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05/09/2009

VIVRE LIBRE II : L’ANTICLERICALISME NECESSAIRE

Allez, c’est la rentrée : aujourd’hui on va être un peu sérieux. Mais rassurez-vous, il n’y aura pas d’interrogation écrite !

On poursuit seulement la Note du 24 août : Vivre libre n’est pas une mince affaire.

 

Comme chacun le sait, la liberté n’est ni « la loi de la jungle », ni le droit de faire n’importe quoi. Et c’est sans doute un invariant anthropologique (qui prend des formes multiples suivant les civilisations) d’allier la liberté (entendue globalement comme une façon de vivre non instinctive) et la règle.

L’établissement de règles = l’ordonnancement humain du monde, la construction de la société. Même Robinson Crusoé est un être social : il a été « socialisé » durant son enfance, sa jeunesse.

Le problème est que l’indispensable ordonnancement du monde est aussi un arbitraire ordre établi qui organise structurellement des inégalités entre humains et limite la liberté plus que nécessaire.

Et donc, comme on le disait en « Mai 68 » : on a raison de se révolter ». Oui, mais toute révolution engendre un nouvel ordre : la Révolution française : le bonapartisme (et l’école en France est plus bonapartiste que « républicaine » dans son fonctionnement) ; la soviétique : léninisme et stalinisme, etc.

 

Le problème est donc que la liberté se trouve sans doute dans une articulation maîtrisée de l’ordre et de la révolte.

Individuellement, on peut être dans la pure révolte, mais s’il ne s’agit pas d’une révolte en trompe l’œil (explicitement je suis révolté ; implicitement je fais des tas de compromis quotidiens… quand cela m’avantage), cela conduit à la folie.

Certains en ont payé le prix, tel Antonin Arthaud et d’autres…

 

On a écrit parfois que l’histoire humaine est une histoire de la liberté.

Cela est faux, si on considère cela de façon évolutionniste : l’histoire serait une conquête progressive où l’humain serait de plus en plus libre.

C’est un peu naïf de croire cela, et l’on sous estime la liberté dans les civilisations dites « non modernes ».

Cela est exact, ou du moins on peut considérer l’histoire humaine à partir des multiples tentatives, sans cesse recommencées, de se libérer.

Cela nécessite un perpétuel anticléricalisme, dont l’objet se déplace suivant les dominations principales du temps et du lieu.

Mais en sachant que la dialectique anticléricalisme-création de nouveaux cléricalismes n’en finit jamais.

Et qu’en soi-même on a un petit clerc .

 

Très schématiquement, au niveau d’une vue cavalière de l’histoire: le christianisme a porté un message de liberté, puis a donné la chrétienté, avec une séparation de plus en plus marquée entre clercs et laïcs ; le protestantisme a été un anticléricalisme religieux et a engendré de nouvelles orthodoxie et liens entre politique et religion.

Alors est arrivé l’idéal laïque (largement entendu) qui a proclamé que la souveraineté n’avait pas d’origine transcendante. L’ordre ne venait plus d’en haut, mais se construisait à partir de l’en bas, d’en bas, du peuple.

Affirmation très corrosive, fondée sur la croyance que l’ordre et la liberté pouvaient se concilier très facilement grâce à la raison et à la science (en fait à la Raison et à la Science, si vous voyez ce que je veux dire).

Comte disait : que 2 et 2 fassent 4 ne relève pas de la liberté conscience. On vit toujours sur ce fondement, sauf que l’on sait aussi que 2=2+’ est une réalité culturelle, dépendante d’une certaine forme de mathématiques.

Plus largement on a cru à des évidences rationnelles et naturelles de l’ici-bas.

Sauf que de Marx (la valeur n’est pas un en soi, elle résulte d’un travail) à Max Weber, on a appris que toute réalité humaine est socialement construite, aucune n’est « naturelle ».

Et la psychanalyse est venue nous dire que, plus profond que le rationnel = nos angoisses, nos peurs fondamentales, notre mal vivre.

