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01/11/2007

"MINORITES VISIBLES", FIN MEDECINE ET MORT

 Il y a quelques semaines, je vous ai renvoyé à deux articles du Monde, celui de Michel Wieviorka et celui de Didier Fassin à propos des statistiques dites « ethniques » : en effet, ils correspondent à ce que je pense : ces statistiques sont nécessaires, mais elles doivent être maniées avec rigueur. Elles ne servent pas, en effet, à cataloguer les gens, mais à mieux connaître les discriminations que certains d’entre eux peuvent subir.

 Malgré cette précision, une internaute m’a indiqué son désaccord, m’affirmant notamment qu’elle trouvait atroce le terme de « minorité visible », que, d’ailleurs, « la couleur de la peau n’a pas plus d’importance que la couleur des cheveux ». Je lui ai alors raconté une petite histoire que je vous livre également.

 

Il y a, disons, un certain nombre d’années, quand mes enfants étaient tout petits, nous prenions chez nous, ma femme et moi, une jeune fille au pair pour nous aider à les garder. Sans doute sur la recommandation d’amis, nous nous étions inscrit à une association qui recrutait des jeunes filles scandinaves, désireuses de venir à Paris et d’apprendre le français, tout en gagnant un peu d’argent. Nous téléphonions début septembre et prenions une jeune fille pour l’année scolaire.

 Une année, nous nous y sommes pris un peu tard, et toutes les jeunes filles avaient déjà trouvé une place. Nous étions bien embêtés. La dame que nous avions au bout du fil nous déclara alors : « j’aurais bien quelqu’un, mais il n’est pas sûre qu’elle fasse l’affaire. » On lui demanda pourquoi et elle répondit en nous proposant que cette personne se présente chez nous. « Vous verrez bien, alors, si vous souhaitez l’engager ». Impossible de savoir quel était « le problème » qui amenait un propos aussi dubitatif.

 Nous avons accepté de recevoir la personne en question, mais le jour précédant sa venue, nous n’en menions pas large. Cette personne avait-elle été renvoyée, au bout de quelques jours, d’une précédente place ? Etait-elle imprudente avec les jeunes enfants ? Voleuse ? Etc. Nous échafaudions de multiples hypothèses. Mais comment voir au premier abord si quelqu’un sera ben avec les enfants, et si on peut lui laisser l’appartement en confiance ?

 Le jour dit, sonne à notre porte, une jeune fille noire.

 Nous avons été très soulagés et très furieux. Soulagés, puisque le « problème » n’en n’était pas un et que, hourrah !, nous avions notre jeune fille au pair. Furieux, absolument furieux, que l’on ait pu nous faire croire qu’il y avait un problème. Et que l’énigmatique « vous verrez bien » se rapporta à cela.

 Et oui, la couleur de la peau n’a pas d’importance,… sauf dans la tête des autres. Car si je raconte ce petit souvenir, c’est qu’il est certainement pas isolé, mais malheureusement représentatif de ce qui se passe dans beaucoup de têtes.

 

Au début de mon livre L’intégrisme républicain contre la laïcité, j’indique le tragique court circuit du propos de Régis Debray, quand il a élaboré son opposition République/démocratie, en indiquant qu’en République, il n’y a pas de maire noir ni de sénateur jaune. Il voulait dire qu’en République, on ne se souciait pas de la couleur de la peau pour choisir ses élus. Mais, à son insu, il décrivait la situation concrète de la République française, qui n’avait que des maires et des sénateurs blancs, aucun noir ou jaune.

 Ainsi « qui veut faire l’ange fait la bête », comme l’affirmait déjà un certain Blaise Pascal. Il existe bien SOCIALEMENT des « minorités visibles, et l’absence de statistiques a longtemps masqué, en France, l’ampleur des discriminations. Mais la possibilité de dites statistiques, l’utilisation de l’expression « minorités visibles » doit s’accompagner d’un travail d’élucidation sur la médiation des représentations sociale. Langage et statistiques ne décrivent pas la réalité toute nue, la « réalité vraie » (comme me disait, un jour, un étudiant). Il y a toujours entre la réalité et nous même, de la représentation sociale.

 Comment faire prendre conscience, aux autres et à nous-mêmes, que cette « réalité première » ? L’école, bien sûr, devrait contribuer à cet apprentissage indispensable pour avoir un minimum de lucidité. Mais nous vivons toute notre vie en situation de formation permanente et les médias de toutes sortes, mais aussi des remarques faites au cours de conversations informelles, ont leur rôle à jouer pour ne pas coller à un sommaire premier degré.

L’expression « minorité visible » crée un malaise en France. Ce malais a conduit à de l’aveuglement. Mais il peut être utile, et créateur de lucidité.

Et maintenant, enfin !, la fin du feuilleton de l’été. Il est bien temps me direz vous, puisque nous sommes passés à l’heure d’hiver. En France peut-être, mais pas encore en Floride. Soyez reconnaissant à votre Blog favori : grâce à lui, vous pouvez imaginer que vous êtes un milliardaire, vous prélassant au soleil sur une plage de Miami Beach. Le Blog, vous offre un séjour paradisiaque à l’œil. Alors, heureux ? Ah non, vous n’allez pas réclamer en plus un tube gratuit de crème solaire.

Nous nous étions quittés, le 20 octobre, au début de la dernière partie sur L'ambivalence de la médécine aujourd'hui. Si vous voulez opérer un bref rappel, c'est facile: la Note du 20 octobre suit immédiatement celle là dans le déroulé du Blog.

Je reprends donc: 

Dans les années 1970, Ivan Illich, se fait le théoricien de la critique politique des institutions. Apres avoir proposé Une société sans école, il dénonce « l’expropriation de la santé » par la médecine. Selon Illich, le système médical moderne fonctionne comme une domination religieuse et s’exerce au moyen de rites médicaux obligatoires et de mythes culturellement imposés. L’individu gravement malade ne peut plus aller progressivement (et dans la perspective d’Illich, presque pacifiquement) vers la mort.  Le système médical décide « quand et après quelles mutilations il mourra ». « La médicalisation de la société, ajoute-t-il, a mis fin à l’ère de la mort naturelle. L’homme occidental a perdu le droit de présider à l’acte de mourir. La santé ou le pouvoir d’affronter les événements a été expropriée jusqu’au dernier soupir. La mort technique est victorieuse du trépas. La mort mécanique a conquis et annihilé toutes les autres morts » (I. Illich, Némésis médicale, Le Seuil, 1975, 201). Illich prône la séparation de la médecine et de l’Etat (sur le modèle de la séparation de la religion et de l’Etat). Il souhaite que l’Etat donne un statut égal à la médecine officielle et aux médecines alternatives. Selon lui, cela favorisera la « démédicalisation de la société » qu’il appelle de ses vœux ; de même la reconnaissance par l’Etat de doctrines religieuses concurrentes a contribué à une laïcisation de la vie sociale.

 Victorieuse socialement de la religion, sa concurrente institutionnelle dans la régulation de la mort, la médecine se voit donc attaquée comme nouvelle religion imposée. Fait significatif : Illich est qualifié de « prophète » par ses partisans comme par ses adversaires (J. Baubérot, « Ivan Illich, l’éthique médicale et l’esprit de la société industrielle », Esprit 1976, 292). Certes, ce contestataire est lui-même contesté. Ainsi des médecins répliquent en affirmant que le « progrès médical » constitue la « plus belle conquête de la civilisation occidentale, celle obtenue par la science et elle seule sur l’inégalité devant la souffrance et la mort » (Dr Escofier-Lambiotte, Le Monde, 4/6/1975).

 Mais il est intéressant de constater que, si les journaux parisiens nationaux se montrent, en général, très critiques, plusieurs quotidiens de province publient des articles assez favorables aux thèses d’Illich (idem, 308). Enfin selon Igor Barrère, alors auteur et producteur d’émissions médicales télévisuelles à succès, « Illich donne l’assaut au moment où les médecins sont atteints, comme le furent les prêtres, d’une crise d’identité » (Le Point, 16/6/1975).

Les événements se précipitent. En effet, des malades ou des proches de malades se mettent à écrire des ouvrages plus subjectifs que celui d’Illich, mais également accusateurs. Celui de la mère d’un jeune cancéreux décédé comporte un titre significatif : Messieurs les médecins, rendez-nous notre mort (S. Fabien, 1976).

  En 1980, se crée l’Association pour le droit de mourir dans la dignité, qui diffuse des « testaments de vie » à l’instar du système américain. Un de ses membres revendique  le droit de « mourir dignement, dans la lucidité, la tendresse, sans autres affres que celles inhérentes à la séparation (d’avec les vivants) ». Ce droit, ajoute-t-il, « devient un impératif évident, dès lors que la vie peut être prolongée (par la médecine) jusqu’au dernier délabrement –et même au-delà » (cité par A. Carol, ouvrage cité, 300s.). La gloire de la médecine consistait à savoir de plus en plus prolonger la vie ; la voici maintenant accusée de servir aussi (et peut-être surtout) à prolonger la mort. 

 Bien sûr, on demande toujours à la médecine d’assurer la santé et la vie : si quelqu’un meurt à 50 ou 60 ans, on ne trouve pas cela normal. Mais, il se produit 2 nouveautés :

-         implicitement, on fixe un âge « normal » pour mourir. Faites une petite enquête autour de vous, et vous vous apercevrez que c’est (en gros, il peut y avoir des variations suivant les individus) entre 80 ans et 90 ans environ. Autrement dit : d’une part si quelqu’un meurt à 74 ou même 76 ans, on a tendance à penser qu’il aurait pu vivre un peu plus longtemps. S’il meurt à 84, 86, on ne dira plus : « c’est dommage, il aurait pu vivre plus âgé ». En revanche, on demandera : « comment était-il à la fin de sa vie ? », « est-ce qu’il a souffert pendant longtemps ? » et d’autres questions de ce genre : le souci de la prolongation de la vie fait place au souci des conditions de la fin de vie.

-         Si on apprend que quelqu’un est toujours vivant à 94, 96, 100 ans, ce souci de qualité de fin de vie devient tout à fait prédominant. Vous n’entendez pas dire : « j’espère qu’il va vivre encore de nombreuses années » mais plein de questions sur son état de conscience et son état de validité. S’il « a toujours sa tête » mais n’est plus du tout valide, on le plaint. S’il « n’a plus sa tête », on plaint ses proches. On peut d’ailleurs, dans tous les cas de figure, plaindre ses proches qui, souvent à plus de 60 ans et en étant eux-mêmes grands parents, doivent « encore » consacrer du temps et de l’énergie à s’occuper d’un vieillard.

(eh puis, on n’ose pas trop le dire, car ce n’est vraiment pas politiquement correct, mais on ne peut s’empêcher de penser que tout cela coûte cher en soins médicalisés et en système de retraites qui explose. Une blague que j’ai entendue dernièrement : « Les gens coûtent un prix fou à la sécurité sociale pendant les 3 dernières semaines de leur vie. Raccourcissons la vie de chacun de 3 semaines et le trou de la sécu sera résolu ! »

 Tout cela montre que les mentalités changent en profondeur. On est alors sorti (même si l’intégrisme républicain ne s’en rend pas compte) du temps où la médecine était l’objet de vénération comme prolongeant l’espérance de vie.

 Il ne s’agit pas d’un « retour en arrière » comme le disent facilement… les nostalgiques du passé (puisque l’époque de la modernité établie qu’ils voudraient éternelle est finie) mais d’un nouveau moment historique. A l’angoisse de l’au-delà et de la damnation de la prémodernité se substitue, dans la modernité tardive, l’angoisse de la déchéance physique et mentale. La crainte et l’espérance s’étaient transférées du clerc religieux au clerc médical, lors de la modernité triomphante, elles se retournent maintenant en partie contre ce dernier clerc avec la crainte d’un prolongement médicalisé abusif de la vie et l’espérance d’une mort douce, sans médicalisation excessive.

 

Dés 1980, Le Nouvel Observateur titre en 1ère page (n° du 7 au 13 avril 1980) : « La ruée des Français sur les médecines douces » L’introduction et la conclusion montrent de façon significative la mutation culturelle en train de s’opérer. En l’introduction, la rédaction précise :  Ces médecines (homéopathie, acupuncture, phytothérapie) « impliquent un autre rapport à soi et à la société que l’hospitalo-centrisme qui caractérise la médecine industrialisée moderne ».

 Le long article de Michel Bosquet (alias l’économiste de gauche André Gortz) (6 pages bien remplies, à partir d’une enquête de Marie-Geneviève Blanchard) « Plaidoyer pour les médecines douces » conclut que « essentiellement artisanales, les médecines douces vont à contre-courant de l’idéologie dominante héroique et prométhéenne, pour laquelle les progrès du bien être se forgent par un grand déploiement d’énergie, de machines superpuissantes, de capitaux et de recherches hyperspécialisées ». Elles plongent leurs racines dans les civilisations préindustrielles  et, à cause de cela, « attirent et dérangent à la fois ».

 Elles répondent, cependant, à « une nouvelle conception, post-industrielle de la modernité, mettant en question la place et le pouvoir de la science, ses finalité et son contrôle, les limites à assigner à son envahissement. » 

 Et Bosquet termine (après avoir constaté que certes « on continue souvent de qualifier les médecines douces de « non scientifiques »), par cette question qu’un hebdomadaire de gauche n’aurait jamais posé 15, 20 ans auparavant : « Et si la santé, elle non plus n’était pas « scientifique », ni la vie codifiable ? ». Certes, la semaine suivante, le « docteur » Norbert Bensaid rétorque que « l’humanisation indispensable d’une médecine de plus en plus technicienne » ne peut pas être recherchée « dans un retour aux empirismes ancestraux ». Il n’empêche, le ver est dans le fruit.

 Cela d’autant plus qu’une nouvelle mondialisation surgit avec la décolonisation et la chute du Mur qui n’est plus une simple occidentalisation (comme celle impulsée par les « grandes découvertes » et la colonisation subséquente, puis celle de la constitution de nouveaux empires coloniaux au XIXe) mais une rencontre-confrontation des cultures.

 Sous la conduite d’un ancien chef de laboratoire des Instituts Pasteurs d’outre-mer, Jean Benoist, l’Association d’Anthropologie médicale appliquée au développement et à la santé (ADAMES), tente de « défricher les représentations culturelles (on revient toujours à ce problème des représentations !) à l’intérieur desquelles s’inscrivent les modèles psychologiques et biophysiques de la maladie ». L’ADAMES estime que « l’analyse des pratiques médicales dans les sociétés « traditionnelles » et modernes doit contribuer à réviser certains préjugés » (des médecins ?). Est distingué, à la suite des Britanniques (toujours eux !), : illness (ce que ressent le malade), disease (la maladie selon le médecin) et sickness (la prise en charge socio-culturelle de la maladie). Trois approches différentes, et non celle du seul médecin comme cela a été le cas pendant longtemps.

 En 1983, est créé, par la France, le premier Comité consultatif national d’éthique (CCNE), tournant important voulu par un président de la République socialiste, François Mitterrand. Il semble significatif que la France qui, la première, a institué l’exercice illégal de la médecine en 1803, instaure la première, à un niveau national, un tel Comité qui manifeste que la médecine n’est plus seule créatrice de son propre sens. Elle doit partager la construction de ce sens, et les interrogations que sa réussite même provoque, avec le reste de la société.

 Dans le CCNE, à côté de médecins, de chercheurs, de juristes, d’anthropologues, de sociologues et de personnalités politiques et civiques, on trouve des représentants des « principales familles philosophiques et spirituelles ».

 Cela est intéressant à 2 titres : d’abord, cela montre que Mitterrand a compris que les religions, si elle ne doivent pas surplomber la société civile (cléricalisme) font partie de cette société et peuvent participer à la réflexion de cette société. Certes, c’était déjà le cas (cf. les nombreuses prises de position des Eglises). Mais cela représente une clarification très nette de cette situation.

 Ensuite, les religions ne sont pas seules : il est fait mention de « familles philosophiques » : on peut réfléchir aux questions de l’ordre du symbolique en dehors des traditions religieuses. Là encore, c’est une clarification (faite plus nettement en Belgique qu’en France : en Belgique, il existe des conseillers humanistes séculiers, à côté des aumôniers dans les hôpitaux, les prisons, etc).

 

 Bien sûr, il ne faudrait pas, pour autant, avoir une vue idyllique du CCNE : c’est un nouveau pouvoir : je renvoie sur ce point à l’ouvrage de Dominique Memmi : Les gardiens du corps, paru aux éditions de l’EHESS en 1996. Pour ma part, j’ai dit ce qui est important dans l’optique où nous nous plaçons ici et je remarque que dans le livre de D. Memmi, on trouve plein d’indications qui vont dans le même sens. Ainsi, le discours de clôture de B. Kouchner, alors ministre de la santé, pour les 10 ans du CCNE. Kouchner distingue 3 âges dans la représentation de la médecine : l’âge de la « pré-éthique » : « c’était l’époque de la science et de la médecine conquérante (…) Médecin, je fut de ceux qui réclamaient des coudées franches pour la médecine » reconnaît-il ; l’âge de « l’éthique » « où l’homo scientificus découvre ses pouvoirs et ses responsabilités », puis un « 3ème âge, notre âge » où « la confiance aveugle bascule en une méfiance systématique ».

  Petit commentaire : le 1er âge a duré longtemps, le second a en partie coïncidé, à mon sens, avec le 1er. Le 3ème n’abolit pas les 2 premiers, il s’y superpose. Il n’est d’ailleurs pas l’âge de la « méfiance systématique », mais plutôt un âge ambivalent où les individus réclament toujours des succès médicaux, tout en ayant une relative méfiance. Celle-ci n’a rien de « systématique », mais il est intéressant que le médecin Kouchner (et il n’est pas le seul dans ce cas, loin de là) ait cette perception dramatisée. On constate en effet que, souvent, pour des médecins, dès que l’on ne se trouve plus dans la « confiance aveugle », cela signifie pour eux que l’on est dans la « méfiance systématique » ! Cela montre bien qu’alors ils n’arrivent que très difficilement à quitter le 1er âge, et que beaucoup d’entre eux réclament toujours, en fait, une « confiance aveugle ». Les gens veulent bien faire confiance, mais pas « aveuglément », à condition de ne pas être dépossédés de leur jugement et de leurs droits, de ne pas être livrés passivement à un médecin pseudo tout puissant.

 Le débat sur l’euthanasie, qui a toujours plus ou moins existé, rencontre un impact social beaucoup plus important à partir des années 1980. Il se double d’un débat sur les soins palliatifs, dont la première unité est créée, en France, en 1987 et la première équipe mobile deux ans plus tard (il y en a respectivement 78 et 225 en 2002, prenant en charge 50000 malades). Se situant en réaction contre ce qui est qualifié d’ « excès de certains traitements curatifs », les soins palliatifs bénéficient des acquis de la médecine scientifique et technologique -de la recherche médicale en matière d’antalgiques et d’opiacées notamment- mais estiment que la « qualité de la survie a plus d’importance que la durée de la survie ». L’insistance est mise sur la globalité de la personne humaine,  l’existence de besoins globaux, la nécessité aussi d’une présence auprès des grands malades.

