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07/04/2007

LE MULTICULTURALISME CANADIEN VU PAR UN FRANCAIS (suite et fin)

Cette Note est la suite de celle du 23 mars. J'en étais arrivé à la Charte des droits et libertés. Je reprends donc et prie celles et ceux qui n'auraient pas pris connaissance de la Note du 23/3 de s'y reporter si besoin.

La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

Les Libertés fondamentales garanties sont notamment la liberté de conscience et de religion, et  la liberté de pensée, de croyance, d'opinion et d'expression.  Il est également indiqué que la loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe[1], l'âge ou les déficiences mentales ou physiques. Mais, précision importante, la Charte ajoute que cela n'a pas pour effet d'interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d'individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques:

L’article 27 de la Charte garantit  la diversité culturelle, mais comme un droit individuel et non comme un droit collectif. En revanche des droits collectifs concernent les canadiens francophones et les peuples autochtones.

La Charte donne beaucoup d’importance à la Cour suprême, tout Résidant, même non permanent, peut y recourir et de nombreux conflits d’intérêts mais également des conflits mettant en jeu des valeurs. Le refus de la discrimination indirecte et l’accommodement raisonnable sont les principes régulateurs.

L’idée d’accommodement raisonnable est issue d’un constat : dans les sociétés modernes certaines règles sociales –considérées comme neutres- induisent des discriminations indirectes. Ainsi des commerçants juifs, qui fermeront leurs boutiques le vendredi soir et le samedi, seront désavantagés par une fermeture obligatoire le dimanche. Cet exemple montre que les migrants récents ne sont pas les seuls concernés. Un officier d’état-civil, chrétien fondamentaliste, pourra d’ailleurs invoquer l’accommodement raisonnable pour justifier de se faire remplacer lors de la célébration de mariage d’un couple de même sexe.

Plus généralement, on pense que la prise en compte de caractéristiques culturelles favorise la participation à la sphère publique commune et éloigne de l’enfermement dans la différence. Il faut donc s’accommoder  à la pluralité, en tenir compte, dans les organismes publics comme dans les institutions privées. Le même effort de refus d’une discrimination doit être consenti à un handicapé, une femme, un membre de minorités culturelles.

Cet accommodement est une obligation juridique, mais il doit rester « raisonnable » et diverses balises sont prévues. Ainsi il ne doit pas engendrer un coût excessif (l’argument est reçu moins favorablement pour un service public que pour une entreprise privée). Il ne doit pas également nuire au fonctionnement du service (ainsi une burka qui rendrait l’identification impossible ne peut être acceptée), aux règles de sécurité, aux conventions collectives, et , enfin, il ne doit pas porter atteinte aux droits d’autrui (définis par la Charte des droits et libertés),

D’une manière générale, les étapes du renforcement de la lutte contre la discrimination raciale dans les institutions fédérales ont été les suivantes :

1984-1985 Réorganisation des programmes par un gouvernement  conservateur 

On met l’accent sur l’intérêt économique du multiculturalisme : le Canada devient ainsi + concurrentiel sur les marchés internationaux en raison des connaissances particulières des immigrés (+ de la moitié des PE  appartiennent ou sont exploité par des personnes d’origine autre que britannique ou fçaise). Vancouver et les relations avec HK et Taiwan sont spécialement visées.

1988 Loi du multiculturalisme canadien avec  ministère autonome

. « Permettre une politique allant au-delà du respect des droits de l’homme et voulant promouvoir une société pluraliste et ouverte »

Secrétariat du multiculturalisme, budget accru (26M D)

Dés ce moment là le multiculturalisme est contesté.

En 1991, création d’un nouveau ministère du Multiculturalisme et de la Citoyenneté En 1993 Ministère du Patrimoine canadien

Accent renforcé par le retour au pouvoir des libéraux en 1994 : le multi doit non seulement promouvoir l’égalité et la liberté de la pluralité culturelle, mais participer à la promotion de nouvelles valeurs communes dans une période de recul de l’Etat providence. Peur de la conception qu’ont les citoyens d’eux mêmes comme consommateurs de droits.

