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07/08/2011

Benoît-ï-Lama XVI sépare le temporel et le spirituel

Vous êtes de plus en plus d’amoureux du Blog (on peut fantasmer !) : juillet est d’habitude un « mauvais » mois pour sa fréquentation, pour cause de plages et de bronzettes. Eh bien, les chiffres parlent, comme disent les « experts » (pas Miami) : 4034 visites en juillet 2009, 9031 en juillet 2010 et 14678 en juillet 2011.

Vous connaissez les « Interviews presque imaginaires » du Canard Enchainé. N’ayant rien à ajouter  que vous ne sachiez déjà sur les sujets graves qui font l’actualité actuellement (dramatique répression en Syrie ; enlisement en Lybie : Bravo BHL d’avoir entraîné la France dans cette galère !; capitalisme financier qui poursuit sa chute et nous entraine avec lui;…), j’ai décidé de copier honteusement le Canard, et de vous livrer l’interview imaginaire de Benoît-ï-lama XVI.

Comme le chantait autrefois la belle Françoise Hardy (eh oui, mes goûts musicaux ne se limitent pas à Lady Gaga, même si c’est elle la plus gaga-i-ssime ![1]) : « Etonnez-moi, Benoît ». Il nous a effectivement étonnés ! Jugez plutôt:

Le Monde (mardi 2 août) a interviewé le dalaï-lama  qui a décidé de « séparer les fonctions de chef politique et de dirigeant religieux tibétain » et de ne  conserver que la dernière.

 Eh bien, pour ne pas être en reste Benoît-ï-lama XVIa décidé de faire pareil. « Il est temps que je prenne ma retraite politique pour ne plus être qu’un chef spirituel » a déclaré  le saint Père à l’envoyé spécial permanent du Blog au Saint-Siège.

Mais au-delà de votre personne, vous bouleversez l’institution catholique ?

Benoît-ï-lama XVI : Je l’espère bien. Il s’agit pour moi de mettre un terme à une institution qui date du VIIIe siècle, quand Pépin-le-Bref a délivré Rome des Lombards, et a attribué au pape d’alors, Zacharie, les territoires conquis[2].

Ce fut une double erreur puisqu’à partir de ce moment non seulement le pape a cumulé des fonctions politique et religieuse, mais la France a été considérée comme « la fille aînée de l’Eglise ».

Il est temps de mettre un terme à tout cela, pour obtenir la « saine laïcité » dont parlent les discours ecclésiastiques, et cela dans l’intérêt de l’Eglise catholique elle-même.

Pourquoi ?

Benoît-ï-lama XVI : Comme l’indique mon éminent collègue le Dalaï-lama « Il est archaïque qu’un pays soit dirigé par un chef religieux. La meilleure manière de diriger un peuple est la voie de l’élection. (…) Et je pense que ma fonction, débarrée de son autorité politique, peut être plus utile sur le plan religieux. »

Mais l’Etat du  Vatican est un tout petit pays,…

Benoît-ï-lama XVI : Justement, ou  il est particulièrement ridicule de la part du chef spirituel de centaine de millions de personnes de vouloir persister à être le chef d’Etat du plus petit pays du monde, ou cela cache une autre ambition, celle de jouer la confusion du politique et du religieux, d’être dans une volonté de puissance qui n’a rien n’a voir avec la déréliction d’un crucifié.

C’est, naturellement, du second cas de figure qu’il s’agit. Cette confusion permet, entre autres, de faire pression dans un sens rétrograde à l’ONU, en s’alliant avec des pays semi-théocratiques comme l’Arabie saoudite.

Croyez-vous que si je suis considéré comme un chef d’Etat honoré, que si le nonce apostolique est le doyen des ambassadeurs dans un pays en apparence laïque comme la France, tout cela serait dû à l’étendue du territoire que je gouverne ? Soyons sérieux.

Justement, quelles vont être les conséquences en France ?

Benoît-ï-lama XVI : Eh bien, pour en rester au nonce apostolique, savez-vous qu’il assiste es-qualité au « dialogue institutionnel » mis en place depuis Lionel Jospin entre l’Eglise catholique en France et le gouvernement ?

C’est, bien sûr, une intrusion scandaleuse du représentant officiel d’un chef d’Etat étranger, qui serait vivement dénoncée s’il s’agissait de l’islam. Cela ne pouvait donc durer.

Effectivement,.. 

Benoît-ï-lama XVI (interrompant) : Vous comprenez bien que les évêques français qui constituent la délégation ne peuvent dire le fond de leur pensée, en présence du nonce. Je surveillais ainsi politiquement des libres citoyens d’un autre pays que le mien. Je n’en dormais plus la nuit.

Mais comment l’idée de séparer le politique et le religieux vous est-elle venue ?

Benoît-ï-lama XVI (inquiet) : C‘est off, vraiment off.

Oui bien sûr, je vous le promets, c’est off. [eh oui, le Blog est contaminé par la déontologie médiatique!]

Benoît-ï-lama XVI : C’est le résultat de mon entrevue avec Lady Gaga. Je l’ai reçue quand elle est venue à Rome pour la Gay Pride. C’est un sujet sur lequel je pense que l’Eglise catholique doit évoluer. J’ai estimé qu’elle pouvait être de bon conseil.

Nous avons beaucoup parlé. Elle m’a expliqué qu’elle était la marraine de Zarachy (rien que ce prénom, cela a déjà fait tilt !), le fils de sir Elton John et David Funrnish. Elle m’a dit à quel point « c’était chou » (je répète son expression) d’être la mère substitutive de ce bébé.

Cela m’a fait beaucoup réfléchir. Mais je lui ai répondu : « Il m’est absolument impossible, comme chef religieux, de cautionner le mariage homosexuel. » Elle m’a rétorqué : « Mais, Saint Père, personne ne vous le demande. Vos prises de position spirituelles ne regardent que vous. Nous souhaitons simplement que vous cessiez toute pression politique à cet égard. »

Et la Lady a continué : « Ne trouvez-vous pas que cela aboutit à d’insupportables paradoxes : la France, pays qui se veut laïque, interdit le mariage homosexuel, alors que l’Angleterre, où il existe une religion établie, l’autorise depuis 2005, date à laquelle Elton John a épousé David Funrnish, justement. »

Comment n’y avais-je pas pensé plus tôt ! La solution était, bien sûr, dans la séparation entre pouvoir temporel et autorité spirituelle.  Comme dit le prophète d’une religion sœur : « Pas de contrainte en matière de religion » et donc pas de contrainte au niveau des références morales religieuses.

Croyez-le ou pas, l’interview s’est terminée en écoutant et visionnant ensemble un clip de la célèbre chanteuse. Oh oh oh oh, oh oh oh oh…..

 PS: Pour Mathilde: Non, malheureusement, je ne passe pas pas par les Vosges cette année. Mais ce n'est peut-être que partie remise.

  

 



[1] L’interview va vous en apporter la preuve.

[2] Benoît-ï-lama XVI a trouvé cette précision dans l’excellent petit « Librio » de votre humble serviteur : Petite histoire du christianisme, le meilleur tirage -plus de 110000 exemplaires- de tous ses livres. Et en plus, il s’en vante !

 

09/11/2010

Commentaire sur le Manifeste anglais du Secularism/laïcité

Très peu de temps, malheureusement, à consacrer au Blog cette semaine. Beaucoup de travaux se court-circuitent, et notamment la préparation de mes exposés à deux colloques, que je vous recommande par ailleurs :

L’un Les Entretiens d’Auxerre, organisé par le Cercle Condorcet, sur La ville (11-13 novembre) au Théâtre d’Auxerre

L’autre, organisé par la Mairie de Belfort, au Centre de congrès ATRA : La République sort ses griffes (12-13 novembre).

Je serai à Auxerre pour la première moitié du premier colloque et à Belfort pour la seconde moitié du second.

Et vous savez quoi : Auxerre – Belfort en train, dans notre Douce France, c’est l’aventure des temps moderne : c’est presque aussi long que Paris-New-York !

 

Donc, je laisse au chaud pour le moment les 2 Notes choses-promises-choses-dues, et je vous donne un petit complément sur le Manifeste anglais sur le secularism/laïcité, à partir de vos questions.

 

Première question : les raisons de l’interdiction du mariage de membres de la famille royale avec des catholiques.

C’est bien sûr complètement obsolète (tout comme le reste de « l’établissement » britannique). C’est une nouvelle preuve du poids de l’histoire sur le présent.

Car historiquement, contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce n’est pas du confessionnalisme J’aurais presque envie d’écrire : « au contraire ».

Pour aller vite, et vous prouver que je suis le nouveau Diderot, je me cite honteusement, et vous livre un extrait de mon « Que sais-je ? » sur Les laïcités dans le monde :

 

« Laudateurs des « despotes éclairés », les philosophes [des Lumières] admiraient pourtant le système anglais, issu de la Glorieuse Révolution de 1689. Deux textes importants sont promulgués.

Un Bill of Rights (qui n’est pas une déclaration des droits au sens moderne) établit une monarchie constitutionnelle, déplaçant le centre du pouvoir du roi au Parlement.

Un Tolerance Act confirme l’existence d’Églises protestantes non conformistes. Mais leurs membres devront communier une fois par an dans cette Église pour obtenir des charges publiques ( « conformité occasionnelle » ).

Et le serment du Test (contrairement à Locke) exige pour ces charges non seulement le refus de la fidélité au pape, mais encore une déclaration de rejet de la transsubstantiation.

 

Le Bill of Rights impose au roi l’appartenance au protestantisme pour assurer « la sûreté et le bien-être du royaume », ce qui renvoie à la dimension politique du catholicisme romain.

« Papisme » et « pouvoir arbitraire » sont liés et les termes « religion », « droit » et « libertés » se trouvent accolés :

 « Paradoxalement [dans l’optique des Lumières], c’est en ce point où paraît se nouer étroitement religion et politique qu’on peut déceler une certaine affirmation de l’autonomie humaine. »[1]

D’ailleurs ce n’est pas le roi qui impose sa religion, c’est la nation, représentée par le Parlement, qui impose à tout prétendant d’adopter la religion qui constitue l’identité nationale. La souveraineté se trouve donc là (autre paradoxe !) en partie laïcisée par l’obligation faite au roi d’une appartenance confessionnelle.

Confirmé en 1701, cela entraînera un changement de dynastie en 1714 où les Stuarts seront remplacés par les Hanovre. »

 

Sur la seconde question qui est double :

1)      Qu’est-il entendu par « Organisations et systèmes de croyances non religieuses » ?

2)      Qu’en est-il des « croyances dénigrées sous l’appellation secte »

 

La réponse est assez simple : l’humanisme séculier, les gens qui se regroupent parce qu’ils croient en une certaine idée de l’Homme et que, à côté des religions, ils affirment des convictions philosophiques, un rapport au symbolique qui ne présuppose pas la croyance en Dieu.

Comme je l’ai indiqué, l’auteur du manifeste, E. Hassis, est engagé dans 2 associations britanniques humanistes. Mais il distingue bien l’humanisme secular (au sens de conviction non religieuse) du secularism (au sens de principe politique donnant liberté et visant à l’égalité de toutes les croyances).

Ceci dit, le fait que le même terme soit utilisé dans les 2 cas prête à confusion. C’est pourquoi on a intérêt à distinguer

-         le séculier, la sécularisation

-         la laïcité, la laïcisation.

La laïcité est une façon de permettre la coexistence pacifique de personnes et de groupes ayant des rapports différents à la sécularisation.

