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09/09/2005

Le premier IMPENSE du CENTENAIRE

LES QUINZE IMPENSES DU CENTENAIRE

DE LA SEPARATION DES EGLISES ET DE L’ETAT

C’est sous cette forme un peu provocante que va être repris et continué le feuilleton sur l’histoire de la séparation qui, dans la 1ère moitié de 2005 a raconté le ministère d’Emile Combes et les débuts de la discussion parlementaire de la loi. Rassurez-vous, cette nouvelle manière de procéder va permettre d’intégrer certains grands moments de cette discussion parlementaire dont nous n’avons pas encore parlé, notamment ceux sur l’article 4 (mais aussi d’autres). Cependant, l’été et des débats auxquels j’ai participé m’ont rendu plus incisif et le blog se prête bien à un propos qui s’éloigne un peu du récit chronologique pour montrer en quoi des enjeux idéologiques présents vont à l’encontre d’un discours plus objectif. Cela ne signifie pas que l’on serait dans une situation semblable à celle d’il y a un siècle. Ne faisons pas de la contre-idéologie ! Simplement : il y a des choses qu’on ne veut pas savoir. Et, donc, même quand on ne peut pas les nier, on les rejette le plus possible dans l’impensé. Alors, allons y gaillardement donc, sans prudence excessive.

Accrochez les amarres, cela va swinguer !

Le blog de jeanbauberotlaicite.blogspirit.com va vous permettre de ne pas vivre une commémoration aseptisée ou glorifiant un national-universalisme franco-français.

Vous en avez de la veine !

PREMIER IMPENSE : LE CONFLIT LATENT ENTRE LA POURSUITE DE LA « LAÏCITE INTEGRALE » ET LA DEMOCRATIE A PARTIR DU THEME DE LA « REPUBLIQUE MENACEE ».

Je ne vais pas (trop) me répéter : dans les précédentes Notes (Catégorie : Emile Combes, dans plusieurs Notes qui se déroulent à l’envers –c’est ça le blog !- comme les passages sur l’anticléricalisme de Combes, le projet de séparation déposé par Combes et le passage sur le « renversement du thème de la République en danger » ainsi que dans la Catégorie : Les débats sur la séparation, le passage sur « Anticléricalisme d’Etat et séparation »), vous avez déjà les matériaux nécessaires pour illustrer cette thèse.

Simplement, j’insisterai sur le fait qu’à l’époque on déclare explicitement rechercher la « laïcité intégrale », ce qui signifie la fin des accommodements concernant la laïcité scolaire opérés par Jules Ferry, la lutte contre les congrégations, la revendication du monopole de l’enseignement public laïque. Mais la « laïcité intégrale, comme l’horizon, s’éloignait à chaque mesure laïque qui prétendait l’approcher. Et de plus en plus de personnes estimaient que l’on s’éloignait des chemins de la démocratie.

Décrivons cet engrenage. Un laïque incontestable comme Goblet, l’auteur de la loi de 1886 laïcisant le personnel de l’école publique, va dire que la politique anticongréganiste (qui vise à interdire tout enseignement aux congrégations religieuses) porte atteinte aux « droits de toute une catégorie de citoyens » sans, pour autant être véritablement efficace face à « l’esprit clérical »[1]. Buisson, qui préside la Commission parlementaire sur les congrégations, veut contrer cette objection d’une atteinte aux droits de l’homme. Il établit alors une distinction  entre la « congrégation » et le « congréganiste » (qui retrouverait ses droits une fois « sécularisé » par la disparition des congrégations). Cette distinction est fortement critiquée. Les congréganistes contraints et forcés de séculariser ne changent pas d’état d’esprit, bien sûr. L’enseignement qu’ils vont donner peut toujours être considéré comme contraire aux idéaux républicains.

L’engrenage se précise : le peu d'fficacité des mesures prises demande de les compléter par de nouvelles mesures telle l’interdiction de l’enseignement aux  congréganistessécularisés là où ils l’exerçaient précédemment. Mais, Combes, lui-même reconnaissait qu’il était impossible « après avoir dit à un homme : "défroque-toi" de le frapper ensuite comme défroqué. » D’où l’idée de ne poursuivre que les « sécularisations fictives » et d’établir par un règlement d’administration publique, une nouvelle catégorie, celle des « sécularisés sincères »[2]. Cette disposition, qui nécessitait de scruter les consciences, ne pouvait pas, bien sûr, être mise en œuvre sans quitter le  cadre de la démocratie. Elle sera demandée mais pas appliquée.

Une telle mesure aurait-elle, d’ailleurs, été suffisante ? Le directeur du journal Le Siècle Lanessan (qui va accueillir la campagne en faveur d’une séparation « libérale » de Raoul Allier dans son quotidien) ne le pense pas. « Les évêques et le clergé séculier pourront se mettre légalement à la tête de la réorganisation de l’enseignement que donnent aujourd’hui les congrégations. La loi nouvelle (interdisant tout enseignement aux congrégations  et qui sera promulguée le 7 juillet 1904) leur en reconnaît le droit, et, comme ils disposent déjà du pouvoir de sécularisation des membres des congrégations, ils auront sous la main les maîtres nécessaires »[3]. Il n’est pas le seul de cet avis.

Il faut donc instaurer, selon les partisans de la « laïcité intégrale », le monopole de l’enseignement public, mesure que le sénateur Gustave Rivet, parodiant Combes, appelle le « monopole nécessaire ». Tout enseignement privé, congréganiste ou non, sera alors interdit. Le parti radical réclame cette mesure, dans son congrès de 1903. Le professeur Lintilhac, un des chefs de ce parti, affirme que « l’Etat ne doit concéder à (quiconque) la possibilité d’élever les futurs citoyens contre la cité ». Mais, même adopté, ce monopole de l’enseignement public laïque n’aurait pas suffit. L’engrenage aurait continué : on commençait déjà à dénoncer les « cléricaux latents » de l’enseignement public (ceux qui enseignaient Voltaire en ricanant un peu) et, de fait, même avec le monopole rien n’empêcherait, remarquait Buisson (pour le combattre), des candidats « cléricaux » de se présenter et de réussir les concours, à moins d’exercer un « contrôle odieux ou sur les opinions ou sur les origines des candidats ».[4]

Buisson, partisan de l’interdiction de l’enseignement aux congrégations se montre donc l’adversaire du monopole de l’enseignement public. Au fur et à mesure de l’engrenage, des républicains incontestables abandonnent  donc l’utopie de la « laïcité intégrale » se rendant compte que ses chemins s’éloignent de ceux de la  démocratie.