 Vous pouvez facilement trouver des études sur ce nouveau type de soins. Aussi je me borne à indiquer que développement des soins palliatifs apparaît comme une tentative de double réponse, une réponse aux problèmes posés par l’ « acharnement thérapeutique », une réponse aux problèmes posés par la sécularisation de la mort, par le « recul des pratiques religieuses » qui « donnaient formes aux conduites à tenir face aux mourants et permettaient l’expression des émotions » (M. Castra, Bien mourir, sociologie des soins palliatifs, Paris, PUF, 2003, 29). Mais, parfois accompagnés d’une idéologie holiste, les soins palliatifs peuvent aboutir, selon l’expression très juste d’Anne Carol (2004, 307), à une sorte « d’acharnement affectif ».

 Eh oui, toujours de l’esprit critique dans ce Blog. Jamais content le baubérot diront certains. Rassurez vous, je ne crache pas dans la soupe. Mais je rappelle (et comptez sur moi pour le faire inlassablement) que notre terre n’est pas un paradis peuplé de saints. Que voulez vous, les chevaliers du bien de tous poils, je peux les apprécier, à condition qu’ils soient un chouïa critiques sur eux même et ce qu’ils font.

 Par ailleurs, 85% des enterrements restent des enterrements religieux et la période d’accommodation de la religion aux valeurs dominantes de la société se termine dans les années 1980, avec l’émergence du troisième seuil de laïcisation. Selon la loi de séparation des Eglises et de l’Etat elle-même (1905), la présence d’aumôniers de diverses confessions est non seulement possible à l’hôpital, mais peut être rétribuée sur fonds publics (article 2).  Cependant, la crise du clergé limite leur présence ou induit des tensions intéressantes : ainsi il existe des femmes catholiques qui sont aumônières dans des hôpitaux, ce sont naturellement (puisque femmes) des laïques, mais sur leur fiche de paye de l’hôpital il est marqué comme profession : « ministre du culte » !

 Cependant, longtemps, les aumôniers sont plus ou moins considérés comme pouvant éventuellement perturber l’efficacité technique du travail. En effet, un certain nombre de soignants connaissent la religion principalement par ce qu’en disent et montrent les médias. Et la logique médiatique du spectaculaire entraîne la surmédiatisation de phénomènes religieux perçus comme « intégristes » au détriment de toutes les autres réalités religieuses. La représentation, vous dis-je, la représentation !

 D’où, dans certains cas qui restent minoritaires, des atteintes partielles à la liberté de religion, spécialement quand il s’agit de l’islam et des religions minoritaires en France. Parfois  même c’est une sorte de religion civile catholique que l’on cherche à imposer : témoin cet hôpital public ou chapelet et crucifix font partie du « kit décès ». « Tous les patients (…) en sont affublés. Quand les familles découvrent la méprise (judaïsme, protestantisme, islam, etc), les soignants ne peuvent échapper à de vives remontrances. Ce n’est pas pour autant que leur pratique s’est modifiée » (I. Lévy, La religion à l’hôpital, Paris, Presses de la renaissance, 2004, 263). Cas limite peut-être mais révélateur d’une difficulté à intégrer le pluralisme des croyances dans une France qui confond parfois laïcité et uniformité.

 Plus fondamentalement, si la critique des institutions séculières s’est désutopisée par rapport à Mai 1968 et aux écrits d’Ivan Illich, elle s’est également généralisée. Etant donné le rôle politique de légitimation symbolique du régime républicain joué par l’école et la médecine en France, la crise de ces institutions y est plus vivement ressentie que dans d’autres pays modernes. Or, de mon point de vue, il n’est pas étonnant que la réussite même de la médecine conduise à sa crise[1].

 En effet, des Lumières aux mutations des années 1960-1970, a existé la croyance en la corrélation des progrès : le progrès scientifique et technique devait être transformé, grâce à des réformes politiques, en progrès social et moral. Cette croyance, je l’ai montré dans les 1èrs épisode de ce feuilleton, a été très forte en France : la République, « régime du progrès » pouvait rassembler des personnes de convictions différentes autour d’objectifs communs. Chacun gardait sa propre conception de l’ « être », tous se retrouvaient pour un « faire » collectif, le plus efficace possible. Le nazisme ou le stalinisme ont montré que le progrès scientifique et technique pouvait être dévoyé. Mais il ne s’agit plus de cela aujourd’hui.

 La médecine fœtale et néonatale se montre techniquement capable de mettre au monde de très grands prématurés de 400-500 grammes. Faut-il alors « faire vivre » ? La frontière entre la vie et la mort s’est estompée : la mort par arrêt du cœur reposait sur un constat empirique. La mort cérébrale, les différents stades de coma font émerger un « espace-tampon » entre vie et mort, une sorte de « purgatoire laïque » selon l’expression de Bernard-Marie Dupont (« Quand la vie s’arrête-t-elle ? », in J.-Cl. Ameisen et alii, Qu’est-ce que mourir ?, Paris, éditions Le Pommier, 1997, 65). On peut faire durer pendant des mois ou des années des comas dépassés. Quand faut-il alors « faire mourir » ?

 

 Nous l’avons vu, en parlant des réactions liées à l’âge des gens, le progrès scientifique et technique peut être jugé indésirable, même manié par des personnes dont la « conscience »,  la « conscience professionnelle » comme la « conscience morale », n’a pas à être suspectée. Le schéma « une  conscience et une confiance » sur lequel était fondé le développement institutionnel de la médecine vacille.

 Le « droit au refus de traitement » devient une question juridique importante. Il se produit un passage de la primauté du « faire » (où l’acte moral consistait en un « faire » consciencieux et performant) à un renouveau (et non à un retour, vu la mutation du contexte) des questions autour de « l’être », à ce que l’on appelle tout à coup le « mourir authentiquement humain », différent de l’efficacité thérapeutique maximale. La réussite même de la modernité, et le fait que cette réussite ait été obtenue par la domination généralisée d’une logique marchande, contribue à un tel changement.

 Après le fait de mourir dans l’espérance d’un au-delà meilleur, après le combat pour l’allongement de « l’espérance de vie », nous sommes donc parvenus à la période historique ou le problème central devient celui de « mourir dans la dignité ». Et le contenu de la représentation de ce qu’est la « dignité humaine est forcément l’enjeu d’un débat convictionnel.

  En fait, on l’a vu également, ces trois niveaux s’emboîtent plus qu’ils ne se succèdent. Et attention, comme nous avons tenté de décrypter les rapports dominants à la mort dans le passé, il faut prendre de la distance avec le rapport dominant d’aujourd’hui. Le désir de « mourir dans la dignité » peut être marqué d’ambivalence. Il comporte, certes, l’insistance sur la qualité de vie, sur le refus d’une « vie végétative », mais il peut aussi intérioriser des normes implicites de la société globale selon lesquelles un ‘véritable’ être humain est jeune, beau, utile, séduisant et performant. Nous ne sommes pas à l’abri d’un double discours où le « dit » sera le droit de mourir dans la dignité et le « non-dit » sera que vieillir est… indigne. Aujourd’hui comme hier, la vigilance s’impose donc…

Votre jean Baubérot


[1] J’ai développé les propos qui suivent dans mon livre Laïcité 1905-2005, entre passion et raison (Le Seuil).

20/10/2007

LA MEDECINE, DU TRIOMPHE A L'AMBIVALENCE

Le feuilleton de l’été a porté sur « laïcité, médecine et mort », avec un important excursus sur « La médecine contre les femmes » (cf la Note du 17/9). Puis d’autres questions nous ont occupés. Alors, dilemme : ou je laisse le feuilleton inachevé, en espérant qu’il deviendra aussi célèbre que la symphonie du même nom, ou je me dépêche de conclure tant qu’il reste un peu de soleil (du moins en France, Europe, Japon et Amérique du Nord, car le Blog est aussi visité dans des pays de l’hémisphère sud où on va vers l’été).

Bon, d’accord : devant vos demandes répétées, je choisis la seconde solution. Mais, pour ne pas faire une Note trop pantagruélique (on me dit qu’elles sont « intéressantes, mais souvent trop longues ». Promis, je fais plus court… à partir de novembre), je ne parle pas de tout ce dont je comptais parler. Je sélectionne en fonction des problèmes les plus contemporains pour qu’en 2 Notes (celle d’aujourd’hui et celle de la semaine prochaine) tout soit terminé..

Ainsi le feuilleton sera aussi un peu inachevé, et j’aurais résolu le problème de la quadrature du cercle. Par ailleurs, je vais être « savant » sur le XIX° et je vais me ‘lâcher’ au fur et à mesure que nous allons arriver à l’aujourd’hui. Que voulez vous, cela fait du bien de mettre en boite la bêtise ambiante. Et si je tiens un Blog, c’est aussi pour m’offrir ces petits plaisirs !

On y va ? On y va :

1)      Liberté de conscience des « derniers instants »

: l’analogie entre hier et aujourd’hui.

Le problème de la laïcisation de la mort, de sa représentation (fin de la vie ou passage dans l’au-delà) ne concerne pas que la médecine, même si celle-ci est l’agent principal de la mutation effectuée. On peut même écrire que cette mutation a été largement masquée par une question qui a occupé le devant de la scène : la libre volonté de la personne elle-même quant à ses derniers instants et son enterrement. Cette question ressurgit aujourd’hui autrement dans la problématique de « mourir pour la dignité ».

Dés l’établissement du 1er seuil de laïcisation le droit, sinon d’être athée du moins d’être « indifférent en matière de religion » est reconnu. Portalis, ministre des cultes de Napoléon, indique aux maires que l’on a le droit de mourir sans les secours de la religion.Il faut savoir qu’à l’époque refuser d’appeler un prêtre et risquer de rôtir en enfer apparaissait aussi stupide qu’aujourd’hui ne pas appeler un médecin si on a 41° de fièvre. Donc c’est le fait d’une infime minorité « d’esprits forts » et il ne me parait pas du tout sur que cela soit bien entré dans les faits, surtout après 1815.

En même temps, ce qui était prévu pour les enterrements et les cimetières concernait, dans la logique dominante d’alors, le pluralisme religieux. Ainsi un décret de juillet 1806 ordonnait d’ensevelir chaque individu suivant le culte qu’il a professé durant sa vie, « à moins qu’il n’eût formellement demandé le contraire par un acte de dernière volonté » déposé à la mairie.

Par ailleurs, on prévoyait la possibilité d’avoir des cimetières différents, ou de diviser le cimetière « en autant de parties qu’il y aura de cultes différents » dans la commune (décret du 23 prairial an 12) ; ce qui là aussi ne fut pas évident, surtout pour les microminorités (on va le voir).

 

 

Un des problèmes (officieux) était le fait que pour l’Eglise catholique, le cimetière devait être béni, et il y avait souvent la présence dans le cimetière d’une partie non bénite, considérée culturellement comme la « terre maudite », où les personnes enterrées allaient, sans nul doute (elles aussi), rôtir en enfer. Il s’agissait, la plupart du temps de suicidés, de filles de « mauvaise vie » (leurs partenaires allaient-ils eux au paradis ?), d’enfants morts sans avoir reçu le baptême, aussi, parfois, de protestants de cultes non reconnus (baptistes, méthodistes, libristes, etc), de catholiques convertis au protestantisme, de membres d’autres microminorités et de personnes mortes sans enterrement religieux. C’était, d’une certaine manière, les désigner à la vindicte publique.

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, des sociétés de libre-pensée se créent, d’abord dans les milieux d’exilés en Belgique, ensuite en France même. Partout la question lancinante est celle de l’enterrement civil. « Agis comme tu penses », tel est le mot d’ordre. Autrement dit, si tu es convaincu qu’il n’y a pas de Dieu, de paradis, purgatoire et enfer, veille à ne pas recevoir les derniers sacrements et à ne pas être enterré religieusement. (Cf. les travaux de Jacqueline Lalouette sur la Libre pensée).

 

 

Précisons que la question des enterrements civils fut épineuse sous le gouvernement d’Ordre Moral (années 1870). Le préfet de Lyon leur avait imposé un horaire très matinal et un trajet particulier, amenant des protestations non seulement des libres penseurs mais aussi d’autres personnalités comme le pasteur-sénateur évangélique Edmond de Pressensé qui déclara : « l’honneur d’une religion est que l’on puisse ne pas la pratiquer ».

La victoire des Républicains entraîna 2 conséquences sur ces sujets.

D’abord le remplacement du décret de l’an 12 par une loi d’avril 1884 qui prévoit que « toute personne décédée soit ensevelie et inhumée décemment sans distinction de culte ni de croyance » et qu’il n’y aura plus, dans les cimetières, « des distinctions ou des prescriptions particulières à raison des croyances ou du culte du défunt ou de circonstances qui ont accompagné sa mort. » (suicide).

 

 

Cette laïcisation du cimetière (les tombes, elles, gardant la possibilité d’avoir des signes religieux, même très ostensibles) permettaient de résoudre certains problèmes des libres-penseurs ou des protestants (conversions, cultes non reconnus, etc). Elle accentuait les problèmes que posaient déjà à l’Eglise catholique le décret de l’an XII: cette Eglise «défendait la conception canonique du grand dormitoire où les membres disparus de la communauté des fidèles, morts en union avec elle, reposaient en terre bénite dans l’attente de la résurrection –le cimetière est « l’église des morts » dit Mgr Freppel (évêque-député) lors de la discussion de la loi de 1881 » (R. Bertrand, in Chantin-Moulinet, La séparation de 1905, Ed. de l’Atelier, 2005, 39)

On retrouve ce problème (ce qui montre que la temporalité de la loi et celle de la culture ne sont pas les mêmes) dans les débats de la loi de 1905 : l’attachement de beaucoup de gens au bâtiment église, vient d’un ensemble : église-cimetière ; maison de Dieu ET lieu où reposent les morts. Même des radicaux, souvent un peu bornés sur le plan du symbolique, ont du comprendre cela.

 

 

Cette laïcisation posait aussi des problèmes aux juifs, et il y a eu (en certains endroits) des accommodements à leur égard. Encore aujourd’hui les juifs de Genève sont enterrés dans un cimetière situé en France, avec une porte qui ouvre sur la Suisse. Preuve que Genève (où la séparation a eu lieu en 1907) est plus stricte que la France sur ce sujet.

De façon plus générale, la loi fut incomplètement appliquée : à Nîmes, dans les Cévennes, le Lubéron, des cimetières catholiques et protestants continuèrent d’exister, la laïcisation des enclos confessionnels fut incomplète. Lors de la 1ère guerre mondiale, il y a eu constitution de carrés confessionnels dans les cimetières militaires.

 

 

Ces dispositions furent complétées par la loi de « liberté des funérailles » qui, elle, voulait répondre aux problèmes posés par le non respect éventuel de la volonté du mourant et fut adoptée en 1887.

L’article 2 interdit les « prescriptions particulières applicables aux funérailles, en raison de leur caractère civil ou religieux ». L’article 3 donne le droit à tout majeur ou mineur émancipé de « régler les conditions de ses funérailles, notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à leur donner et le mode de sa sépulture. ». L’article 4 donne la procédure d’urgence à suivre s’il y a « contestation sur les conditions des funérailles » ; l’article 5 indique les peines encourues si l’on contrevient à la volonté du défunt ou à la décision judiciaire.

 

Le débat porte sur la meilleure façon de respecter les volontés du défunt. Mgr Freppel demande qu’une déclaration écrite (gardée par une société de libre pensée) qui peut dater de plusieurs années ne fasse pas foi face à une indication reçue à l’approche de la mort par la personne décédée. Et il demande que s’il n’y a pas de testament ou d’acte notarié, la famille soit qualifiée pour prendre une décision. Le ministre Goblet, qui a laïcisé le personnel de l’école publique l’année précédente, est d’accord pour dire qu’une simple déclaration signée ne suffit pas. La loi prévoit, soit un testament soit une déclaration ayant « la même force qu’une disposition testamentaire relative aux biens » et « soumise aux mêmes règles quant aux conditions de la révocation » (art. 3).

P.Y. Baudot (in P. Weil, Politiques de la laïcité au XX° siècle, PUF, p. 391 ss.) donne 2 remarques fort intéressantes

La 1ère est que les moribonds sont exclus de la procédure (ce qui a fait que cette loi a été « perçue par certains, à l’orée des années 1990, comme apte à fonde le droit contemporain de la bioéthique ») : c’est « une exigence de pleine conscience de l’individu à l’approche du terme de sa vie qui est formulée ».

La deuxième conséquence est que la formulation (« tout majeur… en état de tester ») englobe la femme mariée, qui (selon le Code civil) a une incapacité générale et ne peut accomplir aucun acte juridique sans autorisation de son mari, mais est relevée de cette incapacité pour rédiger son testament.

Certes déjà une femme mariée pouvait être enterrée religieusement malgré l’opposition du mari si la famille le demandait et pouvait prouver la religion à laquelle elle appartenait, mais c’était donc « par défaut » Là, cette loi va devenir une source de la liberté de conscience de la femme mariée (on se gausse des débats d’un ancien concile moyenâgeux se demandant si la femme a une âme, mais au XIXe siècle…), reconnue par la jurisprudence en 1891. De façon pas forcément consciente (car cela va de pair avec des manifestations explicites d’antiféminisme laïque), la laïcisation contribue donc à l’émergence de la femme comme individu sujet de droits.

2) la médecine triomphante au XX° siècle

Tous ces faits sont des manifestations du basculement du 1er seuil de laïcisation à un second seuil. Au cours du XXe siècle, des graphiques montreront une incontestable progression de « l’espérance de vie », selon l’expression consacrée. Cette expression est très significative : l’espérance de vie s’est substituée, comme préoccupation sociale dominante, à l’espérance de l’au-delà. La médecine est une institution morale puisqu’elle apporte un gain de vie appréciable. Et, elle fait cela grâce à son adossement à la science et à la technique. La médecine réussit cette prouesse de mettre l’espérance en statistiques.

Mais l’émergence d’une « obsession de la santé  se traduit d’abord par la consommation de biens et de services » et la « société médicalisée » qui se développe « obéit d’abord à une logique marchande » (O. Faure, , Les Français et leur médecine au XIXe siècle, Belin 1993, 271). Les médecins l’ont encouragée en imposant progressivement la rétribution à l’acte et le libre choix du praticien.

