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24/10/2010

Suite sur le pluriculturel

Gigi III me chahute parce que j’emploie le terme de « pluriculturel », elle trouve que c’est une astuce que je viens d’inventer pour éviter le mot « multiculturel ». Eh non, Gigi III, il faut lire l’ensemble de mes œuvres immortelles.

Si si, c’est intéressant, je vous l’assure. De plus il faut se dépêcher de prendre connaissance des 23 bouquins parus, car 2 sont sous presse, un va sortir dans un mois et l’autre au début de l’an de grâce 2011.

On en reparlera.

Pour le moment, revenons à … nos moutons pluriculturels. Je disais que je n’avais pas attendus les débats d’aujourd’hui.

On trouve en effet l’expression « la France pluriculturelle » en sous titre d’un de mes livres qui date de …1988[1], c'est-à-dire avant qu’il y ait un débat français passionnel sur le multiculturalisme.

De même les intellos (in Le Monde, aux Rendez-vous de l’Histoire de Blois, etc) trouvent génial le titre du dernier livre de Raffaele Simone : Le Monstre doux[2] .

Ce titre veut rendre compte d’un « modèle tentaculaire et diffus d’une culture puissamment attirante, au visage à la fois souriant et sinistre qui promet satisfaction et bien être à tous en s’assurant de l’endormissement des consciences par la possession et la consommation » 5’ème de couv.)

Mais, Amis internautes, ce Blog vous propose, gratis pro Lady Gaga, depuis plus de 5 ans une rubrique intitulée « La douceur totalitaire » qui vous cause présisly de cela. Et sans croire, comme le fait Simone que cela est du à la droite, et qu’une vraie gauche en serait indemne.

Que nenni, c’es plus global.

 

Bref,eh oui, il a tout inventé votre Baubérot :

l’Appel du 18 juin avant Galilée,

la théorie de la relativité avant Voltaire

et le fil à couper le beurre avant la loi de Sarko Ier sur les retraites.

 

Un peu de sérieux.

Précisons : dans ma manière de parler : pluriculturel est un état de fait, le multiculturalisme, dans ses 2 versions libérale (cf Will Kymlicka) et communautarienne (Charles Taylor) une philosophie politique.

Maintenant, d’autres prennent la chose autrement, ainsi mon pote Henri Goldman  estime lui que le multiculturalisme est un fait et que le projet politique, c’est l’interculturalisme.

Il dit cela à partir d’une réflexion que je partage sur les propos d’Angela Merkel

http://blogs.politique.eu.org/Le-multikulti-a-t-il-echoue.

 

OK donc, sauf qu’à mon sens, l’interculturalisme tel qu’il l’entend et le multiculturalisme libéral de Kymlicka se ressemblent beaucoup, mais peut-être le terme d’interculturalisme est-il meilleur dans la mesure où certains peuvent croire que le multi n’est qu’une juxtaposition.

Cependant, je crois l’avoir déjà écrit dans ce blog, en fait moi je suis partisan, face à l’aspect pluriculturel des sociétés modernes, et notamment de la France et du Québec, de jongler un peu avec les 3 termes de multiculturalisme, interculturalisme et républicanisme.

Chacun d’eux est intéressant s’il n’est pas pris comme un absolu, mais est mis en interaction avec les 2 autres.

Voila un auto-pillage, je terminais une Note au printemps 2009, ainsi (et, miracolo, je suis toujours d’accord avec moi-même) :

 

Il faut articuler trois niveaux différents:

 

  1. Celui du Multiculturalisme : non comme juxtaposition des cultures mais comme possibilité pour ces cultures de continuer à être vivantes (c'est-à-dire à la fois transmises et réinterprétées) en situation diasporique.

 

  1. Celui de l’Interculturalisme :

·        Contacts, échanges : réduction de la « menace » de l’altérité : comprendre les divers systèmes de représentations en présence sur la scène sociale

·        Transversalité : développements d’apports réciproques de synergie

 

Cela signifie-t-il un abandon du « républicanisme » ? Non : un niveau républicain doit être également présent.

-          pour éviter que les rapports de force de l’espace public de la société civile porte atteinte à l’autonomie des sphères politique et privée (cf affaire dite des « tribunaux islamiques » de l’Ontario).

-          pour éviter les tentatives de groupes d’englober l’identité des individus, d’instrumentaliser les « pratiques d’ajustement » qui ont pour objet des individus et non des groupes.

-           pour tirer le culturel, de l’ethnicité vers l’universalité.

 

Le républicanisme joue, là, la fonction d’

  1. Universalisme en devenir et chaque culture est considérée comme une part d’universel.

 

Laïcité interculturelle comme laïcité roseau, plus résistante aux tempêtes sociale que la laïcité chêne de la fable de Jean de La Fontaine.

Apte à assumer le frottement entre cultures tout en évitant le conflit de civilisations.

 

 Pour continuer sur les dits « souchiens » (cf. ma Note du 17 octobre), il y a historiquement en France, déjà ce que, sous la  IIIème République on appelle les « petites patries », qui, avec les régions frontalières notamment, lieux privilégiés de passage et donc aussi d’« influences étrangères », et d’autre part, les migrations temporaires ne donne pas un phénomène totalement hétérogène du pluriculturalisme d’aujourd’hui.

Je vous ai dit il y a une semaine, que les Limousins de mon village (et d’autres proches) savent que leurs ascendants ont vécu dans le coin depuis Louis XIV et même au-delà.

Mais ces agriculteurs étaient des migrants temporaires : à la morte saison les hommes partaient comme maçons dans différentes villes françaises, voire étrangères et… en ramenait ce que les autorités appelaient « le mauvais esprit de la ville » !

Et en même temps, les « petites patries » n’étaient pas des phénomènes diasporiques, mais de terroirs, avec des traditions et des us et coutumes.

Et donc il y a un mélange de proximité et de distance avec la situation actuelle.

 

Ceci dit, il y a toujours eu aussi quelque chose que l’on peut appeler la « culture française », intégrant au fur et à mesure des apports culturels internes, extérieurs, influençant les « petites patries » et exportant des schèmes culturels hors de France.

C’est une sorte de sédimentation historique.

Alors la « grande patrie » se voulait à la fois la résultante des « petites patries » et une passerelle vers l’humanité entière.

Elle l’a été, assez souvent, de façon impériale, et exportation a (partiellement) rimé avec conquêtes.

Mais pas seulement : l’influence française au Mexique était assez forte en 1860, lors des lois de Réforme, et l’expédition de Napoléon III a pas mal gâché les choses.

Cela n’a pas empêché un « modèle mexicain » de laïcité de fonctionner en France dans l’avant 1905, j’en ai déjà causé.

Donc tout cela circule.