A partir de 1995, refonte des critères de financement car les ONG subventionnés doivent participer à la création de nouveaux espaces de rencontre, insuffler un sens du vivre ensemble et contribuer à résoudre des problèmes sociaux locaux ou circonscrit. Les activités culturelles de ces ONG n’émargent plus au budget du multiculturalisme..

Le Multiculturalisme est donc une politique fédérale mais des « programmes de multiculturalisme » ont été lancés au niveau de gouvernements provinciaux  et de municipalités de grandes villes.

-         programmes : reconnaissance accrue en histoire et littérature des contributions des minorités ethnoculturelles + enseignement bilingue

-         modifications des horaires de travail et des codes vestimentaires pour tenir compte des religions des migrants-         sensibilisation antiraciste et formation à la diversité culturelle-         cours d’alphabétisation en langue maternelle pour les immigrants adultes

-         mesures de traitement préférentiel

Cela peut relever d’autres ministères fédéraux ou d’autres instances que le fédéral.

On va le voir en donnant la synthèse d’une étude de Christian Poirier : « Communautés ethniques, groupes d’intérêt et institutions à Ottawa et Vancouver » in B. Jouve et A.-G. Gagnon, Les métropoles au défi de la diversité culturelle, Grenoble, PUG, 2006, 263-

Ottawa : création d’un Comité consultatif sur les minorités visibles en 1982, Année 1990 : structure administrative de respect des droits de l’homme et d’équité en matière d’emplois qui prend aussi en compte personnes handicapées, etc (même élargissement à Vancouver)

2000 : programme se focalisant sur l’accès aux services et emplois municipaux plus que sur participation aux décisions politiques

Ce qui a le plus progressé à Ottawa : sont les dossiers de l’équité sur le marché du travail, et la sensibilisation des employés municipaux à la diversité.

Dans la police toutes les nouvelles recrues reçoivent une formation sur les relations interraciales et la prévention de la discrimination En 2000, on a créé un : Comité d’action police - citoyens pour améliorer les relations entre la police et les minorités visibles avec des équipes d’intervention composées de policiers et membres des minorités visibles pour la médiation des conflits.

Mais depuis 11 septembre, avec une communauté musulmane, relativement importante = on s’inquiète moins des relations interethniques que des relations interreligieuses

Ottawa met en avant l’aspect « capitale du Canada »  et la nécessité faire de la ville un symbole « d’unité et de fierté » dans le sens d’une valorisation de la citoyenneté canadienne.

Problèmes :

-         perpétuation d’une logique centralisée et bureaucratique : comité consultatif : «comment donner un avis sans connaître les enjeux débattus » ?

-         capacité financière comité est restreinte

-         multiplication des mécanismes consultatifs ne facilite pas démocratisation processus décision

A Vancouver  le discours s’avère beaucoup plus centré sur la diversité culturelle et joue de la valeur ajoutée de son caractère cosmopolite et de ses relations économiques avec l’Asie (c’est  la grande ville canadienne la plus autonome économiquement à l’égard des USA). Les autorités municipales luttent pour sensibiliser les citoyens à des rapports interethniques harmonieux devant les inquiétudes de la majorité anglophone face au développement du niveau de vie des chinois et l’arrivée massive d’investisseurs asiatiques (notamment d’HongKong).

Différents mécanismes sont mis en œuvre :

- implication municipale dans le social, normalement compétence provinciale

- Comité consultatif pour promouvoir l’harmonie dans les rapports interethniques et facilité la communication entre les groupes et la ville

- programme d’accès à l’égalité dans l’emploi

- illumination des arbres situés devant la Mairie en fonction des différentes fêtes culturelles et religieuses des communautés ethniques, il n’y a cependant pas de représentation mémorielle liée aux communautés ethniques (autrement dit : on valorise la diversité synchronique mais pas la différence d’origines)

- formation interculturelle de la fonction publique et panoplie de services linguistiques

- 20% budget local alloué à des organismes qui s’occupent de communautés culturelles qu’ils soient spécifiques ou transversaux« existence d’une véritable culture politique centrée sur l’importance du tissus associatif et l’implication citoyenne » = beaucoup d’associations sont à portée transversale

- implication forte des services de police 

Bilan : « relations interethniques relativement harmonieuses. On note cependant la présence de nombreux graffitis à forte connotations raciste » et le « Conseil municipal de Vancouver est essentiellement « blanc »