Dés le tournant des XIXe et XXe siècles les critiques et les attaques se sont déplacées du terrain de la vérité (si l’on peut dire) et de l’efficacité de la médecine vers celui de l’honnêteté et de la moralité des médecins. De groupe social ascendant, ces derniers sont devenus un groupe social établi  avec une augmentation substantielle de leurs revenus, une notoriété souvent assurée, etc. Bref, ils n’ont plus besoin de faire preuve (en tout cas au même degré) des qualités qu’ils devaient (plus ou moins) avoir pour conquérir clientèle et pouvoir. Et la législation les favorise (ainsi, en 1892, la loi Chevandier a augmenté le monopole de l’institution médicale sur la santé, son auteur précisant que « là où le miracle s’arrête, l’exercice illégal de la médecine commence »)

 

Amusante et représentative, la pièce : La nouvelle idole de François de Curel, écrite au tournant du siècle,  raconte l’histoire d’un prof de la fac de médecine, Albert Donnat. Il fait des recherches sur le cancer, dans ce cadre il n’inocule à une jeune tuberculeuse, « condamnée par la science ». Or elle boit de l’eau de Lourdes, ce qui la guérit de la phtisie, mais pas du cancer que lui a inoculé le prof ! Ce dernier, saisi de remords à l’idée que la malheureuse va mourir par sa faute, s’inocule lui-même le cancer !!

Cette pièce est à la fois représentative des conflits du XIXe à un moment où la Vierge de Lourdes va voir ses « miracles » mis sous contrôle médical et en même temps annonce la modernité du XXe : le pouvoir du médecin devient socialement incontrôlable : lui seul sait ce qu’il fait et prend des décisions sur des critères qui échappent à l’emprise du patient alors que les intérêts de l’un et de l’autre ne sont pas forcément les mêmes.

 

Juste après la seconde guerre  mondiale, la création de la Sécurité sociale va permettre des « progrès » dans l’égalité de l’accès aux soins. Elle est mue par l’utopie d’une future médecine gratuite pour tous devenant une médecine non seulement curative mais aussi préventive, médecine apte donc à intervenir légitimement de plus en plus dans les différents aspects de la vie et de la société. Ils deviennent des sortes de grands prêtres des temps modernes et le rituel médical s’amplifie.

Dans le temps de la médecine triomphante peu à peu, les médecins catholiques s’alignent sur l’opinion médicale dominante qu’un médecin a le droit de « taire la vérité » à son patient. Là encore, curieusement étant donné la longue réticence des médecins catholiques, on constate une opposition entre la « transparence » des « façons de faire anglo-saxonnes » et les « stratagèmes » de dissimulation des médecins français (A. Carol, Les médecins et la mort XIX-XXe siècle, Aubier, 2004, 274). Mais peut-être l’explication de cette divergence d’attitude doit-elle être trouvée dans la suprématie sociale de la médecine sur la religion plus nette en France qu’en Grande Bretagne.

Cette suprématie va se confirmer avec le Concile Vatican II et ses suites. En 1972, le sacrement de l’ « extrême onction » se transforme en sacrement d’ « onction des malades » et sa signification même se sécularise et se médicalise. Jusque-là, rappelons-le, il s’agissait de pouvoir remettre, in extremis, ses péchés au mourant pour lui éviter la damnation éternelle de l’enfer. Désormais, le sens du sacrement est tourné vers la guérison. Cette guérison est considérée comme toujours possible, même dans les cas les plus graves. La pratique religieuse accepte donc d’être englobée par la pratique médicale. Le rite change de sens et intériorise les idéaux de la modernité médicale. La prévalence sociale du médecin sur le prêtre est implicitement reconnue.  La préparation religieuse à la « bonne mort » cède le pas à l’aide « toute psychologique » aux soins curatifs (F-A. Isambert, De la religion à l’éthique, Le Cerf, 1992, 270).

Mais même cette aide psychologique n’a plus rien d’évident. La modernisation de la religion fait qu’elle se tourne alors vers l’ici-bas et que son enseignement sur l’au-delà perd de sa consistance et de sa crédibilité sociale. Quand un des « grands » médecins médiatiques de l’époque, le docteur Schwartzenberg (Changer la mort, Albin Michel, 1977, 13s.) décrit, dans un ouvrage à gros tirage, l’histoire de seize cancéreux, il n’existe qu’un seul cas sur les seize où un prêtre intervient. Et le lecteur peut constater qu’il ne sait pas dire grand-chose.

De façon plus générale, l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) définit la santé comme un « état de complet bien être physique, psychique et moral ». Personne, bien sûr, dans une telle perspective, ne peut se targuer d’être en « bonne santé ». Jules Romains croyait faire rire en se moquant d’une caricature de médecin dans Knock ou le triomphe de la médecine et en faisant dire à son personnage : « tout bien portant est un malade qui s’ignore » et voilà que les fous furieux (mais on les a pris au sérieux, ils ne sont pas apparus comme tels) de l’OMS, disent pratiquement la même chose. Et l’OMS définit ainsi un pouvoir total du médecin, puisque (idéalement) personne ne peut plus lui échapper.

Et personne ne rigole ! Tout le monde y croit. Et en plus, il y en même qui ont cru que c’était progressiste !

Cela est très représentatif d’une époque où il existe la croyance que le progrès scientifique et technique engendre forcément du progrès moral et social et que plus l’institution est toute puissante, mieux c’est pour l’individu. On n’a pas, encore, entendu parler des aspects contreproductifs des actes médicaux, des médicaments, des maladies nosocomiaques. On n’a pas pris la mesure de l’ambivalence des choses

La médecine peut alors se targuer d’avoir fait « reculer la mort » : diverses techniques de pointe, nécessitant des infrastructures hospitalières et technologiques fort importantes et le recours à l’informatique, sont mises en œuvre avec « succès ». On considère alors comme une « victoire » le fait de maintenir dans un coma éveillé, puis dans un coma dépassé, des grands malades qui, auparavant, seraient morts.

La lutte pour la vie était jusqu’à présent circonscrite par deux frontières dites « naturelles », la fécondation et la mort. Le nouveau savoir bio-médical ignore de plus en plus ces frontières. Les moyens artificiels de fécondation se développent. La mort se diffracte en une série de processus partiels, qui semblent de plus en plus relativement maîtrisables. Un « grand patron », Jean Hamburger écrit en 1972 : « la mort n’apparaît plus comme un événement unique, instantané, intéressant toutes les fonctions vitales à la fois ». Cela signifie que, pour les médecins, il y a toujours quelque chose qui peut être tenté et que l’on ne sait plus quand (ni pourquoi) arrêter l’intervention médicale. D’un côté personne n’est en bonne santé, de l’autre personne n’est vraiment mort.

3) L’ambivalence de la médecine aujourd’hui.

Le titre de l’ouvrage d’Hamburger que nous venons de citer est La puissance et la fragilité. Ce titre montre la conscience qu’a, dès ce moment, un médecin de l’ambivalence de la réussite médicale. La révolte des étudiants en Mai 1968 n’épargne pas la médecine (même si c’est d’abord l’Université et l’école qui sont visées) : on parle alors « d’antimédecine ». Les contestataires de Mai reprochent aux institutions d’être trop sures d’elles mêmes. Ils ne les considèrent plus en elles-mêmes comme des structures morales ; au contraire ils veulent leur appliquer une interrogation morale. La préoccupation des droits de l’être humain, quand celui-ci est sous la responsabilité d’une institution (comme élève ou comme malade), participe d’un élargissement de la représentation des droits de l’homme, élargissement qui s’effectue progressivement à un niveau international.

La France n’est pas en dehors de ce changement, même si elle a un certain ‘retard’ par rapport à d’autres pays. Elle entre dans un troisième seuil de laïcisation La première Charte du malade hospitalisée est publiée en 1974. Certes, elle est encore très timide sur les « droits du malade » mais le fait même qu’elle soit écrite constitue une novation. Et il est significatif que cette reconnaissance de droits commence par l’hôpital.

Longtemps l’hôpital a été un lieu de non droit, réservé aux classes pauvres et à des soins gratuits. La contrepartie de cette caractéristique de « bienfaisance » était la possibilité d’expérimentation sans contrôle.

Au milieu du XXe siècle, l’hôpital se modernise et s’ouvre à toutes les couches de la population. Dès lors le changement s’accélère et l’hôpital devient, dans les années 1970, le lieu où décède la majorité des Français. Mais, il y a loin de la coupe aux lèvres, beaucoup ont pu en faire l’expérience, l’hôpital, malgré quelques progrès reste un lieu où l’individu est souvent traité en mineur. Et, ces derniers temps, significativement, l’hôpital est invoqué pour une défense crispée de la laïcité.

Par ailleurs, la mort hospitalière permet des traitements médicaux lourds, des soins collectifs performants. Mais cette médicalisation technique de la mort entraîne aussi une mort de plus en plus solitaire et qui parait vide de sens. Là encore, des questions sur le "sens de la mort", mises entre parenthèse lors de la modernité établie, ressurgissent; mais pas du tout de la même manière que lors de la prémodernité.

 

(suite et fin la semaine prochaine)

09/10/2007

LIBERTE, LAÎCITE, DIVERSITE

1) Les statistiques dites « ethniques »

2) Le Canada/Québec peut-il servir d’exemple pour la France ?

I les statistiques dites ethniques

Je voulais rédiger une Note sur la loi concernant l’immigration et le court-circuit  de l’amendement ADN et de l’abolition de l’interdiction de statistiques dites « ethniques ». Mais en fait Le Monde vient de publier 2 tribunes libres qui correspondent assez bien à ma position dans ce débat. Les 2 sont contre l’amendement ADN, moi aussi et on a suffisamment argumenté sur ce sujet pour que je considère cela comme acquis. Le problème que soulève les 2 tribune libres, c’est celui du court-circuit.

 La première est celle de Michel Wieviorka : « La diversité à reculons » (5/10/07), où il montre bien que , sur ce second point, il y a incontestablement défaite des néo-républicains qui, au nom de l’universalisme abstrait, les ont toujours refuser. Comme je l’explique (mais je ne suis pas le seul, loin de là) dans L’intégrisme républicain contre la laïcité, ce refus de telles statistiques, contribuait à masquer les discriminations. Mais, en même temps, Wieviorka parle, à juste titre je pense, du « triomphe d’une étrange coalition de fait, où se mêlent les pulsions réactionnaires et racistes des uns et les orientations progressistes des autres, ceux qui veulent s’appuyer sur « les statistiques de la diversité » pour combattre les discriminations. »

Ce n’est pas la 1ère fois, dans l’histoire de France, et notamment dans l’histoire de la laïcité, qu’il existe des coalitions de cet ordre. Cela a notamment été le cas en 1905 avec l’article 4. Dans ce cas, l’orientation finale dépend notamment de la capacité de la gauche de se réunifier autour de valeurs qu’elle a en commun. C’est, à mon sens, dans cet esprit que Wieviorka invite implicitement les néo-républicains à ne plus « s’opposer de front » à de telles statistiques mais à réfléchir, avec celles et ceux qui s’y sont montrer favorable pour combattre les discriminations, « à leur élaboration et à leur usage pratique » pour qu’elle servent effectivement à lutter contre les discriminations.

La seconde tribune libre, est celle d’Eric Fassin , « Statistiques de la discorde » (6/10/07). Elle complète bien celle de Wieviorka en proposant d’en revenir à la logique de la CNIL : mesurer la « diversité » (euphémisme bien français) par des données « objectives » relatives à « l’ascendance des personnes » doit être complété  par le développement « d’études sur le ressenti des discriminations incluant le recueil de données sur l’apparence physique des personnes ». J’entends déjà certains bondir. Mais si on va au-delà de la réaction primaire, la position d’Eric Fassin s’explique très bien : il faut partir de « l’apparence » car il ne sert à rien de se cacher derrière son petit doigt, c’est l’apparence qui crée la discrimination : « ce qui fonde la discrimination, écrit Fassin, c’est moins d’où l’on vient que comment on est perçu ».

Il complète son propos en rappelant, ce que des chercheurs tels que lui ont toujours dit : : « de telles statistiques, loin d’assigner une appartenance « ethnique » devrait reposer sur le choix de l’intéressé, par autodéclaration ». Des amis Antillais m’ont dit qu’à plusieurs reprises on leur avait dit : « retournez dans votre pays », alors que, naturellement, ils sont français. Bizarrement, une amie suédoise n’a pas la même expérience. Etrange ne trouvez vous pas ?

II Le Canada/Québec peut-il servir d’exemple pour la France ?

Libéré de la tâche d’un long développement sur les statistiques dites ethniques, je vous offre la 1ère version de la préface (mais elle sera peut-être en fin d'enquête complètement différente)  d'une enquête portant sur des débats actuels au Canada, et en particulier au Québec. Je reviendrai dans une autre Note sur ces débats eux-mêmes. Là, laissez moi commencer par un genre littéraire plus personnel et après vous indiquer pourquoi il me semble que les Français doivent s’intéresser à ces débats.

Donc voici la dite préface, du moins dans sa version actuelle. Il s’agit donc d’un premier jet et, comme je vous aime bien, je vous vous le livre comme tel :

A chaque séjour à Montréal, j’aime gravir la colline du Mont Royal, forêt située au milieu de la ville. Le temps change la donne : la neige peut m’interdire l’accès des sentiers trop glissants et m’obliger à emprunter la presque route. Elle est loin d’être désagréable, on y croise beaucoup de cyclistes et des personnes qui font du "jogging" (les Québécois ont certainement un mot français), mais aucun automobiliste. Quand il fait 31 degrés, malgré les arbres, je me trouve vite en sueur. Il faut dire que, souvent, je n’hésite pas à prendre les différents escaliers – raccourcis dont celui, royal comme le Mont, de 257 marches. En haut je contemple la ville et la trouve toujours belle J’aime ses grattes ciel, le Saint Laurent et le pont Victoria, les monts à l’horizon.

Le Canada, plus spécialement le Québec, font partie de mon imaginaire. Un imaginaire réalisé. Enfant, mon père m’a raconté l’histoire de Maria Chapdelaine ; les promenades dans la neige que nous faisions ensemble nous transportaient, grâce à son imagination jointe à la mienne, dans le monde extraordinaire des trappeurs du Canada et de l’Alaska. Et le plus étonnant pour moi consistait à entendre qualifier, par l’auteur de mes jours, de « Canadiens français » ces gens, tout de fourrures vêtus, avec leurs chiens loups et leurs traîneaux, ces gens d’une autre planète à la vie pleine d’aventures.

Pourquoi « Français » ? Parce qu’ils parlent notre langue telle était la réponse. Etonnant : alors qu’en France même, en Alsace, pays de ma mère, j’avais rencontré pleins de cousins parlant un idiome très bizarre , qualifié de « dialecte » par les grandes personnes ; voilà que des êtres humains du bout du monde s’exprimaient en Français. Il s’agit de descendants d’anciens Français, précisait mon père.

 

 

 

Adolescent, j’ai un peu oublié les trappeurs, j’ai oublié ces Canadiens français, je l’avoue. Ils ont ressurgi dans mon univers comme Québécois. Ce n’est pas seulement le « Vive le Québec libre » du général de Gaulle, ce furent aussi les chanteurs Jean Leclerc, Gilles Vignaux. « Mon pays, ce n’est pas un pays. Mon pays, c’est l’hiver ». Voilà qui favorisait la rencontre de l’image enfantine et des nouvelles. Avec la découverte, en plus, du délicieux accent chantant. Le Canada, le Québec essentiellement, apparaissait proches, mais d’une proximité factice, celle de la télévision.

Devenu professeur, colloques, cours et conférences m’ont permis d’aller dans différents endroits du Québec d’abord, du reste du Canada ensuite. J’ai été séduit par Toronto, mégapole colorée, célébrée pour son faible taux de délinquance, Vancouver où montagnes et océan, Amérique du Nord et Asie se mêlent, Victoria, délicieusement british avec ses astucieuses Miz Marple. J’ai admiré les divines couleurs des érables à Ottawa l’automne. Après avoir découvert les Québécois anglophones, j’ai rencontré des Canadiens francophones autres que les Québécois ; les Acadiens à Moncton et, à Winnipeg (ville dont le nom seul fait rêver) et son "riz sauvage", les Métis, descendants de trappeurs (nous y voilà !) bretons et d’Indiennes. J’ai mangé le plus fabuleux homard de ma vie à Halifax (j’en avais goûté pourtant d’excellentissimes au Québec, à Rimouski), et cela aussi se transforme en souvenir. Je suis allé voir un beau canyon à Lethbridge et me suis baladé dans les Rocheuses, près de Calgary, ville…où j’ai rencontré des ingénieurs de Total. Un seul regret, le Nord canadien je ne le connais pas. Sauf que, invité par l’université de Fairbanks (Alaska), j’ai pu, écarquillant les yeux et collé au hublot, en contempler l’immensité.

 

 

 

« Etes vous ici pour tourisme ou pour affaires ? » me demande-t-on parfois au hasard de rencontres. Dichotomie réductrice ! Souvent je dégage en touche et réponds : « Je suis ici pour (re)voir des amis », ce qui après tout n’a rien de faux. A d’autres moments, si le temps et l’occasion s’y prêtent, j’explique les raisons « professionnelles » de ma venue : raconter divers aspects et problèmes de la France d’aujourd’hui, plus précisément de la laïcité française, la comparer à l’interculturalisme québécois, au multiculturalisme canadien.

A certains moments, être un professeur d’université français au Canada n’est pas forcément chose facile. « Vous allez nous expliquer la révolte des banlieues » m’écrivait un collègue en décembre 2005, voulant préparer ma venue. Le temps d’arriver, fin mars 2006, il m’a fallu aussi expliquer la fermeture de la Sorbonne, la crise du CPE (contrat première embauche) et répondre à la question : « Pourquoi la France  est-elle la seule société développée qui, en six mois, doit faire face à une révolte de jeunes de classes populaires et de jeunes de classes moyennes ? ». Les termes de l’interrogation restaient extrêmement courtois, mais l’inquiétude perçait malgré tout : qu’arrive-t-il à la France ? Pourquoi ces crises à répétition qui, sensationnalisme télévisuel aidant, prenaient Outre Atlantique des allures de guerre civile.

Le kirpan (couteau rituel sikh) autorisé dans une école de Montréal ; des « tribunaux islamiques », la « charia » dirent certains, en Ontario ; peu après un bourg québécois de 1338 habitants à la population homogène, catholique et francophone, voit son conseil municipal adopter des « Normes de vie » qui interdisent l’excision (pénalisée au Canada comme en France), et le niqâb : le visage des citoyens doit être visible, excepté le jour d’Halloween !  : Le Canada subit à son tour les manchettes à gros titres. Des images chocs ; aussi réductrices et simplistes sans doute que celles qui pouvaient faire croire à une France à feu et à sang, mais quand même. Le pays de la Révolution tranquille semble tout à coup en proie aux déchirements et aux passions. N’est-il pire eau que l’eau qui dort comme l’affirme une sentence villageoise ?

