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30/04/2007

A UN AMI TENTE PAR L'ABSTENTION

Un ami de longue date m’écrit ceci : « J'ai bien noté sur ton blog ton soutien à  Ségolène : je t'aurais peut-être suivi si elle s'était vraiment débarrassée des éléphants du PS, mais là  il n'est que trop certain que si elle est élue elle sera bien obligée de reprendre l'ornière catastrophique des Aubry et Jospin : démagogie, lâcheté, immobilisme.

Je ne me vois pas pour autant voter Sarkozy : impulsivité dangereuse, et surtout inefficacité. Cette incapacité s'est manifestée pour la canicule, en effet la protection civile relève du ministre de l'Intérieur, qui en cette occasion a fait habilement porter le chapeau au ministre de la Santé. Et pour les émeutes de novembre 2005, au sujet desquelles je recommande le livre de mon ami Gérard Mauger, L'émeute de novembre 2005 - Une révolte protopolitique.

Alors s'abstenir ? »

 

Je reconnais bien là mon ami, il ne s’est jamais fait d’illusion sur les possibilités du politique, même quand nous militions ensemble, dans les années 1970, dans des groupes dits« d’extrême gauche ». Un humour teinté d’ironie, que je partageais largement, à l’égard des espoirs révolutionnaires accompagnait la contestation de la société dominante.

Donc voilà mon ami tenté par l’abstention le 6 mai prochain. Pourtant à le lire, il ne met nullement la balance égale entre « Sarko » et « Ségo ».Il effectue même à l’encontre du premier une critique (liée à se compétence propre), que je n’avais lue nulle part.

En revanche, il ne donne aucun grief à l’encontre de Ségolène Royal, seulement selon lui elle n’arrivera pas à se dégager des poids lourds du PS, à l’égard desquels il ne se montre pas tendre, c’est le moins que l’on puisse dire. Pourquoi : le propos est implicite (il s’agit d’un mel), mais je le décrypte facilement : il y a certaines réformes sociales qui ne sont pas faites de façon suffisamment intelligentes, d’autres qui ne sont pas faites et pourtant nécessaires : tout cela est contreproductif, tout cela est boomerang. Dés lors, rien ne sert d’avoir un discours de justice, si dans les faits, cela ne suit pas.

 

Il me semble que cette position est loin d’être isolée. Un certain nombre de personnes ne voteront certainement pas Sarkozy mais hésitent à voter Royal par crainte qu’elle soit qui prisonnière qui des « éléphants » du PS, qui « des syndicalistes FO, qui préfèrent une mainmise sur la sécurité sociale que d’envisager des réformes pourtant indispensables si on ne veut pas aller dans le mur » (dixit un autre ami), etc.

 

A tous et toutes je conseille de lire le débat entre Ségolène Royal et François Bayrou, publié intégralement par Libération ce lundi 30 avril, s’ils n’ont pas suivi le débat en direct (c’est mon cas, j’étais alors à Santiago du Chili à un colloque latino-américain sur la laïcité). La candidate a exposé très clairement son programme qui me semble à la fois ambitieux et réaliste, et sur le plan des libertés démocratiques (et de la nouvelle manière de les pratiquer) et sur le plan des réformes sociales.

Pourra-t-elle tout réaliser ? Sans doute pas, mais ne promettant pas la lune (ou le « demain on rase gratis ») d’un côté, n’étant pas dans un réformisme plat de l’autre, elle s’est mise (à mon sens), comme j’ai tenté de l’expliquer dans ma Note de lundi 23, dans la meilleure posture pour en réaliser le plus possible.

Pour avancer, il faut à la fois des objectifs crédibles et une part d’utopie. Ségolène Royal a été la seule au PS à conjuguer les deux (c’est pourquoi d’ailleurs elle a été capable de réconcilier partisans du oui et partisans du non au référendum sur l’Europe). Fabius a joué l’utopie, mais je dirai tout net qu’à tout prendre, je préfère, dans cette optique là, Marie George Buffet : au moins, elle n’est pas dans un rôle de compétition, elle ! Strauss-Kahn a pour lui sa compétence et la cohérence interne de ses idées. Mais peut-être il manque à son caractère la part d’utopie qui permet de voir loin.

 

Je suis un peu étonné que mon ami m’écrive : « il n’est que trop certain… ». Lui qui n’est jamais dupe des certitudes établies et des vérités médiatique, d’où lui vient cette certitude qui enferme et ne laisse par de place à l’espoir ? Non, ce n’est pas « plus que certain », ce n’est même pas certain du tout. Bien sûr, les inerties, les paralysies, les immobilismes de toutes sortes (et pas seulement du côté des éléphants du PS : dans le genre ‘sans illusion’, on pourrait largement allonger la liste) seront là et bien là.

Mais honnêtement, qui, quand Sélène Royal a commencé à être candidate à la candidature pensait qu’elle allait autant faire ‘bouger les lignes’, ne pas se laisser enfermer dans les dogmes et les carcans ?  Je suis étonné, que mon ami, qui s’est toujours montré un analyste très lucide, estime qu’elle ne s’est pas assez débarrassée des « éléphants du PS ». Je crois qu’elle a fait le maximum pour qu’ils n’encombrent pas sa route. Or c’est une contrainte démocratique indispensable (si l’on veut gagner et pas seulement présenter une candidature de témoignage[1]) de devoir tenir compte des ténors de partis politiques. On les voudrait plus rénovateurs sans doute, mais voilà, ils sont ainsi et elle a bien été obligée de faire avec. Mais, elle a quand même sacrément fait bouger les choses, non ?

 

Alors, naturellement, quand on insuffle du mouvement, il y a toujours des mécontentements possibles sur telle ou telle direction proposée, telle initiative prise. Mais comment regrouper la majorité des Français sans frustrer personne ? J’ai écrit de multiples fois que la réussite de la loi de 1905 consistait à avoir trouver un équilibre des frustrations ; ajoutant qu’elle a aussi permis à terme un certain dépassement de ces frustrations réciproques. Il me semble que Ségolène Royale est arrivée à s’inscrire dans une démarche analogue. Il me semble, qu’en un an et demi, elle a progressé à chaque étape. Elle a su, pour cela, bousculer ses petits camarades quand il voulait lui imposer un chemin tout tracé à l’avance. Elle n’a pas eu peur de l’hérésie, et cela me plait bien.

Alors s’abstenir parce qu’il y a, il y aura obstacles et blocages serait parier à l’avance que ces derniers vont complètement triompher. Mais une telle certitude à l’envers n’est-elle pas finalement aussi dogmatique que croire dans « les lendemains qui chantent » ? Et puis, comme Sarkozy est le favori, s’abstenir n’est-ce pas voter en moitié pour lui ? Or, si je t’ai bien compris, ami, tu n’en veux pas. Et nombreux sont celles et ceux qui n'en veulent pas non plus. Il faut en tirer les conséquences.

 

Je reviens, je l’ai dit,  du Chili. C’est un pays fort intéressant. Il a cru en la possibilité d’une révolution à la fois démocratique et marxiste. Cela n’a pas marché, parce que les blocages sont internes et externes, ils sont à l’échelle de la planète. Il y a eu au Chili, un 11 septembre où l’Amérique n’était pas victime mais complice, un 11 septembre 1973 où le général Pinochet a réussi un sanglant coup d’Etat. Depuis 1988-1989, le Chili remonte la pente.

La situation de la France n’est, naturellement, en rien comparable, si ce n’est qu’en février 2006, une femme socialiste a été élue présidente de la république chilienne. Un Chilien m’a dit : « Notre société est machiste et cela lui fait du bien d’avoir une femme présidente ; cela entraîne des évolutions en profondeur ».

Bien sûr, cela ne justifierait pas que l’on prône n’importe quelle femme, sous prétexte qu’elle est une femme, comme présidente. Cependant, il faut convenir que, pour en arriver à être au second tour de la présidentielle, Ségolène Royal a du vaincre un peu plus d’obstacle qui si elle avait été un homme. Et que cela mérite considération.

D’ailleurs, actuellement, dans les sourires à Sarkozy, existe aussi le machisme bête et méchant de certains[2]. Et si, contrairement à certains éléphants PS, le président de l’UMP a eu l’intelligence de ne pas tenir de propos antiféministe, je me demande si sa posture « virile », fort en gueule, n’est pas (en partie) une manière implicite de dire : « vous n’allez quand même pas voter pour une gonzesse ». Eh bien si.

 

Donne moi un argument, un seul me demande un autre ami. OK, le voilà : toutes les mesures concrètes proposées  pour démocratiser la République. On s’est moquée de la phase d’écoute des Français que Ségolène Royal s’est imposée. Ou, avec plus d’intelligence, on a dit qu'elle prenait un gros risque. Certes. Pourtant, le risque a permis de rompre avec la pratique d’appareils, il a mécontenté beaucoup de clercs divers, et c’est tant mieux. Tout le début de son dialogue avec Bayrou porte sur ce sujet, il est très intéressant et le fait même d’avoir préconisé et réussi cet inhabituel dialogue, qui casse l’inflation idéologique si courante en politique, est novateur.

 

Notre république est semi monarchique : c’est le constat qui est fait hors de France dans pratiquement tous les pays démocratiques, alors même qu’a régné, jusqu’à présent, en France, une invocation incantatoire et acritique de la Rrrrépublique. Proposer une république plus démocratique, c’est proposer une république plus républicaine.



[1] Ce qui est également une démarche honorable, quand on en profite pour poser de bonnes questions (j’estime pour ma part que c’est ce qu’a fait, par exemple, Dominique Voynet). Mais, il faut bien aussi que quelqu’un y aille pour la gagne !

[2] Michel Charasse par exemple : quand « la présidente de la région Poitou-Charentes s’était lancée à l’assaut de l’investiture PS, Charasse avait emporté haut la main la palme du machisme en lui promettant l’échec en ces termes ‘Ségolène, poum, poum dans le popotin !’ », Libération 28-29 avril 2007.

19:45 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (3)

23/04/2007

PRESIDENTIELLE: LES ENNEMIS INVISIBLES

Voila, le premier tour des présidentielles françaises a eu lieu et acteurs et commentateurs saluent d’abord ce qu’ils appellent « la victoire de la démocratie ». Moi aussi je souhaite commencer par là car c’est une double victoire : d’abord le taux exceptionnel de participation ; ensuite le net recul de Le Pen et du Front National n’atteignant pas les 11% des voix, le plus mauvais score depuis des lunes…

 

Certes, il ne faut pas bouder son plaisir et il s’agit de deux bonnes nouvelles pour la vie publique de la France. Le dépit de Le Pen, qui se montrait mauvais perdant, avait de quoi réjouir. Et au fil de la journée son recul devenait prévisible au fur et à mesure que les annonces d’un très fort taux de participation se multipliaient : Le Pen prospère sur l’abstentionnisme. Les 2 bonnes nouvelles sont donc liées. Mais au risque de jouer un peu les rabats joie, si le 22 avril 2007 a été un peu le contraire du 21 avril 2002, il faut déjà se poser la question : comment faire pour que le 23 avril 2012 ne soit pas l’inverse du 22 avril de cette année ? Autrement dit : comment faire pour que la France sorte enfin de façon irréversible de cette situation qui n’a pas d’équivalent dans les autres grandes démocraties ?

Une fois déjà, je m’étais réjouis un peu vite : c’était au moment de la scission Le Pen-Mégret. J’ai cru qu’elle marquait un déclin durable du FN et je me disais : ce que nous n’avons pas été capable de faire, le FN lui-même l’a réalisé : il explose en plein vol ! C’était avant 2002 ! Vous connaissez la suite de l’histoire : cela rend prudent.

 

Pour assurer une « bonne santé » démocratique à la France de façon durable, il me semble que deux « ennemis » doivent être vaincus.

D’abord dépasser le jeu de ping-pong « déprime- enthousiasme ».

2002 avait été le summum de la déprime et cela avait induit, en plus de l’abstention, deux attitudes (certes pas du tout comparables sur le plan éthique, mais qui s’étaient, de fait, cumulées pour arriver au résultat que l’on sait) : le vote « protestataire » Le Pen (je connais 2 personnes ayant voté Le Pen, catastrophées le soir du 21 avril 2002 car elle s’apprêtaient à voter Jospin au second tour : cela peut sembler très étrange mais c’est ainsi) ; le vote vers des « petits » (au sens où personne ne pouvait penser qu’ils participeraient au second tour) candidats de gauche ou d’extrême gauche, vers des candidatures de témoignage.

L’élection de dimanche a non seulement engendré un très fort taux de participation mais un vote beaucoup plus important vers les candidats susceptibles d’être au second tour (ils ont eu, à eux trois, 75% des voix). Leurs meetings ont été très suivis et une amie me disait qu’elle avait trouvé dans cette campagne un enthousiasme qui lui rappelait un peu l’atmosphère de la Coupe du monde.

 

Fort bien, l’enthousiasme vaut tellement vaut mieux que la déprime. Seulement j’appartiens à une génération qui a beaucoup cru au politique, qui a appris (à ses dépends) que le politique ne peut pas tout. Sans vouloir imposer cette expérience à d’autres, il me semble important de dire à celles et ceux qui me font l’amitié de lire régulièrement ce blog que la politique est l’art du possible et qu’il ne faut pas en attendre une sorte de salut terrestre.

Je voudrais donc un enthousiasme comportant du réalisme et du sang-froid. Un peu contradictoire me direz-vous. Oui, bien sûr. Mais la formule (que j’ai empruntée à je ne sais plus quel auteur) ne dit pas que la politique c’est le possible mais l’ART du possible. Or l’art, c’est ce qui tranche avec le possible routinier. Donc une politique réussie serait d’arriver (enfin !) à réussir cet impossible : réaliser le possible souhaitable. Vous me suivez, j’espère !

Cela signifie que le réalisme que je prône n’a rien de plat, mais (au contraire) comporte sa part d’utopie. Il faut intégrer une part d’utopie à son action pour arriver à réaliser le possible. L’utopie, comme l’horizon fait avancer. Mais, en même temps, il ne faut pas être englobé par l’utopie, avoir la naïveté de croire qu’on la réalisera telle quelle. On n’atteint jamais l’horizon, on ne réalise jamais l’utopie telle quelle.

