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20/11/2009

La médecine expliquée au Haut Conseil à l'Intégration

Où le Haut Conseil à l’Intégration me poursuit de ses assiduités… via FR3 interposé !

 

 

Eh bien, je ne l’ai pas emporté au paradis ! Cela m’apprendra à taquiner ce monument républicain qui s’intitule le Haut Conseil à l’Intégration, et à révéler ses contre-vérités mexicaines (cf ma Note du 12 novembre)

Hier, sur FR3, avant une interview-express, on m’a ressorti comme « accroche », à la discussion sur la Mission d’information parlementaire sur la dite burqa, un reportage qui date… de janvier 2007, concernant le projet de Charte de la laïcité du HCI.

 

Le sujet, non pas le port du « voile intégral » mais les dites femmes musulmanes qui refusent de se déshabiller pour être examinées par un médecin homme

(dans le cas précis, il s’agissait d’un examen effectué par une gynécologue, mais avec un stagiaire homme regardant l’examen : il me semblait que la présence de stagiaires dans les examens médicaux était soumise à l’accord du patient, non ?)

 

A noter que bien des téléspectateurs ont du croire qu’il s’agissait d’un reportage actuel, d’une « affaire » toute récente. Or, je le répète, cela datait de près de 3 ans !

Etait-ce d’une telle importance qu’il fallait ressortir ce reportage du frigo ?

 

Et quel est le rapport entre les 2 problèmes (l’examen médical et la dite burqa)?

Pas la peine de chercher midi à 14 heures : la mise en cause de l’islam, ou d’un certain islam, si on veut faire plus raffiné.

Moi je dirai d’ailleurs, plus exactement, la construction sociale d’un imaginaire concernant la femme musulmane.

Ah ben mais, j’sais causer quand même, j’ai lu des livres de la collection Arlequin.

 

Pourtant, dans mes enquêtes, en France comme au Canada, j’ai interviewé des femmes non musulmanes  qui m’ont dit choisir des gynécologues femmes, et estimer en avoir le droit.

Il y en a même une (bien estampillée Française, je le précise, pas une horrible canadienne multiculturelle, et tout et tout!) un peu énervée par les débats récurrents sur le sujet qui m’a demandé si la majorité des hommes qui ont des problèmes de prostate allaient consulter des médecins  femmes, et si (comme probablement ce n’est pas le cas) pourquoi on n’en faisait pas tout un bazar.

 

Dans ce reportage, on a entendu la présidente d’alors de HCI déclarer, sans grand souci de logique, qu’on avait le droit de choisir son médecin…mais pas le sexe de celui-ci.

Comme dirait l’autre : ces choses là sont rudes, il faut pour les comprendre avoir fait des études.

La preuve, bibi, à bac+24, je n’y comprends goutte.

Mais c’est parce que j’ai des siècles de paysannerie limousine dans mes veines, et (en plus) j’en suis fier.

Fier car les paysans ils ne se laissent pas entuber par les bieaux discours, où l’on agite des gros mots ronflants, comme si la république était toujours à dix centimètres du précipice.

 

Là, la président d’alors du HCI a prétendu que le non choix du sexe de son médecin était un problème « d’égalité », renvoyant ainsi à la devise républicaine.

Je persiste et signe à trouver cela stupide.

Quand, dans un aéroport, on vous palpe, c’est un homme qui palpe les hommes, une femme qui palpe les femmes et le HCI ne crie pas au scandale.

Il n’en dit mot, et n’écrit pas de Charte, le coquin paresseux.

Pourtant, si on suit sa logique c’est beaucoup plus scandaleux, puisque là « l’égalité » est foulée aux pieds de façon institutionnalisée, et par la République elle-même.

Et la palpation est pourtant nettement moins ‘intime’

 

Donc, j’en conclus, avec le sens de la nuance, qui me caractérise, que notre merveilleuse République, que l’univers entier, que dis, les myriades d’étoiles, nous envient (les petits jaloux), la République, dis-je, est beaucoup plus menacée par les propos naïfs et double-jeu de ses représentants officiels que par un certain islam.

