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30/11/2005

ONZIEME IMPENSE: LA SEPARATION COMME PACTE LAÏQUE

Tout d’abord je vous présente mes excuses pour le retard du onzième impensé : entre les soutenance de thèse, les cours et autres travaux professionnels, et les participations quasi quotidiennes à des manifestations du centenaire, la tenue de ce Blog est difficile. Je m’accroche cependant car, bien que novembre ait un jour de moins qu’octobre, le record de visites risque fort d’être battu et les 5000 visites mensuelles approchées voire dépassées. Merci de votre fidélité ; merci de l’intérêt que vous manifestez : partout où je vais, je rencontre des gens qui me disent consulter ce blog et y apprendre des choses. J’espère que cela continuera au delà de l’année 2005.

Le onzième impensé va tenter un bilan de la loi de 1905 comme pacte laïque et le douzième, la semaine prochaine, portera sur les suites de la loi, après le refus catholique (vu dans le neuvième impensé) confirmant que les choses ont bien fonctionné selon la logique du pacte laïque.

Ce bilan inclut des propos neufs par rapport aux impensés précédents, et reprend (rapidement) des idées déjà indiquées dans certains impensés antérieurs. Cela d’autant plus que j’écris cet impensé en lien avec le beau film sur la séparation qui va être diffusé vendredi 2 décembre à (malheureusement) 23h20 sur FR3. Je vous le recommande.
L’idée force de cet impensé consiste à dire que si la séparation a pu être un pacte laïque, ce n’est pas parce qu’elle aurait été un moment irénique, mais parce qu’elle représente plusieurs ruptures. Et l’intéressant paradoxe est que le pacte laïque est précisément le résultat de cette pluralité de ruptures.

On peut -pour se lier au film de FR3- concrétiser les ruptures par des discours prononcés lors des débats parlementaires.


La première rupture peut être saisie par le discours de l’abbé Gayraud (interprété par Claude Rich dans le film de FR3) le 21 mars 1903. Il demande à surseoir au débat et à renouer avec le Vatican. Il met en cause (comme d’autres), le principe même de la séparation. Non pas, dit-il, que le Concordat ait été un régime satisfaisant aux exigences d’une saine relation Eglise-Etat. Dans le Concordat en effet « l’Eglise (catholique) est reconnue, non pas comme la vraie religion (ce qu’elle était avant la Révolution) mais tout simplement comme la religion de la majorité des Français ».

Donc déjà, avant la séparation, existait un premier seuil de laïcisation (marqué non seulement par la reconnaissance officielle du pluralisme religieux, la possibilité du « droit à l’indifférence » en matière de religion mais aussi par l’indépendance du politique et la laïcisation de la loi avec le Code civil), une « semi-laïcité » pour parler comme Aristide Briand.

Cependant, poursuit l’abbé Gayraud, la séparation va aller plus loin en faisant en sorte que la France, «première nation catholique » du monde n’ait plus d’identité chrétienne. « L’Eglise (catholique) deviendra, dans ce pays, une association semblable à toute les autres ». Et cela est insupportable à l’abbé-député.

Donc -second seuil de laïcisation-, la séparation va compléter la laïcisation du corps politique en laïcisant l’âme même de la France c'est-à-dire l’identité nationale.

Jugement de valeur mis à part, l’abbé Gayraud est lucide : il a bien vu que la séparation n’a pas la réduction de la religion à la seule sphère privée mais la privatisation de l’institution religieuse qui, dans l’espace public, doit fonctionner comme une association.

Avec la séparation la religion ne surplombe plus non seulement l’Etat (c’était déjà le cas avec le premier seuil) mais la nation, la société civile.

Par ailleurs sa demande d’une entente préalable avec le Saint Siège est rejetée et si la notion de pacte laïque signifiait un accord entre la France et le Vatican, bien sûr que la séparation ne serait pas un pacte laïque. D’ailleurs, dans ce cas, il s’agirait plutôt d’un pacte concordataire. Dans « pacte laïque », il y a « laïque » et cet adjectif est aussi important que le nom de « pacte ».
Cette première rupture est celle du début de l’article 2 de la loi indiquant que « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».

Seconde rupture, celle de l’article 1 : « La République assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice du culte sous les seules restrictions édictées si après dans l’intérêt de l’ordre public ». Elle peut être symbolisée par deux discours parlementaires, un venant d’un député plus à droite que les auteurs de la loi, l’autre venant d’un député plus à gauche.

Premier discours (qui n’est pas dans le film) celui de Charles Benoist (assez représentatif des propos de nombreux députés du centre et du centre droit) le 27 mars 1905. Il affirme que la séparation qui va être faite sera,  vu le projet le loi, « une séparation extrêmement libérale », ce sera « la séparation dans la liberté » qui ira « jusqu’à l’extrême libéralisme ». Mais s’il est possible de faire une séparation libérale, il ne pense pas qu’il soit possible de la « maintenir » telle dans la durée. L’Eglise catholique est trop éloignée des idéaux républicains et dans son organisation (« monarchique » a dit explicitement l’abbé Gayraud) et dans ses convictions propres.

Donc cette Eglise va être dangereuse pour l’Etat républicain, ce sera « l’Eglise armée dans un Etat désarmé » et les Républicains, « mis en demeure de choisir entre la liberté de l’Eglise ou la souveraineté de l’Etat » se soucieront « peu de la liberté de l’Eglise » et seront fatalement amenés à prendre des mesures répressives.