Bilan pour les 2 villes  (toujours selon Christian Poirier)

-         risque de monopolisation par certaines personnes, communautés ou groupes d’intérêt : Vancouver communauté chinoise bien organisée et la communauté philippine ne l’est guère, Ottawa = communautés juive et musulmane en position de force

-         émergence d’experts en consultation publique, ceux qui s’impliquent ont entre 40 et 65 ans et des revenus et niveau d’éducation plus élevés que moyenne; articulation entre identité et intérêt =  identité ethnique minoritaire et intérêt à jouer le jeu de la majorité d’où tentent « d’adoucir en sein de la sphère politique des revendications identitaires fortes s’exprimant dans la société » (JB : mais n’est ce pas le but implicite recherché : canaliser et rendre ‘comestibles’ en qque sorte les revendications, en reprendre qque chose, avoir des médiateurs qui bien sûr ne seront pas les plus démunis et qui auront des connivences avec les deux camps ?)

-         risque de revendications centrées sur des intérêts particuliers et de concurrence entre diverses catégories identitaires gays et lesbiennes, handicapés, personnes âgées,..) dans quête reconnaissance et appropriation des fonds publiques

-         lacunes dans certains processus de consultation (sélection implicite)

-         certain décalage entre discours et action municipale : si l’idéal multiculturaliste est célébré, c’est souvent l’universalisme civique qui se traduit concrètement » (278)

 IV Le débat sur le multiculturalisme

Micheline Milot parle pour le Canada d’une « dissociation réelle entre les Eglises et l’Etat, laquelle s’est amorcée dés le XVIIIe siècle » ; « séparation informelle mais effective » (« La laïcité au Québec et en France », Bulletin d’histoire politique, 13, 3, printemps été 2005).

De fait, dans le débat sur le multiculturalisme, opposants comme partisans invoquent la séparation des Eglises et de l’Etat.

1° Les mises en cause du multiculturalisme :

Elles ne sont pas nouvelles : dés le départ, il y a eu des opposants et des méfiances, notamment de la part de Québécois affirmant que le multiculturalisme était une manière de noyer les revendications de la nation québécoise dans une polyethnicité. Mais, dans les années 1990, 2 ouvrages sont parus dont les thèses ont été reprises par certains médias, qui en ont fait la promotion.

Neil Bissoondath, Le marché aux illusions : la méprise du multiculturalisme, Montréal-Paris, Boréal-Liber, 1994 (Réédit Seuil 1996) (Bissoondath est un romancier, né à Trinidad en 1955, il émigre au Canada en 1977 –Ontario-,  et vit depuis 10 ans au Québec)

Richard Gwyn, Nationalism Without Walls : The Unbearable Lightness of Being Canadian (Nationalisme sans murs: L’insupportable légèreté d'être canadien), Toronto, McClelland and Stewart, 1995 (on pourrait aussi traduire par: la non consistance de l’appartenance canadienne) (Gwyn est né en 1934, il est Anglais et habite au Canada depuis 1954, journaliste The Toronto Star, puis free lance)

Tous les 2 soutiennent que le multiculturalisme abouti à la « ghettoïsation » = la formation de bastions autonomes en marges de la société, cela abouti à des formes « d’apartheid », à l’exacerbation des différences, des ressentiments, des antagonismes,  des réflexes pathologiques d’apitoiement victimaire, de maintien d’un attachement à la patrie d’origine. Les leaders ethniques sont poussés par le multiculturalisme à garder leurs membres à l’écart de la majorité. Bref,p  pour eux, cela a augmenté les cloisons culturelles et a nui à l’intégration.