 

Naïfs, vraiment très naïfs, car on considère tout autrement les employés des aéroports et les médecins

(dont on peut penser qu’ils ont la même conscience professionnelle avec, dans les 2 professions, la même proportion d’obsédés de la chose que dans la population globale :

je vous laisse fixer vous-même le pourcentage, et décider s’il ne serait pas… un poil plus élevé chez les hommes que chez les femmes)

On raisonne de 2 façons totalement différentes, sans même s’en rendre compte.

 

Et pourquoi le fait-on ?

Parce que, depuis sa toute petite enfance, on a été socialisé à accepter le pouvoir du médecin, alors que l’on n’a pas été socialisé à accepter le pouvoir de l’employé de l’aéroport.

C’est aussi simple que cela et pas besoin d’avoir recours aux mots ronflants (aux mots dont l’emploi inflationniste me gonfle !), sinon pour masquer à ses propres yeux cette réalité sociologique de base.

 

Attention, je ne dit pas cela dans une perspective moralomachinchose.

Le pouvoir, ce n’est pas pipi-caca-boudin.

C’est une réalité sociale foncièrement ambivalente.

C’est à la fois un pouvoir de… (c'est-à-dire le pouvoir d’atteindre ses objectifs)

Et un pouvoir sur (sur les autres, naturlich)

Et le gros problemo is : le « pouvoir sur » risque toujours de déborder le « pouvoir de »

D’où un anticléricalisme qui a de multiple facettes.

 

 Le célèbre : « Attention. Ne confondons pas. Est-ce que ça vous chatouille, ou est-ce que ça vous gratouille », admirablement joué par Louis Jouvet, dans KNOCK de Jules Romain, (et le succès de cette œuvre) montre l’existence de cet anticléricalisme médical.

Socialement marginalisé, à partir de la fin du XIXe, mais toujours vivace, il se réfugie souvent dans l’œuvre littéraire, voire l’humour.

Mais, au-delà de la caricature, l’oeuvre de Jules Romain est révélatrice d’un dilemme induit par une médecine entre l’exercice de ces deux formes structurelles de pouvoir : le ‘pouvoir de’ et le ‘pouvoir sur’ :

 Donc, répétons le, le pouvoir de réaliser son objectif (ici de soigner) et le pouvoir sur les autres pour maximaliser les chances d’obtenir cet objectif (ici sur les malades, qui deviennent, dans les sociétés occidentales modernes, des patients, ce qui marque une profonde mutation).

 

Le pouvoir de soigner est la responsabilité du médecin, et n’est jamais facile à exercer. Il comporte, depuis 1 siècle et demi, deux caractéristiques nouvelles, comme le constatent les historiens Lion Murard et Patrick Zylberman[1].

D’abord la distance entre la connaissance d’ordre scientifique et la perception immédiate s’accentue de façon structurelle (par rapport à la médecine empirique des siècles précédents) :

« La science des microbes mettait en contradiction le savoir et le témoignage des sens, privait le mécanisme de l’infection de tout support perceptif et détachait de la sorte la compréhension de l’imagination » (page 430).

Ensuite, désormais, le diagnostic devient précoce et incite à traquer la maladie (et la contagion) avant même son apparition :

« Et voilà le médecin en grand danger de s’aliéner des populations en quelque façon coupables des maladies qu’elles négligent d’étouffer. ‘Ce n’est pas seulement le malade qui est dangereux, leur serinait-on matin, midi et soir, c’est surtout le futur malade’ » (idem, 431).

 

   Une fois leur double constat effectué, les deux historiens sont logiquement conduits à parler des médecins comme des « ministres du culte nouveau » (idem, 431). En effet, au nom de leur connaissance de réalités invisibles, inapparentes, et du but qu’ils poursuivent, ils tendent à vouloir imposer des normes globales de vie.

L’exercice de leur ‘pouvoir de’ implique ‘pouvoir sur’, une domination sur autrui, consciente ou non peu importe.

L’existence de chaque être humain porte un ensemble complexe d’aspirations, de désirs, de volonté d’autonomie, d’objectifs divers.

