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23/04/2007

PRESIDENTIELLE: LES ENNEMIS INVISIBLES

Voila, le premier tour des présidentielles françaises a eu lieu et acteurs et commentateurs saluent d’abord ce qu’ils appellent « la victoire de la démocratie ». Moi aussi je souhaite commencer par là car c’est une double victoire : d’abord le taux exceptionnel de participation ; ensuite le net recul de Le Pen et du Front National n’atteignant pas les 11% des voix, le plus mauvais score depuis des lunes…

 

Certes, il ne faut pas bouder son plaisir et il s’agit de deux bonnes nouvelles pour la vie publique de la France. Le dépit de Le Pen, qui se montrait mauvais perdant, avait de quoi réjouir. Et au fil de la journée son recul devenait prévisible au fur et à mesure que les annonces d’un très fort taux de participation se multipliaient : Le Pen prospère sur l’abstentionnisme. Les 2 bonnes nouvelles sont donc liées. Mais au risque de jouer un peu les rabats joie, si le 22 avril 2007 a été un peu le contraire du 21 avril 2002, il faut déjà se poser la question : comment faire pour que le 23 avril 2012 ne soit pas l’inverse du 22 avril de cette année ? Autrement dit : comment faire pour que la France sorte enfin de façon irréversible de cette situation qui n’a pas d’équivalent dans les autres grandes démocraties ?

Une fois déjà, je m’étais réjouis un peu vite : c’était au moment de la scission Le Pen-Mégret. J’ai cru qu’elle marquait un déclin durable du FN et je me disais : ce que nous n’avons pas été capable de faire, le FN lui-même l’a réalisé : il explose en plein vol ! C’était avant 2002 ! Vous connaissez la suite de l’histoire : cela rend prudent.

 

Pour assurer une « bonne santé » démocratique à la France de façon durable, il me semble que deux « ennemis » doivent être vaincus.

D’abord dépasser le jeu de ping-pong « déprime- enthousiasme ».

2002 avait été le summum de la déprime et cela avait induit, en plus de l’abstention, deux attitudes (certes pas du tout comparables sur le plan éthique, mais qui s’étaient, de fait, cumulées pour arriver au résultat que l’on sait) : le vote « protestataire » Le Pen (je connais 2 personnes ayant voté Le Pen, catastrophées le soir du 21 avril 2002 car elle s’apprêtaient à voter Jospin au second tour : cela peut sembler très étrange mais c’est ainsi) ; le vote vers des « petits » (au sens où personne ne pouvait penser qu’ils participeraient au second tour) candidats de gauche ou d’extrême gauche, vers des candidatures de témoignage.

L’élection de dimanche a non seulement engendré un très fort taux de participation mais un vote beaucoup plus important vers les candidats susceptibles d’être au second tour (ils ont eu, à eux trois, 75% des voix). Leurs meetings ont été très suivis et une amie me disait qu’elle avait trouvé dans cette campagne un enthousiasme qui lui rappelait un peu l’atmosphère de la Coupe du monde.

 

Fort bien, l’enthousiasme vaut tellement vaut mieux que la déprime. Seulement j’appartiens à une génération qui a beaucoup cru au politique, qui a appris (à ses dépends) que le politique ne peut pas tout. Sans vouloir imposer cette expérience à d’autres, il me semble important de dire à celles et ceux qui me font l’amitié de lire régulièrement ce blog que la politique est l’art du possible et qu’il ne faut pas en attendre une sorte de salut terrestre.

Je voudrais donc un enthousiasme comportant du réalisme et du sang-froid. Un peu contradictoire me direz-vous. Oui, bien sûr. Mais la formule (que j’ai empruntée à je ne sais plus quel auteur) ne dit pas que la politique c’est le possible mais l’ART du possible. Or l’art, c’est ce qui tranche avec le possible routinier. Donc une politique réussie serait d’arriver (enfin !) à réussir cet impossible : réaliser le possible souhaitable. Vous me suivez, j’espère !

Cela signifie que le réalisme que je prône n’a rien de plat, mais (au contraire) comporte sa part d’utopie. Il faut intégrer une part d’utopie à son action pour arriver à réaliser le possible. L’utopie, comme l’horizon fait avancer. Mais, en même temps, il ne faut pas être englobé par l’utopie, avoir la naïveté de croire qu’on la réalisera telle quelle. On n’atteint jamais l’horizon, on ne réalise jamais l’utopie telle quelle.

 

J’ai commis, à la fin des années 1970, un livre qui s’intitulait : La marche et l’horizon. En gros, ma métaphore était la suivante : l’horizon, l’utopie, c’est ce qui met en mouvement, qui pousse à être debout, à marcher. Mais attention à ne pas regarder que l’horizon, à être attentif à la marche elle-même, à ses difficultés et aussi à la beauté de ses paysages. Attention de ne pas oublier que la route n’est jamais toute droite, elle doit s’adapter au terrain, effectuer des virages quand la pente est trop forte. Dans ces virages, on a parfois une impression de déjà vu, mais ce n’est qu’une impression : on n’en est pas au même point.

