16/10/2009
Evidence, Morale laïque et Ordre moral
Comme il était content de lui, votre très humble et très honoré serviteur, après sa Note du 10 octobre. Il croyait avoir trouvé la formule (THE formule en franglais), vérifiée par l’histoire, qui allait le faire passer à la postérité.
Il s’y croyait déjà.
« Les évidences d’aujourd’hui sont les conneries de demain »
C’était écrit en rouge et surligné !
Nul doute que, dans un élan unanime, les 36000 et quelques maires de France allaient la graver dans le marbre, la mettre au dessus des portes de leurs mairies, juste en dessous de « Liberté, égalité, fraternité »… et en un peu plus gros.
Nul doute que dans les discours de réception à l’Académie françooise, la formule serait reprise, pillée.
Qu’elle ferait date dans l’histoire de la pensée philosophico-épistémologico-heuristico-herméneutico-problématique.
Il était donc sur un petit nuage votre humble et honoré. Et ce, d’autant plus que Le Monde lui ayant demandé un beau discours pour la cérémonie de remise du Prix de la recherche universitaire, il avait trouvé une other formule ;
Il avait conclu par une so beautiful péroraison que cela lui avait valu un regard ébloui des dames :
« Le combat contre la glaciation culturelle est aussi urgent et important que celui contre le réchauffement climatique »
« La glaciation culturelle » : cette expression avait plu aux délicieuses, et elles étaient venues le lui dire au cocktail qui avait suivi.
Et juste au moment, où il téléphonait à un médecin soignant l’enflure des chevilles, voila-t-y-pas, qu’un faux derche, et néanmoins ami pourtant, fait réaliser des économies à la Sécurité Joviale, en lui balançant dans les gencives :
« Attention au conformisme de l’anticonformisme ».
« Attention à l’élitisme »
Et vlan dans les dents !
Maintenant, tout rabougri, tout biscornu, rasant les murs avec honte, n’osant plus regarder les charmantes (de peur d’apercevoir leur air sévère), il demande quand même l’indulgence du jury,
Et, malgré le mauvais temps sécuritaire, le droit d’une petite plaidoirie.
La Note parlait de :
« pratiquer la gymnastique intellectuelle », de porter « son regard au-delà des impasses qui bloquent l’horizon », de « résister aux conformismes de tous poils, qu’ils soient ceux de la société ou ceux de groupes ou de communautés »,
bref d’«assumer, quand cela est nécessaire, le courage d’être seul », de « cultiver son individualité ».
Ok, il existe un conformisme de l’anticonformisme : là je suis on ne peut plus d’accord.
OK également qu’il faille s’en méfier : on navigue toujours entre la peste du conformisme et le choléra de l’anticonformisme-nouveau conformisme (ou autre conformisme).
Mais il me semble, que c’est toujours une affaire de groupe, d’une collectivité, d’un ensemble social.
C’est pourquoi, d’ailleurs, je mettais ensemble société-groupe-communauté.
On ne peut être conforme tout seul, c’est un oxymore.
(pour causer savant)
Bien sûr, on peut croire avoir raison seul contre tous et s’enfermer dans la bonne conscience ; et c’est peut être ce que mon ami a voulu dire.
Mais d’une part, le coût social est très lourd : on se coupe des autres, des relations avec autrui nécessaires pour ne pas étouffer de solitude, à la limite on risque la folie.
On a besoin de l’approbation des autres, on a besoin de se rassurer en pensant (qu’au moins un tel ou un tel) pense comme vous.
Et pourtant, il faut bien que les idées neuves naissent quelque part. Et au début elles n’attirent pas la foule !
Et je crains que le mimétisme soit la nouvelle forme de domination de l’homme sur l’homme, quand les dominations hiérarchiques sont, en certains lieux du moins, moins prégnantes.
J’ai précisé d’ailleurs : qu’il fallait avoir « quand cela est nécessaire », le courage d’être seul : pas sur tout, pas tout le temps, pas de façon systématique.
Pour être clair, j’ajouterai que, même quand arrive l’heure d’avoir ce courage, en fait si on peut être (au moins temporairement) seul dans l’espace, on ne l’est pas dans le temps.
Car l’idée neuve, la mise en question du stéréotype, de l’évidence sociale, trop évidente pour être honnête, elle vient de loin, et est la résultante de ce qu’on a reçu + sa propre personnalité.
Une démarche individuelle contient peut-être d’autant plus d’apports divers qu’elle prend ses distances avec les conformismes sociaux, groupaux, communautaires.
De plus, je pense qu'il faut soumettre son idée neuve a d'autres; peut-etre ne la comprendront-ils pas, peut-etre recevrons nous une volée de bois vert. Mais soyons attentifs à leurs critiques, il y a toujours quelque chose de bon à prendre
Le petit PS sur l’affaire F. Mitterrand a lui aussi provoqué quelques réactions.