Autrement Benoist  qui avait combattu le combisme et refusé la réthorique de la « république en danger » se situe quand même dans l’optique d’une incompatibilité entre le catholicisme et la République laïque, il craint qu’une séparation libérale entraîne, en choc en retour de la coercition ; il va jusqu’à dire qu’on a intérêt ni que « l’Eglise soit absolument libre » (projet qui se prépare), ni que « l’Etat soit absolument maître » (choc en retour).

Benoist, finalement, est pour la continuation du contrôle de l’Eglise catholique par l’Etat que permet le système concordataire. La séparation va rompre avec ce gallicanisme d’Etat.
Maurice Allard (admirable Pierre Santini dans le film), dans une optique différente, radicalise la critique de la séparation libérale dans son discours du 10 avril.

Il demande une véritable séparation, c'est-à-dire une séparation qui » amènera la diminution de la malfaisance de l’Eglise et des religions ». Il ne comprend pas qu’au moment d’engager « le combat décisif » de l’anticléricalisme républicain on demande aux Républicains « de déposer les armes et d’offrir à l’Eglise un projet dit libéral, tel qu’elle-même n’aurait jamais osé le souhaiter ».

Pour lui parmi les malfaisances de la future loi, il y a notamment le fait qu’elle donnera la possibilité à l’Eglise catholique de « plaider contre l’Etat » et d’ « ester en justice contre des particuliers » et, particulièrement, précise-t-il, contre «nous, militants de la libre-pensée ». Pour lui, il faut poursuivre l’idée de la Révolution et il faut « achever l’œuvre de la déchristianisation de la France ».

Briand (Pierre Arditi dans le film) réplique en une formule frappante : Vous nous présentez là « un projet de suppression des Eglises par l’Etat », il ajoute : « Je supplie mes amis de la majorité républicaine de résister au désir de  faire (de la séparation) une manifestation anticléricale ». Il précise que la libre pensée doit combattre la religion avec « la seule puissance de la raison et de la vérité » et ne pas demander à l’Etat « de mettre l’Eglise dans l’impossibilité de se défendre ». Autrement dit si la loi de 1905 est, explicitement, la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, elle est aussi, implicitement, une loi de séparation entre la libre-pensée et l’Etat. Cette loi rompt avec l’anticléricalisme d’Etat républicain.

La seconde rupture est donc l’entière liberté de la religion dans les limites d’un ordre public démocratique.

 

La troisième rupture est celle que nous avons vu dans le troisième impensé du centenaire : la rupture avec l’universalisme abstrait républicain. Reportez-vous à ce qui est écrit dans ce troisième impensé (en cliquant sur la Catégorie : « Les quinze impensés du centenaire » et en déroulant les impensés, cela marche à l’envers !). Dans le film, c’est le discours de Jaurès (incarné par l’ex Thierry la Fronde, Jean Claude Drouot) qui rend compte de ce moment clef, dans les séances des 21-22 avril. Mais, en fait, le problème fut sous jacent aux débats parlementaires pendant toute leur durée.

En ajoutant, à partir d’un emprunt anglo-saxon, à l’article 4 de la loi, que les associations cultuelles qui recevraient la dévolution des biens (les églises, temples, synagogues ) devaient « se conformer aux règles générales d’organisation du culte dont elles se proposent d’assurer l’exercice » (= pour les associations cultuelles catholiques d’être en accord avec l’évêque, de ne pas faire de « schisme »), c’est l’universalisme abstrait républicain qui se trouvait remis en cause. En effet, avec l’article 4, au lieu que la liberté collective soit un simple prolongement de la liberté individuelle (ce qui était l’optique de la loi de 1901 sur la liberté d’association), la liberté collective devenait une dimension de la liberté individuelle. D’où la protestation de laïques comme Buisson (à la Chambre des députés) et de Clemenceau (au Sénat).

La culture syndicaliste de Briand (cf. le dixième impensé) le prédisposait sans doute à accepter cette conception de la liberté. Mais il fut remarqué à la Chambre par le député Grousseau, qu’avec cet article 4 « la théorie révolutionnaire en vertu de laquelle il n’y aurait en présence que l’intérêt particulier et que l’intérêt général sans intérêt intermédiaire, cette théorie a fait faillite ». La séparation tourne le dos à l’esprit de la loi Chapelier du 14 juin 1791, loi qui interdit les corporations.

 

La séparation sort d’une optique étroitement individualiste, les communautés religieuses sont, pour elles, des réalités. Mais ces communautés n’étouffent pas l’autonomie de l’individu dans la mesure où la désappartenance à ces collectivités jouit des mêmes droits que l’appartenance.

 

Un intellectuel catholique très connu à l’époque, Brunetière, au départ fort opposé à la séparation va déclarer que « la loi nous (=catholiques) permet de croire ce que nous voulons, et de pratiquer ce que nous croyons » ; c’est cela le pacte laïque .

La laïcité de 1905 en abolissant la distinction entre « cultes reconnus » et « cultes non-reconnus », en garantissant la liberté de tous, en « respectant » (l’expression est souvent revenue dans les débats : on  ne reconnaît pas, mais on respecte) les constitutions des Eglises instaure une laïcité inclusive, une laïcité de pacte, qui rompt avec l’anticléricalisme et le gallicanisme d’Etat antérieur.

 

 

 

 

 


 

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