28/05/2010
ELOGE DU DOUTE ET D'UNE CERTAINE MANIERE DE CROIRE
Attention : Note réservée à un public averti : moins de 18 ans d’âge mental s’abstenir.
(Cette Note et la suite et la fin de mon dialogue avec J.-M. Schiappa, de la Libre pensée ? Cf. la Note du 20 mai)
Le doute peut conduire :
-Sur beaucoup de points, à de l’agnosticisme plus ou moins prononcé, notamment tout ce qui concerne des réalités vérifiables, mais que l’on a ni le temps ni la compétence de vérifier, et où son opinion serait dépendante du savoir ou du pseudo savoir (allez savoir !) d’autrui, donc d’une foi d’autorité.
Pour ma part, je suis douteur sur beaucoup de points qui semblent évidents, soit à mes contemporains, soit à la couche sociale des intellos, soit à mes diverses familles de pensée,...
-Sur d’autres points, l’agnosticisme est impossible dans la pratique, car existe la nécessité de prendre des décisions pratiques, et l’impossibilité de vérifier scientifiquement la validité des décisions prises.
Donc l’idée est d’accepter (en gros) les croyances reçues jusqu’à preuve du contraire, tout en tentant quand même de trier un peu pour tenter de prendre les moins bêtes, et d’être prêt à changer d’avis quand une qui semble plus intelligente se présente.
L’idée, aussi, est de savoir que l’on ne sait pas, donc de savoir que l’on est forcément dans la croyance plus ou moins stéréotypée, faute de mieux et peut-être temporairement. Bref, d’être ouvert à des idées neuves.
-Sur d’autres points encore, mais dans des champs forcément limités, étant donné le temps, l’énergie, la compétence, et également la solitude intellectuelle que cela demande, en vous coupant des croyances de vos contemporains (mais c’est aussi le cas de l’agnosticisme déjà décrit) d'entreprendre une démarche de connaissance.
Cette démarche vous fait prendre quelque distance avec des croyances stéréotypées, des croyances dominantes… et souvent aussi avec la bêtise ou la médiocrité ambiante.
L’essentiel est qu’il existe au moins un domaine où votre savoir ne soit pas dépendant d’autrui. Ne serait-ce que parce que cela vous apprend ce que c’est que le savoir (à quel point, "ce n’est pas de la tarte" d’acquérir un peu de savoir !).
Et donc, cela vous apprend aussi, pour tout le reste, à savoir que vous ne savez pas. Cela vous apprend le doute méthodologique, art de vivre fondamental.
-Mais, vivre avec le doute méthodologique chevillé au corps n’est guère facile, ni socialement tenable.
Parfois il faut accepter d’être un pratiquant (occasionnel) non croyant des stéréotypes sociaux, par compromis avec the famous « vivre-ensemble ».
Tel qu'on l'invoque aujourd'hui ce "vivre-ensemble" est, en fait, souvent, un compromis avec le conformisme moyen de la société ambiante en général, et aussi parfois de la bêtise satisfaite de ceux qui ont le pouvoir (économique, politique, culturel, etc) en particulier.
Bref, il est assez normal de ne pas avoir envie de se faire tout le temps jeter, de passer pour un asocial ou un fou. Même Galilée a accepté un compromis !
Alors, il faut vaguement reprendre à son compte quelques stéréotypes. Cela rassure autrui, et fait partie de l’éthique compassionnelle, de la nécessité d’être bienveillant envers les handicapés du bulbe.
Mais cela n’empêche pas de garder son quant à soi et d’entretenir soigneusement le doute intérieur au sein même de cette pratique sociale plus ou moins obligatoire :
un peu comme les Marranes espagnols ou les Nouveaux catholiques de la France de Louis XIV
(il s’agit des protestants qui faisaient semblant d’être catholiques, puisqu’on les obligeait à vivre selon le principe « Une foi, une loi, un roi. Et, vous savez quoi, les choses n’ont pas totalement changé depuis lors.)
-Mais, attention, point trop n’en faut et la vigilance s'impose : c’est que, vous leur donnez la main, ils veulent tout le bras, les cons !
Et quand ils ont le bras, ils vous réclament tout entier, corps et âme. Ils ne se contentent pas de cette conformité occasionnelle, ils voudraient que vous leur ressembliez, les petits salauds !
Ils ne sont pas complètement rassurés tant qu’ils ne vous ont pas réduit à leur propre bêtise. Il faut que vous soyez pareil à eux, avec les mêmes œillères, les mêmes angles morts. Ils vous veulent mouton de Panurge, pour pouvoir croire qu’il n’y a pas d’autre manière de vivre que le troupeau.