 

Que certains, aujourd’hui, se sentent vocation d’être particulièrement les passeurs soit de cette culture traditionnelle de « petites patries », soit de la culture française classique, loin de me choquer, me réjouit plutôt :

Ce peut-être, c’est un bon antidote à la déculturation, à la culture massifiée d’une communication de masse qui, privilégie unilatéralement le quantitatif.

Au monstre doux, à la douceur totalitaire dont je causais au début de la Note.

J’écris cela sans pudibonderie : j’aime bien des séries télévisées américaines, que ce soit FBI portés disparus, Closed Cases ou d’autres, je ne boude pas la scène télvisuelle.

A condition de ne pas être dupe

A condition qu’il y ait de multiples contrepoids.

 

Donc, OK pour les cultures « souchiènnes »

Mais, que l’on soit bien d’accord :

 

-d’une part, cette double culture soit « traditionnelle », « vieille France » ou « terroirs », soit  « classique », peut être tout à fait promue, transmise, etc par quelqu’un d’origine chinoise ou autre.

Ce n’est nullement une affaire de sang pur qui abreuverait nos sillons.

Et cela, c’est normalement la base du républicanisme français (là-dessus je rejoins également Goldman) : le sol où on habite, pas le sang. On doit donc pouvoir être un fils adoptif ou une fille adoptive.

 

Or le hic, c’est que, trop souvent, que ce soit par filiation ou adoption (pour continuer cette métaphore), la seule possibilité qui vous soit offerte, notamment quand vous êtes jeune, c’est la prédominance de la culture télé.

Culture télé dont on voit les brillant résultats chez notre Leader Maximo.

Et là, je sais que je vais provoquer des réactions indignées, mais tant pis, je le dis comme je le pense : de façon dominante les profs ne sont plus aujourd’hui un contre poids culturel.

Et merde, avant de gueuler, mes amis, sachez vous mettre un peu en question.

Ou si vous êtes de ‘bons profs’, si vous n’êtes pas dans ce que je décris, sachez échapper au réflexe corporatiste de défense sommaire de vos collègues.

Pour ma part, je suis souvent déçu quand je rencontre des profs du secondaire (tout en les trouvant sympas, ce n’est pas cela le problème !) :

à une véritable démarche de connaissance, ils préfèrent trop souvent de pseudo « bonnes » émissions de radio ou de télé qu’ils opposent aux « mauvaises ».

C’est Arte ou France culture contre TF1.

Mais cela reste un univers culturel à dominante radio-télé, avec tout ce que cela signifie.

On est toujours dans le « monstre doux ».

Et c’est souvent désastreux, car on perd l’idée de ce qu’est une véritable démarche d’objectivation.

 

Bien sûr, moi aussi je me sert de ces véhicules radio-télé, j’en joue également, mais le problème, c’est quand ils deviennent l’horizon culturel, alors que dans es pseudo bonnes émissions, dans pas mal de cas, la conviction l’emporte sur le savoir.

Il faut absolument décrypter, et pour décrypter avoir d’autres sources plus sérieuses.

 

Alain F., le samedi est typique de cette ambivalence, et certains croient qu’il s’agit d’un grand intellectuel. Alors qu’il le reconnaît lui-même il théorise sur ses émotions.

On ne sort pas de l’émotionnel médiatique, et aussi du « je sais tout sur tout », je suis capable de parler de tout.

Et alors le « combat du bien » l’emporte sur l’analyse.

Mais il y en a beaucoup d’autres, et c’est pour ne pas focaliser facilement le débat sur lui que je n’ai pas mis son nom en entier.

Moralité : on loupe (et du coup on n’éduque pas assez) un double rapport à la radio-télé qui est fondamental :

-un rapport critique

-un rapport ludique

C’était la rubrique sachons faire preuve de réflexivité, empruntons à la morale laïque de papa le souci de « l’examen de conscience » !!

 

Reprenons le fil :

-d’autre part, toute culture, pour être vivante, doit être dans la logique d’import-export, de double transfert culturel. Une culture close, qui se replie sur elle-même s’appauvrie, se fige et se folklorise.

Et donc, pas de peur à l’égard de personnes bi-culturelles, de  cultures diasporiques se développant en France, de phénomènes de métissage.

La recherche de la pureté culturelle est une impasse, tout comme la recherche de la pureté morale, par le port du voile intégral, ou bien d’autres manières moins visibles et socialement plus acceptées.

Le problème est d’être dynamique. Plus on est dynamique, moins on a peur.

 

Enfin, que les ressources culturelles « souchiennes » contribuent à une lucidité autocritique.

A ce qu’en langage intello, on appelle la réflexivité.

Et la réflexivité, cela manque souvent à l’appel.

 

Les grands défenseurs des Lumières me font souvent bien rigoler, car ils sont eux dans l’obscurité :

les Lumières c’est « comment peut-on être persan », c’est le regard vers des modèles extérieurs, qu’ils soient anglais ou chinois (Confucius, via les jésuites en plus), c’est la projection dans l’avenir et non la nostalgie d’une époque passée.

 

Et ma « souche » limousine, est en partie ce qui me fait mieux comprendre ce que l’on croit être l’altérité :

quand une de mes étudiantes me racontait le « bled » dont ses parents étaient issus, je retrouvais….. ma fameuse grand-mère et au-delà ce qu’était mon village il y a un siècle ou un peu plus.

Et il y avait des formes de démocratie villageoise, et les rapports homme-femme ne peuvent pas se résumer en parlant d’inégalité entre les sexes, c’était plus complexe et il y avait une répartition géographique du pouvoir entre l’intérieur de la maison et l’extérieur.

 

Alors, bien sûr, que les femmes aient voulu être maîtresses d’elles mêmes, de leur destinée, à l’extérieur, qu’il y ait eu mille raisons de bousculer cet ordre traditionnel, OK.

Mais ce que je veux dire, c’est que ma culture limousine, ma « souche » paysanne fera que je ne me laisserais pas prendre par les stéréotypes ambiants des beaux messieurs et belles dames, et que, comme les paysans de chez moi, je penserai : il n’y a pas de sotte culture, il n’y a que de sottes gens !  

 

 

 

 

 



[1] Le protestantisme doit-il mourir ? La différence protestante dans une France pluriculturelle, Le Seuil, 1988. L’exemple protestant est très révélateur de la difficulté française du pluralisme, en ceci que les huguenots (le noyau dur historique du protestantisme en France) ont recherché de façon éperdue un loyalisme civique et que, jusqu’à aujourd’hui, la (petite) différence protestante a été toujours plus ou moins suspectée, au lieu d’être considérée comme une possible richesse pour notre pays.

[2] Gallimard,  octobre 2010. On en reparlera.

17/10/2010

Souchiens, Gaulois, Pure Laine, etc... dans une société pluriculturelle

CONSTRUIRE LE COUP D’APRES

 

Dans ma Note du 2 octobre, je promettais une suite, qui n’est pas encore venue.