 

J’ai commis, à la fin des années 1970, un livre qui s’intitulait : La marche et l’horizon. En gros, ma métaphore était la suivante : l’horizon, l’utopie, c’est ce qui met en mouvement, qui pousse à être debout, à marcher. Mais attention à ne pas regarder que l’horizon, à être attentif à la marche elle-même, à ses difficultés et aussi à la beauté de ses paysages. Attention de ne pas oublier que la route n’est jamais toute droite, elle doit s’adapter au terrain, effectuer des virages quand la pente est trop forte. Dans ces virages, on a parfois une impression de déjà vu, mais ce n’est qu’une impression : on n’en est pas au même point.

Attention aussi, de ne pas décourager certains marcheurs par une marche forcée, à un rythme qu’ils ne peuvent pas suivre : on s’apercevra peut être ensuite que ce sont eux qui transportaient un bonne partie de la nourriture !

Bref l’utopie permet de voir loin, le réalisme permet de savoir se quel est le sol que l’on foule et ce qui se passe autour de soi. Il faut trouver un artistique mélange. Trop d’utopie ou seulement du réalisme : voilà des ennemis invisibles.

Attention alors à la temporalité : je veux dire que le temps de la campagne pourrait être celui de l’utopie, des promesses, et la suite d’un retour brutal au réel, retour désenchanteur, déprimant. Retour qui, en fait, réduit le réel à ce qui ne va pas ou va mal…. C'est-à-dire à un réel médiatisé, puisque le rôle des médias consiste à parler « des trains qui arrivent en retard et non des trains qui arrivent à l’heure ».

La encore, il faut arriver à penser deux idées en même temps : il est indispensable à la vie démocratique que les médias puissent librement parler des « trains qui arrivent en retard ». Ce ne sont que dans les sociétés totalitaires que les trains arrivent (officiellement) toujours à l’heure ! Mais attention à ne pas confondre critique et dérision, critique et déboulonnage systématique.

Le « tous pourris, tous menteurs, tous corrompus », les chroniques à la Guy Carlier où, pour ne pas paraître dupe, on déboulonne systématiquement toute la classe politique est le terreau où Le Pen a prospéré et ou lui ou ses émules peuvent de nouveau prospérer.

 

J’ai mentionné 2 personnes de ma connaissance qui, en 2002, ont voté Le Pen et auraient voté Jospin au second tour. Parmi celles et ceux qui ont voté Le Pen cette fois, où qui étaient plus ou moins tentés de le faire, il y a des gens dont vous ne pourriez absolument pas soupçonner un tel vote si ne le vous le disaient pas explicitement. Vous voulez alors comprendre, vous les faites un peu parler… et vous ne vous tardez pas à vous rendre compte qu’ils sont influencés par des … -faut-il encore dire journalistes ou chroniqueurs  ou plutôt animateurs, humoristes politiques, etc, je ne sais trop quels mots employer. L’important est d’indiquer que ces dernières personnes croient sincèrement détester Le Pen et ne se rendent absolument pas compte qu’elles lui servent la soupe, à lui et à d’autres du même acabit.

 

La encore, il ne s’agit pas de supprimer l’humour politique, le droit à la dérision.

Mais existent deux problèmes invisibles : celui de la proportion (c’est comme la cuisine : si vous mettez 10 fois trop d’un ingrédient, cela devient immangeable) et (encore plus important peut-être) la qualité. Certains traits d’humours, certains dessins humoristiques donnent à penser, ouvrent à la réflexion ou rendent visibles une manière un peu originale de voir les choses ; d’autres ne font que reprendre à leur compte des stéréotypes qui traient dans toutes les poubelles, ils participent de la non pensée, de la fermeture de toute réflexion. Et, entre ces 2 pôles, vous avez toutes les catégories intermédiaires.

Proportion et qualité sont liées : débités à haute dose, l’humour et la dérision politique sont devenus, le plus souvent, de qualité très médiocre. Et (entre nous), j’aimerais bien savoir combien gagnent les auteurs de telles médiocrités.

 

Dans la Note de la semaine dernière, j’avais expliqué pourquoi j’apportais mon soutien (à mon modeste niveau) à Ségolène Royal, dés le premier tour. Je me réjouis bien sûr, de son score, de la réussite de son pari. Je pense qu’elle a mené une bonne campagne, qu’elle a fondé sur ses convictions propres qui sont indéniablement de gauche pour ce qui est essentiel, mais pas forcément de la gauche classique.

Quand j’ai été son collaborateur, j’ai pu apprécier son volontarisme utopique en même temps que sa connaissance des dossiers. Cela fait que ce que j’ai indiqué tout à l’heure sur le mélange nécessaire entre utopie et réalisme s’applique bien à sa personnalité.

J’entends les critiques que certains m’ont fait à son sujet, et dont on retrouve quelques échos dans les commentaires du Blog lui-même (qui est un lieu d’expression, et non un lieu où quoi que soit serait imposé). Soutenir quelqu’un ne signifie pas être à 100 % d’accord avec lui ou elle et l’on doit se déterminer sur un ensemble de facteurs.

Par ailleurs, je ne crois pas du tout (pour répondre à un internaute du blog) qu’elle ait une "vision étroite de la laïcité". La citation de Maintenant,que je donne en PS, suite à l'allusion d'Hakim dans les Commentaires de ma Note du 16 avril, le montre.

D’ailleurs, elle n’a (à mon sens) de « vision étroite » sur rien. Membre de son Cabinet, j’ai eu son soutien pour des initiatives qui dérangeaient soit l’administration, soit certains apparat chics du PS, soit des personnes qui avaient le bras long. C’est là d’ailleurs que j’ai éprouvé à quel point, concrètement, c’était difficile de faire bouger les choses et qu’il était vain de reprocher (au bout du compte, c’est de cela qu’il s’agit) aux politiques de ne pas être tout puissants. Mais, en même temps, qu’on arrivait, avec beaucoup de volonté et en prenant des risques, à sortir de l’immobilisme.

Ségolène Royal est une femme d’Etat. Ce pays (il n’est pas le seul, bien sûr) a, jusqu’à présent, confié le pouvoir à des hommes, qu’ils soient des hommes d’Etat ou non. Parmi les obstacles qui se dressent devant elle, il y a cet ennemi invisible qui fait que, de façon consciente ou non, on demande beaucoup plus, à ce niveau de responsabilité, à une femme qu’à un homme. Cela fait, par exemple, qu’une femme aura tendance à être considérée soit comme autoritaire, soit comme manquant d’autorité.

Des siècles de loi salique (la couronne royale réservée aux hommes, et la République a allègrement continué cette tradition), de pouvoir masculin restent bien présents et encombrent les têtes. Il faut en prendre conscience pour que cela ne soit pas un déterminant inconscient de son vote le 6 mai.

 

 

PS : Un internaute  (Hakim), en commmentaire de ma Note du 16 avril, indique que S. Royal fait allusion au travail que j'ai effectué auprès d'elle, quand j'étais membre de son Cabinet. Voici le passage exact:

Elle parle de ses enfants, baptisés à 10-12 ans: "Ils allaient à l'école publique mais l'aumônerie leur a plu: éducation au respect, dialogue sur les valeurs universelles, loin des dogmes. Au fond, la morale laïque que j'ai réintégrée au collège, avec Jean Baubérot, lorsque j'étais ministre de l'Enseignement scolaire n'en est pas très éloignée", Maintenant, page 31.

Propos proches de ceux de Jules Ferry.

 

Hakim me demande aussi quelques détails sur mon itinéraire. Ce n’est pas la première fois. Quand c’était sur un mode accusatoire, je n’ai pas donné suite. Mais, parfois, comme cette fois ci, c’est une interrogation. OK, un peu de patience : cet été, je vous raconterai, sinon tout… du moins certaines choses.

 

12:40 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (1)

16/04/2007

PROPOS (un peu) DECALES SUR LA CAMPAGNE PRESIDENTIELLE

Plusieurs d’entre vous m’ont reproché mon silence sur la présidentielle : « Alors vraiment, tu n’a rien à dire ? Cela m’étonnerait énormément » me mèle un ami. Si, bien sûr, mais il m’a semblé que ce n’était pas l’objectif premier du Blog, surtout que la laïcité est assez absente des débats et que, de mon point de vue cela vaut mieux.

« Ah, mais justement, explique toi là-dessus, me rétorque-t-on. » Bref, pas moyen d’y échapper, et c’est le dernier moment pour le faire. Donc, voilà quelques remarques.

 

 

Les sondages :

Un premier ensemble de remarques concerne les sondages, omniprésents, à la fois scrutés, cités et contestés. Mon ami Jean Cayrol, de csa défend bec et ongles sondages et sondeurs (cf une tribune du Monde, dont je n’ai plus la date en tête) en indiquant en substance que les sondeurs font du travail sérieux et que le résultat de ce travail est celui de toute démarche de sciences humaines, avec son intérêt et ses limites : il ne faut pas lire les sondages comme des pronostics, mais comme une photographie de l’opinion, à un moment donné.

OK, pour l’avoir vu à l’œuvre, je ne doute pas de la qualité de son travail. Mais j’aimerais faire quelques observations complémentaires
D’abord, comme il l’explique bien, une part du sérieux de ce travail vient des redressement, souvent accusés de « manipulations » mais en fait, plaide-t-il, effectués selon des méthodes éprouvées à partir des expériences passées. Elles ont montré qu’un certain nombre de gens qui votaient Le Pen n’osent pas le dire, que par contre des gens annoncent qu’ils voteront écologique alors qu’ils voteront finalement autrement (parce qu’annoncer un vote écolo semble moins s’engager), etc. Bref, en confrontant, à chaque fois, sondages et réalité du vote, on améliore la « scientificité » des résultats.

Fort bien, mais alors qu’en est-il du sérieux des sondages sur tous les sujets « d’opinions », de « faits de société », etc sur lesquels on n’effectue pas les mêmes redressements, sur lesquels on n’a pas la possibilité de confronter avec une réalité qui testerait le degré de véracité des réponses données ? Si les arguments présentés pour justifier les redressements sont justes, ils posent une question sur les sondages courants, non ? Or ce problème ne me semble pas aborder.

Les redressements, montrent quand même que l’on ne cherche pas seulement une photographie de l’opinion à un moment donné, mais à savoir quand même pour qui, finalement,  on votera. Ce qui est assez logique, car après coup, on va estimer que les sondages se sont trompés ou ne se sont pas trompés d’après le résultat final. Il est donc bien difficile d’exclure toute dimension de pronostic, et de prétendre qu’il s’agit là seulement d’une fausse interprétation des sondages.

Ensuite, il y a un aspect immergé dans l’iceberg des sondages : A côté des sondages commandités par les médias, il y a ceux pays par le staff des candidats et qui portent en général sur les « attentes » de l’opinion. Souvent quand arrive tout à coup une prise de position qui vous semble vraiment incongrue, voire même débile ou scandaleuse, cette déclaration est faite étant donné les résultats d’une étude qui ne sera jamais publiée car elle a été achetée par telle ou telle force politique, à condition d’en avoir l’exclusivité. Là, ces études servent donc d’instrument idéologique.

Enfin, il faut réfléchir sur le rôle des sondages en aval. Les sondages publiés ne sont pas qu’une photographie, ils sont aussi (de plus en plus peut-être, étant donné l’euphémisation des frontières idéologiques) un élément actif dans la stratégie du citoyen électeur. Pour cette campagne, on a noté (par exemple) que Bayrou a fait un bond quand un institut de sondage a effectué une enquête sur un hypothétique second tour Sarkozy – Bayrou (là, on était en plein dans un pronostic, fort hypothétique au demeurant) et a décrété Bayrou, plus facilement vainqueur que Royal. Il faudrait effectuer des enquêtes sur ce rôle des sondages, or ce n’est pas fait.

Moralité : le déficit de scientificité, à mon sens, n’est pas là où on le met souvent, il existe cependant.

 La campagne électorale:

Au-delà des sondages, que dire de la campagne ? J’ai joué l’analyste de sciences politiques à un de mes déplacements à l’étranger où une radio, au lieu de m’interroger, comme d’hab, sur la laïcité, m’a posé des questions sur le déroulement de la campagne électorale. J’ai répondu que c’était une campagne intéressante. C’était, il est vrai avant le tournant qu’a représenté la proposition de ministère de « l’immigration et de l’identité nationale ». Mais, l’actualité marchant beaucoup à l’amnésie et l’amnésie (comme la peur) étant « mauvaise conseillère », j’indique rapido pourquoi j’ai pu donner une telle réponse .

Contrairement aux campagnes précédentes il n’y a ni président de la République sortant, ni premier ministre et, à part Le Pen et Laguiller, les candidats ont moins de soixante ans. Cela signifie que les principaux candidats (disons le tiercé Bayrou-Royal-Sarko) ont du conquérir leur candidature, et ils l’ont fait en prenant chacun certains risques, en remuant leur propre camp, en prenant des initiatives. On peut, bien sûr, désapprouver certaines d’entre elles comme citoyen. Mais, au niveau de l’analyse, il faut reconnaître que la pré-campagne et le début de celle-ci ont fait, comme on dit « bouger les lignes », se sont éloignées des propos convenus. Ensuite, cela a été différent, mais n’oublions pas ce que cette « cuvée » 2007 a apporté d’original, pour ne pas sombrer dans un trop grand pessimisme.

Il me semble important de convier à cette petite prise de distance à l’égard des opinions que légitimement nous pouvons avoir. Pour jauger une campagne, il faut se garder de prendre les choses au premier degré mais tenir compte de 2 contraintes essentielles :

La première est que les candidats qui veulent l’emporter doivent convaincre plus de 50 % des électeurs (et les autres élargir leur base électorale). Et donc, il est logique que personne ne soit en accord complet avec l’ensemble de leurs propos ou de leurs attitudes. On n’en est plus à une conception quasi religieuse de la politique où on en attend un salut terrestre. ? On est beaucoup plus dans : qu’est ce qui est le moindre mal, dans ce qui s’avère acceptable par une large fraction de l’opinion ?

