une certaine affinité entre la limitation de l’influence institutionnelle de la religion et la revendication de l’exercice pour tous des droits de l’homme (ou droits fondamentaux). Il se produit, en général, dans le processus de laïcisation, une référence à ces droits.

Le terme de ‘référence’ est très important pour se dégager de toute vision idéaliste de la laïcisation. En effet, dans le processus de laïcisation, il peut arriver un moment où se pose la question des droits fondamentaux de ceux qui se réfèrent à la religion. La France a connu ce problème à différentes reprises (sous la Révolution et aussi, mais dans une moindre mesure, lors du gouvernement du « petit père Combes »), mais aussi l’Espagne -par exemple- lors du processus très accéléré de laïcisation des années 1930. L’exemple de l’Espagne montre aussi que le phénomène de laïcisation n’est nullement linéaire ou irréversible. Le Concordat de 1953, rappelons le, induit une situation où non seulement la confessionnalité catholique de l’Etat s’avère « un principe fondamental qui donne son unité et sa cohérence au système », mais où cette confessionnalité est doctrinale : la religion catholique est l’ « unique vraie » religion. Il en résulte la prétention de réaliser son idéal religieux et éthique dans l’ordre juridique espagnol (J. G. M. de Carjaval, 1990).

La ‘sécularisation’ est un concept qui est un cœur des débats entre sociologues de la religion depuis les années 1960. L’extension trop vaste donnée parfois à cette notion a été critiquée. Distinguer clairement sécularisation et laïcisation -au lieu de faire, par exemple, de la laïcisation une dimension de la sécularisation (comme le fait Karel Dobbelaere, 1981)- permet de mieux circonscrire le champ de la sécularisation.

Micheline Milot (2002) écrit : la sécularisation correspond à une perte progressive de pertinence sociale et culturelle de la religion en tant que cadre normatif orientant les conduites et la vie morale » Comme elle le mentionne elle-même nos points de vue sont très proches. J’avais moi-même indiqué : « de façon dominante la sécularisation implique une relative et progressive perte de pertinence sociale du religieux, dues principalement à un ensemble d’évolutions sociales auxquelles la religion participe ou s’adapte » (Baubérot J., 2000). Il semble possible d’unifier ces deux définitions : de Micheline Milot on retiendra l’explicitation, effectivement importante, de la dimension socio-culturelle (face à la dimension socio-institutionnelle de la laïcisation); de ma propre approche l’idée que la religion puisse être activement partie prenante, à sa manière, du processus de sécularisation. Bien sûr il faut préciser qu’il ne s’agit par, alors, d’un consensus religieux, les mouvements sécularisateurs sont souvent des Revivals, des mouvements de retour aux sources, ou des groupements modernistes. Mais si le processus de sécularisation ne se produit pas sans conflit interne au champ religieux, il implique aussi des conflits internes aux autres champs du social. Nous trouvons, en fait, beaucoup moins que dans la laïcisation, une action de rupture du politique et beaucoup plus les différentes interactions de la dynamique sociale.

C’est ce qui se produit, par exemple, de façon dominante, dans la Grande Bretagne du XIXe siècle avec l’importance des mouvements de renouveau religieux, quelque soit leur orientation : courant évangélique, mouvement d’Oxford, émergence de la Broad Chuch, importance du christianisme social et du socialisme chrétien. Le rôle d’enfants de pasteurs dans la novation sociale et sa légitimation religieuse est à prendre aussi en considération : ainsi un médecin écossais, John Simpson, fils de pasteur méthodiste, introduisit le chloroforme et trouva une justification biblique à l’anesthésie (pour créer la femme, Dieu endormit Adam afin de lui soustraire une côte ; et le verset sur l’enfantement a été, selon lui mal traduit de l’hébreu, il faut lire : « tu accoucheras avec effort »). On sait que Victoria, chef de l’Eglise d’Angleterre accouchera sous anesthésie en 1853. (cf. Baubérot J. – Mathieu S., 2002). Dans ce cas de figure, tendanciellement, le processus de laïcisation (dans le sens où il a été défini) se trouve englobé par le processus de sécularisation qui le circonscrit et l’oriente. C’est pourquoi la laïcisation a tendance à rester incomplète ; des Etats peuvent devenir, au bout du compte, modernes et démocratiques sans être des Etats laïques.

L’emploi du terme de sécularisation par les sociologues est issu de la problématique wébérienne du ‘désenchantement du monde’. Mais on peut émettre l’hypothèse que, loin de drainer uniquement du désenchantement, la sécularisation -en tant que processus- constitue un mouvement de désenchantement-réenchantement. On doit à Raymond Aron la célèbre expression de ‘religion séculière’ à propos du communisme et du fascisme. Mais plus largement, on rencontre du ‘religieux séculier dans l’espérance quasi messianique d’un progrès indéfini chez Condorcet, comme, de manière générale, dans les utopies de la Révolution française. D’une manière générale, les grandes institutions séculières se sont développées à partir de la croyance en un conjonction des progrès (progrès du savoir, de la science d’un côté, progrès moral et social de l’autre).