Relisez le : il reprochait à B. Hamont d’avoir suivi Marine Le Pen « au quart de tour » : bref d’avoir répété une accusation (apologie du tourisme sexuel, voire de la pédophilie) sans (visiblement) avoir vraiment lu, et étudié l'ouvrage attaqué.
Sans même d’ailleurs, avoir réfléchi sur le titre (significatif) de cet ouvrage : La mauvaise vie.
Et que, lors de sa parution, puis quand F. M: est devenu ministre no problemo. Il a fallu attendre Marine pour qu'il y en ai un!
Je n'ai pas regarde l'émission ou Marine s'est exprimée, mais tous les journaux que j'ai lus (et j'en ai lu pas mal, pour forger mon opinion), quelque soit leur opinion sur l'affaire ( par exemple, L'Express, qui est plutot contre F. M.), ecrivent que la citation qu'elle a faite etait "tronquee".
Rien d'etonnant a cela, d'aillieurs!
Rien à voir donc avec une « apologie »
Agir ainsi de la part de B. H. = déroger aux règles élémentaires de la morale laïque : on ne parle pas sans savoir, on n’accuse pas sur des ragots ou des rumeurs, on réfléchit un peu avant de causer dans le poste.
Surtout quand on se veut porte parole du principal parti d'opposition
Sinon on passe de la morale laïque à l’ordre moral.
Alors, il y en a même un qui a trouvé mon PS (m’a-t-il dit) : « d’autant plus curieux que tu es protestant ».
Incompréhension complète! Ce n’est pas seulement comme citoyen, mais aussi comme protestant que je hais l’ordre moral.
Faut-il rappeler que le cœur de la morale évangélique, c’est la déclaration de Jésus quand on lui demande de condamner « la femme adultère » : « que celui qui est sans péché jette la première pierre ».
Ce passage de l’évangile de Jean a eu de la peine à y figurer : il choquait les moralistes. Mais il y a en exégèse biblique un principe (que l’on ferait bien d’appliquer de façon générale d’ailleurs) qui s’appelle la lectio difficilior.
On sait que les manuscrits bibliques dont on dispose ne sont pas les manuscrits d’origine.
Ce principe est donc le suivant : plus une phrase ou un passage pose question, est un peu difficile à admettre ou à comprendre, plus il a de chance d’être authentique, d’être d’origine.
Les changements effectués par les copistes (c’est logique et on le vérifie en comparant les divers manuscrits dont on connaît les dates), vont toujours dans le sens…du conformisme, de la facilité à admettre et à comprendre.
Vous le constatez, on retrouve notre sujet de départ.
Marine a jeté la 1ère pierre, et Benoît s’est précipité pour jeter la seconde. Brrr, cela fait froid dans le dos.
Dernier point : Gigi III indique qu’elle a lu chez Lacouture qu’il décrit de vieux jésuites « jetés de leur cellules à la rue » suite aux décrets de Ferry.
Réponse :
-Effectivement, il y a bien eu, de façon récurrente, du XVIIIe au début du XXe, dans de nombreux pays des expulsions de jésuites. Ferry n’est qu’un exemple parmi beaucoup d’autres
Voltaire écrit, dans son Traité sur la tolérance, qu’elle ne s’applique pas aux jésuites, que l’on doit les libérer malgré eux : typique les propos tenus aujourd’hui sur les dites burqas !
(je vous renvoie à mon Que sais-je ? sur Les laïcités dans le monde sur Voltaire et les jésuites)
La nocivité des jésuites a été pendant près de 2 siècles une évidence sociale.
Et ce n’était pas sans raison : il n’empêche maintenant on s’émeut, on plaint ces pôvres jésutes, on sait que l’on avait de beaucoup exagéré le « danger »’, que ce n’était pas ainsi qu’il fallait y faire face.
-Le livre de Lacouture sur les jésuites est donc une parfaite illustration de ma sentence (j’y tiens !) : « les évidences d’aujourd’hui sont les conneries de demain ».
On peut ajouter : ce qui était alors considéré comme bien, comme la défense de la liberté, de l’émancipation, etc est devenu exactement son contraire dans l’opinion dite « éclairée ».
Merdre, cela doit donner à réfléchir quand même, à ne pas coller à la pensée dominante d’aujourd’hui.
-Ce qui est intéressant, c’est que Ferry s’est rapidement rendu compte qu’il faisait fausse route et que quand, suite à une enquête, son Cabinet lui a dit que l’expulsion de congréganistes n’avait rien changé au contenu de l’enseignement de l’école libre ;
qu’on lui a suggéré, en conséquence, que la seule mesure efficace serait de supprimer l’école libre ; là il a refusé de le faire.