Clemenceau adopte une position analogue à celle de Buisson. Il prononce un discours célèbre: « Pour éviter la congrégation, nous faisons de la France une immense congrégation. (…) Nos pères ont cru qu’ils faisaient la Révolution française pour s’affranchir ; nullement, c’était pour changer de maître. (…) Aujourd’hui où nous avons détrôné les rois et les papes, on veut que nous fassions l’Etat roi et pape. Je ne suis ni de cette politique ni de cette philosophie. »[5].

Mais tout cela ne doit pas faire oublier que la loi du 7 juillet 1904, maintenant perçue comme le summum de l’anticléricalisme d’Etat, a semblé trop timide à toute une tendance républicaine[6]. Le personnage de Combes ne mérite ni l’excès d’honneur de ceux qui le  croient ‘père’ de la loi de 1905[7], ni l’indignité de ceux qui lui font une réputation de « sectaire » et d’ « esprit borné ».

En effet, on assiste maintenant à une opposition moraliste entre un « mauvais » Combes et un « bon » Briand. Cela permet de faire l’économie de ce qui s’est réellement passé entre 1902 et 1905. Comme nous allons le voir dans le second impensé du centenaire, Ce n’est pas Combes (qui a conduit, mais aussi limité l’anticléricalisme) c’est tout un ensemble de républicains qui ont estimé que la « République (était) menacée » et qu’il fallait prendre des mesures de plus en plus radicales pour la défendre.

(à suivre)


[1] Cf. l’ouvrage collectif, Histoire de la laïcité, CRDP de Besançon, 1994, 147.
[2] Cf. M. Gueissaz-Peyre, L’image énigmatique de Ferdinand Buisson. La vocation républicaine d’un saint puritain,  Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 309s.
[3] J.-L. de Lanessan, Le Siècle, 20 février 1904, cité par M. Gueissaz-Peyre, ouv. cité, 315.
[4]  Cité par S. Tomei, Ferdinand Buisson (1841-1932), protestantisme libéral, foi laïque et radical-socialisme, Thèse pour le doctorat de l’IEP, sous la direction du prof. S Berstein, 2004, 588
[5] Cité par A. Zevaes,  Clemenceau, Paris, Julliard, 1949, 178s.
[6] ‘Timide’ est un euphémisme : une personnalité aussi respectée dans les milieux républicains que H. Brisson écrivait en 1903 : « une loi sur les congrégations, si dure qu’on l’imagine, ne sera jamais suffisante ».  Faute d’instaurer le monopole, on allait, selon lui, aboutir à une situation « pire » qu’auparavant. (Le Siècle, 24 avril 1903)

[7] Il n’en reste pas moins qu’il en a mis en route le processus, avec prudence et une habileté certaine et qu’ensuite il usa de son influence au Sénat pour faire aboutir la loi.

UNE BELLE SYNTHESE

MIREILLE ESTIVALEZES


 LES RELIGIONS DANS L'ENSEIGNEMENT LAÏQUE

On parle en France depuis une quinzaine d’années d’un nécessaire enseignement du fait religieux. Comment ce débat est-il venu sur les devants de la scène publique ? Quels sont ses enjeux et les attentes qu’il suscite ? Comment les professeurs chargés de cet enseignement sont-ils formés ? Comment répondre au mieux aux attentes de la société, des parents d’élèves et des élèves ?

Si l’on s’accorde à penser qu’une connaissance des religions doit faire partie de la culture scolaire de tout futur citoyen, on peut s’interroger sur les choix qu’opèrent les programmes et les manuels, incarnant à la fois une mémoire du passé et un projet d’avenir de la société. Mais cet enseignement ne va pas sans difficultés : quels sont les écueils à éviter ? La laïcité est-elle un obstacle ou, au contraire, l’une des conditions de cet enseignement dans une École devenue l’un des lieux stratégiques de l’expression des appartenances religieuses ?

Cet ouvrage montre très concrètement comment est mené, avec bien des hésitations et non sans problèmes, l’enseignement du fait religieux dans les collèges et les lycées de la République. Il permet également de mesurer l’importance d’une approche pédagogique distanciée et dépassionnée, bien distincte d’une démarche d’ordre confessionnel, pour communiquer aux citoyens de demain les connaissances nécessaires à la compréhension de questions qui traversent toute l’histoire de l’humanité jusqu’à aujourd’hui. Un panorama d’ensemble de la situation qui n’avait encore jamais été proposé.

Préface de Jean BAUBEROT

Docteur de l'École pratique des hautes études (« Histoire des religions et des systèmes de pensée ») où elle est chargée de conférences, Mireille Estivalèzes est chercheur au Groupe de sociologie des religions et de la laïcité (CNRS-EPHE).

Presses Universitaires de France, 326 pages, 21 euros.

09:25 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0)

07/09/2005

POLITIQUE ET RELIGION : 1ère PARTIE

POLITIQUE ET RELIGION
DANS LA FRANCE D’AUJOURD’HUI

 

(Université de Floride, septembre 2005)

Continuité et changement se conjuguent dans les rapports entre religion et politique dans la France contemporaine (au sens large des historiens). La France, comme les Etats-Unis, est toujours marquée, en cette année 2005, par la mémoire de ses origines, de sa fondation mythique.  Cependant, différence structurelle entre les deux Républiques, le mythe des origines se dédouble de façon très différente. De ce côté-ci de l’Atlantique, la fondation des Etats-Unis peut se situer dans un certain prolongement de la fondation de l’Amérique anglaise et le Thanksgiving Day peut être mis sur le même plan que la fête nationale du 4 juillet. En France, les deux références fondatrices ne vont pas du tout dans la même direction.  La première référence concerne le baptême du chef franc Clovis, qui aurait eu lieu en 496 de notre ère et qui aurait constitué une première unification de la future France dans le refus de « l’hérésie » aryenne au profit de la foi chrétienne « catholique, apostolique et romaine ». La seconde référence concerne la fondation de la France moderne, de la France républicaine grâce à la Révolution française, considérée « comme un bloc » (Clemenceau). Cette seconde fondation, celle de la modernité politique française, s’effectue dans un conflit frontal et violent avec le catholicisme romain.