La santé en fait partie, mais elle est loin d’être le seul, et on est d’autant moins enclin à lui sacrifier tout le reste, à accepter ‘le pouvoir sur’ que revendique le médecin, qu’un certain doute persiste sur son réel ‘pouvoir de’

(comme le montre l’empressement enthousiaste et unanime des foules de faire la queue pour être vaccinés contre la grippe H1N1 ! Nos concitoyens seraient-il tous devenus des « femmes musulmanes ? »

 

.Comme à l’égard du prêtre (terme pris dans un sens générique), dont la responsabilité dominatrice consiste à vous conduire vers « le salut », une relation ambiguë, faite de proximité et de distance, de confiance et de suspicion, s’instaure depuis lors entre le patient et le médecin.

Comme auparavant le laïc voulait pouvoir bénéficier des « secours de la religion », sans trop être sous sa coupe, le patient cherche à profiter des secours de la médecine, sans trop obéir aux prescriptions médicales, sans trop être sous la coupe du médecin.

Le libre choix du médecin (et donc de son sexe !) auquel on livre l’intimité de son corps est une précieuse liberté publique qui permet que le ‘pouvoir sur’ médical ne soit pas totalisant.

 

Mon petit doigt m’a dit que la présidente d’alors du HCI était une ancienne maoïste. Alors, qu’elle prenne (comme moi) un coup de jeune,

Et que nous allions ensemble manifester et crier à plein poumons : « Vive la juste lutte des femmes (dites) musulmanes contre le cléricalisme médical »

 

O gué, O gué, comme dirait Brassens.

 

PS : internautes chéris, si vous êtes très sages pendant le week-end, que vous alliez bien voir un médecin du sexe opposé, que vous vous fassiez vacciner, et que vous récitiez trois Ave, deux Pater et trente trois fois notre belle Devise républicaine,

Vous aurez sur votre Blog favori, dés le début de la semaine, ma nouvelle audition concernant le « voile intégral ».

Avec de l'inédit, en première mondiale; promis, juré. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] L’hygiène dans la République, Fayard, 1996.

Commentaires

"on a été socialisé à accepter le pouvoir du médecin, alors que l’on n’a pas été socialisé à accepter le pouvoir de l’employé de l’aéroport"

C'est très vrai :)

Le médecin est probablement le seul individu qui s'attend à être immédiatement obéi lorsqu'il dit à un quasi inconnu "déshabillez-vous".

Écrit par : luna | 20/11/2009

Entre les niaiseries du HCI sur le choix de son(sa) gynéco par une femme musulmane (mais qui aurait pu être bouddhiste, agnostique et ce qu’on voudra) et l’analyse du pouvoir médical – à mon avis largement dépassée, mais plutôt dans le sens de l’obscurantisme, voir les tombereaux de sonneries sur la vaccination et le nouvel ordre mondial – pouvoir de et pouvoir sur, le lien ne me paraît pas très évident.
Si l'admiration, que dis-je ? l'enthousiasme, l'adhésion, la quasi adoration, que j'ai pour l'auteur ne me retenait, j'oserais même employer le mot impie d'amalgame.

Écrit par : J. F. Launay | 21/11/2009

"La construction d'un imaginaire social concerant la femme musulmane", je suis épatée... par tant d'aveuglement...volontaire. Sur quel compte vous mettez l'affaire judiciaire du mari musulman qui après avoir menacé de castagner le médecin mâle qui voulait s'occuper de sa femme a cru futé d'intenter un procès à l'hpital parce que suite à ses exploits son fils est resté handicapé, l'intervention médicale n'ayant pas pu avoir lieu dans le délai nécesité par l'urgence ? Ce ne sont pas les femmes qui posent problème dans les affaires médicales mais les maris qui s'en croient (encore) les uniques propriétaires. Il s'agit d'un problème réel et non pas seulement "imaginaire". Les femmes préférant des femmes pour les soigner n'en font pas pour autant des esclandres et des pugilats quand leur souhait n'est pas pris en compte pour des raisons matérielles d'organisation.

Écrit par : gigi-3 | 22/11/2009

Un article dans le Figaro intitulé : les nouvelles exigences musulmanes dans les entreprises... et aussi dans les hopitaux ! Pour enrichir notre "construction du fantasme social de la femme musulmane". On y apprend que les maris ne veulent pas que leurs femmes soient examinées par des hommes de façon assez fréquente pour que le personnel se sente découragé et abandonné.

http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2009/12/16/01016-20091216ARTFIG00067-islam-de-nouvelles-revendications-en-entreprise-.php

Écrit par : gigi-3 | 17/12/2009

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