 

Revenons au mouvement humaniste. Ces organisations existent dans de nombreux pays. Et l’Union Européenne les reconnaît au même titre que les religions.

En Belgique, il existe des conseillers humanistes, à côté des aumôniers, dans les hôpitaux, les prisons, etc pour les personnes qui veulent réfléchir au sens de la vie en dehors de traditions religieuses.

Cela me semble aller tout à fait dans le sens de la laïcité/

 

Donc, le propos de l’auteur ne vise pas les dites sectes en parlant des « organisations et systèmes de croyances non religieuses ».

Des dites sectes il ne dit rien, ce qui montre que s’il peut y avoir tel ou tel problème, il n’y a pas en Angleterre de focalisation médiatico-politique sur les dites sectes.

En fait, le problème peut venir de groupes contre sociétaux, qui se séparent de la vie sociale, et dont les membres s’isolent de la société et ont des pratiques très différentes de celles considérées comme « normales ».

Problème au niveau des familles notamment.

 

Mais quand il n’y a pas de délits avérés (et s’il y a délit, qu’il s’agisse de religion -cf. les affaires de pédophilie !-, de groupes humanistes ou de dites sectes, bien sûr, c’est différent), les Anglais préfèrent la médiation à la stigmatisation.

Et cela donne de meilleurs résultats, pour tout le monde.

La médiation est assurée avec l’aide d’universitaires. Celles et ceux que cela intéresse en sauront plus en lisant la présentation d’INFORM dans l’ouvrage de M. Cohen et Fr Champion, Sectes et démocratie, Le Seuil.

 

Voilà, c'est tout pour aujourd'hui. Je me remets vite à mon travail, après avoir fait la bise aux gentes dames qui surfent sur mon Blog. Pour les hommes, je délègue....



[1] F. Champion, 2006, p. 56.

31/10/2010

Un Manifeste anglais du secularism/laïcité

On entend encore très souvent dire que le terme de « laïcité » n’a pas d’équivalent en anglais/américain. Or les textes internationaux traduisent laïcité par secularism et secularism par laïcité.

J’ai déjà noté dans mon « Que sais-je » Les laïcités dans le monde, que des universitaires américains donnent, depuis longtemps (au moins les années 1960), une définition du secularism qui recoupe tout à fait les définitions classiques de la laïcité et, notamment, celle que Ferdinand Buisson donnait en 1883 dans le célèbre Dictionnaire de Pédagogie.

Mais qu’en est-il de l’Angleterre ?

Et doit-on, comme les modernes moutons de Panurge qui préfèrent reprendre à leur compte des stéréotypes dominants au lieu de s’adonner à la tâche difficile de penser, opposer « laïcité française » et « communautarisme anglo-saxon » ?

Et si des Anglais nous donnaient une leçon de laïcité ?

 

« A SECULARIST MANIFESTO », un manifeste séculariste vient d’être écrit par Evan Harris, et publié dernièrement dans The Gardian (18 septembre 2010).

Né en 1965, Evan Harris a été député du parti libéral démocrate de 1997 à 2010, et il a perdu de très peu son siège aux élections de mai dernier 23730 voix contre 23906 à son adversaire conservateur).

Harris est vice président de la British Humanist Association et de la Gay and Lesbian Humanist Association. Il est aussi le président de la Oxford Secular Society.

 

Certains des mes amis universitaires, anglais ou spécialistes de l’Angleterre, diront que le manifeste d'Harris  effectue parfois des généralisations et  des raccourcis un peu vertigineux quand il décrit la situation anglaise[1], ce qui peut noircir le tableau.

Il s’agit bien sûr d’un texte militant, forcément concis, et non d’une étude sociologique.

Mais ce manifeste pointe cependant de réels problèmes de laïcité en Angleterre qui ne sont pas niables, même s’il les présente sous une forme qui parfois force le trait.

D’autre part, il présente une vision de la laïcité qui me semble fondamentale car elle se centre  sur la nécessité d’un Etat laïque.

Etat laïque qui, ainsi, peut garantir la liberté et l’égalité des droits de tous les citoyens.

 

Le cœur du manifeste consiste à affirmer que  la laïcité est «un mouvement politique »

qui « vise»  à « défendre la liberté absolue des croyances religieuses et autres que religieuses »

et à  « mettre fin aux privilèges religieux ou aux persécutions religieuses et à séparer complètement l’Etat de la religion, moyen nécessaire pour cette fin. »

Enfin si le manifeste prône une laïcité combative (et en France aussi il y aurait des combats à mener pour que l’Etat soit complètement laïque), il prend ses distances avec une laïcité qui écorne les libertés. 

Avec une note d’humour finale qui est bienvenue.

 

D’ailleurs, voici ce texte in extenso, jugez vous-même :

 

 

« La laïcité[2] est injustement pointée du doigt et attaquée par des dirigeants religieux voulant défendre leurs privilèges.

 

La laïcité n’est pas l’athéisme (l’absence de croyance en Dieu), et elle n’est pas non plus l’humanisme (un système non religieux de croyances[3]). Il s’agit d’un mouvement politique recherchant un but spécifiquement politique. Nombre de laïques sont des adeptes de religions et nombre de personnes religieuses[4] sont adeptes de la laïcité, en reconnaissant la valeur du maintien de la séparation du gouvernement et de la religion.

 

La laïcité vise à défendre la liberté absolue des croyances religieuses et autres que religieuses, elle cherche à renforcer la liberté de religion et d’autres croyances et à protéger le droit de manifester ses croyances religieuses dans la mesure où elles ne portent pas atteintes de façon disproportionnée aux droits et aux libertés d’autrui.

Cela est essentiellement le résumé de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme. De plus, la laïcité vise à mettre fin aux privilèges religieux ou aux persécutions religieuses et à séparer complètement l’Etat de la religion, moyen nécessaire pour cette fin.

 

Un manifeste pour un changement par la laïcité pourrait ressembler à ceci :

 

1 Protéger la libre expression religieuse qui n’incite pas directement à la violence ou à des délits envers les autres ou ne crée pas publiquement et directement une quelconque détresse et inquiétude

 

C’est pourquoi les laïques :

 

- Ont mené une bataille contre le projet de loi de Tony Blair sur la haine religieuse largement définie, travaillant  aux côtés de personnes religieuses qui réclament la liberté d’attaquer d’autres religions et s’élevant contre certaines organisations religieuses ;

- Ont remporté une réussite notable avec l’abolition de la loi anglaise[5] sur le blasphème qui concernait uniquement  le christianisme ;

- Cherchent à abolir les offenses d’ordre public qui conduisent la police à questionner des personnes religieuses ayant donné leur avis,  sauf en cas d’insultes manifeste envers autrui

- S’opposent à la loi de diffamation de la religion qui a été proposée à l’ONU par certains Etats à majorité musulmane ;

- S’opposent à l’interdiction de la burqa sauf là où cela est nécessaire pour la sûreté, la sécurité, ou l’octroie effectif de services publics ;

- Soutiennent le droit des musulmans de construire des mosquées, soumises aux règles habituelles de planification.

 

2 Mettre un terme aux discriminations contre des organisations et des systèmes de croyances non religieuses, en mettant fin à leur exclusion des :

 

- Tranches horaires d’émissions religieuses (à la radio et à la télévision) protégées (par la loi)

- Comités qui établissent les programmes d’études religieuses ;

- Organismes qui conseillent le gouvernement sur les questions relatives à la religion.

 

3 Mettre un terme à la discrimination religieuse injustifiée en :

 

- Arrêtant l’autorisation, pour les écoles confessionnelles, de refuser ou de renvoyer un enseignant à cause de sa religion ou de son statut marital.

- Empêchant, dans les écoles confessionnelles bénéficiant de fonds d’Etat, la ségrégation et la discrimination contre les enfants sur des critères religieux.

- Permettant aux membres de la famille royale de se marier avec des catholiques, en modifiant L’Acte de loi anti-catholique.

 

4 Quand des organisations religieuses s’associent à d’autres pour assurer des services publics, s’assurer qu’ils le font sans :

 

- Discrimination envers leurs employés

- Refuser des services aux usagers sur des critères religieux ou sexuels.

- Faire du prosélytisme pendant qu’ils assurent ces services.

 

5 Limiter le droit des personnes religieuses  à l’objection de conscience lorsqu’elles assurent des services publics (par exemple la tenue des registres de mariage, la fonction de juge, de pharmacien ou de travailleur social), pour cantonner celle-ci dans la partie légale de leur travail à des exemptions rares et spécifiques (par exemple l’avortement pour les médecins) agréées   par le parlement.

 

6 Accorder des accommodements raisonnables pour faciliter la pratique religieuse dans le temps et les lieux de travail[6] (par exemple, le turban sikh dans les forces de police, le hijab ou le kara dans les uniformes de police et des espaces de prière sur les lieux de travail) sans les accroître à un ensemble d’exemptions religieuses fondées sur la subjectivité, ni à l’imposition de pratique religieuse à des non-croyants.

 

7 Faire cesser une inculcation religieuse par l’Etat, en mettant fin aux cérémonies cultuelles obligatoires à l’école et en faisant de l’instruction religieuse l’étude de ce que les religions et d’autres système de croyance croient, plutôt que d’un enseignement en ce qu’ils croient.[7]

 

8 Détacher la religion de l’Etat en :

 

-Supprimant l’aspect officiel de l’Eglise d’Angleterre[8] ;

-Mettant à la prière au Parlement et au Conseil ;

-Abolissant la présence automatique d’évêques à la Chambre des Lords. Nous sommes le seul pays en dehors de l’Iran à réserver des sièges au Parlement pour des membres du clergé. Les personnes religieuses peuvent se présenter normalement aux élections, et elles le font.

 

9 Refuser la présence d’un système fondé sur les Ecritures, doublant le système légal, ou la supposition légale que les personnes religieuses sont plus ou moins morales que les incroyants.

 

10 Travailler à mettre fin aux séparations entre les gens fondées sur des motifs religieux.

Cela n’a rien à voir avec des questions de doctrines comme les femmes évêques, les pasteurs gays[9] ou la  messe en latin, qui sont des questions religieuses. Cela ne doit pas non plus impliquer l’interdiction d’opinions religieuses provenant de l’espace public.

Rien de cela ne concerne ce que font les familles chez elles, ou les autorités religieuses au sein de leur propre famille.

 

Si vous donnez votre accord à toute ces propositions, vous pouvez être alors un laïque convaincu sans être pour autant « militant »[10] ou « agressif ».

Si vous approuvez seulement la majorité des propositions de ce manifeste, vous pouvez fort bien être un pasteur.

Si vous êtes en opposition complète avec elles, vous êtes probablement de la graine d’archevêque.

 

Les pire excès effectués au nom de la laïcité -aucun d’eux n’est approuvé par les laïques du Royaume Uni- concernent la proposition d’interdire la burqa en France et les vêtements religieux dans des universités turques.

Ce n’est pas juste[11] mais compte peu à côté de tout ce que charrient les régimes religieux. »

 

 

PS : Prochaines Notes,

-la réponse à la demande de « Soleil » : de quelle manière chaque culture peut-être considérée comme une part d’universel (cf. Commentaire de la Note du 24 octobre).

-L’analyse critique de l’ouvrage très important (mais parfois un peu unilattéral) de Raffaele Simone, Le Monstre doux, Gallimard.

 

 

  

 

 



[1] Ainsi l’enseignement de la religion dans les écoles, malgré les demandes de « rechristianisation » de cet enseignement effectuées sous M. Thatcher, est plus diversifié que ne l’indique le manifeste : cf. J.-P. Willaime, avec la collaboration de S. Mathieu (dir.), Des maîtres et de dieux. Ecoles et religions en Europe. Paris, Belin, 2005.