Et dans une Note beaucoup plus ancienne (j’ai la flemme de rechercher la date, si cela vous tente….) j’avais commencé un propos sur les dits « souchiens » (terme ayant été contesté par certains Internautes). Là encore j’avais promis une suite.

Vous allez finir par croire que je ressemble à je ne sais plus quel président qui avait promis qu’on gagnerait plus, pour peu que l’on travaille un peu plus !

Eh bien NON.

Je ne veux pas avoir contre moi une manif qui rassemble 3 billions de personnes selon la police et 800 selon les syndicats.

« Tout vient à point à celui qui sait attendre »,  disait ma fabuleuse grand-mère (dont je vous ai plusieurs fois parlé, parfois en l’instrumentalisant honteusement bien sûr…). Voici donc, en vitesse, quelques unes de mes réflexions.

 

Je partirai  d’un constat : actuellement certains/certaines se réclament d’une identité de « Souchiens », de « Gaulois », de tout ce que vous voulez (mais on comprend bien ce que cela veut dire). Au Québec on appelle cela les « Pure laine ».

En général, cela fait hurler.

Pour ma part, au risque de faire également hurler mes propres amis, j’ai une attitude assez différente et j’estime qu’il vaut mieux ne pas s’en tenir à une indignation sommaire.

 

Bien sur, dans la mesure où il s’agit de revendiquer une identité ethno-raciale, dont seraient exclus tous qui n’auraient pas « le sang » adéquat : OK, c’est totalement craignos. Le  refus s’impose.

Mais, il peut s’agir aussi d’autre chose qu’il fait être capable d’entendre, et donc d’écouter en surmontant la première réaction d’indignation.

L’indignation, c’est comme la peur : elle est mauvaise conseillère.

 

Et le discours : nous sommes tous des enfants d’immigrés n’est pas performatif car il est partiellement exact et partiellement faux.

Allez prétendre cela aux habitants de mon village natal où, pour des problèmes de terrains ou d’autres conflits villageois, des gens sont allés un peu fouiller dans les archives notariées et ont ainsi réussi à trouver leurs ascendants jusqu’à Louis XIV (les archives ne vont pas au-delà)…

Les gens vous riront au nez et n’auront pas tort car, pour ce qui les concerne, c’est en général archi-faux.

Et tenez, ma grand-mère, justement, elle avait fait scandale dans sa jeunesse en épousant un gars d’un village qui se trouve à 12 km du sien, mais qui est de langue d’oïl, alors qu’elle était de langue d’oc.

Elle avait franchi une frontière symbolique, que l'on respectait habituellement.

Et donc, à un niveau strictement empirique, il existe bien des gens qui ont une identité, non seulement franco-française mais limousine, picarde, bretonne, etc (on reviendra sur la complexité de la chose, car bien sûr, c'est plus compliqué!)

 

Et en quoi serait-il gênant qu’on ne soit pas tous des descendants d’immigrés ? Que certains s’estiment être de « vieux Français » (ou des Québécois pure laine)

Le problème est qu’on ne fasse pas de cette « vielle souche » française (ou québécoise) un argument ethno-racial, un motif à exclure.

Il faut donc arriver à séparer les 2 aspects

Et si les 2 se trouvent mêlés actuellement, ne faut-il pas trouver comment séparer le bébé et l’eau (sale) du bain, plutôt que les jeter ensemble aux orties ?

 

Vous me direz, c’est hors de saison ; le problème aujourd’hui c’est le développement d’une attitude de rejet, c’est le gouvernement qui ethnicise les Roms, fait voter loi sur loi contre les étrangers, etc.

OK mais….

Je déteste les classements entre « bons » et « méchants » : je l’ai dit aux Rendez-vous de l’Histoire de Blois[1], et cela ne vaut pas seulement quand on idéalise les bons partisans de la laïcité, face aux mauvais que l’on qualifie rapidement d’ « intégristes ».

On n’est pas non plus les bons antiracistes en guerre contre les méchants racistes.

La bonne conscience, à la porte...

En revanche, gagner la bataille du racisme, c’est devenir assez intelligents pour offrir à toutes/tous, y compris celles et ceux qui nous révulsent, un projet OU ILS SONT INCLUS.

Être capable de proposer un avenir partagé, inclusif.

Un avenir qui délivre de la peur, des crispations, de la haine.

Un avenir où tous/toutes puissent se projeter.

 

C’est que j’appelle : le COUP D’APRES.

 

Alors certes, je suis à la fois utopique et réaliste, c'est-à-dire que je ne pense pas que 100% des gens l’accepteront.

Ce que l’on peut raisonnablement espérer, en revanche, c’est que cesse de grandir le flot de celles et ceux qui sont attirés vers celles et ceux qui surfent sur les craintes et frayeurs diverses, qui creusent les antagonismes en les survalorisant, en les mettant au devant de la scène.

C’est que se produira alors une coupure entre une petite minorité d’indécrottables adeptes du racisme, et une majorité qui leur ressemblait, semblait épouser leur vue, mais il s’agissait surtout de la mise en mots de leurs inquiétudes.

Il s’agissait surtout de gens qui n’arrivaient plus à se projeter dans un avenir partagé, et ressentaient une menace.

 

Le coup d’après, c’est qu’a réussi Jaurès en 1905.

Jaurès revenait pourtant de loin. Il avait été partisan de la laïcité intégrale, c'est-à-dire de considérer les catholiques intransigeants[2] comme des ennemis à abattre. Il avait été un « super Combiste », c'est-à-dire quelqu'un voulant aller plus loin que les mesures prises par Emile Combes.

Et, en fait, plus on tapait sur les catholiques intransigeants, plus ils s’avéraient dangereux, et plus il fallait prendre des mesures radicales contre eux.

Jaurès a heureusement finit par comprendre, qu'il s'agissait d'un engrenage fatal pour la démocratie, et pour ce qu’il appelait la « République sociale ».

 

Il a viré, et a changé de stratégie.

Il s’est dit : supposons le problème résolu et les catholiques acclimatés à la laïcité… et, à partir de là, cherchons comment ils pourraient effectivement s’y acclimater.

Et il est passé d’une laïcité intégrale à une laïcité accommodante.

Une laïcité qui sépare  un noyau laïque du respect des traditions (et oui, Jaurès il a dit qu’il y aurait « injustice et violence » à prendre des  dispositions qui troubleraient les gens dans leurs traditions et leurs habitudes[3])

Il a soutenu Aristide Briand, qui ne mélangeait pas, dans la proposition de loi, sur la séparation des Eglises et de l'Etat,  le bébé et l’eau du bain.

Et autant la recherche de la laïcité intégrale, le combat des bons laïques contre les méchants catholiques, a été une impasse, autant la loi de 1905, a rapidement  doublement  gagné (en établissant la laïcité et en ramenant le calme), malgré le refus du pape.

Le pape bien embêté de ne pas avoir la « persécution » qu’il appelait de ses vœux, car elle aurait durci le combat et remobilisé ses troupes.

