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12/12/2005

LA COMMEMORATION CONTINUE

EN 2006, DE NOUVEAUX IMPENSES, CETTE FOIS SUR LA SOCIETE FRANCAISE

La commémoration continue : brièvement, pour ce qui me concerne, vous pouvez lire le chat sur le site du Monde (n° daté du 13 décembre), je serai à Poitiers (Espace Mendès France) mercredi 14 matin, à l’Assemblée nationale à une table ronde à 16 h l’après midi, en colloque à Carcassonne le vendredi 16 et à Bruxelles, pour un autre colloque, organisé par l’ULB, le samedi 17. Article es également à paraître dans l’International Herold Tribune et dans L’Hebdo des socialistes.

Mais surtout il faut penser à la suite : deux choses importantes

-         pour toutes celles et ceux qui pensent que la laïcité n’est pas que française et que certaines façons d’en parler relèvent plus du ‘national universalisme’ que de la laïcité, la Déclaration Internationale sur la laïcité (cliquer sur la catégorie : Monde et laïcité pour pouvoir la lire) peut être signée par tous (pour le moment environ 250 universitaires de 32 pays et une cinquantaine de responsables associatifs). Des versions en anglais, arabe, espagnol, vietnamien existent. Une version en néerlandais est envisagée.

-         Les Impensés du Centenaire vont se poursuivre jusqu’à fin décembre (le prochain : mercredi soir 14). En 2006, dès janvier, vous allez bénéficier en première mondiale, du nouveau feuilleton : Les Impensés II, Le retour. Il s’agit, à partir du levier de la laïcité (comprise au sens large), d’effectuer une critique de la société française. Une critique inédite. En effet, chères blogeuses et chers blogeurs, ne le répéter pas mais je viens d’inventer une machine à traverser le temps. J’ai ainsi rencontré un historien travaillant, en 2106, sur la société française de 2006. Et je me suis glissé dans son bureau pour lire l’ouvrage qu’il est en train de rédiger sur ce sujet. Vous verrez, c’est stupéfiant ! Avant de revenir dans notre temps à nous, je lui ai piqué son manuscrit et je vais vous en faire bénéficier.
En attendant, je vous livre l’interview publiée par le quotidien Les Echos (vendredi 9 décembre). On y trouve, en résumé synthétique et très lisible, beaucoup des thèmes que j’ai déjà livrés dans ce blog, mais de façon plus compliquée. Les deux journalistes (Carine Fouteau et Françoise Fressoz) m’ont fait parler pendant un peu plus de deux heures et en effectué, ensuite, un remarquable travail de mise en forme.
Voici cette interview  (en vous priant de m'excusez sur les tailles des caractères que je n'arrive pas à maîtriser!):

On célèbre aujourd’hui le centenaire de la loi de 1905 portant séparation des églises et de l’Etat. Mais l’histoire de la laïcité en France a commencé en réalité bien plus tôt….

Tout a commencé avec la Révolution française, pourrait- on dire pour simplifier mais ce ne serait pas complètement exact. Car il ne faut pas négliger, avant la Révolution, l’influence du gallicanisme, la prétention qu’a le roi de France de jouer un rôle important dans la Chrétienté et d’être en France, le chef temporel de l’Eglise. C’est cette tradition qui débouchera en 1790 sur la Constitution civile du clergé : les Constituants organisent  les diocèses et les paroisses à la manière de circonscriptions administratives. Ils font élire le clergé. Ils refont l’Eglise à l’image de l’Etat.

Qu’apporte, concrètement, la Révolution française ?

Elle apporte les principes de la laïcité mais elle est en même temps incapable de les faire appliquer. Le premier de ces principes  c’est la liberté de conscience. L’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme indique : “ nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses ”, à condition que “ leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ”. Le problème, c’est que l’ordre public révolutionnaire ne sera pas un ordre public démocratique. La religion et l’opposition à la Révolution sont trop intimement liées. Lorsque Bonaparte arrive au pouvoir, les  catholiques pratiquants sont  suspects de terrorisme. 

L’autre grand principe laïque c’est l’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme qui dit que “ la souveraineté vient de la Nation ”, alors qu’auparavant elle provenait de Dieu.

C’est, pour l’époque, une très grosse rupture.

Oui et une rupture tellement importante que la Révolution ne réussira pas en réalité à couper le cordon ombilical entre le politique et le religieux. Elle tentera, avec la Constitution civile du clergé, une sorte de nationalisation de l’Eglise catholique afin que celle- ci puisse attester la Révolution. Lorsque cette tentative échouera, elle essayera  de s’auto-légitimer religieusement avec le calendrier et les cultes révolutionnaires. Mais là encore ce sera l’échec : on ne crée pas une religion par décret.

C’est en fait Napoléon qui réussit à instaurer ce que vous appelez le premier seuil de laïcisation …

Sur les principes, Napoléon est en retrait par rapport à la Révolution mais dans les faits c’est lui qui parvient à faire vivre, pour la première fois, en France ce qu’on pourrait appeler, avec Aristide Briand une « semi laïcité ». L’Etat ne dépend plus du religieux. Napoléon le symbolise bien : il veut être sacré par le pape mais c’est lui même qui se coiffe de la couronne. La loi reste laïcisée puisque le Code civil, élaboré entre 1800 et 1804, ne comporte  aucune norme religieuse. Le pluralisme des cultes est garanti  – sauf cas d’instabilité politique_  mais  la légitimité sociale de la religion est reconnue : elle est  source de la morale qui permet le vivre ensemble. Elle exerce, à ce titre, une mission de service public,  sous la protection et la surveillance  de l’Etat.
Comment ces principes fonctionnent- ils dans la société?

Au XIXème siècle, les  Français, dans leur majorité ne sont ni des catholiques à 100% ni des athées convaincus. Ils veulent pouvoir avoir l’Eglise catholique à leur disposition quand ça leur plait et ne pas trop lui obéir pour autant. Dans ce rapport ambivalent, la femme maintient  la proximité et  l’homme la distance. Ce partage des rôles familiaux explique en partie pourquoi le droit de vote des femmes a été si tardif en France. Entre les deux guerres, le Sénat, contrôlé par le parti radical, le leur  a toujours refusé parce qu’il pensait qu’elles étaient sous « influence cléricale ».

A partir de Napoléon, la médecine et, dans une moindre mesure l’éducation commencent  à s’émanciper de la religion. Pourquoi ?

C’est une évolution fondamentale, dictée par des raisons politiques : à  partir du moment où ils ne pouvaient  plus se légitimer par la religion, les régimes politique qui se sont réclamé de 1789  ont tous cherché  à le faire par l’idéologie des Lumières, c’est-à-dire par le progrès de la science et de la raison .Il fallait que cela se traduise, pour le Français moyen, par des avancées en terme de savoir et de santé. La médecine et l’école sont devenues des instances de légitimation  politique fortes. Napoléon a commencé par créer des lycées publics parce c’est la formation des élites qui l’intéressait. Mais progressivement, l’école primaire a, elle aussi, cherché à s’émanciper du religieux : la  loi Guizot de 1833 crée l’instituteur et lui assure une certaine condition sociale. La loi Falloux de 1850, même si elle est  considérée comme cléricale, améliore la condition de l’instituteur et oblige les communes à entretenir une école de fille. 

Quel rapport l’école primaire laïque entretient- elle avec la religion ?

Les cours d’histoire, de mathématiques sont de la responsabilité de l’instituteur laïque. Mais ce qui reste au cœur de l’école, c’est l’enseignement de la morale religieuse. C’est un héritage de  Napoléon et de Portalis qui pensaient  que la religion, avec le désir du paradis et la crainte de l’enfer, était un bon éducateur moral : elle aidait à supporter les douleurs de la vie et les inégalités sociales. Cette légitimité morale donnée à la religion, a été constamment battue en brèche au XIXème siècle par le camp laïque et l’extrême gauche qui la jugeait totalement réactionnaire.