[2] Je traduis « secularism » par « laïcité » et « secularist » par « laïque ».

[3] « a non religious befief system » : à noter que l’utilisation sociale du terme « belief » en anglais connote mieux qu’en français le fait que les croyances peuvent  être de toutes sortes, religieuses et non religieuses. Dans les textes internationaux « belief » est souvent rendu par « conviction » quand il s’agit de croyances non religieuses. J’ai gardé le terme de « croyance » quand l’auteur insiste sur le parallélisme entre croyances religieuses et non religieuses.

[4] « religious people » ; écrire en français « les religieux » pourrait faire croire qu’il s’agit de moines. A noter que, là, l’auteur met en opposition « religious people » et « nonbelivers »

[5] Il ne s’agissait donc pas d’une loi britannique.

On sait (ou devrait savoir !) que l’Eglise d’Angleterre est « établie » en Angleterre et séparée en Ecosse, l’Eglise presbytérienne est dans le cas inverse, et toutes les Eglises sont séparées de l’Etat au pays de Galles et en Irlande du Nord. On sait aussi (ou devrait savoir ! qu’en France il y a 8 régimes différents de rapports Eglise-Etat.

[6] « to cater for religious practice in employment and facilities »

[7] « the study of what religions and other belief systems believe, rather than instruction in what to believe. »

[8] « Disestablishing the Church of England ». On sait l’importance dans le monde anglo-saxon de termes de la famille sémantique « d’établissement » : « Eglise établie » (= ayant des liens privilégiés avec l’Etat), « Eglise désétablie » (= séparée de l’Etat). Petit rappel : aux USA le « désétablissement » date de 1791.

 

[9] Plusieurs Eglises anglicanes acceptent les deux, ce qui provoque un débat interne à l’Anglicanisme, à un niveau international.

De même, la contraception  a été acceptée dés les années 1930 (et dans les années 1950 et 1960, les femmes de la France laïque devaient commander, via le Planning familial, des contraceptifs en Angleterre) et l’avortement dés les années 1960, comme étant, dans certaines circonstances, un « moindre mal ». La survie de l’ « établissement » en Angleterre est aussi due à ce libéralisme moral et à ce pluralisme interne de l’Eglise établie. Cela ne signifie nullement, bien sûr, qu’un « désétablissement » ne soit pas nécessaire.    

[10] « militant », en anglais, a souvent une connotation un peu péjorative. On pourrait traduire par: "sans être pour autant un laïcard"

[11] « They are wrong »

07/02/2010

Manifeste québécois sur le pluralisme et la laïcité

Vous êtes toujours aussi nombreux à consulter le Blog (+ de 4600 visites dans les 14 premiers jours de février)

Merci de votre fidélité.

Et demain mardi 16, une nouvelle Note à partir de « l’affaire » de la candidate NPA : Des féministes et des foulards.

Voci la version intégrale d'un Manifeste déjà signé par plusieurs centaines d'universitaires québécois:

On va le constater: les analogies avec la situation française sont frappantes.

Manifeste pour un Québec pluraliste

Nous sommes d’allégeances politiques et intellectuelles diverses, mais nous partageons une profonde inquiétude quant à la direction que prend le débat sur l’identité et le vivre-ensemble au Québec. Il nous semble qu’une vision ouverte, tolérante et pluraliste de la société québécoise, une vision qui est selon nous en continuité avec les grandes orientations du Québec moderne, se trouve occultée par deux courants de pensée qui sont en rupture avec cette évolution et avec notre histoire. Ces deux courants finissent par converger dans une manière de concevoir la société québécoise qui, selon nous, risque de priver le Québec du dynamisme qu’insuffle aux sociétés une posture d’accueil et de dialogue, conditions essentielles à l’élaboration d’un authentique vivre-ensemble.

Deux courants convergents

Nous qualifierions la première de ces visions de nationaliste conservatrice. Elle voit le Québec comme ayant fait de trop larges concessions envers la diversité culturelle ces dernières années. L’interculturalisme, la laïcité ouverte, les pratiques d’accommodement raisonnable, le programme d’Éthique et culture religieuse (ECR) et d’autres politiques semblables sont perçus par les tenants de cette position comme mettant en péril une culture québécoise authentique et comme éclipsant la mémoire de la majorité historique.

La seconde vision revendique une laïcité stricte. Elle récuse les manifestations religieuses « ostentatoires » dans la sphère publique. Elle entend renvoyer le religieux hors de l’espace public, non pas au nom de valeurs québécoises majoritaires, mais au nom d’une conception de la société qui préfère limiter tout signe d’allégeance religieuse au seul espace privé.

Ces deux courants, a priori différents, convergent concrètement de deux manières. D’abord, dans la mesure où les pratiques et les signes religieux des minorités sont toujours plus « visibles » aux yeux de la majorité que les siens propres, les tenants d’une laïcité stricte et ceux d’un nationalisme conservateur se rejoignent dans une même attitude d’intransigeance à l’endroit des minorités, exigeant qu’elles se plient à une vision de la société québécoise qu’elles n’auraient pas contribuée à forger. Les deux courants convergent également lorsqu’une laïcité stricte est invoquée à l’encontre de citoyens membres de confessions religieuses dont les croyances sont tenues pour incompatibles avec la laïcité de la société québécoise.

Or, il existe une autre vision de la société québécoise, plus ouverte, plus tolérante et surtout plus dynamique dans sa conception des rapports sociaux : nous croyons qu’elle correspond, mieux que ne le font les visions que nous venons de décrire, aux exigences de la vie en commun dans une société plurielle et aux orientations sociopolitiques du Québec. Cette vision est actuellement fragilisée par la place qu’occupent le nationalisme conservateur et la laïcité stricte dans le débat public, par le fait aussi qu’aucun des deux principaux partis politiques québécois ne s’en fait explicitement le porte-étendard (même si cette vision a été, à différentes époques, embrassée tant par le Parti québécois que par le Parti libéral du Québec). Nous souhaitons exposer ici cette position pluraliste, qui nous semble la plus apte à répondre aux défis du Québec d’aujourd’hui et de demain.

Nous reconnaissons que les questions de culture et d’identité soulèvent les passions. Cela peut faire en sorte que le ton s’élève, que les attaques personnelles, le procès d’intention prennent le pas sur le débat raisonné. Nous constatons que le débat sur l’identité québécoise n’a pas échappé à cette tendance. Nous sommes convaincus que le Québec n’a rien à gagner à ce que les débats sur des enjeux aussi fondamentaux se fassent en termes aussi peu civils. Nous nous imposerons donc, dans les échanges que nous espérons avoir avec ceux qui ne partagent pas notre vision du Québec, de nous en tenir aux arguments et aux principes.

Le pluralisme

Le pluralisme en tant qu’orientation normative est accusé de plusieurs choses : de relativisme, de multiculturalisme trudeauiste, de « chartisme », d’antinationalisme, d’élitisme, etc. Plusieurs de ces accusations sont pourtant mutuellement exclusives. Ainsi, l’accusation de relativisme signifie que les pluralistes feraient peu de cas des droits et libertés de la personne ; au contraire, celle de « chartisme » sous-entend qu’ils absolutisent les droits et qu’ils sont prêts à tolérer, en leur nom, n’importe quelle pratique. Pas étonnant, donc, que selon le courant laïciste, le programme Éthique et culture religieuse, par exemple, fasse peu de cas de la Charte des droits et libertés du Québec, alors que, pour des tenants de la mouvance nationaliste conservatrice, ce programme réduit plutôt l’identité québécoise à la dite charte.

La position pluraliste, telle que nous la concevons, n’est ni relativiste ni chartiste. La position que nous défendons est plutôt la suivante : les membres des minorités culturelles et religieuses – excluons de l’analyse la problématique des rapports avec les peuples autochtones, si fondamentale qu’elle mérite une analyse distincte – ne doivent pas être victimes de discrimination ni d’exclusion sur la base de leur différence. De plus, lorsqu’elles sont issues de l’immigration, leur intégration à la société québécoise ne doit pas exiger une assimilation pure et simple. Nous croyons que chacun peut s’intégrer à la société québécoise – c’est-à-dire participer à la vie sociale, politique et économique – en demeurant attaché à des croyances ou à des pratiques qui sont distinctes de celles de la majorité, tant qu’elles ne portent pas atteinte aux droits d’autrui. Par exemple, si l’immigrant doit s’efforcer de s’intégrer à la société d’accueil et doit respecter ses lois et ses institutions, cette dernière doit, en contrepartie, veiller à lever les obstacles à son intégration et valoriser son apport. Le devoir d’adaptation est réciproque.

L’interculturalisme

Le fondement de la position pluraliste est le respect et la reconnaissance de la diversité, que celle-ci soit le fait de minorités ou de la majorité. Cette reconnaissance ne signifie pas qu’il faille tolérer toutes les pratiques culturelles et religieuses, ni que la société québécoise doive être conçue comme la juxtaposition de communautés culturelles repliées sur elles-mêmes. Bien au contraire, le type de pluralisme que nous défendons se veut un approfondissement des valeurs démocratiques sur lesquelles repose le Québec contemporain. C’est pourquoi, foncièrement, nous adhérons au programme de l’interculturalisme québécois, tel qu’il fut d’abord conçu par le PQ de Gérald Godin et René Lévesque et repris par le PLQ de Claude Ryan et de Robert Bourassa. Le Québec y est vu comme une société pluraliste, dont le français est la langue publique commune. La diversité y est perçue comme une richesse, dans les limites fixées par le respect des droits et libertés de la personne et des valeurs démocratiques. L’interculturalisme cherche également à favoriser les relations interculturelles plutôt que le repli identitaire. À quel aspect de ce programme les critiques du pluralisme s’opposent-t-il exactement, et que proposent-ils ?

Il nous paraît erroné d’avancer que cette politique de respect de la diversité mise en œuvre au Québec dans les dernières décennies ait eu comme conséquence la négation de la nation québécoise ou des intérêts de la majorité. Il n’y a nulle incompatibilité à affirmer à la fois le respect de la diversité et la continuité de la nation québécoise. Le Québec choisit déjà, en fonction de ses intérêts collectifs et de critères qu’il a lui-même établis, environ 70% des nouveaux arrivants sur son territoire (le fédéral s’occupant des réunifications familiales et des réfugiés). Il a adopté une charte de la langue française qui défend et promeut la langue de la majorité. Quant à la laïcité « ouverte », elle fait une distinction entre ce qui relève du patrimoine historique et ce qui serait une forme d’identification de l’État à une religion particulière. L’enseignement non confessionnel des religions prévu par le programme ECR, par exemple, accorde une place plus grande aux traditions chrétiennes en raison de leur importance historique au Québec. La position pluraliste ne cherche pas à remettre le compteur de l’histoire à zéro ; elle assume à la fois l’historicité et la diversité de la société québécoise.

La laïcité

Quant à la laïcité, elle est revendiquée avec vigueur dans les débats actuels, comme si les principes de cet aménagement politique étaient absents de la culture politique québécoise. Or, les caractéristiques de la laïcité sont mises en œuvre au Québec depuis des décennies ; la dernière étape fut d’ailleurs la laïcisation de notre système scolaire. Au Québec, l’État élabore les normes collectives sans qu’une religion ou qu’un groupe de conviction domine le pouvoir étatique et les institutions publiques. Il exerce sa neutralité en s’abstenant de favoriser ou de gêner, directement ou indirectement, une religion ou une conception séculière de l’existence, dans les limites du bien commun. Cette orientation politique répond à l’exigence de protéger la liberté de conscience et sa libre expression, de même que l’égalité de tous les citoyens. Cela signifie que les droits civiques et politiques des citoyens ne sont pas conditionnels à l’abdication des croyances et des pratiques de ceux qui les expriment. Au Québec, depuis 1774, aucun croyant n’est tenu d’abjurer une partie de sa foi pour avoir accès aux fonctions publiques. Les catholiques, faut-il le rappeler, furent les premiers à bénéficier de cette protection constitutionnelle.

