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12/11/2005

LE NEUVIEME IMPENSE DU CENTENAIRE

Nous avons vu, dans les précédents Impensés du centenaire, que la loi de 1905 marque la victoire des accommodateurs et sur les laïques intransigeants (Allard, Vaillant,…) qui souhaitaient une séparation qui continue l’anticléricalisme d’Etat, et sur les laïques strictement républicains (Buisson, Clemenceau,…) qui voulaient que la République, à partir du moment où la séparation était faite, ne tienne pas compte des spécificités des Eglises (et surtout de l’Eglise catholique).

Briand, au contraire, a martelé, durant les débats parlementaires, qu’il fallait que la loi soit « acceptable » par elle(s). Le projet de la Commission, que d’aucuns trouvaient déjà trop libéral, a été assez largement amendé en tenant compte des objections présentées par l’opposition.

Nous reviendrons sur certains aspects importants de la loi. Ce nouvel Impensé veut, tout de suite, traiter d’une question souvent posée lors des manifestations du Centenaire : « mais alors, pourquoi la loi a-t-elle été rejetée par les catholiques ? »

 

Question fondamentale dont la réponse est la suivante : malgré ce que l’on dit, trop rapidement, la loi de 1905 n’a pas été rejetée par les catholiques. En fait, elle a été l’objet d’un conflit interne entre catholiques.

 

Voyons cela de plus prés : votée le 3 juillet par les députés (341 voix contre 233) et le 6 décembre par les sénateurs (179 voix contre 103) Elle est signée le 9 décembre par le président Loubet et paraît le 11 au Journal Officiel. Des articles importants, comme celui qui assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice du culte ou celui qui donne la jouissance gratuite des lieux de culte (églises, temples, synagogues), qui sont propriété publique, aux associations créées pour l’exercice des différents cultes (=religions) ont été votées à la quasi unanimité.

 

Il semblait donc que la loi serait appliquée. Ainsi la gratuité des locaux coupait court à la stratégie de refus de payer un loyer qui était suggérée au pape par des catholiques jusque boutistes : si, grâce à ce refus, disaient certains, « nous sommes réduits à dire la messe dans des refuges improvisés, alors l’illusion (= de la liberté de culte) ne sera plus, la persécution sera évidente »[1]. Dans cette optique, la séparation était considérée comme une persécution implicite, sournoise ; il valait donc mieux la rendre implicite, manifeste.

 

Le 11 février 1906, le pape Pie X adresse à l’ensemble des Français une Encyclique Vehementer Nos. Pour lui « la promulgation de la loi, en brisant violemment les liens séculaires par lesquels votre nation était unie au Saint Siège apostolique, crée à l’Eglise catholique, en France, une situation indigne d’elle et lamentable à jamais ». Il est clair que la fin de toute  dimension catholique dans l’identité nationale française est particulièrement insupportable au pape.

La séparation, poursuit Pie X, est « une abrogation unilatérale du concordat » et « la négation très claire de l’ordre surnaturel ». En effet, elle limite « l’action de l’Etat à la seule poursuite de la prospérité publique » sans s’occuper de « la béatitude éternelle proposée à l’homme quand cette vie si courte aura pris fin ». Enfin, le contenu de la loi est sévèrement critiqué, sans qu’il soit tenu compte de l’article 4. Cependant le pape ne se prononce pas sur ce qu’il faut faire[2]. Et à une forte condamnation de principe pouvait correspondre une acceptation de fait.

Briand comptait sur cette double réponse et il avait affirmé : “ La réforme ainsi faite (sera) d’une application facile. ” L’avenir immédiat va lui donner tort. De grands laïcs catholiques, certains cardinaux et évêques paraissent bien disposés. Certains catholiques, membres des différentes Académies, vont demander à leur hiérarchie d’accepter une loi qui, disent-ils,  ne nous empêche « ni de croire ce que nous voulons ni de pratiquer ce que nous croyons » (Le Figaro, 26 mars 1906).

 

D’anciens congréganistes, la presse catholique et le peuple catholique de l’Ouest, au contraire, estiment que le libéralisme de la nouvelle loi constitue un leurre : son application sera “ persécutrice ”. En effet, on avait prétendu en 1901 que l’autorisation des congrégations serait la règle, ensuite elle fut systématiquement refusée. Il faut donc résister de façon préventive. La querelle éclate sur une mesure transitoire prise à la demande de députés catholiques : l’inventaire des biens, effectué conjointement par les deux parties pour éviter tout vol (art. 3). Cette décision d’inventaire, suite à une circulaire fort malhabile, fut considérée par certains comme pouvant entraîner un viol d’objets sacrés. Des affrontements ont lieu, d’abord dans 2 paroisses parisiennes, puis notamment là où la résistance à la Constitution civile du clergé de 1790 avait été la plus vive[3]  On déplore un mort en mars 1906. La troupe est intervenue et les images et photographies publiées par la presse ressemblent à celles des années 1902-1903, au moment le plus chaud de la lutte contre les congrégations.
 
La crise des inventaires entraîne la formation d’un nouveau cabinet dont le ministre de l’Intérieur, Clemenceau, a une réputation de laïque très strict. Il indique pourtant aux préfets d’opérer l’inventaire que lorsqu’il “ pourra s’accomplir sans conflit ”.
Ce nouvel apaisement républicain favorise la victoire du “ Bloc des gauches ” aux élections de mai 1906 : la séparation est donc validée par le « suffrage universel »  (en fait seul les hommes votent).
Cette victoire des « séparatistes » aurait pu pousser le pape vers la conciliation. Elle renforce, au contraire, son intransigeance car elle signifie qu’il n’obtiendra pas  un renoncement  légal à cette séparation.

 

Pourtant, usant des libertés nouvelles permises par la loi de séparation, le pape a nommé 14 nouveaux évêques dits « nés pour la guerre » (avant 1905, les évêques étaient nommés par le gouvernement). Pendant ce temps, Mgr Chapon, évêque de Nice, agit, lui, pour l’application de la loi.
Fin mai 1906, l’épiscopat français se réunit pour la première fois depuis la Révolution (une assemblée d’évêques ne pouvait avoir lieu, avant la séparation, qu’avec l’autorisation du gouvernement et aucun gouvernement, même les plus « cléricaux », n’avait donné d’autorisation).
Après avoir condamné le principe de la loi (72 voix contre 2), les évêques pensent, malgré les pressions de Rome, « possible d’instituer des associations cultuelles à la fois canoniques et légales » (48 contre 26) et  ils approuvent un projet de statut présenté par Mgr Fulbert-Petit, archevêque de Besançon (59 contre 17). A l’accommodation républicaine répond donc une accommodation catholique. Mais ce vote reste secret.

 

Il vaut la peine de regarder de près ce que prévoyaient les statuts proposés par les évêques. Maurice Larkin l’a fort bien résumé : « Aucune association ne pouvait être instituée sans l’accord de l’évêque et le fondateur devait être un prêtre  agréé par lui. Elle devait non seulement faire partie de l’union diocésaine de l’évêque mais toute décision importante était sujette au consentement de ce dernier. Chacun des membres devait faire une déclaration d’allégeance à la hiérarchie et prouver à l’évêque qu’il était catholique pratiquant. Par ailleurs, les fonctions de l’association étaient strictement limitées aux questions financières et administrative, laissant intacte l’autorité spirituelle de l’évêque »[4]

 

Voila qui verrouille la situation et aurait du rassurer le Saint Siège. Cela d’autant plus que Briand, dès le débat parlementaire, avait prévu que l’Eglise catholique donnerait aux associations « une formule, un statut qui sera uniforme dans la France entière » et assurerait sa pérennité. Mais le pape estime que son prestige international est mis à mal par la dénonciation du Concordat et, l’ouvrage cité de Maurice Larkin le montre très bien, il craint une contagion de l’exemple français en Espagne, Portugal et Amérique latine (Bolivie notamment). La résistance qui a eu lieu face aux inventaires permet à Pie X d’espérer un sursaut du « peuple catholique » au détriment d’une hiérarchie jugée trop molle.
Dans cette optique, une franche « persécution » lui semble préférable à des « accommodements trompeurs », aux « misérables avantages matériels de la loi de séparation ». L’heure est donc à la résistance contre « toutes les forces du mal », les ennemis extérieurs comme « la maçonnerie internationale », mais aussi les adversaires internes comme le modernisme théologique et la démocratie chrétienne[5]
 
L’Encyclique Gravissimo Officii (10 août 1906) donne donc l’ordre aux catholiques de ne pas se conformer à la loi. Cette encyclique[6], destinée une nouvelle fois au peuple français, refuse toute forme d’associations canonico-légales et affirme « Nous (=pape) devons pleinement confirmer de notre autorité apostolique la délibération presque unanime de (l’)assemblée (= des évêques) ». Tour de passe-passe (« mensonge de fort calibre » dira même Mgr Lacroix) puisque cette « condamnation presque unanime », en fait, n’était qu’une affirmation de principe et qu’ensuite un projet de statut avait été adopté à une forte majorité.
 
