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30/06/2005

Nouvel Edito

AJOUT DU 2 JUILLET

Zaynab, Antoine, Anne, Guillaume, Julie,Thomas,Violette, Nico, Alicia, Thoma, Odile, Michael, Emma, et les autres (sans compter l'ex-ambryon qui s'est magnifiquement développé....)

Vous qui "planchez" en ce jour avez droit à ma sympathie. Merci des remarques faites ces derniers jours grâce aux commentaires du Blog. Je vais y répondre d'ici quelques jours (en attendant vous pouvez m'écrire comment cela s'est passé et quelles ont été les questions). Pour le moment, il faut que je rédige deux textes promis pour le 31 mai 2005!

DERNIERE MINUTE

La rencontre d'Aix s'est fort bien passée. La salle (160 places) était bien remplie et les discussions avec celles et ceux qui sont venues me voir après fort sympa. Manquait juste Aurélie (voir PS)
Comme promis (cf édito d’hier) vous trouverez un nouveau texte (Laïcité et mutation du public et du privé ; on m’a questionné là-dessus), non comme nouvelle Note mais à la suite de la Note « Sur l’ouvrage Laïcité 1905-2005. Importante réunion… » qui, elle-même, suit l’éditorial d’hier 29 juin, qui suit ce bref édito d’aujourd’hui. Bref, c’est aussi simple que l’histoire de l’homme qui a vu l’homme qui a vu l’homme.
Mais si vous cliquez de manière à faire défiler les différents textes, ce nouveau texte apparaîtra. OK ?

Aller, réponse à la der des der : question de scpo : pourquoi la laïcité n’est pas une exception française ?
Parce qu’à partir du moment où on n’en a pas une approche essentialiste mais où on déconstruit la laïcité en 3 éléments (cf p. 248s. du livre)
-la non domination de la religion sur l’Etat et la société grâce à la séparation
-le respect de la liberté de conscience, de culte, de religion, de conviction
-l’égalité des religions et des convictions
d’une part, ces 3 éléments ne sont totalement réalisée nulle part (la laïcité absolue n’existe pas, mais comme idéal, c’est une référence qui pousse à l’action)
d’autre part, ces éléments existent plus ou moins dans beaucoup des Etats démocratiques, qui sont donc plus ou moins laïcisés (Briand, dans son rapport présentant le projet de loi de séparation en 1905 parlait de « semi laïcité » pour plusieurs pays européens voisins de la France et insistait sur le fait que canada, Etat-Unis, Brésil et surtout, disait-il, Mexique, avait précédé la France dans la voie de la séparation)
Enfin, il faut savoir qu’à ma connaissance, l’expression « laïcité exception française » n’est pas utilisée avant 1990 : elle est directement liée au remplacement, dans l’actualité de la laïcité, du conflit école publique- école privée (cf les manifestations de 1984 contre le projet de relative unification des deux écoles) par les affaires de foulard. Mais la réalité ne se réduit pas à l’actualité et laîcité à un seul problème, aussi passionnel soit-il.
Mais si on ne peut faire de la France la propriétaire de la laïcité, il existe une laïcité française qui a une certaine spécificité qui lui vient de son histoire: chaque laïcité provient d'une construction historique. c'est pourquoi, dans mon livre, je tente de montrer comment se construit la laïcité de 1905, et celle de 2005 (en la reliant chaque fois à la sécularisation, au régalisme, à la religion civile et à la manière dont on se représente le public et le privé).

PS: Désolé, Aurélie, que tu n'aies pas trouvé le lieu de la conférence à Aix, surtout que tu avais pris un tgv et donc engagé des frais et pris du temps. Au point où tu en étais, tu aurais du prendre un taxi pour te conduire à l'adresse que j'avais donnée sur le blog (que pouvais je faire de plus? Je ne savais pas moi-même où c'était avant d'y être conduit). Sans rancune?

23:10 Publié dans EDITORIAL | Lien permanent | Commentaires (10)

29/06/2005

EDITO

BIENTOT LES VACANCES

Chers AMI(E)S du Blog,

Chose promise, chose due : vous trouverez ci après (et aussi en cliquant sur la catégorie « Ouvrages de jean baubérot») le compte rendu de la rencontre du 28 juin avec les étudiantes (majoritaires) et étudiants. J’aurais du faire passer une feuille pour que celles et ceux qui veulent poursuivre le signalent en indiquant leur mail (quelques uns ont pu le faire à l’extrême fin du pot).
Mais vous avez maintenant l’adresse du gsrl et vous pouvez toujours, si vous le souhaiter, m’envoyer un petit mot à cette adresse. Notamment pour celles et ceux qui ont écrit plusieurs fois des commentaires, et donc manifesté un intérêt particulier pour ce Blog et mes (modeste, c’est comme ça que l’on dit, non !) travaux. Ce serait sympa, quand il auront un moment, de me dire un peu plus qui ils sont et, après lecture du livre (et de plein d’autres écrits aussi je suppose) et expériences diverses, ce qu’elles et ils pensent finalement de la laïcité.

Pour la rencontre d’Aix : effectivement, il y a eu un malentendu, un premier mail que je n’ai pas lu et il ne s’agit pas de l’IEP. Donc toutes mes excuses à cet honorable organisme de notre enseignement supérieur. Il n’en reste pas moins que la rencontre est ouverte et gratuite.

Je vais tacher de vous donner une nouvelle Note le vendredi 1er juillet, pour vous accompagner jusqu’au bout de l’année universitaire et ou professionnelle.

Apres, il y aura une Note soit le 9 juillet soit le 16 ou 17 (soit les deux si j’ai le temps). Et puis, un peu de farnienté (et de travail en retard à rattraper, malheureusement). Donc, sauf imprévu, le Blog restera ensuite en l’état jusqu’à fin août.
Et à la rentrée, sans doute des rubriques plus brèves, plus engagées puisque les fondements auront été donnés et que ce sera le temps fort de la Commémoration. Mais aussi la suite de l'histoire de la séparation. Vous qui avez accroché à ce Blog, ne le délaissez pas after les vacances….


N’oubliez pas les parutions de la rentrée aux éditions de l’Aube :
En septembre, l’ouvrage collectif : De la séparation des Eglises et de l’Etat à l’avenir de la laïcité, ouvrage collectif avec des contributions sur la laïcité dans différents pays (du Japon aux deux Amérique en passant par la Turquie, la Russie, l’Ukraine, etc)
En octobre (le 14) : Improbable Amour mon roman historique, à partir d’une histoire vraie : le coup de foudre réciproque entre un anticlérical notoire et une carmélite émouvante, que tout oppose : âge, condition sociale, etc… à l’époque tourmentée de 1902-1905 dans le contexte de la Belle Epoque. LE roman du centenaire de la loi de 1905….

Bonne lecture (du Blog et des livres,….
2 PS : D’abord, je n’ai pas le temps de faire la mise en page habituelle pour ce qui concerne le compte rendu de la réunion : excusez- moi
Ensuite, la consultation du Blog explose : nous en sommes à 10764 visites (plus de 300 chacun de ces 2 deniers jours)


12:40 Publié dans EDITORIAL | Lien permanent | Commentaires (0)

SUR L'OUVRAGE: LAÏCITE 1905-2005

IMPORTANTE REUNION ETUDIANTE SUR LA LAÏCITE:
100 PERSONNES SELON LES SYNDICATS
23,5 SELON LA POLICE

Trêve de plaisanterie, nous étions une bonne soixantaine, entassés dans la salle de réunion du Groupe de Sociologie des religions et de la Laïcité à l’Iresco pour la présentation de mon ouvrage Laïcité 1905-2005 (Seuil) et, malgré la chaleur, ce fut fort convivial.
La rencontre s’est déroulée en 3 temps : présentation du livre, réponse aux questions, pot.Pour la clarté du compte rendu, j’intègre certaines réponses aux questions dans la présentation.

Pour cette présentation de l’ouvrage, j’ai indiqué que j’avais d’abord élaboré le schéma qui se trouve page 251, puis l’architecture du livre. L’idée de base consistait
1) à mener une approche académique, universitaire de la laïcité, sujet souvent traiter de façon idéologique et passionnelle.
2) A rendre cette approche accessible à un public, certes cultivé, mais dépassant le cercle des spécialistes, dans l’optique de la commémoration de 1905.

Puisque j’avais dégagé 4 éléments structurant de la « laïcité empirique » (cad la laïcité concrète, telle qu’elle peut être observée en un temps et un lieu précis par le sociologue et l’historien), le plan de mon livre fut d’abord le suivant : trois chapitres par élément structurant : un pour indiquer comment s’est construit la laïcité de 1905 ; un pour indiquer comment s’est construit celle de 2005 et un troisième pour mettre, à chaque fois, la laïcité en relation avec une autre notion, qui permette d’évaluer d’autres réalité sociales en interaction avec la laïcité empirique, concrète.
En fait, dans le souci de toucher un assez large public, j’ai effectué 2 dérogations à ce plan (je vais y revenir).

Ce plan signifie que la laïcité est envisagée comme une construction historique, et non de façon essentialiste comme le font certains philosophe. L’ouvrage n’est pas une histoire de la laïcité au sens classique du terme (comme peut l’être mon « Que sais je ? ») mais il tente de donner l’épaisseur historique de la laïcité à un moment donné (1905, 2005).

Reprenons les 4 éléments :

1) On parle souvent de laïcité scolaire, j’ai élargi le champ aux institutions de socialisation et m’intéresse également à la médecine qui donne, au moins implicitement certaines directives de conduites. Cela me permet de montrer que le processus de laïcisation se trouve en interaction avec un autre processus, celui de la sécularisation. J’en ai parlé à plusieurs reprises sur ce blog. Pour ne pas me répéter, je vais citer Olivier Roy dans son dernier (et excellent) ouvrage : La laïcité face à l’islam (Stock, 2005) : « La sécularisation est un phénomène de société qui ne requiert aucune mise en œuvre politique : c’est lorsque le religieux cesse d’être au centre de la vie des hommes même s’ils se disent toujours croyants » (p19) ; « Si la laïcité française fut instaurée par des choix politiques, la sécularisation est par contre issue de processus culturels QUI NE SONT PAS DECRETES » (p114) (il manque cependant à Roy, la notion de laïcisation, c'est-à-dire, comme pour la sécularisation, d’envisager les choses comme processus, ce qui permet de se dégager d’une optique centrée sur la France). Pour prendre un exemple concret : quand l’Etat élabore une loi instituant l’exercice illegal de la médecine, cela relève de la laïcisation ; quand les gens cessent de considérer la mort avant tout comme le passage dans l’au-delà pour la voir comme la fin de la vie (que l’on peut retarder grâce à la médecine) cela relève de la sécularisation.
Je vous mâche le travail, non ?
Diverses mutations sociales et, du côté de la religion, le Concile de Vatican II (1962-1965) et sa reconnaissance de la liberté religieuse (et plus seulement la liberté de l’Eglise catholique avec l’idée de droits différents entre la « vérité » et l’erreur ») favorise la prédominance du processus désormais plus sécularisateur que laïque à l’échelle de l’Europe (cf Espagne, Italie ces dernières décennies).

2) Pour les relations Eglises-Etat, j’ai un peu bousculé mon plan en effectuant un zoom sur la période clef de la séparation 1901-1908. Ce qui fait que j’ai abordé la notion de « régalisme » dans le chapitre où j’ai parlé de la construction de 2005. Le régalisme est le droit d'emprise de l’Etat, c’est l’Etat vu non comme dispensateur de ressources ou simple régulateur de la vie sociale mais comme producteur de normes et c’est le pouvoir (considéré comme) légitime de l’Etat sur les individus, les groupes, les srutures sociales (cette précision répond j'espère à la demande d'Emma: quand on explique une notion, on dit des choses qui sont presque équivalentes, mais pas tout à fait: le fait de dispenser des normes pour moi est un aspect de l'Etat régalien). Le couple Concordat-Articles Organiques, au XIXe siècle, permet un certain régalisme à l’égard des « religions reconnues », régalisme qui s’accentue sous la Troisième république. Mais la loi de 1905 marque un tournant et diminue fortement le pouvoir régalien de l’Etat à l’égard des religions (refus de favoriser un « catholicisme républicain » ; les religions ne sont pas obligées d’être en connivence avec les valeurs dominantes ; elles doivent seulement respecter l’ordre publique : vous pouvez prêcher contre l’avortement ; vous ne devez pas organiser un commando contre les lieux hospitaliers où il est pratiqué). La comparaison de la loi scolaire de 1882 et de la loi de 1975 libéralisant l’avortement permet de comparer un Etat producteur de normes (1882) et un Etat d’abord régulateur des changement qui se situent avant tout dans la société civile (p 114-120 du livre).