Encore aujourd’hui dans plusieurs sociétés, les individus qui ne sont pas identifiés à la religion majoritaire non seulement ne jouissent pas de droits égaux, mais leur loyauté politique demeure suspecte. Cette même croyance, à l’effet que l’appartenance religieuse exprimée publiquement soit préjudiciable à l’identité nationale, surgit maintenant au Québec ; et selon ce diagnostic, une charte de la laïcité serait devenue nécessaire. Or, si on examine le contenu de cette requête, on s’aperçoit vite qu’une telle charte serait avant tout un instrument juridique interdisant la manifestation des adhésions religieuses des citoyens dans la sphère publique ainsi que les demandes d’accommodement pour motif religieux (en même temps, elle valoriserait les symboles chrétiens).

S’il est nécessaire et souhaitable de s’entendre sur la signification et la portée de la laïcité, nous croyons que l’interdiction pure et simple de toute manifestation d’appartenance religieuse ne répondrait à aucune nécessité sociale. En premier lieu, aucun groupe religieux, au Québec, n’est en mesure d’imposer ses normes à l’ensemble de la société ; ensuite, la manifestation de l’adhésion religieuse n’est pas en contradiction avec l’appartenance citoyenne. Par ailleurs, une telle interdiction aurait un effet discriminatoire, car elle ne viserait que les croyants appartenant aux religions comportant des prescriptions vestimentaires ou alimentaires. Enfin, une loi d’interdiction générale, même sous l’intitulé d’une charte de la laïcité, nous paraîtrait disproportionnée par rapport aux objectifs recherchés, notamment la neutralité des services publics.

Cette neutralité institutionnelle exige que les normes collectives soient appliquées de manière impartiale, quels que soit le sexe, l’origine ethnique ou religieuse de la personne qui dispense le service ou de celle qui le reçoit. Or, c’est déjà le cas : en effet, les lois et les politiques québécoises ne sont pas élaborées en fonction de normes religieuses. Les rapports entre les représentants de l’État (fonctionnaires, enseignants, etc.) et les citoyens ne sont pas de nature religieuse mais autre (administrative, pédagogique ou coercitive, par exemple). Le fait qu’un agent de l’État affiche un signe d’appartenance religieuse ne l’empêche nullement d’appliquer les normes laïques de façon impartiale ; le citoyen ne peut que constater ce signe religieux, de la même façon qu’il peut remarquer l’origine ethnique du fonctionnaire. Pas plus que la couleur de peau, l’accent ou le sexe, on ne peut présumer que cette affiliation religieuse constitue un biais qui interfère dans la manière dont le fonctionnaire applique la loi ou le règlement. En revanche, l’interdiction de signes religieux peut être justifiée si ceux-ci entraînent un dysfonctionnement du service, un problème de sécurité, un traitement discriminatoire à l’égard d’autres personnes, une atteinte réelle à leur dignité ou encore, s’ils donnent lieu à un prosélytisme. Faut-il le rappeler, la laïcité s’impose à l’État, non aux individus.

La laïcité, en effet, a été conçue historiquement afin d’empêcher l’État ou certains groupes de la société de s’approprier le droit de se faire juges des opinions, des croyances ou des pratiques des citoyens. La volonté d’assurer absolument l’émancipation à l’égard de croyances considérées autoritaires ou passéistes, en refusant tout accommodement au nom d’un impératif laïque, comporte tous les ingrédients d’une possible exclusion, contraire à l’objectif d’intégration. L’égalité, tant d’un point de vue juridique que social, peut s’exprimer selon des modalités différentes, pourvu que les moyens pour assurer sa mise en œuvre n’affectent pas l’égalité de statut des citoyens, l’égalité des ressources pour la conduite de sa vie et l’égalité des chances dans l’accès à l’éducation, au travail, à la justice, aux services de santé.

Il faut se méfier de toute proposition de modèle idéal de laïcité, décrétant définitivement selon quelles modalités d’aménagement le religieux doit être balisé dans les lois et la définition du vivre-ensemble. Nous reconnaissons que les situations particulières doivent faire l’objet de débats et de discussions, et le rapport Bouchard-Taylor en avait déjà identifiées un certain nombre. La raison principale qui doit nous inviter à la prudence est que les mondes vécus ne correspondent jamais à des modèles définis à l’avance, que les situations personnelles et sociales sont changeantes, qu’elles exigent des ajustements continus et de nouveaux équilibres à trouver. La laïcité n’est pas une façon de résoudre les tensions (réelles ou imaginaires) en les supprimant.

Les valeurs communes

Ces derniers temps, il a beaucoup été question des « valeurs québécoises » dans le débat sur le vivre-ensemble. Selon certaines voix, ces valeurs seraient mises en péril par certaines mesures, tels les accommodements raisonnables. Les tenants de ce discours considèrent que la majorité aurait le droit d’exiger des immigrants (un terme qui, dans leurs arguments, désigne parfois des personnes et des communautés installées au Québec depuis des générations) qu’ils se conforment aux dites valeurs. Les accommodements (raisonnables ou non), le cours ECR et d’autres mesures seraient coupables, selon certains, de rendre les valeurs minoritaires supérieures à celles de la majorité, et selon d’autres de gommer toute notion de valeur en affichant un relativisme moral et culturel complet. Mais qu’en est-il de ces « valeurs communes » ?

Le discours des valeurs communes prend deux formes. Selon certains nationalistes conservateurs, la diversité des manières de concevoir la « vie bonne » ne serait qu’apparente. Il y aurait un Québec profond, une majorité silencieuse qui n’aurait jamais renié ses valeurs traditionnelles, lesquelles représenteraient la véritable identité québécoise. Pour certains, ces valeurs traditionnelles, inhérentes à l’identité québécoise, seraient liées au catholicisme ; celui-ci revêtirait maintenant une valeur patrimoniale, au nom de laquelle seraient circonscrits le contenu de l’espace public du Québec et la possibilité d’y exprimer sa différence.

Cette rhétorique reflète davantage le volontarisme de ses défenseurs qu’une quelconque réalité de la société québécoise. Par quelle symbiose mystique parviennent-ils à déceler le contenu véritable des valeurs de cette majorité ? Force est de constater qu’ils y projettent leurs propres préférences, leurs propres conceptions de la vie bonne, postulant qu’elles font l’objet d’un vaste consensus.

La deuxième forme que prend le discours des valeurs communes erre non pas par ce type de projection, mais plutôt par un excès d’abstraction. Afin d’identifier des valeurs qui seraient véritablement communes derrière le foisonnement des modes de vie qui coexistent dans l’espace public, il y aurait un consensus sur des énoncés formulés abstraitement, comme la démocratie, les droits, la liberté, le pluralisme et l’égalité des hommes et des femmes. Les valeurs qui figurent dans la « Déclaration portant sur les valeurs québécoises » que doivent maintenant signer tous les immigrants au Québec sont de ce type.

Être en faveur de la démocratie, des droits : rien de plus louable. Mais quelle est l’extension précise de ces droits ? Comment définir les limites concrètes de la liberté religieuse ? De la liberté d’expression ? Il en va de même pour la valeur que représente indiscutablement l’égalité des hommes et des femmes. Qu’implique précisément cet engagement, au-delà du respect des lois ? Lorsqu’il s’agira de répondre concrètement, le pluralisme de la société québécoise mettra en évidence des façons inévitablement diverses de le faire. Le pluralisme des valeurs exige non pas que nous tentions de réduire cette diversité, mais que nous trouvions des moyens de dialoguer et de prendre des décisions communes qui ne gomment pas artificiellement notre diversité. C’est à l’ouverture, à la tolérance et au respect mutuel que nous convie le pluralisme qui est au fondement de nos institutions démocratiques.

Car ce pluralisme des valeurs au sein de la société québécoise n’est pas un défaut. Au contraire, c’est un signe de la vitalité de nos institutions démocratiques et de la robustesse des protections que nous accordons aux libertés civiles. Il faudrait s’inquiéter si notre société était effectivement aussi consensuelle que le prétendent les chantres des valeurs communes.

Les chartes des droits et les institutions

Confiance dans nos institutions, disions-nous. Or, la « crise des accommodements raisonnables », qui fut à l’origine de la commission Bouchard-Taylor, fut aussi, pour certains, une crise des institutions. Elle reposait sur une une perception erronée : les droit et les tribunaux n’auraient pas démontré leur capacité à encadrer l’application des accommodements sur la base de valeurs et de principes importants, tels que l’égalité des sexes. Plusieurs étaient alors d’avis que seule une délibération de nature politique pouvait permettre de fixer des limites adéquates aux pratiques d’accommodement.

Nous croyons que le dialogue entre les institutions judiciaires et les institutions politiques est nécessaire. Ce dialogue est inscrit dans la logique même de nos institutions. Les droits énoncés dans les chartes québécoise et canadienne peuvent en effet être restreints par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Dans des cas « extrêmes », le législateur a même la faculté de déroger à certains droits ou libertés. Nous sommes donc loin du « gouvernement des juges » qui figure, de manière si prééminente, dans le discours de ceux pour qui « le droit a trop parlé ».

Il nous paraît périlleux de banaliser les textes fondamentaux que sont les chartes des droits. Or, c’est précisément ce que sous-entendent certains discours actuels, dans lesquels les chartes sont, d’une manière selon nous spécieuse, mises en concurrence avec d’autres valeurs. Sont convoqués ici, comme des contrepoids aux chartes, l’égalité entre les femmes et les hommes, la séparation de l’Église et de l’État, la primauté de la langue française et, selon un projet de loi récemment déposé par l’un des partis d’opposition à l’Assemblée nationale, le patrimoine historique du Québec. Le caractère tautologique de cette énumération mérite d’être souligné. Certains éléments (comme l’égalité hommes-femmes) sous-tendent déjà, en effet, des concepts juridiques généraux, tels que l’interdiction de la discrimination. De même, la séparation entre l’État et la religion : cette séparation, qui fut explicitement reconnue par nos tribunaux dès les années cinquante, a depuis été conceptualisée comme découlant des libertés fondamentales (conscience et religion) garanties par les chartes des droits. C’est donc faussement que certaines propositions font de la séparation de l’État et de la religion une valeur distincte, susceptible d’influer sur l’interprétation de la Charte québécoise. Et comment parler des valeurs québécoises sans évoquer aussi la protection des droits et libertés, la justice et la primauté du droit, la protection des minorités, la solidarité sociale, le rejet de la discrimination et du racisme ?