Constate-t-on,  à l’époque, les mêmes tensions dans le reste de  l’Europe ?

Non. Si l’ on prend la Grande- Bretagne, par exemple, l’équilibre entre la sécularité et le religieux a été beaucoup plus facilement assuré sans doute parce que l’anglicanisme a toujours été une religion plus libérale que le catholicisme. Un exemple : là  bas, c’est un fils de pasteur qui a inventé le procédé de l’accouchement sans douleur. Il  connaissait  l’hébreu  et il a pu réinterpréter la fameuse phrase “ tu accoucheras dans la douleur ” par “tu accoucheras avec effort ” car le mot hébreu a les deux sens. Des pasteurs ont évidemment protesté mais la bataille a été gagnée lorsque la reine Victoria, chef temporelle de l’Eglise anglicane, a accouché sans douleur en 1853.

Dans la “ guerre des deux France ” qui a agité tout le XIXème siècle, qui étaient les principaux acteurs ?

Il y avait d’un côté une minorité de catholiques, les intégralistes qui voulaient que le catholicisme englobe tous les aspects de leur vie. Le pape les a soutenus à partir de l’échec des révolutions de 1848 parce qu’il craignait que le trouble s’installe dan ses propres Etats. Il y avait, de l’autre côté, une minorité de militants libre penseurs qui se sont radicalisés lorsqu’ils ont vu Napoléon III qui se réclamait  du drapeau tricolore, faire alliance avec l’Eglise catholique.  Cela  les a profondément heurtés. Cette querelle des deux France s’est ensuite exacerbée au moment de l’affaire Dreyfus, traduisant à mon avis  une querelle sur l’identité nationale. La France est-elle fille aînée de l’Eglise? Est - elle fille de la Révolution ? La plupart des Français se situaient entre les deux. Mais le conflit s’est tellement radicalisé qu’ils ont été  sommés de choisir leur camp. Et pendant un temps assez court mais très dense, de 1899 à 1904, la République  s’est sentie tellement menacée qu’elle a été tentée par une laïcité intégrale, sans concession.  Mais plus le gouvernement prenait des mesures anti-cléricales, plus il suscitait des troubles en retour. Il fallait sortir de ce cercle vicieux
On en arrive à cette fameuse loi de 1905  qui débouche sur ce que vous appelez le second seuil de laïcisation, c'est-à-dire la laïcité.

Cette loi doit beaucoup au rapporteur de la commission Aristide Briand, qui est parvenu à se dégager du climat passionnel de l’époque pour synthétiser les attentes de la société. Ce franc-tireur génial a compris que la population française, encore à majorité paysanne, voulait plus de liberté sans pour autant renoncer aux secours de la religion. Il a su trouver le juste équilibre en se dégageant des pressions de tous bords. Cette loi est un pacte laïque. Elle rompt le lien concordataire avec Rome, ce qui est une vraie révolution. Mais elle  met en même temps un terme au contrôle que l’Etat exerçait sur les Eglises _ elles seront  plus libres après la loi de 1905 qu’avant _. Et  elle débouche sur une séparation implicite de la libre pensée et de l’Etat.

Qu’est-ce qui, concrètement, change ?

L’institution religieuse s’est retrouvée privatisée au sens socio-économique du terme. De service public, comme La Poste, les Eglises sont devenues des services privés, ce qui ne les a évidemment pas empêchés de s’exprimer dans l’espace public. Au contraire ! La religion est devenue un choix privé, concurrent de la libre pensée. Et comme la libre pensée était très liée à l’Etat, c’est plutôt elle qui a accusé le coup de la nouvelle configuration. Sur le papier, le changement était plutôt brutal mais le mouvement s’est en réalité opéré en douceur :  les Eglises ont perdu le budget de l’Etat, mais elles ont continué à  bénéficier d’avantages en terme de terrains et de réparations. Les curés  ont été “ licenciés ”, mais le “ plan social ” s’est étendu sur huit ans.

La loi de 1905 a été une loi d’apaisement au sens où pendant des années, le compromis a tenu. On a quand même vu ressurgir la querelle scolaire en 1984  et en 1994

En 1984  l’idée de Pierre Mauroy et de son ministre Alain Savary  était de promouvoir, derrière ce qu’ils appelaient le grand service public de l’éducation, une école de la diversité. Ils considéraient, à juste titre,  que ce qui menace l’école aujourd’hui n’est plus le catholicisme mais l’uniformité massificatrice. Dans leur projet, certains établissements pouvaient enseigner des langues régionales, comporter une référence à des valeurs religieuses… Les laïques purs et durs ont très mal réagi entraînant une forte riposte des défenseurs du privé. La réforme avortée a coûté son poste à Pierre Mauroy. En 1994 François Bayrou  voulait, lui, assurer l’égalité de traitement entre l’enseignement laïque et catholique.  Il a  du à son  tour reculer en raison de l’ampleur des manifestations. Tant que la France restera dans un modèle d’enseignement dualiste et non pluraliste, les lignes auront du mal à bouger.
En 1989, on a vu apparaître les premières tensions liées au  port du voile islamique à l’école. La laïcité a été bousculée par la mise en lumière d’une religion avec qui elle n’avait pas l’habitude de traiter.

C’est vrai mais il faut rappeler qu’il y a un siècle, l’islam avait meilleure réputation auprès des laïques que le catholicisme. De par sa sobriété dogmatique, cette religion leur apparaissait moins plus proche du « spiritualisme républicain ». Malgré cela, la loi de 1905 n’a pas été appliquée en Algérie. Les musulmans ont eu le statut de « nationaux mais pas de  citoyen français. Cela fait partie du passif. 

Le port du voile a heurté parce qu’il traduit une revendication identitaire forte qui s’inscrit dans une nouvelle étape de la laïcité, un troisième seuil moins assuré que le second. Le tournant s’est opéré en  mai 1968, lorsque les institutions et les pouvoirs de toute nature ont été contestés. La politique, mais aussi la médecine et l’école, ont perdu de leur sacralité. La société est aujourd’hui en quête de sens et elle navigue entre deux écueils : exclure les religions de la sphère publique, au risque de l’aseptiser et de favoriser, par choc en retour, les intégrismes. Ou  au contraire déléguer aux seules religions les problèmes de sens.

Vous n’étiez pas favorable à la loi interdisant le port du voile à l’école. Pourquoi ?

Le débat rappelle ce qui s’était passé en 1905 à propos du port de la soutane.A l’époque certains laïques voulaient  qu’il soit interdit en ville en le voyant comme un signe de soumission au cléricalisme. Briand a répondu que la  laïcité ne consistait pas à interdire la soutane mais à considérer qu’elle était un vêtement comme un autre, pouvant être porté par tous ceux qui le souhaitaient. Je me suis abstenu car je pense, comme l’avait déclaré le Conseil d’Etat, qu’il faut réprimer des comportements agressifs et pas un port discret du foulard. Les musulmans, comme les catholiques, les protestants, les juifs, etc. n’ont pas à choisir entre l’attachement à la République et leur pratique religieuse. Les immigrations précédentes, espagnoles et portugaises, elles aussi mal vues en leur temps, sont souvent passées par des instances de socialisation telles que la religion (le catholicisme) ou la politique (le communisme stalinien). L’intégration ne s’est pas toujours faite dans la pure ligne républicaine. Elle a pu se faire au travers d’instances alors contestataires.  Il faut savoir l’admettre.

La laïcité est-elle aujourd’hui menacée ?

Je ne le pense pas. Le seul danger qui la guette est d’être trop dure, trop rigide.  Elle ne doit pas se laisser  manipuler par ni par ceux qui, à droite sont en fait anti-musulmans, ni par ceux qui, à gauche cherchent à se fabriquer une crédibilité en étant des laïques arque boutés.


08/12/2005

VIVE LES ANTILLAIS !