L’école, lieu d’instruction et d’éducation, l’institution médicale recevant de l’Etat le monopole de l’exercice légitime de l’action en vue de la guérison et de la santé, étaient pourvoyeuses de bien symboliques devenus progressivement socialement plus précieux que le salut dans l’au-delà. « Dans le principe, écrit Claude Nicolet (1982) rien ne sépare, apparemment, le recours à l’hygiène et à la médecine dans la plupart des pays occidentaux au cours du XIXe siècle. (…)Mais nulle part ailleurs qu’en France il ne deviendra aussi nettement une obligation morale liée à la nature d’un régime politique précis », la République. La France a vécu, de façon accentuée, une tendance générale car Révolution française a engendré, une forte légitimité symbolique du non-religieux, presque une sacralisation de certains de ses aspects. Là, le processus de sécularisation a donc été englobé, circonscrit et orienté par le processus de laïcisation de façon (idéal-typique) exemplaire : la morale s’est (plus ou moins) sécularisée de façon générale en Europe, mais la France a produit la morale laïque, enseignée par l’institution scolaire. Etant donné l’importance qu’a revêtu en Europe la Révolution française et le Premier Empire, on peut faire l’hypothèse d’une différence tendancielle entre le pays qui les a produit, ceux qui ont été influencés parce qu’ils les ont subis sous la forme d’une armée d’occupation (même si des idéaux révolutionnaires ont été attirants pour certains milieux) et ceux qui les ont combattu. Cela constitue d’ailleurs une des raisons qui font que la France subit aujourd’hui un contrecoup plus fort que celui d’autres pays européens, de l’actuelle déstabilisation de l’institution scolaire.


QUATRE CRITERES ET QUATRE PROBLEMES:

Prenant la notion de sécularisation dans un sens extensif (mais comme un processus complexe et ambigu), David Martin (1978) distingue les situations des différents pays européens selon deux grands critères : la culture religieuse dominante (catholique, orthodoxe, protestante) et la situation propre au champs religieux (du quasi-monopole d’une religion à un large pluralisme religieux). De fait, ce n’est pas un hasard si les trois pays que nous avons repérés comme formant les trois pôles d’un triangle Europe sont respectivement, au niveau de leur culture religieuse dominante, protestant, orthodoxe et catholique. Ce n’est pas un hasard, non plus, si le pays dont le modèle est une sécularisation englobant la laïcisation soit le pays historiquement le plus pluraliste (le Royaume Uni), tandis que le pays le moins laïcisé (Grèce) et le pays le plus laïcisé (France) aient des religions historiquement en situation de monopole ou de quasi-monopole.

Mais deux autres grandes caractéristiques peuvent, à mon sens, être ajoutées. D’abord, à la suite de ce qu’il vient d’être indiqué, il est nécessaire de prendre en compte la possibilité d’enchantements séculiers socialement crédibles. « Ferdinand Buisson and Salvation by National Education », tel est, significativement le titre de l’étude d’un chercheur canadien sur la laïcisation scolaire en France (Chase G., 1983). Ce type de rapport à l’école est éclairant pour comprendre l’attitude dominante en France hier contre les congrégations , aujourd’hui contre les sectes (Baubérot J.,1999), et également les « affaires de foulard » (Baubérot J.,1996). Le même type d’analyse peut être fait pour le rapport à la médecine, comme l’induit la citation faite de Claude Nicolet. Plus globalement, il serait important de comparer, à partir de cet angle d’attaque, la France et d’autres pays européens dont la culture religieuse dominante est catholique ; des pays où le catholicisme s’est trouvé longtemps en situation de quasi monopole et où il se situe aujourd’hui encore dans une position socioreligieuse hégémonique. Il a déjà été indiqué en quoi cela pouvait constitué un facteur de différenciation.

Enfin, quatrième variable, joue également la construction socio-historique de l’Etat-nation, ses caractéristiques propres et notamment les rapports de l’Etat et de la Nation : aspects plus ou moins centralisateurs de l’Etat, sa prétention plus ou moins grande à médiatiser l’universel,… La politologue américaine Liah Greenfeld (1992) a développé l’hypothèse que l’Etat-nation anglais a émergé, au XVIIe siècle, d’abord comme nation et l’Etat-nation français a émergé, à peu prés au même moment, d’abord comme Etat, puis à intégré, au siècle suivant, l’idée de la nation, en partie par emprunt à l’Angleterre. On peut, d’autre part, avancer l’hypothèse que la situation et le rôle des Eglises allemandes, par rapport à l’Etat-nation, s’explique en partie, d’une part par la pacification religieuse issue des traités de Westphalie (1648-1649), d’autre part par le rapport contemporain à l’Etat induit par l’expérience totalitaire du nazisme et le rôle de représentant moral de la nation joué par les deux Eglises, face aux Alliés, en 1945 et les années suivantes.