Attention aussi, de ne pas décourager certains marcheurs par une marche forcée, à un rythme qu’ils ne peuvent pas suivre : on s’apercevra peut être ensuite que ce sont eux qui transportaient un bonne partie de la nourriture !

Bref l’utopie permet de voir loin, le réalisme permet de savoir se quel est le sol que l’on foule et ce qui se passe autour de soi. Il faut trouver un artistique mélange. Trop d’utopie ou seulement du réalisme : voilà des ennemis invisibles.

Attention alors à la temporalité : je veux dire que le temps de la campagne pourrait être celui de l’utopie, des promesses, et la suite d’un retour brutal au réel, retour désenchanteur, déprimant. Retour qui, en fait, réduit le réel à ce qui ne va pas ou va mal…. C'est-à-dire à un réel médiatisé, puisque le rôle des médias consiste à parler « des trains qui arrivent en retard et non des trains qui arrivent à l’heure ».

La encore, il faut arriver à penser deux idées en même temps : il est indispensable à la vie démocratique que les médias puissent librement parler des « trains qui arrivent en retard ». Ce ne sont que dans les sociétés totalitaires que les trains arrivent (officiellement) toujours à l’heure ! Mais attention à ne pas confondre critique et dérision, critique et déboulonnage systématique.

Le « tous pourris, tous menteurs, tous corrompus », les chroniques à la Guy Carlier où, pour ne pas paraître dupe, on déboulonne systématiquement toute la classe politique est le terreau où Le Pen a prospéré et ou lui ou ses émules peuvent de nouveau prospérer.

 

J’ai mentionné 2 personnes de ma connaissance qui, en 2002, ont voté Le Pen et auraient voté Jospin au second tour. Parmi celles et ceux qui ont voté Le Pen cette fois, où qui étaient plus ou moins tentés de le faire, il y a des gens dont vous ne pourriez absolument pas soupçonner un tel vote si ne le vous le disaient pas explicitement. Vous voulez alors comprendre, vous les faites un peu parler… et vous ne vous tardez pas à vous rendre compte qu’ils sont influencés par des … -faut-il encore dire journalistes ou chroniqueurs  ou plutôt animateurs, humoristes politiques, etc, je ne sais trop quels mots employer. L’important est d’indiquer que ces dernières personnes croient sincèrement détester Le Pen et ne se rendent absolument pas compte qu’elles lui servent la soupe, à lui et à d’autres du même acabit.

 

La encore, il ne s’agit pas de supprimer l’humour politique, le droit à la dérision.

Mais existent deux problèmes invisibles : celui de la proportion (c’est comme la cuisine : si vous mettez 10 fois trop d’un ingrédient, cela devient immangeable) et (encore plus important peut-être) la qualité. Certains traits d’humours, certains dessins humoristiques donnent à penser, ouvrent à la réflexion ou rendent visibles une manière un peu originale de voir les choses ; d’autres ne font que reprendre à leur compte des stéréotypes qui traient dans toutes les poubelles, ils participent de la non pensée, de la fermeture de toute réflexion. Et, entre ces 2 pôles, vous avez toutes les catégories intermédiaires.

Proportion et qualité sont liées : débités à haute dose, l’humour et la dérision politique sont devenus, le plus souvent, de qualité très médiocre. Et (entre nous), j’aimerais bien savoir combien gagnent les auteurs de telles médiocrités.

 

Dans la Note de la semaine dernière, j’avais expliqué pourquoi j’apportais mon soutien (à mon modeste niveau) à Ségolène Royal, dés le premier tour. Je me réjouis bien sûr, de son score, de la réussite de son pari. Je pense qu’elle a mené une bonne campagne, qu’elle a fondé sur ses convictions propres qui sont indéniablement de gauche pour ce qui est essentiel, mais pas forcément de la gauche classique.

Quand j’ai été son collaborateur, j’ai pu apprécier son volontarisme utopique en même temps que sa connaissance des dossiers. Cela fait que ce que j’ai indiqué tout à l’heure sur le mélange nécessaire entre utopie et réalisme s’applique bien à sa personnalité.

J’entends les critiques que certains m’ont fait à son sujet, et dont on retrouve quelques échos dans les commentaires du Blog lui-même (qui est un lieu d’expression, et non un lieu où quoi que soit serait imposé). Soutenir quelqu’un ne signifie pas être à 100 % d’accord avec lui ou elle et l’on doit se déterminer sur un ensemble de facteurs.

Par ailleurs, je ne crois pas du tout (pour répondre à un internaute du blog) qu’elle ait une "vision étroite de la laïcité". La citation de Maintenant,que je donne en PS, suite à l'allusion d'Hakim dans les Commentaires de ma Note du 16 avril, le montre.

D’ailleurs, elle n’a (à mon sens) de « vision étroite » sur rien. Membre de son Cabinet, j’ai eu son soutien pour des initiatives qui dérangeaient soit l’administration, soit certains apparat chics du PS, soit des personnes qui avaient le bras long. C’est là d’ailleurs que j’ai éprouvé à quel point, concrètement, c’était difficile de faire bouger les choses et qu’il était vain de reprocher (au bout du compte, c’est de cela qu’il s’agit) aux politiques de ne pas être tout puissants. Mais, en même temps, qu’on arrivait, avec beaucoup de volonté et en prenant des risques, à sortir de l’immobilisme.