Le centenaire de la loi de séparation ne finira pas le 9 décembre, des colloques, rencontres, etc sont encore prévues pratiquement jusqu’à Noël (et même en janvier) mais il est actuellement  à son sommet. Pour ma part hier, j’étais à Lyon, ce matin sur RMC, demain vendredi à 8h15 sur RFI où je présenterai la Déclaration Internationale sur la laïcité, avant qu’elle soit officiellement présentée au Sénat l’après midi. Vous pouvez me retrouver aussi dans Les Echos (une très longue interview), le Monde (pour la Déclaration), La Croix, la Voix du Nord, Sud-Ouest, le n° spécial d’Est-Républicain (je vous le recommande : il est très complet et sur la région et sur le national, et sur 1905 et sur 2005), la Terre; de plus il y a une excellente critique de mon roman, Emile Combes et la princesse carmélite, ce qui ne gâte rien), Réforme, sur Radio Bleue Auxerre (12h15) et sur BFM TV  (18h ou 20h)., sur France 3 région à 18h40, dans le 18-20 d'Europe et , normalement, au journal de 20h de TF1. Ouf, ouf…et pardon aux journalistes du Populaire du Centre (c’est le quotidien de mon pays et je n’ai pas été capable de trouver le moment adéquat pour faire l’interview). Je leur revaudrai cela car ce sont des Limousins sympas ! Excuses à d'autres également, qui ont téléphoné ou envoyé un mel trop tard ou à un moment où je n'étais pas disponible.

Il y aura le 9 et 10 des manifestations importantes un peu partout, notamment un colloque le 9 à Toulouse et le 10 à Aix, Lille… et entre ces deux villes aussi. Pour les parisiennes et parisiens, n’oubliez pas le samedi 10 à la Bourse du travail, 33 Bd du Temple, 75003 Paris, de 9h à 18h avec plusieurs invités étrangers, ce qui nous fera un peu sortir des débats franco-français et la projection d’un DVD en avant-première mondiale…. A noter le lundi 12 de 15 à 16 heures, un chat avec les lecteurs du Monde

Mais les meilleurs pour ce centenaire, ce sont les Antillais qui ont obligé les autorités gouvernementales à admettre que ce n’était pas au politique qu’il revenait d’écrire et d’enseigner l’histoire. L’histoire est une démarche de connaissance où on doit affronter, comme l’indiquait déjà Max Weber, des « faits désagréables », et restituer le passé dans toutes ses dimensions et sa complexité. L’histoire officielle, c’est vraiment un grave danger pour la démocratie et la laïcité. C'est  un cléricalisme et l'un des pires : vive la séparation de la connaissance et de l'Etat, vive la séparation de la conaissance et de la politique idéologique. Les députés n’ont vraiment pas fait honneur à leur (pourtant) noble fonction : les socialistes se sont réveillés bien tardivement, et l’UMP s’est enferrée. Tout cela l’année du centenaire : quel contraste entre nos pauvres députés et la qualité des débats parlementaires autour de la loi de séparation. QUE POURRA-T-ON FÊTER EN 2105 DE 2005 ? Nous n’avons plus que 3 semaines pour répondre à cette question !

PS: vous trouverez de nouvelles notes lundi et mardi prochain.

22:15 Publié dans EDITORIAL | Lien permanent | Commentaires (3)

05/12/2005

DOUZIEME IMPENSE

LA SURENCHERE LAÏQUE: "UN DANGER POUR LA REPUBLIQUE" (BRIAND) 

D'abord quelques nouvelles

RECORD ARCHI BATTU DE FREQUENTATION DU BLOG: 948 VISITES HIER LUNDI 5 DECEMBRE

N'oubliez pas la Grande Rencontre du 10 décembre (cf après ce 12ème Impensé; ou en cliquant sur la catégorie "Actualité")

Les Impensés s'achèverontd'ici la fin du mois. Mais le blog continuera avec des idées et des rubriques nouvelles Par exemple: La crise des banlieues...dans les années 1960 et...  ce qui était alors considéré comme dangereux. La reprise du "bétisier de la laïcité", des points de vue et des analyses sur la diversité culturelle, etc

Pour les nouveaux venus dans le blog: amusez-vous à cliquer (à gauche) sur différentes Catégories et n'oubliez pas: COMME LE MONDE EST A L'ENVERS ET QUE CE BLOG VEUT LE REMETTRE A L'ENDROIT, le déroulé du Blog se fait ...à l'envers. Ainsi dans les Quinze impensés, le dixième est APRES le onzième,  et le neuvième ensuite De même le récit sur Emile Combes commence par la fin

Merci aux nombreux commentateurs. Pour celui qui a peur du monopole de l'interprétation de la laïcité, qu'il se rassure, je ne le revendique nullement. Le fait qu'il n'yait qu'une chaire sur la laïcité est un constat de fait (mais, il a aussi, toujours à l'EPHE, une maitrise de conférences); je ne demande pas mieux que 10 ou 100 autres soient créées partout en France! Simplement le blog a été un bon moyen de faire savoir ce que beaucoup ignoraient. Et c'est comme une carte de visite, cela signale que depuis pas mal d'années, je travaille "de première main" sur la question. On reviendra l'an prochain sur la question, essentielle en démocratie, de la dialectique entre opinion et savoir .

Christian Joubert, commentateur récent, pourrait-il m'indiquer son email? Merci

Et voici le douzième impensé (dédié à "Entre guillemet" (LCI) et à "Les Matins de France Culture": deux émissions qui ont si bien su parler du blog.

LA SURENCHERE LAÏQUE: "UN DANGER POUR LA REPUBLIQUE"

Allez, soyez francs : avez-vous lu la loi de séparation des Eglises et de l’Etat dont nous fêtons le centenaire ? Entre nous, c’est sans doute non. Je vous comprends, dans la plupart de ses articles  elle est illisible. Moi je ne l’ai en tout cas jamais lu d’un bout à l’autre d’une traite, et si j’ai du finalement la lire en entier, c’est à partir des enjeux posés par chaque article.

Tel est un des paradoxes du centenaire : il y a eu un beau débat sur « faut-il ou ne faut-il pas modifier la loi de 1905 ? » et je serais près à parier votre chemise qu’une bonne moitié (sinon plus) de ceux et celles qui ont pris parti dans le débat n’ont pas lu la loi en entier.

Et en même temps en rester à des généralités (type « il s’agit d’une loi libérale, généreuse », ce que l’on entend partout ; sous entendu : cocorico, bravo la France !) et ne pas vouloir trop fouiller les choses est une stratégie pour ne pas faire surgir les impensés. Et le sommet de l’Etat reste étrangement muet : Chirac devait parler le 5 décembre : motus et bouche cousue. Villepin n’a pas parlé non plus.

Ces Messieurs ont délégué le Ministre de la justice, Pascal Clément. Manifestement en service commandé, il a tenu des propos plats et bien décevant, manifestant une conception assez répressive de la laïcité (les lois de 2001 et 2004 magnifiées) et pour le reste, c’était plutôt un peu ‘tout va très bien madame la marquise’. On était à l’opposé de l’esprit et de l’inventivité de la loi de 1905. Car derrière  sa technicité, cette loi est fort inventive car elle arrive à débloquer laïquement une situation en apparence sans issue (la guerre des deux France, comme « guerre à toujours » selon l’expression de Ferry –qui ne voulait pas qu’il en soit ainsi).
Tout cela montre bien que l’enjeu est avant tout symbolique. Cela m’a également donné une idée si une loi illisible a pu acquérir un tel statut c’est peut-être parce qu’elle est aussi importante par ses refus que par son contenu.

Le Canard enchaîné indique parfois « les couvertures auxquelles vous avez échappées »,  voyons ce à quoi nous avons échappé grâce à la loi de 1905.

Ma liste ne prétend pas être complète, elle sélectionne ce qui me semble le plus important.


Nous avons échappé :

1)      à la motion préjudicielle de l’abbé Gayraud repoussée le 21 mars par 285/162 qui voulait qu’on demande l’autorisation du Saint Siège et des représentants des Eglises avant de faire une loi de séparation. Cela signifie que si le politique peut dialoguer, il reste maître de ses décisions. C’est cela le refus du cléricalisme.