Un tel discours de banalisation réduit les chartes des droits à un ensemble abstrait et désincarné de normes. En réalité, la sphère des droits et libertés englobe, on le voit, plusieurs des valeurs auxquelles on se réfère dans les débats actuels. Évoquons d’ailleurs, pour boucler la boucle, la difficulté de définir ce qu’il faut entendre par le « patrimoine historique du Québec ». Plusieurs, dont nous sommes, soutiendront que le respect des droits des minorités, et notamment des minorités religieuses, fait justement partie de ce patrimoine historique. Dès 1832, la Chambre d’assemblée du Bas-Canada (Québec) innovait en adoptant une loi qui reconnaissait, à toute personne de religion juive, les droits et privilèges des autres confessions. L’égalité des cultes sera ensuite affirmée en 1840, puis réaffirmée en 1851 dans la Loi sur la liberté des cultes, toujours en vigueur. Nos chartes des droits sont héritières de cette longue tradition historique de tolérance et d’ouverture. N’en déplaise à ceux qui tiennent à opposer droit et histoire (ou droit et identité), le droit fait également partie de l’histoire. De notre histoire.

La voie de la continuité

Une stratégie populaire chez les critiques de la position que nous avons défendue ici est d’affirmer que la perspective pluraliste serait en porte-à-faux avec la trajectoire historique du Québec. Les faits indiquent au contraire que ce sont les tenants d’une laïcité stricte et d’un nationalisme identitaire conservateur qui choisissent la voie de la rupture. La voie de la reconnaissance raisonnable de la diversité nous apparaît être celle de la continuité avec l’histoire du Québec. La Charte québécoise des droits et libertés, l’interculturalisme, la Charte de la langue française, la laïcité ouverte sont toutes des formes de gouvernance qui visent à établir un équilibre, certes toujours mouvant, entre les préoccupations légitimes respectives de la majorité et des minorités culturelles, linguistiques et religieuses. Nous croyons que la recherche constante de cet équilibre honore la nation québécoise, qu’elle est un préalable à la recherche d’un authentique vivre-ensemble. Nous souhaitons qu’elle se perpétue.

18/11/2008

LAICITE INTERCULTURELLE

Dans le cadre de la relance économique de la planète Terre, l'Académie Nobel a décidé d'attribuer un prix Nobel exceptionnel de 3 billons de milliards de £, $ et € réunis à un ouvrage qui parlerait, de manière magistrale, n'en doutons pas, de la laïcité au Québec en comparaison avec la laïcité française et dont l'auteur aurait comme initiales J. B.
L’Académie ayant brassé beaucoup plus large que les concours littéraires parisiens, 10000 ouvrages se trouvaient en compétition.
Après un suspens insoutenable, nous avons le plaisir de vous annoncer que le prix va être remis à l'immortel auteur de La laïcité expliquée à M. Sarkozy et à ceux qui écrivent ses discours (Albin Michel)
pour son nouvel ouvrage:
UNE LAÏCITE INTERCULTURELLE, LE QUEBEC AVENIR DE LA FRANCE ?
(Éditions de l'Aube)
La remise solennelle du prix et le début de la vente dans toutes les librairies dignes de ce nom,
aura lieu le mercredi 19 novembre à Oh du matin.

(notamment, publicité gratuite, pour Paris, La librairie du Québec, 30 rue Gay-Lussac, 75005)

Malheureusement les Québécoises et Québécois devront, eux, attendre vers le 15 décembre pour goûter l’ouvrage au Québec même. Avec leurs élections (le 8 décembre), ce mois de décembre sera inoubliable !

 

Dernière minute : l’Académie Nobel vient de s’apercevoir que sa banque a fait faillite et que ses caisses sont vides. Elle s’est donc tournée vers le politique pour assurer la relance.

Le politique ne s’est pas dérobé et nous avons le grand plaisir d’annoncer à l’heureux auteur qu’il recevra, à la place de son chèque, le dernier disque de Carla, cadeau personnel du Président, et un bulletin de vote pour le 20 novembre, adressé gracieusement par le PS.

 

Maintenant, parlons un peu du livre :

D’abord voici la page 4 de la Couverture :

 

On oppose souvent «laïcité française » et « multiculturalisme anglo-saxon ». Or le Québec, nation francophone en Amérique du Nord, est en train de construire une laïcité interculturelle, capable d’édifier un vivre-ensemble laïque tenant compte du caractère pluriculturel de nos sociétés démocratiques modernes.

Sa construction ne s’effectue pas sans tensions ni tâtonnements. De 2006 à 2008, de vifs débats et des « affaires » ont porté sur l’égalité des sexes, le rapport à l’identité et à la « communauté politique », le rôle des médias, la forme que doivent prendre l’interculturalisme et la laïcité.

La passionnante enquête sociologique de Jean Baubérot nous retrace, avec rigueur toujours et humour parfois, les diverses positions en présence et le déroulement de cette crise. Sa conclusion, effectuée par une Commission présidée par l’historien Gérard Bouchard et le philosophe Charles Taylor, montre que la « Belle Province » nous trace des voies d’avenir.

 

Commentaire de cette page 4 de couverture:

Plus qu’une enquête stricto sensu (je ne vivais pas au Québec, j’étais à 5000 km de ma base ; j’y suis allé à 7 reprises, dont 3 fois également dans d’autres provinces canadiennes et j’ai pu effectuer des comparaisons), il s’agit d’un reportage sociologique.

J’ai interrogé une bonne centaine de personne (entretiens formels ou conversations spontanées), à peu près moitié - moitié entre Québécois « pur laine » (selon l’expression consacrée) et migrants de diverses origines dont des entretiens avec une vingtaines de femmes musulmanes, car elles ont été beaucoup sur la sellette. Et j’ai suivi de prés différents événements.

Après un petit prélude et un glossaire permettant de se familiariser avec certains aspects de la réalité québécoise, l’ouvrage comporte trois parties.

La première partie s’intitule : « L’histoire d’un emballement » et retrace, un peu à la manière d’un roman policier, ce que l’on a appelé la « crise des accommodements raisonnables ». L’accommodement raisonnable étant un instrument clef de la laïcité interculturelle québécoise.

La seconde partie porte sur « Les enjeux du débat québécois ». D’abord l’égalité femme-homme (chapitre : « Du féminisme pur laine au féminisme musulman » ; ensuite sur « les médias manipulateurs…ou manipulés ».

Le 3ème chapitre examine comment on est passé du Canada français au Québec et le désenchantement actuel par rapport aux rêves d’indépendance. Enfin un chapitre porte sur la notion d’interculturalisme, les activités concrètes interculturelles et un autre sur la laïcité québécoise, qui comporte des traits originaux, et ses accommodements concrets.

La dite « crise des accommodements raisonnables » a abouti à la nomination d’une Commission (la Commission Bouchard-Taylor) qui a travaillé pendant plus d’un an et a remis un substantiel rapport en mai dernier.

La dernière partie, « Vers une laïcité interculturelle », parle de la publication du rapport (qui a donné lieu à divers incidents qui, malgré eux, en confirmaient les analyses), de son contenu, compare le fonctionnement de la Commission québécoise avec celui de la Commission Stasi, et analyse la « laïcité interculturelle québécoise au péril d’une double religion civile », une « républicaine » et une « patrimoniale ».

Je reprends la question de l’égalité des sexes comme analyseur de différence entre cette religion civile républicaines et la laïcité (là, Québec et France sont proches) et le débat sur la présence du crucifix à l’Assemblée nationale québécoise (et là, le Québec s’avère différent, mais les propos de Sarko sur les « racines chrétiennes » à « valoriser » vont dans un sens analogue) comme analyseur de la religion civile patrimoniale.

Bien sûr, l’ensemble du livre donne des éléments sur ce thème (religion civile et laïcité interculturelle) et c’est là-dessus que je voudrais parler maintenant. Je le ferai de façon plus théorique que dans l’ouvrage lui-même (où l’aspect reportage est toujours présent). J’explique tout de suite pourquoi.

 

En effet, dans son dernier livre, Jean-Paul Willaime critique longuement et amicalement plusieurs de mes thèses sur la laïcité. Je ne vais pas discuter de nos divergences à propos de Nicolas Sarkozy. J’ai assez parlé de lui dans ce blog et mon livre précédent.

J’indiquerai juste ce qui me semble être au fondement du désaccord. Willaime lui-même conteste plusieurs propos du président, et notamment l’expression de « laïcité positive ». Seulement, il fait comme s’il était possible d’enlever certaines phrases sans que la logique des discours sarkoziens soit modifiée. Je pense avoir montré qu’il y existe, au contraire, une forte cohérence interne dans la vision présidentielle des rapports entre politique et religion.[1]

Je vais donc m’attacher à l’autre débat, aux enjeux très concrets : peut-on distinguer, voire opposer laïcité et religion civile ? Cette question semble abstraite or elle est fondamentale. Et, écrit, naturellement, avant d’avoir lu le propos de Willaime, mon livre sur le Québec y répond de façon anticipée.

Je tente de montrer, en effet, qu’au Québec (comme en France, d’ailleurs) les deux types de religions civiles, dont nous venons de parler, tentent d’aller à l’encontre de cette laïcité interculturelle qui permet le vivre ensemble d’une nation de 7 millions d’habitants, accueillant 42000 migrants chaque année (et souhaitant passer à 50000).

 

Voyons de plus prés le problème. Les sociétés sont des constructions historiques soumises au changement social. Pour Willaime, la religion civile est un moyen de lutter contre leurs aspects « révisables et précaires ». La religion civile est, rappelle-t-il, un « système de croyances et de rite » par lequel une société « magnifie son unité (…) sacralise son être ensemble et entretient une piété à l’égard d’elle-même. »

Il s’agit, précise mon collègue-ami, « d’une forme non religieuse de sacré, même si des traditions religieuses peuvent nourrir ce sacré politique qui exprime un sentiment collectif d’unité» : « la société produit la croyance en elle-même et la ritualisation de cette croyance. »

A cette vision commune des sociologues, Willaime ajoute la distinction entre deux aspects de la religion civile, très prégnant en France : « une religion civique » qui sacralise « l’unité de la collectivité politique » (la France « fille aînée de la République ») et une « common religion » (ou « religion commune ») largement implicite, forgée par « l’ensemble diffus des croyances (et) représentations » présents dans l’univers social (la France « fille aînée de l’Eglise, et une culture catholique diffuse imprègne les mentalités, même sécularisées). 

Notre accord est complet sur cette description de la religion civile. Le Québec est un bon exemple pour l’étudier. Il apparaît proche de la France et par son enracinement catholique et par le fait que la Révolution tranquille québécoise (1960-1965) et ses suites (les deux referendums sur la « souveraineté ») ont placé au cœur du débat politique l’idée d’un Québec républicain et souverain.

Le débat porte sur les conséquences à tirer de ces constats. Selon Willaime, je commets une triple erreur :

-         ne pas prendre l’expression de « religion civile » comme un concept qui rend compte de réalités présentes dans toute société ;

-         me référer au philosophe J.-J. Rousseau (auteur de l’expression) et non au sociologue R. Bellah qui l’a reprise ;

-         croire en conséquence que l’on peut opposer laïcité et religion civile, comme si une société laïque ne comportait pas de religion civile.

 

Certes toute société comporte des éléments de religion civile mais, à un niveau conceptuel précisément, on peut séparer deux notions, celle de religion civile et celle de laïcité. La notion de laïcité interculturelle québécoise en est un très bon exemple.

Par la pratique des accommodements raisonnables accordés à des minoritaires qui subiraient des discriminations indirectes à cause de lois et de règles uniformes, la laïcité interculturelle, entre en tension avec la religion civile, va contre la sacralisation de l’unité sociale, typique de la religion civile. Car cette sacralisation, Willaime lui-même le souligne lutte contre l’aspect « précaire » et révisable » de la société.

Ce n’est donc pas la société québécoise dans son devenir, telle qu’elle se construit aujourd’hui à partir de ses caractéristiques pluriculturelles, qui est l’objet de la « piété » et des « croyances » liées à la religion civile, mais un certain état de cette société. Il s’agit, dit Willaime, parloant de la religion civile, « de faire mémoire », du « culte de l’origine ».