 

Voilà ce qu’il faut entendre par le coup d’après.

Voilà ce que cherche votre Baubérot chéri : avoir un coup d’avance sur l’événement, et non être tout le temps à sa traîne.

Voyons ce que cela peut signifier pour les dits souchiens, gaulois, pur laine et compagnie

 

(A suivre : promis juré : je ne vous ferai guère attendre) 

 

 

 

 

 



[1] Où certains profs ont manqué de civilité à l’égard de Valérie Pécresse. On n’était pas dans un meeting politique. Que ces profs ne s’étonnent pas d’avoir des élèves inciviles : ils donnent eux-mêmes le mauvais exemple !

[2] L’intransigeantisme est un terme qui a, lui, beaucoup plus de validité scientifique que celui d’intégrisme, comme j’ai tenté de l’expliquer à Blois (mais en 3 minutes ce n’était pas évident) et la modératrice a répliqué : « il y a d’un côté la science, de l’autre la vie » ! Légère contradiction quand on prétend lutter contre « l’obscurantisme » !

[3] Vous trouverez cela  (et bien d’autres choses passionnantes encore) dans l’excellent ouvrage de mon éminent collègue, et néanmoins ami, Jean Baubérot, L’intégrisme républicain contre la laïcité, L’Aube, 2006, p. 171 (mais que cela ne vous dispense pas de lire tout le livre, petits coquins)

12/10/2010

Table ronde sur la laicite aux Rendez-vous d l'Histoire de Blois + Bruxelles Laique

Chaque annee a lieu en octobre a Blois les Rendez-vous de l'Histoire qui attire beaucoup de monde, interesse par l'histoire et le travail des historiens.

Cette annee aura lieu une Table ronde sur la laicite, intitulee (le titre est assez stereotype, c'est le moins que l'on puisse dire, mais il faut faire avec) : La république et la laïcité face aux nouveaux intégrismes,

le vendredi 15 octobre a 14h precises, avec Jean-Francois Hory, Caroline Fourest, Joelle Dusseau, Jean-Marc Schiappa  et moi meme: Cette table-ronde sera animee par Herve Mesnager. a la Maison de la Magie (juste en face de l'entree principale du Chateau)

http://www.maisondelamagie.fr/


Et un peu plus tard, le 27 octobre a Bruxelles au Festival Des Libertes

Imaginaires collectifs et diversité

Comment articuler les différentes visions du monde - identités, mémoires et utopies - présentes au cœur de nos sociétés plurielles? De quelle manière la pensée sociale et politique peut-elle surmonter les contradictions et devenir vectrice de cohésion, de créativité et de mobilisation? Comment réaliser un consensus sur l'universel ? Face aux déconvenues de la modernité, face aux peurs suscitées par les crises multiples que traversent nos sociétés, les recherches de Gérard Bouchard sur les imaginaires collectifs nous offrent  des pistes de réflexion passionnantes pour « réenchanter » le monde, notamment en réhabilitant le mythe comme ressort de la pensée.

Une conférence  de Gérard Bouchard (historien et sociologue, Université du Québec, coprésident de « la Commission de consultation sur les pratiques d'accommodement reliées aux différences culturelles » au Québec), en discussion avec Vincent de Coorebyter (philosophe et directeur général du Centre de recherche et d'information socio-politiques) et Edouard Delruelle (directeur adjoint du Centre pour l'Egalité des chances et la Lutte contre le racisme et professeur de philosophie à l'ULG)

En partenariat avec le Centre Bruxellois d'Action Interculturelle

Gratis • FR/NL (interprétation simultanée)  • Bol KVS Lakenstraat 146 – 1000 Bxl

 www.festivaldeslibertes.be

PS: pour la personne qui veut savoir ou acheter l'ouvrage cite dans ma Note precedente: je me renseigne

22:22 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (3)

07/10/2010

Voile Intégral. Mort de Claude Lefort

D’abord une nouvelle :

le Conseil Constitutionnel a validé la loi sur le voile intégral : il est interdit partout, sauf dans les « lieux de culte ouverts au public ».

Génial : je suppose que, pour lui, les femmes se rendent au dit lieu de culte en maillot de bain, et mettent leur  voile intégral en arrivant !

Ceci dit, les Internautes savent que j’avais prévu la possibilité de cette ratification.

Non seulement tous les membres du Conseil ont été nommés par la droite (et, rappelons le, à l’exception de Joxe, ils ont ratifié le fait que le Président de la République nomme les responsables des chaînes publiques. C'est tout dire!).

Mais, de plus, cela s’appelle « refiler la patate chaude » : à partir du moment où il y a une loi, soit on la ratifie (malgré ce qu’a indiqué le Conseil d’Etat, ne l’oublions pas), soit on l’abroge. Et alors fusent les accusations de « recul devant l’extrémisme ».

Maintenant, la patate chaude va être refilée à la Cour européenne des droits de l’homme.

Le même dilemme va lui être fait.

 

En attendant, Sarko Ier retourne au Vatican. En toute laïcité.

Belle instrumentalisation de la religion !

En fait, c’est juste pour tenter de récupérer des voix de catholiques choqués par son attitude envers les Roms.

Le Monde ce soir (n° du 8/10) indique que la gendarmerie utilise un fichier « Minorités ethniques non sédentarisées ».

On voit bien là le double jeu : pas de « statistiques de la diversité » permettant d’en savoir plus sur les discriminations, en revanche des fichiers de polices contiennent des indications sur des « caractéristiques ethno-raciales ».

Le titre de la pétition que j’avais lancée avant l’été : « la France que nous aimons, vous la quittez… » était un titre prémonitoire !

Et pourtant, je ne pensais pas que les choses iraient jusque là.

 

 

Après  M. Arkoun, le philosophe Claude Lefort vient de mourir. C'était une grande figure intellectuelle. Pas un intello show-biz. C'est pourquoi il était moins connu qu'eux mais laissera une place beaucoup plus durable. Ceci dit, j'ai eu l'occasion de "montrer ma différence" comme on dit.

En effet, s'il a été une figure de proue de la pensée antitotalitaire, il a peut-être moins perçu ce qu'est la douceur totalitaire de l'extrême centre dans les sociétés démocratiques. No body is perfect!

 

 

Voici donc un dialogue sans concession que nous avons eu:

 

 

Jean Baubérot : « Ce qui me semble peut-être le plus dangereux aujourd’hui, ce serait une sorte de totalitarisme d’extrême centre qui est sans doute plus agréable qu’un totalitarisme d’extrême droite ou d’extrême gauche, mais qui a tendance à réduire la délibération, à vouloir gérer des indignations collectives et sélectives contre des déviants, des bouc émissaires qui se multiplient. On veut à la fois gérer de l’émotionnel et de l’audimat, parvenir à des émotions consensuelles.