3) Le lien entre laïcité et identité nationale est moins familier, pourtant j’estime qu’il est aussi fondamental. Le conflit des 2 France au XIX siècle a mis aux prises deux minorités actives : les partisans de la France « fille aînée de l’Eglise » catholique et les partisans de la France modelée par les « valeurs de 1789 ». Seconde dérogation à mon plan, au lieu de retracer ce conflit des 2 France, dont je parle déjà largement dans mon « Que sais-je ? », j’ai effectué un second zoom en me focalisant sur l’ouvrage « Le tour de la France par deux enfants » qui a réussi le tour de force d’être l’ouvrage de chevet des écoliers des « deux France » ; En effet, en mettant l’accent sur l’existence de dépassement du conflit des deux France, je donne un facteur explicatif du fait que la loi de 1905, enracinée dans ce conflit (et instaurant la victoire du camp laïque : désormais, la France n’a pas de dimension religieuse dans son identité nationale) crée en même temps les conditions de son dépassement (en étant libérale et en ayant une conception inclusive de la laïcité). La notion de « religion civile », issue de Rousseau et revisitée par les sociologues, pointe les tentatives récurrentes du politique d’imposer un fondement transcendant du lien social, des valeurs qui échappent au débat, qu’il s’agissent d’une évocation politique de Dieu (Bush) où de valeurs sacralisées (« les valeurs de la République » en France).

4) Finalement la laïcité concerne chaque individu qui n’est pas appréhendé comme englobé par son appartenance religieuse (ou une autre appartenance collective). Théoriquement réalisée depuis la Révolution, cette représentation de l’individu se heurte en fait à d’autres qui perdurent (fin XIXe-début XXe : le « juif », le « protestant », le « maçon », d’un côté ; le « congréganiste », le «jésuite » de l’autre. La notion en interaction ici et le découpage en sphère privée et sphère publique. Les institutions comme l’école dans un premier temps favorisent l’autonomie de l’individu et l’augmentation de la sphère privée, qui devient le lieu de la liberté de choix (et c’est dans ce mouvement de dynamisme et d’espace de liberté de la sphère privée qu’il y a en 1905, privatisation des institutions religieuses). Mais ces dernières décennies il y a une perte de confiance dans ces institutions. Reprenant les pages 112 et suivantes du livre, 3 pertes de confiance ont été notées à partir de l’exemple de la médecine (mais pour l’école, c’est analogue).
- perte de confiance dans l’objectif poursuivi par l’institution : la prolongation de l’espérance de vie n’est plus un bien forcément désirable, on s’inquiète de la QUALITE de la fin de vie et on accuse parfois la médecine de prolonger des vie qui ne disposent plus de cette qualité de vie (« je ne veux pas finir ma vie comme une légume, avec de très lourds handicaps, voire des tuyaux partout »)
- perte de confiance dans l’institution comme seul moyen de parvenir à l’objectif souhaité (santé, guérison) : recours aux médecines dites parallèles, à des moyens de guérison démédicalisés, grève du zèle par surconsommation médicale,…)
- perte de confiance dans l’agent institutionnel : les médecins sont des êtres humains comme les autres : ni leur compétences, ni leur conscience professionnelle et morale n’est absolue (affaire du sang contaminée, notamment).
D’où la revendication de choix de l’individu y compris face aux institutions séculières et comme la religion peut faire partie de l’identité individuelle, progression de nouvelles revendications qui peuvent être d’ordre religieux. La laïcité n’a pas impliqué que la religion soit réduite à la sphère privée mais qu’elle devienne facultative, libre (non institutionnalisée) dans la sphère publique..

Voila. J’espère avoir été clair.
Ah non, j'oubliais: à côté de la "laïcité empirique", concrète mélangée à d'autres choses (qu'évaluent les notion de régalisme, religion civile, etc), il y a la réfrérence à une laïcité idéale (cf p 249) qui fait aussi partie de cette laïcité concrète, en tant qu'idéal justement et c'est le triangle non domination de la religion, liberté de conscience, de religion, de conviction, égalité des religions et des convictions (cf p 248).


Comme promis, voici une dernière note, dans la perspective du 2 juillet. ATTENTION, cette Note n'est pas destinée à rester pour le moment dans le Blog. C'est une version provisoire (à ne pas publier) qui disparaitra donc dans quelques jours.

LAÏCITE ET MUTATION DU PUBLIC ET DU PRIVE.
(à partir de l’exemple français)

Jean Baubérot (Groupe de Sociologie des Religions et de la Laïcité, CNRS-EPHE)



Sur la terrasse d’un café un homme d’environ soixante ans et une femme qui semble avoir la moitié de son âge devisent agréablement, rient, passent un bon moment ensemble. S’agit-il d’un père et de sa fille, d’un professeur et de son étudiante, d’un mari et de sa femme, d’un homme marié et d’une femme qui n’est pas la sienne… ? Non seulement le serveur et les autres clients du café l’ignorent, mais il ne leur vient pas à l’idée de se poser la question ; personne, d’ailleurs, ne prête vraiment attention à eux.
Dans un village de mon Limousin natal d’il y a un ou deux siècles, pareille situation est impensable : soit on sait très bien quelle relation ont les deux partenaires, soit on veut absolument le savoir et, dans tous les cas, il existe un jugement social de la situation. S’il s’agit d’un homme mur et de sa future jeune femme, organiser un charivari s’impose car l’ordre social est troublé.
Le charivari est ambivalent : il stigmatise ceux qui ont transgressé des règles implicites, en même temps il indique que la situation sera tolérée, et de fait j’ai rencontré plusieurs cas de ce type. Mais je n’ai pas pris l’exemple d’une femme de soixante ans et d’un homme de trente ans car, un tel cas ne s’est jamais produit alors dans les villages du Limousin que j’ai étudiés. Et si cela n’est pas arrivé, c’est sans doute parce ce type de relations ne pouvait être socialement admis. Le renversement des règles aurait été trop global. Mais, en m’en tenant à l’aujourd’hui, j’aurais pu, à la limite, inverser les âges de mes deux personnages.

Quelle est la raison de cette petite anecdote ? Simplement d’attirer l’attention sur le fait que si, comme l’ont souligné les problématiques sociologiques de la sécularisation, il s’est produit un processus de privatisation de la religion, ce processus se trouve en étroite interaction avec un autre processus où l’on passe d’une dominante de lieux clos (villages, quartiers de bourgs et de villes,…) où le domaine privé a peu d’espace, la vie quotidienne se déroule sous le regard surveillant d’autrui et en référence à des normes de vie bien précises, à une dominante de lieux ouverts où l’anonymat de chacun les affranchit de ce regard surveillant et où la diversité des conduites est admise.
Autrement dit si la sécularisation, comme l’affirme Bryan Wilson (1982, 153), « se produit en association avec le processus par lequel l’organisation sociale elle-même passe d’un système à base communautaire à un système à base sociétale », ce dernier système est celui où la sphère privée s’élargit et où les actes qui s’y rapportent peuvent se déployer de façon « libre » dans l’espace public. Cette liberté, naturellement, ayant elle-même ses contraintes.

Cette remarque me semble importante. A lire les principaux sociologues de la sécularisation, on se convainc facilement que ce serait leur faire un mauvais procès (même si certains se le font rétrospectivement à eux-mêmes) que d’affirmer que leurs propos impliquaient la croyance dans le déclin de la religion. Par contre, on peut se demander si, chez certains en tout cas, la privatisation n’engendrait pas une place plus restreinte de la religion dans le système culturel et social. En prenant le terme de « religion » dans un sens qui ne la réduit pas à sa dimension institutionnelle mais l’envisage en tant que système structure symbolique, je voudrais défendre l’idée qu’il s’agit essentiellement d’un déplacement. Et ce déplacement s’effectue aujourd’hui dans de nouvelles conditions structurelles.

Je vais développer mon propos à partir de l’exemple français. La France ne me paraît pas constituer un mauvais analyseur d’une situation occidentale plus générale. Rappelons que David Martin, dans sa typification de différents modèles de sécularisation, parle d’un « modèle français », « latin » (1978, 7), modèle monopolistique typique de nations à majorité catholique, distinct de modèles duopoles, de modèles pluralistes protestants. Martin constate, dans ce modèle franco-latin, une opposition profonde entre catholicisme et sécularisation et un conflit ouvertement politico-religieux.
De fait, ce que l’on appelle la « laïcité française » peut être perçue comme une volonté explicite de privatisation de la religion (même si elle n’est pas que cela). Par contre, dans le modèle du pluralisme protestant, par exemple, on ne rencontre guère cette opposition car « l’universalisation de la dissidence permet à la religion de revêtir autant d’images qu’il existe de figures sociales » (1978, 30). Mais, pour autant, il n’existe pas d’ hétérogénéité complète entre modèles et on peut émettre l’hypothèse que la sécularisation comportant, dans tous les cas de figure, des enjeux sociaux conflictuels, les cas de conflit frontal accentuent des traits que l’on peut retrouver ailleurs.

En France donc, la privatisation de la religion est un enjeu politique explicite. Le principe en a été énoncé par la Révolution, notamment par l’article 10 de la Déclaration de droits de 1789 qui proclame la liberté des « opinions même religieuses », envisageant la religion à partir du registre de l’opinion personnelle et privée. Et pourtant les différentes politiques religieuses révolutionnaires ne tendent pas vers l’objectif de la privatisation : d’abord une nationalisation du catholicisme est effectuée (Constitution Civile du clergé en 1790) ; ensuite une éradication des religions au profits de l’effervescence des cultes révolutionnaires qui avaient tant impressionné Durkheim (1912), puis une religion civile rousseauiste, (Robespierre et le culte de l’Etre Suprême), enfin la proclamation de la séparation de la religion et de l’Etat (1795), rapidement mise en échec par la reprise de la répression politico-religieuse.

La privatisation est-elle alors impulsée par Napoléon Bonaparte ? En partie. Il laïcise en partie la sphère publique en établissant un système juridico-politique autonome à l’égard du religieux (le Code civil élabore une juridiction sans aucune normes religieuses ; la citoyenneté, les droits politiques sont complètement déconnectés de l’appartenance religieuse, ce qui contraste avec le Royaume Uni d’alors) et il officialise une pluralisation religieuse par un système de « cultes reconnus » formellement égaux, malgré la disparité numérique entre religions. En fait, produit par le politique, le pluralisme religieux sert à légitimer l’affranchissement d’une sphère publique et politique à l’égard de la « vérité » catholique, encore en situation de monopole religieux en 1789. Mais, parallèlement, la religion, considérée comme un « service public » subordonné à l’Etat, reçoit de lui une mission de socialisation morale.
La religion garde donc un rôle institutionnel. Si la loi est laïque, la morale sociale doit rester fondée sur la religion. Et celle-ci garde un certain rôle de suppléance dans des activités considérées comme liées aux idéaux de cette morale sociale (éducation, philanthropie, …).

La religion est ainsi mise dans un statut ambigu de semi privatisation. L’aborder dans une perspective de genre (gender) permet de le percevoir. Dans un premier temps, il est pertinent d’indiquer qu’il existe une séparation sexuée des sphères : à l’homme la sphère publique et politique (il sera électeur dès 1848), à la femme le rôle d’éducatrice religieuse et morale dans la sphère privée et domestique (F. Rochefort, 2005). Mais il faut ajouter, dans un second temps, que les congrégations religieuses féminines, qui se développent tout au long du XIXe siècle, permettent à des femmes de jouer un rôle, d’avoir des ‘responsabilités’ dans la sphère publique (Cl. Langlois, 1984). Par contre, la laïcisation de cette sphère publique (notamment l’existence du mariage civil) favorise la prise de distance, dans la sphère privée, d’individus des deux sexes par rapport aux normes de l’Eglise catholique (extension, dès le début du XIXe siècle, de la pratique -condamnée- de « l’amour à semence perdue » entraînant une natalité assez faible). D’une manière générale, on constate une stratégie familiale mêlant prise de distance et maintien d’une proximité à l’égard de la religion (J. Baubérot, 2003). Une stratégie d’ autonomisation des acteurs interfère donc avec la privatisation de la religion, ceux-ci jouent tantôt sur le maintien de la religion dans la sphère publique, tantôt sur sa (relative) privatisation.

Cette interférence se constate aussi au tournant du XIXe et du XXe siècle, quand la privatisation devient plus systématique : la substitution d’une morale laïque à la morale religieuse dans l’enseignement de l’école publique, la séparation des Eglises et de l’Etat réalisée en 1905, enlevant à la religion sa mission de « service publique » et son rôle institutionnel, parachève cette privatisation politique qui semble le résultat d’un volontarisme plus que de la dynamique sociale. Mais, elle se trouve régulièrement légitimée par le suffrage dit « universel » (en fait masculin), peut-être parce que cette privatisation intervient au moment où l’extension de la sphère privée devient un gain pour les acteurs.

Le tournant du XIXe et du XXe siècle marque la fin de la société villageoise et de quartiers, que l’historien Eugen Weber appelle « la France des terroirs » (1978). L’extension des chemins de fer, le développement d’une presse de masse, la libéralisation de la législation en matière d’imprimés, les résultats de l’obligation scolaire constituent des mutations sociales qui favorisent cette extension. Les derniers restes d’imposition de la religion sont supprimés, la religion devient considérée comme étant avant tout un choix privé au moment même où, par exemple, l’imposition du même métier de père en fils diminue fortement, où émerge la possibilité d’un choix privé du métier. De même, une étude des rédactions scolaires (J. Baubérot, 1997) montre que les écoliers considèrent le fait d’apprendre à lire et à écrire comme une conquête d’autonomie d’une sphère privée : on peut, par des lettres, s’échanger des « secrets » sans que les voisins n’en sachent rien. On peut également lire des ouvrages quelque peu licencieux ou subversifs.