Ces reconstructions symboliques sacralisentdonc  des temps fondateurs et le paradoxe, au Québec comme en France, c’est qu’alternativement certains sacralisent deux visions conflictuelles de la nation, oubliant tout esprit critique : le Québec des temps anciens, la fondation du Québec moderne, c'est à dire la « common religion » et la religion civique..

Avec la défense communionnelle  (vote unanime des députés) du crucifix, mis en 1936 à l’Assemblée Nationale, c’est le Québec catholique, la période habituellement qualifié de « Grande Noirceur » (à cause, précisément, de l’influence dominatrice qu’avait le catholicisme !) que l’on magnifie.

Avec la transformation de « valeurs républicaines » en « dogmes » (au sens de J.-J. Rousseau), c’est la Révolution tranquille et ses suites que l’on mythifie, alors même que cela ne correspond plus à la réalité présente québécoise.

Ainsi, une des croyances les plus unanimes de la religion civile républicaine québécoise (« religion civique ») consiste à prétendre qu’avant le Révolution Tranquille, les curés obligeaient les femmes à avoir 10 enfants.

Or cette croyance est fausse : des historiennes féministes ont démontré que la moyenne d’enfants par femme était alors de 3 ! Pourquoi alors une telle croyance persiste? Elle permet tout à la fois de noircir la religion (prétendre que les accommodements raisonnables feraient retourner à la période de la « Grande Noirceur ») et de refouler le problème actuel de la dénatalité : 1,3 enfant par femme.

Cela induit la nécessité d’augmenter l’immigration, ce qui change profondément la société québécoise et contribue à rendre peu crédible le rêve d’indépendance, auquel, par ailleurs, la jeune génération est moins attachée.

Et, bien sûr, dés que l’on célèbre, non plus la religion civique mais la « common religion », la religion civile patrimoniale, la diabolisation des curés se change alors en exaltation de leur rôle, comme je le montre dans mon livre. C’est le rôle du catholicisme dans la survie des Canadiens français qui est magnifiée.

 

Ma thèse est alors la suivante : la laïcité interculturelle québécoise, qui se projette, elle, dans l’avenir, tente de céder ni à la stigmatisation ni à l’idéalisation des religions en se montrant raisonnablement accommodante avec elles. Elle entre donc en tension avec la sacralisation sociale de la religion civile.

Je prends comme analyseur la façon différente de se représenter l’égalité des sexes ( en gros, c’est une valeur publique pour la laïcité interculturelle, un dogme qui impose autoritairement une interprétation tronquée pour la religion civile républicaine)

On prouve le mouvement en marchant. Ce dossier québécois, proche et différent du dossier français, montre que laïcité et religion civile (tout comme mémoire sacralisante et histoire laïcisante) peuvent être distinguées même si elles sont mêlées dans la réalité empirique et que cette distinction permet de voir des choses intéressantes.

Et le fait que dans toute société, il y ait des éléments de religion civile n’empêche pas d’analyser les choses de façon critique et de se demander : aboutit-on (ou non) à une véritable religion civile structurée ?

Dans le cas québécois, le fonctionnement social de la laïcité interculturelle et l’existence d’un conflit virtuel entre religion civique et « common religion » relativisent la constitution de véritables systèmes de religion civile, mais des éléments apparaissent dans le débat social et politique.

Et dans la crise des accommodements, on a vu parfois les deux optiques de religion civile se mêler chez certains, car elles peuvent se renforcer l’une l’autre pour résister aux changements induits par la laïcité interculturelle.

Cela comporte certaines analogies (l’analogie étant la ressemblance ET la différence) avec l’histoire de la France : les 2 France, représentaient deux sortes de religions civiles, la commune et la civique. Mais leur conflit même, au XIXe, a empêché une religion civile de s’imposer de façon consensuelle et stable. Et, la loi de 1905 a tourné le dos à l’optique de la religion civile (Willaime me reproche d’écrire cela, pourtant je persiste et signe).

Mais nous avons vu à l’œuvre aussi un rapprochement où la laïcité devenait une religion civile commune aux deux France, contre les migrants, les nouveaux Français. Car si on sacralise un certain état de la société, c’est une manière de demander à ceux qui sont porteurs de changement social, de ne pas faire bouger un poil la société…Et de les stigmatiser car, quoiqu’ils fassent, c’est naturellement impossible.

J’ai donc une visée fondamentalement sociologique, socio-historique, même si, effectivement, je ne dédaigne pas de me référer à Rousseau. Mais pourquoi serait-ce interdit ? Rousseau mêle le constat sociologique et la normativité philosophique. Je dénormatise Rousseau, en reprenant à mon compte son constat.

Quant à Bellah, je m’appuie beaucoup plus sur lui que mon collègue et ami ne le pense. Nous aurons l’occasion d’en reparler. En effet, Obama n’est pas en dehors de la religion civile américaine qu’a étudié Bellah. Et donc, cela vaut le coup d’examiner cela d’un peu plus près.

Châo les Zamis. Bons baisers et à bientôt.

 

 

 

 



[1] Cf. J.-P. Willaime, Le retour du religieux dans la sphère publique, Vers une laïcité de reconnaissance et de dialogue, éd. Olivétan 

09/11/2008

OBAMA ET LA LAÏCITE

J’étais à Rome quand Obama a emporté l’élection américaine, pour présenter l’édition italienne de mon ouvrage sur Les Laïcités dans le monde (Le tante laicita nel mondo. Per una geopolitica della laicita[1]). Pas moins de six intellectuels italiens ont chanté les louanges de l’ouvrage, si bien que je n’avais plus grand-chose à en dire (sauf à le critiquer !), alors j’ai indiqué pourquoi, à mon sens, la victoire d’Obama est un grand jour pour la laïcité.

Complètement obsédé, le Baubérot allez-vous dire : il ramène tout (sans parler du reste) à la laïcité. En plus, il nous avait annoncé, il y a quinze jours, qu’il était pour Obama, mais sans céder à l’Obamania. Alors ?

Attendez un peu avant de me flinguer comme un malpropre. D’abord, je ne retire rien de ce que j’ai écrit alors. Une chose est de triompher, l’autre de gouverner. Et là, ce n’est pas encore gagné, surtout dans la situation style « kollossale katastrophe », dont hérite le futur président.

Les résultats seront forcément ambivalents. On peut espérer une sorte de Lula nord-américain. Après ce que nous a infligé Bush, ce serait déjà beaucoup.

Mais « à chaque jour suffit sa peine », comme l’affirmait ma grand-mère, paysanne fort sensée au demeurant. Un responsable d'un mouvement laïque italien m'a dit: "réjouissons nous pendant une semaine... et après, redevenons réalistes". La semaine n'est pas encore écouléee. Et j’ai trois excellentes raisons d’affirmer que cette victoire est réjouissante du point de vue de la laïcité.

 

La première raison est conjoncturelle, mais elle n’est pas négligeable pour autant. Il s’agit d’une lourde défaite pour l’alliance des néo-conservateurs et de la partie fondamentaliste et conservatrice des évangéliques. Les néo-cons, pour la plupart, proviennent de la gauche. Les fondamentalistes conservateurs ont oublié qu’originellement les évangéliques ont lutté contre la société de chrétienté, pour un christianisme choix personnel. Bref, les deux se sont reniés et ont voulu restaurer un ordre moral.

La promotion de Sarah Pallin a fait croire à leurs stratèges qu’ils allaient récupérer a la fois des évangéliques et des femmes. Cela a fait plof, plof, plof!. Si les hommes se sont partagés également entre les 2 candidats, les femmes ont assuré la victoire d'Obama. Par ailleurs, de « très nombreux évangéliques ont voté pour Obama » malgré le fait qu’il ait « par le passé soutenu l’avortement et le mariage homosexuel » (Réforme, 6-12 nov.)

Par ailleurs, dans les trois Etats où des référendums ont été organisés, les électeurs ont rejeté des propositions de loi anti-avortement.

Raison conjoncturelle, donc. Mais importante sur le plan politique comme sur le plan juridique. La Cour suprême est la garante de la laïcité à l’américaine. Une victoire républicaine l’aurait faite basculer. Le danger semble écarté.

 

La seconde raison est que si tout le monde a souligné la portée symbolique de la victoire d’Obama, il me semble que la réflexion sur ce symbolique est restée, en général, un peu courte. Il faut creuser un peu plus profond et montrer la dimension parareligieuse de ce symbolique là.

La profonde résonance de cette victoire, les larmes de joies d’Afro-américains, mais aussi de Noirs et Métis d’autres pays, montre l’aspect véritablement transgressif de cette élection. Le pouvoir blanc, au plus haut niveau, à l’échelle de l’Amérique, comme Etat, mais aussi comme symbole le la puissance qui reste la plus puissante au monde (« Obama, au sommet du monde » titre Paris-Match), comportait un certain caractère sacré.

Le sacré social en la matière, la structure symbolique oh combien puissante, c’est ce « mur de verre », cet obstacle immatériel, invisible mais socialement très prégnant. Toutes les questions que l’on s’est (à juste titre) posé ces dernières semaines pour savoir s’il n’existait pas un réel risque que les sondages se trompent lourdement, parce qu’ils ne pouvaient pas prendre en compte ce facteur immatériel, le montre.

D’ailleurs Obama l’a bien compris et ce n’est nullement un hasard s’il a prononcé son discours sur les « peuples du monde » à Berlin : la ville longtemps séparée par un mur matériel était le lieu symbolique par excellence pour insister sur la nécessité de mettre à bas des murs immatériels.

Obama, par son « charisme » (terme significatif), et poussé par une situation porteuse, a réussi à faire opérer une transgression. Plusieurs commentateurs noirs l’ont affirmé : « on ne croyait pas que c’était pensable ». Et les journalistes ont noté, qu’à Harlem ou ailleurs, à l’annonce des résultats, bien des gens se sont demandés si c’était bien vrai.

Car cette transgression apparaît, pour des dizaines de millions d’être humains, comme la fin d’une sorte de ‘malédiction’. La malédiction d’avoir la peau noire. Cela aussi appartient à du sacré social.

Beaucoup avait déjà été fait avant. Il reste encore beaucoup à faire. Mais cette transgression, ce changement concernant le poste le plus prestigieux, apparaît un élément décisif dans la levée de cette malédiction symbolique qui pèse, depuis la réduction en esclavage de cohorte d’être humains, simplement pour une question de couleur de leur peau.

Et s’ils se sentent aujourd’hui un peu plus libres et égaux, alors nous aussi nous, les gens de couleur pâle, le sommes également. Car le schème sacral de la supériorité de « l’homme blanc » est tout autant une malédiction pesante et qui aliène notre rapport à l’autre.

 

Car, troisième raison, le discours et le parcours jusqu’à présent exemplaire de Barak Obama montre que, loin de s’opposer, universalisme et diversité sont à conjuguer ensemble. Son discours le plus significatif  est peut être celui où, politiquement déstabilisé par des propos virulents du pasteur Jeremiah Wright, un de ses proches, sur les discriminations envers les Noirs, il s’en dissocie sans (dit-il explicitement) « renier » son ami.

Il s’en dissocie, dépassant le ressentiment communautaire par une perspective universaliste, par la projection dans un avenir commun où il faudra, ensemble, affronter d’immenses « problèmes qui ne sont ni blancs, ni noirs, ni latinos ni asiatiques ». Et toute sa campagne a mis en avant une optique réconciliatrice, proposant un projet commun, au delà des couleurs de peau (du pâle au noir en passant par le jaune, le basané, etc), des convictions religieuses, des options politiques elles mêmes.

