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08/09/2007

POUR UNE APPROCHE LAÏQUE DE LA RELIGION

Les internautes assidus du Blog ont lus, à diverses reprises, dans les Commentaires, des attaques, parfois injurieuses voire calomnieuses, parfois involontairement comiques, me visant. Elles tendaient toutes finalement à me refuser le droit de parler de « laïcité » parce que je suis protestant, ce qui confond laïcité et athéisme et implique une conception antireligieuse de la laïcité.  

Je n’ai pas répondu. Mais quelques internautes ont souhaité, sans hargne, en savoir plus, voire que parle un peu de moi et quelqu’un m’a posé la question : « peut-on être rationnel et religieux ? ». je vous ai donc annoncé la semaine dernière une Note sur ce sujet.

 

 

J’ai voulu réaliser une Note sans prétention, jetant quelques idées. Le moment me paraissait opportun puis que, comme je l’ai annoncé la semaine dernière, sortent plusieurs livres d’histoire des religions où je suis impliqué :

- une Petite histoire du judaïsme, de Jean Christophe Attias et Esther Benbassa

- une Petite histoire de l’islam, de Mohammad Ali Amir-Moezzi et Pierre Lory,

Toutes deux dans la collection « Petite histoire des religions », dont je suis le directeur, chez Librio (livres de poche à 2 €, cf.www.librio.net)

Et une Histoire du protestantisme, qui est la 6ème édition refondue retravaillée d’un « Que sais-je ? » dont j’ai écrit la 1ère édition en 1987.

De plus je rédige actuellement une Petite histoire du christianisme, qui paraîtra en février 2008 (avec une Petite histoire du bouddhisme de J.-N. Robert), toujours pour Librio.

 

 

J’ai donc accablé mon ordinateur de réflexions diverses sur les rapports entre théologie et philosophie, car cela me semblait une introduction indispensable à la question. Mais je me suis pris la tête et, rapidement, j’ai été très insatisfait de ce que je tapais. Trop allusif, trop sommaire, trop ceci, trop cela. Et je n’avais pas le temps de corriger le tir.

Comme, lors d’une intervention à une Rencontre, j’avais parlé (un peu spontanément) d’une approche laïque des religions, j’ai dévié vers ce sujet. Après tout c’est une autre façon de prendre le problème. Comme je suis volontiers ruminant, être rationnel et religieux reviendra certainement un jour ou l’autre dans ce Blog. D’ailleurs, certainement, je reparlerai aussi de l’approche laïque de la religion.

 

 

La rencontre en question, organisée par la revue Passages, portait sur les problèmes euro méditerranéens. Le constat du président de séance était que la laïcité se trouvait actuellement mise à mal. J’ai donc commencé par opposer le temps historique au temps politique. Le second tend à borner son horizon à l’avenir prévisible des prochaines années. Le premier se situe à l’échelle de plusieurs décennies, d’un siècle, voire plus. Il perçoit donc un autre horizon.

Quand l’horizon du temps politique semble bouché, il faut délibérément se situer dans le temps historique. Non pour fuir la réalité présente. Mais parce qu’en agissant au niveau du temps historique, on peut créer un autre temps politique.

 

C’est le pari de Jaurès en 1904-1905. L’Eglise catholique est alors « monarchique » (dit-elle elle-même) dogmatique, rigide. Elle se sent menacée et elle est donc farouchement opposée à la laïcité, à la séparation des Eglises et de l’Etat. Face à cela, le Bloc des gauches mène une guerre laïque, qui ne fait qu’empirer les choses. Jaurès, qui a été (suite à l’affaire Dreyfus) partisan de cette action conflictuelle républicaine, comprend qu’absolutiser la laïcité (on parlais alors de « laïcité intégrale ») entraîne la minoration des questions sociales, alors que (pour lui) les 2 sont inséparables.

Il prône (avec Briand) alors une stratégie qui a une part d’utopie : considérer qu’une séparation libérale, où l’Eglise catholique verra qu’elle peut vivre séparée de l’Etat, permettra à terme une acclimatation du catholicisme à la laïcité. Mais cela implique de réaliser la séparation en bonne part comme si l’Eglise catholique n’était pas dangereuse, comme si elle était déjà presque acclimatée. Bien sûr, sans naïveté : en ayant des gardes fous sur les points clefs de l’ordre démocratique, mais en se montrant très accommodant sur des aspects essentiels pour le catholicisme et, finalement (une fois que l’on a fait un travail critique, déconstruisant sa propre idéologie), secondaire pour la République laïque.