Du début du XIXe siècle au début du XXIe siècle ces deux éléments forment l’infrastructure symbolique des rapports entre politique et religion en France.  Mais suivant les problèmes dominants d’un temps, ces rapports s’articulent de façon différente. Globalement, trois périodes peuvent être distinguées. La première période, allant de la Révolution elle-même (qui a très vite acquis un statut de récit de fondation) à la séparation des Eglises et de l’Etat est celle du conflit des deux France : la France de Clovis et la France de 1789 s’affrontent, tentent en vain de se réconcilier en une guerre de deux religions civiles concurrentes. La seconde période est celle du « pacte laïque »[1], d’une réconciliation progressive, avec ses hauts et ses bas, ses restes de conflit qui se manifestent essentiellement dans le domaine scolaire. L’apaisement, dès 1908, des tensions suscitées par le refus catholique d’appliquer la loi de séparation, l’ « Union Sacrée » en 1914, la constitutionnalisation de la  laïcité en 1946 (alors que le président du Conseil était membre d’un parti démocrate-chrétien) et, enfin, l’échec de la création du SPULEN (Service Public Unifié et Laïque de l’Education Nationale) en 1984 en marque les principales étapes. Mais de nouveaux aspects conflictuels se manifestent à partir de 1989 et de la première « affaire de foulards ». Cette année du centenaire de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat est marquée et par la réconciliation globale des deux France et par ces nouveaux problèmes. Aujourd’hui, de l’islam au protestantisme, il existe une tension, parfois latente, parfois ouverte, entre la France et ses minorités religieuses. La France n’est pas arrivée, jusqu’à présent, à construire un « nouveau pacte laïque »[2].

Nous allons parler de cette dernière période et traiter essentiellement des problèmes actuels. Mais ni la période ni les problèmes qu’elle rencontre ne sont compréhensibles sans tenir compte de leurs soubassements historiques et symboliques. Comme le montre très bien un ouvrage récent[3], l’histoire réelle et mythique des Etats-Unis fait que l’athéisme y est virtuellement plus ou moins suspect alors que l’histoire réelle et mythique de la France fait que la religion y est toujours virtuellement plus ou moins suspecte, ou plutôt considérée comme profondément ambivalente. Pourtant Etats-Unis et France ont en commun d’avoir proclamé la liberté de conscience, dans le dernier quart du XVIIIe siècle. Mais peut-être n’entendent-ils pas exactement de la même façon, le terme, le concept de « liberté ».

Le conflit des deux France a été avant tout un conflit sur l’identité nationale. Ce conflit s’est identifié, pendant une bonne partie du XIXe siècle, avec l’instabilité des régimes politiques (une bonne dizaine entre 1789 et 1875) et un conflit entre monarchie et république. Le ralliement à la république, demandé aux catholiques français par le pape Léon XIII en 1892, n’a nullement mis fin à ce conflit frontal dans la mesure où la république que l’on ralliait devait avoir une identité catholique. La crise qui accéléra le processus de la séparation des Eglises et de l’Etat, significativement, fut provoqué par la visite du président de la république, Emile Loubet, au roi d’Italie : le pape Pie X jugeait cela inconvenant pour lui de la part d’un chef d’Etat d’une nation catholique. Il n’avait pas la même exigence envers l’Empereur d’Allemagne.

Ainsi, l’aspect le plus douloureux de la séparation pour les catholiques pratiquants ne fut pas la laïcité de l’Etat, déjà largement acquise auparavant[4], mais la neutralité religieuse de la nation. Cependant la situation restait conflictuelle pour l’école, ce qui n’est guère étonnant car l’école enseigne non seulement un savoir mais aussi une certaine vision de la nation. « Deux jeunesses » étaient censées apprendre deux visions différentes de la France à l’école laïque et à l’école confessionnelle catholique[5]. Après beaucoup de rebondissements, qu’il n’est pas le lieu de retracer ici, les années 1982-1984 virent l’insuccès de la tentative d’une unification laïque (souple au demeurant) de  l’institution scolaire. Les écoles privées, catholiques pour la plupart, qui se trouvaient largement subventionnées par l’Etat depuis 1959[6], furent pérennisées. La majorité de l’opinion publique estimait, en effet, après le Concile Vatican II, que « l’école catholique » n’enseignait pas une autre France que « l’école républicaine ». Beaucoup de parents voulaient pouvoir jouer sur la concurrence entre ces deux écoles[7].

Le conflit des deux France est-il fini de façon irréversible ? Pour certains, il se déplace des enjeux politique et scolaire à un différent en matière de mœurs. Les médias ont mis en scène les propos du pape Jean-Paul condamnant le laxisme supposé des sociétés modernes en la matière. On sait que c’est sur ce terrain qu’avait commencé le recentrage après Vatican II : en 1968, Humanae Vitae du pape Paul VI avait maintenu la condamnation des moyens modernes de contraception. Un sondage effectué lors de la mort de Jean-Paul II donne des données extrêmement intéressantes sur l’opinion des Français et notamment des catholiques quant à la position officielle de l’Eglise catholique en matière de mœurs[8].

Dans les sondages, environ les deux tiers de la population française se déclare catholique et environ un quart sans religion, le reste étant membre d’autres religions ou refusant d’entrer dans un classement de ce type[9].Mais si 66% des Français se disent catholiques, seuls 8 à 9%  sont des pratiquant réguliers, le reste se répartissant, en part presque égale, entre catholiques pratiquants irréguliers et catholiques non pratiquants[10]. Parmi les questions posées plusieurs concernent les mœurs et il est intéressant de donner les réponses  des catholiques pratiquants réguliers et irréguliers (c'est-à-dire un peu plus d’un tiers de la population française) qui forment, globalement, l’opinion publique catholique (les pratiquants réguliers en étant le ‘noyau dur’).