 

 

 

A partir de l’automne 2006, je décide de me « lancer », c’est à dire de ne plus seulement donner des pistes de comparaison entre la France et le Canada, à la fin de mes exposés sur la laïcité en France, mais d’entreprendre une étude plus systématique sur les débats qui commencent à prendre de l’ampleur. Ces débats portent sur des sujets liés au multiculturalisme, à l’accommodement raisonnable (je préciserai les choses en cours de route).

Je suis incité à le faire par une exigence intérieure. L’accommodement raisonnable est une manière de sortir de l’alternative désastreuse du « tout ou rien » face aux demandes des minorités. C’est ainsi en tout cas que j’en interprète l’esprit et la signification. Nous verrons plus loin, de façon plus précise, ce qu’il est techniquement, juridiquement, mais aussi socialement.

Pour le moment, il suffit de savoir j’ai compris l’accommodement raisonnable comme un instrument pour combattre le diagnostic effectué depuis longtemps par ce que l’on appelle la « sagesse populaire » : « tout le monde est égal, mais certains sont plus égaux que d’autres ». Dans une société comprenant des citoyens de différentes cultures, ce sont ceux qui appartiennent à la culture majoritaire qui sont plus égaux que les minoritaires. Il est impossible pour autant de mettre totalement en équivalence les différentes cultures. Une société n’est pas une juxtaposition d’individus mais un ensemble d’interactions, de relations communes qu’ils entretiennent quotidiennement. La prédominance d’une culture, de certaines façons de vivre, de valeurs communes aussi est nécessaire.

Donc acte. Mais comme parmi ces valeurs, il y a l’égalité, on ne peut pas tout à fait prendre son parti de cette domination culturelle. D’où le correctif de l’accommodement raisonnable qui, sous certaines conditions, accorde des dérogations aux individus. Et mes amis canadiens insistaient sur le fait qu’il s’agit d’un droit individuel, jamais d’un droit collectif. Ainsi, il y avait moins d’inégalités, moins de discriminations indirectes.

 

 

 

Je n’étais pas le seul Français à m’intéresser à l’accommodement raisonnable. A la Commission Stasi -la Commission instaurée par le Président Chirac en 2003 pour réfléchir au « principe de laïcité et faire des propositions (26 furent énoncées, dont l’interdiction de signes religieux et politiques ostensibles à l’école publique)- nous étions plusieurs à souhaiter en faire un exemple d’une laïcité équitable. Certes, cela faisait tiquer les tenants les plus convaincus de « l’idée républicaine », mais la majorité ne les suivait pas.

Se référer à l’accommodement raisonnable présentait trois avantages.

D’abord, il s’agissait de mettre un garde fou contre le risque de glissement vers une laïcité autoritaire, intolérante. La laïcité devait concilier fermeté et ouverture.

Ensuite, il s’agissait d’éviter un enfermement franco-français et de montrer qu’il était possible, même en matière de laïcité, de trouver son miel à l’étranger. Nous jouions sur du velours, puisque mention était faite, non du Canada proprement dit mais du Québec, et pour beaucoup de Français, la Belle Province reste une cousine proche de la France.

Enfin, il était possible de relire l’instauration de la laïcité en France à la lumière de l’accommodement raisonnable et de montrer que son esprit n’avait pas été étranger aux pères fondateurs de la laïcité. Les historiens emploient volontiers l’expression « d’accommodements ferrystes » pour qualifier les accrocs qu’il a tolérés à une laïcité complète.

 

 

 

Il fut donc fait mention à trois, quatre reprises de l’accommodement raisonnable dans le rapport de la Commission Stasi. Ce fut un flop. Un flop et en France et aux Canada.

En France, car la totalité du rapport de la Commission fut un flop, alors que celle-ci espérait qu’il constituerait la pièce maîtresse des débats sur la laïcité qui ne devaient pas manquer d’avoir lieu pendant l’année du centenaire de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat de 1905.

En effet, le dit rapport avait, pour dire les choses de façon imagée, le « cul entre deux chaises ». Sa tonalité d’ensemble et certaine de ses propositions (par exemple celle concernant les jours fériés) se référait à une laïcité moins dure que pouvait le faire penser la prise de position en faveur d’une loi contre les « signes ostensibles » à l’école publique. Pour les partisans de cette loi, c’est la caution de la Commission qui importait ; le rapport ils s’en souciaient peu, pour certains ne voulaient même pas en entendre parler. Mais celles et ceux qui partageaient des préoccupations du rapport et l’auraient volontiers discuté, se montraient réservés face à la proposition de loi et donc méfiants à l’égard du rapport. Seule une petite minorité l’a donc pris en compte.

Le « flop » canadien est du à d’autres causes. Naturellement, le rapport intéressait a priori beaucoup moins de gens. Il fut cependant lu, notamment, par des professeurs des universités de Montréal et d’Ottawa et l’opinion majoritaire immédiate fut que la Commission avait fait un contresens et perçu l’accommodement raisonnable comme un instrument en faveur de la majorité et non de la minorité. C’est vrai qu’un passage prête à cette confusion. Pas forcément tous, surtout si on comprend les intentions de la Commission (rapportées plus haut) : ainsi, il faut avoir à l’esprit qu’être minoritaire n’est pas seulement un problème de nombre : les catholiques, à l’époque de Jules Ferry, étaient politiquement minoritaires.

 

 

 

Mais, un paradoxe supplémentaire allait bientôt apparaître, la Commission Stasi avait voulu se faire le chantre de l’accommodement raisonnable, moi-même je l’avais présenté très positivement dans mon ouvrage Laïcité 1905-2005, entre passion et raison. Par ailleurs, comme le montre bien l’ouvrage collectif dirigé par Didier et Eric Fassin, De la question sociale à la question raciale ? Représenter la société française (La Découverte, 2006), le modèle dit républicain se trouvait de plus en plus contesté en France. Et, à peu près au même moment, se déroule le conflit déjà évoqué à Toronto, ville qui, pour moi, était le modèle de la ville multiculturelle et, au Québec, l’accommodement raisonnable se trouve mis en question. Mise en question qui a abouti à la nomination, en mars 2007, d’une Commission, dirigée par deux universitaires de renom : Gérard Bouchard, sociologue et Charles Taylor, philosophe, chargée par le gouvernement québécois, d’une vaste consultation sur le sujet.

Alors j’ai considéré comme indispensable d’examiner les choses d’un peu plus prés. J’entends bien que mes ami(e)s québécois et d’autres Canadiens, des juristes notamment, m’indiquent que l’on se trouve en pleine confusion. La tentative d’instauration de tribunaux dits « islamiques » n’a rien à voir avec le multiculturalisme disent-ils. Et ils ajoutent: on appelle accommodement raisonnable, des compromis qui n’ont rien à voir avec lui. Techniquement ils ont raison sans doute. J’y reviendrai. Mais voilà le débat social s’enfle, et un débat social s’effectue toujours dans la confusion et avec de multiples biais.

 

 

 

Dans ce débat, certains des propos énoncés peuvent paraître primaires, voire même « un peu racistes » comme me le dit une amie française résidant au Québec. Mais, peut-être faut-il les entendre au-delà de ce qu’ils disent. Ecouter soigneusement les multiples points de vue qui s’expriment. Analyser froidement la complexité de ce qui se joue. Weber affirmait que la première tâche du sociologue consiste à « affronter les faits désagréables », et sa principale opposition au marxisme de son époque était que celui-ci fuyait un tel affrontement.

Mais ce refus mazrxiste n’est-il pas le risque de toute militance ? Sociologues, historiens, spécialistes de sciences humaines, philosophes (a fortiori allais-je écrire) on est tous forcément peu ou prou citoyen et militant. Je ne suis pas citoyen québécois ni canadien. Et si leurs débats ressemblent aux nôtres, je me sens moins impliqué. Bonne position pour « affronter les faits désagréables ». Par ailleurs, il existe suffisamment de décalages pour que la comparaison soit pertinente. Décalage dans le rôle et le fonctionnement de la Commission Bouchard-Taylor par rapport à la Commission Stasi, décalage dans le fait que ce n’est pas seulement des minorités issues d’une immigration de ces dernières décennies qui sont considérées comme faisant « problème », autres décalages.

Enfin, dernier avantage de ma position d’observateur : mes divers interlocuteurs sont certainement moins allusifs avec moi qu’ils ne le seraient avec un compatriote. Les récits sont donc autres. Les données recueillies s'avèrent très riches. Et passionnantes. Elles sont révélatrices et de toutes les difficultés des démocraties modernes et des logiques d’une histoire particulière.

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30/09/2007

Catherine KINTZLER, Patrick CABANEL ET L'APPROCHE LAÏQUE DU RELIGIEUX.

Fidèles (et infidèles aussi !) internautes, surfeurs sur le Blog, je reprends la Note du 8 septembre sur l’Approche laïque des religions. Quoi vous ne l’avez pas apprise par cœur et vous seriez incapables d’avoir la moyenne en cas d’interro’ écrite. Qu’à cela ne tienne, étant d’un laxisme indécrottablement post-soixante huitard, je vous signale que la Note est toujours dans le déroulé du Blog et que vous pouvez donc vous rafraîchir la mémoire, si votre douche matinale n’a pas suffi.

Or donc, je vais continuer cette Note, laissée aussi inachevée que la symphonie du même nom, en commençant par revenir au problème général de l’approche laïque de la religion, où je vous parlerai un peu de celle qui serait ma « meilleure ennemie » (on a une vision divergente), Catherine Kintzler, sauf que je ne la considère absolument pas comme une « ennemie » mais l’ai en grande estime parce qu’elle effectue, de livre en livre un véritable travail intellectuel sur la laïcité, tenace et qui constitue une pièce essentielle d’un débat sur le sujet. Et ensuite, j’illustrerai mon propos en vous présentant un ouvrage de Patrick Cabanel

Enfin, pour récompenser ceux qui m’auront lu jusqu’au bout, je vous raconterai la meilleure blague que je connaisse sur ce que l’on appelle « l’inculture religieuse ». Dévots, culs bénis de la laïcité ou de la religion s’abstenir.

Donc, le 8 septembre, j’avais expliqué que, pour avoir cette approche laïque des religions, il ne faut surtout pas faire d’une laïcité identitaire, très proche d’une religion civile à la Rousseau « LA » laïcité.

D’autres critères me semblent importants. Il s’agit de (et là je complète mon propos d’il y a 3 semaines) :

1-Ne pas avoir une approche essentialiste de la religion. « Monsieur islam » n’existe pas : c’est le titre d’un livre de Dounia Bouzar. Il ne s’agit pas de nier le fait qu’une religion trouve une unité dans son fondement (le Coran pour l’islam), mais de dire que ce qui intéresse l’historien, l’anthropologue, le sociologue, et plus généralement celui qui a une démarche de connaissance, c’est les mille et unes façon dont chaque religion a été vécue et interprétée, dans des temps et des espace différents. Ainsi il n’existe pas une charia qui serait intemporelle et non spatiale. Mais on peut dire la même chose pour le catholicisme, le protestantisme, le judaïsme, etc

L’approche croyante peut insister, et c’est tout à fait son droit, sur l’unité du fondement. Mais il lui est impossible d’ignorer la diversité d’approches de cette unité. Le fait que l’on croit à une vérité ne signifie pas qu’on l’a totalement trouvée. On la cherche, sinon les ouvrages de théologies eux même, les prédications, etc n’auraient pas de sens.

L’approche laïque sera attentive à la diversité des manifestations historiques, géographiques, sociales, intellectuelles, au pluralisme multidimentionnel de chaque religion qui a ses écoles de pensée, ses variations dans le temps et l’espace, mais aussi ses débats internes dans un lieu et à un moment précis de l’histoire et les influences réciproques qui existent entre religion et société. Bref, elle ne pourra pas prétendre que l’islam c’est ceci, le christianisme c’est cela. Elle ne pourra pas avoir un discours figé.

2-Ne pas faire du réductionnisme dans un sens ou dans l’autre. Cela signifie qu’on ne réduira pas des faits sociaux (le récent conflit en Irlande du Nord) à un fait uniquement religieux, et en même temps on ne réduira pas la dimension religieuse de ce fait à n’être qu’un masque d’autres choses (le politique, le socio-économique). Il ne faut mettre le religieux ni dans le tout, ni dans le rien. En revanche, étudier les interactions est toujours une entreprise passionnante.

3-Une société n’est pas théocratique dés l’instant où elle ne connaîtrait pas un régime strict de séparation de la religion et de l’Etat. Il faut rechercher les éléments de laïcité que l’on trouve dans beaucoup de processus historiques et sociaux. On peut notamment être attentif à la laïcité de la société civile qui se cherche ou existe dans un certain nombre de société de pays peu ou pas laïques.

Cela est d’autant plus important que si les Etats/nations ont joué un rôle laïcisateur important (et ambiguë : on verra ce que écrit Cabanel du « gallicanisme » et d’autres formes de « nationalisme religieux »), maintenant l’avenir me semble être au développement d’une laïcité par le bas, d’un rôle consistant et laïque de la société civile.

Et c’est là que je voudrais vous parler un peu du travail de Catherine Kintzler (elle a aussi un Blog, que je vous recommande ; il est fort intéressant si, tout comme le mien d’ailleurs, on ne le lit pas de façon passive mais l’on s’en sert pour penser).

 

Elle estime que« trois composantes se conjuguent pour former le concept de laïcité ». La première s’applique à la société civile, « lieu de coexistence des libertés, ce qui suppose la tolérance », « la liberté privée » d’adopter la religion de son choix ou de n’en avoir aucune et un « droit commun » qui règle cette coexistence des libertés. C’est, pour elle, la « version faible » de la laïcité ».

Une seconde composante relève de la puissance publique qui, garante de la tolérance civile, ne peut jouir de la même liberté religieuse que les citoyens, car « si l’Etat et ses représentants avaient le droit de manifester une ou des croyances, ils feraient de cette ou de ces croyances une affaire publique. » La puissance publique est donc tenue à la « réserve » pour que les libertés puissent exister du côté de la société civile.

 

Et il existe une troisième composante, spécifique à l’école où le clivage entre fonctionnaires (soumis au devoir de réserve) et usagers (disposant de la liberté) ne peut pas jouer. D’abord l’école est « obligatoire », ensuite les élèves sont, pour la plupart, des « mineurs » et « leur jugement n’est pas formé ». L’école laïque doit donc « exiger la même réserve de la part de tous ceux qui s’y trouvent », maîtres et élèves, car elle n’a pas pour tâche « d’ouvrir l’enfant à un monde qui ne l’entoure que trop », « d’adapter », « d’épanouir » mais « d’émanciper » et d’offrir « à tout enfant le luxe d’une double vie : l’école à l’abri des parents, la maison à l’abri du maître. ». Il faut « écarter » à l’école « tout ce qui peut faire obstacle au sérieux de la libération par la pensée » pour  « libérer » celui qui se trouve englobé par une croyance (il n’y a  « pour lui qu’un livre, qu’une parole ») et faire « qu’il renoue ensuite, s’il le souhaite, avec sa croyance, mais qu’il le fasse lui-même, par conclusion, et non par soumission »[1]

Le désaccord ne porte pas sur le fait même que l’on puisse distinguer 3 composantes. J’accepte volontiers de partir de cette hypothèse. Il ne porte pas non plus sur le devoir de réserve de la puissance publique (qu’on ne peut d’ailleurs réduire à l’Etat), ni sur le fait que les institutions aient un fonctionnement spécifique. Non, sur tous ces points, je suis en accord avec Catherine Kintzler. Mais à partir de là, j’ai une  objection.

Son point de départ est le suivant : Pourquoi la laïcité de la société civile, « lieu de coexistence des libertés » serait la « version faible » de la laïcité ? Catherine Kintzler estime elle-même que le devoir de réserve de la puissance publique a comme objectif de permettre cette coexistence des libertés. Et quand elle affirme que le but de l’école est d’émanciper, et explique en quoi cela consiste, c’est bien pour que les individus deviennent libres, maîtres de leurs convictions, et puissent être des « majeurs » dans la société civile.

Mais alors à aller d’une « laïcité faible », coexistence des libertés de la société civile, à une laïcité plus forte où les « représentants de l’Etat » sont tenus à un devoir de réserve face à des citoyens qui n’y sont pas tenus, puis une laïcité encore plus forte à l’école parce que, là, tout le monde serait astreint à un devoir de réserve, c’est faire du devoir de réserve, de la neutralisation, de la mise entre parenthèse de ses convictions le critère premier de la laïcité. C’est oublier plus ou moins le but, l’objectif pour privilégier le moyen.

Personnellement, je dirai que la « laïcité forte » est celle de la société civile, celle du libre jeu de la liberté de conscience. Et que cette laïcité forte, cette laïcité de la société civile, est la laïcité des fins. La laïcité de la puissance publique et celle de l’école sont, elles, des laïcités de moyens.

Oui, le but premier de la laïcité, tous ses pères fondateurs l’ont affirmé, c’est la liberté de conscience. D’un côté Catherine Kintzler me semble en être bien d’accord, de l’autre son propos me paraît aller dans le sens d’une laïcité autoritaire. Elle me répondra que je confonds « autoritaire » et « autorité ». Que l’autorité du maître n’est pas autoritaire en ce sens qu’elle n’est ni arbitraire ni dominatrice, mais au service de l’émancipation.

C’est un vieux problème. Auguste Comte pensait que la science pouvait réconcilier autorité et liberté car apprendre aux enfants que 2 + 2 = 4 n’est pas contraire à la liberté de conscience. C’est un fait objectif et prouvé.

Je ne suis pas anti positiviste, et je trouve que parfois, on jette l’enfant avec l’eau du bain. Mais, outre que l’on sait maintenant que 2+2+4 n’est valable qu’à l’intérieur d’un certain système, je pense moi (et quand je dis « je pense », je veux signifier par là qu’il ne s’agit pas d’une simple opinion spontanée mais du résultat d’un travail historique et sociologique) qu’autorité et liberté sont toujours en tension, sans solution miracle pour concilier les 2 de façon fixe, stable, définitive. Le glissement de l’autorité à l’autoritarisme guette toujours ceux qui sont investis de l’autorité, notamment de l’autorité du savoir.

 

 

Cela parce qu’il est de la structure même du savoir d’être faillible, et donc quand on transmet un savoir, on ne sait jamais s’il est toujours valide. Ensuite, parce qu’un savoir s’intériorise en faisant sens. Et le donneur de sens a toujours peu ou prou tendance à devenir un leader charismatique, à créer un nouvel englobement, et non pas à ouvrir à un « univers où il y a des livres, des paroles », un « univers où le vrai est valeur d’examen ». Le maître a toujours tendance à croire que sa parole est au dessus des autres paroles. Et l’élève a toujours la tentation de devenir disciple. Et ce n’est pas en devenant un disciple que l’on s’éveille au libre-examen.