En conclusion, je voudrais très brièvement présenter les quatre grands problèmes –ou enjeux- qui se posent à une politique des cultes, du moins si les analyses que j’ai exposées présentent une certaine validité. C’est également une façon de reprendre, en les formulant un peu autrement, les questions abordées au début de mon exposé.

Le premier enjeu est celui de la mondialisation du religieux qui entraîne sa (relative, bien sûr) déterritorialisation. En religion comme en économie, le local a tendance, maintenant, à être en prise directe avec le global. Par le câble et par internet vous pouvez être adepte d’un maître spirituel ou d’un prédicateur qui habite à des milliers de kilomètres alors que vous n’avez aucune idée de l’éventuelle religion de votre voisin. Sécularisation et mondialisation conjuguent, à ce niveau, leurs effets. Or les politiques européennes des cultes restent profondément nationales.

Le second enjeu est également un résultat de la mondialisation. Il se produit partout en Europe, selon des modalités et des rythmes qui peuvent varier, à la fois une extension et une mutation de la pluralisation religieuse. En Ukraine aujourd’hui les protestants sont aussi nombreux que les catholiques uniates et, naturellement, se rattachent à de multiples dénominations. Ils constituent donc une réalité socioreligieuse nouvelle, mouvante, reliée à différents pays (ainsi progresse rapidement une Eglise luthérienne ukrainienne liée à des luthériens allemands, différents de ceux de l’Eglise évangélique unie) et qui se démultiplie presque à l’infini. Danièle Hervieu. Léger (2001) a montré, pour la France (mais la situation est assez analogue en Allemagne et en Belgique ainsi que dans certains ex pays de l’est) le malaise et les contradictions engendrées par la multiplication des ‘petits entrepreneurs religieux’. Or les politiques des cultes sont restées, jusqu’à présent, surtout centrées sur de grandes traditions religieuses historiques et ne se sont adaptées ni à cette mobilité ni à cette fluidité.

La sécularisation qui apparaissait socialement comme une sorte de marche en avant de l’ensemble des sociétés modernes jusque dans les années 1960-1970, apparaît aujourd’hui elle-même désenchantée, bien que largement établie. Cela est en partie induit par le déclin de la croyance ne la conjonction des progrès. Le progrès scientifico-technique est dissocié du progrès social est moral. Lié à cela, on constate un changement du regard social à l’égard des institutions séculières. L’attitude plus ou moins obligatoire de déférence qui était de mise à l’égard de l’école et de la médecine est en net déclin. Une nouvelle perception des droits de l’homme élargit ces droits à la situation spécifique de l’institué : « droit de malades », « droit des élèves ». On n’a pas assez insisté sur la mutation symbolique structurelle que manifeste notamment l’article 3 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Intitulé « Droit à l’intégrité de la personne », il énonce, outre la nécessité du « consentement libre et éclairé de la personne concernée », des interdictions que doit respecter l’institution médicale (pratiques eugéniques, faire du corps humain et de ses parties une source de profit, clonage reproductif). Il y a un demi siècle, malgré les dérives médicales effectuées sous le nazisme et les stalinisme, un tel article était impensable et –de fait- il ne possède pas d’équivalent dans la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Par ailleurs, dans le même laps de temps, en lien avec la mutation de l’économie, l’élargissement considérable du marché et l’injonction sociale du devoir pour l’individu d’être autonome, le développement d’attitudes consuméristes à l’égard des institutions. Cela change profondément la situation socio symbolique du champ religieux, induit un attrait pour de nouvelles formes de religiosités et favorisent de nouvelles revendications culturelles et/ou religieuses dans des champs institutionnels. Or les représentations implicites des différentes politiques des cultes européennes me semble provenir, peu ou prou, d’une vision libérale classique de la religion qui date du moment où s’opérait tendanciellement un transfert du symbolique des institutions religieuses vers les institutions séculières.

Enfin, l’Europe avec, notamment, la Cour européenne des droits de l’homme, est en train de se constituer une jurisprudence en partie déconnectée des formes étatiques, de constituer un espace juridique sans Etat correspondant. Nous l’avons vu : si les régimes juridiques des cultes et, plus généralement, les relations religions-Etat restent, nous l’avons vu, divergents, une pratique commune de la liberté de « religion et de conviction » s’instaure peu à peu grâce à cette jurisprudence. Or la politique des cultes reste affaire des Etats, selon le principe de subsidiarité. Mais comment cette politique tient-elle compte du contexte européen et aussi de la relativisation de l’Etat-nation induit par un ensemble de mutations actuelles ?
Notre colloque ne manque donc pas de sujets à traiter et je ne doute pas qu’il apporte beaucoup à chacun d’entre nous.


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