La seconde est que, étant donné cette contrainte, le reproche fait à la campagne d’être trop médiatique et pas assez sur les questions de fond n’est, certes, pas du tout faux (et comme les autres, j’aurais une liste d’insatisfactions très longue à présenter) mais un peu vain. Car il est possible de généraliser aux médias ce que nous venons de voir des sondages : loin d’être uniquement un reflet, ils sont un élément très actif, voire déterminant. En amont des reproches qu’il est possible de faire, chacun doit donc se poser la question : en quoi ma propre opinion n’est-elle pas déterminée par les médias ? Comment je fais pour être autonome par rapport à la présentation médiatique des choses ?

 La laïcité

C’est dans cet état d’esprit que je peux soutenir qu’il est heureux que la laïcité ait été si peu présente dans la campagne. Vu la façon dont la laïcité dominante est aujourd’hui en France une religion civile, le moins on en dit pour appâter l’électeur, le mieux c’est.

Voilà ce que j’ai répondu en substance à un journaliste qui m’interrogeait sur le sujet. Et j’ai ajouté que ce qui se passait confirmait, hélas, mes analyses : derrière beaucoup d’utilisations actuelles du mot « laïcité » se cache une optique nationaliste.

Cette optique a été mise à nue par la proposition de ministère de « l’immigration et de l’identité nationale ». Je suis à peu près persuadé que cette proposition relève de ce que j’ai indiqué des sondages non publiés : elle n’a pas été faite sans étude préalable. Voilà la réalité crue qui est le résultat de tout le discours dit « républicain ».

A ce niveau, en effet, il ne servirait à rien de dénoncer cette proposition sans analyser (et dénoncer) le discours qui l’a engendré. L’optique, par exemple, du Haut Conseil à l’Intégration. Quand on fait un rapport aussi idyllique sur l’histoire de France et de la laïcité en France, gommant ses zones d’ombres, multipliant les erreurs (vous vous rappelez : les Mexicains en séparant l’Eglise et l’Etat à la fin des années 1850 se sont inspirés de la loi française de séparation de…1905.  Ah, ils sont intelligents ces Mexicains : ils se sont dit : « Voyons comment les Français s’y prendront dans un demi siècle et imitons les » !).

Bien sûr, je ne suis pas du tout d’accord, mais je trouve trop facile cette indignation primaire de la part de gens qui contribuent à en arriver là. Encore une fois, il ne sert à rien de dénoncer cela si on ne dénonce pas la Nationale-laïcité du Haut Conseil à l’Intégration et de bien d’autres.

 Et finalement, pour qui ?

l n’y a guère de mystère, parce que j’ai déjà pris position publiquement : j’ai fait campagne et je voterai pour Ségolène Royal. 

Je mets ci après le contenu d’une interview que j’avais donné à l’hebdomadaire Réforme en février dernier. Elle portait sur ma participation, il y a 10 ans maintenant au Cabinet de Ségolène Royal quand elle était ministre déléguée à l’instruction scolaire. Voila le contenu de l'interview, telle que synthétisée par le journaliste (elle avait duré une bonne heure): 

Dans quelles conditions avez-vous été amené à faire partie du Cabinet de Ségolène Royal ?

J’ai publié, en 1997, un ouvrage sur la morale laïque que l’éditeur a envoyé à diverses personnalités dont Ségolène Royal. Elle était alors ministre déléguée à l'Enseignement scolaire du Gouvernement Jospin auprès d’Allègre, ministre de l'Éducation nationale. C’est elle qui a pris contact avec moi, ce qui est bien dans sa manière, simple et directe. Lors de ce rendez-vous, j’ai été séduit par sa spontanéité et sa disponibilité. Elle m’a proposé de m’occuper des « initiatives citoyennes » qu’elle venait de lancer. Il fallait impulser une formation à la citoyenneté et soutenir les expériences intéressantes déjà faites par certains professeurs.J’ai accepté de tenter l’aventure pour six mois. J’y suis resté treize mois et je suis parti quand j’ai été élu Président de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes.

J’étais le franc-tireur du Cabinet composé surtout d’énarques et de profs du secondaire. J’avais de fait une relation confiante avec elle, libre et sans complexes.

Quels souvenirs gardez-vous de son comportement avec ses collaborateurs. Certains ouvrages récemment parus la décrivent cassante, dure, autoritaire… 

Elle est avant tout très exigeante. Elle s’estime chef d’orchestre et a des objectifs précis. Il faut que ses divers collaborateurs fonctionnement à partir du tempo qu’elle donne. Au début, je me suis fait un peu « remonter les bretelles » car j’avais l’habitude de commander et donc je prenais des initiatives sans lui en référer. Mais je peux témoigner qu’elle l’a toujours fait en me respectant, en m’expliquant ce qui n’allait pas, jamais devant d’autres personnes du Cabinet... et avec un charmant sourire ! Je ne l’ai jamais trouvé cassante. Et j’ai vite compris comment il fallait fonctionner. Par contre, une fois l’erreur venait d’elle, elle l’a assumée sans essayer de me faire porter le chapeau. C’est assez rare pour être noté.

Je pense qu’une femme qui fait une carrière politique est forcément un peu autoritaire. Certains hommes n’acceptent pas facilement d’être commandé par une femme. Et un ministre, c’est un peu Daniel dans la fosse aux lions  car des membres du Cabinet tentent de tirer leur ministre vers leurs propres objectifs. Elle devait avoir une connaissance générale de tous les dossiers pour ne pas se laisser entraîner. Sans parler de la résistance passive des administrations qu’il faut continuellement tenter de vaincre à chaque tentative de réforme.

 Ses détracteurs la disent encore obsédée par les questions d’image et de présence dans les médias depuis de longues années…

Elle est soucieuse de son image, cela au service de ses convictions. Elle a de vraies convictions. Certains socialistes ne la suivaient pas sur des questions comme le bizutage. Nous nous heurtions à de très puissantes associations d’anciens élèves. Elle prenait des risques et se montrait sensible à l’écho rencontré. Je crois qu’elle en voulait un peu à Jospin de ne pas disposer d’un ministère plein. Elle ne ménageait pas ses efforts pour rétablir une bonne image des profs à l’encontre de son ministre, Claude Allègre qui ne les ménageait pas.

Son ambition à de très hautes fonctions était-elle déjà sensible ?

Sur le moment je ne l’ai pas senti. Avec le recul, certaines attitudes me font penser qu’elle estimait ne pas avoir dit son dernier mot en étant ministre délégué. Je pense que, jeune conseillère de Mitterrand, elle a beaucoup observé et appris. Nous avons parfois parlé de lui et de sa manière terrienne de faire de la politique, comme si elle voulait s’en inspirer dans une carrière qu’elle imaginait plus longue et plus ambitieuse.

Quelles sont, d’après vous, ses convictions propres et la source de son engagement ?

Elle est de famille catholique et semble avoir été marquée par cette éducation. Elle m’a pourtant confiée qu’elle s’était éloignée de l’Eglise catholique en raison de son antiféminisme. Certaines valeurs chrétiennes l’intéressent, le dépassement d’une raison instrumentale par exemple.

François Hollande et Ségolène Royal ont cheminé dans « l’écurie de Jacques Delors », et sans doute là l’imprégnation d’un humanisme chrétien a continué, mais sans référence explicite, dans une attitude d’attirance et de dissensus.

Sur le plan politique, elle n’est ni marxiste ni d’un socialisme doctrinaire. Elle a un sentiment  aigu de l’injustice, des injustices commises à l’égard de personnes en position de faiblesse. Ses combats contre le bizutage, contre la pédophile partaient de là. Certains, y compris au Cabinet, considéraient que cela relevait d’une vision plutôt traditionnelle de la sexualité. Mais souvenez-vous qu’elle a aussi introduit dans les lycées la présence de la pilule du lendemain. D’où cet aspect inclassable. Elle est de gauche, mais pas toujours à la manière de la gauche…

 Dernière polémique liée à quelques gaffes ou imprécisions politiques, est-elle assez compétente pour le poste convoité ?

Elle n’a effectivement pas occupé que de ministère régalien, mais a été trois fois ministre, y compris de l’environnement, sujet dont l’importance va croissante. Quand je l’ai vue à l’oeuvre, elle a montré une grande capacité à synthétiser les dossiers et à prendre de bonnes décisions. Dans cette campagne elle doit passer à un niveau supérieur de responsabilité et arriver à maîtriser l’ensemble des domaines. Mais, après tout, ni Sarkozy ni Bayrou n’ont été premier ministre.

Elle est la première femme candidate crédible à la Présidence. Elle doit donc forcer un tabou, celui que l’on opposait aux premières femmes pasteurs, avocates ou médecins. Pour moi, la C’est plutôt le maintien de certains archaïsmes du socialisme français qui m’interrogent et surtout les pesanteurs culturelles de la France d’aujourd’hui. Quelque soit le prochain président, la tâche sera très difficile.

 

 

Bref commentaire  et une anecdote pour finir :

Je remarque que Bayrou n’a pas non plus eu de ministère régalien et qu’on ne lui en a pas fait de procès (ce qui est normal, mais alors ne l’est pas pour Royal)  

Il me semble clair que la percée réalisée par Ségolène Royal en étant la première femme candidate en ayant une réelle chance de succès a été semée d’embûches et que, jusqu’au dernier moment, ce sera plus difficile pour elle que pour les autres. Ce sont des siècles de machisme qu’elle doit combattre en même temps que ses adversaires, et je trouve que globalement, elle le fait bien.

Et maintenant, l’anecdote, qui est un bon souvenir : donc je venais de publier mon livre : La morale laïque  contre l’ordre moral, consacré à l’enseignement de la morale laïque sous la IIIe République, où je montrais que, jusqu’en 1914 en tout cas, cet enseignement avait été plus subtil et plus progressiste qu’on ne l’a dit. Elle m’a demandé si j’étais uniquement historien ou si j’étais intéressé par les problèmes de morale citoyenne aujourd’hui. Je lui ai répondu que, oui, j’étais intéressé… Elle m’a alors demandé de lui faire une fiche donnant mes idées sur le sujet et m’a invité à prendre un petit déjeuner avec elle. J’arrive, j’avais mon porte-document plein car ma journée s’annonçait chargée. J’étais quand même un peu impressionné. Et, patatra, tout le contenu de mon porte-doc s’étale par terre. Et voilà, Ségolène Royal à quatre pattes avec moi pour ramasser ce contenu. J’ai trouvé cela très sympa comme premier contact.

J’en ai plein d’autres, car j’ai gardé un très bon souvenir de cette époque. Aller, une autre, une qui indique la difficulté et les malentendus de la fonction ministérielle. Il y a eu un mouvement de grève assez dur dans le 93 en 1998. Nous l’avions vu venir et avions demandé au 1er ministre de prendre des mesures qu’il n’avait pas prises. Ségolène Royal m’amène dans le 93 discuter avec des représentants de grévistes. A la sortie, une fois remontée en voiture, on est entouré par un ensemble de gens à l’attitude très hostile. Elle ouvre alors sa vitre pour parler avec eux, mais le garde de sécurité qui était là trouvant la situation dangereuse, l’a obligée à remonter la vitre. Et oui, une personnalité politique ne fait pas toujours ce qu’elle souhaiterait. Et je l’ai tellement vue alors passionnée de dialogue, que la façon non-conformiste, « participative », dont elle a pris les choses ne m’a pas du tout étonné.

Aller, à la semaine prochaine. Sans doute les résultats du premier tour m'inspireront quelques commentaires.

 

 

07/04/2007

LE MULTICULTURALISME CANADIEN VU PAR UN FRANCAIS (suite et fin)

Cette Note est la suite de celle du 23 mars. J'en étais arrivé à la Charte des droits et libertés. Je reprends donc et prie celles et ceux qui n'auraient pas pris connaissance de la Note du 23/3 de s'y reporter si besoin.

La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

Les Libertés fondamentales garanties sont notamment la liberté de conscience et de religion, et  la liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression.  Il est également indiqué que la loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe[1], l'âge ou les déficiences mentales ou physiques. Mais, précision importante, la Charte ajoute que cela n'a pas pour effet d'interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d'individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques:

L’article 27 de la Charte garantit  la diversité culturelle, mais comme un droit individuel et non comme un droit collectif. En revanche des droits collectifs concernent les canadiens francophones et les peuples autochtones.

La Charte donne beaucoup d’importance à la Cour suprême, tout Résidant, même non permanent, peut y recourir et de nombreux conflits d’intérêts mais également des conflits mettant en jeu des valeurs. Le refus de la discrimination indirecte et l’accommodement raisonnable sont les principes régulateurs.

L’idée d’accommodement raisonnable est issue d’un constat : dans les sociétés modernes certaines règles sociales –considérées comme neutres- induisent des discriminations indirectes. Ainsi des commerçants juifs, qui fermeront leurs boutiques le vendredi soir et le samedi, seront désavantagés par une fermeture obligatoire le dimanche. Cet exemple montre que les migrants récents ne sont pas les seuls concernés. Un officier d’état-civil, chrétien fondamentaliste, pourra d’ailleurs invoquer l’accommodement raisonnable pour justifier de se faire remplacer lors de la célébration de mariage d’un couple de même sexe.

Plus généralement, on pense que la prise en compte de caractéristiques culturelles favorise la participation à la sphère publique commune et éloigne de l’enfermement dans la différence. Il faut donc s’accommoder  à la pluralité, en tenir compte, dans les organismes publics comme dans les institutions privées. Le même effort de refus d’une discrimination doit être consenti à un handicapé, une femme, un membre de minorités culturelles.

Cet accommodement est une obligation juridique, mais il doit rester « raisonnable » et diverses balises sont prévues. Ainsi il ne doit pas engendrer un coût excessif (l’argument est reçu moins favorablement pour un service public que pour une entreprise privée). Il ne doit pas également nuire au fonctionnement du service (ainsi une burka qui rendrait l’identification impossible ne peut être acceptée), aux règles de sécurité, aux conventions collectives, et , enfin, il ne doit pas porter atteinte aux droits d’autrui (définis par la Charte des droits et libertés),

D’une manière générale, les étapes du renforcement de la lutte contre la discrimination raciale dans les institutions fédérales ont été les suivantes :

1984-1985 Réorganisation des programmes par un gouvernement  conservateur 

On met l’accent sur l’intérêt économique du multiculturalisme : le Canada devient ainsi + concurrentiel sur les marchés internationaux en raison des connaissances particulières des immigrés (+ de la moitié des PE  appartiennent ou sont exploité par des personnes d’origine autre que britannique ou fçaise). Vancouver et les relations avec HK et Taiwan sont spécialement visées.