Jaurès s’est situé délibérément dans le temps historique pour débloquer le temps politique, pour pouvoir faire virer le temps politique, de la guerre des deux France à la paix laïque.

Ce n’était pas de l’angélisme. Et, contrairement à ce que croient les néo-républicains actuels, la position que je défends n’est ni naïve ni angélique. Elle correspond, au contraire, à une stratégie bien précise : parler de « laïcité inclusive », c’est dire qu’il faut réussir à isoler les extrémistes religieux, et qu’il faut les rendre peu attractifs.

 

Cette laïcité inclusive est aussi une laïcité critique : le dit président de séance a rappelé, à juste titre, qu’au moment de la décolonisation il y a eu des courants laïques importants au Moyen-Orient. Mais ces courants laïques, ne l’étaient-ils pas que partiellement, car ils n’étaient pas toujours (loin de là), et c’est un euphémisme, des courants démocratiques. Cela a été le problème du Baas irakien qui protégeait les minorités chrétiennes mais persécutait la majorité chiite. Et c’est le problème, aujourd’hui encore, les laïques kémalistes turcs.

A partir du moment où l’on dit que la laïcité n’est pas une anti ou une contre religion, il faut en tirer les conséquences. Il faut cesser de confondre laïcité et religion civile à la Rousseau. Le philosophe l’a clairement dit : une religion civile a ses « dogmes », même s’ils ne portent pas sur l’au-delà, mais sur la manière de faire société. Il s’agit de « dogmes » dans la mesure où ce sont (plus ou moins) des croyances sociales imposées.

 

On n’échappe pas facilement à la religion civile dans la mesure où aucune société n’est une simple juxtaposition d’individus et que le lien social a toujours ses contraintes. La société cherche toujours à sacraliser le lien social (Durkheim l’a magnifiquement vu, mais l’a trop accepté). C’est une condition de cohérence et de stabilité.

Qu’il y ait de la religion civile dans une société démocratique n’a rien de honteux. Mais il fait partie du cahier des charges de la laïcité que la religion civile ne se transforme pas en religion religieuse, si je puis dire. En religion politique. Il faut maintenir, dans la religion civile, la tension entre les 2 termes. Autrement dit, les valeurs sur lesquelles se fonde la société doivent être des valeurs partagées et non des valeurs communes.

La nuance peut apparaître subtile, elle est importante. Les règles sont communes (style le Code de la route). On doit les appliquer telles quelles. Les valeurs partagées doivent toujours être objet de réflexivité et de débat.

Un philosophe laïque, lors d’une table ronde, a cru me réfuter en disant que la laïcité n’avait pas à changer car elle était une facette de la liberté qui avait toujours le même contenu. Je me demande franchement s’il ne s’est pas rendu compte qu’il disait une bêtise au moment même où il s’exprimait (cela arrive à des gens très bien : bibi par exemple !). En tout cas je n’ai eu aucune peine à montrer que l’on ne se représentait la liberté de la même manière il y a 100 ans et aujourd’hui.

Et aujourd’hui où l’on met en avant la notion de dignité de l’être humain, il devrait avoir un débat beaucoup plus explicite sur ce qu’implique cette valeur partagée.

 

De même, l’égalité femme-homme est une valeur partagée. Sa représentation doit être objet de débat. Une interprétation univoque ne doit pas être imposée comme obligatoire. Pour prendre l’exemple du débat sur la parité, on a bien vu alors 2 conceptions de l’égalité femme-homme s’affronter, entre les adversaires (néo-républicains) et les partisans de la parité. La loi sur la parité est devenue règle commune ; mais la parité ne doit pas s’imposer comme valeur commune pour autant. Personnellement j’y suis favorable ; mais j’estime aussi que les arguments des adversaires de la parité ne sont pas sans valeur et qu’il ne faut pas les oublier dans la mise en œuvre même de la parité.

 

Autrement dit, la laïcité se distingue de la religion civile en estimant que les valeurs fondatrices du lien social ne doivent pas être des « dogmes » et que l’instauration de règles communes ne clôt pas le débat. Débat, contestation, réinterprétation, mise en lumière de paradoxes, de contradictions, d’impensés sont nécessaires pour ne pas rigidifier la réalité sociale, aboutir à une religion sociale implicite.

Durkheim a eu raison comme sociologue en montrant le mouvement de constitution même de la société comme mouvement de sacralisation. Il a eu tort comme laïque de légitimer ce mouvement, et de ne pas indiquer qu’une désacralisation était également nécessaire. Il a d’ailleurs eu tort comme sociologue aussi, car chaque société a peu ou prou ses hérétiques, et c’est grâce à eux qu’elle peut changer. La laïcité commence peut-être quand on ne brûle plus les hérétiques !

