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18/10/2005

LE CINQUIEME IMPENSE DE LA COMMEMORATION

LA SEPARATION ACCOMPLISSEMENT OU CONTRAIRE DE LA REVOLUTION ?

Quand Emile Combes avait défendu le Concordat le 26 janvier 1903, il avait déclaré ceci : « J’aspire comme vous tous, du côté gauche de cette Chambre, à l’époque que je voudrais prochaine, que je voudrais immédiate, mais que la constatation de l’état présent m’oblige à ajourner à quelque temps, où la libre-pensée, appuyée sur la doctrine de la raison, pourra suffire à conduire les hommes dans la pratique de la vie ». Le propos est clair, et il est étonnant que les historiens de la séparation n’aient pas plus insisté sur ce fait : la séparation est perçue comme l’avènement d’un temps où la vie sociale française se déroule sous l’égide de la libre pensée. C’est cela la séparation, pas autre chose.

Et le plus remarquable est que personne alors, ni à la Chambre, ni dans la polémique  et la campagne de presse qui fait rage jusqu’au 4 février (cf. mon roman  où je raconte en détails cette déclaration de Combes et ses suites) n’écrit des propos tels que : « mais la séparation, ce n’est pas du tout cela, c’est l’Etat dégagé de tout caractère religieux et garantissant le libre exercice des cultes, étant religieusement neutre, ne prenant pas partie entre la religion et la libre-pensée, qui luttent ainsi à armes égales pour convaincre les gens de la vérité de leurs propos ». C’est en substance ce que va dire, ce que va répéter Briand, tout au long de la discussion parlementaire au printemps 1905. Mais en 1903, personne ne défend la conception de la neutralité religieuse de l’Etat comme fondement de la séparation. L’Etat républicain émancipe de la religion, il n’est pas religieusement neutre.

Au contraire : quand, quelques semaines plus tard, Francis de Pressensé (le futur père de l’article 4 modifié, l’accommodateur par excellence en 1905) présente le premier projet de loi consistant de séparation, ce projet commence par un Préambule qui dénonce « les ennemis jurés de la liberté, les disciples du Syllabus, les héritiers de la plus formidable entreprise d’asservissement intellectuel, les complices des plus odieuses tentatives d’oppression morale et politique ». Nous sommes bien dans une perspective où la séparation prend sens dans un combat contre le catholicisme. Et le projet de Pressensé est contresigné notamment…par Jaurès et Briand.

La séparation est là, l’aboutissement de la Révolution, c'est-à-dire que son projet de « régénération », de création d’un « homme nouveau » (cf. les travaux de Mona Ozouf), en arrachant cet homme nouveau à ses traditions, ses habitudes, son passé qui l’insère dans le « fanatisme » et la « superstition » pour le mettre dans les « lumières » de la raison (et de la science, ajoute le XIXe siècle). Certes, ce projet là, ce n’est pas la laïcité de Jules Ferry, qui déclarait « je suis l’élu d’un peuple attaché à la République et attaché à ses processions » et…prenait son parti de ce double attachement. Mais justement, le thème de la « laïcité intégrale » prône la rupture avec la laïcité ferryste dont les accommodements lui semble autant de compromissions.

L’idée de la séparation comme accomplissement de la Révolution va perdurer durant les débats de 1905. C’est la conviction profonde des Républicains séparatistes. Et ils n’ont certes pas complètement tort : d’une part parce que la séparation est beaucoup plus dans la logique des principes laïques, tels qu’ils ont été formulés de 1789 (Déclaration des droits) à 1791 (Constitution) que la Constitution civile du clergé (1790) où, à fortiori, les cultes révolutionnaires de 1793 ; d’autre part parce que la Révolution a tenté elle-même une séparation en 1795. Mais cette séparation là, elle ne l’a pas réussie car elle n’a pas pu désimbriquer le politique et le religieux (retour de la répression en 1797) et elle n’a pas voulu renoncer à des tentatives de fabrication d’un homme nouveau, en rupture avec l’ancien (culte décadaire, théophilantropie,…).