2)      au contre-projet de Maurice Allard repoussé le 10 avril par 494/48 qui aurait transformé les bâtiments édifiés pour l’exercice du culte en lieu affectés à d’autres destinations. Le refus du cléricalisme ne signifie nullement d’attenter au « libre exercice du culte ». Au contraire, la laïcité inclut la liberté de religion. D’ailleurs l’article 1 indique que la « République assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice du culte » (12 avril ; 422/45, c’est presque consensuel)

3)      à des jours férié liés « à des dates astronomiques » : repoussé le 15 avril 466/60. On changeait assez de choses, on n’a pas voulu toucher aux jours fériés ‘religieux’ (article 42), mais la France de 2005 est-elle celle de 1905 ? Non, et la Commission Stasi l’avait perçu qui avait proposé quelques modifications (une fête juive et une fête musulmane à l’école, un crédit individuel de jours fériés pour les entreprises). Il y a même pas eu de débat ; on a crié au « communautarisme ». J’aimerais pourtant que l’on m’explique en quoi 5 ou 6 jours fériés catholiques est très laïque et un jour férié juif ou musulman pour les élèves et une individualisation des jours fériés « religieux » pour les adultes serait de l’affreux communautarisme.

4)      au maintien du budget du culte en situation de séparation (amendement Delafosse repoussé 12 avril, 329/231). Cela aurait été un comble pensez-vous. Peut-être, mais l’Alsace-Moselle, la Guyane,… nous pourrions peut-être en parler.

5)      Donc « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » (article 2 , voté le 15 avril 336/225), mais peut prendre financièrement en charge les dépenses d’aumônerie (amendement Sibille, 13 avril, adopté 287/281) ce qui signifie qu’en cas de contradiction entre l’article 1 et l’article 2, l’article 1 l’emporte. La encore c’est le symbolique qui est le plus important : pas de dépense qui marquerait un caractère tant soit peu officiel des religions, par contre si on peut aider à des lieux de cultes décents (surtout que…, cf. plus loin)

6)      à l’individualisme abstrait républicain envers et contre tout : enlever l’ajout de l’article 4 (déjà expliqué en long et en large dans ce blog  à un précédent impensé) fut refusé par 374/200 le 22 avril. C’est l’élément essentiel du pacte laïque, de l’émergence d’une laïcité inclusive et Briand explique très bien son but : faire une « loi de large neutralité susceptible d’assurer la pacification des esprits », « une loi franche, loyale et honnête (…) telle que les églises ne puissent y trouver aucune raison grave de bouder le régime nouveau, qu’elle sentent elles-mêmes la possibilité de vivre à l’abri de ce régime, et qu’elles soient pour ainsi dire obligées de l’accepter de bonne grâce » (20 avril). Ou encore,  quand il doit en céder un peu aux laïques jusqueboutistes: L’article 4 a « eu pour effet de rassurer les consciences catholiques mais non cléricales et de les rendre inaccessibles aux excitations des réactionnaires » (25 mai). Autrement dit on peut être catholique, protestant, juif (aujourd’hui musulman) et pratiquer paisiblement son culte grâce à la laïcité, en étant à l’aise dans la laïcité. Une laïcité inclusive isole les extrémistes, fait en sorte qu’ils ne puissent en rien être attirants. Briand s’indignait contre ceux qui voulaient faire « une loi braquée sur l’Eglise contre un revolver. (…) Et si l’Eglise ne l’accepte pas votre loi ? Si elle entre en révolte contre elle ? Si elle peut, avec une apparence de raison, justifier cette révolte, si elle parvient ainsi à déchaîner les colères contre la République, que direz vous ? Que ferez-vous ? » (20 avril) Et il précise que « faire échouer la réforme » (laïque) par « des surenchères », « serait un crime contre la République » (25 mai).

Autrement dit  pendant toute la période précédente la république était menacée par ses adversaires : les méchants catholiques-cléricaux, et tout catholique dont la foi était tant soit peu orthodoxe était suspect de cléricalisme. Avec Briand, c’est le fait d’être jusqu’auboutiste, laïque intransigeant,  plus-républicain-que-moi-tu-meurs, trop laïque pour être « honnête », … et finalement pas très intelligent, guère subtil et fort peu stratège qui est un danger pour la République. Et aujourd’hui, ceux qui voient en tout musulman un peu orthodoxe un intégriste, tous ceux qui donnent « une apparence de raison » à considérer la laïcité comme ne respectant pas les religions … sont des dangers ambulants pour la république et la laïcité.

7)      à la nécessité d’être Français pour être ministre du culte : amendement Lasie repoussé le 15 mai par 460/63. Lasie était antidreyfusard, antisémite, nationaliste, … Brerre !

8)      au refus de donner des pensions aux ministres des cultes ; amendement Allard repoussé le 5 juin par 475/90 : un socialiste qui ne veut pas d’un plan social sous prétexte qu’il s’appliquerait à des religieux ! Etonnant mais vrai et…on peut retrouver aujourd’hui des contradictions analogues…

9)      à l’oubli que certains ministres du culte pouvaient, en cas de mort brusque, laisser des veuves et des orphelins : on reprendra le problème des minorités face au pacte laïque de 1905 dans un prochain impensé. La commission était tellement obnubilée par le catholicisme qu’elle n’avait même songé que les pasteurs et les rabbins se marient ! Le correctif a été adopté le 6 juin par 309/251 : pas terrible comme majorité et pas très sympa pour les veuves et les orphelins !

10)  aux édifices du culte loués 5% de leur valeur, repoussé le 8 juin 475/98 (un député : « quelle est la valeur de Notre Dame ? »). La commission prévoyait 2 ans de mise à disposition gratuite des édifices du culte propriété publique (cathédrales, églises, chapelles, temples, synagogues) propriété publique et une location n’excédant pas 10% du revenu annuel ensuite (en gros, c’est encore plus compliqué). Mais les députés ont d’abord voté pour des baux emphytéotiques (8 juin, 295/276)… et puis, tant qu’à faire, pour la « jouissance gratuite et illimitée » des édifices du culte propriété  publique : 9 juin par 310/70. Donc manque à gagner, subvention indirecte… cela complète ce qui a été dit sur l’article 2 … et montre que l’esprit de la loi est d’aider l’exercice du culte (au final, il y a quand même une belle majorité, non ?). Pas la peine donc de se prendre la tête pour savoir quelle « toilette » faire à la loi (gel douche, shampooing antipelliculaire ?) pour que les musulmans puissent avoir des lieux de culte décents. C’est beaucoup plus un problème de volonté politique que d’impossibilité juridique…

Bon, on arrète pour aujourd’hui : la suite très bientôt (finalement, les 15 impensés risquent d’être au moins 16, mais les trois mousquetaires étaient bien quatre).

 

30/11/2005

CENTENAIRE DE LA LOI DE 1905

SAMEDI 10 DECEMBRE 2005

 Organisé par un collectif d’organisations laïques (Ligue des droits de l’homme, Ligue de l’enseignement,  Maif, Mgen, Mrap, FSU, Sgen-Cfdt, FCPE, Union Rationaliste, etc)

A la BOURSE DU TRAVAIL, 33 Bd du Temple, 75003 Paris,

RENCONTRE

UNE LAÏCITE A L’ECHELLE DU MONDE AU XXIe SIECLE

De 9h à 18h30   samedi 10 Décembre

Avec des invités étrangers (M. Milot, Canada ; R. Blancarte, Mexique ; A. Herzenni, Maroc, V. Pegna, Italie ; N. Schevan, Irlande ; P. Grollet, Belgique ; J. Gunn, Etats-Unis ; N. Chabourov, Russie ; F. Mallimaci, Argentine) et français (G. Liénart, A-M. Franchi, H. Péna-Ruiz, J. Baubérot)

S’inscrire aupres de Antonia Monteiro : fax 0143589734, couriel : amonteiro@laligue.org

VENEZ NOMBREUX.

