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12/11/2005

LE NEUVIEME IMPENSE DU CENTENAIRE

Nous avons vu, dans les précédents Impensés du centenaire, que la loi de 1905 marque la victoire des accommodateurs et sur les laïques intransigeants (Allard, Vaillant,…) qui souhaitaient une séparation qui continue l’anticléricalisme d’Etat, et sur les laïques strictement républicains (Buisson, Clemenceau,…) qui voulaient que la République, à partir du moment où la séparation était faite, ne tienne pas compte des spécificités des Eglises (et surtout de l’Eglise catholique).

Briand, au contraire, a martelé, durant les débats parlementaires, qu’il fallait que la loi soit « acceptable » par elle(s). Le projet de la Commission, que d’aucuns trouvaient déjà trop libéral, a été assez largement amendé en tenant compte des objections présentées par l’opposition.

Nous reviendrons sur certains aspects importants de la loi. Ce nouvel Impensé veut, tout de suite, traiter d’une question souvent posée lors des manifestations du Centenaire : « mais alors, pourquoi la loi a-t-elle été rejetée par les catholiques ? »

 

Question fondamentale dont la réponse est la suivante : malgré ce que l’on dit, trop rapidement, la loi de 1905 n’a pas été rejetée par les catholiques. En fait, elle a été l’objet d’un conflit interne entre catholiques.

 

Voyons cela de plus prés : votée le 3 juillet par les députés (341 voix contre 233) et le 6 décembre par les sénateurs (179 voix contre 103) Elle est signée le 9 décembre par le président Loubet et paraît le 11 au Journal Officiel. Des articles importants, comme celui qui assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice du culte ou celui qui donne la jouissance gratuite des lieux de culte (églises, temples, synagogues), qui sont propriété publique, aux associations créées pour l’exercice des différents cultes (=religions) ont été votées à la quasi unanimité.

 

Il semblait donc que la loi serait appliquée. Ainsi la gratuité des locaux coupait court à la stratégie de refus de payer un loyer qui était suggérée au pape par des catholiques jusque boutistes : si, grâce à ce refus, disaient certains, « nous sommes réduits à dire la messe dans des refuges improvisés, alors l’illusion (= de la liberté de culte) ne sera plus, la persécution sera évidente »[1]. Dans cette optique, la séparation était considérée comme une persécution implicite, sournoise ; il valait donc mieux la rendre implicite, manifeste.

 

Le 11 février 1906, le pape Pie X adresse à l’ensemble des Français une Encyclique Vehementer Nos. Pour lui « la promulgation de la loi, en brisant violemment les liens séculaires par lesquels votre nation était unie au Saint Siège apostolique, crée à l’Eglise catholique, en France, une situation indigne d’elle et lamentable à jamais ». Il est clair que la fin de toute  dimension catholique dans l’identité nationale française est particulièrement insupportable au pape.

La séparation, poursuit Pie X, est « une abrogation unilatérale du concordat » et « la négation très claire de l’ordre surnaturel ». En effet, elle limite « l’action de l’Etat à la seule poursuite de la prospérité publique » sans s’occuper de « la béatitude éternelle proposée à l’homme quand cette vie si courte aura pris fin ». Enfin, le contenu de la loi est sévèrement critiqué, sans qu’il soit tenu compte de l’article 4. Cependant le pape ne se prononce pas sur ce qu’il faut faire[2]. Et à une forte condamnation de principe pouvait correspondre une acceptation de fait.

Briand comptait sur cette double réponse et il avait affirmé : “ La réforme ainsi faite (sera) d’une application facile. ” L’avenir immédiat va lui donner tort. De grands laïcs catholiques, certains cardinaux et évêques paraissent bien disposés. Certains catholiques, membres des différentes Académies, vont demander à leur hiérarchie d’accepter une loi qui, disent-ils,  ne nous empêche « ni de croire ce que nous voulons ni de pratiquer ce que nous croyons » (Le Figaro, 26 mars 1906).