Quand Benjamin Constant estime que la poursuite du bonheur s’effectue dans la sphère privée, il pense à la bourgeoisie de son époque. Près d’un siècle plus tard, son propos peut s’appliquer à des couches moyennes voire populaires. Il se produit une démocratisation de la distinction entre sphère publique et sphère privée et un déplacement de la régulation du pouvoir (ce qui ne signifie nullement un relâchement !) d’une surveillance à priori vers un contrôle a posteriori. La privatisation de la religion (encore relative au niveau de la pression sociale), diminue l’emprise de la religion sur l’individu, mais elle donne un nouveau rôle à la religion : constituer une dimension de l’autonomie individuelle au moment même où cette autonomie apparaît conquérir de nouveaux espaces.

La situation française cumule différents éléments. Des processus de modernisation, de rationalisation existent, comme dans d’autres pays (mais peut-être de façon moindre qu’en Angleterre, par exemple). Par contre l’élément politique, ce que l’on a appelé le « conflit des deux France », constitue un facteur essentiel de privatisation que l’on ne trouve pas forcément ailleurs de façon aussi forte. Et les acteurs jouent d’autant plus sur cette privatisation que l’impulsion politique du pluralisme n’a pas eu les résultats escomptés : ailleurs la pluralisation (ou une combinaison entre pluralisation et privatisation) peut jouer un rôle analogue favorable à l’autonomisation des acteurs. L’important est de constater que ces derniers modifient la situation à leur profit. En effet, le « conflit des deux France » réduisait, en apparence, le jeu des acteurs à l’alternative suivante : soit intérioriser le système d’emprise religieux catholique (proposition « cléricale »), soit sortir (« s’émanciper ») de la religion (proposition « anticléricale »). Certains acteurs ont adopté l’un ou l’autre de ces deux solutions, mais d’autres acteurs ont trouvé une troisième voie : celle de l’individualisation de la religion, individualisation que l’on retrouve dans d’autres contextes avec d’autres formes.
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Il faut, d’autre part, envisager ce processus de privatisation de la religion dans le cadre plus vaste de l’ensemble du champ institutionnel de socialisation. Avant 1789, il existe, en France, à la fois un devoir de l’Etat (combattre l’ « hérésie ») et des obligations religieuses. Au XIXe siècle, un devoir d’Etat subsiste partiellement (assurer un « service public » de la religion), les obligations religieuses stricto sensu ont été remplacées par une certaine emprise morale.
Après 1905, l’Etat n’a plus que le devoir d’assurer une libre concurrence entre différents opérateurs religieux privés (Article I de la loi de séparation : « La République assure la liberté de conscience et garantit le livre exercice des cultes »). La forme juridique de la religion est privatisée, mais l’Etat garantie l’exercice public de cultes devenus services privés. Principale institution de socialisation sous l’Ancien Régime, la religion se trouve, au XXe siècle, socialement désinstitutionnalisée.

Pendant la même période, un mouvement inverse s’est produit en ce qui concerne l’école et la médecine, institutions donnant des normes de conduite explicites et implicites et gérant, elles aussi du symbolique: ni devoir d’Etat ni obligation individuelle en 1789. L’Etat (et la puissance publique) s’est créé progressivement des devoirs envers l’école ( assurer un dispositif scolaire dont la fréquentation restait facultative), puis l’obligation scolaire est instaurée en 1882 (avec emprise d’une morale laïque).
De même l’Etat se crée, au cours du XIXe siècle, des devoirs envers la médecine (devoir juridique de punir « l’exercice illégal » de la médecine en 1803, avant même le décollage scientifique et technique médical ; devoirs financiers à partir de 1893) sans imposer d’obligations médicale. En 1902, par contre, une loi sur la vaccination antivariolique impose la première obligation médicale légale, aboutissement, nous dit Claude Nicolet (1982, 310s.) de « l’obligation morale » du recours à la médecine, imposition politique du régime républicain qui, rompant avec la socialisation morale fondée sur la religion promeut une socialisation morale fondée sur la science.

Le chassé-croisé institutionnel entre religion et institutions séculières de socialisation est donc particulièrement net en France. La progressive mise en application du projet des Lumière développe un « programme institutionnel » où « le sens vient (toujours) d’en haut » de par des « combinaisons stables et cohérentes d’orientations normatives » (F. Dubet, 2002, 24, 49). Le développement de nouvelles hétéronomies institutionnelles va de pair avec une certaine localisation spatio-temporelle de la domination : l’école s’arrète à l’age « adulte » et la domination médicale, plus prégnante que ne le pensent généralement les acteurs, doit composer avec l’impossibilité d’une surveillance régulière de la vie privée.
Par ailleurs, l’hétéronomie institutionnelle est censée permettre empiriquement un développement de l’autonomie de l’individu grâce à plus d’instruction et une meilleure santé. Avec l’exemple des rédactions d’écoliers, nous avons vu que cette synergie était, pour une part, intériorisée. Il en est de même pour la médecine : au XXe siècle l’Etat donne des incitations financières qui rendent presque obligatoires les visites prénatales. Peu à peu les consignes des médecins, des « hommes de l’art » remplacent les conseils de grands-mères (le passage du privé au public s’accompagne significativement d’un transfert de pouvoir d’un genre à l’autre), au milieu du XXe siècle, l’accouchement à domicile disparaît, « la naissance a cessé d’être un événement familial appartenant à la vie privée, pour devenir un acte essentiellement médical et chirurgical » (Y. Knibiehler-C. Fouquet, 1983, 249). La mortalité infantile baisse de façon significative. Le séjour à l’hôpital donne à la jeune mère un sentiment de sécurité et lui permet un peu de repos. Le développement de l’hétéronomie, qui arrache au privé certains actes de la vie, semble bien favoriser le développement de l’autonomie de l’individu.

On peut alors masquer l’hétéronomie institutionnelle et insister unilatéralement sur l’autonomie. Cela suppose la plausibilité de la croyance en la conjonction des progrès : le progrès technique et scientifique engendre du progrès social, du progrès individuel, voire du progrès moral qui rend (nous dit la morale laïque) « la société plus douce ». « Ouvrez une école, vous fermez une prison » affirmait Victor Hugo et le « docteur Pascal » d’Emile Zola affirme : « Je crois que l’avenir de l’humanité est dans le progrès de la raison par la science. Je crois que la poursuite de la vérité est l’idéal divin que l’homme doit se proposer. (…) Je crois que la somme de ces vérités, augmentées toujours, finira par donner à l’homme un pouvoir incalculable ». La scientisation, corollaire de la rationalisation sécularisatrice (O. Tschannen, 1992, 67), implique que l’individu estime pouvoir en tirer bénéfice, dans un système ou constat empirique et « espérance » se trouvent étroitement liés (on parle d’ailleurs, significativement, de l’augmentation de « l’espérance de vie » comme conséquence du progrès médical).

Dans la phase ascendante puis hégémonique de la modernité, les institutions séculières possèdent de fortes capacités symboliques à donner normes, sens et espérances. Il s’en suit, notamment, une prédominance de l’institution médicale sur l’institution religieuse dans le rapport à la santé (les guérisons miraculeuses de Lourdes, pour être considérées comme authentiques doivent être médicalement validées), et même dans le rapport à la mort : la transformation, en 1972, du sacrement catholique de l’ « extrême-onction » en « onction des malades » apparaît révélatrice de cette mutation. Avant, il s’agissait de pouvoir remettre, in extremis, ses péchés au malade pour lui éviter la damnation éternelle de l’enfer. Désormais, le sens du sacrement est tourné vers la guérison toujours possible (grâce à la médecine !) même si le malade est gravement atteint. La préparation à la « bonne mort » cède le pas à l’aide « toute psychologique » aux soins curatifs (F.-A. Isambert, 1992, 270).

Or cette acculturation de l’après Vatican II se produit peu après la contestation de Mai 1968 contre les institutions désormais perçues comme trop sures d’elles-mêmes, représentant une entrave à l’autonomie de l’être humain. Le déclin de cette structure de plausibilité des institutions séculières de socialisation constitue un indicateur de l’émergence la modernité tardive.
Cette nouvelle donne se manifeste, en France, dès le début des années 1970, avec le problème de la libéralisation de l’avortement. Le processus de laïcisation-sécularisation s’accentue dans le domaine des mœurs. Mais une mutation profonde s’est produite. Nous ne retrouvons plus le conflit des « deux France » avec, d’un côté, l’Etat laïcisateur et les forces sociales qui le soutiennent, de l’autre les partisans d’une France imprégnée de valeurs catholiques. Si la position officielle de l’Eglise catholique est contre cette libéralisation, l’autonomie conquise par des catholiques leur permet une militance favorable à une loi libérale. Elle s’exprime dans des associations comme le Centre catholique des médecins français. Leur position est relayée par les medias, au même titre que celle de leur hiérarchie, montrant une pluralisation interne et la vitalité d’une expression religieuse de type associatif dans l’espace public. Un médecin catholique, le professeur Paul Milliez, peut s’affirmer personnellement opposé à l’avortement et pourtant favorable à sa possibilité juridique, attitude type d’une sécularisation interne où les normes religieuses sont devenues exclusivement des choix privés.
Le mouvement des femmes, en première ligne du combat, se divise entre « réformistes » et « révolutionnaires », les secondes reprochant aux premières leur alliance avec le professeur Milliez. Mais ce dernier n’est pas récusé comme catholique mais comme homme et comme médecin : pour les « révolutionnaires », la maîtrise par les femmes de leur propre corps suppose la lutte contre la domination masculine et la domination médicale. Or hommes et médecins constituaient autant de forces vives de l’Etat laïcisateur du tournant du XIXe et du XXe siècle, alors que les femmes étaient considérées comme des soutiens de l’influence catholique.

La loi libéralisant l’avortement est votée au début de 1975 ; significativement elle donne la décision finale à la femme et non au médecin mais, par ailleurs, reconnaît à ce dernier le droit de faire objection de conscience et de ne pas pratiquer d’avortement. La question, très nouvelle alors, du respect de droits fondamentaux à l’intérieur même de l’institution se trouve ainsi posée. Certes, elle est d’abord posée au profit des agents institutionnels mais cela montre que ces agents demeurent, au sein même de leur pratique institutionnelle, des personnes privées pouvant effectuer des choix privés.
Par ailleurs, remettre la décision finale à la femme donne le dernier mot à l’individu et fait de l’institution un instrument au service de cet individu. Or, nous l’avons vu, la stratégie laïcisatrice du régime républicain a fait qu’en France, plus que dans certains autres pays, les institutions séculières comme l’école et la médecine ont joué un rôle particulièrement important de socialisation morale. Et ce travail de socialisation implique que ces institutions disposent d’un certain pouvoir, historiquement construit par des obligations légales mais possèdent également une autorité qui signifie que leur obéir est un devoir qui fait sens.

« La confiance est une notion fondamentale des institutions de la modernité » écrit Antony Giddens (1994, 34) et cela s’avère particulièrement nécessaire pour les institutions de socialisation. Cette confiance implique trois croyances : d’abord, il faut croire en la validité, en l’aspect « désirable » de l’objectif poursuivi ; ensuite il faut croire que l’institution constitue une voie unique (ou quasi unique) pour atteindre cet objectif ; enfin, il faut croire que les agents institutionnels sont techniquement et humainement sans faille : anthropologiquement, par exemple, la vision moderne du médecin ressemble à la vision traditionnelle du chaman, « un homme qui n’est pas un homme tout en étant un homme » (J.-P. Valabréga, 1962, 146).

Ces trois croyances s’effondrent dans le dernier quart du vingtième siècle :

- déstabilisation de la croyance en l’objectif institutionnel : l’instruction est moins désirable quand il y a pléthore de diplômés à bac + 5 qui cherchent du travail alors que des animateurs de télévision qui parlent un français incorrect apparaissent fort riches ; le « combat pour la vie » devient ambivalent quand on est techniquement capable soit de « faire vivre » des grands prématurés de 400-500 grammes porteurs de très lourds handicaps, soit de prolonger une existence, considérée comme « végétative » et dénuée de sens : la revendication, face à la médecine, du « droit de mourir dans la dignité », repose publiquement le problème : quelle est la « signification ultime » du fait d’être un être humain ?.

- déstabilisation de la croyance au monopole de l’institution pour atteindre l’objectif visé: dans la mesure où l’instruction et la santé restent désirables, se développe un double marché concurrentiel. Significativement, on peut l’appréhender avec un type d’analyse analogue à celui que Peter Berger effectuait en 1967 pour la religion : développement de la concurrence interne (par exemple : les médias vont publier des listes des établissements scolaires et des hôpitaux les plus performants) ; développement de la concurrence externe (montée en puissance d’entreprises privées de soutien scolaire ou de médecines dites « alternatives »).