D’après Gwyn :

- les Canadiens britanniques des classes moyennes se sentent de plus en plus « exclus » des institutions communes par des groupes ethniques envahissants, du coup, ils « se retirent du cœur de la société » (p.202) ; en effet, quand ils ont posé des questions sur le multi, ils « n’ont obtenus que des réponses culpabilisantes » (p. 189) (style : vous êtes racistes) : transformation progressive de la culture canadienne britannique en « une culture de l’arrière pays, du monde agricole, des petites bourgades et de villes [moyennes] » (p.117

- la logique du multiculturalisme va voir une montée des revendications d’un droit à la différence qui atteindra les valeurs fondamentales : « si la mutilation générale des femmes est reconnue comme une pratique culturelle distinctive –notamment chez les Somaliens- alors puisque le but du multiculturalisme est de « préserver » et de « promouvoir les valeurs et les mœurs des groupes multiculturels, pourquoi cette pratique devrait-elle être interdite au Canada ? » (p 189) (pour le moment, accord des immigrants provenant des pays où l’excision était pratiquée pour l’abandonner, mais, bien sûr, l’affaire dite du « tribunal islamique » de Toronto dont je vais parler va dans ce sens pour les adversaires du multiculturalisme).

- selon lui, pour le « Wall » jeffersonien (= le mur de séparation entre les Eglises et l’Etat) : « un multiculturalisme officiel est aussi contestable que ne le seraient une loi sur la multireligion et un ministère du multireligionisme. Dans l’édification de notre pays, un de nos exploits fut de séparer l’Eglise et l’Etat ; nous avons maintenant renversé la situation en liant la race à l’Etat » (p. 273)

- il défend enfin une thèse intégrationniste (en référence au modèle républicain américain plus que français) : Les différences sont respectées à l’intérieur de la sphère privée mais elles ne doivent pas s’exposer dans la sphère publique où il doit y avoir un mur de séparation et égalité de tous les citoyens qui doivent se conformer à des valeurs et des règles communes régissant la vie collective.

Ces méfiances ont été dernièrement attisées par deux affaires.

La première, en Ontario, a été provoquée par l’extension à un organisme musulman, en 2003, de la possibilité de substituer des procédures d’arbitrage interne pour des questions de droit civil, commercial ou familial qui existe en Ontario depuis 1991. Les positions de cet organisme sur les rapports hommes femmes et les risques que les droits des femmes (notamment les migrantes récentes qui ne savent pas bien l’anglais et qui ne sont pas au courant des différentes balises mises dans les procédures d’arbitrage) ont entraîné la protestation du Conseil canadien de la femme musulmane, soutenu par des féministes de divers pays. Il s’agissait nullement là d’un cas d’accommodement raisonnable (qui de toute façon ne peut être accordé qu’à des individus).. L’affaire a pris une tournure émotionnelle tout en permettant « à la communauté musulmane de s’immiscer dans le débat public sous une forme plurielle »[2]

La seconde affaire, qui a secoué le Québec, a été celle du kirpan, ou poignard traditionnel, dont le port fait partie des convictions des Sikhs.  Devait-il être autorisé à l’école ? La Cour d’appel québécoise a dit non, la Cour suprême canadienne a renversé la décision a condition que le kirpan soit cousu dans un fourreau et inaccessible sous les vêtements. Au-delà de la dimension symbolique revêtue par la divergence des décisions entre le Québec et le Canada, on atteignait là, comme l’a reconnu l’avocat du plaignant, « la frontière du raisonnable »[3]. Journalistes et personnalités politiques québécois ont entamé une campagne parfois virulente, un ancien ministre dénonçant des « cafouillages sociétaux ».

 2° Will Kymlicka et le multiculturalisme repensé

W. Kymlicka est. professeur à Queen’s University (Kingston, Ontario), PhD en 1987, auteur notamment de Libéralisme, communauté et culture, 1989, La citoyenneté multiculturelle, 1995 en anglais, Boréal, 2001 pour l’édit fçaise réagit et publie La voie canadienne. Repenser le multiculturalisme, Boréal, 2003 pour l’édition française ; en anglais Finding Our Way : Rethinking Ethnocultural Relations in Canada). Il a critiqué les théories de la justice de John Rawls  et se situedans la lignée de Ronald Dworkin (né en 1931) et de sa notion de « l’égalité de respect et de considération »

Selon lui, dans ce débat, personne ne définit l’intégration et n’en donne des critères ; le multiculturalisme est récusé sans que l’on présente des données empiriques montrant qu’il a fait faillite.