1988 Loi du multiculturalisme canadien avec  ministère autonome

. « Permettre une politique allant au-delà du respect des droits de l’homme et voulant promouvoir une société pluraliste et ouverte »

Secrétariat du multiculturalisme, budget accru (26M D)

Dés ce moment là le multiculturalisme est contesté.

En 1991, création d’un nouveau ministère du Multiculturalisme et de la Citoyenneté En 1993 Ministère du Patrimoine canadien

Accent renforcé par le retour au pouvoir des libéraux en 1994 : le multi doit non seulement promouvoir l’égalité et la liberté de la pluralité culturelle, mais participer à la promotion de nouvelles valeurs communes dans une période de recul de l’Etat providence. Peur de la conception qu’ont les citoyens d’eux mêmes comme consommateurs de droits.

A partir de 1995, refonte des critères de financement car les ONG subventionnés doivent participer à la création de nouveaux espaces de rencontre, insuffler un sens du vivre ensemble et contribuer à résoudre des problèmes sociaux locaux ou circonscrit. Les activités culturelles de ces ONG n’émargent plus au budget du multiculturalisme..

Le Multiculturalisme est donc une politique fédérale mais des « programmes de multiculturalisme » ont été lancés au niveau de gouvernements provinciaux  et de municipalités de grandes villes.

-         programmes : reconnaissance accrue en histoire et littérature des contributions des minorités ethnoculturelles + enseignement bilingue

-         modifications des horaires de travail et des codes vestimentaires pour tenir compte des religions des migrants-         sensibilisation antiraciste et formation à la diversité culturelle-         cours d’alphabétisation en langue maternelle pour les immigrants adultes

-         mesures de traitement préférentiel

Cela peut relever d’autres ministères fédéraux ou d’autres instances que le fédéral.

On va le voir en donnant la synthèse d’une étude de Christian Poirier : « Communautés ethniques, groupes d’intérêt et institutions à Ottawa et Vancouver » in B. Jouve et A.-G. Gagnon, Les métropoles au défi de la diversité culturelle, Grenoble, PUG, 2006, 263-

Ottawa : création d’un Comité consultatif sur les minorités visibles en 1982, Année 1990 : structure administrative de respect des droits de l’homme et d’équité en matière d’emplois qui prend aussi en compte personnes handicapées, etc (même élargissement à Vancouver)

2000 : programme se focalisant sur l’accès aux services et emplois municipaux plus que sur participation aux décisions politiques

Ce qui a le plus progressé à Ottawa : sont les dossiers de l’équité sur le marché du travail, et la sensibilisation des employés municipaux à la diversité.

Dans la police toutes les nouvelles recrues reçoivent une formation sur les relations interraciales et la prévention de la discrimination En 2000, on a créé un : Comité d’action police - citoyens pour améliorer les relations entre la police et les minorités visibles avec des équipes d’intervention composées de policiers et membres des minorités visibles pour la médiation des conflits.

Mais depuis 11 septembre, avec une communauté musulmane, relativement importante = on s’inquiète moins des relations interethniques que des relations interreligieuses

Ottawa met en avant l’aspect « capitale du Canada »  et la nécessité faire de la ville un symbole « d’unité et de fierté » dans le sens d’une valorisation de la citoyenneté canadienne.

Problèmes :

-         perpétuation d’une logique centralisée et bureaucratique : comité consultatif : «comment donner un avis sans connaître les enjeux débattus » ?

-         capacité financière comité est restreinte

-         multiplication des mécanismes consultatifs ne facilite pas démocratisation processus décision

A Vancouver  le discours s’avère beaucoup plus centré sur la diversité culturelle et joue de la valeur ajoutée de son caractère cosmopolite et de ses relations économiques avec l’Asie (c’est  la grande ville canadienne la plus autonome économiquement à l’égard des USA). Les autorités municipales luttent pour sensibiliser les citoyens à des rapports interethniques harmonieux devant les inquiétudes de la majorité anglophone face au développement du niveau de vie des chinois et l’arrivée massive d’investisseurs asiatiques (notamment d’HongKong).

Différents mécanismes sont mis en œuvre :

- implication municipale dans le social, normalement compétence provinciale

- Comité consultatif pour promouvoir l’harmonie dans les rapports interethniques et facilité la communication entre les groupes et la ville

- programme d’accès à l’égalité dans l’emploi

- illumination des arbres situés devant la Mairie en fonction des différentes fêtes culturelles et religieuses des communautés ethniques, il n’y a cependant pas de représentation mémorielle liée aux communautés ethniques (autrement dit : on valorise la diversité synchronique mais pas la différence d’origines)

- formation interculturelle de la fonction publique et panoplie de services linguistiques

- 20% budget local alloué à des organismes qui s’occupent de communautés culturelles qu’ils soient spécifiques ou transversaux« existence d’une véritable culture politique centrée sur l’importance du tissus associatif et l’implication citoyenne » = beaucoup d’associations sont à portée transversale

- implication forte des services de police 

Bilan : « relations interethniques relativement harmonieuses. On note cependant la présence de nombreux graffitis à forte connotations raciste » et le « Conseil municipal de Vancouver est essentiellement « blanc »

Bilan pour les 2 villes  (toujours selon Christian Poirier)

-         risque de monopolisation par certaines personnes, communautés ou groupes d’intérêt : Vancouver communauté chinoise bien organisée et la communauté philippine ne l’est guère, Ottawa = communautés juive et musulmane en position de force

-         émergence d’experts en consultation publique, ceux qui s’impliquent ont entre 40 et 65 ans et des revenus et niveau d’éducation plus élevés que moyenne; articulation entre identité et intérêt =  identité ethnique minoritaire et intérêt à jouer le jeu de la majorité d’où tentent « d’adoucir en sein de la sphère politique des revendications identitaires fortes s’exprimant dans la société » (JB : mais n’est ce pas le but implicite recherché : canaliser et rendre ‘comestibles’ en qque sorte les revendications, en reprendre qque chose, avoir des médiateurs qui bien sûr ne seront pas les plus démunis et qui auront des connivences avec les deux camps ?)

-         risque de revendications centrées sur des intérêts particuliers et de concurrence entre diverses catégories identitaires gays et lesbiennes, handicapés, personnes âgées,..) dans quête reconnaissance et appropriation des fonds publiques

-         lacunes dans certains processus de consultation (sélection implicite)

-         certain décalage entre discours et action municipale : si l’idéal multiculturaliste est célébré, c’est souvent l’universalisme civique qui se traduit concrètement » (278)

 IV Le débat sur le multiculturalisme

Micheline Milot parle pour le Canada d’une « dissociation réelle entre les Eglises et l’Etat, laquelle s’est amorcée dés le XVIIIe siècle » ; « séparation informelle mais effective » (« La laïcité au Québec et en France », Bulletin d’histoire politique, 13, 3, printemps été 2005).

De fait, dans le débat sur le multiculturalisme, opposants comme partisans invoquent la séparation des Eglises et de l’Etat.

1° Les mises en cause du multiculturalisme :

Elles ne sont pas nouvelles : dés le départ, il y a eu des opposants et des méfiances, notamment de la part de Québécois affirmant que le multiculturalisme était une manière de noyer les revendications de la nation québécoise dans une polyethnicité. Mais, dans les années 1990, 2 ouvrages sont parus dont les thèses ont été reprises par certains médias, qui en ont fait la promotion.

Neil Bissoondath, Le marché aux illusions : la méprise du multiculturalisme, Montréal-Paris, Boréal-Liber, 1994 (Réédit Seuil 1996) (Bissoondath est un romancier, né à Trinidad en 1955, il émigre au Canada en 1977 –Ontario-,  et vit depuis 10 ans au Québec)

Richard Gwyn, Nationalism Without Walls : The Unbearable Lightness of Being Canadian (Nationalisme sans murs: L’insupportable légèreté d'être canadien), Toronto, McClelland and Stewart, 1995 (on pourrait aussi traduire par: la non consistance de l’appartenance canadienne) (Gwyn est né en 1934, il est Anglais et habite au Canada depuis 1954, journaliste The Toronto Star, puis free lance)

Tous les 2 soutiennent que le multiculturalisme abouti à la « ghettoïsation » = la formation de bastions autonomes en marges de la société, cela abouti à des formes « d’apartheid », à l’exacerbation des différences, des ressentiments, des antagonismes,  des réflexes pathologiques d’apitoiement victimaire, de maintien d’un attachement à la patrie d’origine. Les leaders ethniques sont poussés par le multiculturalisme à garder leurs membres à l’écart de la majorité. Bref,p  pour eux, cela a augmenté les cloisons culturelles et a nui à l’intégration.

D’après Gwyn :

- les Canadiens britanniques des classes moyennes se sentent de plus en plus « exclus » des institutions communes par des groupes ethniques envahissants, du coup, ils « se retirent du cœur de la société » (p.202) ; en effet, quand ils ont posé des questions sur le multi, ils « n’ont obtenus que des réponses culpabilisantes » (p. 189) (style : vous êtes racistes) : transformation progressive de la culture canadienne britannique en « une culture de l’arrière pays, du monde agricole, des petites bourgades et de villes [moyennes] » (p.117

- la logique du multiculturalisme va voir une montée des revendications d’un droit à la différence qui atteindra les valeurs fondamentales : « si la mutilation générale des femmes est reconnue comme une pratique culturelle distinctive –notamment chez les Somaliens- alors puisque le but du multiculturalisme est de « préserver » et de « promouvoir les valeurs et les mœurs des groupes multiculturels, pourquoi cette pratique devrait-elle être interdite au Canada ? » (p 189) (pour le moment, accord des immigrants provenant des pays où l’excision était pratiquée pour l’abandonner, mais, bien sûr, l’affaire dite du « tribunal islamique » de Toronto dont je vais parler va dans ce sens pour les adversaires du multiculturalisme).

- selon lui, pour le « Wall » jeffersonien (= le mur de séparation entre les Eglises et l’Etat) : « un multiculturalisme officiel est aussi contestable que ne le seraient une loi sur la multireligion et un ministère du multireligionisme. Dans l’édification de notre pays, un de nos exploits fut de séparer l’Eglise et l’Etat ; nous avons maintenant renversé la situation en liant la race à l’Etat » (p. 273)

- il défend enfin une thèse intégrationniste (en référence au modèle républicain américain plus que français) : Les différences sont respectées à l’intérieur de la sphère privée mais elles ne doivent pas s’exposer dans la sphère publique où il doit y avoir un mur de séparation et égalité de tous les citoyens qui doivent se conformer à des valeurs et des règles communes régissant la vie collective.

Ces méfiances ont été dernièrement attisées par deux affaires.

La première, en Ontario, a été provoquée par l’extension à un organisme musulman, en 2003, de la possibilité de substituer des procédures d’arbitrage interne pour des questions de droit civil, commercial ou familial qui existe en Ontario depuis 1991. Les positions de cet organisme sur les rapports hommes femmes et les risques que les droits des femmes (notamment les migrantes récentes qui ne savent pas bien l’anglais et qui ne sont pas au courant des différentes balises mises dans les procédures d’arbitrage) ont entraîné la protestation du Conseil canadien de la femme musulmane, soutenu par des féministes de divers pays. Il s’agissait nullement là d’un cas d’accommodement raisonnable (qui de toute façon ne peut être accordé qu’à des individus).. L’affaire a pris une tournure émotionnelle tout en permettant « à la communauté musulmane de s’immiscer dans le débat public sous une forme plurielle »[2]

La seconde affaire, qui a secoué le Québec, a été celle du kirpan, ou poignard traditionnel, dont le port fait partie des convictions des Sikhs.  Devait-il être autorisé à l’école ? La Cour d’appel québécoise a dit non, la Cour suprême canadienne a renversé la décision a condition que le kirpan soit cousu dans un fourreau et inaccessible sous les vêtements. Au-delà de la dimension symbolique revêtue par la divergence des décisions entre le Québec et le Canada, on atteignait là, comme l’a reconnu l’avocat du plaignant, « la frontière du raisonnable »[3]. Journalistes et personnalités politiques québécois ont entamé une campagne parfois virulente, un ancien ministre dénonçant des « cafouillages sociétaux ».

 2° Will Kymlicka et le multiculturalisme repensé

W. Kymlicka est. professeur à Queen’s University (Kingston, Ontario), PhD en 1987, auteur notamment de Libéralisme, communauté et culture, 1989, La citoyenneté multiculturelle, 1995 en anglais, Boréal, 2001 pour l’édit fçaise réagit et publie La voie canadienne. Repenser le multiculturalisme, Boréal, 2003 pour l’édition française ; en anglais Finding Our Way : Rethinking Ethnocultural Relations in Canada). Il a critiqué les théories de la justice de John Rawls  et se situedans la lignée de Ronald Dworkin (né en 1931) et de sa notion de « l’égalité de respect et de considération »

Selon lui, dans ce débat, personne ne définit l’intégration et n’en donne des critères ; le multiculturalisme est récusé sans que l’on présente des données empiriques montrant qu’il a fait faillite.

Kymlicka donne certaines données tirées de différentes études qui vont à l’encontre des reproches effectués comme le haut degré de naturalisation canadienne des immigrants, alors que cela n’apporte rien d’autre que le droit de vote, ou encore l’absence de parti ethnique qui lui apparaît également comme un indice favorable, de même il cite des enquêtes indiquant que le taux de mariages interethniques s’est multiplié depuis 1971 et qu’il y a eu un déclin de l’endogamie. Cela, précise-t-il n’est pas un objectif de la politique multiculturelle mais un effet second  car montre que les Canadiens fréquentent de plus en plus des personnes issues d’autres groupes ethniques ; bref pour lui la plupart des clignotants sont au vert, tout au plus admet-il, « au sein de groupes d’immigrants assez anciens » (juifs, Italiens) de « légères tendances à la concentration territoriale ». Il cite enfin un rapport d’Orest Kruhlak : « quelque soit la variable étudiée (…) aucun ne nous permet de conclure à la mise en valeur de la séparation ethnique. » (p. 36 de WK).

