24/10/2005
1905 ET LES TENUES OSTENSIBLES
SIXIEME IMPENSE DU CENTENAIRE DE LA SEPARATION :
Savez-vous que, dans les débats parlementaires de la loi de séparation, s’est posé le problème de ce que l’on appelle aujourd’hui « les tenues religieuses ostensibles » ? Sans doute non, car on se garde bien de l’indiquer. Pourtant, le 26 juin 1905, l’Assemblée Nationale a discuté d’un problème de nouveau d’actualité, celui de la « tenue religieuse », ou plus exactement du « costume ecclésiastique.
Je ne vais pas faire l’inverse de ce que je reproche à la commémoration dominante, c'est-à-dire que j e vais pas ‘plaquer’ sur 2004-2005 ce qui c’est fait alors, en disant c’est pareil et en faisant de l’attitude adoptée alors la norme obligatoire pour l’attitude à adopter aujourd’hui. Mais quand même, entre le rien et le tout, il y a la connaissance. Il me semble important de savoir comment les laïques de 1905, dont on magnifie d’autant plus facilement la loi que l’on garde secret beaucoup d’aspects de son élaboration, ont abordé, lors de la rédaction de la loi, le problème des tenues religieuses.
Je vais donc me borner à vous donner les principaux points du débat parlementaire sur la question. Libre à chacune et à chacun de faire ou non des rapprochements avec l’actualité. Le but de ce blog est de favoriser le débat et non de prôner une orthodoxie quelconque, fut-elle non-conformiste. Vous pouvez d’ailleurs estimer qu’il a de l’analogie entre le problème de la tenue religieuse tel qu’il s’est posé en 1905 et celui des signes et tenues religieuses tel qu’il est posé aujourd’hui (analogie = ressemblances et différences). Pour ma part, position personnelle, je pense que l’analogie est forte. A vous de juger.
Le 26 juin 1905 s’engage donc le débat sur le « costume ecclésiastique » suite à un amendement de Charles Chabert, député radical-socialiste de la Drome, ainsi conçu :
« Les ministres des différents cultes ne pourront porter un costume ecclésiastique que pendant l’exercice de leurs fonctions ».
Une remarque immédiate s’impose : l’amendement à une portée générale mais en fait c’est une seule religion qui est visée : le catholicisme. Et de fait les débats vont se focaliser sur le port de la soutane. C’est cet habit qui est visé (rappelons aux ami(e)s du blog qui ne le sauraient pas que la soutane est une grande et ample robe noire que les prêtres catholiques portaient alors sur leurs vêtements habituels. Cette robe noire les faisaient d’ailleurs traiter de « corbeaux » par les anticléricaux. Après Vatican II, la plupart des prêtres ont abandonné la soutane ; on ne voit plus guère aujourd’hui en soutane que des prêtres traditionalistes ou intégristes.
Seconde remarque : il y avait déjà eu un mouvement de maires (70 à 75 selon les débats de la Chambre) qui avaient tenté d’interdire le port de la soutane dans leur commune. Mais l’arrêté de l’un d’eux avait été cassé au motif qu’il comportait « des appréciations complètement en dehors du droit conféré aux maires » et donc se trouvait entaché « d’excès de pouvoir ». L’affaire n’avait donc pas été tranchée quant au fond. La soutane étant une robe, elle était accusée de contrevenir à la « dignité masculine » et, de plus, de permettre une attitude hypocrite : encore dans les années 1950 un ouvrage à succès s’intitulait : La soutane devant l’amour.
Voyons maintenant les principaux arguments développés par Chabert :
- la soutane n’est pas une obligation pour les ecclésiastiques : jusqu’au VIe siècle ceux-ci s’habillaient comme tout le monde et actuellement (=1905) en Suisse, en Angleterre, en Amérique les prêtres ne la portent pas ce qui n’empêche pas la religion catholique de s’exercer librement.
- la soutane est donc une tenue plus cléricale que religieuse : d’ailleurs la Révolution l’avait interdite et la loi qui avait ratifiée le Concordat en avait limité le port. Ce n’est que par excès de tolérance que cette limitation est tombée en désuétude : de napoléon à la monarchie de Juillet, on préférait « l’habit à la française » au « costume ecclésiastique romain ». Le port généralisé de la soutane est lié à la montée de l’ultramontanisme. Commentaire : il faut savoir que ce terme d’ultramontanisme signifie au XIXe siècle, un catholicisme étranger, intolérant, fanatique, obscurantisme, à l’opposé du bon catholicisme « gallican », à la française, bien de chez nous.
- la soutane est « une prédication vivante, un acte permanent de prosélytisme ». C’est « une manifestation confessionnelle » permanente dans l’espace public. A ce titre elle porte atteinte à l’ordre public car elle induit des « manifestations diverses » soit « de sentiments religieux parfois même fanatiques » soit de « sentiments absolument contraires ». Elle porte à faire croire que les prêtre sont « autre chose et plus que des hommes ». C’est pourquoi interdire le port de la soutane en dehors des lieux de culte loin d’être une manifestation d’intolérance, est « une œuvre de paix, d’union, d’honnêteté, de logique, d’humanité ».
- la soutane rend le prêtre « prisonnier », « prisonnier de sa longue formation cléricale, prisonnier de son milieu étroit, prisonnier de sa propre ignorance ». La « soutane modifie la marche de celui qui la porte, son allure, son attitude et par suite son état d’âme et sa pensée ».