Il a préféré mettre son énergie sur du positif: la construction de l'école publique laïque.
Je raconte tout cela dans la 1ère partie de mon livre La morale laïque contre l’ordre moral (Le Seuil).
Et, comme je l’ai indiqué, dans ma Note, j’ai privilégié les points où Ferry avait compris que les « évidences d’aujourd’hui sont les conneries de demain » aux points où, comme nous tous, Ferry était platement dépendant des évidences sociales de son temps et de son parti.
11:21 Publié dans LA DOUCEUR TOTALITAIRE | Lien permanent | Commentaires (4)
Commentaires
Je suis désolé de vous dire qu'il y a une certaine incohérence entre reprocher à B. Hamon d'avoir critiqué le livre de Frédéric Mitterrand sans l'avoir lu et lui reprocher de n'avoir pas réagi dès sa nomination....S'il ne l'avait pas lu lors de l'affaire, il ne l'avait pas lu non plus 3 mois avant.
Écrit par : Gerard | 17/10/2009
Il n'est pas reproché à F Mitterrand son "péché" mais le "deux poids deux mesures" dont il bénéficie. Imaginons que M le Pen ait écrit le même livre ou sa fille ou quelqu'un d'autre du FN. Les bien pensants se seraient déchaînés contre eux comme ils l'ont fait contre Redeker et d'autres, non politiquement corrects. La ligue qui voit des racistes partout ne fait aucun cadeau au moindre propos qu'elle juge ambigu mais à l'égard d'un type faisant partie de l'élite bien pensante qui a avoué dans un livre avoir fait du tourisme sexuel en Thailande, le soupçon , l'ambiguité ne sont plus envisageables, même quand on a visité les quartiers chauds de Thailande. C'est une méga injustice qui est resssentie par la population, l'affaire du fils Sarkozy enfonce encore le clou. Il n'y a pas si longtemps, on a appris que deux touristes sexuels ont été condamnés à de lourdes amendes et à des peines de prison. Certes, la preuve a été faite qu'ils avaient pratiqué la pédophilie en Thailande. Mais à propos de F Mitterrand, pas vu, pas pris, du moins, c'est le soupçon du populo qui n'est pas né de la dernière pluie surtout après le soutien déplacé à Polanski. Je suis en train de lire le livre de F Mitterrand. Compte tenu de l'esprit de l'époque ou se déroule sa "mauvaise vie", il n'y aurait rien d'étonnant à ce que les soupçons populaires soient fondés. Souvenons-nous que des intellectuels et des hommes politiques (dont Lang, Kouchner) dans les années 70 ou 80 ont signé une pétition réclamant la dépénalisation de la pédophilie. Mais quand on est le citoyen lambda la justice est impitoyable et personne ne s'émeut, au contraire. Il suit de tout cela que la contrition de F Mitterrand ne parait pas vraiment sincère : sinon il aurait démissionné, pour simplement avoir donné un mauvais exemple de pratique de tourisme sexuel avec "ambiguité" très plausible. Quand on est né avec une cuillère d'argent, comme c'est son cas, si l'appétit de gloriole et de pouvoir ne sont pas irrépressibles, après une si "mauvaise vie" on devrait avoir plutôt envie de réparer ou de se lancer dans les activités humanitaires. Tout cela ne colle donc pas avec une contrition réele dont la pierre de touche est l'humilité. Dans son livre, il est certes humble, mais , il s'agit d'un truc pour séduire, (une ficelle qu'il emprunte aux femmes ), il se ment à lui-même car il en veut trop encore, c'est d'ailleurs l'opinion de tous ceux qui en parlent. Sur ce point, il s'agit bien d'une fiction autobiographique, il pose un personnage sulfureux d'homosexuel malheureux, en proie à la mauvaise consicience mais poussé par le besoin d'amour inassouvi, prétend il. Bien sûr, car il ressort qu'il ne se contente pas d'hommes de son âge, avec bedaine éventuelle et calvitie, non, il a besoin de rêver à la jeunesse, comme du reste beaucoup d'homosexuels vieillissants faisant partie des people et autres célébrités. Cette sensibilité presque exagérée qu'il manifeste dans son bouquin comparée avec son attitude totalement indifférente à la souffrance des victimes laisse même un goût amer: celle de Polanski et surtout celle de la jeune fille de 16 ans, violée dans une tournante par deux de ses protégés, auxquels il offrait un stage à la villa Médicis, stage que des jeunes non délinquants auraient bien aimé pouvoir se voir offrir. Cela fait un peu trop pour l'homme qui se présente comme une petite chose fragile avec sa petite voix presque enfantine.