Le jugement de Maurice Larkin est sévère : « L’historien demeure surpris qu’un homme de la qualité morale de Merry del Val (=le conseiller de Pie X, rédacteur de l’encyclique) ait eu recours à un tel procédé, et il se demande pourquoi Pie X, futur saint de l’Eglise, a apposé sa signature au bas d’une encyclique à la sincérité aussi ambiguë. Si Rome n’était pas prêt à admettre une différence d’appréciation avec les évêques, il aurait mieux valu que l’encyclique ne fît aucune mention de l’assemblée ». Et il cite une phrase du pape qui donne peut-être la clef de cette affaire : « Les catholiques français sont lâches et ils ont la tête aussi dure que les Allemands, ce qui n’est pas peu dire »[7].

 

Nous le verrons au prochain impensé, la soumission des catholiques français à l’ordre du pape de ne pas se conformer à la loi sera d’autant plus nette que le gouvernement, après quelques hésitations, n’encouragea aucunement les velléités de résistance. Mais cela ne doit pas faire oublier que ce ne sont pas les catholiques français, ni même les évêques, qui ont décidé de ne pas se conformer à la loi. C’est le pape qui le leur a ordonné. En fait, au conflit entre laïques a correspondu un conflit entre catholiques. Les accommodateurs laïques l’ont emporté ; grâce au pape, les intransigeants catholiques ont gagné. La victoire de ces intransigeants ne remet-elle pas en cause le succès des premiers ? Une séparation accommodante est-elle encore possible après l’encyclique ? C’est ce que nous verrons avec le prochain Impensé. A suivre….

 

 



[1]Cité par M. Larkin, L’Eglise et l’Etat en France, 1905 : la crise de la séparation, Privat, 2004, 167. Comme nous l’avons déjà indiqué, cet ouvrage d’un historien britannique est unanimement considéré par les historiens français comme étant le meilleur ouvrage sur la séparation
[2]On trouvera les principaux passages de cette encyclique dans D. Moulinet, Genèse de la laïcité, Cerf, 2005, 170-178.
[3]P. Cabanel, La révolte des inventaires,  J .-P. Chantin - D. Moulinet (éd.), La séparation de 1905, Les Ed. de l’Atelier, 2005, 102.

[4] M. Larkin, ouvrage cité, 189s.

[5] Cf. M. Larkin, ouvrage cité, 213-217, 229.

[6] Principaux passages dans D. Moulinet, ouvrage cité, 182-184, mais, malheureusement, avec un chapeau erroné.

[7] M. Larkin, ouvrage cité, 227, 228.

07/11/2005

HUITIEME IMPENSE: L'INFLUENCE DE L'ORIENT

Avec ce huitième impensé, je m’aventure un peu. J’ose poser la question : la laïcité, cette soi-disant exception française n’aurait-elle pas bénéficié d’une certaine influence orientale qui aurait favorisé la mutation culturelle que représente la loi de 1905 ?

 

A moment de l’élaboration de la morale laïque, Jules Ferry trouve dans l’exemple du bouddhisme la possibilité de dissocier morale et christianisme : « Cette religion encore si vivace, affirme-t-il, a une morale, des principes, un idéal véritablement pour le moins aussi pur, aussi exquis que l’idéal chrétien le plus exigeant et le plus raffiné. (…) Dans la morale bouddhiste, on étend la charité jusqu’aux animaux et aux plantes. Cela prouve qu’une morale fondée sur la pratique la plus exigeante, la morale du dévouement par excellence,  peut exister avec des dogmes qui ne ressemblent en rien aux dogmes chrétiens. Dans le bouddhisme il n’y a ni peines ni récompenses. »

Ce dernier point est à référer à l’opposition de Jules Ferry aux « dogmes » de la « religion civile » selon Jean-Jacques Rousseau où la récompense des justes et la punition des méchants dans l’au-delà permet de réconcilier morale et justice, puisque l’on constate que, sur terre, des méchants prospèrent et des justes ne sont guère socialement récompensés de leurs ‘bonnes actions’.

A noter que dans les leçons de la morale laïque, les « devoirs envers les animaux » seront enseignés à une époque où l’on y était moins sensibles qu’aujourd’hui (la Société protectrice des animaux venait de se fonder)

 

« Dans le bouddhisme il n’y a ni peines ni récompenses ». Des spécialistes du bouddhisme m’ont indiqué leur désaccord avec cette affirmation. Mais peu importe : l’important pour moi est l’intérêt de Ferry pour le bouddhisme, la légitimité qu’il lui donne à une époque où, certes, il y avait un attrait pour l’Orient chez des artistes et quelques intellectuels, mais où prédominaient des discours sur la « supériorité de la race blanche sur les autres races ».

Or Ferry lui pensait que l’on pouvait apprendre quelque chose de l’Orient ; preuve en est qu’avant de rendre l’instruction obligatoire il avait demandé à son ministère d’enquêter sur les pays où l’obligation était déjà réalisée dont le Japon qui venait de l’instaurer.

 

La volonté de prendre ses distance avec la morale chrétienne et sa « charité », ainsi que de la manière dont morale et justice se réconciliait dans l’au-delà pour la religion civile amena les inventeurs de la morale laïque à élaborer ce que l’on appela alors la « doctrine de la solidarité ». Une de ses références en fut Confucius.

La morale laïque insiste sur les « biens » que nous trouvons à notre naissance : maisons, outils, nourriture, livres, etc, bref un ensemble de « richesses » dues à un travail séculaire. Il s’agit des « bienfaits des morts », car la plupart des personnes qui ont œuvré pour obtenir un tel degré de civilisation sont décédés.

La morale laïque affectionne cette maxime : « les morts sont morts mais le bien qu’ils ont fait ne meurt pas ».  

Après de semblables leçons, quand l’instituteur demande : « à qui devons nous de la reconnaissance ? » l’élèves parle de diverses catégories d’adultes (parents ; maîtres d’école, …) puis il cite les « ancêtres » : grâce à leurs « bienfaits », les morts acquièrent ce statut. Référence peut être alors faite à Confucius : on parle de « vénération des ancêtres » ; il est même parfois dit que « le culte des ancêtres » est un « culte légitime ». Dans cette optique le passé, loin de représenter quelque chose d’archaïque dont il faudrait se détourner,  est le temps de l’amélioration progressive de la société, grâce au travail de ces « ancêtres » qui ont amené la société française à l’état de civilisation où elle se trouve. Les ancêtres ont été les agents du progrès.

 

Une citation de Confucius est mise pour clore le très populaire Manuel d’éducation morale civique et sociale signé « E. Primaire ». Un autre manuel très utilisé , celui de Dès, insiste sur le fait que la morale confucéenne estime que la règle d’or de la morale est la réciprocité et se caractérise par l’absence d’invocation d’une rétribution dans l’au-delà. La conscience du rôle joué par les ancêtres, la dette que l’on a contracté à leur égard, la considération de l’éducation comme facteur d’amélioration constante, les nécessités de la vie sociale doivent suffire à fonder la morale.

 

Dans la vision de l’histoire de la morale laïque on trouve une sorte de ‘confucianisme républicain’. C’est une façon d’indiquer que si morale et justice ne réconcilient pas toujours au niveau de chaque individu, cela s’effectue au niveau de la société comme ensemble collectif d’individus solidaires. Le « bien » effectué par chacun contribue à l’amélioration de la société (dont tous bénéficient) ; le « mal » contribue à sa détérioration et, au bout du compte, tous en pâtissent.

 Le ‘confucianisme républicain’ cherche donc un équilibre entre la valorisation du passé et la projection dans l’avenir ; et également entre l’individu et la société.

 

Il faut savoir que cette « doctrine de la solidarité » n’est pas seulement enseignée aux écoliers, c’est une morale d’adultes qui est diffusée à haute dose pendant les premières années du XXe siècle. Dés lors, on ne peut que constater une affinité entre cette morale et la manière dont (comme nous l’avons vu dans ce précédents Impensés du centenaire) les débats de la séparation valorisent les « traditions respectables » et se situent dans une perspective où la liberté collective est une dimension de la liberté individuelle et non son simple prolongement ; perspective qui, nous l’avons vu, rompt avec l’universalisme abstrait républicain.