80% des pratiquants réguliers et 91% des irréguliers souhaitent que le pape autorise la contraception ; 73% des premiers et 90% des seconds voudrait que le pape « tolère l’avortement dans certaines conditions » et ils sont respectivement 76% et 95% à vouloir que le pape « autorise l’usage du préservatif pour lutter contre le sida ». Enfin,  seulement 24% des pratiquants réguliers et irréguliers souhaitent que le pape « condamne les couples homosexuels (72% et 69% étant d’un avis opposé). Autrement dit les trois quarts des pratiquants réguliers et les neuf dixième des pratiquants irréguliers[11] souhaitent un changement des positions de l’Eglise catholique en matière de mœurs et se trouvent, sur ces sujets, en affinité avec l’opinion dominante en France.
L’attitude officielle de l’Eglise catholique pourrait faire croire à un conflit des deux France qui n’en finit pas, mais simplement se déplace. En fait ce serait une impression en trompe l’œil. Il n’existe plus de ‘conflit des deux France’ ; en revanche il existe un conflit interne larvé dans l’Eglise catholique entre le magistère romain et ceux qui le répercutent d’une part, la masse des catholiques d’autre part. Cette hypothèse se trouve confirmée par deux autres indices : d’une part le travail qualitatif : des prêtres que nous avons interviewés ont déclaré que la majorité de leurs paroissiens vivaient en dehors des « normes canoniques »[12] ; d’autre part, les questions du sondage plus internes à l’Eglise catholique vont dans le même sens, quoique moins massivement. Ainsi 61% (contre 36%) des pratiquants réguliers et 81% (contre 16%) des irréguliers souhaitent que le pape « autorise le  mariage des prêtres » et 51% (contre 44%) des pratiquants réguliers et 67% (contre 31%) des irréguliers souhaite que le pape accepte d’ "ordonner des femmes prêtres". Il est regrettable que l’enquête n’ait pas posé une question ayant trait à un problème de bio-éthique (le clonage thérapeutique, par exemple). Mais, tels quels, les résultats indiquent une tendance générale claire. L’accord avec les valeurs dominantes de la modernité fait donc souhaiter à une majorité de catholiquesun nouvel aggiornamento de leur Eglise.

Le 29 mai 2005 a eu lieu un référendum sur « l’approbation du traité établissant une Constitution pour l’Europe ». Ce traité a été rejeté par 54,68% des suffrages exprimés (45,32% ayant voté pour). Le sondage CSA[13], réalisé le jour même du référendum sur la Constitution européenne, auprès de 5216 Français inscrits sur les listes électorales, montre que le facteur religieux continue d’être un des facteurs importants. Parmi ceux qui ont voté, environ deux tiers des catholiques pratiquants réguliers ont voté en faveur de la Constitution (67% contre 33%) alors que deux tiers des sans religion ont voté contre (65% contre 35%). Les catholiques pratiquants occasionnels se sont répartis de façon presque équilibrée (49% oui, 51% non) et les catholiques non pratiquants se sont montrés (comme souvent) un reflet exact de l’ensemble des Français (45% de oui, 55% de  non). Les protestants (43% de oui, 57% de non) et les musulmans (46% de oui, 54% de non) ne s’écartant guère, eux aussi, de la tendance générale.

Il faut noter que le clivage entre catholiques pratiquants réguliers et sans religion n’est pas le seul à être fortement accentué. Il existe un clivage moins  important mais relativement significatif selon l’age (41% de oui pour les 18-24 ans, 38% pour les 25-29 ans, par contre 57% des 65-74 ans, 59% des 75 ans et plus). Surtout, il existe un clivage aussi important suivant le niveau de diplôme (39% de oui pour les personnes sans diplôme ou titulaire d’un diplôme primaire à 69% pour les personnes possédant un diplôme supérieur à bac+2) et un clivage plus important selon les revenus mensuels du foyer (35% pour les revenus de moins de 1500 € par mois à 74% pour les revenus de plus de 4500 €) et selon les proximités politiques (16% de oui pour ceux qui votent à l’extrême gauche, 42% pour ceux qui votent à gauche, 76% pour ceux qui votent à droite et 17% pour ceux qui votent à l’extrême droite[14]). Les pratiquants réguliers sont considérés, à partir des diverses enquêtes réalisées, comme moins jeunes, plus diplômés, ayant de meilleurs revenus, plus à droite (mais moins à l’extrême droite) que la moyenne de la population française. Il y a donc congruence, sans qu’il soit possible de déterminer exactement l’importance du facteur religieux. Un indice, cependant, que ce dernier n’a pas été négligeable : les lecteurs du quotidiens La Croix, qui sont des catholiques convaincus, ont voté à 74% pour le traité (lecteurs du Figaro,68%, lecteurs du Monde, 52%).

Deux minorités religieuses, trop faibles pour être vraiment prises en compte dans les sondages habituels constituent, dans celui-ci, deux sous-échantillons[15]. Les protestants, longtemps considérés comme plus à gauche que la moyenne des Français[16], ont à peine accentué leur « non » par rapport au vote global et les musulmans ont voté pratiquement comme l’ensemble. Ce dernier résultat est d’autant plus intéressant que, nous le verrons, les musulmans ont une proximité plus grande avec les thèmes mis en avant par la gauche que la moyenne nationale. Ils ont donc voté en plus grand nombre pour le traité que la famille politique qui a majoritairement leur sympathie et également d’ailleurs que la couche sociale à laquelle ils appartiennent pour la plupart. Cela montre un réflexe légitimiste[17], un désir d’intégration. Et le fait que les catholiques pratiquants réguliers se soient montrés  plus favorables à la Constitution que la moyenne des Français induit aussi leur appartenance majoritaire à ce que l’on pourrait appeler l’establishment. Certes, d’autres enquêtes prouvent que l’appartenance à la religion catholique peut constituer un des facteurs du vote à droite mais il s’agit de ce que l’on appelle significativement la « droite républicaine » et non de l’extrême droite. Idéologiquement et politiquement le conflit des deux France est bien fini.

Une nouvelle vérification de cette affirmation peut être trouvée dans un troisième sondage[18] portant sur la laïcité qui, rappelons le, a constitué l’enjeu central du conflit des deux France. Une question proposait cinq réponses à la question : « Pour vous, le principe de laïcité, c’est avant tout… ? ». Un seul item pouvait être choisi. Nous donnerons d’abord les réponses de l’ensemble des Français, ensuite celle des catholiques, enfin celle des sans-religion:

-         « de mettre toutes les religions sur un pied d’égalité » : 32%, 26%, 30%

-         « de séparer les religions de la politique » : 28%, 29%, 24%

-         « d’assurer la liberté de conscience » : 28%, 28%, 34%

-         « de faire reculer l’influence de la religion dans la société » : 9%, 13%, 8%.

-         « rien de tout cela » : 1% (3%, 4%)

(Ne se prononcent pas : 2%, 1%, 0%).