Kymlicka donne certaines données tirées de différentes études qui vont à l’encontre des reproches effectués comme le haut degré de naturalisation canadienne des immigrants, alors que cela n’apporte rien d’autre que le droit de vote, ou encore l’absence de parti ethnique qui lui apparaît également comme un indice favorable, de même il cite des enquêtes indiquant que le taux de mariages interethniques s’est multiplié depuis 1971 et qu’il y a eu un déclin de l’endogamie. Cela, précise-t-il n’est pas un objectif de la politique multiculturelle mais un effet second  car montre que les Canadiens fréquentent de plus en plus des personnes issues d’autres groupes ethniques ; bref pour lui la plupart des clignotants sont au vert, tout au plus admet-il, « au sein de groupes d’immigrants assez anciens » (juifs, Italiens) de « légères tendances à la concentration territoriale ». Il cite enfin un rapport d’Orest Kruhlak : « quelque soit la variable étudiée (…) aucun ne nous permet de conclure à la mise en valeur de la séparation ethnique. » (p. 36 de WK).

Sur la séparation Eglises-Etat, Kymlicka indique que « des règles et des pratiques institutionnelles ont été conçues à l’origine pour –et par- une population homogène » (=chrétienne) et donc peuvent créer des difficultés à partir du moment où la population ne l’est plus : « ayant fixé une semaine de travail qui favorise les chrétiens, les Canadiens ne peuvent pas vraiment s’opposer à des exemptions pour les musulmans ou les juifs en arguant la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Ces groupes exigent simplement que l’on tienne compte de leurs besoins religieux, comme on l’a fait depuis toujours pour ceux des chrétiens. » (p. 77)

Ensuite, il dit que s’il y avait faillite du multiculturalisme le Canada devrait s’en sortir moins bien que les USA  et la France, or c’est l’inverse qui se produit (sur la France : « Le Canada s’en tire mieux en ce qui concerne non seulement le taux d’intégration mais aussi les rapports interethniques quotidiens », p. 37). Les seuls résultats analogues étant, d’après lui, l’Australie qui a aussi une politique multiculturelle.

Il se demande alors pourquoi toutes les données statistiques n’arrivent pas à rassurer de nombreux Canadiens : pour lui, il existe actuellement une inquiétude quant aux limites du multiculturalisme, limites qui n’ont pas été assez explicités par les promoteurs des politiques publiques. Sa thèse est en gros que le pouvoir politique ne peut pas être, de toute façon, culturellement complètement neutre et d’ailleurs, au Canada, ne prétend pas l’être puisque le multiculturalisme s’effectue dans le cadre du bilinguisme, ce qui favorise deux cultures de société l’anglophone et la francophone. Le multiculturalisme ne saurait donc être sans limites et celles-ci sont notamment données par la Charte des droits et libertés.

Par ailleurs, il répond aux Canadiens anglophones qui craignent que le multiculturalisme induise l’extension à différentes communautés des tendances séparatistes québécoises (intéressant, car au Québec le multiculturalisme est parfois accusé de l’inverse) : « l’expérience historique des Québécois [montre] qu’une minorité ne peut maintenir sa culture de société que si elle obtient des pouvoirs substantiels dans les domaines suivants : la langue, l’enseignement, la fonction publique et l’immigration » et pour cela une « minorité doit exercer un contrôle réel sur un corps politique ou une entité politique quelconques » (p. 56). Il ajoute que se sont les colons occidentaux qui, dans l’histoire, ont édifié des sociétés séparées (p. 61). Il estime donc non fondées les diverses craintes à l’égard du multiculturalisme.

3° Les enjeux du débat :

-         d’abord on constate, une fois de plus, la différence entre une perception de sciences humaines et une perception événementielle et médiatique  (je ne dit pas que la seconde est fausse mais son rapport au réel est différent) ; la seconde perception s’est accentuée depuis l’ouvrage de Kymlicka avec les affaires du port du kirpan et du « tribunal islamique » en Ontario. De même pour une perception scientifique, il y a des raisons préalables de conflits et le non événement est construit, alors que dans une perception médiatique, le non-événement est naturel, rejeté dans l’impensé.

-         ensuite, ce qui est considéré comme des signes de séparatisme par les adversaires du multiculturalisme est souvent considéré comme signe d’intégration par les partisans : demande des Sikhs d’être exemptés de porter le couvre chef du corps national de police a été perçu comme un refus d’un « symbole national » par les adversaires, alors que pour W. Kymlicka  le fait « que des Sikhs souhaitent se joindre à notre corps national de police est un indice assez révélateur de leur désir de participer et de contribuer à la société. » (p. 73). Donc, comme le dit WK lui-même, la représentation de l’intégration est un enjeu.         