 

Sans vouloir majorer la chose (en faire une cause unique), il est donc possible de dire

1)      qu’il y a eu une nette référence à l’Orient dans la morale laïque

2)      que cette référence a contribuer à créer un climat culturel favorable aux originalités de la loi de 1905 par rapport aux lois précédentes.

 

Dernière précision : comment les pères fondateurs de la morale laïque connaissaient-ils Confucius ? Via les Lumières, par les écrits du jésuite italien Matteo Ricci (1552-1610) qui, le premier a attiré l’attention de l’Occident sur ce savant chinois. N’est-ce pas paradoxal que cette référence confucéenne puise aux écrits d’un jésuite, alors que les jésuites ont été les bêtes noires des laïcisateurs  et que l’antijésuitisme a été leur tasse de thé!

Double leçon : la laïcité française s’est construite en partie grâce à ce que les historiens appellent les transferts culturels ; parmi les passeurs de culture on trouve ceux que l’on considérait alors aussi mal que les « intégristes » et autres « membres des sectes » aujourd’hui !

 

Sur la morale laïque et ses sources : J. Baubérot, La morale laïque contre l’ordre moral, Le Seuil, 1997

Sur l’antijésuitisme : (notamment) M. Leroy, Le mythe jésuite de Béranger à Michelet, PUF, 1992

 

PS : un mot sur ce qui est en train de se passer dans certaines banlieues. Le rapport de la Commission Stasi contenait quelques excellentes pages sur les « discriminations rampantes » (p106-108) et  exprimait le souhait « que la politique de lutte contre les discriminations urbaines soit une priorité nationale » (p. 116). Que n’a-t-on écouté cela !

 

2ème PS : petit rappel : la présentation du roman Emile Combes et la princesse carmélite, improbable amour le vendredi 11 novembre à 18H15 sur FR3 dans l’émission « Un livre, un jour ».

 

 

 

 

01/11/2005

BLOG, CENTENAIRE ET AUTRES JOYEUSETES

D’abord, hip hip hip hourra, record largement battu pour la consultation de ce blog : 4974  en octobre (précédents records : septembre : 4383 et juin : 4162). Pas mal pour un blog sérieux qui n’est pas celui d’un ex-premier ministre ou d’une beauté se montrant en photos parée comme au jour de sa naissance !

Il faut dire que la commémoration bat son plein, sans tambour ni trompette mais à partir du riche réseau associatif en France métropolitaine (j’étais à Caen il y a peu, cf d’autres déplacements ci après), Outre-mer (j’ai présidé à Saint-Denis de la Réunion un passionnant colloque sur « la laïcité dans l’Océan indien ») et à l’étranger (depuis 5 semaines je suis allé à Tallahassee, capitale de la Floride, Montréal, New York, Sofia -sans voir Sylvie Vartan, hélas-, Moscou et Berlin ; en novembre j’irai à Tokyo, en décembre à Bruxelles et Bratislava).

Ensuite, quelques nouvelles du roman Emile Combes et la princesse carmélite, Improbable amour (l’Aube) : il est signalé dans le numéro de novembre de Ca m’intéresse parmi les 3 livres à lire pour le centenaire de la séparation des Eglises et de l’Etat, il est également signalé dans le mensuel de nos amis laïques belges  (n° d’octobre) Espace de liberté (qui comporte également une bonne critique de mon autre ouvrage : La Laïcité à l’épreuve, religions et libertés dans le monde) ; je le présenterai sur FR3 le vendredi 11 novembre à 18 heures 15 dans l’émission Un livre un jour. J’ai donné des interviews à Vingt minutes et à France-Info mais je ne sais pas encore quand elles paraîtront. A suivre

Enfin, notez sur vos tablettes :

-         les 4-5 novembre à Nîmes le colloque : « Un siècle pour vivre ensemble, la loi de séparation des Eglises et de l’Etat a 100 ans », au Carré d’Art (organisé par la Ligue des droits de l’homme, le cercle Condorcet, le Cercle Crémieux, le Service  Incroyance et Foi de l’Eglise catholique, la Société d’histoire du protestantisme). Renseignements : catherine.bernie-boissard@wanadoo.fr

-         le lundi 7 novembre à 20h,  au Forum-104, 104, rue de Vaugirard, 75006 Paris (tel 0145440187), je donne une conférence : « Dans la république laïque, quel espace pour le religieux ? » (Attention, c’est payant car il y a une collation)

-         du 10 au 12 novembre, les fameux ENTRETIENS D’AUXERRE. Pour une fois il ne sera pas question de la séparation et de l’avenir de la laïcité (on en a parlé l’an dernier et je vous recommande les Actes parus aux éditions de l’Aube) mais d’un autre sujet très important : Disposer de la vie, disposer de la mort. Renseignements : collographe@club-internet.fr

En attendant ces différentes festivités, voici  juste après cette petite Note, LE 7èME IMPENSE DU CENTENAIRE DE LA SEPARATION/ La séparation et l'Outre-mer. Et je vous convie à  surfer pour relire les 7 Notes sur Combes (cf. catégorie Emile Combes. Je rappelle que le Blog se déroule à l’envers et donc cela commence par la septième  et finit par la 1ère !) et les 2 Notes sur Les Débats à la Chambre, ensuite relisez tous les impensés, et cela vous fait pratiquement un (excellent, bien sûr !) ouvrage gratuit sur le processus de la séparation, avec en plus le terrible suspens sur les prochains impensés ! Comment arrivez-vous encore à dormir ?

N'oubliez pas non plus si vous travaillez dans une université, dans un IUFM, au CNRS ou équivalent, en france ou ailleurs, si vous animez une association, ou simplement si vous etes intéressé(e) que vous pouvez participer au débat lancé par la Déclaration internationale sur la laïcité ET SIGNER LE TEXTE, FAIRE DES REMARQUES, etc. Cliquez sur la catégorie "Monde et laïcité" pour avoir le texte de la Déclaration. Envoyez vos observations et votre signature à declarationlaicite@hotmail.fr et faites connaître ce texte.

Dernier conseil : ne soyez pas égoïste : signalez ce blog à vos ami(e)s, qu’ils en profitent également.

10:05 Publié dans ACCUEIL | Lien permanent | Commentaires (4)

31/10/2005

LA SEPARATION ET L'OUTRE-MER

SEPTIEME IMPENSE DU CENTENAIRE DE LA SEPARATION :

La loi du 23 février 2005 demande aux historiens de présenter de façon positive la colonisation ; cette loi, avec de nombreux autres collègues historiens, je l’ai dénoncée comme inacceptable (doublement inacceptable : pour son contenu et  pour à sa volonté d’une histoire officielle, dictée par un politique incompétent et qui favorise, hélas, le peu de considération pour les parlementaires en prenant de telles décisions). Elle rend d’autant plus nécessaire d’insister sur un fait, qui n’est peut-être pas autant un impensé que les précédents, mais qui est (malgré tout) peu rappelé : la République était aussi Empire (colonial) et elle a fonctionné de façon différente en tant que République et en tant qu’Empire.

Mais voyons ce qui s’est passé précisément quant à la loi de 1905 à propos de l’Outre-Mer (départements algériens et colonies).

Le président de la Chambre des députés annonce, lors de la séance du 30 juin (la dernière avant le vote final), le dépôt de deux « dispositions additionnelles ». La première émane de César Trouin, député d’Oran, qui votera la loi et la seconde d’Albin Rozet, député de la Haute-Marne, qui se prononcera contre. Elles visent toutes les deux, en termes presque semblables, à renvoyer à un « décret ultérieur » (Trouin) ou à un « règlement d’administration publique » (Rozet) l’application à l’Algérie de la future loi de séparation des Eglises et de l’Etat.

   Aristide Briand, rapporteur de la Commission, au nom de celle-ci et du gouvernement, accepte le principe d’un tel ajout. Il affirme combiner les deux propositions dans la disposition suivante : « Des règlements d’administration publique détermineront les conditions dans lesquelles la présente loi sera applicable à l’Algérie et aux colonies »[1]. Cette formulation, est-il précisé dans le compte-rendu de séance, « donne également satisfaction à un amendement de MM.Clément, Guerville-Réache et Ursieur[2] ainsi conçu : ‘Les dispositions de la présente loi sont applicables aux colonies de la Martinique, la Guadeloupe, la Réunion et la Guyane’. »

   Le ministre de l’Instruction publique et des cultes, Bienvenu Martin, et les deux députés, Trouin et Rozet, indiquent très brièvement qu’ils approuvent le texte. Aucun parlementaire ne demande la parole (alors qu’on le sait, les débats de façon générale furent très fournis); la proposition, « mise aux voix, est adoptée » sans précision donnée sur le vote lui-même. L’ajout devient alors (provisoirement) l’article 35 ter. L’ensemble de la discussion et du vote tient en moins d’une colonne des 16 pages de 3 colonnes qui forment le compte-rendu de cette séance[3].