Ce résultat est plein d’enseignement : les trois premiers items font presque jeu égal avec une relative préférence pour l’égalité entre religions qui semble être une préoccupation majeure des membres des minorités religieuses. En effet, cet item arrive en troisième position chez les catholiques avec un déficit de 6 points par rapport à la moyenne et en seconde position chez les sans-religion, avec un déficit de 2 points. La séparation des religions et de la politique, second item, n’obtient que 24% chez les sans-religion (4points de moins que la moyenne et 5 points de moins que les catholiques), ce qui peut donner lieu à diverses interprétations. Par contre, le principe de laïcité semble d’abord, pour cette catégorie, le respect de la liberté de conscience (le droit de ne pas croire ?) alors que, sur cet item, la position des catholiques coïncide avec la position générale. On doit noter aussi le peu de succès d’une laïcité combative (8%) même si les catholiques la ressentent ainsi un peu plus que les autres (13%). Les sans religion ne la promeuvent guère (8%). Il faut constater enfin que les Français se retrouvent dans le panel des réponses proposées, étant donné l’insuccès presque total du « rien de tout cela » et le faible taux de non réponses.
Enfin, pour parfaire notre démonstration, examinons les réponses à la question : « La laïcité est-elle, selon vous, un élément essentiel, très important, peu important ou pas important du tout pour l’identité de la France… ? ». 75% des Français ont répondu « essentiel » (23%) ou très important (52%). Ce taux se monte à 80% pour les catholiques, avec une répartition toutefois différente : 12% pour essentiel, 68% pour « très important ». Les sans-religion se rapprochent, eux, de la moyenne des Français (78% composé de 24% et 54%). On peut donc dire que si les catholiques sont un peu moins que les autres des laïques militants (ce qui n’étonnera personne), ils ont -dans leur très grand majorité[19]- intériorisé le fait que l’identité française est laïque.
(à suivre)


[1] Sur le pacte laïque, cf. (notamment) J. Baubérot, 2005.

[2] Cf. J. Baubérot, 1990

[3] B. Chélini-Pont - J.Gunn, 2005.

[4] 1789 en avait proclamé le principe, Napoléon l’avait imposé politiquement pour l’essentiel et la IIIe République avait rétabli ce qui avait été rogné ensuite et pris diverses mesures complémentaires.

[5] Certes cela n’était pas faux mais il faudrait nuancer suivant les établissements et rappeler qu’il y avait également « deux jeunesses » scolarisées de façon différente à l’école publique suivant leur classe sociale (cf. J. Baubérot, 2004)

[6] Moyennant un contrat avec l’Etat qui les obligeait, notamment, à respecter le programme officiel quitte à y ajouter des activités spécifiques (liées au « caractère propre » de ces établissements).

[7] Au cahier des charges différent, comme le rappela le Conseil Constitutionnel en 1994, refusant une nouvelle augmentation de la possibilité de subvention.

[8] Sondage CSA effectué en avril 2005 pour l’hebdomadaire La Vie auprès d’un échantillon national représentatif constitué selon la méthode des quotas de 1001 personnes âgées d’au moins 18 ans

[9] La sociologie de la religion actuelle insiste sur l’individualisation du religieux, les bricolages entre diverses traditions religieuses. Il nous semble que si un item rendant compte de cette nouvelle situation était proposé , il pourrait avoir un certain succès non seulement dans ce ‘reste’ mais aussi dans les autres catégories de réponses.

[10]Un sondage (dont nous allons parler) réalisé auprès d’un échantillon national représentatif constitué d’un peu plus de 5200 Français à l’occasion du référendum sur la Constitution européenne, donne un échantillon dont la composition socio-religieuse est la suivante : 8,5 % des sondés se disent catholiques pratiquants réguliers, 27,5 % catholiques pratiquants occasionnels et 31% catholiques non pratiquants ; 2% se disent protestants ; 2% musulmans ; 23% sans religion. Cela correspond globalement à ce qui est trouvé dans les différentes enquêtes par sondage.

[11] Sauf pour la question de l’homosexualité,  où une partie de l’opinion non catholique pratiquante est également réservée.

[12] Jeunes ayant une vie sexuelle sans être mariés, couples pratiquant la contraception, divorcés, etc

[13] Sondage CSA effectué pour France 3, Radio France, Le Parisien, Aujourd’hui en France.

[14] Critère retenu : vote aux élections européennes de 2004.

[15]L’échantillon de chaque minorité (un peu plus de 100 personnes) peut paraître faible ; il faut cependant remarquer que les enquêtes habituelles portent sur des échantillons de 800 à 1000 personnes et, donc que cela représente l’équivalent d’un sous-échantillon de plus de 10% dans ces enquêtes.

[16] Ce que confirmaient les enquêtes menées à leur sujet.

[17] Rappelons que les leaders de la droite et de la gauche (à l’exception de L. Fabius) appelaient à voter en faveur du traité.

[18] Sondage CSA effectué en février 2005 pour le CNAL (Centre National d’action laïque) auprès d’un échantillon national représentatif de 970 personnes réalisé selon la méthode des quotas.

[19] Seuls 8% pensent que la laïcité est un élément « pas important du tout  pour l’identité de la France » (contre 9% des sans-religion et 7% de la moyenne nationale ; de façon plausible, les membres des autres religions étant fort peu nombreux à choisir cet item).

02/09/2005

RENTREE

Bientôt dans le Blog
Les 15 impensés du centenaire de la loi de séparation

Un feuilleton passionnant, plein de suspens, absolument inédit(nezidane !)[1] qui vous tiendra en haleine de semaine en semaine.

Le 1er épisode: jeudi 8 septembre, ainsi qu'une autre nouvelle Note : Politique et religion en France d'après des sondages récents.

Vous pourrez d’autant moins dormir  (vu le suspens du feuilleton) que le 14 octobre paraîtra, dans toutes les bonnes librairies, le roman du centenaire : Emile Combes et la princesse carmélite, improbable amour (éditions de l’Aube) (cf la rubrique : Ouvrages de Jean Baubérot, pour plus d’information).

En attendant je dédicacerai mes ouvrages à la Fête de l’Humanité à la Courneuve le 10 septembre prochain. Cela peut être une occasion de dialogue et de rencontre.

BONNE RENTREE


[1] Je sais, le jeu de mot est mauvais, mais déjà que je suis un « professeur », si en plus je n’ai pas le droit de m’amuser !