Cet individu apparait à la suite de toutes ces affaires comme doté d'un féroce nombrilisme, plus vaniteux que sensible, qualité partagée par les célébrités de toutes natures.
Je n'ai pas parlé de la burka cette fois, mais j'ai déjà dit tout ce que j'avais à en dire, je ne veux pas rabâcher une nouvelle fois. Autant dire, que si vous êtes toujours optimiste sur la question, je reste en ce qui me concerne plutôt pessimiste pour vous, bien que je me prétende réaliste.
Écrit par : gigi-3 | 17/10/2009
Cher Jean Baubérot,
Il me semble que vous faites une interprétation erronée du Traité sur la tolérance. Vous évoquez un passage du chapitre XVIII, "Seuls cas ou l’intolérance est de droit humain".
Il commence ainsi : « Pour qu’un gouvernement ne soit pas en droit de punir les erreurs des hommes, il est nécessaire que ces erreurs ne soient pas des crimes ». Puis il associe ces erreurs criminelles au « fanatisme », et il donne un exemple : « Si quelques jeunes jésuites… sachant que les jansénistes sont condamnés par une bulle… s’en vont brûler une maison des Pères de l’Oratoire parce que Quesnel l’oratorien était janséniste, il est clair qu’on sera bien obligé de punir ces jésuites. De même, s’ils ont débité des maximes coupables, si leur institut est contraire aux lois du royaume, on ne peut s’empêcher de dissoudre leur compagnie, et d’abolir les jésuites pour en faire des citoyens ; ce qui au fond est un mal imaginaire, et un bien réel pour eux… ».
Tout cela me semble parfaitement en phase avec notre laïcité : la tolérance s’arrête quand la loi civile n’est plus respectée, et que ce non respect est clairement un crime, incompatible avec un « accommodement raisonnable » (crime commis par un individu, encouragement au crime par une organisation).
Dans votre Les laïcités dans le monde, chapitre II-2 page 27 vous êtes un peu plus précis, mais vous oubliez encore l’essentiel, qui est que Voltaire associe le fanatisme au crime, et qu’il parle au conditionnel : si les Jésuites appelaient au crime, il faudrait les dissoudre.
Par ailleurs, page 26, vous écrivez que Voltaire souligne la tolérance de « les Grecs, les Romains, les Juifs (au contraire de propos antisémites qui existent ailleurs dans son œuvre)… ». Il me semble que vous faites erreur. En effet l’antisémitisme est un racisme, et le racisme est une « théorie de la hiérarchie des races… la race dite supérieure (ayant le) droit de dominer les autres » (le Robert). Voilà qui est à l’opposé de la pensée de Voltaire. Il critique abondamment, mais sa propre « race » encore plus que les autres, et dénonce toute oppression.
Prenons par exemple la fin de ce chapitre XVIII du Traité sur la tolérance. Voltaire y critique le traitement des populations autochtones de la « terre promise » par les Juifs de l’Ancien Testament, il envisage un projet sioniste et conclut, associant les deux : « Si les Juifs raisonnaient ainsi aujourd’hui, il est clair qu’il n’y aurait d’autre réponse à leur faire que de les mettre aux galères ». Question très actuelle. Antisémitisme ? Pour moi, mise en garde laïque.
J’ai profité de l’occasion pour relire pas mal de pages des 2 ouvrages, celui de Voltaire et le votre. Avec grand plaisir, car les deux sont très riches.
Écrit par : Pierre DELMAS | 20/10/2009
@ Gerard
Je ne vois pas l'incohérence.
Quand Sarkozy - pour faire un "coup" - nomme Mitterrand le neveu au ministère de la Culture, Benoît Hamon et les autres, qu'il l'ait lu ou pas, ne pouvait ignorer que l'ex-directeur de la Maison Médicis avait écrit en 2005 une autobiographie plus ou moins romancée (bien accueillie au demeurant par la critique et le public). Si, à cause de ce livre, sa nomination posait problème, c'est alors que les défenseurs du nouvel ordre moral auraient dû vociférer.
A mon humble avis, à cette époque qui paraît si lointaine, le porte-parole du PS n'aurait rien eu à faire dans une telle croisade. Cette nomination ne méritait que l'ironie pour cette captation puérile de patronyme !
Mais que, en représailles d'une prise de position peut-être un peu maladroite sur la forme mais juste sur le fond -de mon point de vue*, bien sûr - en faveur de Roman Polanski, on ressorte un livre qu'on n'avait même pas cru bon de mentionner quelques semaines plus tôt et on oblige un homme à étaler sa vie intime à la télé est lamentable. Qu'Hamon ait participé à cette curée est navrant.
* http://deblog-notes.over-blog.com/article-36837259.html
Écrit par : J. F. Launay | 24/10/2009
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