   Cette brièveté, cette absence de débat apparaît très significative du peu d’importance attachée à la question de l’Outre-mer par les députés. Les quelques minutes de la séance sont cependant révélatrices.D’abord d’un point de vue général elles apportent, s’il en était besoin, deux confirmations : d’une part, la collaboration de certains députés d’opposition à l’élaboration de la loi  (Rozet sur ce point); d’autre part, le rôle prédominant de Briand, reléguant le ministre à faire de la figuration. Mais, concernant la question précise de l’Outre-mer, le télescopage de l’amendement des trois députés des « vieilles colonies » avec les deux propositions sur l’Algérie rend possible un glissement entre la demande d’application pure et simple de la loi et le fait de confier à « des règlements d’administration publique » la façon dont celle-ci sera appliquée. Ce glissement est d’autant plus net que c’est précisément un député défavorable à la séparation qui avait demandé cette adjonction. Aucun des trois députés, auteurs de l’amendement sur les « quatre vieilles colonies » ne prit la parole pour regretter ce changement dénaturant leur proposition qui visait à une application pure et simple de la loi à ces territoires.

   Ainsi, en faisant mine de vouloir appliquer la loi Outre-mer, on se réservait, en fait, le droit de l’appliquer avec retard, de lui donner une application à géométrie variable, voire de ne pas l’appliquer du tout ! C’est sans doute pourquoi, au Sénat, la discussion prend un peu plus de consistance. Dans la séance du 5 décembre, Alcide Treille, sénateur de Constantine et favorable à la loi, propose un amendement de ce qui était devenu, entre temps, l’article 43, 2ème alinéa[4]: « La présente loi est applicable en Algérie ». Mais il s’agissait d’un baroud d’honneur. La loi pour pouvoir être promulguée avant les élections de 1906 devait être ratifiée par le Sénat dans les mêmes termes que l’Assemblée Nationale et, comme l’assure le dicton, le mieux était en conséquence ‘l’ennemi du bien’. L’amendement est donc vite retiré. Notons qu’il ne portait que sur l’Algérie et ne mentionnait nullement les colonies. Le sénateur de Constantine prêche pour sa paroisse en quelque sorte, il n’effectue pas une proposition générale.

   Plus décidé apparaît Eugène Brager de la Ville-Moysan, sénateur d’Ile et Vilaine,  encore jeune (il a 43 ans) et opposant à la loi. Il propose de remplacer le second alinéas par la phrase suivante : « La présente loi n’est pas applicable à l’Algérie et aux colonies françaises ». Il développe une argumentation où il commence par dénoncer le « pur régime d’arbitraire » auquel aboutira l’article 43 : « C’est le bon plaisir des gouverneurs qui détermine quel sera, à un moment donné, le régime relatif aux cultes qui règnera dans notre domaine colonial. », bon plaisir qui s’appliquera à «toute une catégorie de citoyens vivant sous les lois françaises ». Il démonte, ensuite, l’argumentation qui (pour lui) sous-tend  la loi, « le mouvement continu des idées modernes » dont la conséquence serait « la séparation complète des deux pouvoirs ». Il s’interroge alors : « Les indigènes[5] du Congo, de Madagascar ou du Tonkin possèdent-ils un niveau intellectuel susceptible de comprendre ce progrès prétendu des idées modernes ? » (idée du « retard » mais relativisée par l’expression « progrès prétendu ») Enfin, il insiste sur le fait que « dans la plupart (des) colonies l’influence religieuse et l’influence française sont (…) deux choses qui se confondent ». Les missionnaires « sont les premiers pionniers de la devoir dire, le sénateur retire son amendement car, affirme-t-il, il n’a aucune chance d’être civilisation européenne », les « meilleurs agents de l’influence française »[6]. Mais là encore, finalement, il s’agit seulement d’un baroud d’honneur car, après avoir dit ce qu’il estimait adopté. En d’autres points, des amendements qui n’avaient pas plus de chance d’aboutir avaient cependant été mis aux voix. L’opposition ne semble donc guère vigoureuse.

  Ce manque d’attention montre une idée presque consensuelle : l’Algérie et les colonies, bref l‘Empire colonial[7]  fonctionne selon d’autres règles que la République. Les décisions de l’exécutif doivent, là, prendre de fait  le pas sur les dispositions législatives. Le ministre Bienvenu-Martin le souligne d’ailleurs au Sénat : l’article 43 « ne contient rien de nouveau, tout au moins quant à la formule, car l’exercice du culte aux colonies a toujours fait l’objet non de dispositions législatives mais de décrets », s’attirant des « Très bien ! Très bien ! » dans les rangs de la gauche sénatoriale. Il aurait même pu généraliser davantage. Il  est donc possible de conclure des débats, de la loi et des décrets qui s’appliqueront à certains territoires, de l’absence de décrets pour d’autres : « Comme le code civil, (…) la séparation avait ses frontières : la France métropolitaine (…). Outre-mer, c’était selon »[8]

   Brager de la Ville-Moysan avait évoqué une « catégorie de citoyens vivant sous les lois françaises » qui seraient victime d’un « pur régime d’arbitraire », mais les habitants de l’Outre-mer étaient-ils véritablement des « citoyens » ? La seconde République, par le décret du 27 avril 1848, avait  proclamé « l’abolition immédiate de l’esclavage » et avait attribué, sans plus attendre, la citoyenneté aux anciens esclaves. Siègeront à l’Assemblée des députés « de couleur » ce qui est assez remarquable pour l’époque. Si les colons maintiennent leur domination socio-économique, cette instauration du « suffrage universel » (en fait masculin, comme en métropole) permet aux Antilles, surtout sous la IIIe République, à une « bourgeoisie de couleur » de « conquérir le pouvoir politique » et de s’insérer dans des réseaux républicains, notamment francs-maçons[9].

   Mais la Commission qui prépara en 1848 l’acte d’abolition de l’esclavage et refusa de transformer les anciens esclaves en « demi-citoyens, quarts de citoyens, hermaphrodites politiques », admit cependant, de « ne rien préjuger sur l’état des populations indigènes » en Algérie. « En libérant les esclaves et en les faisant entrer dans la communauté de citoyens, commente avec justesse Emmanuelle Saada, la République produit par défaut l’indigène, sujet de l’Empire colonial, soumis à son statut personnel et exclu des droits politiques. »[10] Alors même que l’Algérie devient,en 1858, un ensemble de trois départements français,  les « indigènes » algériens vont avoir le statut de « ressortissants » français, de « sujet français ». Dans les années 1880, le régime de l’indigénat » consista à l’élaboration d’un ensemble législatif et réglementaire répressif et discrétionnaire[11] pour les colonies institutionnalisant la distinction entre « citoyen » et « sujet ».

Comment la loi sera-t-elle appliquée ?

- en Algérie, le décret du 27 septembre 1907 imposait aux responsables des associations cultuelles d’être citoyens français, ce qui permettait de soustraire l’islam à l’application de la loi et de conserver le contrôle de ces « ministres du cultes ». De fait, ce décret affirme Emile Poulat « étouffa l’application » de la loi beaucoup plus qu’il ne la mit en œuvre. Une indemnité de fonction (temporaire, mais qui sera reconduite) remplaçait le traitement des ministres des cultes.

- aux Antilles et à la Réunion, le décret du 6 février 1911 permettra une séparation « différée et apaisée » comme le constatent aussi bien Ph. Delisle pour les Antilles que Prospère Eve pour la Réunion[12].

- à Madagascar, où une séparation de fait existait déjà et où le gouverneur Augagneur avait durement combattu le protestantisme (considéré comme favorable à l’Angleterre et à l’autonomie des Malgaches), le décret du 11 mars 1913, copie les 2 premiers articles de la loi de 1905.

Au Cameroun, le décret du 28 mars 1933 sera semblable à celui de 1913 pour Madagascar.

Dans le reste des colonies, la séparation ne va pas être appliquée et en Guyane le catholicisme, aux Comores l’islam, à Tahiti le protestantisme, seront (et eux seuls) toujours des cultes reconnus. C’est toujours le cas pour le catholicisme en Guyane. Aujourd’hui  à Mayotte, le « droit personnel » musulman s’applique, avec une vérification de conformité avec les droits fondamentaux.