PS: Après les traductions en espagnol, arabe, vietnamien, la traduction anglaise de la Déclaration internationale sur la Laïcité est prête. La réclamer à declarationlaicite@hotmail.fr

Mon roman Emile Combes et la princesse carmélite, improbable amour (édition de l'Aube) semble bien marcher; on en reparlera.

Vous pourrez me voir dans l'émission "Entre guillemets" sur LCI (plusieurs diffusion ce week-end : vendredi 2 à 13h10, dimanche 4 à 13h40 et 17H10et lundi soir tard)  et le lundi à 11h et 17h (sauf erreur) dans un plateau sur la laïcité; pour les ami(e)s de l'Ouest je donne le fil conducteur d'un passionnant reportage sur la laïcité au quotidien "Sacré Laïcité" réalisé par Ariel Nathan, cela passe sur Fr3 région Ouest, samedi 3 à 16h10 (et cela passera le 31 janvier sur Fr3 national tard dans la soirée), m'écouter sur France Culture, lundi 5 décembre à partir de 7h30 au "Matin de France Culture" et me lire dans le quotidien gratuit Vingt Minutes (normalement)  ce même lundi 5 décembre.

RECORD BATTU EN NOVEMBRE: 5143 VISITES POUR LE BLOG.

 

23:15 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (7)

ONZIEME IMPENSE: LA SEPARATION COMME PACTE LAÏQUE

Tout d’abord je vous présente mes excuses pour le retard du onzième impensé : entre les soutenance de thèse, les cours et autres travaux professionnels, et les participations quasi quotidiennes à des manifestations du centenaire, la tenue de ce Blog est difficile. Je m’accroche cependant car, bien que novembre ait un jour de moins qu’octobre, le record de visites risque fort d’être battu et les 5000 visites mensuelles approchées voire dépassées. Merci de votre fidélité ; merci de l’intérêt que vous manifestez : partout où je vais, je rencontre des gens qui me disent consulter ce blog et y apprendre des choses. J’espère que cela continuera au delà de l’année 2005.

Le onzième impensé va tenter un bilan de la loi de 1905 comme pacte laïque et le douzième, la semaine prochaine, portera sur les suites de la loi, après le refus catholique (vu dans le neuvième impensé) confirmant que les choses ont bien fonctionné selon la logique du pacte laïque.

Ce bilan inclut des propos neufs par rapport aux impensés précédents, et reprend (rapidement) des idées déjà indiquées dans certains impensés antérieurs. Cela d’autant plus que j’écris cet impensé en lien avec le beau film sur la séparation qui va être diffusé vendredi 2 décembre à (malheureusement) 23h20 sur FR3. Je vous le recommande.
L’idée force de cet impensé consiste à dire que si la séparation a pu être un pacte laïque, ce n’est pas parce qu’elle aurait été un moment irénique, mais parce qu’elle représente plusieurs ruptures. Et l’intéressant paradoxe est que le pacte laïque est précisément le résultat de cette pluralité de ruptures.

On peut -pour se lier au film de FR3- concrétiser les ruptures par des discours prononcés lors des débats parlementaires.


La première rupture peut être saisie par le discours de l’abbé Gayraud (interprété par Claude Rich dans le film de FR3) le 21 mars 1903. Il demande à surseoir au débat et à renouer avec le Vatican. Il met en cause (comme d’autres), le principe même de la séparation. Non pas, dit-il, que le Concordat ait été un régime satisfaisant aux exigences d’une saine relation Eglise-Etat. Dans le Concordat en effet « l’Eglise (catholique) est reconnue, non pas comme la vraie religion (ce qu’elle était avant la Révolution) mais tout simplement comme la religion de la majorité des Français ».

Donc déjà, avant la séparation, existait un premier seuil de laïcisation (marqué non seulement par la reconnaissance officielle du pluralisme religieux, la possibilité du « droit à l’indifférence » en matière de religion mais aussi par l’indépendance du politique et la laïcisation de la loi avec le Code civil), une « semi-laïcité » pour parler comme Aristide Briand.

Cependant, poursuit l’abbé Gayraud, la séparation va aller plus loin en faisant en sorte que la France, «première nation catholique » du monde n’ait plus d’identité chrétienne. « L’Eglise (catholique) deviendra, dans ce pays, une association semblable à toute les autres ». Et cela est insupportable à l’abbé-député.

Donc -second seuil de laïcisation-, la séparation va compléter la laïcisation du corps politique en laïcisant l’âme même de la France c'est-à-dire l’identité nationale.

Jugement de valeur mis à part, l’abbé Gayraud est lucide : il a bien vu que la séparation n’a pas la réduction de la religion à la seule sphère privée mais la privatisation de l’institution religieuse qui, dans l’espace public, doit fonctionner comme une association.

Avec la séparation la religion ne surplombe plus non seulement l’Etat (c’était déjà le cas avec le premier seuil) mais la nation, la société civile.

Par ailleurs sa demande d’une entente préalable avec le Saint Siège est rejetée et si la notion de pacte laïque signifiait un accord entre la France et le Vatican, bien sûr que la séparation ne serait pas un pacte laïque. D’ailleurs, dans ce cas, il s’agirait plutôt d’un pacte concordataire. Dans « pacte laïque », il y a « laïque » et cet adjectif est aussi important que le nom de « pacte ».
Cette première rupture est celle du début de l’article 2 de la loi indiquant que « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».

Seconde rupture, celle de l’article 1 : « La République assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice du culte sous les seules restrictions édictées si après dans l’intérêt de l’ordre public ». Elle peut être symbolisée par deux discours parlementaires, un venant d’un député plus à droite que les auteurs de la loi, l’autre venant d’un député plus à gauche.

Premier discours (qui n’est pas dans le film) celui de Charles Benoist (assez représentatif des propos de nombreux députés du centre et du centre droit) le 27 mars 1905. Il affirme que la séparation qui va être faite sera,  vu le projet le loi, « une séparation extrêmement libérale », ce sera « la séparation dans la liberté » qui ira « jusqu’à l’extrême libéralisme ». Mais s’il est possible de faire une séparation libérale, il ne pense pas qu’il soit possible de la « maintenir » telle dans la durée. L’Eglise catholique est trop éloignée des idéaux républicains et dans son organisation (« monarchique » a dit explicitement l’abbé Gayraud) et dans ses convictions propres.

Donc cette Eglise va être dangereuse pour l’Etat républicain, ce sera « l’Eglise armée dans un Etat désarmé » et les Républicains, « mis en demeure de choisir entre la liberté de l’Eglise ou la souveraineté de l’Etat » se soucieront « peu de la liberté de l’Eglise » et seront fatalement amenés à prendre des mesures répressives.

Autrement Benoist  qui avait combattu le combisme et refusé la réthorique de la « république en danger » se situe quand même dans l’optique d’une incompatibilité entre le catholicisme et la République laïque, il craint qu’une séparation libérale entraîne, en choc en retour de la coercition ; il va jusqu’à dire qu’on a intérêt ni que « l’Eglise soit absolument libre » (projet qui se prépare), ni que « l’Etat soit absolument maître » (choc en retour).

Benoist, finalement, est pour la continuation du contrôle de l’Eglise catholique par l’Etat que permet le système concordataire. La séparation va rompre avec ce gallicanisme d’Etat.
Maurice Allard (admirable Pierre Santini dans le film), dans une optique différente, radicalise la critique de la séparation libérale dans son discours du 10 avril.

Il demande une véritable séparation, c'est-à-dire une séparation qui » amènera la diminution de la malfaisance de l’Eglise et des religions ». Il ne comprend pas qu’au moment d’engager « le combat décisif » de l’anticléricalisme républicain on demande aux Républicains « de déposer les armes et d’offrir à l’Eglise un projet dit libéral, tel qu’elle-même n’aurait jamais osé le souhaiter ».