Ségolène Royal est une femme d’Etat. Ce pays (il n’est pas le seul, bien sûr) a, jusqu’à présent, confié le pouvoir à des hommes, qu’ils soient des hommes d’Etat ou non. Parmi les obstacles qui se dressent devant elle, il y a cet ennemi invisible qui fait que, de façon consciente ou non, on demande beaucoup plus, à ce niveau de responsabilité, à une femme qu’à un homme. Cela fait, par exemple, qu’une femme aura tendance à être considérée soit comme autoritaire, soit comme manquant d’autorité.

Des siècles de loi salique (la couronne royale réservée aux hommes, et la République a allègrement continué cette tradition), de pouvoir masculin restent bien présents et encombrent les têtes. Il faut en prendre conscience pour que cela ne soit pas un déterminant inconscient de son vote le 6 mai.

 

 

PS : Un internaute  (Hakim), en commmentaire de ma Note du 16 avril, indique que S. Royal fait allusion au travail que j'ai effectué auprès d'elle, quand j'étais membre de son Cabinet. Voici le passage exact:

Elle parle de ses enfants, baptisés à 10-12 ans: "Ils allaient à l'école publique mais l'aumônerie leur a plu: éducation au respect, dialogue sur les valeurs universelles, loin des dogmes. Au fond, la morale laïque que j'ai réintégrée au collège, avec Jean Baubérot, lorsque j'étais ministre de l'Enseignement scolaire n'en est pas très éloignée", Maintenant, page 31.

Propos proches de ceux de Jules Ferry.

 

Hakim me demande aussi quelques détails sur mon itinéraire. Ce n’est pas la première fois. Quand c’était sur un mode accusatoire, je n’ai pas donné suite. Mais, parfois, comme cette fois ci, c’est une interrogation. OK, un peu de patience : cet été, je vous raconterai, sinon tout… du moins certaines choses.

 

12:40 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (1)

Commentaires

“j’appartiens à une génération qui a beaucoup cru au politique, qui a appris (à ses dépends) que le politique ne peut pas tout.”
Merci à vous Monsieur Baubérot pour cette affirmation qui permet de mieux vous comprendre et de mieux comprendre votre génération. Personnellement, il m’a fallu l’éclairage biblique d’une conversion pour arriver à voir plus clair et comprendre ce qu’il en est vraiment des choses de notre “monde” avec ses structures d’une part, et du “royaume de Dieu” et de ses structures d’autre part. A cet égard, la radicalité de Jésus, à mon avis, peut repousser beaucoup de gens et des plus érudits, puisqu’il sépare carrément les choses du monde et les choses de son royaume à lui, sans mettre un mur comme nous le savons, mais en précisant bien la royauté de l’un et de l’autre :

1- Celui qui dès le commencement a fait basculer le projet de Dieu a été vaincu sur la croix. Il est maintenant jeté sur la terre et il est appelé le “prince de ce monde”, l’adversaire de Dieu, celui qui rôde comme un lion rugissant, cherchant qui il dévorera, et surtout tous ceux qui veulent témoigner de Jésus-Christ. Voilà le véritable ennemi, le “chef” de notre monde dans lequel nous vivons.

2- Le royaume de Dieu n’a rien à voir avec les structures du monde, même si les chrétiens appelés dans ce royaume par une conversion, restent quand même sous les autorités de ce monde, puisque que la Bible nous invite à nous soumettre aux autotrités, qui elles-mêmes restent -heureusement- sous le contrôle souverain de Dieu.
A ce propos, faut-il rappeler les paroles connues de l’apôtre Jean qui, s’adressant aux chrétiens, met un accent fort sur les deux appartenances : “Si vous étiez du monde, le monde aimerait ce qui est à lui ; mais parce que vous n'êtes pas du monde, et que je vous ai choisis du milieu du monde, à cause de cela le monde vous hait.” Ou encore : “N'aimez point le monde, ni les choses qui sont dans le monde. Si quelqu'un aime le monde (le système du monde), l'amour du Père n'est point en lui... “ (Jean 15.15-19 )

Qu’est-ce que peut le politique dans tout ça ?
Il y en aurait à dire, à écrire... Mais, politique ou non, il faut choisir.

Un homme ne peut donner que ce qu’il a reçu. Tout être humain est appelé à se situer, à trouver son appartenance, son identité. L’Evangile est là. Et au coeur de l’Evangile il y a celui qui peut tout et à qui tout pouvoir a été donné, sur terre comme au ciel : le Christ ! Un politique (indépendemment de sa dénomination protestante, catholique ou autre) qui se tournerait vers lui, vers Jésus, serait évidement une véritable exception française ! Et il y en a ! Il y en aura peut-être plus !

Toutes générations confondues, nous nous réjouissons de tous ceux qui parlent ou écrivent au nom d’un Christianisme dans lequel nous nous retrouvons.

Écrit par : alberto | 24/04/2007

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