 

Tel est aussi le paradoxe démocratique : des valeurs fondatrices, mais toujours soumise à la réflexivité et au débat.

Il en est de même de la laïcité. C’est pourquoi, il faut rechercher une laïcité roseau et non une laïcité chêne. Jean de la Fontaine l’avait déjà compris : le roseau affronte mieux la tempête que le chêne. Mais, dans un premier temps, le chêne impressionne et le roseau est objet de condescendance ou de mépris.

 

D’un point de vue laïque, non seulement la laïcité change, mais les religions changent aussi. Change également la manière de se les représenter. L’approche laïque des religion doit rompre avec tout essentialisme : ne pas considérer un islam éternel, un christianisme éternel, un bouddhisme éternel, etc.

Je tiens à insister sur le double aspect : changement de la religion ; changement de la représentation de la religion. Il y a un siècle, ou un peu plus (temps historique !), la représentation dominante de l’islam et du christianisme chez les laïques était l’inverse de ce qu’elle est aujourd’hui.

Alors, on considérait l’islam comme moins intolérant que le christianisme (les Eglises chrétiennes ‘dissidentes’ -nestoriennes ou monophysites- du Proche Orient ont accueilli l’arrivée des musulmans avec soulagement car ils étaient persécutés par l’Empire chrétien byzantin ; la présence de minorités juives et chrétiennes dans l’Empire ottoman était mise en contraste avec l’Inquisition) ; moins obscurantiste (la sobriété dogmatique de l’islam était mise en contraste avec les dogmes chrétiens et notamment catholiques) et plus laïque, moins clérical (on disait : «  l’islam ignore le clergé », versus la hiérarchie catholique romaine). Celui-ci tiendrait un tel discours aujourd’hui ne serait pas socialement crédible, en France en tout cas.

 

Aujourd’hui, il n'existe pratiquement pas de conférence sur la laïcité dans ce pays sans que l’on vous sorte le stéréotype (enfin dans 100 ans, ou même moins, ce propos sera considéré comme tel, j’en prends le pari !) de l’islam « qui ignore la distinction du temporel et du spirituel » alors que le christianisme l’aurait intégré dés le début (« rendez à César… »). Outre que n’importe quel spécialiste de l’islam vous dit qu’on ne peut résumer ainsi les rapports du politique et du religieux  qui ont d’ailleurs varié, on oublie que pendant des siècles le christianisme latin dominant était pour la suprématie du spirituel sur le temporel.

Mais ce propos traîne quand même partout et imprègne les mentalités.

 

Ces représentations parlent plus de ceux qui les expriment que de réalités objectives. Mettre en avant les avantages de l’islam était une manière, il y a un siècle ou plus, de mieux enfoncer l’adversaire principal : le catholicisme. Mettre aujourd’hui en contraste islam et christianisme dans leurs rapports avec le politique, est une façon de justifier une laïcité à deux vitesses, douce pour le christianisme (en tout les Eglises issues des ex « cultes reconnus », pas les protestants évangéliques ou les petites Eglises catholiques dissidentes), plus dure pour l’islam (en résumant les choses).

Ce n’est en rien une approche laïque de la religion, qui doit être une démarche de connaissance, et donc de sortie de soi. C’est prendre une distance critique avec la manière dont légitime un combat ou une situation établit en prétendant qu’elle correspond à une réalité transhistorique. Le christianisme était par essence et donc pour l’éternité intolérant, obscurantiste, clérical pour certains militants laïques de la fin du XIXe ; l’islam et par essence et éternellement ignorant de la « distinction temporel-spirituel » pour beaucoup de gens aujourd’hui, qui se croient laïques.

Entre nous, d’ailleurs, la laïcité est autre chose que la distinction temporel-spirituel (je l’explique dans mon Que sais-je ? sur Les laïcités dans le monde, et je vous y renvoie).

 

Un enseignement laïque sur les religion à l’école ne serait pas une pure démarche de connaissance mais aurait aussi une vocation pédagogique, me direz-vous. OK, la vulgarisation également possède ce double aspect. Et pour terminer cette Note (mais pas le sujet ; j’en suis qu’au 2ème point, et il y en avait 6 dans mon exposé), je vous livre -naturellement en exclusivité mondiale comme d’hab (petits veinards !- la version actuelle (provisoirement définitive donc) d’une partie de la préface de la Petite histoire du christianisme que je suis en train d’écrire.