(…) Et peu à peu se crée de l’indignation obligatoire dans certains domaines et de l’indifférence éthique obligatoire dans d’autres. L’individu ordinaire ne peut plus être mis en question et c’est précisément ainsi qu’il se déshumanise, se robotise peu à peu. »

 

 

Claude Lefort : « Quand on fait le procès des médias et de ce qui serait la mollesse de la pensée contemporaine, on n’a pas le droit pour autant d’employer le mot de totalitarisme du centre, qui paraît être une telle dégradation du langage qu’il n’a rien à envier au premier que nous entendons sur les ondes »

 

 

Jean Baubérot : « C’est passer radicalement à côté de la question que de réduire ce que j’ai dit à « de la mollesse de la pensée ». Il s’agit de l’obligation d’une non-pensée normative d’autant plus insidieuse qu’elle prétend respecter le pluralisme. Si on sous-estime ce problème alors il ne faut pas s’étonner que ses propos intemporels sur la démocratie n’aient plus de prise sur la réalité sociale »

 

 

Table ronde finale « La religion à l’âge démocratique » des Actes du Colloque organisé à la Sorbonne La France, l’Eglise quinze siècles déjà  ("Commémoration des origines de la Gaule à la France") publiés sous la direction de Marceau Long et François Monnier, Droz, 1997, p. 192-193.

 

 

J'ai été étonné qu’il ait réduit ce que j’avais tenté de dire à un, (bien sûr) beaucoup trop facile, « procès des médias » et de la « mollesse de la pensée contemporaine ».  Mais ce que je retiens de lui, c'est notamment ce qu'il a écrit : « La révolution démocratique moderne », suppose une « mutation : point de pouvoir lié à un corps. Le pouvoir apparaît comme un lieu vide et ceux qui l’exercent comme de simples mortels. »

 

 

 

 

 

 

20:09 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (4)

02/10/2010

DIVERSITE? J'ECRIS TON NOM

Il y a quinze jours, j’écoutais l’émission de Finkielkraut sur France-Culture. Catherine Kintzler a déclaré être « plutôt pour la loi » interdisant le voile intégral. Chacun sait que je suis contre.

Ceci dit, nous ne sommes pas en guerre, et elle a dit des choses fort judicieuses.

Elle a affirmé notamment quelque chose comme (je n’ai plus en tête les termes exacts, mais c’était le sens du propos) : la diversité la plus fondamentale est celle qui existe entre deux êtres humains.

En écoutant cela, je me suis exclamé : « Ouai ! Va-y Catherine, tu es la meilleure (des philosophes républicains/es). »

Et j’ai dansé une samba endiablée, enfin presque, je me vante un peu…

Mais c’est pour dire que je suis totalement d’accord.

 

Chacun sait que dans notre système démocratique (« bureaucratico-légal » dirait Weber), le pouvoir, le poids social ne doit pas provenir de privilèges de naissance (ou autres), mais de l’exercice temporaire de certaines fonctions.

Hormis sa fonction, le détenteur de pouvoir est un être humain comme un autre, idéalement soumis aux mêmes droits, aux mêmes devoirs.

De même la loi, et les règles sociales qui lui sont liées, doivent être égales pour tous, s’appliquer indistinctement à tous.

Pour reprendre le propos de Weber : derrière son guichet, l’employé sert tout le monde également, jeune ou vieux, femme ou homme, de droite ou de gauche, rose-blanc, blanc foncé, noir, jaune,…, non-croyant ou croyant de multiples manières, valides ou handicapés, personnes d’orientation sexuelle différente .

De même pour louer un appart, et plein d’autres actes sociaux, il doit en être ainsi.

Quand des discriminations existent, elles sont choquantes. On doit chercher à les faire disparaître.

 

Voila le schmilblick (comme dirait Coluche Heidegger). N’insistons pas sur les avantages certains d’un tel système, quand on le compare à un autre où telle ou telle discrimination serait structurelle. Je pense que les Internautes qui surfent sur ce blog n’ont pas besoin d’être convaincus.

La grandeur de l’idéal poursuivi est manifeste : chaque être humain est semblable à un autre. Tous ont droit à une égale dignité.

Pourtant, Max Weber a montré que ce mode de pouvoir, qui s’exprime dans des lois et s’incarne dans des bureaux est aussi « la domination de l’impersonnalité la plus formaliste » (c’est dans Economie et société ; je le cite de mémoire. De toute façon, cela vous fera du bien d’aller chercher dans le bouquin qui, maintenant, est en -gros- livre de poche).

 

Bref ce fonctionnement dépersonnalise, il a tendance à rendre les êtres humains interchangeables, à développer leur caractère anonyme

(D’ailleurs les médias clivent les gens en deux catégories : les stars, des médias, du show-biz, du sport, de la politique, des lapsus à la Rachida Dati[1], et… tous les autres, significativement nommés les « anonymes »)

 

Quelques décennies avant Weber, vers le milieu du XIXe siècle, un théologien protestant (eh oui, cela va peut être encore provoquer des réactions style chien de Pavlov, mais j’assume !), Alexandre Vinet (1797-1847), avait déjà perçu ce danger au sein même, écrivait-il, de ce qu’il y a de « bon » dans l’évolution du monde moderne.

On pourrait aussi citer Tocqueville, mais c’est plus connu que Vinet, et le but du blog est, notamment, de vous faire découvrir de jeunes talents méconnus !

 

Bref Vinet écrivait dans ses Essais de philosophie morale (1837)[2] quelques propos qui me semblent, ma brave dame, toujours d’une trooouuublante actoualité (même si le vocabulaire est garanti d’époque, naturlish):

« Dans la société (…) l’individualisme est sur le trône, et l’individualité est proscrite ! L’être réel, vivant, portant un cœur et une conscience est tout prés d’être nié ; (…) Le panthéisme social ne lui laisse pas plus de personnalité que n’en a la goutte de l’Océan ; ce n’est plus un homme, c’est un chiffre, une quantité, une fonction, tout au plus un ingrédient. »

Et donc « il paraît expédient que les qualités trop prononcées s’effacent (…), que chacun ne se cultive que dans le sens de la société, laquelle a besoin de ses talents, de sa fortune, de ses forces et non pas de lui. »

Ainsi les être humains tendent à ressembler « à des exemplaires parfaitement imprimés d’un même écrit »

 

Pour remédier à ce danger, Vinet prône l’individualité, versus l’individualisme. L’individualité est pour lui la « combinaison de qualités humaines qui distinguent un être de tous ses semblables et ne permet pas de la confondre avec aucun d’entre eux ».

Grâce à l’individualité « les noms communs deviennent des noms propres »[3].

Cette combinaison entre l’égalité par l’équivalence et la différenciation par l’individualité est, pour Vinet, celle de la logique amoureuse :

Là un être est postulé différent de ses semblables. Ces derniers ont autant de dignité humaine (et d’ailleurs, on a plutôt tendance à se montrer sympa avec tout le monde quand on est amoureux), de droits, que l’être qui est distingué d’eux.