Pas plus que pour l’Alsace-Moselle, où le régime des cultes reconnus et du Concordat sont toujours en vigueur, les différents régimes de l’Outre-mer ne font l’objet d’un débat lors du centenaire. Ce débat obligerait, en effet, à reconnaître la grande diversité de la situation dans l’ensemble français et à préciser ce que la Constitution entend quand elle énonce que la « République est (…) laïque ». Dommage.


[1] Ce qui, en fait, adoptait la formulation de Rozet et non celle de Trouin.

[2] Honoré Clément était député de la Martinique, Gaston Gerville-Reache de la Guadeloupe et Louis Ursieur de la Guyane. Tous les trois étaient favorables à la loi

[3] Annales de la chambre des députés, Paris, 1905, II, 1185.

[4] Le dernier article avant l’ultime qui clôt la loi par la liste des dispositions abrogées 

[5] Notons l’emploi du terme de « citoyen » pour défendre l’égalité des droits et d’ « indigène » pour établir une différenciation.

[6] Cité par (Y. Bruley), 1905, la séparation des Eglises et de l’Etat, les textes fondateurs, Paris, Perrin, Tempus, 2004, 362ss. Notons que, passage non cité par cet ouvrage, le sénateur mentionne que si certains fonctionnaires sont « fort intelligents et très patriotes » il en est d’autres qui « travaillent à civiliser les indigènes au moyen de la dynamite étrangement employée ».

[7] Et le terme d’Empire, naturellement, est hautement significatif.

[8] E. Poulat, Liberté Laïcité, la guerre des deux France et le principe de la modernité, Paris Cerf-Cujas, 1987, 215.
[9] Ph. Delisle, « Les Antilles : Séparation différée et apaisée », in J.-P. Chantin – D. Moulinet (éds.), La Séparation de 1905, les hommes et les lieux,  Paris, l’Atelier, 2005, 157.
[10] E. Saada, « La République des indigènes », in V. Duclert – Ch. Prochasson (éds.), Dictionnaire critique de la République, Paris, Flammarion, 2002, 365.
[11] Cf. notamment I. Merle, « Retour sur le régime de l’indigénat, genèse et contradictions des principes répressifs dans l’empire français », French Politics, Culture and Society, Vol 20/2, Summer 2002.

[12] Cf pour Ph. Delisle, l’article cité note 9 et son livre L’anticléricalisme dans la Caraïbe francophone, Karthala, 2005 et pour la Réunion, P. Eve, la laïcité en terre réunionnaise, Océan-Editions, 2005.

24/10/2005

25000 VISITES

Quatre nouvelles importantes pour les amis et les amies du blog.

Le roman. Les 25000 visites. Le 6ème impensé. La Déclaration sur la laïcité.

Première critique du roman : quand on publie un livre qui n’est pas lancé comme une marque de savon ou un détergent, quand on ne fait pas partie du réseau de la gauche ou la droite/caviar, on attend avec impatience, des critiques de votre « œuvre »  (votre chef d’œuvre !!!) dans les médias, car pas de médias et vite le livre part aux oubliettes : il y a tellement de publications ... Si les critiques arrivent au bout de 3 mois, il y a fort à parier que le bouquin est devenu difficile à trouver en librairie.

Bon,  cela c’est le schéma général. Il y a quelques exceptions. Ainsi, comme Laïcité 1905-2005 entre passion et raison s’est bien vendu et qu’il y a la dynamique du centenaire de 1905, on le trouve toujours assez facilement, en tout cas dans certaines librairies parisiennes et de province, malgré le grand nombre de livres sur le sujet. Donc si vous ne l’avez pas encore acheté, réparez vite cet impardonnable oubli (THE big péché contre la laïcité !).

Mais un roman, c’est un autre rayon dans les librairies, et là on ignore le centenaire. D’où l’importance de la critique. Plusieurs sont prévues, mais certains attendent la date anniversaire, ce qui fera bien tard. Donc je me réjouis sans vergogne que Le Figaro Littéraire ait ‘tiré’ le premier et, moins d’une semaine après la sortie de Emile Combes et la princesse carmélite, improbable amour (Aube), ait consacré à « mon » roman un substantiel et élogieux compte rendu, qui, j’espère, va faire école.

Cet article, écrit par la critique Astrid de Larminat,  commence par poser la question : « Qui sait que le ‘petit père Combes’, strict dans ses mœurs aussi bien que dans ses convictions républicaines, a séduit sans le vouloir une jeune princesse carmélite alors qu’il avait près de 70 ans ? ». Elle raconte alors le contexte politique (la lutte contre les congrégations) et les début de « l’idylle » qui « gagnera au fil des mois en profondeur et en intensité ».

Ensuite, elle explique en gros qui je suis et le fait que j’ai écrit ce roman, « cette charmante liaison » à partir d’archives et continue ainsi : « Baubérot campe une période charnière de la République, celle qui prélude à la séparation des Eglises et de l’Etat , quand radicaux et socialistes aspiraient à une époque « où la libre pensée, appuyée sur la doctrine de la raison, pourra suffire à conduire les hommes dans la pratique de la vie » selon les propres termes  de Combes, qui n’était pas un positiviste obtus loin de là. Il se définissait même comme un philosophe spiritualiste. Baubérot cite, malicieux, ses recommandations sur l’attitude à adopter vis-à-vis de l’islam dans les colonies. A découvrir… »

Enfin, A. de Larminat ajoute : « Roman historique précis, nuancé, parsemé d’anecdotes et de propos véridiques –on découvre les positions de Jaurès et de Clemenceau sur ces questions- mais aussi roman discrètement engagé, ce récit des luttes intraitables menées contre le catholicisme, considérées à l’époque comme nécessaires pour défendre la république et la liberté, nous amène bien entendu à méditer sur la place des religions dans la France contemporaine. N’est-ce pas le moins que l’on puisse faire en cette année du centenaire de la loi de 1905 ».

Si après cela, vous n’avez pas envie de lire le livre, c’est vraiment à désespérer des valeurs de la République… Et l’ayant lu, faites votre propre commentaire sur le blog.

Le Blog a 10 mois…et a déjà reçu 25000 visites. Créé fin décembre 2004,  le blog a eu un peu plus de 1000 visites par mois jusqu’à fin mars, à approché les 2000 visites mensuelles en avril et mai, dépassé les 4000 en juin, maintenu le cap pendant les ‘vacances’ avec plus de 5000 visites en juillet-août (il est vrai que chacun de ces mois avait 31 jours !), établi son record en septembre avec 4363 visites, et continué sur sa lancée en octobre : 3686 visites pour les 23 premiers jours du mois, ce qui signifie que le record de septembre a toutes les chances d’être égalé et même battu (il suffit qu’il y ait 100 visites par jour, contre une moyenne de 150 jusqu’alors).

Je m’en réjouis d’autant plus que la création du blog avait reçu un accueil divers parmi mes collègues, profs du supérieurs. Certains ont trouvé qu’il s’agissait d’une très bonne idée, d’autres se montraient plus réticents devant cette porte ouverte hors de l’univers scientifico-universitaire. Moi-même, j’ai commencé par diffuser des textes de fond assez ‘académiques’ (que l’on peut toujours consulter en naviguant sur le blog), et je crois me mettre peu à peu dans l’ambiance plus décontractée et perso des blogs, tout en gardant son ambition de diffuser des choses sérieuses.

Qu’en pensez-vous ? Souhaitez-vous une évolution du blog après la date fatidique des 9-11 décembre  (les jours centenaires de la loi de séparation) ? Laquelle ? Toutes les idées réalisables par un non-doué de l’informatique seront les bienvenues…

En tout cas, merci à toutes celles, tous ceux qui apprécient ce blog, continuez à le faire connaître, parlez en à vos ami(e)s.

Sixième impensé : la laïcité de 1905 se préoccupait déjà de tenues ostensibles mais avait donné une autre réponse à la question. Bien sûr, ce n’est pas « neutre » de ressortir cet aspect bien ignoré de l’élaboration de la loi. Il n’empêche, il est plus ‘objectif’ de l’indiquer que de le cacher. Bien sûr, la situation n’est pas la même qu’aujourd’hui. Bien sûr, c’était la rue et maintenant c’est l’école. Bien sûr, il ne faut pas se servir du passé comme un argument péremptoire d’autorité. OK. Mais quand même, lisez ce 6ème impensé et vous allez être frappé je pense (comme je l’ai été moi-même) par la similitude de certains arguments. Mais je ne vous en dis pas plus, sinon : « bonne lecture ».