- déstabilisation, enfin, de la croyance en des agents institutionnels sans faille : développement d’un droit de regard des « parents d’élèves », banalisation des procès intentés aux médecins après l’affaire du « sang contaminé » et idée que, face aux dilemmes médicaux, les choix à effectuer relèvent du « projet de vie » (F.-A. Isambert, 1992, 328), échappent à la compétence médicale.

A tous les niveaux, les institutions séculières sont devenues incertaines et le pouvoir, mais aussi et surtout le poids, de la décision se déplace de l’institution à l’individu. Or, en même temps, la réalisation personnelle tend à être socialement présentée comme une performance obligatoire. Etre soi, n’est plus seulement une conquête (difficile mais souvent exaltante) d’autonomie individuelle, comme au temps de la modernité ascendante ou hégémonique, cela est également devenu un devoir social : « l’individu est placé institutionnellement dans la nécessité d’agir à tout prix en s’appuyant sur ses ressorts internes » (A. Ehrenberg, 1998, 234).

Si on adopte la perspective de James Beckford (1996) pour qui la religion n’est plus « une institution sociale », mais est devenue « une ressource culturelle », on perçoit que l’individualisation de la religion favorise son utilisation dans des entreprises très diverses de façonnement du sens.
Autrement dit, au moment ou Thomas Luckmann (1967) proposait une conception de la religion qui privilégiait la « privatisation » et la « subjectivisation » du religieux, la situation socio-symbolique d’alors incitait à insister sur le fait que la construction de « significations ultimes » était, désormais, dépendantes des choix de l’individu. Maintenant, les mutations de la modernité tardive, le développement des incertitudes séculières et le transfert social de responsabilités tout azimut vers l’individu, conduisent à insister sur le fait que les religions -des religions historiques aux nouvelles religiosités- permettent à des individus de disposer de « significations ultimes », de significations permettant de se projeter au-delà d’eux-mêmes, de remédier à l’éclatement du sens.
Il ne s’agit d’ailleurs pas d’une nouveauté absolue. Luckmann insiste sur le fait que la fragmentation institutionnelle induit une nouvelle relation entre l’individu et le social. L’individu doit quotidiennement naviguer entre différentes sphères institutionnelles et s’impliquer dans « une série de jeux de rôles sociaux anonymes et spécialisés » (1967, 95) où « l’identité personnelle devient, pour l’essentiel, un phénomène privé » (idem, 97).
Quarante ans plus tard, l’adjonction d’une incertitude généralisée (dont témoignent, entre autre, les débats sur le « principe de précaution »), la difficulté de se projeter vers l’avenir, la perte d’emprise de l’idée que ce sont les conduites sociales qui changent (de façon positive) les conditions de la vie,… radicalisent les enjeux et induisent le déplacement d’attention de l’individualisation vers la possibilité, pour les divers acteurs, de disposer d’éléments de « signification ultime » ou pouvant être considérés comme tels.

Ce nouveau contexte est profondément ambivalent car l’individu ne se meut pas dans un vide social. Il se produit un transfert d’une domination institutionnelle à une domination de type mimétique. Ce sont les moyens de communication de masse -presse, radio, télévision, cassette vidéo, DVD, Internet,…- qui assurent, de façon dominante, la socialisation, y compris la socialisation morale (J.-J. Wunenburger, 2000).
Un seul exemple : quand 45 des plus grands footballeurs du monde enregistrent le clip LoveUnited (composé par une vedette du « show biz », Pascal Obisco) au profit de l’association Ensemble contre le Sida, ils se comportent, avec succès, en nouveaux maîtres de morale. Cette morale, qui ne se présente naturellement pas comme telle, n’est pas produite par des institutions religieuse ou séculières, elle est liée à une extension du marché, au message publicitaire comme injonction sociale dominante, aux nécessités d’une consommation de masse.

Grace Davie (2004, 80) insiste sur le passage, dans le champ religieux des sociétés modernes « de l’obligation à la consommation ». C’est l’ensemble du des significations symboliques qui sont, désormais, dépendantes d’une consommation standardisée. D’une toute autre manière, on retrouve en partie l’aspect global de la domination dans la société traditionnelle (la dénonciation récurrente du « politiquement correct » en est d’ailleurs un indice détourné). D’abord, parce que les instruments de la communication de masse, qui véhiculent cette domination, sont présents dans l’espace privé.
Ensuite, parce que le marché et ses règles s’est étendu à des domaine de la sphère privée qui y échappait largement jusqu’alors comme la sexualité avec l’émergence de ce que Patrick Baudry (1997) appelle le « sexe industriel » qui ne se réduit pas au marché pornographique mais concerne tout ce qui relève de l’adage : « le sexe fait vendre » (un philosophe comme Steiner (1999, 106), se fait l’écho de cette extension marchande en dénonçant radicalement la transformations des « rêves en produits manufacturés »).
Enfin, parce qu’il se produit une euphémisation de la distinction public-privé au niveau même de la régulation sociale ordinaire, qu’il s’agisse de formes nouvelles de surveillance, corollaire de nouvelles perceptions sociales du risque et de la recherche du « risque zéro » (U. Beck, 2001) ou de nouvelles représentations des droits fondamentaux qui rendent l’opinion publique plus sensible (notamment avec la médiatisation de l’information) à leur non-respect dans la sphère privée : le droit intervenait peu, il y a encore quelques décennies, dans les violences conjugales et/ou parentales, les affaires d’incestes, de pédophilie,…Il existait ce que Jean-François Lae (2001) nomme, de façon suggestive, une « intimité-impunité » qui n’a disparu que ces dernières décennies.

Des mutations identitaires sont liées à ces processus. Longtemps, de façon dominante, l’identité était octroyée par des codes de comportements communément reconnus et transmis par tradition. « Le sentiment de l’identité individuelle s’accentue et se diffuse lentement tout au long du XIXe siècle » (A. Corbin, 1987, 419) c'est-à-dire lors de la modernité ascendante. La modernité hégémonique permet une participation personnelle à la construction de l’identité mais, la mobilité s’effectue encore sur des chemins bien balisés. Avec l’aide et sous le contrôle de l’Etat, les institutions maintiennent quelque chose qui ressemble encore à un « destin » (filière scolaire différente pour la bourgeoisie et le peuple, façonnement d’une identité biologique féminine par la médecine,…).
L’Etat, aujourd’hui, est devenu principalement gestionnaire, l’unification scolaire en école démocratique de masse a engendré une crise récurrente de cette institution (J. Baubérot, 2004), la médecine n’a plus de vision unifiée, alors il est demandé à l’individu de construire lui-même son identité, de trouver l’unité et la singularité de son « soi », au-delà des conduites pragmatiques multiples qui lui sont imposées dans mille situations éclatées et plus ou moins contraintes. Il lui faut maintenant, idéalement, construire sa route au moment même où il se déplace dans un paysage où les acquis sont remis en cause, les certitudes brisées. Non pas que la socialisation n’existe plus mais elle devient dépendante de l’identité alors qu’auparavant l’identité était reliée à la socialisation.

Différentes stratégies sont mises en place par les acteurs. L’identité par le look est sans doute le mode identitaire le plus prégnant, et pas seulement pour les jeunes. On aurait tort de le considérer comme superficiel, n’affectant pas l’individu dans son ensemble. Il apparaît ainsi cependant et ce n’est pas sa moindre séduction. Ses atouts : sa versatilité, sa réversibilité. L’individu n’est socialisé que pour une durée réduite. Mais cette brièveté temporelle peut apparaître insuffisante et la recherche d’une identité communautaire s’effectue de multiples manières, où la difficulté de se projeter dans un avenir sociétal induit la mobilisation de ressources diachroniques, notamment de ressources de type religieux permettant de croire à l’existence d’un ordre symbolique échappant à l’historicité et à sa relativisation. L’individu « éprouve (là) la sensation de se ‘découvrir’(…) Comme si l’identité était non à construire mais à trouver, telle une essence secrète, un objet vital qui aurait été perdu » (J.-Cl. Kaufman, 2004, 83).

Une telle démarche se marque parfois surtout par ses effets réactifs. Il y a peu de temps, il était fait souvent mention en France du fait que la France et la Turquie sont deux nations dont la laïcité est une caractéristique constitutionnelle. Aujourd’hui, le refus de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne progresse, la Turquie devient très majoritairement considérée comme un pays « musulman », ce qui signifie implicitement que l’on considère l’identité de l’Europe comme fondamentalement chrétienne.
Mais il est de nombreux cas où des processus identitaires induisent des revendications dans des institutions comme l’école ou la médecine puisque le rapport de l’individu à ces institutions s’est profondément modifié. On n’accepte beaucoup moins qu’à d’autres étapes de la modernité que ces institutions désubjectivisent l’individu puisqu’il s’est produit une perte de confiance et un déplacement de la responsabilité. Or, nous l’avons signalé, école et médecine, dans le cadre du conflit politico-religieux des « deux France » qui a structuré la sécularisation de la société française, ont joué un rôle essentiel, non seulement de socialisation morale mais de légitimation symbolique, quasi sacrale du régime républicain, de ce que l’on appelle « la laïcité républicaine ».

La France possède actuellement la communauté musulmane la plus importante de l’Union européenne (on l’évalue à cinq millions de personnes, 8% de la population globale). La question des rapports entre islam et laïcité apparaît centrale, voir parfois obsessionnelle et, selon le rapport de la « Commission Stasi » (nommée en 2003 par le Président de la République pour « mener une réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République ») (2004), l’école et l’hôpital seraient particulièrement ‘menacés’. Si on reconnaît une certaine validité à notre argumentation, on comprend facilement pourquoi ces institutions séculières de socialisations sont réinvesties de nouvelles demandes « religieuses ». Et ce sont les revendications identitaires dites « musulmanes » qui apparaissent comme les plus manifestes, peuvent être perçues comme « agressives ». La mise en avant de l’islam (d’un certain islam), cumule, en effet, nombre de facteurs de différenciation à l’égard des structures dominantes de la société française : hétérogénéité culturelle, passé conflictuel de colonisation et de décolonisation, handicaps sociaux, économiques, ethniques,...

Le rapport de la Commission Stasi (2004, 91ss.) est significatif des peurs ressenties. Il vaut la peine d’en citer des extraits.
Sur l’école, il est indiqué ceci : « le cours normal de la scolarité est altéré par des demandes d’absences systématiques un jour de la semaine, ou d’interruption de cours et d’examens pour un motif de prière ou de jeûne. Des comportements contestant l’enseignement de pans entiers du programme d’histoire, ou de sciences et vie de la terre, désorganisent l’apprentissage de ces disciplines (…) Des épreuves d’examen sont troublées par le refus d’élèves de sexe féminin de se soumettre aux contrôles d’identité ou d’être entendues par un examinateur masculin »
Pour l’hôpital, le rapport indique « se sont multipliés les refus, par des maris ou des pères, pour des motifs religieux, de voir leurs épouses ou leurs filles soignées ou accouchées par des médecins de sexe masculin. (…) Plus généralement, certains préoccupations religieuses peuvent perturber le fonctionnement de l’hôpital : des couloir sont transformés en lieux privatifs de prières ; des cantines parallèles aux cantines hospitalières sont organisées pour servir une nourriture traditionnelle au mépris des règles sanitaires. ». Aucune estimation quantitative n’est faite, mais l’important pour nous est que le rapport exprime l’impression que la « neutralité (religieuse) qui structure le service public » est « gravement » menacée (idem, 95).
C’est dans un tel contexte qu’il faut analyser la loi française du 15 mars 2004 interdisant le port de « signes religieux ostensible » (et notamment du foulard) à l’école publique. Cette loi manifeste la volonté politique de fixer un seuil (dont, naturellement, on peut discuter la pertinence) aux revendications identitaires à l’intérieur des institutions.

Cependant, ces revendications identitaires ne sont sans doute que le miroir grossissant de mutations sociales beaucoup plus générales où les revendications d’expression de l’identité religieuse dans la sphère publique correspond aux multiples intrusions d’éléments de cette sphère publique dans ce qui était considéré comme privé. L’euphémisation de la représentation sociale d’une séparation du public et du privé se trouve lié à la désutopisation d’une sécularisation devenue établie dans les sociétés moderne, et que la globalisation étend comme une onde de choc à l’ensemble de la planète :
Ainsi Sebastian Poulder (1998) rattache l’intensité des conflits concernant le statut de la femme et le droit de la famille (questions qui, dit-il, se situent à la frontière du public et du privé) dans les pays où l’islam est majoritaire au fait que, même dans ces pays, beaucoup d’aspects publics de la vie des individus -notamment ceux qui se trouvent liés aux échanges commerciaux ou à l’administration- se trouvent gérés aujourd’hui selon des normes occidentales alors qu’ils étaient auparavant du ressort de la loi islamique.
Et les travaux d’Olivier Roy (1995, 2002) sur les courants néo-fondamentalisme musulman montrent que ceux-ci sont souvent, à leur insu, des agents de sécularisation alors même qu’ils tentent de résister aux avancées mondiales d’un processus sécularisateur complexe et ambigu. C’est pourquoi la notion de sécularisation n’est sans doute pas devenue scientifiquement moins pertinente, par contre elle est sans doute devenue idéologiquement moins attractive.