     Kymlicka parle d’ « intégration équitable » ce qui signifie une intégration qui maintient la possibilité d’une certaine différence culturelle ; cela implique en fait peut être moins du séparatisme et de la juxtaposition que la construction d’une société en mouvement, et donc qui ne ressemble plus forcément à ce qu’elle a été ; dans cette perspective l’intégration n’est pas un mouvement unique des nouveaux migrants mais un processus qui demande une certaine réciprocité. Ainsi Kymlicka prend l’exemple des festivals ethniques, il dit d’abord que c’est un problème d’équité : à partir du moment où l’Etat finance les arts, il faut veiller à ce qu’il n’y ait pas de discriminations. Mais, en outre, il remarque que le public est interethnique et donc que « ces appuis financiers permettent en définitive à la majorité d’en apprendre un peu sur les groupes qui vivent à ses côtés » et comportent en définitive une « dimension de rapprochement interethnique » (p. 74). Là encore, réciprocité, jusqu’où ? Et cela signifie aussi qu’un groupe dominant l’est moins, ce qui est toujours douloureux (pour ce groupe) et entraîne d’autant plus une crise d’identité que ce groupe ne s’est pas conçu jusqu’alors comme un groupe particulier (cf les hommes face aux femmes, par exemple.).

-         la dimension symbolique du problème est importante : W. Kymlicka indique qu’il n’y a pas de séparatisme constatable, mais il reconnaît lui-même que l’interrogation porte sur « une sorte de séparatisme dans les esprits » (p. 86) et que les limites du multiculturalisme n’ont pas toujours été explicitées (elles semblent claires pour des juristes, sociologues, etc : ceux que j’ai rencontrés m’ont tous dit, par exemple, que le projet de tribunal islamique de Toronto dans la forme où il se présentait n’avait aucune chance juridique d’aboutir, mais des militantes et militants sont convaincues du contraire, Cf l’ouvrage collectif : Des tribunaux islamiques au Canada, Sisyphe, 2005).          En revanche Kymlicka tient à la dimension symbolique que le multiculturalisme revêt auprès des immigrants : 2 affirmations symboliques : d’abord, le rejet du « passé assimilationniste » : « plus jamais nous ne considérerons le Canada comme un pays de « blancs » (…) Au contraire, nous avons reconnu et consacré le fait que le Canada est un pays multiracial et polyethnique »,  ni « exclusion raciale » ni « oppression culturelle » (p. 92s) ; ensuite,  la seconde affirmation symbolique«  soulignait que les immigrants (…) avaient apporté une contribution essentielle à la société canadienne, que leur identités particulières représentaient une caractéristique fondamentale du Canada et que celles-ci devaient, dans la mesure du possible, être reconnues. » (p. 91)

-         plus précisément le multi est un élément du débat sur particulier et universel : critique d’un universalisme ethnocentré et volonté de construire un nouvel universalisme qui tienne compte de la diversité culturelle (« universalisme de surplomb » selon l’expression de Michael Walzer, qui estime qu’il a sa racine dans le monothéisme juif des prophètes : un seul Dieu, une seule loi, une seule justice, etc et que les Lumières ont conservées à abandonner au profit d’un « universalisme réitératif » qui se construit dans la rencontre des cultures et n’aboutit pas à des valeurs intemporelles et non spatiales).

-         Cela pose le problème du fond commun : ou on dit « valeurs universelles » et alors il y a bien un niveau où universalisme et construction historique occidentale se rejoignent ou on dit : valeurs du pays d’accueil et alors on assume que le lien politique soit dans la particularité (et non dans le nouvel universalisme de la rencontre), et l’universalisme est à un autre niveau, même si cela ne délégitime pas la recherche de passerelles et (à ce niveau) le multiculturalisme. Mais il faut clarifier. W Kymlicka contribue à cette clarification mais le travail n’est sans doute loin d’être terminé. Ainsi à l’Université de Montréal j’ai participé à une grande rencontre sur « l’accommodement raisonnable » fin mars et une autre va avoir lieu en avril.!