- la soutane est un signe de soumission « d’obéissance (…) directement opposée à la dignité humaine ». Pourquoi « les évêques tiennent si fort à ce que leurs prêtres portent la soutane » ? Pour 2 raisons. D’abord « afin que les prêtres ne puissent échapper à la surveillance de leurs supérieurs » ; ensuite « afin de maintenir comme une barrière infranchissable entre eux et la société laïque ». Sans soutane, le prêtre « échappe à son supérieur, s’évade de cette tyrannie monstrueuse de tous les instants. »
- il faut donc interdire la soutane, si on est « soucieux de la liberté et de la dignité humaines ». Si vous « ôtez sa robe » au prêtre, vous lui permettrez de « respirer, lever la tête, causer avec n’importe qui (…). C’est ainsi que vous lui ferez faire un pas immense, que vous libérerez son cerveau ». En « l’habillant comme tous le monde » faisons de « cet adversaire de la société moderne, un partisan de nos idées, un serviteur du progrès. De ce serf, de cet esclave, faisons un homme ».
- les prêtres eux-mêmes attendent de l’Etat républicain qu’il les libère de la soutane : « j’ai reçu, affirme Chabert, des confidences intimes » et s’il y a des prêtres qui ne veulent pas quitter leur habit, « un plus grand nombre d’entre eux –et ce sont les plus intelligents, les plus instruits- ATTENDENT AVEC ANXIETE CETTE LOI QUI LES RENDRA LIBRES ». Chabert ajoute qu’il pourrait citer des noms (et même des noms d’évêques). Bref, des « prêtres parmi les plus honorables et les plus convaincus (…) qui se consoleront de voir votée la loi de séparation, si en même temps vous supprimez la robe sous laquelle ils se sentent mal à l’aise ».
A différentes reprises, Chabert est applaudi « sur divers bancs à gauche et à l’extrême gauche » tandis qu’il y a des « exclamations et bruit à droite ».
A cette interprétation de la tenue religieuse comme habit de soumission et de ce devoir de l’Etat républicain et laïque d’émanciper, par la loi, les prêtres de la soutane, Briand répond que c’est à la suite « d’une délibération mûrement réfléchie » que la Commission a estimer que ce serait encourir les reproches « d’intolérance » et même de « ridicule » (« applaudissements et rires au centre et à droite ») «que de vouloir, par une loi qui va « instaurer dans le pays un régime de liberté » d’imposer aux prêtre « l’obligation de modifier la coupe de leurs vêtements ». Et il poursuit : « Votre commission, messieurs, a pensé qu’en régime de séparation la question du costume ecclésiastique ne pouvait se poser. CE COSTUME N’EXISTE PLUS POUR NOUS AVEC SON CARACTERE OFFICIEL. (…) LA SOUTANE DEVIENT, DES LE LENDEMAIN DE LA SEPARATION, UN VETEMENT COMME LES AUTRES, ACCESSIBLE A TOUS LES CITOYENS, PRETRES OU NON ».
Résultat des courses : l’amendement Chabert est repoussé par 391 voix contre 184.
Prochainement sur le blog : le septième impensé : La Séparation républicaine n’est pas celle de l’Empire (colonial)
En attendant, deux livres récents fort intéressants sur d’anciennes colonies devenues DOM :
- Prosper Eve, La laïcité en terre réunionnaise, origine et originalité. Océan éditions, 2005.
- Philippe Delisle : L’anticléricalisme dans la Caraïbe francophone, Un « article importé » ?, Karthala, 2005.
08:54 Publié dans LES QUINZE IMPENSES DE 2005 | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
LE COTE LAIQUE DE LA FORCE...
Bon... ON va éssayer de faire réaliser votre téléfilm tiré de votre roman sur Emile Combes et la Princesse Carmélite. Pour information concernant le milieu audiovisuel qui semble vous échapper, en premier lieu, ce qu'il faut trouver n'est pas un réalisateur, mais un producteur avec un bon scénario bien en main - votre roman scénarisé qui donc, c'est tout le risque, (mais "l'aventure, c'est l'aventure"...), peut être passablement transfiguré, par exemple en rapport avec des fantasmes issus de la Carmélite de Lisieux, Thérèse Martin, devenu Docteur de l'Eglise - en effet remarquer que sa mère (déclarée Vénérable par l'Eglise Romaine) nommée Zélie Martin, à déjà donné lieu au stupéfiant "ZELIG" réalisé par Woody Allen ). Tout aussi bien, votre roman pourrait devenir sous l'intitulé "CLERICAL" la suite des aventures de Wallace et Gromit (actuellement sur grand écran avec "le mystère du Lapin-Garou"...ben, oui ... déjà qu'ils avaient antérieurement découvert que la lune est composée de fromage...). En attendant.... il existe éventuellement en France l'UGS - Union-Guilde des Scénaristes, qui se veut l'équivalent de la très puissante GWA américaine, scénariste notamment de "Il faut sauver le soldat Ryan" et du téléfim "Band of Brothers"). L'UGS édite "la gazette des scénaristes". ON va faire un effort en ce sens ... mais vous pouvez naturellement aussi leur donner langue (ils sont sur le net).
Écrit par : Le fantômas d'Emile COMBES | 24/10/2005
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