23:35 Publié dans EDITORIAL | Lien permanent | Commentaires (0)

01/09/2005

DECLARATION SUR LA LAÏCITE

DECLARATION D’UNIVERSITAIRES

DE DIFFERENTS PAYS SUR LA LAICITE

 

Fruit d’un travail d’une année, une Déclaration  sur la laïcité vient de recevoir sa rédaction finale. Issue d’une idée lancée par trois universitaires de trois continents différents, cette Déclaration, a été rédigée à la suite d’un processus collectif  auquel ont participé des dizaines d’universitaires de différents pays. Elle constitue une résultante entre l’avis celles et ceux qui souhaitaient un énoncé analytique et de ceux et celles qui désiraient une proclamation solennelle.

 

Ce texte constitue donc une déclaration non péremptoire qui, en fait, veut essentiellement susciter des réflexions, des débats. Surtout il vise (c’est son objectif premier) à se déconnecter de la situation française ou même européenne ou occidentale et, en la lisant, il faut se rappeler que ce qui peut avoir valeur d’évidence en France ou en Occident, n’est pas forcément un acquis pour l’ensemble de la planète. Nous avons voulu proposer des pistes sans nous poser en donneurs de leçons.

 

Nous avons voulu
-donner une définition de la laïcité qui en fait un principe universel
- indiquer, en conséquence, que la laïcité n’est pas une « exception française »
- dire que beaucoup de pays ont des aspirations laïques, même si la laïcité n’est pas réalisée
- donner le moyen à des intellectuels de ces pays d’exprimer ces aspirations
- montrer, qu’en matière de laïcité, la chose est plus importante que le mot

 

Y avons-nous réussi? Nous le dira l’ampleur des réponses, le nombre de celles et ceux qui voudront bien signer ce texte. Précisons la règle du jeu : la signature n’implique pas un accord avec la lettre des formules mais avec les grandes orientations du texte, l’état d’esprit général et la volonté de trouver un accord qui puisse rassembler des individus de différents pays, de différents continents.

Dans un premier temps, la signature du texte est réservée aux Universitaires, au sens large de toutes celles et de tous ceux qui travaillent dans l’Université[1]: professeurs, chercheurs, ingénieurs, administratifs, doctorants, post-doctorants rattachés à un laboratoire ou à une formation de recherche.

Si vous appartenez à une de ces catégories, demandez le texte de la Déclaration en écrivant envoyer à l’adresse mel suivante : declarationlaicite@hotmail.fr

 Chacun est prié d’indiquer son institution de rattachement (même si, naturellement, il ne l’engage pas) et surtout sa nationalité.

 

Par ailleurs, la signature peut être accompagnée de commentaires et/ou de remarques critiques. Ces commentaires et ces remarques seront considérés comme des annexes de la Déclaration. Elles l’enrichiront et manifesteront que le soutien au texte n’a rien d’inconditionnel, ne fait perdre à personne son individualité propre (ce qui est en accord avec le texte lui-même). Signatures, commentaires et remarques sont également à envoyer à l’adresse mel : declarationlaicite@hotmail.fr

 

 

 

N’hésitez pas non plus à diffuser largement cette Déclaration auprès de tous vos collègues susceptibles d’être intéressés. Sachez qu’une version du texte en anglais, espagnol et arabe est en cours de préparation. Les volontaires pouvant traduire le texte dans d’autres langues seront les bienvenus.

 

Le 9 décembre 2005, jour anniversaire du centenaire de la loi française de séparation des Eglises et de l’Etat, cette Déclaration sera présentée à la presse, à Paris, dans une salle aimablement prêtée par le Sénat (et pourquoi pas dans d’autres pays) munie, espérons-le, de multiples signatures de personnes de nationalités très diverses.

 

Ensuite, dans un second temps, la signature de la Déclaration sera ouverte à toutes celles et tous ceux qui souhaitent s’associer à cette initiative.

 

Cette démarche en deux temps a pour but d’éviter toute récupération politique, religieuse ou idéologique de la Déclaration, cela dans la conformité à l’esprit de la Déclaration.

 

Nous espérons donc à la fois promouvoir une certaine idée de la laïcité, critique, en cette année du centenaire de la séparation (française) des Eglises et de l’Etat, avec toute conception de la laïcité « exception française ». Nous voulons aussi promouvoir un dialogue, un débat international sur la laïcité (où la chose est plus importante encore que le mot). Nous espérons que, si vous êtes universitaire, vous voudrez bien participer à cette initiative.

 

Jean Baubérot (Ecole Pratique des Hautes-Etudes)

 

Roberto Blancarte (Collegio de Mexico)

 

 Micheline Milot (Université du Québec à Montréal)


[1] Ce qui, en France, inclut naturellement les IUFM.

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30/08/2005

A LIRE

DEUX OUVRAGES A LIRE

SUR LA LAÏCITE

 

En attendant la parution le 6 septembre de la somme de 370 pages sur la laïcité passée et actuelle  (ou les éléments de laïcité et/ou de non laïcité) dans de très nombreux pays (Algérie, Amérique hispanique, Etats-Unis ? Chine, Turquie, Italie, Allemagne, Mexique, Ukraine, Russie, Canada, Japon, Union européenne….et quand même France) : De la séparation des Eglises et de l’Etat à l’avenir de la laïcité aux éditions de l’Aube (Collection Essais, ouvrage collectif : Les Entretiens d’Auxerre), deux petits ouvrages peuvent être lus avec profit :

 

D’abord, comme on n’est jamais si bien servi que par soi-même, je signalerai la réédition de « mon » Que sais-je ?: Histoire de la laïcité en France aux PUF : j’ai beaucoup retravaillé la seconde édition (et donc assurez vous que vous achetez la 3ème, celle de 2005 et non la 2ème, celle de 2003)  pour, dans les limites intangibles des 128 pages, accorder plus de place à la séparation de 1905 et à la période actuelle. J’ai aussi tenu compte de mes propres recherches et des travaux, assez nombreux dans l’optique du centenaire, parus depuis 2003. J’ai, enfin, tenté de répondre à des objections en clarifiant au maximum mon propos.

 

Ensuite, de Pierre Kahn, La Laïcité, aux éditions Le Cavalier Bleu, collection : Idées reçus. Effectivement, c’est bien un ensemble d’idées reçues que démonte de façon claire et pertinente P. Kahn. Certaines ont une validité partielle mais dites de façon péremptoire et univoque, elles ne correspondent pas vraiment à la réalité, d’autres sont fausses mais continuent pourtant d’être invoquées. Parmi les idées reçues démontées : « la laïcité est une idée typiquement républicaine », « la laïcité est une exception française », « la laïcité explique la déchristianisation de la France », « la laïcité d’aujourd’hui n’est plus la laïcité de combat des origines », « l’enseignement du fait religieux est impossible à l’école laïque », « l’islam est non soluble dans la laïcité », « L’Etat laïque ignore les religions ». C’est bien fait. La seule critique sera le fait que la bibliographie ignore des ouvrages importants parus ou réédités depuis 1 an (et alors non cités ou cités dans une édition plus ancienne).