Le maître a donc besoin d’avoir, non pas un individu passif en face de lui, mais quelqu’un qui le questionne dans tous les sens de ce terme. Ce n’est pas parce que l’élève est (le plus souvent, pas toujours) un « mineur » qu’il ne dispose pas, lui aussi, et progressivement bien sûr, un certain savoir, une observation de ce qui l’entoure, une connaissance d’autodidacte, et aussi… le résultat de ce que lui on dit d’autres maîtres les années précédentes.

 

 

De même que personne n’est dans l’objectivité absolue, pas même le maître, personne, pas même un élève, n’est dans l’inobjectivité absolue, et totalement englobé par une croyance et un livre qui l’empêcherait de s’apercevoir qu’il existe d’autres croyances et d’autres livres.

Preuve en est d’ailleurs que les « religions du livre » c'est-à-dire celle qui se réfèrent à des écrits révélés : Bible hébraïque, Bible chrétienne, Coran,… ont produit des bibliothèques et des bibliothèques de livres pour interpréter, commenter, débattre de leur livre de référence. LE Livre produit toujours DES livres. Même dans les approches très orthodoxes de la religion, il y a toujours eu matière à débat.

La conception de l’école de Catherine Kintzler me semble supposer une vision particulièrement essentialiste de la religion, qui n’en est pas une approche laïque. Elle me semble aussi construire une sorte de lieu  – sanctuaire : l’école où des clercs auraient déjà, eux, totalement réussi leur émancipation, seraient à la limite infaillibles et pourraient forger la personnalité intellectuelle de l’élève comme s’il était un nez de cire. Approche quasi religieuse de la laïcité.

Ce n’est pas la totale mise entre parenthèse de ce qui constitue (déjà) leur individualité, que le maître doit demander à l’élève. Il a à lui apprendre à savoir faire de la gymnastique intellectuelle. C’est une telle gymnastique intellectuelle qui permet à l’élève, puis à l’adulte de vivre dans un univers où « le vrai est affaire d’examen ».

Catherine Kintzler ‘pointe ‘ un problème essentiel, et lui donne une solution avec laquelle je ne suis pas d’accord : le rapport entre institutions et société civile. L’occasion se présentera de réaborder ce sujet.

4- Cette laïcité par le bas est un élément essentiel de la recherche d’un « pacte laïque international ». On sait que j’ai construit la notion de « pacte laïque » à la fin des années 1980 (cf mon ouvrage Vers un nouveau pacte laïque en 1990). Cela a donné des boutons à plus d’un. Mais plusieurs (dont la Commission Stasi dans son rapport, meilleur que sa proposition de loi) ont repris l’idée. Une des citations que j’ai faite de Cabanel le montre. Et, l’économiste et l’historien libanais Georges Corm, dans son ouvrage La question religieuse au XXI° siècle, Géopolitique et crise de la postmodernité (La Découverte, 2006) conclut par un chapitre intitulé : Vers un pacte laïque international ?

Effectivement, ce n’est pas une laïcité exception française qu’il faut rechercher ou « préserver » des impuretés du dehors. Il faut prendre le grand vent du large et construire ensemble un pacte laïque international. C’est plus difficile, mais comme la peinture à l’huile, c’est bien plus beau que la laïcité-exception-française-peinture-à-l’eau 

Une autre fois je  tenterai de cerner ce que pourrais être ce pacte laïque international.

Maintenant, pour illustrer cette approche laïque, je vous présente un livre tout frais tout neuf : Entre religion et laïcité la voie française : XIXe-XXIe siècle, de Patrick Cabanel paru aux éditions Privat à Toulouse. Pour les Parisiens, j’en ai vu une pile chez Gibert, au 2ème étage. Je pense qu’on le trouve aussi à La Procure et (Paris et Province) dans les FNAC. Cela sans oublier les libraires sympas des « petites » librairies qui ne demandent qu’à le commander si jamais ils ne l’ont pas.

Ce livre est à la fois une approche laïque et de la religion et de la laïcité.

L’auteur commence par nous présenter 5 siècles (des guerres de religion à maintenant) où la « question religieuse » a abouti à diverses solutions. Belle mise en perspective qui ouvre ensuite, dans la première partie à des dossiers soit larges (la confessionnalisation catholique de la rue au XIXe siècle et sa laïcisation entre 1879 et 1914) soit précis (comme la « crise des inventaires » en 1906, dont il a été déjà question dans ce Blog, mais peu lors du centenaire de 1905).

Mais je ne vais pas vous donner la table des matières. Après avoir quand même particulièrement recommandé la dernière partie sur les « difficultés et paradoxes à l’exportation », je vais insister sur deux chapitres qui concernent la séparation, les chapitres 3 et 9, car ils sont très « parlant » pour aujourd’hui.

 

 

Le chapitre 3 insiste sur le fait que la séparation de 1905 a « été un choix tardif de la République », alors qu’elle l’avait inscrit sur son programme dés le départ. Pourtant elle « n’en voulait pas, quinze mois encore avant sa promulgation ». Ce n’est pas un hasard : « La tradition républicaine était à l’inverse du « séparatisme » que nous lui croyons naturel (…) Comme la monarchie très chrétienne, comme l’Empire de Napoléon, la République aimait (aime ?) à contrôler l’Eglise, quitte à en payer le prix au sens le plus matériel (…) ce qui l’inquiète, ce sont les religions complètement libres d’aller et de venir, surtout si leur centre est à l’extérieur du pays .» Ca c’est au début du chapitre, ensuite vient la (brillante) démonstration.

Bon sang, mais c’est bien sûr : toutes celles et ceux qui se gargarisent du mot « RRRRééépublique », ils sont ainsi : officiellement républicains séparatistes ; en fait républicains impériaux et/ou monarchistes, inquiets d’une véritable liberté de religion, de conscience. L’idéologie rrrééépublicaine cache mal, en fait, une idéologie nationale : le « gallicanisme », commun à la Monarchie absolue, au Ier Empire et à une certaine vision de la République. Cabanel traduit, avec justesse, « gallicanisme » par « nationalisme religieux ».

 

 

Après ce 1er paradoxe, Cabanel en en énonce un second : « la République n’en a pas moins réalisé la séparation » et l’a considérée comme « un des chapitres décisifs de son œuvre. Contre l’idéologie nationale-républicaine, il faut en appeler à la République, celle qui (parfois) se montre fidèle à ses principes et tient ses promesses.

Surtout que, troisième paradoxe, si la République « a manqué imposer une séparation très dure », elle a su finalement « ciseler un texte étonnamment ouvert ».  Oui, les projets de 1903 et 1904 étaient durs  (Cabanel parle de « mauvaise tentation »)et les débats qui ont eu lieu de l’automne 1904 au printemps 1905 ont fait faire à la République un chemin étonnant.

De cela, on peut tirer comme conséquences :

1° que la République n’est pas infaillible en matière de laïcité, on peut, on doit même parfois, la contester

2° qu’elle s’est montrée capable, en matière de laïcité, de se rendre compte qu’elle allait à une impasse, de faire machine arrière pour repartir du bon pied.

3° que, dans les défenseurs intrépides de la séparation, il y en a qui, en fait, se sont arrêtés aux projets de 1903-1904 ou en ont la nostalgie. Ils lisent la loi de 1905 en la tirant le plus possible vers les projets antérieurs.

4° de fait, les mauvaises habitudes ont parfois repris le dessus : une des mes étudiantes a trouvé, il y a quelques années, une note du Bureau des cultes du Ministère de l’Intérieur, datant de 1921, où il est écrit que la loi de séparation est « anti laïque », car trop libérale.

5° comme Cabanel le montre, les projets durs de 1903- 1904 (cf aussi  son très intéressant chapitre « Enigme du combisme et colère de Péguy ») n’étaient pas sans raison : l’affaire Dreyfus avait montré un visage antisémite et nationaliste du catholicisme dominant. De même, il ne faut pas être angélique et demander aux gens d’être des saints : les attentats qui ont lieu depuis 20 ans, même s’ils instrumentalisent l’islam au profit d’autres causes et sont des actions d’ultra minoritaires, créent une situation difficile.

 

 

Mais la séparation, face au danger ressenti, a été une œuvre de sang froid. Cabanel écrit : « la république à peine sortie de l’affaire Dreyfus a su dépasser les tentations de la haine qu’elle portait au cléricalisme et au péril qu’il faisait peser, à ses yeux, sur la France et la liberté ».

Il parle, à propos de l’article 4 de la loi de 1905 (dont il a été plusieurs fois question dans ce Blog) d’un « coup de génie conciliateur » et ajoute : que cet article, c’est « reconnaître la validité partielle des arguments de l’autre, c’est signer, même si on est le seul à le faire officiellement, un vrai « pacte » laïque »..

La laïcité, aujourd’hui, aurait bien besoin d’un « coup de génie » analogue.

Naturellement, la République, malgré sa personnification en belle Marianne, est une entité abstraite. Et donc, c’est parce que certains -Aristide Briand en tout premier- n’ont pas craint d’affronter l’idéologie républicaine (et dite « laïque ») dominante de leur temps que la séparation a pu être réussie.

Je serai moins long sur le chapitre 9, mais j’indiquerai qu’il montre de façon précise et en détail en quoi la loi de séparation, dés l’article 2 aboli les cultes reconnus sans les ignorer pour autant. Il n’y a pas de reconnaissance officielle, mais une reconnaissance au sens de connaître et de respecter. Mais il montre aussi que la dynamique de la loi permet d’ajouter d’autres cultes, au fur et à mesure qu’ils s’implantent en France et qu’ils regroupent un nombre consistant d’habitants de notre pays. Et il en est de même sur l’application « à la douceur » de la loi de 1905. Peut être Cabanel se montre-t-il optimiste, quant à la situation présente. Mais il trace une voie qui peut nous sortir de certaines impasses actuelles.

Vous êtes toujours là ? Ok : blague promise –blague due :

c’est l’histoire de 2 petites filles, de 5, 6 ans, mettons Véronique et Laura, qui jouent à la poupée et, en même temps, discutent. Véronique glousse et dit à Laura : "tu sais, mon grand frère ; il a trouvé un préservatif dans une église."

Ah que c’est drôle ! Les 2 petites filles gloussent ensemble.

Le soir venu, Laura dit à sa mère : « Tu sais maman, Véronique, elle m’a raconté une histoire, mais je n’ai pas bien compris. Dis, c’est quoi une église ? »

Votre dévoué

Jean Baubérot



[1] C. Kintzler, La république en question, Minerve, 1996, 83ss.

24/09/2007

TUER POUR EXISTER. Allègre et Lionel les "tontons flingueurs" boomerang.

Le meilleur du quotidien Le Monde, ce sont souvent les dessins de Plantu. Une de ses astuces pour nous offrir un dessin corrosif consiste à court-circuiter 2 événements de l’actualité. C’est ce qu’il a fait dans un numéro récent, celui du 20 septembre, où il télescope les déclarations de Kouchner sur l’Iran et le bras de fer entre Sarko et les syndicats sur les régimes spéciaux de retraite.

Or, en lisant ce numéro, moi aussi j’ai télescopé deux enquêtes : celle de la page 3 sur les « violences urbaines », à l’occasion du passage devant le tribunal des auteurs de l’incendie du bus de Marseille, et celle de Raphaëlle Bacqué sur Claude Allègre « tonton flingueur » (c’est l’expression employée par le titre) de la gauche en général et de Ségolène Royal (après Lionel Jospin et d’autres,…) en particulier. Cela occupait toute la page 17. Selon Le Monde, dans l’ouvrage qu’il vient de publier, Allègre « traite (Ségolène Royal) à longueur de pages de « Mme Michu », « égotique, impatiente, inconstante et incompétente ».

Les deux reportages m’ont fait également penser à une affaire datant d’il y a quelques années. Un homme avait fait irruption dans la salle où se tenait une séance du Conseil municipal de Nanterre, et il avait tué et blessé plusieurs conseillers municipaux. Quand on lui avait demandé ses raisons, il avait répondu (je cite approximativement de mémoire) que sa vie n’avait pas d’intérêt ni de saveur, qu’il s’emmerdait à cent sous de l’heure et donc qu’il avait tué pour se sentir exister.

Dans le cas d’Allègre et de Jospin, bien sûr, je ne fais pas de compaison personnelle avec la folie du tueur de Nanterre, il ne s’agit de tout autre chose: 'tuer' politiquement, métaphoriquement. Dans celui des incendieurs du bus, si une jeune femme a failli y passer et restera défigurée à vie, il n’y avait pas l’intention de tuer. Il n’empêche, le risque en était pris et la justification donnée par un d’entre eux est la suivante : « à Paris ils brûlent (des voitures) et ils passent à la télé. Ici on brûle (des voitures) et on ne passe pas à la télé ». Il faut donc en faire plus et se mettre à brûler un bus. L’objectif a d’ailleurs été atteint : « ils » sont passés à la télé, ce qui semble devenu pour beaucoup un critère d’existence.

En rapprochant la mise à mort politique et métaphorique de Ségolène et l’affaire du bus, en les comparant analogiquement  (au niveau du fonctionnement social, pas à celui des individus) à l’affaire de Nanterre, je ne me place nullement sur un plan moral. Je dis qu’il existe une analogie, et même un point commun. Chacun use des armes qu’il a (ou croit avoir) pour exister, en estimant que la meilleure façon d’exister consiste à frapper l’autre. D’ailleurs un propos d’Allègre lui-même corrobore mon intuition. Il déclare au Monde pour expliquer son attitude : « Si vous tenez un discours nuancé et subtil, vous ne pesez rien. Je suis donc entier. » CQFD !

Violence de langage, violence de comportement. La première ne tue donc que métaphoriquement, symboliquement, voire (si elle atteint son objectif) détruit le rôle social de la personne visée. Pour Claude, Lionel et quelques autres, le but explicite est clair : éviter que le ‘cauchemar’ de la candidature, pour eux illégitime, de Ségolène Royal en 2007 ne se reproduise en 2012.

Pour cela il faut la ‘flinguer’ sans « discours nuancé et subtil », c'est-à-dire sans discours qui vise à la véracité, à rendre compte de la réalité dans sa diversité, à tenter de cerner la complexité d’une personne. Il s’agit, encore une fois, métaphoriquement, de tuer (et « qui veut noyer son chien l’accuse de la rage » me rappelait ma grand-mère paysanne, qui était pleine de bon sens). Et c’est en tuant qu’on existe (médiatiquement s’entend), qu’on « pèse » quelque chose : Allègre a droit à une page ; Jospin, qualifié de « procureur » fait la une du Monde 2 du 22 septembre. Avec un « discours nuancé et subtil », l’un et l’autre n’aurait eu droit à « rien », cela aurait été, en effet, un non événement médiatique. Or quand on a été sous les sunlight, il est intolérable de vivre dans l’ombre.

Puisqu’on reste dans la métaphore, la personne visée (tuée) restera physiquement indemne. Ses blessures ne seront « que » morales (au sens, encore utilisé, de ‘personne morale’ opposée à ‘personne physique’). Il n’y a donc rien là qui s’apparente, de prés ou de loin à un délit, au contraire de l’action de brûler un bus où de tuer des conseillers municipaux. On est dans l’action socialement légitime. Elle n’est pourtant pas sans conséquences, qui dépassent de loin la personne visée car elle contribue à un modèle de société.

En effet, on est dans la violence, dans la violence qui rapporte et Allègre reconnaît lui-même volontiers cette violence, car après avoir déclaré « je suis donc entier », il ajoute « d’ailleurs le jour où j’écrirai mon autobiographie, je serai très violent à mon égard ». Bien sûr, on a envie de lui rétorquer : « chiche ». Et même de lui dire « j’te crois, menteur ». En tout cas de constater que jusqu’à présent, il n’a été que violent envers les autres, et dans l’auto-satisfaction de lui-même. Mais encore une fois, je ne me place pas du tout au niveau de l’indignation morale. Et, j’indiquerai pourquoi plus loin, Allègre, je l’aimais bien quand j’étais au ministère, dans le Cabinet de Ségolène. Cependant, in fine, je vais aussi lui donner quelques idées pour tenir sa promesse.

Non, il ne s’agit pas de morale, mais de décrypter des points aveugle de la société.

A ce niveau, je ferai quelques remarques

La première est que la maîtrise du langage, celle qui permet notamment de se montrer violent au niveau du discours, d’avoir (comme on dit) des « formules assassines » n’est pas donnée à tout le monde. C’est une violence de privilégiés (et par la culture et par leur accès aux médias), qui peuvent la déployer en toute impunité (ils savent en plus très bien où est la frontière du diffamatoire et, courageux mais pas téméraires, ne s’aventurent pas à franchir cette limite). Mais la parole est, elle aussi, acte.

Peut-être la violence des comportements (punissable, elle) est-elle souvent une violence par défaut. Une violence de ceux dont l’accès à la brillance langagière (et à la parole publique) est bloquée. Encore une fois les deux violences comportent des aspects analogues.

 Seconde remarque, maîtriser le langage ne conduit pas ipso facto à se montrer violent, à vouloir tuer métaphoriquement l’autre. Il peut conduire à créer, à écrire des poèmes, une thèse, etc.

Si vous êtes poète, je vous conseille très vivement d’avoir un autre métier pour ne pas crever de faim. Si vous rédigez une thèse, cela va vous prendre (en sciences humaines en tout cas) de 4 à 6 ans, souvent sans soutien financier (ou pendant 2 ans seulement). Il faudra publier des articles, participer (parfois à vos frais) à des colloques, pour avoir un CV. Ensuite, il faudra tirer des exemplaires de votre thèse (à vos frais), soutenir, obtenir la meilleure mention si possible. Le parcours du combattant continue, puisqu’une thèse donne droit…. à candidater à l’inscription, par le CNU, sur la liste d’aptitude au poste de Maître de conférences.

Accepté, il vous faudra candidater à des postes mis au concours. Cela signifie, chaque fois, constituer un dossier, se déplacer, à vos frais (si vous avez la chance d’être auditionné : quelques personnes sur 50 à plus de 100 candidats). Ne pas vous décourager surtout, si vous arrivez en 2ème ou 3ème position à un poste (s’il y a eu 103 candidats, c’est un beau résultat, mais qui ne vous donne rien !). Et si jamais l’excellence de votre travail + de la chance, vous permet de devenir (enfin) Maître de conf., alors là, c’est la gloire : pensez, vous allez gagner 1300 € par mois. Byzance !

Mais tout cela est bien de votre faute : une thèse est un « discours nuancé et subtil » !

Ah non, j’oubliais, il existe de très mauvaises thèses, qui n’ont rien de « subtil », croyez moi. Celle du révisionniste Faurisson, par exemple. Et là, les médias s’en emparent. Bien sûr, ils dénoncent, mais chacun le sait : quand on est attaqué, on existe. Quand c’est le silence, « on ne pèse rien ».