Sur la séparation Eglises-Etat, Kymlicka indique que « des règles et des pratiques institutionnelles ont été conçues à l’origine pour –et par- une population homogène » (=chrétienne) et donc peuvent créer des difficultés à partir du moment où la population ne l’est plus : « ayant fixé une semaine de travail qui favorise les chrétiens, les Canadiens ne peuvent pas vraiment s’opposer à des exemptions pour les musulmans ou les juifs en arguant la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Ces groupes exigent simplement que l’on tienne compte de leurs besoins religieux, comme on l’a fait depuis toujours pour ceux des chrétiens. » (p. 77)

Ensuite, il dit que s’il y avait faillite du multiculturalisme le Canada devrait s’en sortir moins bien que les USA  et la France, or c’est l’inverse qui se produit (sur la France : « Le Canada s’en tire mieux en ce qui concerne non seulement le taux d’intégration mais aussi les rapports interethniques quotidiens », p. 37). Les seuls résultats analogues étant, d’après lui, l’Australie qui a aussi une politique multiculturelle.

Il se demande alors pourquoi toutes les données statistiques n’arrivent pas à rassurer de nombreux Canadiens : pour lui, il existe actuellement une inquiétude quant aux limites du multiculturalisme, limites qui n’ont pas été assez explicités par les promoteurs des politiques publiques. Sa thèse est en gros que le pouvoir politique ne peut pas être, de toute façon, culturellement complètement neutre et d’ailleurs, au Canada, ne prétend pas l’être puisque le multiculturalisme s’effectue dans le cadre du bilinguisme, ce qui favorise deux cultures de société l’anglophone et la francophone. Le multiculturalisme ne saurait donc être sans limites et celles-ci sont notamment données par la Charte des droits et libertés.

Par ailleurs, il répond aux Canadiens anglophones qui craignent que le multiculturalisme induise l’extension à différentes communautés des tendances séparatistes québécoises (intéressant, car au Québec le multiculturalisme est parfois accusé de l’inverse) : « l’expérience historique des Québécois [montre] qu’une minorité ne peut maintenir sa culture de société que si elle obtient des pouvoirs substantiels dans les domaines suivants : la langue, l’enseignement, la fonction publique et l’immigration » et pour cela une « minorité doit exercer un contrôle réel sur un corps politique ou une entité politique quelconques » (p. 56). Il ajoute que se sont les colons occidentaux qui, dans l’histoire, ont édifié des sociétés séparées (p. 61). Il estime donc non fondées les diverses craintes à l’égard du multiculturalisme.

3° Les enjeux du débat :

-         d’abord on constate, une fois de plus, la différence entre une perception de sciences humaines et une perception événementielle et médiatique  (je ne dit pas que la seconde est fausse mais son rapport au réel est différent) ; la seconde perception s’est accentuée depuis l’ouvrage de Kymlicka avec les affaires du port du kirpan et du « tribunal islamique » en Ontario. De même pour une perception scientifique, il y a des raisons préalables de conflits et le non événement est construit, alors que dans une perception médiatique, le non-événement est naturel, rejeté dans l’impensé.

-         ensuite, ce qui est considéré comme des signes de séparatisme par les adversaires du multiculturalisme est souvent considéré comme signe d’intégration par les partisans : demande des Sikhs d’être exemptés de porter le couvre chef du corps national de police a été perçu comme un refus d’un « symbole national » par les adversaires, alors que pour W. Kymlicka  le fait « que des Sikhs souhaitent se joindre à notre corps national de police est un indice assez révélateur de leur désir de participer et de contribuer à la société. » (p. 73). Donc, comme le dit WK lui-même, la représentation de l’intégration est un enjeu.         

     Kymlicka parle d’ « intégration équitable » ce qui signifie une intégration qui maintient la possibilité d’une certaine différence culturelle ; cela implique en fait peut être moins du séparatisme et de la juxtaposition que la construction d’une société en mouvement, et donc qui ne ressemble plus forcément à ce qu’elle a été ; dans cette perspective l’intégration n’est pas un mouvement unique des nouveaux migrants mais un processus qui demande une certaine réciprocité. Ainsi Kymlicka prend l’exemple des festivals ethniques, il dit d’abord que c’est un problème d’équité : à partir du moment où l’Etat finance les arts, il faut veiller à ce qu’il n’y ait pas de discriminations. Mais, en outre, il remarque que le public est interethnique et donc que « ces appuis financiers permettent en définitive à la majorité d’en apprendre un peu sur les groupes qui vivent à ses côtés » et comportent en définitive une « dimension de rapprochement interethnique » (p. 74). Là encore, réciprocité, jusqu’où ? Et cela signifie aussi qu’un groupe dominant l’est moins, ce qui est toujours douloureux (pour ce groupe) et entraîne d’autant plus une crise d’identité que ce groupe ne s’est pas conçu jusqu’alors comme un groupe particulier (cf les hommes face aux femmes, par exemple.).

-         la dimension symbolique du problème est importante : W. Kymlicka indique qu’il n’y a pas de séparatisme constatable, mais il reconnaît lui-même que l’interrogation porte sur « une sorte de séparatisme dans les esprits » (p. 86) et que les limites du multiculturalisme n’ont pas toujours été explicitées (elles semblent claires pour des juristes, sociologues, etc : ceux que j’ai rencontrés m’ont tous dit, par exemple, que le projet de tribunal islamique de Toronto dans la forme où il se présentait n’avait aucune chance juridique d’aboutir, mais des militantes et militants sont convaincues du contraire, Cf l’ouvrage collectif : Des tribunaux islamiques au Canada, Sisyphe, 2005).          En revanche Kymlicka tient à la dimension symbolique que le multiculturalisme revêt auprès des immigrants : 2 affirmations symboliques : d’abord, le rejet du « passé assimilationniste » : « plus jamais nous ne considérerons le Canada comme un pays de « blancs » (…) Au contraire, nous avons reconnu et consacré le fait que le Canada est un pays multiracial et polyethnique »,  ni « exclusion raciale » ni « oppression culturelle » (p. 92s) ; ensuite,  la seconde affirmation symbolique«  soulignait que les immigrants (…) avaient apporté une contribution essentielle à la société canadienne, que leur identités particulières représentaient une caractéristique fondamentale du Canada et que celles-ci devaient, dans la mesure du possible, être reconnues. » (p. 91)

-         plus précisément le multi est un élément du débat sur particulier et universel : critique d’un universalisme ethnocentré et volonté de construire un nouvel universalisme qui tienne compte de la diversité culturelle (« universalisme de surplomb » selon l’expression de Michael Walzer, qui estime qu’il a sa racine dans le monothéisme juif des prophètes : un seul Dieu, une seule loi, une seule justice, etc et que les Lumières ont conservées à abandonner au profit d’un « universalisme réitératif » qui se construit dans la rencontre des cultures et n’aboutit pas à des valeurs intemporelles et non spatiales).

-         Cela pose le problème du fond commun : ou on dit « valeurs universelles » et alors il y a bien un niveau où universalisme et construction historique occidentale se rejoignent ou on dit : valeurs du pays d’accueil et alors on assume que le lien politique soit dans la particularité (et non dans le nouvel universalisme de la rencontre), et l’universalisme est à un autre niveau, même si cela ne délégitime pas la recherche de passerelles et (à ce niveau) le multiculturalisme. Mais il faut clarifier. W Kymlicka contribue à cette clarification mais le travail n’est sans doute loin d’être terminé. Ainsi à l’Université de Montréal j’ai participé à une grande rencontre sur « l’accommodement raisonnable » fin mars et une autre va avoir lieu en avril.!

Il y a une critique de l’Etat-nation comme prétendant être un vecteur d’universel (et notamment de la laïcité française) dans un monde où les pays deviennent de plus en plus multinationaux. Le philosophe québécois Daniel Marc Weinstock écrit à ce sujet: « En principe, il y a quelque chose d’admirable et d’attirant dans la conception française de la laïcité. Il y a derrière ce principe dans sa forme la plus pure un profond souci d’égalitarisme. En effet, si nous sommes sur la place publique tous dénudés de nos appartenances particulières, la possibilité d’iniquités perpétrées par les majorités religieuses ou ethniques à l’endroit des minorités disparaît. S’il en est ainsi en théorie, la pratique est tout autre. Force est de constater que la laïcité est devenue à bien des égards en France un moyen de dissimuler de telles iniquités. C’est que les symboles et les pratiques de la majorité peuvent toujours être présentés comme « neutres ». (…) Ils font, pour ainsi dire partie de l’oxygène. Mais les marques de différence des minorités sautent aux yeux, et sont même amplifiées. Ce qui au départ devait être un principe permettant à tous les citoyens de disposer d’un statut égal sur la sphère publique devient un outil permettant à la majorité de faire valoir son poids numérique tout en se targuant d’un principe apparemment irréprochable. Il n’est donc pas étonnant que les relations ethnoculturelles soient aussi tendues en France, et qu’elles donnent lieu à des débordements comme ceux qu’ont connus les banlieues en 2005. »

Texte : « Pour le multiculturalisme canadien, contre la laïcité française ».

Canada, Australie, expérimentent-ils une « nouvelle gouvernance » appelée à s’étendre sous des formes diverses ou, au contraire, cela restera-t-il lié à la spécificité de ces pays ?

 V  Le Québec et sa spécificité

Cf. M. Milot, La laïcité dans le Nouveau Monde, le cas du Québec,  Turnout, Brepols, 2002.

D. Helly, Le Québec face à la pluralité culturelle 1977-1994. Un bilan documentaire des politiques, Institut québécois de recherche sur la culture, Presses de l’Université de Laval.,1996.

Québec = environ 1million542 km2, et environ 8 millions d’habitants dont 83% de francophones, 8% d’anglophones et 9% d’allophones. ; la moitié est dans le « Grand Montréal ».

Lors de la constitution de l’Etat Canadien, une certaine autonomie laissée aux provinces (mais droit de « désaveu ») et notamment. Code civil du Québec (alors que Commun Law britannique ailleurs). Longtemps, il y a eu des écoles séparées pour catholiques (francophones) et protestants (anglophones) (idem pour minorités catholiques du reste du Canada)

Forte influence de l’Eglise catholique, mais années 1960 = La révolution tranquille de Jean Lesage, avec des catholiques modernistes (c’est l’époque du Concile Vatican II).

Mouvement indépendantiste (visite de Gaulle en 1967 : à Montréal : « Vive le Québec libre »). FLQ = avec enlèvements et assassinat Jean Laporte en 1970

1971 : politique multi canadienne. 1975 : Charte des droits.

Création du Parti Québécois (indépendantiste) en 1968, arriva au pouvoir en 1976 (avec promesse de ne pas faire l’indépendance immédiate mais de consulter la population, ce qui fut fait en 1980 avec le projet de « souveraineté association », qui recueillit 40 % des suffrages)

1982 : rapatriement de la Constitution par Trudeau, le Québec est contre mais la Cour suprême estime que la Constitution s’applique qd même à toutes les provinces qui forment le Canada.

1985-1994 le Parti libéral retrouve le pouvoir et tente un accord d’abord en 1987 puis en 1992 avec l’Accord de Charlottetown qui est repoussé à la fois par le Québec (56,7%pas assez d’autonomie) et par l’ensemble du Canada (54,3%, trop d’autonomie et trop d’importance pour l’Ouest aux 2 provinces Ontario – Québec ; il y a eu 68,3 % de non en Colombie britannique). La campagne a ressemblée à celle du référendum français sur l’Europe : les 10 gouverneurs de provinces et les élites étaient pour l’Accord = seul moyen de conserver le Canada ; au début on a cru que cela serait facilement ratifié et au fur et à mesure de la campagne les gens trouvaient dans l’accord qque chose qui leur déplaisait ; de plus il y avait une impopularité du chef du gouvernement d’Ottawa et des élites.

1994 : le PQ revient au pouvoir, de nouveau un référendum en 1995 ; cette fois très serré : seulement 50,6% de non à la souveraineté.

Ensuite un processus de laïcisation scolaire a été enclenché et a abouti en l’an 2000 à la disparition de l’aspect confessionnel des écoles publiques. Une nouvelle étape va avoir lieu en 2008 avec la création d’un cours de culture religieuse.

Depuis 2003 le Parti libéral est de nouveau au pouvoir au Québec. Et les libéraux qui étaient au pouvoir au Canada ont été remplacés, après le scandale des commandites, en 2006 par les conservateurs, Stephen Harper qui a fait adopter par le Parlement une déclaration (sans valeur juridique, mais qui donne des possibilités politiques) indiquant que « les Québécois forment une nation au sein du Canada uni ».

J’étais à Montréal le jour des élections législatives  (26 mars 2007) québécoises qui ont vu un parti populiste, l’Alliance Démocratique du Québec parvenir en seconde position, obligeant le Parti libéral au pouvoir a former un gouvernement minoritaire et marginalisant le Parti Québécois, indépendantiste. Même si de nombreux facteurs ont joué, les craintes à l’égard de l’accommodement, notamment en milieu rural non confronté directement à des minorités mais influencé par la télévision, ont constitué un élément favorable à l’ADQ.

Le gouvernement a demandé à deux universitaires, le philosophe Charles Taylor, et l’historien Gabriel Bouchard, un rapport sur l’accommodement raisonnable. On peut en espérer un travail de clarification et de réflexion, notamment sur les limites du « raisonnable ». Mais en fait une décision politique n’est pas du ressort du Québec et les autres provinces canadiennes ne ressentent pas le problème de la même manière. Dans un ouvrage à paraître, J.F. Gaudreault-Desbien, professeur à l’Université de Montréal, souligne « l’influence considérable » du clergé catholique au Québec avant la Révolution tranquille ; du coup, l’accommodement raisonnable rappellerait aux Québécois « ce qu’ils ne veulent plus être ». Cela pourrait rappeler le cas français, ce n’est pas tout à fait le cas et, au débat qui vient d’avoir lieu à Montréal, le juriste José Woehrling a déclanché les rires complices de l’assistance en affirmant que la France comprenait l’accommodement de travers en demandant aux minorités de s’accommoder à la majorité, déjà préalablement dominante.

Le Québec parle plus volontiers d’interculturalisme que de multiculturalisme et met 3 limites qui doivent former le contexte de l’interculturalisme :

-         la reconnaissance du français comme langue de la vie publique,

-         le respect des valeurs propres à la démocratie libérale, dont les droits politiques et civils et l’égalité des chances

-         le respect du pluralisme, y compris l’ouverture d’esprit et la tolérance à l’endroit des différences.