La Déclaration internationale sur la laïcité. Vous la trouverez  en cliquant sur la catégorie « Monde et laïcité ». Je rappelle qu’elle est destinée à être signée, d’abord  les universitaires (au sens large), ensuite par les responsables associatifs (également dans un sens large), enfin par tous les êtres humains (ces animaux bizarres qui ne marchent pas à quatre pattes, vous avez du déjà en entendre parler)  . Je suis prêt à parier ma chemise que vous entrez au moins dans une des 3 catégories ! Signez en envoyant un mel à declarationlaicite@hotmail.fr en indiquant vos nom et prénom, votre nationalité,  votre institution ou association de rattachement (même si vous ne l’engagez nullement en signant, c’est juste pour vous situer).

Aller, bisous aux dames et cordiale poignée de main...à ceux qui n'ont pas cette chance!


 

 

 

 
 

 

 
 

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1905 ET LES TENUES OSTENSIBLES

 

SIXIEME IMPENSE  DU CENTENAIRE DE LA SEPARATION :

 

Savez-vous que, dans les débats parlementaires de la loi de séparation, s’est posé le problème de ce que l’on appelle aujourd’hui « les tenues religieuses ostensibles » ? Sans doute non, car on se garde bien de l’indiquer. Pourtant, le 26 juin 1905, l’Assemblée Nationale a discuté d’un problème de nouveau d’actualité, celui de la « tenue religieuse », ou plus exactement du  « costume ecclésiastique.

 

Je ne vais pas faire l’inverse de ce que je reproche à la commémoration dominante, c'est-à-dire que j e vais pas ‘plaquer’ sur 2004-2005 ce qui c’est fait alors, en disant c’est pareil et en faisant de l’attitude adoptée alors la norme obligatoire pour l’attitude à adopter aujourd’hui. Mais quand même, entre le rien et le tout, il y a la connaissance. Il me semble important de savoir comment les laïques de 1905, dont on magnifie d’autant plus facilement la loi que l’on garde secret  beaucoup d’aspects de son élaboration, ont abordé, lors de la rédaction de la loi, le problème des tenues religieuses.

 

Je vais donc me borner à vous donner les principaux points du débat parlementaire sur la question. Libre à chacune et à chacun de faire ou non des rapprochements avec l’actualité. Le but de ce blog est de favoriser le débat et non de prôner une orthodoxie quelconque, fut-elle non-conformiste. Vous pouvez d’ailleurs estimer qu’il a de l’analogie entre le problème de la tenue religieuse tel qu’il s’est posé en 1905 et celui des signes et tenues religieuses tel qu’il est posé aujourd’hui (analogie = ressemblances et différences). Pour ma part, position personnelle, je pense que l’analogie est forte. A vous de juger.

 

Le 26 juin 1905 s’engage donc le débat sur le « costume ecclésiastique » suite à un amendement de Charles Chabert, député radical-socialiste de la Drome, ainsi conçu :

« Les ministres des différents cultes ne pourront porter un costume ecclésiastique que pendant l’exercice de leurs fonctions ».

 

Une remarque immédiate s’impose : l’amendement à une portée générale mais en fait c’est une seule religion qui est visée : le catholicisme. Et de fait les débats vont se focaliser sur le port de la soutane. C’est cet habit qui est visé (rappelons aux ami(e)s du blog qui ne le sauraient pas que la soutane est une grande et ample robe noire que les prêtres catholiques portaient alors sur leurs vêtements habituels. Cette robe noire les faisaient d’ailleurs traiter de « corbeaux » par les anticléricaux. Après Vatican II, la plupart des prêtres ont abandonné la soutane ; on ne voit plus guère aujourd’hui en soutane que des prêtres traditionalistes ou intégristes.

 

Seconde remarque : il y avait déjà eu un mouvement de maires (70 à 75 selon les débats de la Chambre) qui avaient tenté d’interdire le port de la soutane dans leur commune. Mais l’arrêté de l’un d’eux avait été cassé au motif qu’il comportait « des appréciations complètement en dehors du droit conféré aux maires » et donc se trouvait entaché « d’excès de pouvoir ». L’affaire n’avait donc pas été tranchée quant au fond. La soutane étant une robe, elle était accusée de contrevenir à la « dignité masculine » et, de plus, de permettre une attitude hypocrite : encore dans les années 1950 un ouvrage à succès s’intitulait : La soutane devant l’amour.

 

Voyons maintenant les principaux arguments développés par Chabert :

 

-         la soutane n’est pas une obligation pour les ecclésiastiques : jusqu’au VIe siècle ceux-ci s’habillaient comme tout le monde et actuellement (=1905) en Suisse, en Angleterre, en Amérique les prêtres ne la portent pas ce qui n’empêche pas la religion catholique de s’exercer librement.

 

-         la soutane est donc une tenue plus cléricale que religieuse : d’ailleurs la Révolution l’avait interdite et la loi qui avait ratifiée le Concordat en avait limité le port. Ce n’est que par excès de tolérance que cette limitation est tombée en désuétude : de napoléon à la monarchie de Juillet, on préférait « l’habit à la française » au « costume ecclésiastique romain ». Le port généralisé de la soutane est lié à la montée de l’ultramontanisme. Commentaire : il faut savoir que ce terme d’ultramontanisme signifie au XIXe siècle, un catholicisme étranger, intolérant, fanatique, obscurantisme, à l’opposé du bon catholicisme « gallican », à la française, bien de chez nous.

 

 

-         la soutane est « une prédication vivante, un acte permanent de prosélytisme ». C’est « une manifestation confessionnelle » permanente dans l’espace public. A ce titre elle porte atteinte à l’ordre public car elle induit des « manifestations diverses » soit « de sentiments religieux parfois même fanatiques » soit de « sentiments absolument contraires ».  Elle porte à faire croire que les prêtre sont « autre chose et plus que des hommes ». C’est pourquoi interdire le port de la soutane en dehors des lieux de culte  loin d’être une manifestation d’intolérance, est « une œuvre de paix, d’union, d’honnêteté, de logique, d’humanité ».

 

-         la soutane rend le prêtre « prisonnier », « prisonnier de sa longue formation cléricale, prisonnier de son milieu étroit, prisonnier de sa propre ignorance ». La « soutane modifie la marche de celui qui la porte, son allure, son attitude et par suite son état d’âme et sa pensée ».

 

 

-         la soutane est un signe de soumission « d’obéissance (…) directement opposée à la dignité humaine ». Pourquoi « les évêques tiennent si fort à ce que leurs prêtres portent la soutane » ? Pour 2 raisons. D’abord « afin que les prêtres ne puissent échapper à la surveillance de leurs supérieurs » ; ensuite « afin de maintenir comme une barrière infranchissable entre eux et la société laïque ». Sans soutane, le prêtre « échappe à son supérieur, s’évade de cette tyrannie monstrueuse de tous les instants. »

 

-         il faut donc interdire la soutane, si on est « soucieux de la liberté et de la dignité humaines ». Si  vous « ôtez sa robe » au prêtre, vous lui permettrez de « respirer, lever la tête, causer avec n’importe qui  (…). C’est ainsi que vous lui ferez faire un pas immense, que vous libérerez son cerveau ». En « l’habillant comme tous le monde » faisons de « cet adversaire de la société moderne, un partisan de nos idées, un serviteur du progrès. De ce serf, de cet esclave, faisons un homme ».

 

-         les prêtres eux-mêmes attendent de l’Etat républicain qu’il les libère de la soutane : « j’ai reçu, affirme Chabert, des confidences intimes » et s’il y a des prêtres qui ne veulent pas quitter leur habit, « un plus grand nombre d’entre eux –et ce sont les plus intelligents, les plus instruits- ATTENDENT AVEC ANXIETE CETTE LOI QUI LES RENDRA LIBRES ». Chabert ajoute qu’il pourrait citer des noms (et même des noms d’évêques). Bref, des « prêtres parmi les plus honorables et les plus convaincus (…) qui se consoleront de voir votée la loi de séparation, si en même temps vous supprimez la robe sous laquelle ils se sentent mal à l’aise ».

 

A différentes reprises, Chabert est  applaudi « sur divers bancs à gauche et à l’extrême gauche » tandis qu’il y a des « exclamations et bruit à droite ».