 

D’anciens congréganistes, la presse catholique et le peuple catholique de l’Ouest, au contraire, estiment que le libéralisme de la nouvelle loi constitue un leurre : son application sera “ persécutrice ”. En effet, on avait prétendu en 1901 que l’autorisation des congrégations serait la règle, ensuite elle fut systématiquement refusée. Il faut donc résister de façon préventive. La querelle éclate sur une mesure transitoire prise à la demande de députés catholiques : l’inventaire des biens, effectué conjointement par les deux parties pour éviter tout vol (art. 3). Cette décision d’inventaire, suite à une circulaire fort malhabile, fut considérée par certains comme pouvant entraîner un viol d’objets sacrés. Des affrontements ont lieu, d’abord dans 2 paroisses parisiennes, puis notamment là où la résistance à la Constitution civile du clergé de 1790 avait été la plus vive[3]  On déplore un mort en mars 1906. La troupe est intervenue et les images et photographies publiées par la presse ressemblent à celles des années 1902-1903, au moment le plus chaud de la lutte contre les congrégations.
 
La crise des inventaires entraîne la formation d’un nouveau cabinet dont le ministre de l’Intérieur, Clemenceau, a une réputation de laïque très strict. Il indique pourtant aux préfets d’opérer l’inventaire que lorsqu’il “ pourra s’accomplir sans conflit ”.
Ce nouvel apaisement républicain favorise la victoire du “ Bloc des gauches ” aux élections de mai 1906 : la séparation est donc validée par le « suffrage universel »  (en fait seul les hommes votent).
Cette victoire des « séparatistes » aurait pu pousser le pape vers la conciliation. Elle renforce, au contraire, son intransigeance car elle signifie qu’il n’obtiendra pas  un renoncement  légal à cette séparation.

 

Pourtant, usant des libertés nouvelles permises par la loi de séparation, le pape a nommé 14 nouveaux évêques dits « nés pour la guerre » (avant 1905, les évêques étaient nommés par le gouvernement). Pendant ce temps, Mgr Chapon, évêque de Nice, agit, lui, pour l’application de la loi.
Fin mai 1906, l’épiscopat français se réunit pour la première fois depuis la Révolution (une assemblée d’évêques ne pouvait avoir lieu, avant la séparation, qu’avec l’autorisation du gouvernement et aucun gouvernement, même les plus « cléricaux », n’avait donné d’autorisation).
Après avoir condamné le principe de la loi (72 voix contre 2), les évêques pensent, malgré les pressions de Rome, « possible d’instituer des associations cultuelles à la fois canoniques et légales » (48 contre 26) et  ils approuvent un projet de statut présenté par Mgr Fulbert-Petit, archevêque de Besançon (59 contre 17). A l’accommodation républicaine répond donc une accommodation catholique. Mais ce vote reste secret.

 

Il vaut la peine de regarder de près ce que prévoyaient les statuts proposés par les évêques. Maurice Larkin l’a fort bien résumé : « Aucune association ne pouvait être instituée sans l’accord de l’évêque et le fondateur devait être un prêtre  agréé par lui. Elle devait non seulement faire partie de l’union diocésaine de l’évêque mais toute décision importante était sujette au consentement de ce dernier. Chacun des membres devait faire une déclaration d’allégeance à la hiérarchie et prouver à l’évêque qu’il était catholique pratiquant. Par ailleurs, les fonctions de l’association étaient strictement limitées aux questions financières et administrative, laissant intacte l’autorité spirituelle de l’évêque »[4]

 