(Pour Gwyn il s’agit d’un cas de figure différent du multiculturalisme canadien; pour Kymlicka. ce sont les limites implicites du multiculturalisme partout au Canada, mais c’est bien qu’elles soient explicitement dites).

 

Remarque conclusive : Le Canada n’est pas le « paradis sur terre » et j’ai tenté, le plus honnêtement possible, de restituer les données des problèmes et des débats qui y existent.

Comme je l’ai indiqué, je suis preneur de compléments et de remarqués argumentées (Merci à Eric Wingender de son Commentaire de la Note du 23).  Mais à travers des tâtonnements, ce qui se joue là est la prise en compte que, contrairement au deux précédentes mondialisations (celle qui a suivi les « Grandes découvertes » et celle des empires coloniaux mondiaux) la globalisation actuelle n’est plus une extension de l’Occident.


[1] Un article spécial (l’article 28) précise : «  Indépendamment des autres dispositions de la présente charte, les droits et libertés qui y sont mentionnés sont garantis également aux personnes des deux sexes »

[2] S. Charles, Le Débat, nov-dec. 2006.

[3] Me J. Gray, Journal du barreau du Québec, fév. 2007.

04/04/2007

Du nouveau du cote de la Ligue de l'enseignement

Chers Amis

Juste une information avant de vous donner la suite de laNote sur Le multiculturalisme canadien a la fin de la semaine:

Le site www.laicite-laligue.org est entièrement rénové.
offre de plus un accès vers un nouveau site "La laïcité à l'usage des éducateurs"
Mise en ligne le jeudi 5 avril.

A cette occasion une réception est organisée le même jour
à 10h30 au Conseil Economique et Social
9 place d’Iéna, Paris – 16ème Métro : Iéna (ligne 9)

Les invitations sont envoyées sur simple demande par mel à
mgallard@laligue.org

ou en répondant directement à ce message
Attention: dans la limite des places disponibles !

Le site www.laicite-laligue.org , éditeur de la présente "Lettre laïque", est un site de la Ligue de l'enseignement. Il a été rendu public en mars 2004. Il propose aujourd'hui plus de 600 documents L'abondance des documents proposés, le repositionnement du thème "Loi de 1905" parmi une trentaine d'autres thèmes (de "La République" au "blasphème" en passant par "L'Emancipation des femmes", "La question scolaire", "L'Alsace-Moselle"...), de nouvelles possibilités techniques ont rendu nécessaire et souhaitable le transert du site sur une autre structure, reprenant tous les documents et les enrichissant, sous une forme plus dynamique et conviviale. Le suivi de l'actualité sera privilégié grâce à la nouvelle page d'accueil et à la "Lettre laïque" dont la forme sera aussi rénovée.

"La laïcité à l'usage des éducateurs" Associations d’éducation populaire, complémentaires du service public d’éducation, les Ceméa, les Francas et la Ligue de l’enseignement souhaitent, en créant ce site, aider l’ensemble des éducateurs à mettre en œuvre, dans l’école comme dans la cité, une laïcité qui apprenne à vivre ensemble, au sein de la République, dans le respect réciproque des personnes quelles que soient les convictions philosophiques, religieuses ou politiques de chacun, tout en favorisant l’appropriation des valeurs collectives sur lesquelles se construit un destin commun. Il est organisé autour d'une centaine de questions / réponses très concrètes. On peut y accéder à partir de la page d'accueil de chacune des organisations.

 

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23/03/2007

CANADA ET FRANCE, multiculturalisme et laïcité

Cheres Amies et chers Amis,

C'est le sprint pour mon nouveau "Que sais-je?" (cf. la Note sur 7 mars dernier), mais je ne saurais vous abandonner et donc, comme les compromis font partie de la vie, je vous livre une Note,... sous forme de notes que j'aurais voulu retravailler avant d'en faire une Note du blog (vous suivez j'espère...). Donc, excusez la forme un peu relaché, moi qui d'habitude est un français aussi soutenu et académique que le défunt San Antonio.

Votre Jean Baubérot

PS: si j'ai écrit des bêtises, je compte sur les internautes canadiens (et autres) pour me l'écrire, gentiment bien sûr!

2ème PS: quand il y a du bleu, cela signifie que j'ai délibérément et honteusement piqué l'info à Wikipédia.

Canada et France semblent être 2 modèles opposés : le multiculturalisme d’un côté et la laïcité républicaine de l’autre(et vu du Canada, les Etats-Unis sont un pays démocratique libéral et non un pays multiculturel ; cf le débat entre Bissoondath et Gwyn d’un côté, Will Kymlicka de l’autre. Ce dernier écrit, qu’aux USA on « met l’accent exclusivement sur l’identité et les valeurs communes » et l’on « s’oppose à toute reconnaissance ou affirmation des différences culturelles », p. 37).

Pourtant Canada et France se sont unis pour être, à l’UNESCO, les co-parrains d’une Déclaration sur la diversité culturelle (contre les Etats-Unis et Israël). Ce qui n’empêche pas de parler de « modèles » différents. 

Par ailleurs, Canada et France étant 2 pays démocratiques, il existe en leur sein des débats internes ; mais le débat est tjrs plus ou moins préformaté.

Et, sauf méconnaissance de ma part, la comparaison est peu faite (ou alors elle se limite au Québec, et si le Québec est intéressant, c’est dans la mesure où il est Canadien et francophone, avec des relations compliquées à l’ensemble du Canada, et à la France aussi d’ailleurs)

 

Bref rappel historique sans aucune prétention sur le Canada :

On parle d’Irlandais venus entre le VIe et le Xe siècle, de Vikings au XIe, qui s seraient mêlés aux Iroquois. Plus systématique à partir du XVe siècle : Jean Cabot, vénitien au service du roi d’Angleterre arriva à une « terre neuve » (1497), où pèchent ensuite des Bretons (français),  anglais, espagnols, portugais, etc. Ephémère colonie portugaise au Cap Breton en 1520s. (cf le chauffeur de taxi !). Verrazano, florentin travaillant pour François Ier se rend compte que c’est ni l’Asie ni l’Afrique, il établit une carte où « Nova Gallia » (1529). Puis voyages de Jacques Cartier. Découvertes du Saint Laurent, rencontres avec des Indiens (Les Iroquois expliquent à Cartier comment se prémunir du scorbut, qui commençait à les décimer). Mais échec d’établir une colonie permanente (entreprise Roberval Cartier) ; guerres de religions détourne France du Canada.

1608 : Samuel de Champlain, géographe et explorateur fonde la (future) ville de Québec ; alliance avec les Hurons-Wendats et guerres contre les Iroquois.

1627, création de la Compagnie de la Nouvelle France par Richelieu.

Quand Champlain meurt en 1635 : 200 habitants sur le St Laurent qui en majorité s’intéressent à la traite des fourrures. Fondation cette année là du collège de Québec par les jésuites (en 1634 : Trois Rivières) ; 1645 : fondation de la Compagnie des habitants qui réunit dirigeants politiques et économiques.

En 1663 : 2500 habitants dont des communautés religieuses. Louis XIV (Colbert) organise le gouvernement de la colonie qui a une forte autonomie et une grande mobilité sociale dans un système seigneurial souple. Arrivée de « Filles du Roy », pour contribuer à peupler la colonie. Adoption en 1664 de la Coutume de Paris. Importance des communautés religieuses inspirés des idéaux réforme catholique qui contribuent à coloniser le St Laurent et évangélisent des Indiens, facteur de continuité quand la métropole délaisse la colonie. Nouvelle guerre contre les Iroquois en 1665.

 

En même temps : Français et Anglais s’installent tour à tour sur la façade maritime (Nouvelle Ecosse), finalement = Acadie (Arcadie= Pelloponnèse ?) La Nouvelle France voulu contrôler le commerce des fourrures  et pour cela s’étendre et confiner les Anglo-américains à la côte Atlantique : extension de la vallée du Saint Laurent jusqu’à la Nouvelle Orléans, et à l’Ouest aux Rocheuses et au Nord à la baie d’Hudson (aujourd’hui : Les Métis, descendants de paysans bretons et d’indiennes, sont venus avec leur curé qui croyait les conduire vers une terre d’abondance et se sont révoltés contre lui quand ils ont  vécus les difficultés climatiques).

Mais en 1700, colonie anglaise comptaient 275000 habitants et les Franco-canadiens étaient 15000.

En 1760 : 85000 (dont 76000 dans vallée St Laurent) et colonies anglo-américaines : plus d’1M1/2Non seulement les français émigrent peu mais vallée du St Laurent a rigueur climat, éloignement des grandes voies maritimes etc

Acadie = les Anglo-américains, après l’avoir +sieurs fois conquise et perdue, occupent définitivement l’Acadie en 1713 (Traité d’Utrecht). Ils demandent un serment d’allégeance et ne l’obtenant pas (divers offres), le gouverneur Moncton déporte  la majorité de ses habitants francophones en 1755 (« Grand Dérangement »),  bcp  périrent. Après Traité de Paris, ils peuvent alors s’installer en Louisiane (colonie française) et ensuite revenir en Nouvelle Ecosse, à condition de ne pas être trop nombreux dans le même endroit.

Guerre de Sept Ans (1756-1763)

Conquête anglaise en 1759 de la ville de Québec : Article 6, libre exercice de la religion jusqu’au traité définitif

1760 capitulation de Montréal = toute la Nouvelle France est aux mains des troupes anglo-canadiennes et l’acte de capitulation comporte 55 articles dont les articles 27 à 35 concernent les questions religieuses = liberté religieuse accordée, sous réserve du jugement du roi sur certaines questions. Proclamation Royale : la Nouvelle France devient « Province of Québec » où Colonie de Québec. (1760). C’est la 15ème colonie après les 13 originelles de l’Amérique anglaise et la Nouvelle Ecosse.

 

Perte pour la France de l’axe Chicago Détroit Montréal : les grands lacs et la vallée du Saint-Laurent : commencement de la fin de l’hégémonie française au profit du monde anglo-saxon (selon certains historiens).

Les élites partent (environ 2000 personnes) sachant que les postes importants seront occupés par des Britanniques et pour les hommes d’affaires qu’ils ne pourraient plus prospérer  sous le régime colonial anglais. Le peuplement anglais est lent (pour des raisons identiques à celles qui avaient limité le peuplement français). Donc les cadres de l’Eglise catholique constituent un interlocuteur, d’autant plus que clergé habitué au régalisme de la monarchie absolue française

L’Acte de Québec (1774) voté par le Parlement de Londres est muet sur l’établissement d’une religion, reconnaît la liberté de culte des catholiques abolit le serment du Test (avant  les futures Etats-Unis), pour permettre leur accès aux fonctions publiques. Alors que les lois britanniques interdisent toute hiérarchie catholique sur les terres de la Couronne, l’ancien évêque est reconnu « surintendant » de l’Eglise catholique ; cela lui permet d’exercer la plupart de ses fonctions. Par contre,  pas d’assemblée élective car la population anglo-catho aurait dominé l’assemblée. Donc sorte de répartition politico-religieuse avec relations de l’ordre de la transaction.  Gouverneur et Conseil. Au fur et à mesure de leur présence sur le territoire, d’autres groupes religieux se voient reconnaître la liberté de culte.

Du coup, lors de la guerre d’indépendance le clergé prend partie pour les Britanniques quand les Américains envahissent le Québec (1775-1776). La participation de la France à la guerre d’indépendance put soulever des espoirs d’un retour de celle-ci dans la vallée du St Laurent, mais les Français qui avaient conservé la Guadeloupe et les îles à sucre, et St Pierre et Miquelon pour pouvoir pécher, avaient renoncé au Canada, ces « arpents de glace » selon Voltaire.

 

Arrivée de réfugiés loyalistes au Sud du Québec va amener une population britannique dans cette région. À la fin de la révolution américaine, près de 50 000 loyalistes de l'Empire Uni immigrent au Québec, en Nouvelle Ecosse, à Terre Neuve. Comme ils ne sont guère les bienvenus en Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick se détache de cette colonie pour les accueillir.

L’Acte constitutionnel de 179 sépare le Québec en deux provinces, le Haut Canada, protestant et anglophone et le Bas Canada, catholique et francophone conserve la liberté de culte. Il y a « ni religion d’Etat, ni séparation » mais « le choix de la neutralité.»[1]

Une série d'accords mène ensuite à de longues périodes de paix entre le Canada et les États-Unis, n'étant interrompus que par de brefs raids opérés par des insurgés politiques. L'absence de pouvoirs réels du parlement du Bas Canada, les difficultés sociales et le sentiment de minorisation des francophones mènent à la révolte des patriotes. Sous la direction de Louis Joseph Papineau, ils déclarent l'indépendance de la république du Canada. Cette volonté d'autonomie est violemment réprimée par l'armée britannique. Plusieurs patriotes sont pendus, certains sont déportés en Australie, et d'autres doivent s'enfuir aux Etats-Unis 

1840 : Le Canada Uni fusionne les deux Canadas en une seule colonie quasi-fédérale,  abrogeant une partie des droits octroyés aux Canadiens français

Entente en 1846 pour retenir le 49e parallèle Nord comme frontière séparant les États-Unis de l'Ouest de l'Amérique du Nord britannique, le gouvernement de Grande-Bretagne crée  en 1858 la colonie de la Colombie-Britannique  (ruée vers l’or). Dès la fin des années 1850, les dirigeants canadiens entament une série d'explorations vers l'Ouest,  avec l'intention de prendre le contrôle de la Terre de Rupert ainsi que de la région Arctique. La population canadienne croît rapidement grâce à un taux de natalité élevé ; l'immigration massive de l'Europe vient contrer l'effet de l'émigration vers les États-Unis, particulièrement celle des Canadiens Français migrant en Nouvelle-Angleterre. En 1867 : Création de l’Etat canadien par l’union du Canada uni avec Nouvelle Ecosse et Nouveau –Brunswick : 4 provinces (par retour en 2 désormais Québec et Ontario). Naissance du Canada moderne comme dominion britannique. Rejoint l’Ontario et la Colombie britannique par extension vers l’Ouest, avec la révolte des Métis, dite Rébellion de la Rivière rouge. Manitoba entre (de force) dans le Canada en 1870. Etc. Il s’agit alors d’un Etat semi colonial aux frontières fluctuantes, détenant une juridiction interne mais n’ayant pas sa propre politique internationale et ne pouvant pas accorder la citoyenneté ni modifier sa constitution (qui est du ressort du Parlement britannique) La création de l’Etat canadien en 1867 l’a été à partir de la représentation ethnoculturelle comme fruit d’une négociation entre 2 peuples  canadien anglais [dominant] et canadien français [dominé], dispersé sur l’ensemble du territoire [pas complètement exact]. Les peuples autochtone en étaient alors exclus,

Processus d’indépendance à l’égard du Royaume Uni surtout de 1931 et 1946 (politique internationale) à 1982 ; Encore now le Canada est officiellement une monarchie constitutionnelle dont la souveraine est la Reine Elisabeth II,  représentée par un gouverneur (une femme haïtienne québécoise, qui a fait des déclarations affirmant que les Québécois ne se souciaient pas assez des autres Canadiens en septembre 2006, qui ont fait scandale au Québec)

Origine de la diversité « ethnoculturelle » du Canada, et du fait de l’importance de la représentation en terme « d’ethnicité » (contrairement à la France ; mais évolution de l’utilisation de ce terme : maintenant il fait place à la subjectivité : à chacun de dire à quelle ethnie il veut appartenir, mais on peut se demander si la représentation sociale fait bien place à cet aspect subjectif et personnel) : le fait que 2 catégories de population habitaient ce territoire avant la venue des Britanniques : les peuples autochtones et le Canadiens français, premiers colonisateurs. On été incorporés au Canada à la suite de la colonisation et (pour les second) de la Conquête britannique et sans leur consentement : ces groupes sont des « minorités nationales » qui se perçoivent eux mêmes comme des « nations » au sein du Canada, des peuples dont l’existence est antérieure à celle de l’Etat canadien lui-même.