24/06/2005

ETE LAÏQUE

D’abord, ce blog fête ses six mois d’existence ; Il a reçu à ce jour 9766 visites, se répartissant ainsi (sans données corrigées des variations saisonnières !) :
Décembre 2004 : 24
Janvier 2005 :1102
Février :1411
Mars :1162
Avril :1868
Mai :1943
1-24 Juin :2256
A bientôt le ou la 10000 ème : on lui érigera la statue du blogueur –ou de la blogueuse- inconnu(e), avec un Arc de Triomphe et je suis sur, une réussite aux concours si besoin.

Ensuite, Merci à celles et ceux (étudiants) qui ont annoncé leur venue pour la présentation de Laïcité 1905-2005, entre passion et raison : je rappelle que ces 2 séances sont réservés aux étudiants (étudiantes) qui préparent le concours de l’IEP (la salle n’est pas extrêmement grande).

A PARIS,
RENDEZ-VOUS AU 2EME ETAGE DE L’IRESCO (locaux du GSRL: groupe de Sociologie des Religions et de la Laïcité), 59, 61 RUE POUCHET, 75017 Paris.
LE 28 JUIN A 15 HEURES
Merci au 2 personnes (pour le moment, il s’agit uniquement de jeunes filles !) qui ont annoncé qu’elles préparaient des gâteaux. On s’en régale à l’avance. Ce serait sympa que tout le monde amène un petit quelque chose pour le Pot de l’amitié qui suivra la séance, et que la boisson (coca, cidre, jus de fruit, eau,…) ne soit pas oubliée. Pour ma part, j’arriverai d’une soutenance de thèse à la Sorbonne et je n’aurai malheureusement pas le temps de faire des courses. Donc le buffet sera constitué de ce que vous amènerez.

A AIX, CE SERA LE 30 JUIN A 14 HEURES, AU LIEU DIT « LA NATIVITE », 8 RUE JEAN ANDREANI.
Donc, ce sera là une séance plus classique et il n'est pas prévu de pot après (donc inutile, Aurélie, d'apporter gâteaux ou boissons. Merci quand même de l'intention, c'est sympa)

Plusieurs ont regretté, faute d’habiter près de Paris ou près d’Aix, de ne pas pouvoir venir et ont demandé qu’un compte rendu soit fait sur le Blog. Bien sûr, ce n’est pas pareil mais, autant que faire se peut, je tacherai de leur donner satisfaction le mercredi 29 juin. En attendant, si vraiment ils et elles sont accro(e)s, ils (elles) peuvent toujours compléter la lecture de Laïcité 1905-2005 par le « Que sais-je », Histoire de la laïcité en France, qui raconte les ‘choses’ de façon peut-être plus ‘classique’. Sans oublier différentes rubriques du Blog !

Enfin, à propos de ce « Que sais-je ? » justement, j’arrive aujourd’hui du Mexique parce que cet ouvrage a été traduit en espagnol par une institution universitaire : El Colegio Mexiquense, avec l’aide de l’Ambassade de France et de son Bureau du Livre (où travaillent des gens charmants). Si vous connaissez des amis ibero-latino-américains que cela peut intéresser, Leur adresse postale est: 48D, Toluca, México, MEXICO., leur adresse email est : ventas@cmq.edu.mx et leur site : http://www.cmq.edu.mx . A j'oubliais, en espagnol ce chef d'oeuvre s'appelle HISTORIA DE LA LAICIDAD FRANCESA.

Mes déplacements sont le plus souvent hors de France (car, contrairement à ce que certains croient, la laïcité n’est pas la propriété des Français), donc je suis désolé pour celles et ceux qui demandent si je vais venir prés de chez eux : en juillet, le seul déplacement « français » prévu est le 6 à Ferrières (c’est prés de Castres). Fin août, je serai à Amiens, en octobre à Caen, début novembre à Nîmes, fin novembre à Nice, en décembre à Poitiers, Lyon, Carcassonne et …Bruxelles, oui je sais, ce n’est pas en France mais en matière de laïcité, sachez que les français auraient beaucoup à apprendre de nos amis laïques belges, du CAL qui fait un sacré boulot au niveau de l’Europe, de l’ULB, etc.
Mais on reparlera de tout cela plus tard. On ne va pas tout dire d’un seul coup, non ?

Allez, amies blogueuses et amis blogueurs TRES BEL ETE; et pour ceux qui passent des concours : bonne chance ; je penserai à vous les jours FATIDIQUES. Après, racontez (dans la rubrique "Commentaire") comment cela c'est passé, et encore après indiquez si (comme je l'espère) vous avez été reçu(e)s.
Et pour toutes/tous, de 7 à 97 ans : Farniente

19:05 Publié dans EDITORIAL | Lien permanent | Commentaires (8)

15/06/2005

AUX ETUDIANTS

GUILLAUME, EMILIE, MYRIAM, MARTIN, MARION,…
JE VOUS GATE !

C’est décidé, il y aura une RENCONTRE autour de
Laïcité 1905-2005, entre passion et raison,
Pour les étudiants préparant le concours de l’IEP
Le MARDI 28 JUIN à 15 heures
Au 2ème étage de l’IRESCO
(59-61 rue Pouchet, 75017 PARIS
métro: Brochant ou Guy Moquet)
Vous pourrez poser vos questions
- sécularisation et laïcisation (cf. l'ex édito du 12 juin Noe: "Ami(e)s blogueurs et blogeuses" , après la Note sur la religion civile), religion civile (cf. le texte ci après : comme il est extrait d’un colloque de sociologie, il est peut-être un peu difficile mais en le comparant aux chapitre du bouquin sur la « religion civile », cela doit expliciter et éclairer des choses, non ? De toute façon, on en parlera), séparation des Eglises et de l’Etat, problèmes de la laïcité française en 2005, etc…
Bien sûr, cette séance est gratuite, mais ce serait sympa que chacun apporte un petit quelque chose à boire ou/et à manger, ainsi on terminerait la rencontre par un pot de l’amitié.

Pour savoir en gros combien nous serons, et déjà un peu vous connaître, mettez un bref commentaire si vous avez l’intention de venir. Et si vous voulez déjà poser une question, allez y
MERCI a celles et ceux qui ont déja répondu.
NOUS FERONS LE POINT VENDREDI 24 JUIN.
A bientôt donc
Pour Guillaume (et les AIXOIS(ES): je serai à AIX le 30 juin.

POUR TOUS ET TOUTES, le blog continuera jusqu'à la mi-juillet, puis prendra ses congès d'été du 15 juillet à fin août. Avec notamment: les principaux débats parlementaires concernant la loi de séparation

Evénements de la rentrée:

- fin août aux PUF: la 3ème édition refondue du "Que sais-je?" : Histoire de la laïcité en france
- le 9 septembre aux éditions de l'Aube, un bel ouvrage collectif: De la séparation des Eglises et de l'Etat à l'avenir de la laïcité
- et le 14 octobre, un roman (à partir d'une "histoire vraie") plein d'amour, d'humour d'eau fraiche ...et de laïcité
IMPROBABLE AMOUR aux éditions de l'Aube.

23:10 Publié dans EDITORIAL | Lien permanent | Commentaires (75)

RELIGION CIVILE

La laïcité française
Régulation du sacré ou sacré implicite

(Extrait d'une Communication faite à 'Association française de
Sciences Sociales des Religions)


(Le présent texte donne des éléments schématiques - et il faut insister sur ce terme de « schéma » - dans un but de classer des représentations sans les nuances de la réalité empirique)


Juridiquement, par la laïcité, la République française «assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes » (loi de 1905), « respecte toutes les croyances » (Constitution de la Ve République). On peut traduire cela, en langage sociologique : assure la régulation démocratique du sacré. Reste à savoir comment, ce qui n’est pas une mince affaire !

Par ailleurs, les organisateurs me posent la question : la laïcité française ne serait-elle pas un sacré implicite ? Ce sujet est au cœur du problème spécifique de la laïcité en France, dans sa dimension historique et dans son actualité. La Cour constitutionnelle italienne considère le principe de laïcité comme fondamental (1989), plusieurs pays (Portugal, Russie) ont inscrit la laïcité dans leur Constitution, le Québec a explicitement laïcisé ses écoles en 2000, etc. et pourtant on ne poserait sans doute pas la question d’un sacré laïque implicite à propos de ces pays là. Par contre, peut-être pour la laïcité turque, mais dans un contexte bien différent.

Une citation d’Hubert et Mauss (ethnologues proches de Durkheim) peut servir de point de départ à la question d’un sacré implicite laïque : « Si les dieux, chacun à leur heure, sortent du temple et deviennent profanes, nous voyons par contre des choses humaines, mais sociales, la patrie, la propriété, le travail, la personne humaine y rentrer l’une après l’autre » (1899). Curieusement mais significativement, cette hypothèse d’ethnologues durkheimiens ne fait pas l’objet d’une vérification sociologique de Durkheim. Il préfère, pour connaître « l’homme contemporain », travailler des années durant sur le totémisme australien « primitif ».

Le sociologue américain R. Bellah (1990) estime que Durkheim fut « un grand prêtre et un théologien de la religion civile de la IIIe République et un prophète appelant non seulement la France mais la société occidentale toute entière à corriger ses agissements face à la grande crise sociale et morale de notre temps. »
Grand prêtre, théologien, prophète… pas sociologue. On peut cependant trouver des affirmations fort importantes d’un point de vue sociologique, mais entre sa théorie générale sur le sacré et les dites affirmations, manque une approche utilisant la notion de « religion civile » qui, significativement, n’est pas employée par Durkheim.

Cela incite le sociologue de la laïcité à s’aventurer dans les chemins où Durkheim n’a pas voulu aller (la relation entre laïcité et religion civile), en sachant qu’il le fait à ses risques et périls. Mais ce n’est guère étonnant : il est toujours très risqué de prétendre analyser le sacré (même et surtout implicite), et donc de le profaner d’une certaine manière.

Pour envisager le rapport laïcité – religion civile, partons de l’état des lieux en la matière et, notamment, de trois auteurs :

- Bellah (1980) à propos de la religion civile américaine : il indique bien qu’il ne serait pas pertinent de la considérer comme englobante. Il insiste sur la tension entre religion civile et républicanisme laïque.
Si on explore l’historicité du social, la religion civile américaine provient de la Déclaration d’Indépendance (1776) qui se réfère à Dieu comme auteur des droits de l’homme ; le républicanisme laïque de la Constitution (1787) où Dieu est absent et du Premier amendement (1791) qui désétablit la religion et garantit son libre exercice. Bellah relit des moments forts de l’histoire américaine à partir de cette tension.

- Willaime (1988) qui, commentant les ouvrages consacrés aux Lieux de mémoire (P. Nora ed. 1984-1986), insiste sur la tension de « deux imaginaires », de « deux sacrés » : celui de la France ‘ fille aînée de la République’ (on pourrait dire aussi à mon sens ‘fille aînée, patrie, des droits de l’homme’ ou des Lumières) et celui de la France « fille aînée de l’Eglise ». Et il considère qu’aujourd’hui une réconciliation de ces deux imaginaires génère une « religion civile à la française » catho-laïque ou oecuménico-laïque (1985, 1993).

- Ihl (1996) qui indique que la notion de religion civile est « frappée d’interdit » sous la Troisième République mais que « le problème qu’elle pose ne disparaît pas pour autant ». Au contraire, il est sous jacent à de nombreux débats.

A partir de cet état des lieux, je me poserais trois questions, emboîtant ma réflexion sur celle de ces trois auteurs (en allant du troisième au premier) :

- qu’en est-il des rapports laïcité-religion civile lors de la période clef du processus de séparation des Eglises et de l’Etat
- qu’en est-il aujourd’hui des rapports laïcité et religion civile ?
- et, en conclusion, qu’en est-il de l’époque (mythiquement) fondatrice de la France moderne : la Révolution.


Rappelons tout d’abord que la notion de religion civile provient de Rousseau. Il la développe dans le chapitre VIII du Contrat social (1762) (on y reviendra). Mais une première définition (qui a le mérite de la simplicité) est donnée dans la Lettre à Voltaire (1756) :
« Je voudrais qu’on eût dans chaque Etat un Code moral, ou une espèce de profession de foi civile, qui contînt positivement les maximes sociales que chacun serait tenu d’admettre, et négativement la maximes fanatiques qu’on serait tenu de rejeter, non comme impies, mais comme séditieuses. Ainsi toute religion qui pourrait s’accorder avec le Code serait admise ; toute religion qui ne s’y accorderait pas serait proscrite ; et chacun serait libre de n’en avoir point d’autre que le Code même. »

Le Contrat Social ajoute à cela :

- un long développement historique allant du principe que le lien entre religion et politique se rapporte à la question de souveraineté (« jamais Etat ne fut fondé que la religion ne lui servit de base »), à une double mise en cause du christianisme : le « christianisme romain » qui soumet les hommes « à des devoirs contradictoires », celui de l’Evangile qui les détache de l’Etat « comme de toutes les choses de la terre »,
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- la nécessité pour l’Etat que « chaque Citoyen ait une religion qui lui fasse aimer ses devoirs » et la liste des « dogmes » de la religion civile (« dogmes qui se rapportent à la morale et aux devoirs que celui qui la professe est tenu de remplir envers autrui »)
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- l’idée qu’il n’existe pas de différence entre l’intolérance théologique et l’intolérance civile et, qu’en conséquence, « quiconque ose dire : hors de l’Eglise point de Salut doit être chassé de l’Etat ».