 

A cette interprétation de la tenue religieuse comme habit de soumission et de ce devoir de l’Etat républicain et laïque d’émanciper, par la loi, les prêtres de la soutane, Briand répond que c’est à la suite « d’une délibération mûrement réfléchie » que la Commission a estimer que ce serait encourir les reproches « d’intolérance » et même de « ridicule » (« applaudissements et rires au centre et à droite ») «que de vouloir, par une loi qui va « instaurer dans le pays un régime de liberté » d’imposer aux prêtre « l’obligation de modifier la coupe de leurs vêtements ». Et il poursuit : « Votre commission, messieurs, a pensé qu’en régime de séparation la question du costume ecclésiastique ne pouvait se poser. CE COSTUME N’EXISTE PLUS POUR  NOUS AVEC SON CARACTERE OFFICIEL. (…) LA SOUTANE DEVIENT, DES LE LENDEMAIN DE LA SEPARATION, UN VETEMENT COMME LES AUTRES, ACCESSIBLE A TOUS LES CITOYENS, PRETRES OU NON ».

 

Résultat des courses : l’amendement Chabert est repoussé par 391 voix contre 184.

 

Prochainement sur le blog : le septième impensé : La Séparation républicaine n’est pas celle de l’Empire (colonial)

En attendant, deux livres récents fort intéressants sur d’anciennes colonies devenues DOM :

-         Prosper Eve, La laïcité en terre réunionnaise, origine et originalité. Océan éditions, 2005.

-         Philippe Delisle : L’anticléricalisme dans la Caraïbe francophone, Un « article importé » ?, Karthala, 2005.

18/10/2005

LE CINQUIEME IMPENSE DE LA COMMEMORATION

LA SEPARATION ACCOMPLISSEMENT OU CONTRAIRE DE LA REVOLUTION ?

Quand Emile Combes avait défendu le Concordat le 26 janvier 1903, il avait déclaré ceci : « J’aspire comme vous tous, du côté gauche de cette Chambre, à l’époque que je voudrais prochaine, que je voudrais immédiate, mais que la constatation de l’état présent m’oblige à ajourner à quelque temps, où la libre-pensée, appuyée sur la doctrine de la raison, pourra suffire à conduire les hommes dans la pratique de la vie ». Le propos est clair, et il est étonnant que les historiens de la séparation n’aient pas plus insisté sur ce fait : la séparation est perçue comme l’avènement d’un temps où la vie sociale française se déroule sous l’égide de la libre pensée. C’est cela la séparation, pas autre chose.

Et le plus remarquable est que personne alors, ni à la Chambre, ni dans la polémique  et la campagne de presse qui fait rage jusqu’au 4 février (cf. mon roman  où je raconte en détails cette déclaration de Combes et ses suites) n’écrit des propos tels que : « mais la séparation, ce n’est pas du tout cela, c’est l’Etat dégagé de tout caractère religieux et garantissant le libre exercice des cultes, étant religieusement neutre, ne prenant pas partie entre la religion et la libre-pensée, qui luttent ainsi à armes égales pour convaincre les gens de la vérité de leurs propos ». C’est en substance ce que va dire, ce que va répéter Briand, tout au long de la discussion parlementaire au printemps 1905. Mais en 1903, personne ne défend la conception de la neutralité religieuse de l’Etat comme fondement de la séparation. L’Etat républicain émancipe de la religion, il n’est pas religieusement neutre.

Au contraire : quand, quelques semaines plus tard, Francis de Pressensé (le futur père de l’article 4 modifié, l’accommodateur par excellence en 1905) présente le premier projet de loi consistant de séparation, ce projet commence par un Préambule qui dénonce « les ennemis jurés de la liberté, les disciples du Syllabus, les héritiers de la plus formidable entreprise d’asservissement intellectuel, les complices des plus odieuses tentatives d’oppression morale et politique ». Nous sommes bien dans une perspective où la séparation prend sens dans un combat contre le catholicisme. Et le projet de Pressensé est contresigné notamment…par Jaurès et Briand.

La séparation est là, l’aboutissement de la Révolution, c'est-à-dire que son projet de « régénération », de création d’un « homme nouveau » (cf. les travaux de Mona Ozouf), en arrachant cet homme nouveau à ses traditions, ses habitudes, son passé qui l’insère dans le « fanatisme » et la « superstition » pour le mettre dans les « lumières » de la raison (et de la science, ajoute le XIXe siècle). Certes, ce projet là, ce n’est pas la laïcité de Jules Ferry, qui déclarait « je suis l’élu d’un peuple attaché à la République et attaché à ses processions » et…prenait son parti de ce double attachement. Mais justement, le thème de la « laïcité intégrale » prône la rupture avec la laïcité ferryste dont les accommodements lui semble autant de compromissions.

L’idée de la séparation comme accomplissement de la Révolution va perdurer durant les débats de 1905. C’est la conviction profonde des Républicains séparatistes. Et ils n’ont certes pas complètement tort : d’une part parce que la séparation est beaucoup plus dans la logique des principes laïques, tels qu’ils ont été formulés de 1789 (Déclaration des droits) à 1791 (Constitution) que la Constitution civile du clergé (1790) où, à fortiori, les cultes révolutionnaires de 1793 ; d’autre part parce que la Révolution a tenté elle-même une séparation en 1795. Mais cette séparation là, elle ne l’a pas réussie car elle n’a pas pu désimbriquer le politique et le religieux (retour de la répression en 1797) et elle n’a pas voulu renoncer à des tentatives de fabrication d’un homme nouveau, en rupture avec l’ancien (culte décadaire, théophilantropie,…).

Jaurès lui-même, quand il défendra l’article 4 modifié (par l’ajout Pressensé), le fera en se réclamant (paradoxalement mais significativement) du radicalisme révolutionnaire : « Toute notre histoire proteste contre je ne sais quelle tentation de substituer les compromis incertains et tâtonnants du schisme (il s’agissait en fait de ne pas empêcher le développement d’un « catholicisme républicain » qui se séparerait de Rome) à la marche délibérée de l’esprit vers la pleine lumière, la pleine science et l’entière raison ». Mais, comme toujours il ne faut pas être dans le premier degré : l’inflation lyrique de Jaurès a précisément pour mission de flatter la gauche républicaine dans le sens du poil, au moment où on l’amène à accepter un accommodement réclamé par le centre et la droite.
En fait, la séparation qui est construite du travail de la Commission aux débats de la Chambre est, de plus en plus, une séparation qui diverge profondément de l’optique révolutionnaire.  Certes, il y a rupture des liens concordataires, certes, il y a la construction d’un régime nouveau. Mais, contrairement à la Révolution, le nouveau se construit en tenant le plus grand compte de l’ancien.
Il est remarquable de constater que la Chambre du Blog des gauches, se met à parler positivement des traditions et des coutumes ! Un partisan de la séparation (E. Flandin) déclare qu’il faut faire très attention au sort que l’on réserve à la « vieille église » car  aussi bien les croyants que «  beaucoup parmi ceux qui depuis longtemps ont désappris le chemin de l »église, qui ne verraient pas sans un sentiment pénible  troubler des habitudes séculaires et profondément respectables » (séance du 8 juin). On prend conscience que l’église, le cimetière sont à la fois des lieux où on adore Dieu et où on entretient un certain rapport avec les morts.

Jaurès lui-même affirme : « Je ne méconnais pas que des millions de citoyens (…) sont attachés à la religion traditionnelle et au culte traditionnel » et qu’il y aurait « injustice et violence si nous adoptions une seule disposition qui fit réellement obstacle à la liberté de conscience et à la liberté de culte » (21 avril). Et Briand affirme de son côté : « Beaucoup de catholiques français désirent n’être pas troublés dans leur traditions, dans leurs habitudes, veulent garder la liberté (…) d’exprimer leurs sentiments religieux. Vous n’avez pas le droit de les brimer, d’inquiéter leur conscience » (25 mai). Et l’on pourrait multiplier les citations.

Point n’en est besoin ; il suffit de constater que le 27 juin contre le député radical (et protestant) Eugène Réveillaud, la Chambre refuse de maintenir les dispositions de l’article 45 de la loi de germinal an X (1802, celle qui avait établi le système du Concordat et des « cultes reconnus ») limitant le droit de faire des processions (ce qui montre d’ailleurs que, séparée de l’Etat, la religion peut se déployer plus librement dans l’espace public). On ne saurait être plus « ferryste », moins révolutionnaire ou dans l’état d’esprit de la « laïcité intégrale » » !!!