 

Cependant ces 2 « nations » n’ont pas la même puissance, la même situation ni le même statut.

Les Canadiens francophones dont les Québécois forment + de 80%, mais minorités dans le Nouveau Brunswick et au Manitoba (11% population de Winnipeg). Le Canada a 32,6 M d’habitants dont un peu plus de 8M sont francophones.

Les Canadiens francophones (qui, pour la plupart, sont dans la position ambivalente d’anciens colonisateurs devenus colonisés ; les Métis étant dans une position doublement ambivalente) ont obtenu  en 1969 que le Canada soit officiellement bilingue  (et le multiculturalisme va suivre en 1971); cela est valable pour tous les emplois d’Etat et tous les services de l’Etat. Le respect de cette disposition est une lutte constante pour 3 raisons :

-         d’abord si le pourcentage de francophones est consistant (environ 25%), il diminue (en 1991, 27M dont 7M de francophones). Le Québec est celle des 10 provinces où le taux de natalité est le plus faible (cf l’Espagne, l’Italie, des pays de culture catholique a sécularisation accélérée récente)

-         ensuite parce que les francophones sont essentiellement concentrés au Québec et que si le Québec défend bec et ongle ses spécificités, il me semble que ses rêves séparatistes contribuent à faire qu’il n’a peut-être pas la politique francophone à l’échelle du Canada qu’il pourrait avoir en lien avec les autres minorités francophones (en tout cas reproches effectués par des membres de ces minorités ; en même temps c’est  ces tendances séparatistes qui poussent le Canada à faire attention à ce que l’anglais n’est pas un monopole. Complexe !). Mais tendance à la territorialisation des langues officielles : moins d’anglophones au Q (8%) et attraction forte du français auprès des immigrants avec volontarisme politique pour imposer le français et tendance de l’anglais à s’imposer partout ailleurs.

-         enfin parce que le Canada le plus dynamique est anglophone : Toronto et l’Ontario, Vancouver et la Colombie britannique, Calgary et l’Alberta. D’où l’attirance pour ces nouveaux centres. Le Nouveau Brunswick est la seule province bilingue mais des jeunes francophones y sont attirés par le boom de l’Alberta.

Les Québécois ont également obtenus un fédéralisme moins centralisateur.

 

Les Autochtones  (3,5% se disent Indiens dans le recensement de 2001 ; cela englobe-t-il les 3 « peuples autochtones » Amérindiens, Inuits, Métis ?): Citoyenneté en 1950 (Inuit) et 1960 (Amérindiens). Avec la Constitution de 1982 ont obtenu la reconnaissance de certains droits et notamment le fait de pouvoir négocier comment réaliser ces droits avec le gouvernement (Winnipeg : terres qui revenaient aux Métis par un traité du XIXe siècle et sur lesquelles une partie de la ville de Winnipeg est construite : négociations à ce sujet).

 

Plusieurs langues autochtones ont un statut officiel dans les Territoires du Nord-ouest; l'inuktitut est la langue de la majorité de la population au Nunavut et l'une des trois langues officielles de ce territoire.

 

Depuis le XIXe siècle (développement après la création de l’Etat), arrivée de vagues successives d’immigrants, d’abord européens (irlandais, allemands, ukrainiens, etc) puis, progressivement depuis  XXe aussi Asiatiques et Africains, d’Afrique du Nord et d’Afrique Noire. Actuellement le Canada a le niveau d’immigration le plus élevé du monde occidental. La citoyenneté pour les résidents blancs en 1946, étendue aux minorités noires et asiatiques en 1948. Jusqu’aux années 1960, modèle d’immigration reposant sur une « conformité anglophone », avec restriction pour l’immigration chinoise. Changement en 1971 avec l’adoption du multiculturalisme.

 Selon O. Nay (p545) : 10 groupes officiellement reconnus au Canada : Noirs, Chinois, Philippins, Japonais, Coréens, Latino-Américains, Insulaires du Pacifique, Indo-Pakistanais, Asiatique du sud-est, Arabes et Asiatiques de l’Ouest)

Actuellement de grandes villes canadiennes comportent un fort pourcentage de personnes nées à l’étranger : Toronto 43,7%, Vancouver 45,4%, Ottawa 21,8%  Montréal en a moins (18,4%). Le Canada dans son ensemble = 16%, Les Etats-Unis 8%  (la France cela doit être moins dans la mesure où on en est à la 2ème voire 3ème génération). (prendre ces statistiques comme ordre de grandeur JB)

Vancouver : 48,5 % de personnes formées de « minorités visibles »[2] dont 85% proviennent d’Asie, notamment des Chinois d’HongKong quand il y a eu le processus de remise à la Chine.

 

Le Canada continue à accepter une immigration de grande ampleur (considérée comme un facteur essentiel du développement collectif), mais avec 3 caractéristiques qui distinguent le Canada de l’UE et de la France en particulier :

-         la possibilité d’un contrôle qui vient du fait que le Canada est bordé par 3 Océans et une double frontière avec les Etats-Unis et que pratiquement personne ne cherche à franchir illégalement la frontière entre les USA et le Canada, pour immigrer. Il n’y a donc pratiquement pas de porosité des frontières.

-         le critère des besoins du marché de l’emploi est utilisé par la politique de l’immigration pour déterminer le niveau d’entrée. La moitié des immigrants est choisie selon le niveau de scolarité, l’expérience professionnelle, la connaissance de l’anglais ou du français, l’âge. On pose 5 questions et il faut avoir une certaine note.  Rappel qu’en France le problème de l’immigration sélective a soulevé une question qui ne fait pas partie du débat social au Canada : est-il légitime d’attirer régulièrement de la main d’œuvre qualifiée dans les pays occidentaux ? Par contre on trouve dans le débat social les notions « d’intégration équitable » (fondamental dans la pensée de Kymlicka par exemple) et surtout d’ « accommodement raisonnable » (qui est une obligation juridique) et de « discriminations indirectes » (commence à arriver en France par l’intermédiaire du droit européen) qui sont des expressions socialement absentes en France et l’ouverture de la fonction publique aux immigrés (alors que le monopole national dans ce domaine est une constante de la politique républicaine française, juste abolie now pour les universitaires étrangers).Dans années 1990, 40% des immigrés âgés de 25 à 54 ans détenaient un diplôme universitaire et 23% des canadiens de naissance du même âge (il faudrait affiner la comparaison en la spécifiant au niveau des villes car logique que le paysan du Québec ou du Manitoba ne possède pas de diplôme universitaire)

-         enfin, le Canada n’a pas d’anciennes colonies ou protectorat mais est lui-même un ancien Etat colonial (ce qui implique d’autres problèmes) et  (jusqu’au 11 septembre) le Canada était loin des zones de conflit. Ce n’est pas le cas de la France, vue du Canada : Marseille est aussi près de l’Algérie (où guerre civile des années 1990)  que Toronto de Québec et la France est plus prés du Proche Orient que Montréal de Vancouver. Mais depuis le 11 sept influence de la situation états-unienne, des discours de Bush  et des infos telles qu’elles sont propagées par les médias.

 

Selon le recensement de 2001, 34 groupes ethniques regroupent chacun au moins 100000 personnes.

Au contraire des minorités nationales les immigrants ont fait le choix de venir au Canada et de s’y installer, au contraire des Canadiens francophones, ils doivent apprendre une des deux langues officielles (qui n’est pas forcément leur langue maternelle) pour pouvoir avoir des emplois et être autonomes dans la vie courante. Ils jouissent de tous les droits excepté le doit de vote ; ils ont le droit de devenir citoyen canadien après 3 ans de séjour et 80 % le font avant la fin d’une décennie de résidence au Canada

 

La politique multiculturaliste :

Cf.  notamment Denise Helly, « Le multiculturalisme canadien : de la promotion des cultures immigrées à la cohésion sociale 1971-1999 », Cahiers de l’URMIS, n°6, 2000 et « Canadian Multiculturalism : Lessons for the Management of Cultural Diversity ? »,  Canadian Issues, Summer 2004, 5-9.

En 1971, adoption, à l’instigation du premier ministre Pierre Trudeau d’une politique de multiculturalisme comportant 4 objectifs :

-          Reconnaissance de l’existence de  groupes culturels et appuyer le développement culturel de ces groupes ethnoculturels, y compris par financement public

-         réduire les barrières ethnoculturelles pour aider leurs membres à surmonter les difficultés qu’ils rencontrent pour participer pleinement à la société canadienne

-         favoriser les rencontres entre groupes en vue de développer la tolérance à la différence culturelle

-         aider les immigrants récents à acquérir au moins une des 2 langues officielles :

« Le multiculturalisme dans le cadre du bilinguisme » était d’ailleurs le titre officiel donné par Trudeau à sa politique. Autrement dit, le multiculturalisme n’était pas le fondement mais une construction sur une fondation culturelle bilingue. Selon certains,  multiculturalisme était un mauvais terme et il aurait mieux valu  parler de « polyethnicité » (Jean Burnet, 1975) ; Trudeau parlait également de « renforcer l’unité canadienne et encourager sa diversité culturelle » (« encouraging cultural diversification »)

Deux programmes sont établis en 1971

-         Ethnic Liaison : préservation et partage des héritages culturels et de la compréhension de tous les canadiens, avec deux volets : la transmission des langues ancestrales et le financement du fonctionnement d’institutions et d’association ethnoculturelles

-         Canadian Identity pour augmenter la participation des immigrés aux institutions canadiennes et renforcer leur identification au Canada.

A partir de 1977-1979 priorité est donnée au financement d’activités multiculturelles ponctuelles plutôt qu’au fonctionnement d’institutions ethnoculturelles.

1982 : Rapatriement de la Constitution du Royaume Uni (dont le parlement avait seul le droit de la modifier) au Canada. Le Québec refuse officiellement de s’y associer mais les décisions prises le concernent quand même.

Charte canadienne des droits et des libertés de la personne dans le préambule de la Constitution La Charte place les droits avant la souveraineté populaire comme principe fondateur du lien sociopolitique au  Canada.

(à suivre)



[1] M. Milot, Laïcité dans le nouveau monde, Le cas du Quebec, 2002, 51.

[2] Définition de Statistique Canada : minorités visibles = « personnes autre que les Autochtones qui ne sont pas de race blanche ou qui n’ont pas la peau blanche »

 

15/03/2007

CLERICALISME MEDICAL ET LAÏCITE

Dramatique, dramatique chers Zamis et Zamies du Blog. Le 26 février je vous avais laissé (une fois de plus) sur un suspens insoutenable : après vous avoir expliqué que, dés avant l’invention  du terme de « laïcité » et de la famille sémantique l’accompagnant (l’Etat laïque, le laïque comme partisan de la laïcité, etc), il y avait déjà, au sein de toute société où la religion était une institution à caractère englobant (cad ayant la prétention de donner à la société entière une conception du monde, un sens à la vie collective, etc) un pôle clérical (qui voulait donner des normes à cette société selon la dite conception du monde) et un pôle laïque (qui, lui, voulait pouvoir bénéficier de ce qu’on appelait les « secours de la religion », se servir de la religion comme ressource à certains moments de la vie, mais voulait aussi avoir son quant à soi religieux).

Le processus de laïcisation est, disais-je génialement (vous me connaissez, la modestie est ma qualité principale), le passage, au niveau d’une société donnée, de la dominante cléricale à la dominante laïque. Mais il ne s’arrête pas là à cause d’un paradoxe de ce processus. Quel est ce paradoxe ? Et là, comme un bon auteur de romans policiers, j’indiquais : « à suivre ».

La suite devait arriver la semaine suivante. Mais la vie est pleine d’imprévus. Il y a eu ensuite la Charte de la Ligue de l’enseignement, des Francas et d’autres organisations laïques, que j’ai répercutée sur ce Blog. Mon « Que sais-je ? » m’absorbe, comme je vous l’ai raconté dans la dernière Note… et mon paradoxe. Eh bien, j’ai oublié tout simplement ce que je voulais dire.

Impossible de m’en souvenir.

 

Non, n’en profitez pas pour m’enfoncer, pour raconter partout que l’Alzheimer me guette, m’a déjà trouvé… Quand même. Un peu de pudeur. Mais voila, quiconque retrouve mon paradoxe (il doit être bien caché quelque part) est prié de me le rapporter et il aura 0,10  € de récompense. Sympa, non.

D’autant plus sympa que je n’ai quand même pas tout oublié. Je peux vous donner quelque chose qui doit ressembler au signalement du paradoxe. Ce paradoxe était une formule brillante (n’en doutez pas) pour typifier ce que je vais maintenant vous dire.