 

 

Alors, troisième remarque, les « tonton flingueurs » pullulent, des hommes politiques aux animateurs de la télé. Et ils n’ont pas besoin d’avoir du talent pour gagner beaucoup plus en cachet ou droits d’auteurs qu’un maître de conf. après des années de galère. Dénoncer l’école comme « fabrique du crétin » induit une certaine gloire médiatique. Ecrire un ouvrage « nuancé et subtil » sur les maux de l’école et les pistes pour y trouver des remèdes, plusieurs le font, mais ils ne sont pas connus et le débat social ne s’organise pas autour d’eux.

Il en est de même de la laïcité : pour faire de l’audimat, inutile de se décarcasser pour chercher comment répondre aux défis du XXIe siècle, il suffit de fustiger l’intégrisme, le communautarisme, l’obscurantisme,… A tous les coups les gogos applaudissent, en redemandent.

 

 

L’époque est donc, quatrième remarque, aux tueurs, aux « tontons flingueurs », et autres « procureurs », pas à celles et ceux qui tentent de construire du sens. Quitte à ce que l’on se désole de la « perte des repères », de la montée de la délinquance, des violences. Mais ces réalités ne sont elles pas construites par ceux là même qui s’en désolent ?

La gauche rattache les violences aux injustices sociales. Certes. Mais une telle analyse est un peu courte. Ce n’est pas seulement à un niveau socio-économique, c’est aussi (c’est « surtout » dirait Durkheim) à un niveau socio-symbolique que la société française actuelle (et d’autres aussi bien sûr) produit de la violence. Elle produit de la violence en produisant massivement, à la chaîne, de l’insignifiance, en la mettant en spectacle, « sous vos applaudissement » aurait dit Jacques Martin ; en faisant croire que cette insignifiance violente est le cœur même de la réalité sociale, celle qui mérite qu’on en parle.

Et encore, elle a bien de la chance cette société, elle a bien de la chance que des jeunes gens continuent à se crever pour écrire des thèses, malgré tout; bien de la chance que certains rédigent des manuscrits « nuancés et subtils », quitte à galérer pour trouver un éditeur. Que beaucoup de personnes, de mille façons, acceptent de ne « rien peser » socialement et construisent encore du sens. Tout cela font que les choses vont moins mal qu’elles ne devraient aller étant donné la logique sociale dominante.

 

Mais jusqu’à quand en sera-t-il ainsi ?

En 15, 20 ans, le seuil de rentabilité d’un livre a pratiquement doublé tandis que sa durée d’exposition dans les librairies a bien diminué de moitié. D’où des livres vite écrits, vite consommés, vite mis au tri sélectif. D’où des livres qui se recopient les uns les autres (cf. beaucoup des ouvrages parus lors de la campagne électorale). Et dans cette inflation d’ouvrage véhiculant de la non pensée, ce sont (bien sûr) les ouvrages flingueurs qui gagnent.

Jusqu’à quand, alors, on ne sera pas tous pris dans l’engrenage des tueurs et de ceux qui les flattent ? Dans l’engrenage de ceux qui flinguent, parce qu’ils n’arrivent pas à exister autrement. Jusqu’à quand pourrons nous résister à ce terrible engrenage ? Jusqu’à quand pourra-t-on peser quand même un tout petit quelque chose, faire entendre une toute petite voix signifiante, au milieu de tant de bruits et de fureurs ?

Allègre, Jospin, « tontons flingueurs de la gauche », oui et bien plus que l’auteur de la manchette ne le croit : tontons flingueurs de toutes les espérances que la gauche a porté : une société un peu plus humaine.

1er PS : Maintenant, pour montrer que la réalité n’est pas univoque, j’indique (comme je l’ai annoncé) pourquoi j’ai bien apprécié Allègre quand j’était au Cabinet de Ségolène Royal.

D’abord, il faut dire qu’Allègre, je le connaissais un peu. Il avait été conseiller de Jospin quand ce dernier était ministre de l’éducation nationale. Et comme j’avais des responsabilités universitaires, j’avais fait partie de délégations qui « négociaient » (si l’on peut dire, car ses propos étaient surtout des dictats) avec lui. Et, Allègre, je lui avais donné un surnom : « Kollossalle finesse » (expression de Francis Blanche dans le film Babette s’en va en guerre).

Bon, je le retrouve comme ministre (S. Royal était « ministre déléguée » du même ministère ; ce qui est virtuellement conflictuel[1]) et je l’observe, lui parle de façon plus régulière et dans un tout autre contexte.

D'abord, dans cette nouvelle situation, les rapports sont moins institutionnels et plus personnels. Ensuite, je m’aperçois qu’Allègre est capable du meilleur comme du pire. Le meilleur est, outre la capacité d’analyse globale, notamment, une vision à long terme. Allègre, vous pouviez lui dire (cela m’est arrivé) : il faut tenter une inflexion dans tel domaine, car ce domaine deviendra essentiel dans la seconde moitié du XXIe siècle, vous l’intéressiez beaucoup.

Dans son Cabinet, était composé (en gros) de 2 catégories de personnes : des jeunes femmes, que j’appellais les « superwomen » et ses amis-collègue que j’appelais sa « meute » Parfois, les réunion de Cabinet ressemblaient un peu à un happening. Dans la 1ère partie de la réunion, les superwomen lançaient mille idées, qui fusaient en tout sens. A un moment donné, le chef de meute (Vincent Courtillot) sifflait la fin de la récréation, et les membres de la meute triaient ce qu’il ‘fallait’ retenir du bouillonnement précédent.

En définitive, Allègre m’a fait pensé à ce que j’ai pu lire du déséquilibre des surdoués. Surdoué, donc en partie  visionnaire incompris, sur certains points ; mais obtus, fermé sur d’autres.

Bref, il était toujours « Kollossale finesse », mais j’avais découvert la finesse, sous la carapace du « Kollossale ». Et j’ai appris à l’apprécier. Au total, je l’aimais bien.

 

 

2ème PS. Allègre affirme souhaiter écrire son autobiographie en se montrant « très violent » avec lui-même. OK, de façon bénévole et complètement désintéressée, je vais l’aider un peu. Cela s’appelle « rafraîchir la mémoire ».

Claude rappelle toi : Ségolène Royal et son Cabinet passaient une bonne partie de leur temps et de leur énergie à tenter de rattraper tes bourdes. Ségolène Royal s’est usée à rattraper les choses, maintenir le contact avec les enseignants, avancer (malgré tout) avec eux. Et quand elle a fait cela (Lionel, tu devrais aussi lui en avoir une certaine reconnaissance, sinon la coupure entre les enseignants et la gauche en aurait été encore plus forte), elle ne s'est certes pas montrée « égotique, impatiente, inconstante et incompétente. » Beaucoup moins en tout cas que Monsieur Claude... Michu, qui avait provoqué moult dégâts.

Mais étaient-ce des bourdes ? Non et oui. Non car, semble-t-il, ces propos faisaient partie (déjà) de la stratégie du « tonton flingueur » : selon Le Monde, Allègre affirmait alors, à propos des profs : « J’les engueule et j’prends 25 points dans les sondages ». Bref, nuance et subtilité n'ont jamais été son fort.

Oui, car de kolossales bourdes, il lui arrivait d’en faire qui ne le rendaient même pas forcément populaire. Je me souviens d’un discours particulièrement à côté de la plaque. La plaisanterie qui circulait ensuite dans le Cabinet, c’était : « Quel est le con qui a écrit le discours du ministre ? Réponse: Il arrive que Monsieur le ministre fasse ses discours tout seul ». Cette vanne là, « Monsieur Michu », la citeras tu dans tes Mémoires ?


[1] Dans le Cabinet Raffarin, Luc Ferry et Xavier Darcos ont été dans la même situation. Et je me rappelle un article de Libération parlant des tensions entre eux deux. Vous remplaciez Ferry par Allègre, Darcos par Royal, et vous aviez une très bonne description de ce qui s’était passé sous Jospin ; à la fois (sans doute) à cause des ambiguïtés de ce double rôle de ministre et de ministre délégué, sans que le champ des compétences soit nettement défini, et parce qu’il y a une analogie entre le profil d’Allègre et de Ferry d’une part, de Royal et de Darcos de l’autre.

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17/09/2007

NOUVELLES, LA MEDECINE CONTRE LES FEMMES

D’abord quelques nouvelles.

 

1) Je reviens du Mexique où, outre ma présence à l’Université de Guadalajara qui célébrait les 10 ans de la chaire Durkheim, j’ai participé à une session, organisée par une institution prestigieuse « El Colegio de Mexico » et intitulée (je traduis) : « Encouragement à la connaissance des libertés de la laïcité ».

Si je vous en parle, c’est parce qu’on croit toujours (plus ou moins, et, souvent, plutôt plus que moins) qu’il n’y a qu’en France que l’on s’intéresse à la laïcité. Or, là, pendant 15 jours, bien pleins, des étudiants et des responsables associatifs (mouvements démocratiques, mouvements de femmes, etc) de divers pays d’Amérique latine, reçoivent une formation à la laïcité, une formation de haut niveau. Il y a eu déjà d’autres sessions de ce type, soit à Mexico, soit dans d’autres pays d’Amérique latine (Chili, Brésil, Pérou, etc) et cela va continuer en 2008.

En fait, je ne connais pas d’équivalent en France à des telles sessions (imaginez des sessions qui réuniraient étudiants et responsables associatifs de différents pays d’Europe, avec des professeurs de différents continents)

Pour celles et ceux qui lisent l’espagnol (ou qui connaîtraient des gens qui…), je signale le site internet : http://libertadeslaicas.org.mx

Le débat sur la laïcité est particulièrement actif dans certains pays latino-américains, notamment la Bolivie, où on se demande s’il faut séparer l’Etat et les Eglises.

 

2) Rentrant chez moi, je trouve dans mon courrier un petit ouvrage de poche (128 pages) Sociologie des religions, Armand Colin, rédigé par deux jeunes chercheurs Olivier Bobineau et Sébastien Tank-Storper. C’est à la fois une présentation très commode des études actuelles en sociologie des religions (et l’approche sociologique de la laïcité n’est pas oubliée) et un ouvrage où l’on perçoit une perspective propre aux auteurs, ce qui contribue à l’intérêt du livre. La perspective donne, naturellement, matière à débat et après l’avoir lu plus attentivement, j’en reparlerai peut-être. Mais je voulais dés à présent vous le signaler.

 

3) Je continuerai la Note du 8 septembre, « Pour une approche laïque de la religion », la semaine prochaine. Je partirai en répondant au commentaire de Pierre Delmas, à propos des « valeurs partagées »,  ensuite j’ai plusieurs autres choses à dire.

Mais, pour le moment, voici la suite du feuilleton de l’été (qui prendra fin à la fin du mois) sur la médecine. Deux mots pour indiquer que ce feuilleton a, pour moi, un triple but.

D’abord, un objectif informatif : il est toujours intéressant de connaître l’historique d’une question, dans une société qui aplatit le temps.

Ensuite, il s’agit de dénicher des points aveugles, des impensées : notre société nous bassine avec le « devoir de mémoire », mais oublie très facilement tout ce qui la dérange. Sa mémoire est très amnésique. On nous bassine maintenant avec la laïcité menacée à l’hôpital. Fort bien, mais alors pourquoi n’aurait-on pas un « devoir de mémoire » sur ce sujet ?

Enfin, en examinant comment on a argumenté dans le passé, on apprend à résister aux arguments de l’idéologie dominante. Le but est de prendre de la distance à l’égard de tous les arguments qui en restent au premier degrés, qui veulent nous faire prendre des vessies pour des lanternes, de la bêtise ou du sectarisme pour de la laïcité.

 

Bon, je reprends, en gros, où nous nous étions arrêtés : l’émergence du métier d’infirmière, à la fin du XIXe siècle, dans le cadre d’une laïcisation de l’hôpital.

J’écrivais que, pour les médecins, il faut disposer de femmes d’une certaine compétence tout en évitant les « empiètements de demi-savantes ».

Ces d’ailleurs une des raisons qui font que des médecins souhaitent réserver cette profession  d’infirmières aux femmes (Commission spéciale de médecins en 1899 nommés pour élaborer un programme d’enseignement se prononce dans ce sens). Les infirmiers, pour pouvoir continuer à exercer leur profession mettent en avant un double problème de pudeur : celle des infirmières qui (si la profession devient exclusivement féminine) vont aller dans les salles des hommes et celle des malades hommes qui vont recevoir des soins des infirmières femmes.

Mais les arguments de pudeur ne sont plus reçus par les médecins, du moins excepté pour s’opposer à l’accès des femmes aux professions médicales ( style d’arguments : « beaucoup de maladies propres à l’homme sont de nature à ne pouvoir ni être vue ni être étudiées par les femmes » argumente le Dictionnaire Encyclopédique des sciences médicales, et des médecins se demandent comment une étudiante en médecine pourrait examiner des organes génitaux masculins, en présence en plus d’étudiants de l’autre sexe ?).

 

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Existe alors un double problème celui de la marginalisation des sages femmes par les médecins de celui de l’accès des femmes à la profession médicale

Longtemps au cours du XIXe siècle, les sages-femmes ont maintenu leur influence à cause (précisément) de l’argument de la pudeur. Cet argument était en général admis par les médecins tant que les accouchements dans les hôpitaux créaient des hécatombes à cause de la fièvre puerpérales. Certes, les médecins avaient besoin d’un certain contingent de femmes à accoucher à l’hôpital, malgré cette forte mortalité, pour pouvoir enseigner l’obstétrique à leurs étudiants. Mais, pour le reste, les médecins laissaient faire les sages-femmes dont les accouchements étaient beaucoup moins meurtriers, puisqu’ils s’effectuaient à domicile.

Mais, la « révolution pasteurienne » permet d’éviter l’infection.  La mortalité de la maternité de Paris qui était pratiquement de 10% tombe en 20 ans (de 1869 à 1889) à 0,3%. Il se crée alors un corps de médecins - accoucheurs qui fait progressivement décliner le nombre de sages-femmes dans les villes, dés lors que celles-ci ne peuvent devenir elles-mêmes médecins. Celles qui subsistent vont devenir peu à peu  des auxiliaires médicales.

« Les femmes frustrées du savoir sur leur propre corps sont désormais livrées à la seule compétence masculine » écrivent Yvonne Knibiehler et Catherine Fouquet (historiennes de la médecine) dans La femme et les médecins (Hachette, 1983, 183) qui se demandent si cela ne manifeste pas un « désir de s’emparer totalement du ventre des femmes pour mieux s’emparer de la fonction de reproduction ».

 

 Second problème : l’accès des femmes à la profession médicale avait été soulevé par l’Impératrice Eugénie (sous le Second Empire). Eugénie était impressionnée par l’existence de médecins femmes britanniques (pas très nombreuses cependant dans les années 1860), dont certaines exercent dans les colonies et deviennent un argument promotionnel en faveur de la colonisation par les britanniques (plutôt que par les Français). Aux Etats-Unis, il y avait déjà des centaines de femmes médecins et une école de médecine à Boston avait été créée en 1856 pour les former.

L’Impératrice soutient une Société pour l’instruction médicale des femmes, mais elle se heurte à un refus des médecins. Elle obtient cependant une dérogation, en 1865, pour que Mlle Reingguer de la Lime, titulaires de 2 bacs, puissent s’inscrire à la Faculté de médecine d’Alger, afin que des femmes algériennes puissent bénéficier des « bienfaits de la science médicale ».

 

Toute une polémique éclate alors dans les organes de presse en 1866 et 1867. Le « docteur » Delasiauve attire l’attention sur la concurrence que cela va entraîner : si on permet aux femmes de devenir médecins, il faudra alors abandonner à ces médecins femmes « le soin des filles et des femmes » et se limiter à soigner « les maris et les garçons ». Des lectrices répliquent que des femmes n’ont nulle envie de se faire examiner par un homme. Certains médecins rétorquent alors que la réserve des patientes est due à la « susceptibilité des époux » (Y.K-C.F, p. 195). Autrement dit, on trouve déjà l’argument utilisé aujourd’hui contre les femmes dites « musulmanes » !

L’Impératrice arrive cependant à ce que Madeleine Brès puisse s’inscrire à la fac de médecine de Paris où elle soutiendra en 1875 une thèse Sur la mamelle et l’allaitement.

 

Une autre femme, Blanche Edwards va être une pionnière : elle déclenche de très violentes polémiques quant elle se présente à l’externat en 1881 et à l’internat en 1884. Des arguments de morale et d’incapacité intellectuelle sont invoqués contre elle.

Paul Bert réplique en disant que pour ces médecins « un concours est un excellent critérium de valeur intellectuelle quand il s’agit des hommes, mais ne vaut pas le diable quand il s’agit des femmes. » (Le Voltaire, 29 sept. 1884). Il affirme ironiquement ne pas comprendre les médecins : puisque les femmes sont des incapables, elles échoueront aux concours ; pourquoi dés lors ne pas les laisser s’y présenter !

 L’Académie de médecine rétorque que peut-être, on ne peut pas exclure que des femmes vont réussir les dits concours. Mais, vu le cerveau des faibles femmes, cela ne pourra être qu’au prix d’un surmenage. Et le surmenage va créer chez les femmes de la stérilité ! Bref, faire des études de médecine va contre la « nature » des femmes. Fais des enfants et ne pense pas !

 Blanche Edwards est reçue en 1886 à l’internat et sera, en 1891, la 1ère femme professeure à l’école d’infirmière de la Salpétrière. On n’allait quand même pas la faire enseigner dans une faculté de médecine ; il y a des limites au laxisme, non ?

En fait les femmes arriveront à se glisser peu à peu dans la profession médicale, notamment parce qu’elles seront utilisées par diverses administrations comme les lycées de jeunes-filles, les PTT, les orphelinats, les bureaux de bienfaisance pour soigner des femmes et des enfants (notamment des consultations de nourrissons)

La laïcisation de la médecine, s’est donc faite globalement contre les femmes. Mais celles-ci ont fini par gagner.

 

Avec la laïcisation du personnel infirmier (que nous avons vu), il faudrait étudier (cela est encore peu connu) la laïcisation des lieux : d’une part l’enlèvement des crucifix, d’autre part la place de la chapelle dans l’hôpital. Il n’y a pas de chapelle à l’hôpital de la Pitié, construit à Paris en 1911, mais il y en a une à l’hôpital de Grange-Blanche (1933) à Lyon  et Herriot l’avait défendue en arguant qu’on ne pouvait avoir un personnel religieux à l’hôpital « sans lui donner les moyens de remplir ses devoirs religieux » (cité par Ch. Chevandrier, p. 384). En fait sur ce point, il semble qu’un processus de sécularisation l’ait emporté sur la laïcisation, ou ait rendu  une laïcisation forte moins nécessaire : la salle d’opération aseptique, avec son décor étrange, ses instruments uniformes remplace la chapelle comme le centre de l’hôpital, son lieu rituel par excellence.