Mais pour autant, l’horizon d’universalité d’Obama n’a pas les aveuglement de l’universalisme abstrait, et il est remarquable qu’Obama ait pris le risque de se voir reprocher de ne pas désavouer totalement Wright, préférant expliquer les bonnes raisons de la rancœur du pasteur.

L’universalisme ne peut pas être un en soi, un préalable, un déjà là, sans être un universalisme tronqué, et donc fondamentalement trompeur. Faulkner est convoqué, qui a écrit : « le passé n’est ni mort ni enterré. En fait, il n’est même pas passé ». Et ce passé toujours présent nous fait différents, une différence qui a besoin d’être reconnue, assumée, comprise.

L’universalisme ne peut être qu’une visée, qu’un DEPASSEMENT. Le dépassement du ressentiment du côté des dominés, le dépassement de la peur du côté des dominateurs. Et Obama d’indiquer que sa grand-mère blanche (celle qu’ensuite, il ira voir, interrompant sa campagne, peu avant qu’elle meurt) avait peur en croisant un Noir dans la rue.

 

Mais pour proposer d’une façon porteuse d’espérance, ce projet commun, il fallait sans doute avoir un parcours hors du commun. Et si Obama peut, mieux que d’autres, viser l’universel, c’est sans doute parce qu’il a lui-même partagé la condition dominée du minoritaire. Même le racisme officiellement aboli et combattu, il en a reçu les « affronts mesquins » : des agents de sécurité qui le suivent dans des Centres commerciaux, des Blancs qu lui donnent leur clef de voiture le prenant pour un voiturier, etc.

Jamais l’universel ne l’est autant que lorsqu’il émane d’un minoritaire. Sinon, il risque toujours d’être, en serait-ce qu’à son insu, excluant. Il comportera toujours une ambiguïté.

Clinton avait été qualifié de « premier président noir » à cause de la manière dont il été naturellement complètement à l’aise au milieu d’eux. Quand sa femme a été déstabilisée, aux primaires démocrates, il a attaqué Obama, prétendant que celui-ci avait de bons résultats parce que ‘il était noir.

Eh oui, avoir de la sympathie pour des gens est une chose, accepter qu’ils vous concurrencent en est une autre. Cela s’est vérifié bien des fois, notamment quand les femmes ont commencé à obtenir des emplois jusque là « masculins » (médecin entre autres).

 

Et ce n’était qu’un début : la campagne républicaine n’a pas été honorable. Mais ce qui est étonnant, c’est la façon dont le « mur de verre » s’est avéré un boomerang : les accusations perfides n’ont pas réussi à atteindre Obama, comme si elles échouaient sur un mur de verre symbolique, qu’elles n’arrivaient pas à franchir.

Et maintenant, un mur de verre matériel, empiriquement réel celui là, a du être mis en place, lors de la proclamation des résultats, pour protéger le futur président face à tout risque d’attentat. Effectivement, chacun espère qu’il dispose d’excellents services de sécurité et que ceux-ci se montreront efficaces.

Mais il faut aussi espérer qu’un mur de verre ne sépare pas désormais Obama de ceux qui l’ont élu, qu’il continuera à être en phase avec eux, malgré l’extrême difficulté de la politique à mener durant les 4 ans de son (premier ?) mandat.

 

Universalisme non tronqué car façonné par la diversité, le pluriculturel donc. L’universalisme suppose l’affirmativ action. Laurent Joffrin le reconnaît dans Libération (7 nov.) : « Le refus de toute action volontaires au nom de l’égalité républicaine que nous avons longtemps partagé, apparaît pour ce qu’il est : le paravent bien pensant du conservatisme. (…)Sans volonté pratique et affrmée, l’universalisme restera       un mot vide de sens».

Et universalisme et diversité se conjuguent grâce à un troisième terme : l’individualité. Obama a un itinéraire atypique qui fait que sa personnalité est la résultante de plusieurs histoires, de différentes identités.

Il est « Noir » parce qu’il faut bien un classement. En fait, il est métis, « post-racial ». Il est de plusieurs pays, de plusieurs communautés. En lui se croisent divers mondes. Et il en a fait une synthèse originale.

Obama se défini lui-même comme « hérétique » : « En politique, comme en religion, le pouvoir réside dans la certitude » analyse-t-il, et il poursuit. « C’est là que j’ai réalisé que j’étais un hérétique. Ou pire, car même un hérétique doit croire en quelque chose, ne serait-ce qu’en l’authenticité de ses propres doutes. » (Le Monde, 6 nov.)

On lui souhaite de rester, le plus longtemps possible, « un hérétique. Ou pire. »

 

 

PS: En fait, c'est toute l'Amérique du Nord qui donne une leçon à la vieille Europe, car le Canada a précédé les USA et la Gouverneure du Canada (qui représente la reine) est Michaëlle Jean, une Québécoise descendante d'esclaves noirs de Saint-Domingue, née en Haïti et qui, dixit Le Monde 2 (3 mai 2008) allie (comme Obama pourrait-on ajouter maintenant) "l'intelligence à la beauté"

 

 

 

 

 



[1] Luiss University Press. 12 €.

22/09/2008

POUR RAISON GARDER

L’attentat qui vient de coûter la vie à une soixantaine de personnes au Pakistan illustre une nouvelle fois la situation actuelle, sept ans après les attentats du 11 septembre. D’un côté, Al-Qaïda et les autres groupes similaires, malgré quelques attentats spectaculaires et meurtriers (Madrid, Londres,…) dont celui-là prend la suite, n’ont pas réussi dans leur tentative de déstabiliser les démocraties (occidentales et non occidentales) ; de l’autre ces dernières n’ont pas éradiqué le terrorisme.

L’attentat d’Islamabad, et le débat de l’Assemblée Nationale sur l’Afghanistan me conduisent à préciser quelques points. D’abord il doit être clair que, quand le blog annonce des Notes sur « la laïcité portant un regard critique sur la société », ce regard critique s’effectue de l’intérieur d’une société démocratique et laïque.

La perspective est churchillienne : la « démocratique est le pire système excepté tous les autres », la laïcité idem : autrement dit il s’agit de systèmes qui, dans leur réalité concrète, peuvent être profondément imparfaits ; de systèmes à ne pas sacraliser. Mais ils possèdent une supériorité structurelle sur tous les autres, qui est justement d’intégrer dans leur fonctionnement même le droit au débat,  à la critique, sans qu’il s’agisse de blasphème ou que l’on puisse être accusé de menées antidémocratiques et antilaïques.

Du moins, c’est ce qui se passe à un niveau public, car il ne manque pas de gens pour me soupçonner d’être un ‘traître’ à la laïcité, voire pour écrire des propos qui vont dans ce sens, quitte à s’étonner quand mes positions ne correspondent pas à l’image qui se font de moi, tout en continuant de m’accuser des pires turpitudes (cf. le n° de juillet-août du Monde des religions) Mais, vivant en démocratie, on ne me met pas en prison ou on ne me torture pas pour autant.

Cela va sans dire, mais encore mieux en le disant car on pourrait parfois l’oublier. Ceci indiqué, c’est justement parce que la grande supériorité (non seulement « morale » mais aussi et surtout « intellectuelle » : une société où ce droit est respecté est plus intelligente face aux problèmes qu’elle rencontre) est la possibilité d’une critique libre qu’il faut exercer ce droit concrètement.

Comme dirait une célèbre pub, le droit à la critique ne s’use que si l’on ne s’en sert pas.

Ce droit s’exerce de diverses manières : le blog annonce des « Notes amusantes et savantes ».

-« Savantes » parfois parce que je ne traite pas de tout et de rien, mais principalement d’un sujet, la laïcité, où je pense avoir acquis quelques compétences.

-« Amusantes » aussi, à certains moments, et cela déroute certains/certaines internautes, mais un blog n’est pas un cours en Sorbonne (et même, ceux qui me connaissent, savent que…) et il me semble que l’humour peut contribuer à une certaine désacralisation, à une prise de distance, y compris à l’égard de soi-même.

Mais je pourrais multiplier les qualificatifs. Les Notes sont aussi, parfois, « hypothétiques », notamment quand j’ai envie de dire quelque chose de sérieux, mais qui ne correspond pas directement à des recherches. C’est le cas de cette présente Note.

 

D’abord quelques idées peu originales sans doute mais qui ne me semblent pas négligeables :

 

-Ce n’est pas innocenter les auteurs des attentats que de rappeler les aspects désastreux de la politique américaine : non seulement la guerre d’Irak et ses suites, mais pour ce qui concerne plus particulièrement l’objet d’étude de ce blog : les représentations (du monde, de la vie, etc), la transformation d’un type particulier de démocratie en « Bien » luttant contre le Mal.

La formulation de Churchill indique que la démocratie est le moins mauvais système, que (pour le moment du moins) l’être humain n’a pas trouvé mieux pour organiser un vivre-ensemble. En faire la figure du « Bien », c’est la dénaturer, la transformer en entité sacrée, entrer dans un processus où, précisément, elle risque de perdre ce qui en fait, structurellement, le moins mauvais système : c'est-à-dire le fait qu’elle comporte, dans son être même, le droit à la critique.

 

C’est cela aussi la « religion civile » et l’instrumentalisation politique de Dieu. Heureusement il existe également un républicanisme laïque aux USA, qui fait que cette sorte de sacralisation, qui avait également été faite au moment de la guerre froide, ne va pas jusqu’au bout. Mais quand même.

C’est pour cela que quand j’ai perçu que notre président commençait à emprunter cette voie de la religion civile à l’américaine, j’ai tout de suite tiré la sonnette d’alarme, avec une conviction et une ardeur qui a parfois surpris. Je viens de recevoir un dossier de presse d’Albin Michel et je trouve très significatif du malaise de certains auteurs d’article de presse concernant ma Laïcité expliquée à Nicolas Sarkozy, comme si, de la part de laïques intransigeants comme de partisans de la « laïcité ouverte », on voulait me cantonner à un rôle précis, avec interdiction d’être dialectique ou mobile. Triste !

-D’autre part, Jospin a eu raison de rappeler (sur France Inter, vendredi dernier je crois) que la décision qu’il a prise avec J. Chirac d’envoyer des soldats en Afghanistan correspondait à un autre contexte. Mais il ne faut pas sous estimer les risques d’une décision de ce type. Les soldats avancent en territoire inconnu, géographiquement mais aussi socialement, culturellement. Ils ne veulent pas être abattus, se voir tirer comme des lapins. Cela est tout à fait compréhensible mais induit au bout du compte que tout le monde devient un adversaire potentiel.

Et quand on considère, quand on regarde des gens comme des adversaires potentiels, non seulement on tue des personnes qui n’avaient rien à voir dans le conflit, mais, plus généralement, on met la population en situation où elle va, en retour, vous considérer, vous aussi, comme un adversaire.

Si on ne prend pas en compte cet aspect contreproductif, il vous revient dans la figure, tel un boomerang.

Ensuite, je voudrais parler un peu de l’ouvrage, court mais important, de Youssef Courbage et Emmanuel Todd : Le rendez-vous des civilisations, paru il y a juste un an au Seuil (« La république des idées »). La thèse de cet ouvrage est que « l’examen d’indicateurs sociaux et historiques profonds impose l’idée d’un rendez-vous des civilisations », et non celle d’un « choc des civilisations », d’un « antagonisme essentiel entre islam et occident. »

Par une synthèse brillante de nombreuses études, les auteurs montrent que « le monde musulman est entré dans la révolution démographique, culturelle et mentale qui permit autrefois le développement des régions aujourd’hui les plus avancées ».