Ils n’assument pas la partialité de leur être.
C’est d’ailleurs précisément en cela qu’ils sont un peu bêtes (et méchants de surcroît) :
s’ils assumaient la partialité de leurs « idées », ils ne seraient plus dans des stéréotypes sociaux, mais s’aventureraient peu ou prou dans l’itinéraire d’une pensée personnelle.
C’est donc moins une affaire de contenu que de forme. Comme l’a très bien (presque) dit un grand philosophe contemporain : « On peut communier aux valeurs républicaines, mais pas avec n’importe qui »
-Alors, pour ne pas risquer l’accoutumance à la pire des drogue : la conformité sociale bête (et méchante envers tous les minoritaires, les non conformes), tout à coup, de temps à autre, une « saine » colère vous prend :
vous rompez la communion factice et ambiguë avec ceux qui instrumentalisent honteusement les dites valeurs, et/ou retournent leurs vestes avec une facile amnésie sur ce qu’ils ont dit et fait (qui vous déconcerte toujours !).
Attention, en effet, à ce que la gentillesse ne vous rende pas prisonnier du conformisme ambiant.
La bêtise a toujours de solides barreaux. Il y a va de votre survie, il y va de votre liberté, même si la douceur totalitaire de l’extrême centre, de l’extrême stéréotype, de l’extrême évidence satisfaite, peut être bien tentante et induire reconnaissance sociale et notoriété.
-Mais ces moments de lucidité créent toujours peu ou prou de la gène sociale, il sont affectivement, physiquement, socialement très coûteux, alors disposez de votre arme secrète :
vivre un peu décalé, prendre les choses au troisième degré et non au second comme tous les intellos de mes deux.
Le second degré, c’est (pour les Français, les autres trouveront des équivalents) de préférer Arte à TF1, en écoutant Arte au 1er degré, en croyant qu’on a là des « bonnes émissions » de télévision, de l’information « sérieuse », et tout le baratin que peut vous faire très sérieusement l’intello lambda (c'est 10% exact et 90% faux).
Le 3ème degré, consisqte à préférer TF1, mais pas au 1er degré bien sûr. Le 3ème degré, c’est de bien rigoler en regardant les films que Télérama prend avec des pincettes, et auquel ce magazine (à lire par ailleurs) ne met pas le moindre T, sauf quand ces films ont 30 ans, ou 40 d’âge (eh oui, vérifiez !).
L’art de vivre au 3ème degré, c’est de savoir qu’on perd moins son temps à s’intéresser aux extravagance de Lady Gaga qu’à prendre au sérieux la prose d’Elisabeth Badinter. D’abord c’est plus fun, ensuite c’est moins nocif. Et, dans le genre, c’est plus réussi.
Entre une pseudo intello show-biz et une vraie star du show-biz, choisissez la seconde. Mais, bien sûr, sans être dupe : le troisième degré vous dis-je.
-Et en même temps, sachez ne pas sacraliser votre attitude : on est souvent plus intelligent à plusieurs que tout seul.
Laissez-vous contester, accepter que l’on vous rentre dans le chou, ruminez les propos de ceux qui trouvent que vous exagérez.
Et puis, triez : mettez dans la corbeille à papier tout ce qui, décidément, vous paraît refléter la pensée moyenne, et faites votre miel de tout ce qui a rééquilibré votre partialité, de tout ce qui vous permet d’être plus dialectique, d’avoir une vue plus large des choses.
Tout ce qui vous permet de récupérer les éléments que vous avez été plus ou moins obligé de laisser en plan pour vous concentrer sur les angles morts.
-Enfin le gâteau doit obligatoirement avoir sa cerise : cette cerise, c’est d'avoir un peu d’humour sur soi-même : que votre doute, votre non-conformité soit votre instrument mais ne devienne jamais votre maître.
Ne vous laissez pas prendre à votre propre jeu.
Ne CROYEZ ni à votre doute, ni à vos contestations. Ne les transformez pas en certitudes à quatre sous. Sachez vous distancier de vous-même, vous regarder d’ailleurs en vous trouvant parfois un peu grandiloquent ou ridicule.
Voilà, Cher Monsieur Schiappa, l’art du doute que je tente de cultiver, pour devenir, jour après jour, effectivement un peu libre, sans me CROIRE totalement libre pour autant.
Et, peut-être, sur le plan « spirituel », religieux ou philosophique, éthique ; bref sur les réalités supra-empirique, non vérifiables au niveau d’une démarche de connaissance[1], cette liberté se trouve liée à une croyance assumée, à une « profession de foi ».