 

Par contre, dans une prochaine note, j’expliquerai en quoi l’ouvrage d’Henri Pena Ruiz sur l’histoire de la laïcité (Gallimard) paradoxalement mais significativement adopte une perspective d’histoire confessionnelle, reprend l’optique de l’historiographie catholique traditionnelle. A bientôt donc.

12:00 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (3)

18/08/2005

TREVE ESTIVALE (suite)

Cher(e)s Ami(e)s,

Vous trouverez, à la suite de la Note "Bêtise versus démocratie", l'édito "Trêve estivale" avec les nouvelles de la rentrée.

Bonne navigation

09:49 Publié dans EDITORIAL | Lien permanent | Commentaires (1)

17/08/2005

Bêtise versus démocratie

LES RAISONS DE LA COLERE

Merci à Odile, à Pierre et Guillaume de leurs commentaires sur le dernier « grand bêtisier de la laïcité ». Pierre et Guillaume approuvent, Odile critique : c’est donc à elle que je vais tenter de répondre. Elle n’a pas lu l’article de F. Venner et donc ne veut pas se prononcer sur la véracité de ma démonstration, pourtant précise. Elle me reproche l’expression « espèce d’imbécile » et le fait même de parler de « bêtise », ce qui lui semble contraire au « débat démocratique ».

En fait, j’ai écrit « espèce d’imbécile (que j’espère) heureuse » et l’expression « imbécile heureux » n’est pas dénuée de tendresse. Je croyais précisément avoir maîtrisé ma colère en l’utilisant et en incitant F.V. à se reprendre. En effet, j’assume pleinement le diagnostique de « bêtise »  car le problème n’est nullement une divergence de contenu. J’ai des divergences avec  l’ouvrage d’Henri Pena-Ruiz Dieu et Marianne et cela n’empêche pas de le mettre dans ma bibliographie. A ce niveau, le « débat démocratique » est bien sûr souhaitable et je le mène volontiers.

 Mais le propos de F. Venner se situe à un tout autre niveau. Pour elle, si l’on ne partage pas sa conception de la laïcité on se situe obligatoirement dans la perspective d’une « nouvelle laïcité », « c'est-à-dire, précise-t-elle, d’une laïcité à l’anglo-saxonne » où « le lobbying exercé depuis des années par les intégristes chrétiens américains et des sectes (trouve) un terrain favorable » (sic !!).  Et, après cet amalgame injurieux et calomniateur, deux personnes sont citées comme exemple de cette optique diabolique : Nicolas Sarkozy et moi-même (resic !!)

Pour justifier un propos aussi aberrant, F.V. manie allègrement d'autres amalgames, des insinuations et mensonges. Je pense que cela principalement à de la bêtise. Mais si tout cela est maîtrisé, si les mensonges sont conscients, c’est aussi grave, non ?  Nous ne sommes pas dans un possible « débat démocratique » mais dans une FORME de pensée qui, soit par bêtise (mon interprétation) soit par mensonges conscients constitue une menace pour la démocratie. En effet, comment débattre dans de telles conditions (comme l'ont perçu Pierre et Guillaume). C’est cela l’important et c’est à cause de cela que je poursuis, moi,  le « débat démocratique », avec Odile et d’autres lectrices ou lecteurs du blog.

  

J’aurais voulu reproduire l’article que j’incriminais, les droits de propriété ‘intellectuelle’ m’en empêchent. Mais, Odile, de toute façon, la vérification aurait été partielle. Certes, on peut se rendre compte, à lire l’article, qu’il contient amalgames et insinuations non démontrées. Mais  il faudrait pousser plus loin pour connaître  les mensonges. Je vais donc être encore plus précis, me concentrer sur le passage où F.V. me met en cause à propos d’un colloque tenu à l’UNESCO en janvier 2001. La preuve de ce que j’avance : tout simplement le compte-rendu de ce colloque international, publié par la revue Conscience et Liberté (n° 61 et 62, 2001)[1]. En 8 lignes de moins de 50 signes chacune, on trouve 5 mensonges !
 

-         le colloque, selon elle, était « entièrement consacré à contester les lois antisectes ». Mensonge : ce colloque a traité de sujets très variés : la liberté religieuse depuis les apports du Conseil œcuméniques des Eglises et du Concile Vatican II, Christianisme et islam,  la jurisprudence européenne sur la liberté de religion, etc. Pour ma part, je suis intervenu à la séance « L’Europe occidentale et les religions historiques » et donc sur un tout autre sujet (où je traitais notamment de la liberté des convictions non religieuses et de laïcité). La question des « nouvelles convictions » (aspect beaucoup plus large que les dites sectes) a été abordée par E. Poulat (EHESS) et Fr Champion (CNRS) a traité la question (qui comporte plusieurs aspects) : « sectes et démocratie »[2]. Le mensonge veut faire croire qu’il s’agissait d’un colloque militant pro-secte alors que ce colloque a effectué un diagnostic analytique d'ensemble sur la situation européenne quant aux droits de l’homme et à la liberté de religion, avec une nette prédominance d’exposés d’universitaires. A lui seul, ce mensonge déconsidère tout ce qui est dit sur moi, mais il est loin d'être le seul.

-         le titre du colloque était, prétend-elle, « Convergence spirituelle et dialogue interculturel ». Mensonge qui, bien sûr, fait croire à une manipulation : un colloque « entièrement consacré à contester les lois antisectes » avec un titre qui n’a rien à voir avec le contenu du colloque !! Le titre du colloque était : « Droits de l’homme et liberté de religion : pratiques en Europe occidentale », ce qui correspond exactement aux différents sujets traités (le titre qu’elle donne est, en fait, le nom d’un programme de l’UNESCO, dans lequel le colloque était inscrit) et montre que, contrairement à ce qu’elle prétend, on est à l’opposé de la perspective : « la « liberté religieuse » enterra toutes les autres ».