A partir de là, ils rappèlent que les périodes de transition, en occident, « furent émaillées, elles aussi de troubles et de violences nombreuses ». Et ils ajoutent : « les convulsions que nous voyons se produire aujourd’hui dans le monde musulman peuvent être comprises, non comme les manifestations d’une altérité radicale, mais au contraire les symptômes classiques d’une désorientation propre aux périodes de transition. »

Les auteurs rappellent que la sécularisation ne signifie nullement la disparition de la religion mais son individualisation, le déclin d’un régime d’hétéronomie sociale. Cette sécularisation n’est pas incompatible avec « une importante résurgence des pratiques religieuses. »

Dans cette perspective, l’islamisme radical serait bien davantage un combat de dernière heure qu’une menace de déstabilisation du monde. Rien de ce qui se passe n’est minimisé, mais cela est mis dans un contexte qui permet de l’envisager de façon froide et distanciée.

Les deux auteurs ne concluent pas sur l’émergence d’un monde homogène, mais beaucoup plus sur des « trajectoires de convergence ». Ils restent relativement prudents, ne voulant sans doute pas dériver vers une analyse déterministe, ce qui est toujours le risque quand on étudie l’interaction de certains fondamentaux sociétaux. Mais cette analyse présente l’intérêt de ne pas être dans un littéralisme de l’actualité. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’E. Todd se trouve dans une telle situation.

Il avait, par exemple, pronostiqué que la mondialisation engendrerait un certain déclin de « l’empire américain » et je me rappelle des journalistes le harcelant après la victoire des USA à Bagdad, qui (pour eux) aurait prouvé l’incongruité d’une telle hypothèse. Il avait répondu : attendez la suite.

 Cela ne le rend certes pas infaillible, mais montre que l’on doit le lire avec attention. Je dirai que l’hypothèse développée par Todd et Courbage constitue un pari plausible, et que, ne serait-ce que stratégiquement, il nous faut faire ce pari.

En effet, il me semble que ce que les 2 auteurs montrent signifie que virtuellement des conditions sont réunies pour une telle « trajectoire de convergence ». Mais, plus qu’eux peut-être, il me semble que le rôle des différents acteurs, leurs interactions, peuvent modifier le cours des événements. C’est la tâche d’un historien sociologue que d’insister sur ce point.

C’est pourquoi, il est capital de rappeler, de manière aussi bien théorique, intellectuelle, que par des comportements pratiques que ni la sécularisation ni la laïcité ne signifient une disparition de la religion. La laïcité, notamment, ne signifie pas l’obligation d’adopter une religion light, théologiquement libérale, mais simplement de respecter les règles du vivre-ensemble, la tolérance civile, pour le droit à la liberté de conscience de tous soit effectif.

La laïcité demande aux musulmans de bien tirer les conséquences de la sourate du Coran qui énonce qu’il ne doit pas y avoir de contrainte en matière de religion. C’est d’ailleurs seulement ainsi que la foi peut être authentique.

Une telle attitude laïque, qu’il faut non seulement prôner mais concrétiser dans la pratique, non seulement permet à la laïcité de juguler ses propres dangers (se transformer en religion civile, en contre religion, en antireligion) mais elle me semble aussi stratégiquement la meilleure. Elle permet d’isoler les véritables extrémistes, de les rendre non attractifs auprès de celles et de ceux qui veulent essentiellement pouvoir pratiquer leur religion telle qu’ils la comprennent.

Et quand des personnes ont un pied dedans, un pied dehors, effectuer un tel pari donne l’élan pour agir de manière œuvrer pour, qu’au bout du compte, les deux pieds soient dedans, pas dehors…

Les militants et militantes laïques qui sont essentiellement dans la dénonciation, et non dans une réflexion positive (pas au sens de Sarko, naturellement, mais on va dans le mur si on lui accorde une propriété exclusive sur ce terme !) sur la laïcité, qui confondent « orthodoxie » et «intégrisme » et qui pensent que toute autre attitude n’est que naïveté, non seulement ont, à mon sens, tort sur le fond, mais ils adoptent également une stratégie très dangereuse.

Ils font ainsi le jeu de leurs adversaires. Les extrêmes se touchent souvent et s’alimentent les uns les autres. C’est ce qu’avait compris Jaurès quand il fait, en 1905, le pari d’une acclimatation des catholiques à la laïcité pour contribuer à élaborer une loi laïque, la loi de 1905, qui favorise cette acclimatation.

Ce pari est un pari à moyen et long terme. Mais là aussi une vision courte des choses, un horizon trop étroit, trop borné par une actualité immédiate s’avère incapable d’une véritable vision. 



 

29/07/2008

POUR LE RESPECT DE LA DEMOCRATIE EN TURQUIE

La Turquie est menacée d’une sorte de coup d’Etat judiciaire, dans l’indifférence presque générale. Depuis hier les juges de la Cour constitutionnelle d’Ankara délibèrent pour se prononcer sur une éventuelle dissolution du Parti de la Justice et du développement AKP), au pouvoir depuis 6 ans.

Le président de la République, A. Gül, le premier ministre R. Erdogan, ainsi que de nombreux collaborateurs et députés, risquent d’être déclarés inéligibles pour cinq ans. Le motif de l’interdiction et de l’inéligibilité serait des « activités anti laïques ».

La Turquie a connu plusieurs coups d’Etats militaires et déjà ce type d’interdiction par le passé. A lire, notamment, 2 ouvrages, très lisibles,  écrits par des spécialistes :

-T. Zarcone, La Turquie moderne et l’islam, Flammarion, 2004.

-P.-J. Luizard, Laïcités autoritaires en terre d’islam, Fayard, 2008.

  

Le parti AKP, qualifié parfois d’ « islamiste modéré » ou de « démocrate conservateur », a gagné à deux reprises les élections, dont la seconde fois l’an dernier avec près de 47% des voix (16,5 millions d’électeurs), sans qu’aucun commentateur ne puisse avoir le moindre soupçon sur le caractère démocratique du vote. Au contraire, on estime généralement que l’AKP a permis à l’Etat de droit et à la démocratie de progresser en Turquie.

L’AKP est régulièrement soupçonné d’avoir un « agenda secret » de mise en cause de la laïcité turque, sans que cela puisse être prouvé et que son action depuis qu’il est au pouvoir ne donne matière à une telle accusation.

Certes, il a cherché à assouplir la laïcité turque, dont l’aspect autoritaire, voire militaire n’est un secret pour personne, notamment en voulant autoriser le voile à l’université (ce qui a été annulé par la Cour), ce qui semble avoir déclanché la procédure. Faut-il rappeler que dans la France laïque, le dit voile est autorisé à l’université ? D’autres critiques peuvent être faites (cf. plus loin) et l’opposition a, bien sûr, le droit de contester l’action de ce parti. L’interdire, c’est une autre histoire !

Je ne fais certes pas de l’angélisme à l’égard de l’AKP. Voici d’ailleurs ce que j’ai rédigé, il y a quelques mois, pour l’édition turque de mon livre Les laïcités dans le monde (PUF), qui développe un peu et actualise (à la date où cela a été écrit) les propos de l’édition française (c’est dans le chapitre : « Géopolitique de la laïcité, VII, Europe »:

« Le dernier cas de figure est celui où l’Etat a façonné une nouvelle identité nationale, créé une nation moderne qu’il a voulu « émanciper » d’une emprise de la religion : Turquie et France. La laïcité turque a séparé l’Etat de la religion et l’a rendu autonome sans séparer la religion de l’Etat : une direction des Affaires religieuses, rattachée au 1er ministre,  a été instaurée.

En Turquie, « laïcité » a signifié un projet de laïcisation d’une culture  de manière à former des citoyens laïcisés dans un système de parti unique. Après 1945 et l’instauration du multipartisme des périodes autoritaires et d’autres plus libérales ont alterné. La situation des minorités religieuses n’apparaît pas satisfaisante.

Avec l’arrivée au pouvoir du parti démocrate-musulman Justice et développement AKP (2002) des réformes ont été entreprises, en cohérence avec le projet d’adhésion à l’Union Européenne. L’opposition kémaliste (Parti républicain du peuple) estime que la laïcité est grignotée mais s’est opposée à l’abrogation de « lois liberticides »[1].

Au printemps 2007, des manifestations monstres de « défense de la laïcité » ont eu lieu à Istanbul, Ankara, Izmir. La loi autorisant le port du voile à l’université est ensuite vivement mise en question. La laïcité est-elle menacée ? Ceux qui le prétendent affirment que dans des municipalités gérées par l’AKP, il existe des tentatives pour interdire l’alcool et la mixité dans certains lieux publics.

Il n’empêche, pour l’essentiel, « l’AKP a parcouru jusqu’ici un parcours pratiquement sans faute vers la démocratisation et vers l’Europe. L’AKP a fait pour la démilitarisation du pouvoir, l’économie de marché ouverte, la reconnaissance de nouvelles élites de province et les droits de l’homme beaucoup plus que ne l’avaient fait ses prédécesseurs ‘laïques’ » écrit Pierre Jean Luizard.[2]

Mais l’AKP « se situe au croisement de plusieurs tendances (…) dont certaines ne sont pas toutes au diapason des professions de foi libérales de ses dirigeants actuels.»[3]. La réussite ou l’échec de la laïcité turque à se démocratiser, sans renier ses fondamentaux, aura un impact très important pour l’ensemble du monde musulman. »  Fin de citation

L’enjeu est donc de savoir si la laïcité va devenir une règle du jeu stable en Turquie, en subissant avec succès l’alternance. Plus encore si laïcité et démocratie vont se réconcilier. C’est un enjeu fort non seulement pour l’ensemble des pays de culture musulmane (comme je l’indique), mais aussi pour la laïcité de façon générale. Les laïcités autoritaires et non démocratiques rendent un mauvais service à la laïcité.

On souhaiterait, malgré l’époque de l’année, une mobilisation importante des militants laïques contre l’interdiction et pour le respect de la démocratie. Beaucoup de ces militants et notamment les laïco-républicains, combattent (en France, au Québec) ce qu’ils estiment être les « empiétements du pouvoir judicaire sur le politique ». Nous nous trouvons ici dans un cas flagrant d’empiétement où il s’agit d’empêcher l’AKP d’exercer normalement le pouvoir légitimement conquis par des élections libres. Leur silence montre donc que, derrière leur attachement apparent à la laïcité, se cache des motivations moins avouables.

 

NOUVELLES :

-Le Nouvel Observateur a entrepris depuis jeudi dernier d’accompagner sa vente au numéro d’un livre en supplément gratuit consacré à une religion, étudiée selon une approche laïque (« religion, culture, identité ») de vulgarisation scientifique.

24-30 juillet : Le judaïsme de J-Ch. Attias et E. Benbassa  (dépêchez-vous de vous le procurer)

31 juillet-6 août : le bouddhisme de J-N. Robert

7-13 août : l’islam de M. Amir Moezzi et P. Lory

14-20 août : le christianisme de J. Baubérot

Tous les auteurs sont professeurs à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes.

-Politis publie dans son N° spécial d’été (en vente du 24 juillet au 27 août) un très intéressant dossier : « L’avenir n’est plus ce qu’il était (prise de conscience écologiste, crise du marxisme, retour du religieux, prophéties néolibérales,… »)



[1] S. Shihab, Le Monde, 23.9.2006.

[2] P.-J. Luizard, 2008, 262.
[3] Ibid., 267.