Pourtant, pour l’amoureux, cet être là est unique, sans ressemblance aucune avec quiconque, sans possibilité d’être interchangeable avec qui que ce soit.

 

Mais, braves gens, amour et système bureaucratico-légal, it isn’t the même chose. "That is the problemo", comme l’affirmait le regretté William.

D'où le problème de la recherche d'identités

(À suivre)

 

PS : Si vous trouvez mes blagues vraiment très très nullos, je vous en supplie, téléphonez à Philippe Val, pour qu’il annonce à tout va qu’il me lourde de France Inter, ainsi je serai très connu et très martyr. Merci d’avance.



[1] Celle là, il fallait bien que je la place quelque part, pour être la copie conforme de la mode du jour !

[2] Je vous livre même confidentiellement (parce que c’est vous, et non un « anonyme » !) la page : 148. En enlevant mes pitreries, vous allez pouvoir la citer, paraître savant et plaire aux gentes dames, si vous êtes (so I am) un sal mec hétéro.

[3] Ca c’est page 141 : eh bien quoi, j’ai b’en l’droit d’lire l’ouvrage à l’envers.

25/09/2010

MON AMI MOHAMMED ARKOUN

Mohammed Arkoun est mort, il y a une dizaine de jours. Je n’ai pas voulu me précipiter pour parler de lui. Je n’aime guère les hommages rendus à chaud. Même quand ils sont très sincères, ils semblent avoir un aspect convenu, un peu désagréable.

En même temps, je ne voudrais pas susciter de fausses interprétations par mon silence. Un ami m’a déjà demandé si c’était à cause de notre «différent » (le mot est de lui) lors de la Commission Stasi, que je m’abstenais de lui consacrer une Note. Je reviendrai sur la Commission. Mais la réponse est, bien  sûr, « non ».

 

Mohammed, c’était d’abord un véritable philosophe. En ce temps où le terme est galvaudé, parce que l’essayisme se pare souvent du manteau de la philosophie, où certains dits philosophes sont beaucoup plus brillants que profonds, ou se contentent de théoriser leur affect, leurs émotions, Arkoun creusait son sillon avec talent, ténacité et courage. Il s’adonnait à l’aventure de la pensée, en prenait les risques.

C’est d’ailleurs pourquoi, il ne voulait guère qu’on lui colle une étiquette englobante de « musulman », même s’il affirmait, en privé, l’être à sa manière. Mais il préférait que l’on le qualifie, s’il fallait le mettre dans une catégorie (ce qui ne lui plaisait pas tellement), de « penseur de l’islam » ou d’ « islamologue ».

 

Alors, bien sûr, nous avons eu des discussions où se différenciait le point de vue du philosophe et le point de vue du sociologue. Mais comme chacun de nous tentait d’être attentif à la cohérence interne de la pensée de l’autre, cela s’avérait plutôt enrichissant. En tout cas pour moi.

 

Nous avons eu des combats communs, notamment celui de l’accueil par l’enseignement laïque d’une approche de connaissance des religions, du religieux, etc (les mots sont toujours un peu piégés). Nous avons participé à pas mal de discussions, de tables rondes, etc en ce sens.

Mais, de façon plus précise, au début des années 1990, nous avons beaucoup travaillé ensemble pour que soit créé un Institut d’Islamologie.

Ancien élève de Massignon, il estimait que l’Ecole Pratique des Hautes Etudes était le lieu le plus approprié pour être l’institution d’accueil d’un tel Institut.

Comme j’étais alors président de la section des Sciences religieuses de l’EPHE, avec l’accord chaleureux de ma présidente d’établissement et des « islamologues » de la section, j’ai géré le dossier.

Des contacts furent établis avec un Conseiller du Président Mitterrand . Un dossier fut peu à peu constitué, grâce à diverses rencontres. Des vues concrètes se dégagèrent.

Bref le projet prenait de plus en plus corps. Le dit Conseiller comprenait parfaitement l’enjeu et se montrait on ne peu plus coopératif.

Chaque fois que nous nous rendions ensemble à l’Elysée, Arkoun développait une vision enthousiaste du futur Institut. Il s’investissait complètement dans ce projet, et lui donnait une ampleur intellectuelle qui me rendait admiratif.

 

Est arrivé quelque chose que je n’ai jamais encore raconté publiquement. Mais près de 20 après, il y a prescription et je dois à Mohammed Arkoun de ne pas laisser dans l’ombre la raison qui a fait échouer ce qui aurait été l’œuvre de sa vie.

Le dit Conseiller avait fait venir à Paris, un leader palestinien, Georges Habbache, qui dirigeait le FPLP (Front Populaire de Libération de la Palestine). Ce leader était très malade et il fallait l’opérer. Mais à l’époque, les mouvements laïques de la résistance palestinienne étaient considérés par les Israéliens comme des groupes terroristes.

 

Bref, les choses s’étaient-elles faites derrière le dos du Président qui l’a fort mal pris,… Je ne sais.

Toujours est-il que, quelques jours après cet incident, nous sommes arrivés, avec nos dossiers sous le bras, très contents car l’affaire semblait presque « finalisée ». Et quand nous avons déclaré que nous avions rendez-vous avec X, ce fut presque comme si nous avions dit une grasse obscénité.

La réaction de l’huissier fut comme si le Conseiller X n’existait pas, n’avait jamais existé. C’était ahurissant : on se serait cru en URSS quand les indésirables disparaissaient des photos officielles.

J’ai tenté de parlementer, de dire qu’X était bel et bien chargé de cet important dossier et que, s’il n’était plus là, il nous fallait prendre contact avec son successeur. Il en avait sûrement un.

L’huissier prétendit qu’il n’était pas habilité à me répondre. Mais il s’avéra qu’il n’était pas habilité non plus à me mettre en contact avec quelqu’un qui, lui, soit habilité !

J’ai tenté ensuite de rétablir le contact par d’autres moyens. Peine perdue ! Le dossier, que nous avions des mois à élaborer, avait sombré avec le Conseiller.

 

On m’a fait comprendre ensuite que quand on traitait directement avec l’Elysée par-dessus la tête du Ministre, c’était quitte ou double. Et sans doute, là, le Ministère de l’Education Nationale avait repris la main, et décidé d’enterrer le projet. Je n’ai bien sûr pas de preuve formelle

Mais si nous avions visé l’Elysée, c’est précisément parce qu’après la 1ère affaire de foulards, celle de Creil, de l’automne 1989, Jospin, très atteint par les attaques dont il avait été l’objet  d’avoir commis un crime de lèse-laïcité, était devenu complètement timoré en la matière.

 

Cette affaire, douloureuse spécialement pour Mohammed, a cependant scellé notre amitié, malgré la différence d’âge.

Nous étions devenus des compagnons d’infortune ! Nous nous sommes vus de temps à autre, au grè de colloques en France et à l'étranger. Nous avons continué nos discussions.