Il y a une critique de l’Etat-nation comme prétendant être un vecteur d’universel (et notamment de la laïcité française) dans un monde où les pays deviennent de plus en plus multinationaux. Le philosophe québécois Daniel Marc Weinstock écrit à ce sujet: « En principe, il y a quelque chose d’admirable et d’attirant dans la conception française de la laïcité. Il y a derrière ce principe dans sa forme la plus pure un profond souci d’égalitarisme. En effet, si nous sommes sur la place publique tous dénudés de nos appartenances particulières, la possibilité d’iniquités perpétrées par les majorités religieuses ou ethniques à l’endroit des minorités disparaît. S’il en est ainsi en théorie, la pratique est tout autre. Force est de constater que la laïcité est devenue à bien des égards en France un moyen de dissimuler de telles iniquités. C’est que les symboles et les pratiques de la majorité peuvent toujours être présentés comme « neutres ». (…) Ils font, pour ainsi dire partie de l’oxygène. Mais les marques de différence des minorités sautent aux yeux, et sont même amplifiées. Ce qui au départ devait être un principe permettant à tous les citoyens de disposer d’un statut égal sur la sphère publique devient un outil permettant à la majorité de faire valoir son poids numérique tout en se targuant d’un principe apparemment irréprochable. Il n’est donc pas étonnant que les relations ethnoculturelles soient aussi tendues en France, et qu’elles donnent lieu à des débordements comme ceux qu’ont connus les banlieues en 2005. »

Texte : « Pour le multiculturalisme canadien, contre la laïcité française ».

Canada, Australie, expérimentent-ils une « nouvelle gouvernance » appelée à s’étendre sous des formes diverses ou, au contraire, cela restera-t-il lié à la spécificité de ces pays ?

 V  Le Québec et sa spécificité

Cf. M. Milot, La laïcité dans le Nouveau Monde, le cas du Québec,  Turnout, Brepols, 2002.

D. Helly, Le Québec face à la pluralité culturelle 1977-1994. Un bilan documentaire des politiques, Institut québécois de recherche sur la culture, Presses de l’Université de Laval.,1996.

Québec = environ 1million542 km2, et environ 8 millions d’habitants dont 83% de francophones, 8% d’anglophones et 9% d’allophones. ; la moitié est dans le « Grand Montréal ».

Lors de la constitution de l’Etat Canadien, une certaine autonomie laissée aux provinces (mais droit de « désaveu ») et notamment. Code civil du Québec (alors que Commun Law britannique ailleurs). Longtemps, il y a eu des écoles séparées pour catholiques (francophones) et protestants (anglophones) (idem pour minorités catholiques du reste du Canada)

Forte influence de l’Eglise catholique, mais années 1960 = La révolution tranquille de Jean Lesage, avec des catholiques modernistes (c’est l’époque du Concile Vatican II).

Mouvement indépendantiste (visite de Gaulle en 1967 : à Montréal : « Vive le Québec libre »). FLQ = avec enlèvements et assassinat Jean Laporte en 1970

1971 : politique multi canadienne. 1975 : Charte des droits.

Création du Parti Québécois (indépendantiste) en 1968, arriva au pouvoir en 1976 (avec promesse de ne pas faire l’indépendance immédiate mais de consulter la population, ce qui fut fait en 1980 avec le projet de « souveraineté association », qui recueillit 40 % des suffrages)

1982 : rapatriement de la Constitution par Trudeau, le Québec est contre mais la Cour suprême estime que la Constitution s’applique qd même à toutes les provinces qui forment le Canada.

1985-1994 le Parti libéral retrouve le pouvoir et tente un accord d’abord en 1987 puis en 1992 avec l’Accord de Charlottetown qui est repoussé à la fois par le Québec (56,7%pas assez d’autonomie) et par l’ensemble du Canada (54,3%, trop d’autonomie et trop d’importance pour l’Ouest aux 2 provinces Ontario – Québec ; il y a eu 68,3 % de non en Colombie britannique). La campagne a ressemblée à celle du référendum français sur l’Europe : les 10 gouverneurs de provinces et les élites étaient pour l’Accord = seul moyen de conserver le Canada ; au début on a cru que cela serait facilement ratifié et au fur et à mesure de la campagne les gens trouvaient dans l’accord qque chose qui leur déplaisait ; de plus il y avait une impopularité du chef du gouvernement d’Ottawa et des élites.