Je vous le dis, puisque c’est là-dessus que vous m’avez interrogé.
Je suis protestant de naissance et dans mon adolescence, j’ai été tenté un temps me convertir au catholicisme, attiré par le judaïsme, pour lequel j’ai toujours beaucoup de sympathie.
Un peu plus tard, j’ai été agnostique, en gros de 1967 à 1975, puis suis redevenu protestant, autrement que par ma foi reçue.
C’est dire qu’il me semble être relativement au clair sur ce que je crois, et pourquoi.
Ce qui est idiot, c’est que (étant toujours au Japon, of course) j’ai oublié d’emporter avec moi, votre article de La Raison, point de départ de ces 3 Notes.
J’ai le souvenir, qu’à un moment donné, il était question du « Seigneur » (=Dieu), dans le sens où (si j’ai bien compris, je regrette de ne pas avoir le texte sous les yeux et je ne voudrais pas déformer) si on a un « seigneur », on ne peut pas être libre.
Là-dessus, il y a maldonne entre nous car je suis très proche de la théologie de la croix de Luther = le Seigneur, il meurt crucifié et abandonné, renié par Pierre (le symbole de l’Eglise !).
Avouez que, comme dominateur, on a trouvé beaucoup mieux, avant et après !
Ma religion ne m’interdit aucun doute, aucune mise en question, et en tout cas pas d’être le plus rigoureux possible quand je suis dans une démarche de connaissance.
Bien au contraire car en fait, le seul interdit c’est, pour employer un terme théologique, « l’idolâtrie », donc le fait de me prosterner (mentalement) devant une interprétation de la réalité, une puissance, etc.
Bref, de faire allégeance à quoi que ce soit.
C’est donc l’exigence de ne rien absolutiser, de conserver toujours un sens critique. Je CROIS donc qu’il s’agit d’une croyance libératrice, ou d’un ordre qui me libère.
J’ai fait allusion aux Nouveaux Catholiques.
Ces protestants qui faisaient en moitié semblant après la Révocation de l’Edit de Nantes.
Ce n’est certes pas une référence glorieuse.
Chez les Huguenots, on préfère se référer aux Camisards, ces castreurs de porcs qui ont parfois exercé leur art sur les curés et les soldats.
On les invoque quitte, parfois, à les embrigader dans de mauvaises causes (comme cela vient d’être fait par un protestant à propos de la burqa), contre la liberté et pour le conformisme satisfait de la société dominante.
C'est pourquoi j'aime mieux ne pas trop invoquer les Camisards.
Les Nouveaux Catholiques sont une référence beaucoup moins glorieuse, en aucune manière emblématique.
Et pourtant je les aime bien (même si j’ai –aussi- de la sympathie pour les Camisards, je ne joue pas les uns contre les autres). Car ils ne faisaient semblant que jusqu’à un certain point.
Jusqu’à ce qu’on cherche à les obliger à être idolâtres. A communier selon le rite de la transsubstantiation, pour eux le comble de l’idolâtrie.
Alors là, ils crachaient l’hostie, avec dégoût.
On était obligé de les faire communier entre deux dragons, rendant visible la contradiction de la société ambiante
Et ils s’arrangeaient quand même pour ne pas avaler l’hostie, ou alors à la macher (ce qui était un sacrilège) en marmonnant une injure.
Eh bien oui, je fais plein de compromis, chaque jour je tiens compte de la mentalité moyenne, je passe même souvent mon temps à être tolérant, à supporter les inepties ambiantes.
J’en ai, parfois, jusque là de l'invocation des nécessités du « vivre-ensemble »,
d’avoir sois disant les mêmes « « valeurs » » que des hypocrites, des tricheurs, des profiteurs, et surtout des ceus pour qui l’invocation des dites « valeurs » n’est qu’un prétexte à ne pas réfléchir, à paresser dans les stéréotypes, parce que penser c’est bien trop fatiguant, qu’il vaut mieux bêler à l’unisson du troupeau.
Mais quand la coupe est pleine, quand on veut que j’idolâtre la religion civile rrrrépublicaine ou les racines chrétiennes de la France, alors je dis calmement, sereinement, mais fermement : NON.
Envoyez moi vos dragons si vous voulez, et si vous l’osez. Mais vous ne me ferez pas avaler votre pilule.
Je la crache par terre.
Grattez un peu le Nouveau Catholique, et vous ne tarderez pas à trouver l’Hérétique.
.