Jaurès lui-même, quand il défendra l’article 4 modifié (par l’ajout Pressensé), le fera en se réclamant (paradoxalement mais significativement) du radicalisme révolutionnaire : « Toute notre histoire proteste contre je ne sais quelle tentation de substituer les compromis incertains et tâtonnants du schisme (il s’agissait en fait de ne pas empêcher le développement d’un « catholicisme républicain » qui se séparerait de Rome) à la marche délibérée de l’esprit vers la pleine lumière, la pleine science et l’entière raison ». Mais, comme toujours il ne faut pas être dans le premier degré : l’inflation lyrique de Jaurès a précisément pour mission de flatter la gauche républicaine dans le sens du poil, au moment où on l’amène à accepter un accommodement réclamé par le centre et la droite.
En fait, la séparation qui est construite du travail de la Commission aux débats de la Chambre est, de plus en plus, une séparation qui diverge profondément de l’optique révolutionnaire.  Certes, il y a rupture des liens concordataires, certes, il y a la construction d’un régime nouveau. Mais, contrairement à la Révolution, le nouveau se construit en tenant le plus grand compte de l’ancien.
Il est remarquable de constater que la Chambre du Blog des gauches, se met à parler positivement des traditions et des coutumes ! Un partisan de la séparation (E. Flandin) déclare qu’il faut faire très attention au sort que l’on réserve à la « vieille église » car  aussi bien les croyants que «  beaucoup parmi ceux qui depuis longtemps ont désappris le chemin de l »église, qui ne verraient pas sans un sentiment pénible  troubler des habitudes séculaires et profondément respectables » (séance du 8 juin). On prend conscience que l’église, le cimetière sont à la fois des lieux où on adore Dieu et où on entretient un certain rapport avec les morts.

Jaurès lui-même affirme : « Je ne méconnais pas que des millions de citoyens (…) sont attachés à la religion traditionnelle et au culte traditionnel » et qu’il y aurait « injustice et violence si nous adoptions une seule disposition qui fit réellement obstacle à la liberté de conscience et à la liberté de culte » (21 avril). Et Briand affirme de son côté : « Beaucoup de catholiques français désirent n’être pas troublés dans leur traditions, dans leurs habitudes, veulent garder la liberté (…) d’exprimer leurs sentiments religieux. Vous n’avez pas le droit de les brimer, d’inquiéter leur conscience » (25 mai). Et l’on pourrait multiplier les citations.

Point n’en est besoin ; il suffit de constater que le 27 juin contre le député radical (et protestant) Eugène Réveillaud, la Chambre refuse de maintenir les dispositions de l’article 45 de la loi de germinal an X (1802, celle qui avait établi le système du Concordat et des « cultes reconnus ») limitant le droit de faire des processions (ce qui montre d’ailleurs que, séparée de l’Etat, la religion peut se déployer plus librement dans l’espace public). On ne saurait être plus « ferryste », moins révolutionnaire ou dans l’état d’esprit de la « laïcité intégrale » » !!!

QUEL PARADOXE : cette Chambre élue en pleine exacerbation du combat des deux France, cette Chambre représentant le progrès contre la tradition, a fini par faire la louange des "traditions et des habitudes respectables", a pris grand soin de ne pas les heurter ! Mais ce paradoxe est signifiant : c’est justement grâce à cela que cette Chambre a construit un NOUVEAU DURABLE. Ses mesures antérieures, celles qui ne tenaient compte ni des « habitudes » ni des « traditions », les mesures anticongréganistes n’ont pas duré plus de 10 ans. De même la séparation opérée par la Révolution n’avait durée que 7 ans. Pour « achever » ce que la Révolution n’avait pas réussit à faire, pour l’ « accomplir », il fallait, d’une certaine manière, faire le contraire (au niveau de la méthode, de l’état d’esprit). DONC LA LOI DE SEPARATION EST, A LA FOIS, L'ACCOMPLISSEMENT DE LA REVOLUTION ET SON CONTRAIRE.

Commentaires

Alsace Moselle d'Outre Mer
J'adore ce 5ème impensé qui montre bien qu'accomplir la révolution c'est tout aussi bien accomplir la contre révolution : guillotiner Louis XVI c'est du même coup lui remettre les idées bien en place, la République et la Restauration ne font qu'un, les Versaillais et les communards qui, en fait étaient les mêmes avec des déguisements, ne faisaient que semblant de se battre à la seule fin de figurer ensuite dans les livres d'histoire. Ce 5ème impensé combiné avec votre interprétation de l'article 43 de la loi du 9 décembre 1905 permet de comprendre la véritable situation laïque actuelle des départements d'Outre Mer comme l'Alsace Moselle, c'est à dire que la République Française n'est en réalité qu'une grande monarchie cléricale d'Outre Mer.
(PS : Manque de chance, le fantôme de la princesse carmélite est pédophile...)

Écrit par : Le fantôme d'Emile Combes | 20/10/2005

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