1994 : le PQ revient au pouvoir, de nouveau un référendum en 1995 ; cette fois très serré : seulement 50,6% de non à la souveraineté.

Ensuite un processus de laïcisation scolaire a été enclenché et a abouti en l’an 2000 à la disparition de l’aspect confessionnel des écoles publiques. Une nouvelle étape va avoir lieu en 2008 avec la création d’un cours de culture religieuse.

Depuis 2003 le Parti libéral est de nouveau au pouvoir au Québec. Et les libéraux qui étaient au pouvoir au Canada ont été remplacés, après le scandale des commandites, en 2006 par les conservateurs, Stephen Harper qui a fait adopter par le Parlement une déclaration (sans valeur juridique, mais qui donne des possibilités politiques) indiquant que « les Québécois forment une nation au sein du Canada uni ».

J’étais à Montréal le jour des élections législatives  (26 mars 2007) québécoises qui ont vu un parti populiste, l’Alliance Démocratique du Québec parvenir en seconde position, obligeant le Parti libéral au pouvoir a former un gouvernement minoritaire et marginalisant le Parti Québécois, indépendantiste. Même si de nombreux facteurs ont joué, les craintes à l’égard de l’accommodement, notamment en milieu rural non confronté directement à des minorités mais influencé par la télévision, ont constitué un élément favorable à l’ADQ.

Le gouvernement a demandé à deux universitaires, le philosophe Charles Taylor, et l’historien Gabriel Bouchard, un rapport sur l’accommodement raisonnable. On peut en espérer un travail de clarification et de réflexion, notamment sur les limites du « raisonnable ». Mais en fait une décision politique n’est pas du ressort du Québec et les autres provinces canadiennes ne ressentent pas le problème de la même manière. Dans un ouvrage à paraître, J.F. Gaudreault-Desbien, professeur à l’Université de Montréal, souligne « l’influence considérable » du clergé catholique au Québec avant la Révolution tranquille ; du coup, l’accommodement raisonnable rappellerait aux Québécois « ce qu’ils ne veulent plus être ». Cela pourrait rappeler le cas français, ce n’est pas tout à fait le cas et, au débat qui vient d’avoir lieu à Montréal, le juriste José Woehrling a déclanché les rires complices de l’assistance en affirmant que la France comprenait l’accommodement de travers en demandant aux minorités de s’accommoder à la majorité, déjà préalablement dominante.

Le Québec parle plus volontiers d’interculturalisme que de multiculturalisme et met 3 limites qui doivent former le contexte de l’interculturalisme :

-         la reconnaissance du français comme langue de la vie publique,

-         le respect des valeurs propres à la démocratie libérale, dont les droits politiques et civils et l’égalité des chances

-         le respect du pluralisme, y compris l’ouverture d’esprit et la tolérance à l’endroit des différences.

(Pour Gwyn il s’agit d’un cas de figure différent du multiculturalisme canadien; pour Kymlicka. ce sont les limites implicites du multiculturalisme partout au Canada, mais c’est bien qu’elles soient explicitement dites).

 

Remarque conclusive : Le Canada n’est pas le « paradis sur terre » et j’ai tenté, le plus honnêtement possible, de restituer les données des problèmes et des débats qui y existent.

Comme je l’ai indiqué, je suis preneur de compléments et de remarqués argumentées (Merci à Eric Wingender de son Commentaire de la Note du 23).  Mais à travers des tâtonnements, ce qui se joue là est la prise en compte que, contrairement au deux précédentes mondialisations (celle qui a suivi les « Grandes découvertes » et celle des empires coloniaux mondiaux) la globalisation actuelle n’est plus une extension de l’Occident.


[1] Un article spécial (l’article 28) précise : «  Indépendamment des autres dispositions de la présente charte, les droits et libertés qui y sont mentionnés sont garantis également aux personnes des deux sexes »

[2] S. Charles, Le Débat, nov-dec. 2006.

[3] Me J. Gray, Journal du barreau du Québec, fév. 2007.

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