Voila qui verrouille la situation et aurait du rassurer le Saint Siège. Cela d’autant plus que Briand, dès le débat parlementaire, avait prévu que l’Eglise catholique donnerait aux associations « une formule, un statut qui sera uniforme dans la France entière » et assurerait sa pérennité. Mais le pape estime que son prestige international est mis à mal par la dénonciation du Concordat et, l’ouvrage cité de Maurice Larkin le montre très bien, il craint une contagion de l’exemple français en Espagne, Portugal et Amérique latine (Bolivie notamment). La résistance qui a eu lieu face aux inventaires permet à Pie X d’espérer un sursaut du « peuple catholique » au détriment d’une hiérarchie jugée trop molle.
Dans cette optique, une franche « persécution » lui semble préférable à des « accommodements trompeurs », aux « misérables avantages matériels de la loi de séparation ». L’heure est donc à la résistance contre « toutes les forces du mal », les ennemis extérieurs comme « la maçonnerie internationale », mais aussi les adversaires internes comme le modernisme théologique et la démocratie chrétienne[5]
 
L’Encyclique Gravissimo Officii (10 août 1906) donne donc l’ordre aux catholiques de ne pas se conformer à la loi. Cette encyclique[6], destinée une nouvelle fois au peuple français, refuse toute forme d’associations canonico-légales et affirme « Nous (=pape) devons pleinement confirmer de notre autorité apostolique la délibération presque unanime de (l’)assemblée (= des évêques) ». Tour de passe-passe (« mensonge de fort calibre » dira même Mgr Lacroix) puisque cette « condamnation presque unanime », en fait, n’était qu’une affirmation de principe et qu’ensuite un projet de statut avait été adopté à une forte majorité.
 
Le jugement de Maurice Larkin est sévère : « L’historien demeure surpris qu’un homme de la qualité morale de Merry del Val (=le conseiller de Pie X, rédacteur de l’encyclique) ait eu recours à un tel procédé, et il se demande pourquoi Pie X, futur saint de l’Eglise, a apposé sa signature au bas d’une encyclique à la sincérité aussi ambiguë. Si Rome n’était pas prêt à admettre une différence d’appréciation avec les évêques, il aurait mieux valu que l’encyclique ne fît aucune mention de l’assemblée ». Et il cite une phrase du pape qui donne peut-être la clef de cette affaire : « Les catholiques français sont lâches et ils ont la tête aussi dure que les Allemands, ce qui n’est pas peu dire »[7].

 

Nous le verrons au prochain impensé, la soumission des catholiques français à l’ordre du pape de ne pas se conformer à la loi sera d’autant plus nette que le gouvernement, après quelques hésitations, n’encouragea aucunement les velléités de résistance. Mais cela ne doit pas faire oublier que ce ne sont pas les catholiques français, ni même les évêques, qui ont décidé de ne pas se conformer à la loi. C’est le pape qui le leur a ordonné. En fait, au conflit entre laïques a correspondu un conflit entre catholiques. Les accommodateurs laïques l’ont emporté ; grâce au pape, les intransigeants catholiques ont gagné. La victoire de ces intransigeants ne remet-elle pas en cause le succès des premiers ? Une séparation accommodante est-elle encore possible après l’encyclique ? C’est ce que nous verrons avec le prochain Impensé. A suivre….

 

 



[1]Cité par M. Larkin, L’Eglise et l’Etat en France, 1905 : la crise de la séparation, Privat, 2004, 167. Comme nous l’avons déjà indiqué, cet ouvrage d’un historien britannique est unanimement considéré par les historiens français comme étant le meilleur ouvrage sur la séparation
[2]On trouvera les principaux passages de cette encyclique dans D. Moulinet, Genèse de la laïcité, Cerf, 2005, 170-178.
[3]P. Cabanel, La révolte des inventaires,  J .-P. Chantin - D. Moulinet (éd.), La séparation de 1905, Les Ed. de l’Atelier, 2005, 102.

[4] M. Larkin, ouvrage cité, 189s.

[5] Cf. M. Larkin, ouvrage cité, 213-217, 229.

[6] Principaux passages dans D. Moulinet, ouvrage cité, 182-184, mais, malheureusement, avec un chapeau erroné.

[7] M. Larkin, ouvrage cité, 227, 228.

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