Et dix bonnes années après cet insuccés commun, nous nous sommes retrouvés à la Commission Stasi.

 

Mohamed était en porte à faux dans cette Commission. Il a tenté de faire partager aux autres membres quelque chose du projet qui le taraudait toujours (cela figure d'ailleurs dans les recommandations).

Il considérait, il l’a indiqué en séance, et plus encore dans les conversations personnelles que nous avons eues alors, que se focaliser sur le foulard était une grave erreur. Que ce problème n’était pas essenteil.

Il était donc (et je vais employer un terme faible pour ne pas engager quelqu’un qui ne peut plus me contredire) réservé quant à la nécessité d’une loi.

Il en a quand même voté le principe, avec les autres membres de la Commission. Et nos chemins, là, ont divergé.

 

Je l’ai revu quelques mois plus tard à Barcelone, lors d’une rencontre de l’UNESCO. J’avais des projets pour ma soirée, avant de le revoir, et je les ai abandonnés car, manifestement, il voulait pouvoir me parler à loisir.

Il n’a pas directement abordé son attitude à la Commission, dont il savait pertinemment que je ne l’approuvais pas. Mais il a tenté de me la faire indirectement comprendre. Il a développé longuement un thème qu’il avait déjà abordé de façon plus allusive avec moi : la reconnaissance que, selon lui, il devait à la France.

C’était comme s’il avait contacté une dette incommensurable, une sorte de tonneau des Danaïdes que, quoiqu’il fasse, il n’arriverait pas à combler.

A 75 ans, il n’était toujours pas quitte. Il était encore émerveillé par le fait que lui, fils d’un "petit épicier kabyle"  selon ses propres dire, il était devenu professeur en Sorbonne.

Il avait les yeux qui brillaient en évoquant son instituteur qui l’avait poussé à faire des études, et ceux qui, ensuite, l’avaient formé et avaient reconnu ses compétences.

 

J’ai tenté de lui expliquer qu’il n’avait nulle dette. Je lui ai dit : Mais Mohammed, tous nous avons eu, les uns et les autres, des personnes qui, à un moment ou un autre, nous ont aidé, nous ont révélé à nous-même, nous nous ont donné confiance en nous.

Et, devenus profs, nous tentons de faire de même.

J’ai cherché à lui dire le plus fortement possible que s’il avait fait la carrière qui a été la sienne, c’est d’abord et avant tout grâce à son talent, à son savoir, à son travail.

Que certes, pour certains, la « vie » ne leur avait pas rendu justice et qu’ils n’avaient pas pu donner leur mesure. Lui, ce n’était que justice qu’il soit devenu ce qu’il était. Et c’était d’abord à lui-même qu’il le devait.

Et que l’on pouvait tout aussi bien affirmer qu’il était un de ceux qui contribuent à « enrichir » la France, et non quelqu’un qui aurait une dette éternelle à son égard

Intellectuellement, il acquiesçait. Mais il restait quand même, à un autre niveau, l’enfant, l’adolescent, mal né au niveau des représentations sociales, et à qui on avait donné le clef d’un autre monde qu’il avait cru ne jamais pouvoir atteindre.

Et en le nommant membre de la Commission Stasi, Chirac avait, à son insu, en quelque sorte, réédité cet acte fondateur, le mettant dans l’impossibilité d’être un opposant.

Complexité des êtres.

 

Oui, nous avons pu être en désaccord, mais aujourd’hui la seule parole qui me vient à l’esprit pour conclure est celle-là :

Mohammed  va en paix. Ton œuvre reste, et elle n’a pas fini d’être féconde et de nous faire comprendre à quel point tu étais un grand bonhomme.

 

 

 

1er février 1928 : Naissance à Taourit-Mimoun (Algérie)

1956 : Agrégation d'arabe

1956-1961 : Professeur dans l'enseignement secondaire

1961-1970 : Maître-assistant à la Sorbonne

1970-1972 : Maître de conférences à Lyon-II

1972-1992 : Professeur à Paris-III, établissement de la Sorbonne (ensuite Professeur émérite)

1982 : Publie Lectures du Coran

1984 :  Pour une critique de la raison islamique

1990-1998 : Membre du Comité national d'éthique

2003: Membre de la Commission Stasi

14 septembre 2010 : Mort à Paris

(Source : Le Monde, 23 sept. 2010)



  

 

 

 

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20/09/2010

Le Haut Conseil à l'Intégration: Grand prix 2010 du Bêtisier de la Laïcité

Je voulais vous donner un grandiose bêtisier de la laïcité. Mais avec un avion à prendre, j’ai été stressé par mille choses en retard jusqu’à mon départ.

Alors j’ai du réduire mes prétentions, hélas.

 

Et donné seulement les résultats du

 GRAND PRIX 2010 DU GRAND BÊTISIER DE LA LAÏCITE

 

HORS CONCOURS (toutes catégories confondues) :

N…..s  S…..y :

Les raisons de ce Hors concours, la presse et autres médias vous en ont déjà parlé,

Pas la peine d’insister lourdement

 

Et donc le Grand Prix 2010-09-20 a été attribué, avec (comme à l’habitude) une unanimité stalinienne

Au HAUT CONSEIL A L’INTEGRATION

 

Qu’à fait, cet été, le dit Haut Conseil pour mériter un tel prix ?

Rien, rien justement rien.

C’est l’histoire de Sherlock Homes : le chien qui n’a pas aboyé pendant la nuit.

La chasse aux Roms a été ouverte,

Les « Français d’origine étrangère » ont été mis à part des autres Français

Et le HCI n’a pas fait entendre la moindre protestation

Pas le moindre petit murmure.

 

Le HCI est, comme un brave scout, toujours prêt à durcir la laïcité

Pour les immigrés, le enfants, petits enfants, arrières petits zenfants d’immigrés

Soit par sa géniale Charte de 2007, soit par ses propositions de 2010-09-20

C’est le grandissime, sérénissime, spécialiste de la Laïcité, ce qui montre bien qu’elle n’est pas pour tous les Français,

Seulement pour celles et ceux dont on considère qu’ils ont à « s’intégrer »

Sinon, on ne voit vraiment pas pourquoi ce serait le HCI qui s’en occuperait

Ce serait même fort incongru

 

Donc le HCI durcit la laïcité dans le cadre de « l’intégration »

Mais le HCI ne se sent nullement vocation à défendre Roms et des Français « non de souche » ( ?!!!)

Quand ceux-ci sont attaqués.

Bravo, bravissimo et félicitation pour ce grand Prix du Bêtisier de la laïcité 2010.

   

14/09/2010

La loi sur le voile intégral: des principes à l'application.