La réussite de la médecine  entraîne une accommodation de l’Eglise catholique aux normes et aux contraintes médicales modernes. Une société, fondée à la fin du XIXe siècle (1884), active au XXe siècle, joue un grand rôle dans cette progressive acclimatation : il s’agit de la Société médicale Saint-Luc, Saint-Côme et Saint-Damien, fondée en 1884 et qui publie un Bulletin quelques années plus tard.

Remarquons que la référence à des saints guérisseurs sert à accepter, en fait, une certaine sécularisation de la pratique médicale : tout en recherchant le concordisme, c'est-à-dire un accord entre la science et la religion (but explicite : « étude et recherche de la science en accord avec les décisions du Saint Siège et de l’Eglise catholique »), elle permet une acclimatation à la médecine (par exemple, elle va se déclarer favorable à la fécondation artificielle en 1895.

La Société est aussi le lieu d’une intéressante confrontation entre clercs médicaux et clercs religieux (chanoines, jésuites,…). Chaque clerc ayant tendance à contester l'autre, cela produit de la réflexion à un moment où il y en a fort peu dans l'institution médicale, triomphante, pleine de certitudes.

Bref une institution qui se croit laïque, fer de lance de la laïcité même, mais qui l'est fort peu (laïque) car elle tend à se sacraliser elle même.

 

 La Société médicale saint Luc (etc) permet une réflexion sur des problèmes que peut soulever le développement de l’interventionnisme médical sur le corps humain et du pouvoir qui lui est lié dilemmes entre valeurs médicales et valeurs non médicales (ainsi « faut-il dire la vérité aux malades » est un de ces principaux sujets de débat, on parle également du « toucher vaginal des vierges » ) à une époque où le corps médical a tendance à ne se soucier que d'efficacité médicale.

Notons que sur la question de "la vérité à dire aux malades", les médecins français se sont montrés beaucoup plus menteurs que les Britanniques pa exemple. Ils ont eu tendance à considérer les malades commes des mineurs.

On me dira, c'est de l'histoire ancienne. Voire! Certes, les médecins ne se croient plus tout puissants (en génral). Certains d'entre eux considèrent leurs patients comme des adultes. Mais les réflexes de cléricalisme médical imprègent encore l'institution et beaucoup de ses membres.

 

A suivre.

08/09/2007

POUR UNE APPROCHE LAÏQUE DE LA RELIGION

Les internautes assidus du Blog ont lus, à diverses reprises, dans les Commentaires, des attaques, parfois injurieuses voire calomnieuses, parfois involontairement comiques, me visant. Elles tendaient toutes finalement à me refuser le droit de parler de « laïcité » parce que je suis protestant, ce qui confond laïcité et athéisme et implique une conception antireligieuse de la laïcité.  

Je n’ai pas répondu. Mais quelques internautes ont souhaité, sans hargne, en savoir plus, voire que parle un peu de moi et quelqu’un m’a posé la question : « peut-on être rationnel et religieux ? ». je vous ai donc annoncé la semaine dernière une Note sur ce sujet.

 

 

J’ai voulu réaliser une Note sans prétention, jetant quelques idées. Le moment me paraissait opportun puis que, comme je l’ai annoncé la semaine dernière, sortent plusieurs livres d’histoire des religions où je suis impliqué :

- une Petite histoire du judaïsme, de Jean Christophe Attias et Esther Benbassa

- une Petite histoire de l’islam, de Mohammad Ali Amir-Moezzi et Pierre Lory,

Toutes deux dans la collection « Petite histoire des religions », dont je suis le directeur, chez Librio (livres de poche à 2 €, cf.www.librio.net)

Et une Histoire du protestantisme, qui est la 6ème édition refondue retravaillée d’un « Que sais-je ? » dont j’ai écrit la 1ère édition en 1987.

De plus je rédige actuellement une Petite histoire du christianisme, qui paraîtra en février 2008 (avec une Petite histoire du bouddhisme de J.-N. Robert), toujours pour Librio.

 

 

J’ai donc accablé mon ordinateur de réflexions diverses sur les rapports entre théologie et philosophie, car cela me semblait une introduction indispensable à la question. Mais je me suis pris la tête et, rapidement, j’ai été très insatisfait de ce que je tapais. Trop allusif, trop sommaire, trop ceci, trop cela. Et je n’avais pas le temps de corriger le tir.

Comme, lors d’une intervention à une Rencontre, j’avais parlé (un peu spontanément) d’une approche laïque des religions, j’ai dévié vers ce sujet. Après tout c’est une autre façon de prendre le problème. Comme je suis volontiers ruminant, être rationnel et religieux reviendra certainement un jour ou l’autre dans ce Blog. D’ailleurs, certainement, je reparlerai aussi de l’approche laïque de la religion.

 

 

La rencontre en question, organisée par la revue Passages, portait sur les problèmes euro méditerranéens. Le constat du président de séance était que la laïcité se trouvait actuellement mise à mal. J’ai donc commencé par opposer le temps historique au temps politique. Le second tend à borner son horizon à l’avenir prévisible des prochaines années. Le premier se situe à l’échelle de plusieurs décennies, d’un siècle, voire plus. Il perçoit donc un autre horizon.

Quand l’horizon du temps politique semble bouché, il faut délibérément se situer dans le temps historique. Non pour fuir la réalité présente. Mais parce qu’en agissant au niveau du temps historique, on peut créer un autre temps politique.

 

C’est le pari de Jaurès en 1904-1905. L’Eglise catholique est alors « monarchique » (dit-elle elle-même) dogmatique, rigide. Elle se sent menacée et elle est donc farouchement opposée à la laïcité, à la séparation des Eglises et de l’Etat. Face à cela, le Bloc des gauches mène une guerre laïque, qui ne fait qu’empirer les choses. Jaurès, qui a été (suite à l’affaire Dreyfus) partisan de cette action conflictuelle républicaine, comprend qu’absolutiser la laïcité (on parlais alors de « laïcité intégrale ») entraîne la minoration des questions sociales, alors que (pour lui) les 2 sont inséparables.

Il prône (avec Briand) alors une stratégie qui a une part d’utopie : considérer qu’une séparation libérale, où l’Eglise catholique verra qu’elle peut vivre séparée de l’Etat, permettra à terme une acclimatation du catholicisme à la laïcité. Mais cela implique de réaliser la séparation en bonne part comme si l’Eglise catholique n’était pas dangereuse, comme si elle était déjà presque acclimatée. Bien sûr, sans naïveté : en ayant des gardes fous sur les points clefs de l’ordre démocratique, mais en se montrant très accommodant sur des aspects essentiels pour le catholicisme et, finalement (une fois que l’on a fait un travail critique, déconstruisant sa propre idéologie), secondaire pour la République laïque.

Jaurès s’est situé délibérément dans le temps historique pour débloquer le temps politique, pour pouvoir faire virer le temps politique, de la guerre des deux France à la paix laïque.

Ce n’était pas de l’angélisme. Et, contrairement à ce que croient les néo-républicains actuels, la position que je défends n’est ni naïve ni angélique. Elle correspond, au contraire, à une stratégie bien précise : parler de « laïcité inclusive », c’est dire qu’il faut réussir à isoler les extrémistes religieux, et qu’il faut les rendre peu attractifs.

 

Cette laïcité inclusive est aussi une laïcité critique : le dit président de séance a rappelé, à juste titre, qu’au moment de la décolonisation il y a eu des courants laïques importants au Moyen-Orient. Mais ces courants laïques, ne l’étaient-ils pas que partiellement, car ils n’étaient pas toujours (loin de là), et c’est un euphémisme, des courants démocratiques. Cela a été le problème du Baas irakien qui protégeait les minorités chrétiennes mais persécutait la majorité chiite. Et c’est le problème, aujourd’hui encore, les laïques kémalistes turcs.

A partir du moment où l’on dit que la laïcité n’est pas une anti ou une contre religion, il faut en tirer les conséquences. Il faut cesser de confondre laïcité et religion civile à la Rousseau. Le philosophe l’a clairement dit : une religion civile a ses « dogmes », même s’ils ne portent pas sur l’au-delà, mais sur la manière de faire société. Il s’agit de « dogmes » dans la mesure où ce sont (plus ou moins) des croyances sociales imposées.

 

On n’échappe pas facilement à la religion civile dans la mesure où aucune société n’est une simple juxtaposition d’individus et que le lien social a toujours ses contraintes. La société cherche toujours à sacraliser le lien social (Durkheim l’a magnifiquement vu, mais l’a trop accepté). C’est une condition de cohérence et de stabilité.

Qu’il y ait de la religion civile dans une société démocratique n’a rien de honteux. Mais il fait partie du cahier des charges de la laïcité que la religion civile ne se transforme pas en religion religieuse, si je puis dire. En religion politique. Il faut maintenir, dans la religion civile, la tension entre les 2 termes. Autrement dit, les valeurs sur lesquelles se fonde la société doivent être des valeurs partagées et non des valeurs communes.

La nuance peut apparaître subtile, elle est importante. Les règles sont communes (style le Code de la route). On doit les appliquer telles quelles. Les valeurs partagées doivent toujours être objet de réflexivité et de débat.

Un philosophe laïque, lors d’une table ronde, a cru me réfuter en disant que la laïcité n’avait pas à changer car elle était une facette de la liberté qui avait toujours le même contenu. Je me demande franchement s’il ne s’est pas rendu compte qu’il disait une bêtise au moment même où il s’exprimait (cela arrive à des gens très bien : bibi par exemple !). En tout cas je n’ai eu aucune peine à montrer que l’on ne se représentait la liberté de la même manière il y a 100 ans et aujourd’hui.

Et aujourd’hui où l’on met en avant la notion de dignité de l’être humain, il devrait avoir un débat beaucoup plus explicite sur ce qu’implique cette valeur partagée.

 

De même, l’égalité femme-homme est une valeur partagée. Sa représentation doit être objet de débat. Une interprétation univoque ne doit pas être imposée comme obligatoire. Pour prendre l’exemple du débat sur la parité, on a bien vu alors 2 conceptions de l’égalité femme-homme s’affronter, entre les adversaires (néo-républicains) et les partisans de la parité. La loi sur la parité est devenue règle commune ; mais la parité ne doit pas s’imposer comme valeur commune pour autant. Personnellement j’y suis favorable ; mais j’estime aussi que les arguments des adversaires de la parité ne sont pas sans valeur et qu’il ne faut pas les oublier dans la mise en œuvre même de la parité.

 

Autrement dit, la laïcité se distingue de la religion civile en estimant que les valeurs fondatrices du lien social ne doivent pas être des « dogmes » et que l’instauration de règles communes ne clôt pas le débat. Débat, contestation, réinterprétation, mise en lumière de paradoxes, de contradictions, d’impensés sont nécessaires pour ne pas rigidifier la réalité sociale, aboutir à une religion sociale implicite.

Durkheim a eu raison comme sociologue en montrant le mouvement de constitution même de la société comme mouvement de sacralisation. Il a eu tort comme laïque de légitimer ce mouvement, et de ne pas indiquer qu’une désacralisation était également nécessaire. Il a d’ailleurs eu tort comme sociologue aussi, car chaque société a peu ou prou ses hérétiques, et c’est grâce à eux qu’elle peut changer. La laïcité commence peut-être quand on ne brûle plus les hérétiques !

 

Tel est aussi le paradoxe démocratique : des valeurs fondatrices, mais toujours soumise à la réflexivité et au débat.

Il en est de même de la laïcité. C’est pourquoi, il faut rechercher une laïcité roseau et non une laïcité chêne. Jean de la Fontaine l’avait déjà compris : le roseau affronte mieux la tempête que le chêne. Mais, dans un premier temps, le chêne impressionne et le roseau est objet de condescendance ou de mépris.

 

D’un point de vue laïque, non seulement la laïcité change, mais les religions changent aussi. Change également la manière de se les représenter. L’approche laïque des religion doit rompre avec tout essentialisme : ne pas considérer un islam éternel, un christianisme éternel, un bouddhisme éternel, etc.

Je tiens à insister sur le double aspect : changement de la religion ; changement de la représentation de la religion. Il y a un siècle, ou un peu plus (temps historique !), la représentation dominante de l’islam et du christianisme chez les laïques était l’inverse de ce qu’elle est aujourd’hui.

Alors, on considérait l’islam comme moins intolérant que le christianisme (les Eglises chrétiennes ‘dissidentes’ -nestoriennes ou monophysites- du Proche Orient ont accueilli l’arrivée des musulmans avec soulagement car ils étaient persécutés par l’Empire chrétien byzantin ; la présence de minorités juives et chrétiennes dans l’Empire ottoman était mise en contraste avec l’Inquisition) ; moins obscurantiste (la sobriété dogmatique de l’islam était mise en contraste avec les dogmes chrétiens et notamment catholiques) et plus laïque, moins clérical (on disait : «  l’islam ignore le clergé », versus la hiérarchie catholique romaine). Celui-ci tiendrait un tel discours aujourd’hui ne serait pas socialement crédible, en France en tout cas.

 

Aujourd’hui, il n'existe pratiquement pas de conférence sur la laïcité dans ce pays sans que l’on vous sorte le stéréotype (enfin dans 100 ans, ou même moins, ce propos sera considéré comme tel, j’en prends le pari !) de l’islam « qui ignore la distinction du temporel et du spirituel » alors que le christianisme l’aurait intégré dés le début (« rendez à César… »). Outre que n’importe quel spécialiste de l’islam vous dit qu’on ne peut résumer ainsi les rapports du politique et du religieux  qui ont d’ailleurs varié, on oublie que pendant des siècles le christianisme latin dominant était pour la suprématie du spirituel sur le temporel.

Mais ce propos traîne quand même partout et imprègne les mentalités.

 

Ces représentations parlent plus de ceux qui les expriment que de réalités objectives. Mettre en avant les avantages de l’islam était une manière, il y a un siècle ou plus, de mieux enfoncer l’adversaire principal : le catholicisme. Mettre aujourd’hui en contraste islam et christianisme dans leurs rapports avec le politique, est une façon de justifier une laïcité à deux vitesses, douce pour le christianisme (en tout les Eglises issues des ex « cultes reconnus », pas les protestants évangéliques ou les petites Eglises catholiques dissidentes), plus dure pour l’islam (en résumant les choses).

Ce n’est en rien une approche laïque de la religion, qui doit être une démarche de connaissance, et donc de sortie de soi. C’est prendre une distance critique avec la manière dont légitime un combat ou une situation établit en prétendant qu’elle correspond à une réalité transhistorique. Le christianisme était par essence et donc pour l’éternité intolérant, obscurantiste, clérical pour certains militants laïques de la fin du XIXe ; l’islam et par essence et éternellement ignorant de la « distinction temporel-spirituel » pour beaucoup de gens aujourd’hui, qui se croient laïques.

Entre nous, d’ailleurs, la laïcité est autre chose que la distinction temporel-spirituel (je l’explique dans mon Que sais-je ? sur Les laïcités dans le monde, et je vous y renvoie).

 

Un enseignement laïque sur les religion à l’école ne serait pas une pure démarche de connaissance mais aurait aussi une vocation pédagogique, me direz-vous. OK, la vulgarisation également possède ce double aspect. Et pour terminer cette Note (mais pas le sujet ; j’en suis qu’au 2ème point, et il y en avait 6 dans mon exposé), je vous livre -naturellement en exclusivité mondiale comme d’hab (petits veinards !- la version actuelle (provisoirement définitive donc) d’une partie de la préface de la Petite histoire du christianisme que je suis en train d’écrire.

 

Voila le (futur) chef d’œuvre :

« (…) Enfin, le troisième défi, le plus important est que, si l’histoire du christianisme intéresse des femmes et des hommes de toutes convictions, chaque être humain l’aborde avec ses convictions. L’historien doit, lui, pratiquer un « agnosticisme méthodologique ». Que signifie cette expression ? Simplement que, dans son approche, l’historien n’a pas à se soucier de savoir si le christianisme «est « vrai » ou « faux », exactement comme un médecin qui examine un accidenté de la route n’a pas à se demander s’il s’agit d’une personne qui a provoqué un accident ou qui est la victime d’un chauffard.

 Cet « agnosticisme méthodologique » est la condition indispensable pour qu’une histoire, même largement vulgarisée, garde un aspect scientifique. Elle permet aussi de s’adresser à tous et de proposer à chacun de mieux comprendre l’autre.

 Le pari que nous avons fait en écrivant ce livre serait gagné si cet objectif était atteint. Nous voudrions que les lecteurs chrétiens de l’ouvrage comprennent mieux, en le lisant, l’existence de l’anticléricalisme ; les lecteurs athées, ou d’autres religions, pourquoi certains de leurs contemporains sont chrétiens. De même, nous souhaitons que les lecteurs catholiques comprennent que la doctrine de la prédestination a ses raisons et les lecteurs protestants que le purgatoire ou la piété mariale ont un sens ; aux uns et aux autres, nous voudrions rappeler que le christianisme orthodoxe a continué sa vitalité après le XI° siècle. (…) »

(à suivre)

01/09/2007

TURQUIE, MEDECINE LAÏCITE ET FEMMES

C’est la rentrée. J’espère que vous avez bien profité de la détente du mois d’août, même si certains d’entre vous ont du le vivre sous la pluie. Mais je suis sûr que cela ne les a pas empêché d’inventer un art de vivre en vacances. En tout cas, alors que le mois d’août est traditionnellement un mois où la fréquentation du Blog chute, il y a eu presque 2 fois plus de visites que l’an dernier (4173 contre 2402 exactement). Merci de votre intérêt et de votre fidélité.

 

 

Dans les événements de la rentrée, l’un d’entre eux concerne directement le Blog : la Turquie. La réussite ou l’échec de l’expérience turque (un pays qui se veut très laïque gouverné par un parti qui se dit démocrate-musulman, comme la France de 1946, quand la laïcité est devenue constitutionnelle avait un président du Conseil démocrate-chrétien, on l’oublie trop souvent) est un enjeu considérable pour l’ensemble de la planète, vu l’interférence des différents problèmes. Sans nier la spécificité historique de la Turquie, où la laïcité est devenue constitutionnelle dés 1937 (9 ans avant la France), une réussite turque pourrait avoir des effets « contagieux » dans la région. Pour une fois que ce serait la ‘santé’ et non la ‘maladie’ qui serait contagieuse !

N’oublions pas que ce parti, l’AKP, est au pouvoir depuis 2002 et que le peuple turque en semble satisfait puisqu’aux élections qui viennent d’avoir lieu, il a progressé de 13% (47% contre 34) alors qu’habituellement le pouvoir use. Les minorités chrétiennes notamment  le soutiennent et, semble-t-il,ont majoritairement voté pour lui.