Pour lui parmi les malfaisances de la future loi, il y a notamment le fait qu’elle donnera la possibilité à l’Eglise catholique de « plaider contre l’Etat » et d’ « ester en justice contre des particuliers » et, particulièrement, précise-t-il, contre «nous, militants de la libre-pensée ». Pour lui, il faut poursuivre l’idée de la Révolution et il faut « achever l’œuvre de la déchristianisation de la France ».

Briand (Pierre Arditi dans le film) réplique en une formule frappante : Vous nous présentez là « un projet de suppression des Eglises par l’Etat », il ajoute : « Je supplie mes amis de la majorité républicaine de résister au désir de  faire (de la séparation) une manifestation anticléricale ». Il précise que la libre pensée doit combattre la religion avec « la seule puissance de la raison et de la vérité » et ne pas demander à l’Etat « de mettre l’Eglise dans l’impossibilité de se défendre ». Autrement dit si la loi de 1905 est, explicitement, la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, elle est aussi, implicitement, une loi de séparation entre la libre-pensée et l’Etat. Cette loi rompt avec l’anticléricalisme d’Etat républicain.

La seconde rupture est donc l’entière liberté de la religion dans les limites d’un ordre public démocratique.

 

La troisième rupture est celle que nous avons vu dans le troisième impensé du centenaire : la rupture avec l’universalisme abstrait républicain. Reportez-vous à ce qui est écrit dans ce troisième impensé (en cliquant sur la Catégorie : « Les quinze impensés du centenaire » et en déroulant les impensés, cela marche à l’envers !). Dans le film, c’est le discours de Jaurès (incarné par l’ex Thierry la Fronde, Jean Claude Drouot) qui rend compte de ce moment clef, dans les séances des 21-22 avril. Mais, en fait, le problème fut sous jacent aux débats parlementaires pendant toute leur durée.

En ajoutant, à partir d’un emprunt anglo-saxon, à l’article 4 de la loi, que les associations cultuelles qui recevraient la dévolution des biens (les églises, temples, synagogues ) devaient « se conformer aux règles générales d’organisation du culte dont elles se proposent d’assurer l’exercice » (= pour les associations cultuelles catholiques d’être en accord avec l’évêque, de ne pas faire de « schisme »), c’est l’universalisme abstrait républicain qui se trouvait remis en cause. En effet, avec l’article 4, au lieu que la liberté collective soit un simple prolongement de la liberté individuelle (ce qui était l’optique de la loi de 1901 sur la liberté d’association), la liberté collective devenait une dimension de la liberté individuelle. D’où la protestation de laïques comme Buisson (à la Chambre des députés) et de Clemenceau (au Sénat).

La culture syndicaliste de Briand (cf. le dixième impensé) le prédisposait sans doute à accepter cette conception de la liberté. Mais il fut remarqué à la Chambre par le député Grousseau, qu’avec cet article 4 « la théorie révolutionnaire en vertu de laquelle il n’y aurait en présence que l’intérêt particulier et que l’intérêt général sans intérêt intermédiaire, cette théorie a fait faillite ». La séparation tourne le dos à l’esprit de la loi Chapelier du 14 juin 1791, loi qui interdit les corporations.

 

La séparation sort d’une optique étroitement individualiste, les communautés religieuses sont, pour elles, des réalités. Mais ces communautés n’étouffent pas l’autonomie de l’individu dans la mesure où la désappartenance à ces collectivités jouit des mêmes droits que l’appartenance.

 

Un intellectuel catholique très connu à l’époque, Brunetière, au départ fort opposé à la séparation va déclarer que « la loi nous (=catholiques) permet de croire ce que nous voulons, et de pratiquer ce que nous croyons » ; c’est cela le pacte laïque .

La laïcité de 1905 en abolissant la distinction entre « cultes reconnus » et « cultes non-reconnus », en garantissant la liberté de tous, en « respectant » (l’expression est souvent revenue dans les débats : on  ne reconnaît pas, mais on respecte) les constitutions des Eglises instaure une laïcité inclusive, une laïcité de pacte, qui rompt avec l’anticléricalisme et le gallicanisme d’Etat antérieur.

 

 

 

 

 


 

24/11/2005

La manfifestation de l'Académie

L'Académie des Sciences Morales et Politiques chargée des manifestations officielles du centenaire tient son 4ème et dernier colloque sur : "LA LAÏCITE, VALEUR COMMUNE DE LA REPUBLIQUE ?" les 28-29-30 novembre prochain.

Les séances ont lieu de 9h15  à 18 h

Le Lundi 28 23, quai de Conti Paris VI:

-La laïcité, questions politiques de 1905 à 205

-Regard des religions sur la laïcitaujourd'hui

Le mardi 29 au 10 rue Alfred de Vigny, Paris VIIIe

-Religion et laïcité entre vie privée et vie publique

-Laîcité et séparation sur le terrain

Le mercredi 30 (même adresse)

-Education et laïcité

-Finalement, comment définir la laïcité.

Dans cette séance, je donne les "Conclusions générales" de ces colloques

PAR AILLEURS, JE SIGNALE QU'UNE TRADUCTION EN ARABE ET UNE TRADUCTION EN VIETNAMIEN DE la DECLARATION INTERNATIONALE SUR LA LAÏCITE sont desormais disponibles;

les réclamer à declarationlaicite@hotmail.fr

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23/11/2005

Le DIXIEME IMPENSE: LE ROLE D'ARISTIDE BRIAND

Avant de voir comment le principal auteur de la loi de séparation, Aristide Briand (1862-1932), a réussi à mettre en œuvre cette séparation, malgré l’encyclique papale (cf. neuvième impensé), il faut (à la demande de plusieurs blogueurs/blogueuses) s’arrêter un peu sur la personnalité du dit  Aristide Briand : quel est cet homme qui a réussi le virage de la poursuite de la « laïcité intégrale » à la construction d’une laïcité libérale ?

En effet, un des paradoxes de ce centenaire est le suivant : il a permis à toutes celles/tous ceux intéressé(e)s par le sujet de savoir que le véritable auteur de la loi est Briand, et non le « petit père Combes », mais sans véritablement s’interroger sur qui était Briand et pourquoi il a réussi cette sorte de mission impossible.

Le rôle de Briand était à la fois bien connu des historiens et minimisé par certains d’entre eux. Ainsi dans son Histoire de l’anticléricalisme français (Mame, 1966 et 1978), A. Mellor écrit ceci : « On a opposé le libéralisme de Briand au sectarisme de Combes et vu dans la séparation, telle qu’il l’a fit adopter par le Parlement, une  œuvre de paix (…). C’était là néanmoins une illusion. La vérité était qu’avec sa souple intelligence, Briand avait compris que seule la diplomatie permettait de parfaire l’œuvre du Combisme. (…) L’habileté de Briand fut de susciter une opposition de gauche (…) ».

Tout y est :  Mellor est obligé de reconnaître le libéralisme de la loi mais c’est pour aussitôt la nier. De même, le conflit interne aux laïques est indiqué et nié en étant réduit à une habileté tactique. En fait l’opposition laïque à Briand n’a pas été « suscitée » par lui mais venait de sa prise de distance avec l’universalisme abstrait républicain, comme je l’ai déjà expliqué.

Qui est Briand ? C’est le fils de Guillaume Briand qui tient un café à Saint Nazaire, et de Magdeleine Boucheau, lingère. Ses origines sont donc très modestes et il est, avec Combes, une des rares hommes politiques important de la troisième République à être issu d’un milieu populaire, ce qui lui vaudra le mépris de certains. Ainsi on l’accusera d’avoir grandi sur les « genoux des prostituées ». La café de Guillaume, fréquenté par des marins, des ouvriers et des artisans, sans être une maison close, devait aussi être un endroit où venait des femmes dites « peu farouches », leurs genoux en valaient bien d’autres !