A la suite de cela, des sociologues américains (Bellah, 1967 ; Coleman, 1970,…) définissent la religion civile comme un ensemble de croyances, symboles et rites relatifs aux choses sacrées, institutionnalisés au sein d’une société et qui dérobent au débat les fondements ultimes de l’ordre social.

Willaime (1993) insiste sur la nécessité de conjuguer une dimension de religion civique, de « dévotion à l’unité du corps social » et de religion commune, « ensemble diffus des croyances, représentations et évaluations qui définit l’univers philosophico-religieux et éthique d’une population ».

Quant à Ihl, il précise que lorsqu’on entreprend de « sacraliser l’être ensemble collectif », d’appuyer une « société républicaine » sur « une transcendance qui se dérobe au jugement », « le contenu en l’espèce, importe moins que la fonction » (1996).
Effectivement, Bellah (1980) avait noté deux contenus typiques de la religion civile : invoquer une « réalité qui surplombe les normes que la République revendique d’incarner » ou « n’être rien de plus que la République elle-même ».
La reprise sociologique de Rousseau apporte donc différents changements, et notamment (mais pas seulement) de détacher la religion civile des « dogmes » qui, selon Rousseau, constituait son contenu. Il est, cependant, important pour notre propos d’effectuer des va-et-vient entre la notion rousseauiste et la notion sociologique.

I Laïcité et religion civile vers 1905 :

Première thèse : (1905 est en son milieu) et pour la France contemporaine. Ela période 1901-1908 a été décisive pour la laïcité En 7 ans on est passé d’une exacerbation du « conflit des deux France » (exil de dizaines de milliers de personnes, morts et blessures graves) à une (bien sûr relative) pacification (persistance du conflit sur le terrain scolaire, mais sans revêtir la même dimension). Certes chaque présent est rempli d’historicité et la société française de 1914 n’est donc pas complètement apaisée mais si le conflit diachronique fait toujours partie de son historicité, l’apaisement synchronique est indéniable et permet la relative « Union sacrée » de 1914.

Seconde thèse : pendant cette période un conflit interne à la laïcité s’est emboîté sur le conflit des deux France.
Deux types de laïcité se sont opposées : une tendanciellement proche de la religion civile et l’autre qui s’en éloignait. La période 1901-1904 a vu prédominer le premier type de la laïcité ; la seconde le second type. Et ce qui se joue là n’est pas seulement la représentation sociale de ce qui est la laïcité légitime, mais la représentation de l’articulation entre laïcité et République (et, significativement, je peux ne pas mettre de majuscule à laïcité mais je dois en mettre une à République).

Quelques caractéristiques de la période 1901-1904 :

- Combes est indéniablement un adepte de la religion civile, même s’il n’utilise pas le terme (Jaurès le situe dans la filiation de Rousseau et Robespierre ; Combes cite le passage du Contrat social sur les dogmes de la religion civile quand son amie de cœur, la princesse-carmélite Bibesco lui demande ce qui résume sa pensée)
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- Le discours dominant de cette période: la République est menacée ; il faut la défendre et pour cela réaliser la « laïcité intégrale », combattre le « fanatisme clérical ». la tonalité est un discours guerrier.
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- Autre discours dominant : certains individus s’excluent eux-mêmes du pacte politique (les congréganistes). Ils sont acculés au choix : se séculariser (pour rentrer dans le pacte ; mais en fait ils restent suspects) ou l’exil.
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- La liberté de religion (au sens classique du terme) est conçue, de façon dominante, comme la liberté du « sentiment religieux » ; ce sentiment est, implicitement, la véritable religion. D’où le « ministre du culte » est « l’ennemi de la religion ». Autrement dit : il faut émanciper des « religions positives ». Pas de corps intermédiaire entre la république et l’individu citoyen. Est moins visée la régulation du sacré des religions constituées que l’émancipation à l’égard de ce sacré
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- Tant que la prédominance de la libre-pensée (comme méthode, pour Combes ; comme méthode et contenu pour d’autres) n’est pas réalisée, il faut obliger les religions au loyalisme républicain (sens des multiples moyens de pressions que contient le projet gouvernemental de séparation en décembre 1904, mais aussi des espoirs de scission interne de l’Eglise catholique et de formation, après la rupture concordataire, d’un « catholicisme républicain »)
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- Il faut symboliser et ritualiser le mouvement émancipateur. Cela va de la symbolique républicaine (reprise de la symbolique révolutionnaire sous la IIIe République : Marseillaise, 14 juillet, Panthéon,… culte des « grands hommes »,…) aux tentatives de symbolisations rituelles libre-penseuse (baptêmes civils, Noël humaine, communions laïques,…)

Outre la position personnelle de Combes, on trouve donc de nombreux éléments qui vont dans le sens d’une religion civile : nécessité d’une « profession de foi civile » et de l’accord de la religion constituée avec cette profession de foi, non distinction entre intolérance théologique et intolérance civile, droit de ne pas considérer comme des citoyens à part entière ceux qui sont sensés ne pas se conformer à la profession de foi (beaucoup de propos disent d’ailleurs qu’au-delà des congréganistes, c’est tout catholique qui fait problème à la République…). Etc.

Mais ces éléments de religion civile induisent deux sortes de problèmes :
Première sorte : problèmes liés à la religion civile elle-même :

- désaccords internes entre Républicains: si Combes est adepte des dogmes rousseauistes (partisan d’une « réalité qui surplombe les dogmes que la République prétend incarner »), d’autres ne le sont pas (et leur religion civile est : « rien de plus que la République elle-même »),
- difficulté permanente des tentatives françaises de religion civile depuis la Révolution : l’impossibilité de lier religion civique et croyances communes (liées au système d’emprise catholique).
- Les deux prétentions à constituer la religion civile de la France induit une ‘guerre de religions civiles’ dommageable à l’une et à l’autre. (A. Prost a raison de dire que la seule tentative de religion civile qui a vraiment socialement fonctionné en France, ce fut, après la grande guerre, le culte « dont les monuments aux morts (furent) l’autel », culte consensuel par la conjonction du républicanisme et du catholicisme).
- La laïcité-religion civile suppose un lien étroit entre patrie et République or, au début du XXe siècle, il était dissocié : malgré le Ralliement, pour les laïques les catholiques sont suspects d’aimer la patrie (nationalisme) mais pas la République, et inversement du côté catholique, maints laïques sont suspects d’aimer la République mais pas la patrie. Et la notion de patrie possède alors plus de légitimité encore que la notion de République (l’accusation de loyalisme envers un « souverain étranger » tente de déstabiliser le patriotisme catholique).
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En relisant Nicolet (L’idée républicaine en France), on s’aperçoit que cette période 1901-1904 constitue une période privilégiée de la mise en pratique de cette « idée républicaine » (cf. mon Laïcité 1905-2005 entre passion et raison).
Mais Nicolet évite le terme de religion civile alors qu’il est sous jacent à son propos (et que « profession de foi civile » revient à plusieurs reprises), d’autre part il ne cite pas (sauf erreur de ma part) Combes, même s’il donne (bien sûr) la lutte anti-congréganiste comme exemple d’application de cette « idée républicaine ». La gêne de Nicolet provient de là :

Deuxième sorte de problème : l’imposition d’une laïcité allant tendanciellement vers la religion civile l’éloigne du cadre de la démocratie libérale. Le discours de Clemenceau (novembre 1903) sur « l’omnipotence de l’Etat laïque », de « l’Etat-Dieu » du « concile de pions (qui) sera chargé de donner la formule infaillible d’un jour » est très révélateur.
(Là aussi, sauf erreur Nicolet ne cite pas ce discours, un tantinet gênant pour lui).

La loi de 1905 tourne le dos à une laïcité-religion civile en ceci que, au niveau des acteurs politiques dominants (Briand notamment), on ne prétend plus que la République est menacée. Un discours d’apaisement remplace le discours de combat et l’objectif n’est plus l’émancipation à l’égard de la religion mais une égalité de traitement.

La laïcité se dissocie explicitement de la libre-pensée (séance capitale du Parlement, 10 avril 1905). La loi de 1905 n’exige pas une conformité des religions existantes en France à la profession de foi civile (autre séance capitale, 20 avril 1905), elle dissocie intolérance théologique et intolérance civile et ne réclame que cette dernière. Elle postule donc, contrairement à Rousseau, qu’il n’est pas impossible « de vivre en paix avec des gens qu’on croit damnés » ; elle « sécularise » la France pour reprendre le mot de Clemenceau dont la pertinence sociologique est extrême.

Mais elle ne peut faire cela qu’à deux conditions :
- . tirer la laïcité du côté de la démocratie libérale (article 1 et seconde partie de l’article 2 de la loi de 1905 + bcp d’autres dispositions, modifiées par rapport aux projets de loi antérieurs)
- . renoncer à un « catholicisme républicain » dissident de Rome et opérer un transfert culturel (au sens de culture politique) en mettant un élément du modèle politique anglo-saxon au sein même de la loi (l’article 4 inspiré de lois américaine et écossaise), ce qui éloigne ne partie la loi de 1905 de « l’idée républicaine ».
Là encore, Nicolet est une parfaite démonstration sherlockholmienne (le chien qui n’a pas aboyé pendant la nuit) : significativement, il ne dit RIEN de la loi de 1905, prétendant qu’elle est trop connue pour qu’il en parle !

Pour reprendre le titre donné à cette communication : on est passé d’une laïcité tendant à être un sacré implicite à une laïcité qui est une régulation du sacré. Et, à partir de la métaphore d’Hubert et Mauss, on peut ajouter ceci : pour rentrer dans le temple du sacré, la laïcité française de 1901-1904 devait en faire sortir les religions, les profanéiser. La laïcité de 1905 accepte, elle, un sacré religieux (Brunetière : « la loi nous permet de croire ce que nous voulons et de pratiquer ce que nous croyons »), elle le régule juridiquement et sort en conséquence du temple du sacré.

II Laïcité et religion civile vers 2005.

Première thèse : la révolution copernicienne que constitue la loi de 1905 n’a jamais été véritablement intériorisée par la mentalité dominante française. Cela arrangeait tout le monde de faire comme si, débarrassée de quelques scories, l’idée républicaine s’était alors appliquée (les laïques qui pouvaient considérer 1905 que comme une victoire ; les catholiques qui pouvaient légitimer le refus de la loi imposé par le pape). Longtemps, le « Petit père Combes » fut socialement considéré comme l’auteur de la loi de séparation.
Maintenant, il ne peut plus en être ainsi, mais on ne veut toujours pas affronter le problème de la divergence entre idée républicaine et laïcité de 1905.
Alors, renonçant à toute dignité épistémologique, on prétend donner une valeur conceptuelle au mot commun de « compromis » (sans faire, à son sujet, aucun travail théorique), rabaissant ce qui s’est passé en 1905 à ce que tout un chacun fait chaque jour de la vie quotidienne pour vivre à peu prés en paix avec son conjoint, ses voisins, ses supérieurs ou subordonnés hiérarchiques, etc.
On parle aussi d’« équilibre » et on se concentre sur la loi elle-même en mettant aux oubliettes la période antérieure ou en faisant de Combes un bouc émissaire (la Commission Stasi a même failli écrire que Combes était « antireligieux » !), pour éviter d’avoir à se confronter au problème que pose le renversement de perspective. Les stratégies de fuite sont fascinantes à observer sociologiquement !

Seconde thèse : 1905 ayant progressivement mis fin à la guerre des religions civiles en tant que l’enjeu était l’Etat-nation, celles-ci n’ont pas fait une paix complète et ont continué un combat partiel sur l’ « E »cole, enjeu important dans la perspective de la religion civile : par l’école on peut enseigner une certaine vision de la France.
Cependant toutes les tentatives d’instaurer un monopole de l’enseignement ont échoué et, en 1984, les Français ont assez clairement indiqué aux militants laïques qu’ils ne considéraient pas que l’école privée sous contrat enseigne une autre France que l’école publique.
L’historique guerre des religions civiles était close (avec, ensuite, une satisfaction symbolique pour les laïques : la non modification de la loi Falloux en 1994 ; ce qui leur permettait de ne pas la finir par une défaite). Mais en 1989, la première « affaire de foulards » révélait un tout autre contexte.

Peut-on parler avec Willaime, pour évaluer la situation actuelle, d’une religion civile « catho-laïque » ou « oecuménico-laïque » ? Ma réponses sera : oui mais…

Au début des années 1990, Willaime parle (notamment en référence aux cérémonies du bicentenaire de la Révolution) d’une « recomposition éthique de la religion civile : l’œcuménisme des droits de l’homme ». L’analyse nous semble structurellement et conjoncturellement pertinente.