 

 

Il ne faut pas, en effet, être dans le premier degré : il y a un an déjà, Sophie Shihab écrivait dans Le Monde (23 9 2006) que c’était l’opposition kémaliste, le CHP, qui se veut très laïque qui s’opposait à l’abrogation de « lois liberticides ». Le nouveau président de la République Abdullah Gül, affirme qu’en « démocratie, la laïcité est à la fois un modèle qui assure la liberté pour différents modes de vie et une règle de paix sociale ». Cette laïcité garante d’un libre et pacifique pluralisme, du respect réciproque, est tout à fait l’optique de la Déclaration universelle sur la laïcité au XXI° siècle, dont je reparlais il y a 10 jours.

C’est un changement considérable puisque la laïcité turque s’est imposée historiquement de façon autoritaire par un parti unique et par l’armée. Ce changement, je le reconnaît volontiers, a de quoi déboussoler le militant turque moyen : quoi la « première dame » de Turquie, la femme du chef de l’armée porte un foulard alors qu’une des premières mesures de la laïcité turque, en 1925, a été d’imposer le port du chapeau, couvre-chef des « hommes civilisés », à la place du fez.

Mais justement cette obligation d’une tenue occidentale était liée à la croyance (elle-même issue du déclin et de la disparition de l’Empire ottoman) que LA civilisation était l’Occident et que la laïcité devait signifier une occidentalisation du genre de vie. Cela d’ailleurs, pour éviter d’être colonisé par l’Occident (le Japon, en se modernisant à la fin du XIXe siècle, servait d’exemple). On n’est plus du tout dans ce cas de figure et le problème aujourd’hui consiste à trouver des voies différentes de laïcité, qui tiennent compte de chaque civilisation et surtout de leur mélange.

 

 

Je ne me situe pas du tout, pour ma part, dans le repli identitaire. Il me semble qu’avec la globalisation/mondialisation, chaque civilisation est un peu à l’épuisement de son projet propre. Nous projeter dans l’avenir doit signifier construire un projet qui trouve son miel dans les contacts et les transferts entre civilisation. Ainsi se construiront de nouveaux équilibres. Par exemple, il faut inventer de nouveaux rapports au corps qui viendront de cette rencontre entre civilisations différentes. Et pas seulement, le christianisme, les Lumières et l’islam ; les systèmes de croyances et de pensées, les manières de vivres qui se sont développées en Asie du sud et de l’est sont également civisationnellement très riches.

 

Revenons là où cela fait mal : le port d’un foulard par Mme Gül, qui irrite tant certains militants laïques, y compris en France, au Québec, etc. Cette irritation ne doit-elle pas être dépassée. Car enfin, lui c’est lui et elle c’est elle. Mme Gül, que je sache, n’est pas présidente de la République. Est-ce bien raisonnable d’imposer à la femme du président les obligations de réserve liée à la fonction de son mari ? N’est-ce pas anti féministe ?

Oui, je sais bien, il y a des cérémonies officielles où Mme Gül va apparaître avec son foulard. Mais ne faudrait-il pas réfléchir à l’anachronisme qui impose un devoir de représentation au conjoint, sans lui donner le pouvoir et la responsabilité de la fonction ? Et, comme par hasard, il ne me semble pas qu’il y ait tout à fait le même devoir de représentation quand une femme est présidente. D’ailleurs ne peut-on pas avoir un(e) président/présidente célibataire, homosexuel, etc. Cécilia Sarkozy me semble à la fois plus sympathique et plus moderne quand elle ne va pas déjeuner avec Bush (il n’y avait même pas de homard au menu !) que quand elle « missionne » au nom du président. Pas vous ?

Par ailleurs, le devoir de réserve est à géométrie variable : le président Chirac se faisait filmer de façon très complaisante à la sortie de la messe de Bormes-les-Mimosas. Et là, à l’absence de discrétion, j’ajoute le fait que les médias courcircuitent vie privée – vie publique et qu’une réflexion actuelle (et non une position figée, passéiste) sur la laïcité est bien obligée de prendre cela en compte, si elle ne veut pas se trouver déconnectée de la réalité.

 

 

Il y a plusieurs année, quand Erdogan, le premier ministre actuel était maire d’Istanbul, j’avais donné une conférence dans cette ville où il y avait eu beaucoup de monde. Certains assistants étaient venus en avion d’Ankara. Cela m’avait étonné et on m’avait expliqué que les Turcs n’avaient pas l’habitude de débattre sur la laïcité et donc que ma venue était une occasion rare. Voilà sans doute une des raisons du déclin du parti kémaliste.

Par ailleurs, une réception avait été donnée à mon honneur. Au cours du repas, le militant laïque qui était à côté de moi, m’avait fait observer que certains convives (proches d’Erdogan) buvaient du jus d’orange et non de l’excellent vin qui était servi. « Vous voyez, ils sont contre la laïcité » m’avait-il dit ! J’avais répliqué : « Mais, laissez les donc s’abstenir de boire du vin si cela va contre leur conviction. Exigez simplement qu’ils ne vous interdisent pas d’en boire !»

L’enjeu est là : faire en sorte que l’AKP  ne déroge pas à la définition de la laïcité donnée par Gül et citée au début de cette Note. La seule critique de l’AKP qui me semble acceptable (mais je ne peux pas juger de son degré de validité) est l’accusation de placer beaucoup des siens aux postes importants. Il faut que l’AKP maîtrise sa victoire et montre l’exemple du respect (qu’elle revendique) du pluralisme.

Maintenant quelques nouvelles :

-Dans le numéro 151 de l’excellente revue Passages, en vente actuellement, vous trouverez une longue interview de votre très humble serviteur, réalisée par Alice Canabate : « La laïcité a besoin de l’hérésie pour ne pas sombrer dans le dogmatisme »

-Va paraître vers le 10 septembre, chez Librio de Flammarion (livre de poche à 2 €) une Petite histoire du judaïsme d’Esther Benbassa et Jean-Christophe Attias et une Petite histoire de l’islam de Muhammad Amir-Moezzi et Pierre Lory. Il s’agit des deux premiers volumes d’une collection « Petite histoire des religions » que je dirige. L’enjeu consiste à offrir à un vaste public une approche historique et laïque de grandes religions : bouddhisme et christianisme suivront en février prochain. Tous les auteurs de cette collection sont professeurs à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes : c’est un choix délibéré: que des chercheurs eux-mêmes fassent de la vulgarisation. Les chercheurs se plaignent qu’elle est souvent mal faite, bourrée d’erreurs et de contre-vérités. Eh bien, qu'ils fassent eux-mêmes ce travail qui n’est pas facile, mais s’avère passionnant puisqu’il s’agit d’arriver à communiquer l’essentiel de ce que peut dire la science historique aujourd’hui en évitant tout jargon et en expliquant les termes techniques indispensables.

-Moi-même je publie, également vers le 10 septembre, une nouvelle édition refondue (c’est la 6ème) de mon « Que sais-je » (la célèbre collection des PUF) : Histoire du protestantisme. Pour moi, c’est l’année des « Que sais-je ? » : 4ème édition refondue de l’Histoire de la laïcité en France en février (la 1ère date de 2000, et, comme à chaque fois j'ai effecuté des modifications, celle de 2000 et celle de 2007 sont vraiment différentes), nouveau Que sais-je ?  Les laïcités dans le monde en juin et, donc, maintenant la 6ème (la 1ère date de 1987) de l’Histoire du protestantisme.

A l’occasion de ces différentes parutions (et aussi pour à une question d’un internaute sur mes convictions personnelles) , la prochaine Note du Blog sera consacrée à « Rationalité et religion ».

Médecine, laïcité et femmes

Le feuilleton de l’été a porté sur la Mort entre Médecine et Religion. Avant de finir par l’époque actuelle, je vous avais promis de faire un excursus sur la laïcisation de la médecine à la fin du XIXe et sur médecine et femme (ou, d’ailleurs, médecine et antiféminisme en fait). Les deux sujets sont liés car la laïcisation a essentiellement porté sur les infirmières. C’est ce sujet que nous allons voir maintenant. La prochaine fois, je parlerai des grandes difficultés qu’ont  rencontré les femmes pour avoir accès à la profession médiciale et des arguments machistes qui leur ont été opposé. Vous verrez le problème est plus d’actualité qu’on ne le croit au 1er abord. Reprenons donc la fin de la Note du 11 août :

Désiré Magloire Bourneville (conseiller municipal de Paris en 1876, député en 1883, rédacteur en chef du Progrès Médical de 1878 à 1906) fut le combattant de la laïcisation de l’hôpital.Il déclara en 1881 au Conseil municipal de Paris : « C’est au nom de la liberté de conscience que nous n’avons cessé de réclamer la laïcité de l’enseignement. C’est au nom de cette même liberté que nous voulons la laïcité de l’Assistance publique ».

Autrement dit : pour éviter toute pression sur les consciences, notamment sur les malades proches de la mort, il faut une neutralité religieuse de l’hôpital et, plus généralement, de l’assistance publique.

Mais, cela pose un problème : la laïcisation de l’école publique veille au respect de la liberté religieuse en s’arrêtant, outre le dimanche, le jeudi pour favoriser le catéchisme, ailleurs qu’à l’école (maintenant c’est le mercredi). L’hôpital est un lieu plus clos que l’école : comment assurer la liberté de conscience de celles et ceux qui veulent se préparer religieusement à la mort ?

Nous nous étions arrêtés là, voilà la suite :

 

 

Bourneville ne prend pas cet aspect en considération ; il est un bon exemple de la thèse de Jacqueline Lalouette : les milieux libres penseurs qui, avec des raisons incontestables (avant la République des Républicains des années 1880), s’estimaient bridés dans leur liberté de conscience, avaient tendance à confondre leur liberté de conscience avec la liberté de conscience. Cela à la fois parce que le « cléricalisme » était encore fort, mais aussi (et peut-être plus fondamentalement) parce qu’ils se situaient (au moins implicitement) dans la lignée de Voltaire où ce n’est pas être intolérant que d’émanciper un jésuite de son « fanatisme » religieux, bref où la tolérance ne saurait s’appliquer aux intolérants (ou à ceux considérés comme tels : c’est la pente dangereuse d’une elle théorie).

Outre le problème (vite résolu) de la disparition d’un certain contrôle des ecclésiastiques sur les hôpitaux (dans le cadre des tentatives de restauration cléricale, la loi de mai 1873 imposait la présence d’un membre du clergé dans la commission administrative des hôpitaux communaux, ce qu’abolit une autre loi en août 1879) on retrouve au centre du problème : la religieuse. Ces fameuses « bonnes sœurs » toujours si présentes dans l’imaginaire national que vous avez une série policière sur TF1 qui s’intitule « Sœur Thérèse.com ».

Nous avons vu le rôle ambivalent de la religieuse quant à la médicalisation au cours du XIXe siècle. Outre son activité elle-même, qui pouvait parfois (par zèle convertisseur) poser problème quant à la liberté de conscience, sa seule présence, avec son habit spécifique (on en vient toujours là : l’habit fait-il le moine ?), constituait un enjeu symbolique important dans le rapport avec la maladie et la mort : lien ou séparation avec un « au-delà » (vie ici bas ou vie tout court !).

 

 

A la fin du XIXe siècle la religieuse a un rôle d’encadrement. Les infirmiers (pour les salles où sont les hommes), les infirmières (pour celles où sont les femmes), les « serviteurs », sont sous ses ordres. Certes, les soins sont en partie donnés par les étudiants et les internes, mais les religieuses ont la responsabilité de garder les instruments, les appareils et la pharmacie, d’administrer les médicaments, elles ont, en outre, le souci de préparer à la bonne mort (rappelons que la Concordat existe jusqu’en 1905).

Il faut préciser que les infirmiers-infirmières n’avaient pas de formation. C’étaient en général des personnes émigrées de la campagne, de milieux très modestes et ayant un rôle qui tient à la fois de celui des filles de salle et des aides soignantes. Infirmières = image de la Bretonne illettrée. Un médecin opposé à la laïcisation, Armand Després déclarat à la Chambre à propos des infirmières : « Il n’y a dans les hôpitaux que des putes ou des religieuses » (Le Télégraphe, 20 octobre 1891, cité par Christian Chevandier) Charmant !!

Le 1er établissement hospitalier à se laïciser à Paris fut l’hôpital Laennec en 1878 (sœurs de St-Vincent de Paul), les derniers furent l’hôpital Saint-Louis et l’Hôtel-Dieu de Paris en 1908 (Augustines) ; mais l’essentiel se produisit de 1878 à 1888 (laïcisation de 17 hôpitaux), c'est-à-dire très parallèlement à la laïcisation scolaire.

En 1913, il ne restait que 23 religieuses (elles seront 135 juste avant la 2ème guerre mondiale). La différence est que ce qui est vrai pour Paris, ne l’est pas pour la province où des anticléricaux notoires comme le maire de Lyon, Edouard Herriot, garda les religieuses dans les Hospices civils de Lyon. Officiellement c’est parce que cela ne coûte pas cher à la municipalité, mais implicitement les raisons spécifiques du rapport à la mort jouent : le départ des religieuses des hôpitaux semblent avoir été beaucoup  plus impopulaires encore que leur départ des écoles.

 

 

Il existait aussi un problème de formation. Bourneville l’avait compris et, pour lui, le remplacement des religieuses par un corps infirmier laïque et compétent était un outil de promotion pour les « enfants du peuple ». En 1878, il ouvre des cours municipaux à la Salpêtrière pour les infirmières et à Bicêtre pour les infirmiers. On est cependant dans un modèle bien différent du modèle anglo-saxon où, dés cette époque, les infirmières sont cultivées et proviennent d’une classe sociale analogue à celle des médecins.

 

Les principaux arguments de Bourneville en faveur de la laïcisation sont les suivants :

-         il existe une crise de recrutement dans certaines congrégations religieuses

-         elle se double d’une crise de qualité dans ce recrutement depuis que les jeunes filles peuvent devenir institutrices

Dans ce cas, lui rétorque-t-on, qu’on les complète sans les chasser. Et on peut les former, tout comme le personnel laïque. Alors Bourneville évoque un triple problème

-         liberté de conscience : elles peuvent faire des pressions. Il arrive qu’une Mère supérieure soit chef de service

-         elles représentent une autorité non médicale à l’hôpital, fonctionnant selon des critères non médicaux : Bourneville leur reproche d’être peu dociles, réticentes face à des techniques nouvelles comme l’anesthésie lors des accouchements et l’emploi du thermomètre anal (pratique française ! Dans d’autres pays dans la bouche ou sous le bras),…

-         l’hôpital comme l’école est un « bastion » que la République doit conquérir (ce qui signifie que tant qu’il y a des religieuse ce ‘territoire’ échappe à la République : on est bien dans la perspective de Nicolet que j’ai commentée au début) : leur présence et leur costume sont une manifestation d’ « emprise cléricale ». Leur cornette, notamment, est à la fois un symbole de passéisme et un vêtement antirationnel pour soigner les malades. Nous allons voir à ce sujet une contradiction des laîcisateurs.

 

Bourneville se heurte à une opposition, dont le représentant le plus connu est Armand Després (surnommé « le Pansement sale » par ses adversaires), autre libre-penseur franc-maçon, chirurgien à La Charité, directeur de La France médicale et qui affirme faire passer l’intérêt des soignés avant ses propres convictions. Il écrit :

« Le mouvement anticlérical (…) a un but sérieux : détruire le clergé comme parti politique, mais il n’a jamais eu pour objet de désorganiser les hôpitaux » (Lettre au Préfet de la Seine, 19/2/1881, cité par P. Guillaume, p. 85). Il argumente ainsi :

-         honnêteté et moralité des religieuses : alors que les infirmières dérobent la nourriture des soignés, s’approprient les biens des morts et ont des mœurs « dissolues » ( les « putes » comme il disait) (argument ambivalent : disposer de femmes sexuellement disponibles ne devait pas déplaire à certains interne ou médecins !)

-         les religieuses ont une disponibilité plus grande, elles n’ont pas une famille qui les « détourne » de leur travail  (elles travaillent plus en gagnant moins !!); croyant fermement en l’au-delà, elles n’ont pas peur d’affronter la mort quand elles dispensent des soins à risque

-         elles ont peu de problèmes avec les médecins, sont « dociles » ; les conflits sont limités : elles administrent des médicaments plus que dispensent véritablement des soins. Cette répartition des tâches convient à tout le monde.

-                     elles coûtent moins chères que ne le coûteront des surveillantes laïques : la laïcisation va être hors de prix (environ 200 fr par an pour une religieuse, une infirmière laïque coûte 700 fr logée et 1800 fr non logée) alors qu’on a de gros besoins d’argent  pour mieux équiper les hôpitaux et créer des lits nouveaux.

 

Dans la Gazette des hôpitaux 109 médecins (des 163 concernés), des catholiques aux francs-maçons, signent une pétition collective en faveur des thèses de Després. Les 2 hommes menaçent de se battre en due !. Finalement Bourneville gagne à Paris et Despres en province où il n’y aura pas de laïcisation par politique volontariste, mais un lent mouvement de recul en pourcentage.

En 1907, le Conseil municipal de Paris transforme le cours du soir de Bourneville à la Salpetrière en école d’infirmières pour jeunes filles célibataires en bonne santé pourvues du certificat d’études (l’obligation scolaire est passée par là) où réussissant un examen d’entrée ; elles font 2 ans d’études. Cela doit les conduire à avoir une certaine compétence sans se prendre pour des sous médecins, mais au contraire en apprenant à exécuter avec ‘humilité’ et ‘soumission’ les ordres de ses derniers (être des « servantes » plus que des collaboratrices).

 

Elles vont d’ailleurs devoir adopter une tenue vestimentaire qui ressemble à celle des religieuses, y compris le voile tant critiqué ; une bonne infirmière doit être célibataire, dormir à l’hôpital où si elle a des enfants, il lui est recommandé de les mettre en nourrice, elle doit bien sûr enfin, avoir de faibles exigences salariales. En même temps, il n’y a plus le problème de la double appartenance. Il faut disposer donc de femmes d’une certaine compétence tout en évitant soigneusement les « empiètements de demi-savantes ». Texto.

Ces d’ailleurs une des raisons qui font que des médecins souhaitent réserver cette profession aux femmes (Commission spéciale de médecins en 1899 nommés pour élaborer un programme d’enseignement se prononce dans ce sens). Les infirmiers mettent en avant un double problème de pudeur : celle des infirmières qui vont aller dans les salles des hommes et celle des malades hommes qui vont recevoir des soins des femmes. Mais les arguments de pudeur ne sont plus alors reçus par les médecins, excepté pour s’opposer à l’accès des femmes aux professions médicales ( style d’arguments : « beaucoup de maladies propres à l’homme sont de nature à ne pouvoir ni être vue ni être étudiées par les femmes » argumente le Dictionnaire Encyclopédique des sciences médicales, et des médecins se demandent comment une étudiante en médecine pourrait examiner des organes génitaux masculins, en plus, en présence d’étudiants de l’autre sexe qui vont rire de façon graveleuse!).

.(à suivre)