-         Je serai, selon elle, un des « représentants français » de l’Association internationale pour la Défense de la Liberté religieuse (AIDLR). Mensonge : le « représentant » d’une association est un salarié ou un bénévole qui travaille pour cette association et est mandaté par elle, qui agit en son nom. Ce n’est pas mon cas. Je suis un des 6 membres français de son « Comité d’honneur (avec un membre du Conseil Constitutionnel, un membre de l’Institut, 2 autres universitaires et un avocat). En apparence, cette confusion n'est pas grave, sauf qu'ainsi elle insinue que je suis sous la coupe de cette association, fort honorable au demeurant mais qu'elle vient de  calomnier en insinuant,  ce qui est beaucoup plus grave, qu’elle fait partie « des ONG affiliées à la droite religieuse américaine, c’est à dire à des organisations aussi puissantes que la Scientologie ». Pur mensonge, pure calomnie, mais « calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose » : on insinue le doute, et on fait en quelque sorte que les victimes de vos calomnies doivent prouver leur innocence[3].   

-         J’aurais, d’après elle, « coorganisé pour cette ONG » le colloque dont il vient d’être question. Mensonge : le colloque était coorganisé par l’AIDLR et l’UNESCO avec la participation du Comité des droits de l'homme de l'ONU et  « la participation du Groupe de sociologie des religions et de la laïcité, EPHE-CNRS ». Il s'agit donc d'un laboratoire de recherche d’un Grand Etablissement de l’enseignement supérieur et du CNRS qui avait une responsabilité scientifique. Mais, bien sûr, il ne faut surtout pas donner cette information au lecteur/lectrice pour pouvoir le (la) tromper sur la nature et le contenu du colloque. F.V. ne cite AUCUNE institution universitaire (courageuse mais pas téméraire !)

-         Je serais, affirme-t-elle, « le seul « sage » à avoir voté contre le rapport Stasi ». Dernier mensonge : j’ai voté le rapport Stasi  dont je suis un co-rédacteur (cf. les Notes sur la Commission Stasi) et 25 des 26 propositions qu’il contenait. Je me suis abstenu, par contre, et j’ai été le seul à le faire, sur un second vote qui concernait la proposition de loi sur les signes ostensibles[4]. Il est clair que sans ce dernier mensonge F.V. ne pourrait m’accuser d’être le « chantre » (sic) d’une "laïcité à l’anglo-saxonne" prétenduement communautariste !

Comme on le voit les mensonges s'emboitent les uns les autres pour faire croire à des abérrations, et le comble c'est que que je pense qu'il s'agit de BETISE c'est à dire que F.V. se trompe elle-même (en même temps qu'elle trompe ses lecteurs) et se met dans une situation où elle croit à ses mensonges.

En effet,  ce cinquième point, la négation des 166 pages du rapport Stasi, la réduction des 26 propositions à la seule proposition de loi sur les « signes ostensibles », la confusion entre un vote contre et une abstention (même si celle-ci manifestait une opposition) me semble révélateur de la façon dont F. Venner travaille (si je puis employer cette expression !) : elle a une idée préconçue où quiconque n’est pas d’accord avec elle est forcément un suppôt de l’intégrisme et des sectes, elle sait tout à l’avance et ensuite elle illustre son a priori aberrant en prenant la réalité comme un réservoir d’exemples, susceptibles d’être tordus à volonté pour illustrer cette idée préconçue (au lieu d’étudier, d’analyser la réalité en ces multiples facettes), sans aucunement se soucier d’exactitude, de véracité des faits.Ce que j’ai appelé  trop gentiment des « glissements » dans ma précédente note forment, en fait, un ensemble de mensonges permettant insinuations  et calomnies.

Mais où F.V. prend-elle ses informations? Pourrait-elle, si elle avait la moindre aptitude à la recherche, les manipuler de façon aussi monstrueuese? Pour elle, il suffit d'utiliser des gros mots: "droite religieuse", "intégrisme", "secte": plus besoin de penser, plus besoin d'analyser les choses. C'est ce que j'ai appelé, dans une autre note : "penser télé". C'est même une carricature de la "pensée télé"!


Odile, comment dialoguer démocratiquement dans de telles conditions ?
Et aussi quel crédit accordé aux propos de F. Venner quand elle parle de l’islam ?
Et enfin, comment croire en la justesse d’une cause qui a besoin de tels mensonges pour être défendue ?
Or, au départ, F.V. défend de ‘bonnes’ causes : la laïcité, la démocratie, les droits des femmes. Ces causes  sont salies quand elles sont prônées de telle façon.

Clemenceau dénonçait, en 1904, la bêtise,  de ceux qui : "Pour éviter la congrégation, (faisaient) de la france une immense congrégation" . Remplacez "congrégation" par  "intégrisme et  "secte" et vous aurez la bêtise de F.V. et de tous ceux qui veulent mettre la France au garde-à-vous!

           Notes: 

(1) Lisez ce n° de Conscience et Liberté. Vous y apprendrez plein de choses intéressantes

[2] Je vous recommande l’ouvrage (portant le même titre) qu’elle a dirigé et qui comporte des analyses d’universitaires de nombreux pays (publié au Seuil).

[3] En 2001, le Comité d'honneur de l’AIDLR était présidée par L. Senghor. Depuis 2002, il est présidé par Mary Robinson, Haut Commissaire des Nations-unies pour les droits de l’homme. Son expert américain le plus consulté, Jérémy Gunn vient de publier un ouvrage (que je vous recommande chaudement) où il montre que la liberté religieuse aux USA n’inclut pas véritablement la liberté des athées (ce qui est l'exact contraire des accusations de F.V. contre l'AIDLR!! (Dieu en France et aux Etats-Unis,quand les mythes font la loi, Berg International, 2005). .

[4] Pourquoi une abstention et pas un vote contre ? Pour être rapide, disons que, contrairement à Mme F. Venner, je ne pense pas que la réalité se trouve divisée entre le absolument noir et le absolument blanc. Dans cette affaire complexe, j’ai jugé que les raisons pour lesquelles on voulait proposer une loi (défense de l’égalité homme-femme, de l’école, de la laïcité) étaient bonnes mais que le contenu de la loi proposé ne plaçait pas le marqueur au bon endroit (ce sont de comportements qu’il faut interdire et non le port de signes). Par ailleurs, que FV. daigne lire mon ouvrage Laîcité 1905-2005 entre passion et raison, elle pourra constater que jamais il ne question de "nouvelle laïcité", pour la bonne et simple raison que je pétends prôner une laïcité qui se situe dans la filiation de celle des pères-fondateurs (Buisson, Ferry, les auteurs de la loi de 1905,...)