Structurellement, car c’est bien la référence (il faut insister : la référence plus ou moins instrumentalisée et, souvent, plutôt plus que moins) aux droits de l’homme qui constitue la « profession de foi » civile exigée. Il en était d’ailleurs de même dans la période 1901-1904. Mais avec une double différence : d’une part, ce ne sont plus les mêmes droits de l’homme (par exemple, il y a un siècle, les droits de femmes sont exclus de la référence aux droits de l’homme), d’autre part, alors, cette référence avait tendance à exclure les religions constituées (guerre entre 2 religions civiles) et qu’en 1989 elle a tendance à les inclure (d’où possibilité d’une laïcité apaisée, pouvant jouer un rôle de religion civile sans heurter les croyances communes).

Conjoncturellement, on est alors, de façon dominante, dans cette situation d’ « œcuménisme des droits de l’homme ». Mais de nouveaux facteurs vont faire changer la conjoncture :
- . la lutte « anti-secte », commencée au milieu des années 1980 a pris sa ‘véritable’ dimension 10 ans plus tard avec le rapport de la Commission parlementaire (1996).
- Le texte récent de la Fédération Protestante de France sur la loi de 1905 (en fait beaucoup moins en cause que des pratique nouvelles depuis 5, 10 ans) et la démarche de son président auprès du 1er ministre sur les atteintes régulières que subi le protestantisme montre que, effet « collatéral » de cette lutte, cette religion est remise dans une position ambivalente par l’Etat (au XIXe le protestantisme était en partie un culte reconnu, en partie un culte non reconnu).
- Cela va donc contre l’aspect « œcuménique » indéniable en 1989. Par ailleurs, cette lutte « antisecte » comporte de fortes analogies avec la lutte anti-congréganiste (même si elle n’a pas les mêmes effets sociaux) et visibilise le fait qu’une « profession de foi civile" est, de nouveau, réclamée aux religions et spécialement aux Nouveaux Mouvements Religieux,
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- . le développement, depuis la 1ère affaire de foulard de la méfiance envers l’islam et notamment les reproches récurrents faits à Nicolas Sarkozy d’avoir inclus l’UOIF (présent en fait dès 1989, dès le début du processus, insufflé par Joxe) et de ne pas s’être limité à un « islam modéré » ou à un « islam républicain » comporte des analogies avec les tentatives de « catholicisme républicain » auxquelles la loi de 1905 a tourné le dos. Là encore, une « profession de foi civile » est exigée de l’islam est le met dans une position bcp plus ambivalente encore que le protestantisme (qui a une relative légitimité symbolique dont l’islam ne dispose pas).
- Par ailleurs, la suspicion de l’allégeance à des pays étrangers existe maintenant à propos de l’islam, plus du catholicisme. Là encore cela nous éloigne d’une religion civile oecuménique.
(le problème récurrent de l’exigence de la « profession de foi civile » est celui-ci : certaines catégories d’individus sont considérés ipso facto comme adeptes de cette « profession de foi » ; elle est réclamée à d’autres qui sont suspectés de ne pas la partager).

Alors, est-on maintenant dans une religion civile catho-laïque ? Oui et non.

Oui, car le catholicisme, en France aujourd’hui, comporte plusieurs caractéristiques qui facilitent son intégration dans une laïcité-religion civile :

- . Le catholicisme s’est, globalement, acculturé à la référence aux droits de l’homme depuis Vatican II et affirme maintenant que le christianisme est au fondement des droits de l’homme (la métaphore du lierre et de l’arbre de l’évêque Hippolyte Simon). La division entre partisans de la patrie et partisans de la République n’existe plus, la patrie n’a plus tellement bonne presse, la République (qui, en 1968, était « bourgeoise », « capitaliste », etc.) par contre est devenue une référence consensuelle et obligatoire. La défense de la patrie (versus l’Europe, la mondialisation, le monde musulman, l’Amérique,..) doit prendre le visage de l’exaltation de la République que l’on peut trouver chez des personnes issues des 2 camps (Chevènement, de Villiers).
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- . Le catholicisme est en très net déclin au niveau de son encadrement clérical (pyramide des âges inversée) et des propositions spécifiques de sens qu’il peut faire à la société globale (cf D. Hervieu-Léger), en même temps il est toujours là, et sait pratiquer l’art du grand écart entre affirmations de principes et vécu quotidien. Il est donc à la fois assez facilement instrumentalisable et, en même temps, assez intéressant à instrumentaliser.
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- . Religion historique nationale, dont les fêtes régissent toujours fortement le calendrier (différence avec le Québec, par exemple), disposant de monuments-cathédrales dont le réemploi symbolique (funérailles solennelles de chefs d’Etat ou lors de catastrophes) se trouve directement en lien avec le caractère sacré qui leur est socialement toujours attribué, ayant par ailleurs un système d’encadrement hiérarchique clos à forte légitimité diachronique (le rapport parlementaire de 1996, parle de « faux évêques », donc pour la République laïque, il y en a des vrais) le catholicisme est une religion connue et cernable qui joue un rôle symbolico-social non négligeable (« l’Eglise » dit-on significativement).

Le protestantisme, le judaïsme et l’islam, au contraire, possèdent une légitimité historique nettement plus faible et ambiguë, ils ne marquent l’espace social, paraissent liés à un mauvais étranger (les Empires du mal renvoyés dos à dos: l’Amérique, Israël, le monde musulman). De là un positionnement différent du catholicisme et des autres religions, même si, dans certaines circonstances, il peut toujours exister des relents de religion civile œcuménique où on leur donne un strapontin.
Le rapport à l’étranger n’est cependant pas le même entre protestantisme, judaïsme et islam. Seul l’islam est socialement suspecté d’être « étranger » à « notre culture et nos valeurs ». Face à lui et, par ailleurs, face au désenchantement de la sécularisation, à la crise de l’idéologie du progrès, à l’effacement de l’avenir, à l’émotionnel médiatique aussi, l’invocation de la raison ne suffit pas.

- Se référer à une religion « héritage » représentative de « racines » à la quelle on se rattachera de façon plus ou moins lâche, devient une marque identitaire de la francité. De même que Maurras (tout en étant agnostique) défendait un catholicisme identitaire, différenciant la France de ses « ennemis » (l’Allemagne, l’Angleterre), de même, analogiquement, certains français (sans être forcément maurassiens) relient un catholicisme identitaire et une laïcité identitaire.
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- L’expression même de « laïcité exception française » va dans le sens d’une catho-laïcité. Son 1er emploi semble remonter à 1990, après la première affaire de foulards, et son utilisation sociale semble se développer dans la seconde moitié des années 1990. Elle suppose une laïcité considérée comme consensuelle, et donc la fin de la querelle scolaire (quand celle-ci faisait rage, des militants laïques citaient les Etats-Unis en exemple de vraie laïcité) et le déplacement des problèmes : elle vise à différencier la France du dit « communautarisme anglo-saxon » et elle a donc 2 cibles : un islam suspect de communautarisme (les ‘anciens Français’ face à de ‘nouveaux Français’) et la mondialisation, suspecte d’assurer une prédominance anglo-saxonne (France-Asterix avec une laïcité identitaire comme potion magique).

Il me semble donc qu’il existe actuellement d’indéniables éléments de religion civile catho-laïque. Mais ces éléments se trouvent plus ou moins contrecarrés par :

- - la persistance de groupes de pression, dont l’influence déborde le nombre, qui se situent toujours dans une optique de guerres de religions civiles. Pour eux, le catholicisme ne peut pas changer et ne changera jamais. Les déclarations de JP II, telles que rapportées par les médias et prises au pied de la lettre, sans considération de la pratique du grand écart, les confortent dans leur optique. Les Lumières françaises sont une époque fondatrice dont Condorcet est le dernier prophète.
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- - le développement de nouveaux lieux de dissensus, notamment sur les questions de bioéthique (ce qui a trait à la procréation assistée, à l’euthanasie par exemple) et les questions de mœurs (cf. le récent conflit sur le PACS),
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- - la doctrine diffuse, véhiculées par les médias que les religions ne servent qu’à la division et à la violence. Comme les médias débordent de largeur d’esprit, elles enseignement implicitement qu’on peut tolérer les courants libéraux des religions. Mais, attention, toutes les religions ont aussi leurs « intégrismes ». Et il n’en faut pas beaucoup pour devenir socio-médiatiquement un « intégriste » (il y a, affirmait un membre de la Commission Stasi, « les intégristes extrémistes » et les « intégristes modérés », ces derniers, pernicieux sont donc d’autant plus dangereux). Là, toutes les religions deviennent suspectes de ne pas se conformer à la « profession de foi civile »,
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- - l’emboîtement de ce médiatiquement correct sur des restes consistants des antagonismes diachroniques ; cela peut réveiller à l’occasion des relents de conflit des deux France: en 1996, un sondage du Monde indiquait que 40% des français étaient favorables à la commémoration nationale du baptême de Clovis et 40% opposés,
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- - la vision de la situation française actuelle en termes de ghettoïsation socio-économique, d’exclusion sociale, de discriminations rampantes ou avérées, d’ « islamophobie »… qui fait considérer par certains les musulmans une minorité à ‘sanctuariser’. La réaction, dans la conjoncture actuelle (notamment la question de l’ « héritage chrétien » de l’Europe et l’entrée de la Turquie dans l’UE), contre tout marquage identitaire catholique (ou chrétien).
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- - la consistance, malgré deux exceptions (lois françaises spécifiques de 1901 dirigée socialement contre les sectes et loi de 2004 dirigée socialement contre le foulard à l’école publique), d’un dispositif juridique (loi de 1905, jurisprudence, règles générales concernant les libertés) analogue à celui des autres démocraties libérales (égalité (formelle) de traitement, liberté de conscience et de culte,…) dispositif garanti en outre par des conventions internationales et, notamment, la Convention européenne de 1950 et le dispositif qui la met en œuvre. L’intériorisation de ce dispositif par une partie importante de l’opinion publique. L’acquis séparatiste de 1905 peut être écorné ; il n’est pas fondamentalement remis en cause
Si le dernier indicateur va dans le sens d’une laïcité neutre et séparatiste qui gère socialement les divers sacrés des religions, les premier et troisième indicateurs peuvent aller eux dans le sens d’une nouvelle tentative de religion civile laïque, n’intégrant qu’à son insu des éléments de catho-laïcité (telle la cérémonie à Notre Dame lors des obsèques de Mitterrand).
Mais, en définitive, tout ce qui tend à associer intolérance civile et intolérance théologique et à demander plus que la tolérance civile (pour prendre un exemple, cette dernière implique que l’on ne trouble pas les services d’IVG, elle n’implique pas que l’on ait pas le droit de condamner en chaire l’avortement), tout ce qui sacralise tel ou tel aspect du lien social ou du lien politique va dans le sens de l’imposition d’une religion civile.

Remarques conclusives

Ce qui, en bonne logique, devrait être une troisième partie ne sera qu’esquissé en conclusion : la comparaison entre religion civile à l’américaine et religion civile à la française. La Déclaration d’Indépendance américaine fait de Dieu l’auteur des droits de l’homme ; la Déclaration française des droits en 1789 n’indique pas leur provenance. L’Assemblée empiriquement les rédige et cette élaboration donne lieu à de nombreux et parfois vifs débats, mais officiellement, selon le préambule, elle les « reconnaît » et cela « en présence et sous les auspices de l’Etre suprême ».

Une des raisons de cette différence est l’existence, dans l’Amérique anglais se libérant de sa tutelle coloniale, d’une pluralité de dénominations religieuses alors qu’en France le catholicisme exerce alors un monopole de religion. Il n’existe pas de risque qu’une Eglise devienne, aux Etats-Unis, l’interprète légitime, la propriétaire symbolique des droits de l’homme même si on proclame que Dieu est leur auteur. En France, au contraire, le risque n’était pas négligeable puisque le politique avait, face à lui, « l’Eglise » et non des Eglises.

Mais cette différence n’est pas sans conséquence sur le modèle de religion civile propre à chaque pays. Dieu auteur des droits de l’homme : la religion civile à l’américaine peut se réclamer d’« une réalité (symbolique) qui surplombe » la République et Abraham Lincoln, Martin Luther King, George D. Bush ne se privent pas d’invoquer Dieu pour sacraliser leur cause.
La France s’imaginera être plus laïque puisque, chez elle, Dieu n’est pas l’auteur des droits de l’homme et qu’il est malséant de s’y référer politiquement.
Naïve illusion : Dieu est bien là puisque les droits de l’homme sont reconnus en sa présence et sous ses auspices, mais c’est un Dieu muet. Il est prié de cautionner silencieusement, de sacraliser implicitement la production du politique. Politique qui affirme d’autre part que son œuvre est hors du débat puisqu’elle ne serait pas son œuvre, mais une vérité jusqu’alors cachée qu’elle « reconnaît ».
Second absolu qui se dérobe d’autant plus au jugement qu’il est inconnaissable. Le politique est un nouveau Moïse recevant les Table de la Loi d’un Infini inconnaissable, devant Dieu qui ne peut qu’approuver.
Double sacralisation du politique, fragilité fondatrice de la démocratie en France. Et, les droits d’homme (qui devaient fonder une monarchie constitutionnelle) ayant été républicanisés, possibilité récurrente d’invoquer les « valeurs de la République » comme Lincoln, King et Bush invoquent Dieu. Ce n’est « rien de plus que la République elle-même » mais, Bellah nous a prévenu, ce n’en est pas moins de la religion civile.