Sans doute, l’enfance et l’adolescence de Briand (son oncle marin mourut en mer et, alors qu’il voulait lui-même devenir marin, il dut promettre à ses parents d’y renoncer) lui fit fréquenter des gens pour qui la vie était rude et à qui il ne fallait pas en compter. Briand sera célèbre par son humour, ses mots d’esprits, mais outre que souvent ils montraient une acuité lucide, ils étaient peut-être l’envers d’un rapport désillusionné à la vie.

Briand va être ce qu’on appelle un « boursier » (par opposition aux héritiers, nés dans la bonne bourgeoisie) : il va fréquenter le collège de Saint-Nazaire (ou le principal, M. Genty avait des méthodes très modernes, actives d’éducation) puis avoir une bourse pour poursuivre ses études secondaires au lycée de Nantes. A 18 ans il devient bachelier (et il faut préciser que moins d’1% des garçons devenaient alors bachelier, ne parlons pas des filles qui ne pouvaient pas l’être). Puis il va faire des études de droit tout en travaillant comme clerc d’avoué.

Jaurès, qui lui avait fait l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, parlait de « l’ignorance encyclopédique » de Briand. Ce trait d’humour est injuste et manifeste un certain mépris de quelqu’un qui a suivi la filière ‘noble’ de l’acquisition des connaissances pour quelqu’un qui s’est élevé socialement à la force du poignet. Sans doute le savoir de Briand comportait-il des trous. Sans doute a-t-il joué de cette (pseudo) infériorité en se faisant une réputation d’homme qui ne travaillait pas ses dossiers et improvisait souvent ses discours. Mais son intelligence était fine et lucide, et ses mots d’esprit résumaient souvent remarquablement une situation (comme quand il indiquait que « les socialistes se réunissent en scission annuelle »).

Briand commença sa carrière politique dans le journalisme et fut élu comme radical au conseil municipal de Saint-Nazaire en 1888 et battu aux législatives de 1889. Il évolua ensuite rapidement vers le socialisme et fut membre du Parti Ouvrier français de Jules Guesde. Sa carrière faillit finir avant même d’avoir véritablement commencé. Selon l’expression heureuse de l’historien Maurice Larkin, il fut pris en « flagrant délice » dans les près de Toutes Aides avec Jeanne Nouteau-Giraudeau, la femme d’un banquier et les deux amants furent condamnés respectivement à un mois et à dix jours de prison pour « outrage public à la pudeur ».

Mais le procès put être cassé pour vice de forme et il s’avéra qu’un des témoins avait été payé pour assister à la scène. Un acquittement fut finalement prononcé. Cette affaire poursuivra cependant Briand sa vie durant ; ils y eu des propos haineux à son encontre (là encore, il avait socialement transgressé en ‘prenant’ la femme d’un bon bourgeois), d’autres furent plus humoristiques, tel celui qui le définissait comme « un sans-culotte à la recherche d’un pantalon ».

Socialiste, Briand devint, avec son ami Pelloutier (étudié en son temps par Jacques Julliard), un théoricien de la grève générale. Il était proche des milieux syndicalistes et anarchisants et s’opposait, dans les congrès syndicaux et ceux du POF, à Jules Guesde et à Paul Lafargue, le gendre de Karl Marx. Pour lui, la révolution socialiste ne passait pas par une insurrection violente, promise à une répression sanglante, mais par une grève générale réussit, moyen insurrectionnel et légal à la fois.

En 1895, il proposait de la préparer pendant 5 ans et de la faire juste avant l’Exposition Universelle prévue en 1900 à Paris pour lui donner le maximum d’impact.

Briand, qui était devenu parisien, était donc connu des militants socialistes, mais pas des électeurs et il se présenta sans succès aux législatives de 1993 et de 1998 à Paris. Il fut un collaborateur régulier (et un temps rédacteur en chef et même directeur) de La Lanterne, publication fort anticléricale et, au départ, assez friande de faits divers (et quand ces faits divers mettaient en cause le clergé, c’était encore mieux !). Il releva le niveau de ce journal, y tenant une rubrique sociale et y faisant écrire de leaders socialistes (Viviani, Rouanet, Millerand, Jaurès).

Briand était un militant de la libre-pensée depuis les années 1880 (il avait représenté sa section en 1885 aux obsèques de Victor Hugo). Il a écrit plusieurs articles anticléricaux, et en même il avait un rapport distancié à l’anticléricalisme (comme plus généralement au politique). On raconte qu’il téléphonait en pleine nuit à un autre collaborateur de La Lanterne, spécialisé dans l’anticléricalisme de bas étage et quand ce dernier demandait qui était à l’appareil, il répondait : « Je suis le péril clérical ».

Ce rapport distancié à la vie lui a permis de sauver Jaurès (qu’il avait suivit au Parti Socialiste français, différent du Parti Socialiste de France de J. Guesde) d’une situation fâcheuse. La fille de Jaurès avait fait sa première communion, ce qui, s’ajoutant à d’autres désaccords (Millerand était devenu ministre socialiste du gouvernement « bourgeois » de Waldeck Rousseau) semblait à des militants la goutte d’eau qui faisait déborder le vase. Jaurès devait donc affronter une assemblée houleuse et semblait près d’être mis en minorité. Il expliquait, assez piteusement que c’était sa femme qui avait voulu que leur fille fasse sa première communion, et qu’il ne pouvait pas faire de sa femme ce qu’il voulait (piteusement car c’était très mal vu alors pour un homme d’avouer qu’il ne portait pas la culotte dans son ménage !!). Au milieu des huées, un militant dans la salle crie « Moi, j’aurais étrangler ma femme ». Briand alors de dire : « Parfait, au moins vous auriez pu ainsi l’enterrer civilement ». Toute la salle éclate de rire et la tension retombe complètement.

Sans doute parce qu’il n’était pas doctrinaire, mais se positionnait par rapport à une situation, Briand était un remarquable tacticien. On pourrait en donner mille exemples. Un seul ici, justement à propos du conflit sur Millerand. Au congrès du PSF, une motion est rédigée disant que Millerand « s’est lui-même placé hors du parti », ce qui est la manière habituelle d’exclure quelqu’un. Briand déclare alors qu’il faut une formulation plus précise et écrit que Millerand « s’est placé hors du contrôle du parti », ce qui change le sens : Millerand n’est pas exclu, simplement le parti n’est pas engagé par sa participation. Cela fut voté.

Tacticien ou stratège ? On a reproché à Briand d’être avant tout un ambitieux, de manquer de conviction. Mais alors, il aurait eu tout intérêt à rester radical plutôt que se marginaliser en participant aux petits groupements socialistes. En fait, je pense qu’il avait quelques convictions fortes et pas mal de réalisme. Ainsi, dans son opposition à Guesde, il voyait loin. Guesde, en bon marxiste, affirmait que la révolution aboutirait à la dictature impersonnelle du prolétariat. Briand rétorquait que la dictature n’aurait rien d’impersonnel et que ses premières victimes ne seraient pas chez l’ « ennemi de classe » bourgeois, mais bel et bien dans les rangs socialistes eux-mêmes. L’histoire de l’URSS a démontré la justesse de ce point de vue.

En même temps Briand a exercé sa profession d’avocat défendant des journalistes, des syndicalistes, etc. L’affaire la plus connue est celle du Pioupiou de l’Yonne (pioupiou = soldat) où Briand défendit Gustave Hervé poursuivit pour appel à la désertion, propagande antimilitariste dans les casernes, apologie de l’antipatriotisme. Il le fit acquitter.

En 1902, en mai,-à sa quatrième tentative- devient député de Saint-Étienne. Il entre ainsi au Parlement où il est parfaitement inconnu. Et en moins d’une législature il va devenir un homme politique de premier plan, à tel point que sa réussite fulgurante va provoquer des jalousies dans son propre camp.