 

En fait, comme le souligne Talad Asad[1] la modernité s’est fondée sur 2 mythes divergents

-         le mythe des Lumières où le politique (la construction de l’ordre social) est le discours de la raison publique, mythe lié à la capacité des élites de diriger les êtres humains (lien entre la philosophie des Lumières et le « despotisme éclairé »)

-         le mythe révolutionnaire du suffrage universel, où le politique est l’expression de la volonté du peuple (= du laos grec) obtenu en quantifiant l’opinion (rationnelle ou pas !) des différents individus-citoyens

 

On a historiquement résolu cette contradiction de 2 manières :

-         en affirmant qu’il fallait être un être humain rationnel et libre pour pouvoir être citoyen et en clivant les individus en 2 : ceux qui étaient dignes de la citoyenneté (les propriétaires puis les presque tous les hommes blancs à partir de 1848) et ceux qui n’avaient (soi disant !) pas assez de raison et de liberté pour être dignes de la citoyenneté (un temps les non propriétaires, les domestiques, les sans domicile fixe, pendant plus longtemps les femmes et les colonisés ; de façon permanente les enfants)

-         en encadrant les humains par des institutions qui se sont construites comme telles au XIXe siècle : l’école et la médecine. Grâce à ces institutions les élites éduquaient le laos (=le peuple) à la raison, à avoir une vie et une pensée rationnelle.

 

Ce n’est pas un hasard si la France -qui est allée loin dans ce qu’en sociologie on appelle « sécularisation transfert » (transfert d’une transcendance religieuse à des transcendances profanes)- est le pays où les femmes n’ont voté qu’un siècle après les hommes (dans beaucoup d’autres pays démocratique, la différence est de 30 ans)

Ce n’est pas non plus un hasard si la France est un pays où la construction de telle institutions à été précoce : ainsi la loi interdisant l’exercice illégal de la médecine, fondement de la construction de l’institution médicale (au sens moderne du terme), date de 1803, époque où tous les historiens de la santé vous diront que les dits médecins ne guérissaient ni plus ni moins que les dits charlatans.

 

C’est moins admis dans la mentalité collective que pour l’école, mais la médecine a un rôle d’ordre fondamental et les médecins l’ont exercé sans complexe.

Ecoutons le Dr Cavaillon, Médecin-chef du Service central de Prophylaxie au Ministère du Travail et de l’Hygiène, en 1928 (mais ce livre était encore largement diffusé au milieu du XXe siècle) diffuser le message médicalo-républicain et nous apprendre ce que doit être une « femme moderne »:

« la femme moderne, ce n’est plus celle (…) qui est suffisamment armée pour la vie quand la capacité de son esprit se hausse à ‘connaître un pourpoint d’avec un haut de chausse.’ [bref l’ignorante]

Ce n’est pas non plus la « garçonne » soucieuse seulement de paraître aux yeux des hommes et qui délaisse toute la vie intérieure pour la ‘foire aux vanités.’

Ce n’est pas également l’intellectuelle pure, préoccupée seulement de savoir, oublieuse de son corps, et méprisant la vie familiale.

C’est au contraire celle qui sait faire droit aux exigences de l’esprit comme à celle du corps, qui sait être à la fois instruite sinon même diplômée, qui peut être à la fois jolie femme et maman aussi compétente que dévouée ; qui a su aussi bien préparer ses examens de lettres et de sciences que suivre des cours de cuisine et avoir son diplôme d’infirmière.

C’est celle qui en un mot a su s’adapter à tous ses rôles multiples : de femme, d’épouse, de mère, d’éducatrice, de gardienne de la santé du foyer, celle à qui tout incombe et qui doit tout mener à bien : les grands devoirs et la foule des menus détails,

celle qui ne regarde plus la vie en ignorante craintive et désarmée, mais bien en femme avertie des dangers et des joies, des devoirs et des droits, de la protection que lui donnent ou lui refusent les lois, en femme soucieuse d’assurer sa santé, son bonheur, et la santé et le bonheur des siens. »[2]

 

Il ne faut pas seulement sourire (ou s’indigner) d’un semblable propos, l’important est de comprendre à quel point, même dans la modernité, la liberté est encadrée, fait l’objet de prescriptions.

Et le début de la liberté, consiste à ne pas croire, qu’il était ainsi autrefois et qu’aujourd’hui on serait libre. On est toujours dans la même ambivalence, même si la citoyenneté s’est élargie et les institutions déclinent.

On en reparle la semaine prochaine. Juste pour le moment, un dernier constat :

 

A quelle raison socialisait-on : la raison rationnelle ou la raison du plus fort  (qui, chacun le sait, depuis la Fontaine, est « toujours la meilleure » !)?