Ultime remarque : si le problème de la religion civile est récurrent, c’est (sans doute) parce qu’une chose est la sortie sociale de la religion constituée, une autre est de tuer socialement Dieu (quelque que soit le nom qu’on lui donne ou l’image que l’on s’en fait). Pour le chrétien croyant, Dieu ressuscite ; pour le sociologue la société, l’Etat-nation plus précisément ressuscite Dieu.
Cela Durkheim l’avait bien vu, mais il a été croyant à sa manière en pensant que cette production sociale de Dieu est légitime parce qu’elle serait nécessaire pour éviter l’anomie. Nécessaire ou pas, je ne sais, je veux bien que la production sociale de Dieu ait ses raisons. Il n’empêche, il me semble plus sociologique de tenter d’éviter le piège de la légitimation pour rester dans une démarche critique. Cependant se passer d’un Dieu social est très lourd de conséquence :

«Comment avons-nous pu vider la mer ? Qui nous a donné une éponge pour effacer tout l’horizon ? Qu’avons-nous fait quand nous avons détaché la chaîne qui liait la terre au soleil ? Où va-t-elle maintenant ? Où allons nous nous-mêmes ? Ne tombons nous pas sans cesse ? En avant, en arrière, de côté, de tous les côtés ? Existe-t-il encore un en haut, un en bas ? N’allons-nous pas errant comme par un néant infini ? Ne sentons-nous pas le souffle du vide sur notre face ? Ne fait-il pas plus froid ? Ne vient-il pas toujours des nuits, de plus en plus de nuits ? Ne faut-il pas dés le matin allumer les lanternes ? N’entendons-nous rien encore du bruit que font les fossoyeurs qui enterrent Dieu… Dieu est mort ! Et c’est nous qui l’avons tué. »
Frédéric Nietzsche, Le gai savoir.

14/06/2005

Etes-vous parisiens?

Martin, Marion, Emilie, Lucas, Myriam, Laïcisator, Sarah, Mathias,...
Etes-vous parisiens ou aixois?
Si vous etes aixois(e)s, je serai à Aix le 30 juin à IEP
Si vous etes parisien(ne)s, on pourrait organiser une petite rencontre
avant le fatidique 2 juillet
Qu'en pensez-vous?

23:25 Publié dans EDITORIAL | Lien permanent | Commentaires (8)

12/06/2005

Ami(e)s blogeurs et blogeuses...

Sarah, Myriam, Marion et autres ami(e)s du Blog :
« je vous ai compris » :
SECULARISATION ET LAÏCISATION


Bonjour, Ami(e)s du Blog. Vous êtes chaque mois plus nombreux à le visiter (pratiquement 2000 en mai et plus de 700 les 10 premiers jours de juin). Par ailleurs, le succès de Laïcité 1905-2005, entre passion et raison ne se dément pas : d’après les derniers chiffres communiqués par mon éditeur (Le Seuil), nous en sommes à 12300 de tirage et à 10200 en solde de vente. C’est génial !

Aussi, pour vous remercier d’avoir lu un livre « universitaire », je vais vous faire un petit cadeau à la rentrée avec la parution de mon premier roman, un roman plein d’amour, d’humour et de laïcité, une belle histoire « vraie », racontée de façon romancée. Cet ouvrage paraîtra aux éditions de l’AUBE le 14 octobre et sera intitulé : IMPROBABLE AMOUR.Je ne vous en dis pas plus pour l’instant, il faut laisser un peu de suspens.

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(les 3 photos de cet édito, que l'on peut agrandir, viennent d'une récente tournée au Japon)


En attendant, vous êtes plusieurs à caler devant un big problème : la différence baubérotesque entre laïcisation et sécularisation (en fait je ne suis d’ailleurs pas le seul à la faire. Parmi mes collègues, vous la trouverez aussi, notamment, chez la sociologue de Montréal Micheline Milot qui travaille sur la laïcité québécoise, et plus généralement sur la notion même de laïcité et chez une chercheuse française du CNRS Françoise Champion qui a travaillé sur la nébuleuse mystique-ésotérique, etc).

Pas de panique. On va tenter de reprendre cela. Prenons une situation de départ, datant d’il y a 3, 4 siècles (voire même moins) : la religion est une référence sociale commune qui fonctionne aussi bien dans la sphère culturelle que dans la sphère politique. La culture commune : beaucoup de normes morales mais aussi de repères culturels et de savoirs sociaux reposent sur la religion ou sont liés à elle. La sécularisation va s'opérer dans le champ culturel et la laïcisation dans le champ politique.

Ainsi Jacques Léonard (La médecine entre les pouvoirs et les savoirs, Aubier, 1981, 69) écrit à propos de la maladie en France, dans la première moitié du XIXe siècle (il y a moins de 200 ans donc) : « La religion catholique ne se borne pas à proposer des consolations spirituelles aux malades. Elle donne une interprétation globale du malheur biologique, elle disserte sur l’action pathogène du péché, elle enseigne l’existence du Malin. Elle met l’accent sur la médiation des Saints et sur l’efficacité des sacrements pour se protéger ou se guérir des maladies et des accidents. Elle exalte le pouvoir thaumaturgique de Jésus-Christ et des apôtres, codifie le culte des reliques et de la dévotion mariale. Le clergé encourage les prières et pratiques vénérables qui constituent les premiers remèdes du peuple chrétien, organise des démarches collectives (neuvaines, rosaires, processions, pèlerinages), et célèbre des messes pour arrêter les fléaux épidémiques (…, il parle d’ « innombrables sites » de « guérisons miraculeuses (fontaines, arbres, grottes, rochers…) »). Le culte des saints guérisseurs est enraciné dans la piété traditionnelle ; de petits livrets dressent la liste de leurs spécialités thérapeutiques et mentionnent les oraisons convenant aux diverses situations. » Voila ce que l’on peut appeler une situation non sécularisée. OK ?

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A partir de là, on peut dire que certaines cultures religieuses, comme la culture protestante, supprimant le culte des saints, réagissant très fort (notamment dans la tradition calviniste) contre tout ce qui, de près ou de loin, peut-être religieusement considéré comme de l’ « idolâtrie », en concentrant la piété sur la Bible et en valorisant la science au nom de Dieu (cf. les travaux de R.K. Merton), opèrent une rationalisation interne qui est sécularisante : j’appelle cela un processus de « sécularisation religieuse », puisque la religion est, au nom de ses idéaux mêmes, un agent de sécularisation.

Cela n’empêche pas d’ailleurs la résistance d’une piété populaire : une Bible familiale est mise parfois sous l’oreiller de l’accouchée ou à proximité du berceau du nouveau-né, pour maximaliser les chances que cela « se passe bien », témoignage de mentalités qui reste dans un « enchantement », une « magification » peu sécularisée.

Schématiquement, globalement, en Grande-Bretagne, cette sécularisation religieuse va, de façon dominante, progressivement engendrer de la sécularisation (tout court). Cela passe, notamment, par les fils de pasteurs qui, au XIXe siècle, deviennent médecins et vont justifier les novations médicales par des arguments bibliques.

L’un d’entre eux est Simpson, médecin écossais et fils de pasteur méthodiste. Il connaissait bien la Bible. Il pratique l’anesthésie à une époque où elle est très contestée (et donne lieu à pas mal d’accidents).
Il fait remarquer que Dieu est le premier anesthésiste puisque (selon le récit de la Genèse, le 1er livre de la Bible) il endormit Adam pour lui prélever une côte et créer Eve. Par ailleurs, après la « chute », Dieu dit à Eve : « tu accoucheras (désormais) dans la douleur ». Mauvaise traduction déclare Simpson, inventeur de l’accouchement sans douleur, qui étant fils de pasteur a appris l’hébreu. La bonne traduction c’est : « tu accoucheras avec effort ». L’accouchement sans douleur ne supprime pas l’effort de la femme.
La reine Victoria, chef temporel de l’Eglise d’Angleterre (=l’Eglise anglicane) est convaincue est accouche selon cette nouvelle méthode en 1853.

Cette histoire est typique d’un basculement sécularisateur : peu à peu l’anesthésie et l’accouchement sans douleur n’auront plus besoin de légitimation religieuse. Vous voyez que cela s’effectue sans grande laïcisation, c'est-à-dire sans mesures prises par le politique pour diminuer l’importance sociale de l’institution religieuse, son influence, son caractère officiel. En 1858, il y a certes une loi qui combat l’exercice illégal de la médecine, mais elle est prise alors que le décollage scientifique et technique de la médecine a déjà eu lieu et alors que le clergé anglican ne joue pas de rôle sanitaire, elle n’a donc rien de polémique à l’égard de l’institution religieuse.
D’ailleurs, à la fin du XIXe siècle, quand la médecine anglaise voudra prendre un pouvoir sanitaire et moral trop étendu, religion et féminisme conjugués y mettront bon ordre et les médecins seront vaincus. La médecine n’est nullement « sacralisée », comme cela fut (et est encore, dans une certaine mesure) le cas en France.

En effet, en France va dominer une logique de laïcisation, c'est-à-dire d’intervention (conflictuelle) du politique pour réduire le pouvoir, l’influence, la surface sociale de la religion et promouvoir des institutions séculières.

La loi française d’exercice illégal de la médecine date de 1803, c'est-à-dire AVANT le décollage scientifique et technique de la médecine (en retard, par ailleurs, alors sur la médecine anglaise), à une époque où les médecins ne guérissent pas plus que les « charlatans », que les Diafoirus ridiculisés par Molière. Et encore sous la Monarchie de juillet, les médecins gagnent des procès, grâce à la loi de 1803, mais sont hués par le public parce que ce dernier accorde plus de confiance à ceux qui (selon lui) guérissent qu’au fait d’avoir un diplôme de médecine.
Pourquoi cela ?
Claude Nicolet répond : parce que « nulle part ailleurs qu’en France le recours à la médecine ne deviendra aussi nettement une obligation morale liée à la nature d’un régime politique précis ». Pour Nicolet, ce régime est la République, objet de son investigation historique. Mais on peut dire la même chose de TOUS les régimes qui se réclament de 1789, qui ne disposent pas de la légitimation religieuse attachée à la Monarchie des Bourbons et qui donc ont besoin d’une autre légitimation. En France, de plus en plus, au XIXe siècle, les médecins seront anticléricaux.
La laïcisation dominera la sécularisation et on peut même se demander si elle ne la limitera pas d’une certaine manière par une conception « enchantée » et un peu magique de la médecine dont le pouvoir et l’autorité seront longtemps plus importantes qu’ailleurs.

Il en reste quelques traces : je garderai toute ma vie le souvenir de l’indignation primaire et, de mon point de vue, peu intelligente, qui a saisi la Commission Stasi au récit de 2 personnes (soigneusement choisies par le Rapporteur de la Commission) a propos de femmes ne souhaitant pas se déshabiller et se faire examiner par des médecins hommes. Tout le monde trouve normal que dans les aéroports, les fouilles au corps, même superficielles, soient faites par des personnes du même sexe. Mais quant il s’agit de médecine, poser un problème analogue relève du blasphème !
C’est même parfois l’inverse (cf la catégorie « Le grand bêtisier de la laïcité », la note « Premier bêtisier »). On est, comme l’a montré Jean-Pierre Valabréga cf La relation thérapeutique, Flamarion), dans une conception chamanique du médecin où le médecin est un homme sans être un homme.

On pourrait faire, naturellement faire une analyse analogue pour l’école.

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Résultat des courses : en Angleterre, au Danemark, etc, vous avez des pays sécularisés, c'est-à-dire des pays où la culture commune, la morale publique se réfèrent peu à la religion et pourtant où il continue d’exister une religion nationale, une religion officielle et un lien fort entre l’Etat et la religion.

Est-ce plus clair ? Je l’espère. Je vous signale que l’ouvrage qui explique le plus clairement, et de la façon la plus détaillée, cette différence entre sécularisation et laïcisation est le livre de poche que j’ai écrit avec Séverine Mathieu : Religion, modernité et culture au Royaume Uni et en France, Le Seuil, collection : Points-Histoire, paru en 2002. Celles et ceux que la question intéresse peuvent s’y référer pour mieux comprendre la différence de processus entre la france (où la laïcisation englobe la sécularisation) et la grande Bretagne (où la sécularisation englobe la laïcisation).

Et maintenant, une autre question de ma part : la notion de « religion civile » qui est également importante dans mon livre est-elle claire ? Si vous le voulez, on peut en reparler dans 15 jours.
En attendant bonne lecture.

18:20 Publié dans EDITORIAL | Lien permanent | Commentaires (5)