Je laisse au chaud pour quand j’aurai vraiment un peu de temps, le texte promis et repromis sur les… comment les appeler ? Cela même fait débat. J’ai parlé des « dits Souchiens », restons en là pour le moment. Cela va rester d’actualité, on a donc le temps de l’aborder. Et on le fera, car c'est important: c'est ce qui s'appelle prévoir "le coup d'après"

Pour le moment, je suis toujours complètement surbooké, donc voici une Note courte. Mais je ne pouvais laisser passer le jour du vote de la loi sur le voile intégral au sénat, sans mettre mon petit grain de sel.

Sur le dit port : j’ai déjà indiqué plusieurs fois ma position (y compris  à des femmes en nicab) : cela traduit une recherche inflationniste de la « pureté », qui me semble illusoire et dangereuse.

On trouve cette tentation de séparation d’avec autrui, par volonté d’être « pur » dans maintes religions ET convictions non-religieuses. C’est d’ailleurs pour cela qu’un non-musulman a, je pense, parfaitement le droit d’engager un dialogue critique sur le sujet avec les personnes concernées

Sur la loi, j’ai également indiqué sur ce Blog et ailleurs, à plusieurs reprises, pourquoi je suis contre. Rajoutons juste 2 choses :

-         Il deviendra beaucoup plus difficile pour des gens comme moi d’indiquer mes critiques, si, suite à une loi, les femmes avec le voile intégral sont pourchassées.

-         Malgré le fait que la loi ne fasse pas référence à la laïcité, elle se trouve symboliquement impliquée dans l’affaire. Or, une fois de plus il s’agit d’une perversion de la laïcité.

 Historiquement, la laïcité a consisté à dégager l’Etat et ses lois de normes morales et religieuses, afin que les individus aient une liberté de choix. La loi de 1975 sur l’IVG est typique de cela. Et il y a encore des choses à faire dans ce sens : cf. le combat de l’Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité. Maintenant, la laïcité consisterait à normer l’individu selon des « dogmes » d’Etat (pour reprendre le terme de J.-J. Rousseau, définissant la « religion civile »). C’est tout le contraire.

La libre-pensée ne s’y est d’ailleurs pas trompée : elle est farouchement contre le voile intégral et résolument contre la loi.

 

Cela est d'abord et avant tout une question de principe. Et donc cela vaudrait même s'il n'y avait pas de difficulté d'application.

Mais, en plus se pose le problème de cette difficulté d’application. Là je vous renvoie à ce qu’écrit le quotidien La Croix, ce matin et dont je vous donne un extrait :

« (…) «Nul ne peut, dans l’espace public, porter une tenue destinée à dissimuler son visage. » C’est sur le fondement de l’article premier de la loi que les forces de l’ordre devront, à l’avenir, verbaliser les femmes portant le voile intégral, si le Sénat entérine définitivement le texte qui lui est soumis.


Juristes et forces de l’ordre redoutent déjà que ce projet de loi ne se révèle très difficile à appliquer dans les différents lieux concernés que sont la rue, les cités, les magasins, les transports et
les points d’entrée en France, comme les aéroports. Dans la rue. Le voile sera ôté à l’abri des regards


Comme pour n’importe quelle infraction commise sur la voie publique, les policiers verbaliseront immédiatement les femmes portant un voile intégral. En ce cas, la vérification d’identité risque d’attiser les tensions. Car si la contrevenante refuse de lever son voile, elle sera
emmenée au poste. « On lui permettra de s’isoler dans une pièce à part, où elle montrera son visage à l’une de nos collègues femmes », précise Jean-Marc Bailleul, secrétaire général adjoint du Syndicat national des officiers de police (Snop). Et ce à l’instar des dispositifs à l’œuvre pour la fouille à corps.


Une fois le procès verbal établi, rien n’empêchera la contrevenante de repartir en niqab… « Dans les faits, les policiers n’auront pas les moyens de faire cesser l’infraction, note la juge Virginie Valton, secrétaire nationale de l’Union syndicale des magistrats (USM). De l’extérieur, on aura donc l’impression que l’action des forces de l’ordre n’a aucune incidence. »


La justice convoquera ensuite les femmes verbalisées. C’est aux juges de proximité qu’il reviendra, in fine, d’opter pour une amende (entre 22 et 150€) et/ou un stage de citoyenneté

Dans les cités. Les forces de l’ordre ne feront pas d’excès de zèle. Sur le papier, la loi s’applique bien évidemment sur l’ensemble du territoire. Reste que, dans les faits, les policiers se disent convaincus qu’on ne les enverra pas dans les banlieues sensibles pour verbaliser les femmes intégralement voilées. « Notre hiérarchie nous demande déjà d’éviter au maximum les cités difficiles de peur que le moindre incident n’embrase le quartier, alors vous croyez vraiment qu’on va nous dépêcher dans les quartiers salafistes pour combattre le voile ? » ironise un policier de la Seine-Saint-Denis.

Sauf à se voir imposer un quota de verbalisations à effectuer, nombre
de policiers avouent déjà ne pas vouloir faire de zèle pour faire appliquer la loi. « On se contentera de verbaliser les femmes présentes en centres-villes, pas plus », précise l’un d’eux. Les femmes appartenant à la communauté salafiste, et qui vivent d’ores et déjà souvent quasi recluses chez elles, ne devraient donc pas être inquiétées. (…) »

Marie BOËTON et Jean-Baptiste FRANÇOIS


Source : La Croix http://www.la-croix.com/La-loi-sur-le-voile-integral-sera...

 

Enfin, comment ne pas s’apercevoir que la politique suivie à l’égard du « voile intégral » fait partie intégrante de la politique sécuritaire sarkozienne, de l’érection de boucs émissaires ultraminoritaires. Le problème est que, là, des gens dits de gôche s’y laissent prendre. Affligeant.

 

Enfin, ne nous parlez pas d’égalité homme-femme Msieurs et quelques Dames Députés et Sénateurs. Si vous vous en souciez véritablement, vous commenceriez par balayer devant votre porte : 82% d’hommes à l’Assemblée nationale, 10 ans après la loi sur la parité : Bravo, faut’l’faire !

Et, quand vous aurez un peu balayé, penchez-vous aussi sur les professions, comme la restauration, dans beaucoup de cas, on enlève aux femmes de plus de 40-50 ans, les postes qui sont en contact avec la clientèle. Une de mes amies a vécu cela et c’est absolument charmant !

Mais rassurez-vous, c’était un bon agnostico-chrétien qui l’a ainsi discriminé : la laïcité est donc saine et sauve. Bravo !

Prochainement dans le Blog : Attribution du Grand Bêtisier de la laïcité 2010.

La loi sur le voile intégral n’est plus dans la course, puisque ses attendus ne font pas référence à la laïcité.

Mais, il reste deux concurrents au coude à coude. Cela va être sanglant !

 

PS : pour J. Minois  (commentaire de la Note du 7 septembre) : eh oui, j’ai rajouté « bisou » dans la liste. Avouez que c’est plus chou que caillou ou pou !

 

12:10 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (7)