Cette ascension rapide, Briand le doit à son talent et aussi à deux circonstances où il fut l’homme de la situation. La première fut, dés l’automne 1902, une grève des mineurs qui eut lieu dans toute la France. Près de Saint Etienne, le 11 octobre, un gendarme, bousculé par des grévistes, tira et tua l’un d’entre eux. La colère montait et l’enterrement risquait fort de donner lieu à des affrontements. C’était le premier gouvernement d’union de la gauche (avec soutien socialiste sans participation). Combes demanda conseil à Jaurès qui le renvoya sur Briand. Briand convainquit Combes de retirer la troupe. A l’enterrement pas un soldat ne se montra, Briand fit assurer le service d’ordre par les mineurs eux-mêmes et malgré l’affluence et l’émotion tout, y compris la dispersion, se passa dans le calme.

A cette occasion, Briand fit un discours rappelant qu’un ouvrier était mort, que sa famille avait droit à des réparations et que le gendarme devait être sanctionné. Non seulement le discours était remarquable mais il renvoyait à autre chose que lui-même : Briand avait su prendre des risques et fabriquer du non événement. Il avait tiré le Bloc des gauches d’une situation épineuse.

La seconde occasion fut l’élection de la Commission sur la séparation des Eglises et de l’Etat en juin 1903. Les radicaux la boudèrent, le socialiste Francis de Pressensé (alors beaucoup plus connu que Briand, vu le rôle éminent qu’il avait joué pendant l’affaire Dreyfus) ne fut pas élu. L’abstention des radicaux fit que les socialistes se trouvaient sur représentés. Le radical socialiste, Ferdinand Buisson, figure emblématique (ancien adjoint de jules Ferry lors de la laïcisation de l’école publique) fut nommé président. Il fallait un socialiste comme rapporteur. Jaurès, qui l’avait vu à l’œuvre, proposa Briand.

Celui-ci bénéficia donc du fait qu’en juin 1903, la séparation n’était pas encore vraiment  à l’ordre du jour. Beaucoup de députés n’y croyaient pas. Maurice Larkin écrit que la Commission devait être un cimetière plus qu’un atelier. De ce cimetière, Briand fit un atelier. Christophe Bellon qui prépare une thèse sur le rôle de Briand à cette époque souligne le fait que plusieurs membres de la Commission étaient de nouveaux députés, ce qui rendait plus facile peut-être le dépassement des clivages habituels.

En tout cas, dès ce moment, Briand arriva à donner un esprit collectif à une Commission où 17 membres étaient favorables à la séparation et 16 opposés. Il instaura une méthode de travail où les avis des uns et des autres étaient pris en compte. Mais quand on y pense, c’est assez extraordinaire de songer qu’au même moment il y a avait du quasi pugilat sur la « question religieuse », le problème des congrégations, dans les débats de la chambre et cette Commission qui travaillait calmement, sereinement pour bâtir une proposition de loi sur le sujet brûlant de la séparation. Il faut lire à ce sujet l’article de Ch. Bellon  (dans la revue XXe siècle, juillet –septembre 2005) sur « Aristide Briand du travail en commission au vote de la loi ».

Certains reprochent à Briand ce qu’ils appellent son « habileté ». Mais je crois que cela va plus loin que de la simple habileté. Briand a un sens aigu  de la complexité des choses. Il déteste les doctrinaires et le sectarisme. C’est un passionné de politique, mais il ne se laisse pas englobé par la politique. Par ailleurs, il est libre penseur mais il est aussi Breton : il sait que l’attachement au catholicisme déborde le cercle des pratiquants. Ferry était lorrain, Briand breton. Ce n’est sans doute pas un hasard.

Briand va, ensuite, être 22 fois ministre et 10 fois président du Conseil. Son action en faveur d’une réconciliation franco-allemande et d’une construction de l’Europe lui vaudra le prix Nobel de la paix en 1926. Il est mort en 1932 et… l’année suivante, Hitler arrivait au pouvoir en Allemagne. A court terme son action a donc été un échec, mais elle peut retrouver aujourd’hui une certaine actualité.

Est sans doute également actuel sa façon distanciée de faire de la politique et son rapport à la vie qui font qu’on ne peut en parler que de façon un peu paradoxale : son premier biographe, G. Suarez, auteur d’une vie de Briand en 6 volumes (1938-1952), intitule le 1er : « le révolté circonspect » et le second : « le faiseur de calme ». G. Unger, qui vient de faire paraître une biographie de Briand chez Fayard le qualifie de « ferme conciliateur ».

Le centenaire de la loi de 1905 marque une réévaluation sociale du rôle de Briand à cette époque. C’est peut être le point de départ d’une réévaluation plus générale de son œuvre. 

En même temps, cette réévaluation du rôle de Braind dans la'élaboration de la loi et sa mise en oeuvre pose une nouvelle fois la question de l'importance de l'individu et du conteingent en histoire  : supposons qu'il ait été une nouvelle fois battu en 1902, la loi de 1905 et ses suites auraient-elles été ce qu'elles ont été. On peut se poser la question tant il fut "faiseur de calme".

 

21/11/2005

Semaine du 22 au 28 novembre

Cher(e)s Ami(e)s du Blog

Je suis juste de retour après une dizaine de jours passés à Tokyo pour une passionnante comparaison entre laïcité française et laïcité japonaise, dans le contexte de ce qui se passait en France et qui (au début du séjour du moins) faisait les gros titres de la télévision japonaise. On reviendra sur ces événements pour les ‘ruminer’, il est possible de dire tout de suite que cela montre la faillite de l’universalisme abstrait, qui n’a (en fait) rien de vraiment universaliste. En tout cas, vu de l’étranger, la faillite du « modèle français » est patente, même si cela ne va pas forcément beaucoup mieux ailleurs. Plus que jamais la conjuguaison de l'unité et de la diversité est à l'ordre du jour; plus que jamais  les contradictions d'une société qui pousse à croire que le bonheur est dans la consommation, alors même qu'elle multiplie les injustices sociales, culturelles et (il faut bien employer le mot car son refus est un alibi) "ethniques", ces contradictions sont également patentes.

 

Par ailleurs, j’ai appris que des étudiants japonais interessés par la laïcité sont des surfeurs réguliers du blog. Je les salue amicalement

Vu tout ce que j’ai trouvé comme travail en rentrant à Paris, je ne peux vous donner un nouvel Impensé aujourd’hui lundi 21. Mais rassurez-vous ce sera chose faite mercredi 23.

En attendant, le centenaire de la loi de 1905 bat son plein, il y a des manifestations partout en France. Hélas, je ne peux que répéter aux blogeuses et blogeurs qui souhaiteraient m’inviter que je suis archi, archi pris jusques et y compris janvier. Cela a été la déferlante et il y a quand même le travail professionnel a assurer d’abord.

Cette semaine, je vous signale :

-Je débats avec Jacky Simon (médiateur de l’Education nationale) sur « Ethique de la laïcité dans l’espace public », à l’Espace Quartier Latin, 37 rue Tournefort, Paris V le JEUDI 24 NOVEMBRE à 20 H.30

-Samedi 26, je suis a NICE où il y a un colloque sur la Laïcité les 25 et 26 novembre (renseignements : Commission du Centenaire de la loi de 1905, tel : 0493886570, courriel : gf.prtl.06@wanadoo.fr

-Dimanche 27 novembre, dans le cadre de la SEMAINE DE LA LAÏCITE du 27 novembre au 2 décembre, Mairie de Paris, Mairie du 12° arrondissement, à l’Espace Reuilly, 21 rue Hénard, PARIS XII. Colloque toute la journée, je participe, avec J. Costa-Lascoux et J-M Quillardet à la séance du matin (10h-12h30) sur l’Historique de la loi de 1905.

Le 30 novembre, au matin, je serai à Poitiers, mais nous en reparlerons.

Enfin, je vous signale une manifestation également importante: celle organisée par la Ligue de l'enseignement au Salon de l'Education, le 27 novembre au matin (au même moment donc que le colloque de la Mairie du XIIe) sur Laïcité de l'Ecole et diversité culturelle et religeuse. S'inscrire par fax: 014040 79 26 ou par courriel: sbiache@laligue.org

Bonne semaine, et à mercredi pour le dixième Impensé

13:35 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (0)