QUEL PARADOXE : cette Chambre élue en pleine exacerbation du combat des deux France, cette Chambre représentant le progrès contre la tradition, a fini par faire la louange des "traditions et des habitudes respectables", a pris grand soin de ne pas les heurter ! Mais ce paradoxe est signifiant : c’est justement grâce à cela que cette Chambre a construit un NOUVEAU DURABLE. Ses mesures antérieures, celles qui ne tenaient compte ni des « habitudes » ni des « traditions », les mesures anticongréganistes n’ont pas duré plus de 10 ans. De même la séparation opérée par la Révolution n’avait durée que 7 ans. Pour « achever » ce que la Révolution n’avait pas réussit à faire, pour l’ « accomplir », il fallait, d’une certaine manière, faire le contraire (au niveau de la méthode, de l’état d’esprit). DONC LA LOI DE SEPARATION EST, A LA FOIS, L'ACCOMPLISSEMENT DE LA REVOLUTION ET SON CONTRAIRE.

10/10/2005

UN AMOUR DE PRINCESSE

Voici, comme promis, les raisons de mon roman et surtout, dans la Catégorie Monde et laïcité, une Déclaration Internationale sur la laïcité que vous pouvez signer et faire signer. A lire absolument !

Pour les gens qui me demandent de venir participer à un débat: Merci, mais d’ici la fin de l’année, c’est archi, archi complet, je ne sais pas déjà comment je vais faire face. Rassurez-vous, la laïcité sera encore à l’ordre du jour en 2006, et consolez-vous en lisant le roman (et mes autres livres sur la laïcité, bien sûr!!)

POURQUOI J’AI ECRIT: EMILE COMBES ET LA PRINCESSE CARMELITE. IMPROBABLE AMOUR.

Aimez-vous les histoires de princesse? Moi, j’adore. Il était une fois  une belle et riche princesse de 34 ans qui, dans une improbable aventure, rencontre un vieil homme de 68 ans, issu d’un milieu d’ouvriers tailleurs. Cette princesse était une religieuse qui aurait du rester enfermée dans son couvent et l’homme un anticlerical farouche qui fermait les couvents les uns après les autres. C’est d’ailleurs à cause de cela qu’ils se sont rencontrés. Elle venait implorer l’intraitable vieillard. Et qu’arriva-t-il? Un coup de foudre réciproque, une double passion, aussi troublante pour la jeune carmélite qui n’a le droit de fréquenter aucun homme que pour le laïque intransigeant, jusqu’alors mari fidèle et qui continue sans faiblir sa lutte contre les congrégations religieuses!

L’histoire est si étonnante qu’on éprouve quelque peine à la croire vraie. Pourtant c’est le cas, comme en témoignent  les lettres, douces et enflammées, que Jeanne Bibesco (la princesse carmélite) a envoyées à Emile Combes[i]. Les réponses de ce dernier ont, comme par hazard!, disparu. Cela laisse tout loisir d’imaginer chez le président du Conseil (= premier minister de l’époque, avec plus de pouvoir) l’éternel masculin à la dérive[ii].

Quel merveilleux sujet pour un téléfilm! C’est d’abord de ce côté là que je me suis orienté, recherchant un réalisateur intéressé. Mal introduit dans ce milieu, je n’ai trouvé personne.

J’ai toujours estimé que la démarche historique est un mélange de science et de fiction. Le travail d’archives, l’étude des documents de l’époque, l’examen critique des productions des autres historiens tirent l’histoire vers la science. Mais la fiction est également présente: certains faits ont existé sans que des documents en portent témoignage, certains documents sont perdus (là, les lettres de Combes), etc. L’historien doit travailler à partir d’indices, dresser un tableau qu’il sait incomplet. Le roman historique peut, lui, compléter et tenter de reconstituer du réel grace à l’imaginaire, tel est son intéressant paradoxe.

Je donnais, alors,des cours à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes sur Combes et le Combisme. Pour cela j’effectuais un travail d’historien et je disposais d’un certain savoir. Je me suis jeté à l’eau et lancé dans l’écriture, à partir des dossiers que j'avais engrengés, d’un roman sur les amours tumultueuses de Combes et Jeanne Bibesco. Si la tentative aboutissait, ce serait mon vingtième livre et il me plaisait de penser qu’il serait d’un autre genre littéraire que les précédents. Il me plaisait également, moi qui suis un des historiens qui ont insisté sur les différences entre le projet de séparation de Combes et la loi de 1905, concoctée par Briand[iii], moi qui ait une representation de la laïcité (et de la vie et du monde) si différente de Combes, de tenter de me mettre à sa place, d’imaginer comment il pouvait vivre tout ce qu’il lui arrivait et rendre compte, en meme temps de son action politique[iv].

Je me suis lancé dans cette aventure sans aucune obligation de résultat. Pour la première fois depuis plus de 20 ans, je n’avais pas passé de contrat préalable avec un éditeur, je pouvais donc m’arréter dés que je le désirais si j’avais le sentiment que ce que j'avais entrepris me conduisait dans une impasse ou que le temps pris sur le sommeil était trop lourd. Je me suis pris au jeu car j’ai eu l’impression d’accéder à une nouvelle dimension de l’histoire: l’histoire subjective. De plus, le travail d’imagination, d’écriture libérée de contraintes de type universitaire, la possibilité de mélanger anecdotes d’époque, clins d’oeil et mise en scène de personnages historiques, etc, tout cet ensemble m'a amené à prendre beaucoup de plaisir dans l'écriture de ce roman. J’espère que ce plaisir sera communicatif et que lecteurs et lectrices en éprouveront également.

A propos de lecteurs et lectrices, j’ai été amené par la logique de l’histoire à insister sur les rapports homme-femme. D’abord cet amour est assez emblématique de ces rapports: un vieil homme et une jeune femme, mais en meme temps, il inverse l’habitude (ce n’est pas le prince et la bergère mais la princesse et de fils de l’ouvrier tailleur, il est vrai que ce fils est devenu president du Conseil). Certains faits (le mariage de Combes avec une fille de 16 ans qui ne le rencontre que quand on a déjà décidé pour elle qu’elle l’épouserait) était l’occasion de revenir sur la condition et la representation de “la” femme à la belle époque, theme déjà present dans mes ouvrages précédents[v]. Je publie notamment un très beau texte féministe jusqu’alors inconnu (légèrement postérieur, mais un roman permet de courcircuiter quelque peu les dates) et très significatif. Les affrontements de 1902-1904 entre “cléricaux” et “anticléricaux” sont l’occasion d’une entrée des femmes en politique (des deux côtés), aspect que j’ai aimé souligner un peu. Enfin, les rapports homme-femme sont centraux, en 2005 comme en 1905 et j’ai tenté de le dire à ma manière. Laquelle? Vous le verrez bien!

Oeuvre de fiction, ce roman est délibérément à tiroirs. Il commence ainsi : “Il s’agirait d’un film.” Dans ce film imaginaire, un sociologue de la médecine (Combes était médecin)  découvre un journal intime de Combes et le retranscrit sur son ordinateur portable. Mais pendant que lectrices et lecteurs ont leur attention focalisée sur les aventures politiques et sentimentales de Combes, ce petit coquin de Mag en profite pour rencontrer Carla, la charmante directrice des ressources humaines de l’université où il va donner quelques cours. Elle ressemble à Jeanne. De multiples rebondissements sont à prévoir, les 2 histoires vont peut-être finir par s’entrecroiser.

Je ne vous en dis pas plus. A partir de vendredi 14 octobre, le roman (qui paraît aux éditions de l’Aube) doit se trouver dans toutes les librairies dignes de ce nom.



[i] Conservées à la bibliothèque de Pons, ces lettres ont été publiées par le grand spécialiste de Combes, Gabriel Merle chez Gallimard, en 1994.

[ii] Je m’amuse, ayant lu sous la plume d’un journaliste dans un article sur un film, que l’actrice manifestait  « l’éternel féminin à la dérive »

[iii] cf not. mon Vers un nouveau pacte laïque, Seuil, 1990, pages 49-99.

[iv] Si, dans les documents d’archives, Combes ne parle pas de sa relation avec Jeanne, il a tenté de justifier son Ministère en 1907 (manuscrit publié par Maurice Sorre chez Plon en 1956).  Si cela a été une source d’inspiration, le manuscrit se perd un peu trop dans les détails et fleure souvent le règlement de compte. J’ai essayé de synthétiser et de resituer l’action de Combes dans ses grands enjeux, d’imlaginer aussi comment il pouvait vivre, en même temps, son action politique et sa relation amoureuse

[v] En particulier, La morale laïque contre l’ordre moral, Une haine oubliée, Laïcité 1905-2005 entre passion et raison et le « que sais-je » sur l’Histoire de la laïcité en France, surtout dans sa 3ème édition)