 

Voila le (futur) chef d’œuvre :

« (…) Enfin, le troisième défi, le plus important est que, si l’histoire du christianisme intéresse des femmes et des hommes de toutes convictions, chaque être humain l’aborde avec ses convictions. L’historien doit, lui, pratiquer un « agnosticisme méthodologique ». Que signifie cette expression ? Simplement que, dans son approche, l’historien n’a pas à se soucier de savoir si le christianisme «est « vrai » ou « faux », exactement comme un médecin qui examine un accidenté de la route n’a pas à se demander s’il s’agit d’une personne qui a provoqué un accident ou qui est la victime d’un chauffard.

 Cet « agnosticisme méthodologique » est la condition indispensable pour qu’une histoire, même largement vulgarisée, garde un aspect scientifique. Elle permet aussi de s’adresser à tous et de proposer à chacun de mieux comprendre l’autre.

 Le pari que nous avons fait en écrivant ce livre serait gagné si cet objectif était atteint. Nous voudrions que les lecteurs chrétiens de l’ouvrage comprennent mieux, en le lisant, l’existence de l’anticléricalisme ; les lecteurs athées, ou d’autres religions, pourquoi certains de leurs contemporains sont chrétiens. De même, nous souhaitons que les lecteurs catholiques comprennent que la doctrine de la prédestination a ses raisons et les lecteurs protestants que le purgatoire ou la piété mariale ont un sens ; aux uns et aux autres, nous voudrions rappeler que le christianisme orthodoxe a continué sa vitalité après le XI° siècle. (…) »

(à suivre)

Commentaires

Cher Jean Baubérot
« Autrement dit, les valeurs sur lesquelles se fonde la société doivent être des valeurs partagées et non des valeurs communes. »
Cette phrase de votre blog du 8/9/07 m’a laissé perplexe. Je sens (peut-être un préjugé favorable à votre égard) qu’il y a derrière une idée intéressante, mais elle la dissimule trop bien, malgré les développements qui suivent. Quelle nuance faîtes-vous entre « partagées » et « communes » ? Faut-il comprendre « largement partagées » et « communes à tous » ? Cela ne m’avancerait guère.
« Les valeurs partagées doivent toujours être objet de réflexivité et de débat. » : faut-il comprendre que la déclinaison des principes en règles doit être adaptée en continu ? A noter que les textes fondateurs parlent des droits, devoirs, principes, mais pas des valeurs : où situez-vous celles-ci ?
Bref, j’aimerais qu’un Baubérot inspiré reformule et éclaircisse tout ça. Ce ne serait pas du luxe. Ainsi, en cherchant mes « valeurs » sur internet, je suis tombé sur un site ministériel (voir ci-dessous) à me les tournebouler. J’ignorais qu’un « signe ostensible » ou la « contestation de contenus d'enseignement » étaient des «manquements au principe de laïcité », au même titre que le racisme. Je croyais au contraire que la laïcité incluait le droit d’afficher une appartenance et de contester un contenu (liberté de religion et d’opinion). Je pensais qu’on motivait la loi du foulard par le besoin d’ordre, de sanctuarisation de l’école (justifiant une restriction contrôlée des libertés et donc une entorse « au principe de laïcité »). Qu'une communauté veuille joindre « l'opinion religieuse et le comportement public » me semble naturel et sain (quitte à ajuster les entournures). Etc.
Bien cordialement
http://eduscol.education.fr/D0157/IG_laicite.htm
« La Laïcité au coeur des enseignements (par un « Doyen de l'Inspection générale de l'Éducation nationale »)
« … Par ailleurs, certains établissements peuvent être confrontés à des manquements au principe de laïcité. Il s'agit de manifestations individuelles ou collectives qui prennent des formes diverses : signes ostensibles, refus ou contestation d'activités ou de contenus d'enseignement, racisme…»
" la République a en face d'elle des communautés qui refusent de disjoindre l'opinion religieuse et le comportement public …".

Écrit par : Pierre DELMAS | 11/09/2007

Bob Héros serait crédible en laïcité, christianisme, protestantisme, etc... si ce "président d'honneur" créait à l'EPHE la premiere fraternité universitaire, académique et/ou non-académique, à l'instar du système grec (Théta Nu Epsilon, Scroll and Key, Delta Kapa Epsilon, ou toutes autres, nombreuses dans de nombreux pays européen tel l'Allemagne et y compris désormais de l'est comme en Pologne) dont l'indigence en France signe l'extrèmement profonde débilité séculaire de son enseignement supérieur, ou CNRS SS rime avec étudiant diant diant. "Français encore un éffort si vous voulez être républicains", le divin marquis considérant tout aussi bien que pour être profésseur à la Sorbonne il suffit de connaître la Trinité.

Écrit par : Paul Carbone | 15/09/2007

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