Les 2 sans doute. Les tenant de l’ordre font mine de croire qu’il s’agit QUE de raison rationnelle ; mais quand ils sont de l’autre côté de la barrière, que cette raison brime leur liberté, ils rejoignent les tenant de la révolte et pensent qu’il s’agit de la raison du plus fort.

 

(suite et fin la semaine prochaine).



[1] Formation of the Secular, Standford University Press, 2003, 23

[2] Préface à : Doctoresse [Marie]Houdré. Ma Doctoresse. Guide pratique d’hygiène et de médecine de la femme moderne. Cet ouvrage se voulait très progressiste.  Il prône une certaine émancipation de la femme. Il est complètement totalisant au niveau de ses prescriptions à suivre « Pour la santé et le bonheur »:.elles vont des recettes alimentaires à des indications comme celle-ci :

le sport est nécessaire pour les jeunes-filles : « courses, sauts et lancers, jeux de balles et de ballon, voilà qui fatiguera les muscles et usera le trop plein de l’ardeur juvénile. Bien compris et bien surveillé, le sport est une sauvegarde de premier ordre en matière de moralité sexuelle. »

Ensuite, quand elles se marient : quelle périodicité pour l’intimité des époux : « Parfois on abuse » et « on devient ensuite hargneux et injuste l’un pour l’autre. Ou bien on s’en tient à une continence excessive, et l’on se sent nerveux, inquiet, agité… Suivant les tempéraments, la saison, le loisir » = « goûter les plaisirs du mariage de une à trois fois par semaine. »

Et précise : « Trop de gens s’imaginent que c’est une nécessité physiologique de satisfaire l’appétit sexuel chaque fois ou à peu prés qu’il se manifeste. C’est là une erreur totale. Comme tous les appétits, celui-là doit être discipliné. »

Bon appétit quand même !

 

 

Commentaires

Tout à fait d'accord avec vous pour cette fois. L'idéal féminin défini par le docteur Cavaillon, à mon avis, reste toujours d'actualité. Meme si certaines pionnières, qui ont d'ailleurs existé de tous temps, telles que Colette ou George Sand, ont bousculé les préjugés au risque non pas d'être assassinées comme dans certaines cultures mais d'être vivement décriées et raillées. Quand est-ce que les femmes s'affranchiront tout à fait de ce modèle de bonne épouse, bonne ménagère (de préférence de - de 50ans), belle, intelligente, mais gagnant moins que son mari pour ne pas le castrer symboliquement ? Il faut croire que la liberté se mérite et que parfois et même souvent, on préfère être aliéné plutôt que se retrouver seul ou ostracisé par ses semblables.
Si les femmes occidentales ne sont pas libres en fait, malgré l'égalité des droits, parce que conditionnées et formatées dès leur plus jeune âge, il faut néanmoins distinguer cette aliénation par l'affectif, (la crainte de déplaire et de perdre la sympathie) de celle qui résulte d'un statut de mineure à vie plaçant les femmes plus ou moins à l'entière merci des hommes de leur famille, comme c'est le cas dans l'islam traditionnel. Entre la persuasion par l'affectif et la coercition, il y a des nuances à faire.
La liberté au sens relatif est selon moi la possibilité de choisir sa vie en fonction de ses capacités, morales et intellectuelles ou physiques, sans contrainte autre que celles de la nécessité reconnue et assumée. Par exemple, la liberté pour moi, ce n'est pas de faire tout ce que j'ai envie mais de pouvoir faire tout ce qui est possible à tout être humain sans que des contraintes arbitraires soient imposées. En réalité, ce n'est pas le cas même dans notre société. Par exemple, très peu de personnes peuvent se permettre d'exprimer des idées "islamophobes", anti-immigrationnistes, racistes, antisémites ou homophobes, sans encourir la vindicte publique, et à ses risques et périls. Pourtant, en démocratie, cela devrait être possible et en théorie l'est, seule la justice étant habilitée à trancher ce qui est interdit ou permis. Seuls les passages à l'acte devraient être strictement interdits, mais en fait, la liberté d'expression et d'opinion est limitée par l'auto-censure, à cause de la peur.

Écrit par : gigi-3 | 05/09/2009

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