[1] Cela ne signifie naturellement pas que religion, philosophie, éthique, etc ne puissent pas être un objet d’étude, au contraire. Et là, bien sûr, on doit pratiquer l’agnosticisme méthodologique. C’est ce que j’explique au début de mon Librio sur la Petite histoire du christianisme. Et, (on dit d’habitude « sans vouloir me vanter », moi je dis : « en voulant me vanter »), comparez avec la concurrence et vous verrez que, tout « croyant » que je suis, mon approche est différente de celle des culs bénis !
18:52 Publié dans DIALOGUE AVEC UN AUTEUR | Lien permanent | Commentaires (6)
Commentaires
(2e message SUITE)
Peut-être n'est-ce pas un hasard quand - dans sa dernière note du 28 mai - Jean Baubérot fait rérence aux Camisards, ces Cévenols huguenots anti-idolâtres du début du 18e s. !...
En effet, il sera bientôt dans les Cévennes, le vendredi prochain 4 JUIN à 19h ; tous les lecteurs de son blog pourront le rencontrer en personne si vous pouvez vous rendre à Ste-Croix-Vallée Française(48), à 50km d'Alès (30).
Il participera à un dîner-débat avec l'historien nîmois Michel Boissard, sur le thème :
"Aujourd'hui LA LAÏCITE, à quoi sert-elle ? Menaces sur la liberté de conscience ?
Minaret ? Voile ? Burqua ?... Doit-on imposer des modes de vie ou vestimentaires ?
La laïcité fait-elle partie de l’identité nationale ?
S’applique-t-elle à toutes les croyances et philosophies,
à égalité de droits et de devoirs ?..."
BIENVENUE A TOUTES ET A TOUS
Écrit par : Hugues N. | 29/05/2010
Voilà un "bel" article de Bob héros qui en dit long, article où il passe de son soit-disant agnosticisme à son protestantisme, et avec ça il fait suer l'intélligensia et la société française et au delà, c'est du joli !
Bob héros est un idiot.
Écrit par : Sarlat | 30/05/2010
Contrairement à ce que vous affirmez Mr Bauberot, votre religion vous interdit bien un doute.
Celui de la pertinence de l' idée que votre Croyance est liberatrice.
Ce commentaire est écrit par un lecteur qui bien que n'étant pas certain d'avoir l' age mental d'une personne de plus de 18 ans (vive le doute), se permet de vous grattez comme vous le dites dans votre dernière phrase en espérant vous voir devenir hérétique très rapidemaent.
Écrit par : Roger | 30/05/2010
Jean Baubérot ignore ce qu'agnostique veut dire, il en pervertit totalement le sens, de façon tout aussi malhonnête qu'un autre protestant pour le mot laïcité, Ferdinand Buisson, dans un fantasmatique montage lexical destiné aux prolétaires de la même névrose osbéssionnelle.
Jean Baubérot par cet aspect et bien d'autres, prouve à nouveau qu'être protestant c'est être malhonnête, imposture également vraie pour toute position de croyance religieuse.
Être agnostique, depuis Thomas Henry Huxley qui en est le promoteur, c'est justement n'avoir aucune position de croyance religieuse, c'est affimer qu'on en peut rien savoir, que c'est inconnaissable, tant par la raison - ce qui a été démontré par Kant au XVIIIème siècle dans la Critique de la Raison Pure - que surtout par la foi (a étant privatif d'une quelconque gnose: a-gnose-tique), et qu'il n'y donc pas lieu d'y croire.
Un protestant ne peut en rien être qualifié d'agnostique, l'affirmer est de la pure et simple foutaise : thèse, antithèse, foutaise (et non saint-hèse), l'art de se moquer du monde et d'ennuyer le Peuple qui est souverain.
Nous mettrons donc Jean Baubérot dans la galerie des personnages à lutter par le CROA qui est le Cerle des Résistants à l'Oppréssion des Agenoullistes http://www.croa-at.com/
Les produits Jean Baubérot sont particulièrement polluant pour l'esprit, pire que la marée noire BP en Louisiane, au fond il y a aussi une énorme fuite.
Écrit par : Sarlat | 01/06/2010
Au sujet de "si on a un « seigneur », on ne peut pas être libre.", cela me fait penser à une phrase bouddhiste: "si tu rencontres le bouddha, tue-le", et votre réflexion sur l'idolatrie me semble bien en phase avec cette phrase, c'en est au moins un des aspects. J'aime beaucoup cette phrase et y reviens par moment.
j'apprécie beaucoup de vous lire, et bonne suite à vos réflexions, voyages et conférences variées
Écrit par : Marianne | 10/06/2010
merci pour les articles
Écrit par : World News | 26/02/2011
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