En gros le problème est le suivant : donc le processus de laïcisation est schématiquement le passage de la dominante de la polarité cléricale à la dominante de la polarité laïque. Mais c’est plus compliqué. Nous l’avions déjà vu le 26 février (relisez la Note : je mettrais votre tête à couper que si vous aviez une interrogation écrite sur son contenu vous sècheriez lamentablement) tout le problème est celui du « transfert » dans la sécularisation et de la limite de la laïcisation qu'opère ce transfert.  Car il y a toujours, même dans les sociétés sécularisées, de l’encadrement par des système de sens, par des systèmes de socialisation qui proposent-imposent des systèmes de normes idéales  sacralisées(cf la définition que l’OMS a donné de la santé et les normes d’apprentissage de l’"école-sanctuaire") à partir d’une confiance dans le progrès.

 

Le gouvernement démocratique a besoin de la socialisation effectuée par les institutions séculières, considérées comme porteuses de progrès, comme les royautés de droit divin avaient besoin de la socialisation faite par la religion. Mais la mutation  laïque opérée est la suivante :  ces institutions ne sont pas considérées comme donnant des normes transcendantes, venues du dehors, mais comme des œuvres, des constructions humaines et choisies par eux au présent : on pourrait appliquer analogiquement ce que Renan dit de la nation, il y a (de façon bien sûr complètement implicite, et aussi parce que le fait que la société fonctionne ainsi pousse à répondre « oui ») un « plébiscite de tous les jours » = la légitimation de cet « avant tout » institutionnel est la validité de l’objectif poursuivi et la capacité de l’institution à atteindre cet objectif (il y a cpdt un 3ème critère par lequel l’anticléricalisme au sens large et pas forcément conscient pour les acteurs s’engouffre : croire que les agents institutionnels sont humainement sans faille : « Les gynécologues n’ont pas de sexe »,  titre Elle, 16 décembre 06)

Donc il y a, à la fois un transfert de sacralisation (d’ailleurs le sens originel de sécularisation = transfert d’une propriété religieuse à une propriété séculière) et, dans ce transfert, une perte de sacralité qui s’effectue : on passe d’une sorte de sacralité par essence, substantive (elle vient du dehors) à une sacralité + fonctionnelle, même si elle cherche à s’essentialiser.

 

Et donc, de nouveau nous trouvons une double polarité : la polarité laïque tend à utiliser de façon fonctionnelle la médecine, l’école, etc (On parle de « consumérisme médical », de consumérisme scolaire »), alors que la polarité cléricale (le médecin, le prof, etc) est elle substantiviste c'est-à-dire croit que les normes médicales et les normes scolaire doivent s’imposer tout le temps à tous, qu’elles font partie de l’ordre naturel des choses.

Mais en fait, si la polarité du clerc est substantiviste, c’est parce qu’il fonctionne plus facilement si ses normes s’imposent tout le temps à tous. Plus facile de travailler à l’hôpital pour un médecin si lui-même et les patients sont persuadés qu’il « n’a pas de sexe » pour reprendre le propos de l’hebdo Elle. De même c’est plus facile de travailler si lui-même et ses patients pensent qu’il est omniscient et qu’il ne peut pas se tromper dans son diagnostic. Le médecin sait bien qu’il est un individu sexué (avec un inconscient en plus), il sait bien qu’il n’est pas infaillible, etc. Mais, pour que l’institution fonctionne sans problème, soit la plus opérationnelle possible, il faut faire « comme si ».

Valabréga, médecin anthropologue, a décrypté cette relation médecin-malade en indiquant que le médecin se considérait et voulait qu’on le considère comme « un homme qui n’est pas un homme tout en étant un homme » (La relation thérapeutique, Flammarion, 1962). Cette représentation vient de loin, parce qu’elle est celle du chaman.

 

Nous ne nous sommes pas éloignés du rapport de la Charte de la laïcité, puisque le problème sous jacent à ce rapport et à la Charte, qui veut réaffirmer la laïcité à l’hôpital est précisément le problème des femmes (musulmanes dit-on) qui ne veulent pas se déshabiller devant un homme médecin pour avoir un examen médical.

Bien sûr, quand un médecin examine un patient, normalement il est dans une logique professionnelle et ne pense pas à la bagatelle. Il ne s’agit pas de faire du moralisme ou de faux procès. Pourtant, on peut penser qu’il est exactement de même des personnes chargées de palper les voyageurs dans un aéroport. Pourtant là, significativement, on mettra des hommes pour palper les hommes et des femmes pour palper les femmes (supposant d’ailleurs que tout le monde est hétéro ; comme quoi, il y a toujours de la croyance dans un fonctionnement social). Or là encore, il n’y a aucune raison de soupçonner à priori que ces personnes ne sont pas dans une logique professionnelle. Et pourtant, il y a un petit soupçon social et l’idée que ce sera moins désagréable pour l’usager s’il est palpé par une personne de son sexe.

 Pourquoi raisonner de façon différente (et aussi péremptoire) dans le cas des agents d’aéroport et dans le cas des médecins ? Tout simplement parce que les premiers ne sont pas des clercs tandis que les second le sont. Autrement dit, un médecin n’est pas simplement perçu comme un professionnel, mais il est investi d’une aura sacrée qui le désexualise davantage qu’un membre d’une autre profession. La médecine est un sacerdoce !!!

 

Par ailleurs, on estime que les patients ont été socialisés à cette perception sacrale de la médecine et qu’ils ne sont pas perturbés par le fait d’être examinés, même intimement, par une personne d’un autre sexe que le leur.

La médecine n’a pas toujours été aussi asexuée, même si elle a toujours eu plus ou plus un aspect parareligieux (« santé » et « salut »  sont des mots qui ont la même origine). Laennec a inventé le stéthoscope par ce qu’il s’est rendu compte qu’un contact direct avec la poitrine de ses patientes les gênait. C’était une époque où on était moins dans le moule d’une socialisation à l’autorité médicale et où les femmes ne se déshabillaient pas facilement devant un médecin. Et quand on fait de l’histoire de la médecine, on s’aperçoit qu’il y a eu toute une stratégie liée à la montée en puissance de l’institution médicale, et à la sécularisation-transfert dont je parlais tout à l’heure pour changer les choses.

Au XIXe, quand l’être humain « normal » était un homme, les médecins ont été parmi les professions qui ont le plus résisté à l’ouverture de leur métier  aux femmes. Et là, les médecins ne se privaient pas de mettre en avant  l’argument de « pudeur » qu’ils récusent aujourd’hui : une femme ne pouvait être médecin car cela l’obligeait à voir des choses (ce que les Romains appelaient les « parties honteuses ») qui offenseraient sa « pudeur ». Plus généralement la médecine, dans sa période ascendante, s’est traduite par une dépossession des femmes sur leur propre corps et sur des actes importants de leur existence. Cela a été  particulièrement vrai pour l’accouchement : le fait que la médecine permette qu’il se produise dans de bien meilleures conditions ne supposait pas le passage des matrones aux médecins accoucheurs hommes (avec les sages-femmes comme subalternes). Mais la médecine a longtemps fait croire que les femmes seraient moins capables de s’approprier le savoir que les hommes.

A l’époque, on était plus prés du sacré en étant un homme qu’en étant une femme (c’est toujours vrai dans le catholicisme et certaines autres religions). A propos, aujourd’hui, combien de « Grands patrons » en médecine sont les femmes ?

 

La socialisation à la médecine n’a pas comporté seulement le fait pour les femmes de s’habituer à se déshabiller pour être examinées par des hommes, elle a été beaucoup plus globale, notamment elle a conduit à ne pas discuter la compétence du médecin, ses instructions, les normes qu’il donne. Cela a été particulièrement valable (encore une fois) pour les femmes, les futures mères et les mères. La justification de ce contrôle du corps des femmes a été d’indéniables succès (la forte diminution de la mortalité en couches par exemple)  mais cela est allé bien au-delà : par exemple des consignes péremptoires et contradictoires suivant les époques et les médecins sur l’allaitement. les exemples sont multiples et je vous fais confiance pour en trouver vous-même. Il y a dans le médical de la compétence et du sacré, du savoir et du symbolique.

Nous sommes dans une situation nouvelle où la croyance dans les "bienfaits" du progrès se trouve en déclin.

Dans l’ambiguïté naturellement, le « consumérisme médical » cherche à trier, à mettre en concurrence compétences et savoir ; mais aussi à considérer le médecin comme un être humain et à pouvoir aussi le choisir en fonction de cela. Cela s’appelle de la désacralisation. Ce qui ne signifie pas, bien sûr, que le patient-laïc ait toujours raison face au médecin-clerc, qu’il faille le sacraliser à son tour. Mais voila, c'est une continuation du processus de laïcisation , avec ses 'bons' et ses 'mauvais' côtés.

 

Bref, le Haut Conseil à l’Intégration n’a visiblement effectué aucune analyse de l’institution médicale et de son rapport au sacré. Il y en a marre d’ailleurs de tous ces Docteurs es ignorantus qui parlent à tort et à travers de la laïcité sans avoir effectuer les analyses nécessaires pour pouvoir en parler avec  compétence. Ca c’est du cléricalisme : se croire autoriser par essence à avoir une parole docte et qui fait autorité sans effectuer le travail  intellectuel nécessaire.

Et si les femmes  (dites musulmanes, mais sont-elles seules en cause ?) par leur demande de disposer (autant que faire se peut) de médecins femmes, désacralisaient l’institution médicale, si elles étaient des représentantes du pôle laïque face au pôle clérical ?

Cela y est : j’ai peut-être retrouvé mon paradoxe (ou alors j’en ai trouvé un autre!)

Chao, à la semaine prochaine.

07/03/2007

D'un "Que sais-je?" à l'autre....

Je voudrais signaler aux honorables et honorés internautes, fidèles navigateurs que des vents favorables conduisent vers ce site, la parution, fin février, de la 4ème édition (15eme mille, sans compter les traductions) de mon « Que sais-je ? », Histoire de la laïcité en France. La 3ème date de l’automne 2005. Les changements ne sont donc pas très considérables mais quand même : la bibliographie a été actualisée, dans la rédaction même, il a été tenu compte des parutions faites depuis la précédente édition, notamment sur la séparation des Eglises et de l’Etat, et aussi… de la remarque d’un internaute qui avait critiqué le fait que je ne mentionnais pas nommément la Libre-pensée dans les tendances actuelles de la laïcité. J’ai trouvé la remarque pertinente et j’en ai tenu compte.

Par ailleurs, parfois un paragraphe a été  modifié, un autre ajouté grâce à une meilleure utilisation de l’espace,... Grâce à cela aussi, 2 pages ont pu être ajoutées au chapitre VI (« L’établissement de la laïcité »), en enlevant seulement ¾ de pages au chapitre II.

Eh oui, la rédaction d’un « Que sais-je ? », c’est se battre constamment pour avoir un phrasé compréhensible, tout en enlevant (et à chaque édition j’en enlève) les mots, les expressions qui (finalement) n’ajoutent rien ou pas grand-chose, trouver des tournures de phrase plus courtes, etc. Cela pour pouvoir donner plus d’informations et d’analyse et clarifier les passages qui, selon les retours obtenus, ne l’étaient pas assez.

Si l’on compare la 1ère édition (parue en 2000 sous le titre : Histoire de la laïcité française) et cette 4ème édition, c’est à la fois le même livre et un autre livre. Il y a eu, en effet, des changements très substantiels, notamment dans la 3ème édition de 2005. Maintenant, si vous courrez chez votre libraire, regarder bien la date : veillez à ce qu’il ne vous donne pas un des derniers exemplaires de la 3ème mais bien un de la 4ème, pour bénéficier des tous derniers changements.

D’un « Que sais-je ? » à l’autre vous ai-je annoncé en titre : je vais rendre à la fin du mois le manuscrit d’un autre « Que sais-je ? » qui doit paraître à l’automne. Son titre est tout un programme : Les laïcités dans le monde. Comme cette rédaction s’ajoute à tout le reste de mon travail de chercheur et d’enseignant, je n’ai malheureusement pas le temps de mettre sur le Blog cette semaine la suite du feuilleton commencé le 10 février.

Ne pleurez pas, séchez les larmes de vos beaux yeux : cette suite va venir au milieu de la semaine prochaine, mercredi 14 j’espère, jeudi 15 au plus tard. J’y pense, j’y pense.

Et pour me faire pardonner, quelques infos sur ce prochain « Que sais-je ? » : il ‘part’ du XVIe siècle et ‘débouche’ sur le temps présent avec une triple démarche : historique, philosophique, sociologique.

Le lecteur/la lectrice pourra donc suivre la construction progressive de la laïcité et plus l’ouvrage ‘avance’ dans  le temps, plus l’aspect intercontinental prend de l’importance. Mais, même au début, je tente de dépasser les frontières de l’Europe.

Le problème pratique de la rédaction d’un « Que sais-je ? » est le suivant : je calcule le nombre (approximatif) de signes que doit avoir chaque chapitre pour arriver au nombre de pages prévues (rappelez vous : le tout c’est 122 pages + la biblio + la table des matières) ; puis je découpe chaque chapitre en paragraphes qui doivent faire chacun entre 3000 et 4000 signes. Ensuite, je rédige tel ou tel paragraphe, sans me préoccuper (dans un 1er temps) du nombre de signes. En général cela aboutit à… 12000, voire 15000 signes. Une première coupe est relativement facile. Mais après c’est vraiment galère… Les choix sont déchirants. On enlève un truc qui n’a pas paru vraiment important. Mais on dort mal car on ne peut pas s’empêcher de penser que quand même, cela l’est. On en rajoute donc  une partie le lendemain. Mais cela veut dire qu’il faudra réduire ailleurs…Au total, des paragraphes prévus vont sauter : il n’est pas possible de tout dire. Le passage à la réalisation est toujours une blessure par rapport au projet. Mais le projet n’est que virtuel. Il faut l’acte pour le réaliser. Bref, quand vous lisez un « Que sais-je ? », ne tirez pas sur le pianiste…

Enfin, c’est la loi du genre. Mais voila, du coup, une Note ultra courte cette semaine. Promis, ce sera mieux la semaine prochaine.

Chao, portez vous bien, faites de beaux rêves, et à bientôt.