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12/06/2005

Ami(e)s blogeurs et blogeuses...

Sarah, Myriam, Marion et autres ami(e)s du Blog :
« je vous ai compris » :
SECULARISATION ET LAÏCISATION


Bonjour, Ami(e)s du Blog. Vous êtes chaque mois plus nombreux à le visiter (pratiquement 2000 en mai et plus de 700 les 10 premiers jours de juin). Par ailleurs, le succès de Laïcité 1905-2005, entre passion et raison ne se dément pas : d’après les derniers chiffres communiqués par mon éditeur (Le Seuil), nous en sommes à 12300 de tirage et à 10200 en solde de vente. C’est génial !

Aussi, pour vous remercier d’avoir lu un livre « universitaire », je vais vous faire un petit cadeau à la rentrée avec la parution de mon premier roman, un roman plein d’amour, d’humour et de laïcité, une belle histoire « vraie », racontée de façon romancée. Cet ouvrage paraîtra aux éditions de l’AUBE le 14 octobre et sera intitulé : IMPROBABLE AMOUR.Je ne vous en dis pas plus pour l’instant, il faut laisser un peu de suspens.

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(les 3 photos de cet édito, que l'on peut agrandir, viennent d'une récente tournée au Japon)


En attendant, vous êtes plusieurs à caler devant un big problème : la différence baubérotesque entre laïcisation et sécularisation (en fait je ne suis d’ailleurs pas le seul à la faire. Parmi mes collègues, vous la trouverez aussi, notamment, chez la sociologue de Montréal Micheline Milot qui travaille sur la laïcité québécoise, et plus généralement sur la notion même de laïcité et chez une chercheuse française du CNRS Françoise Champion qui a travaillé sur la nébuleuse mystique-ésotérique, etc).

Pas de panique. On va tenter de reprendre cela. Prenons une situation de départ, datant d’il y a 3, 4 siècles (voire même moins) : la religion est une référence sociale commune qui fonctionne aussi bien dans la sphère culturelle que dans la sphère politique. La culture commune : beaucoup de normes morales mais aussi de repères culturels et de savoirs sociaux reposent sur la religion ou sont liés à elle. La sécularisation va s'opérer dans le champ culturel et la laïcisation dans le champ politique.

Ainsi Jacques Léonard (La médecine entre les pouvoirs et les savoirs, Aubier, 1981, 69) écrit à propos de la maladie en France, dans la première moitié du XIXe siècle (il y a moins de 200 ans donc) : « La religion catholique ne se borne pas à proposer des consolations spirituelles aux malades. Elle donne une interprétation globale du malheur biologique, elle disserte sur l’action pathogène du péché, elle enseigne l’existence du Malin. Elle met l’accent sur la médiation des Saints et sur l’efficacité des sacrements pour se protéger ou se guérir des maladies et des accidents. Elle exalte le pouvoir thaumaturgique de Jésus-Christ et des apôtres, codifie le culte des reliques et de la dévotion mariale. Le clergé encourage les prières et pratiques vénérables qui constituent les premiers remèdes du peuple chrétien, organise des démarches collectives (neuvaines, rosaires, processions, pèlerinages), et célèbre des messes pour arrêter les fléaux épidémiques (…, il parle d’ « innombrables sites » de « guérisons miraculeuses (fontaines, arbres, grottes, rochers…) »). Le culte des saints guérisseurs est enraciné dans la piété traditionnelle ; de petits livrets dressent la liste de leurs spécialités thérapeutiques et mentionnent les oraisons convenant aux diverses situations. » Voila ce que l’on peut appeler une situation non sécularisée. OK ?

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A partir de là, on peut dire que certaines cultures religieuses, comme la culture protestante, supprimant le culte des saints, réagissant très fort (notamment dans la tradition calviniste) contre tout ce qui, de près ou de loin, peut-être religieusement considéré comme de l’ « idolâtrie », en concentrant la piété sur la Bible et en valorisant la science au nom de Dieu (cf. les travaux de R.K. Merton), opèrent une rationalisation interne qui est sécularisante : j’appelle cela un processus de « sécularisation religieuse », puisque la religion est, au nom de ses idéaux mêmes, un agent de sécularisation.

Cela n’empêche pas d’ailleurs la résistance d’une piété populaire : une Bible familiale est mise parfois sous l’oreiller de l’accouchée ou à proximité du berceau du nouveau-né, pour maximaliser les chances que cela « se passe bien », témoignage de mentalités qui reste dans un « enchantement », une « magification » peu sécularisée.

Schématiquement, globalement, en Grande-Bretagne, cette sécularisation religieuse va, de façon dominante, progressivement engendrer de la sécularisation (tout court). Cela passe, notamment, par les fils de pasteurs qui, au XIXe siècle, deviennent médecins et vont justifier les novations médicales par des arguments bibliques.

L’un d’entre eux est Simpson, médecin écossais et fils de pasteur méthodiste. Il connaissait bien la Bible. Il pratique l’anesthésie à une époque où elle est très contestée (et donne lieu à pas mal d’accidents).
Il fait remarquer que Dieu est le premier anesthésiste puisque (selon le récit de la Genèse, le 1er livre de la Bible) il endormit Adam pour lui prélever une côte et créer Eve. Par ailleurs, après la « chute », Dieu dit à Eve : « tu accoucheras (désormais) dans la douleur ». Mauvaise traduction déclare Simpson, inventeur de l’accouchement sans douleur, qui étant fils de pasteur a appris l’hébreu. La bonne traduction c’est : « tu accoucheras avec effort ». L’accouchement sans douleur ne supprime pas l’effort de la femme.
La reine Victoria, chef temporel de l’Eglise d’Angleterre (=l’Eglise anglicane) est convaincue est accouche selon cette nouvelle méthode en 1853.

Cette histoire est typique d’un basculement sécularisateur : peu à peu l’anesthésie et l’accouchement sans douleur n’auront plus besoin de légitimation religieuse. Vous voyez que cela s’effectue sans grande laïcisation, c'est-à-dire sans mesures prises par le politique pour diminuer l’importance sociale de l’institution religieuse, son influence, son caractère officiel. En 1858, il y a certes une loi qui combat l’exercice illégal de la médecine, mais elle est prise alors que le décollage scientifique et technique de la médecine a déjà eu lieu et alors que le clergé anglican ne joue pas de rôle sanitaire, elle n’a donc rien de polémique à l’égard de l’institution religieuse.
D’ailleurs, à la fin du XIXe siècle, quand la médecine anglaise voudra prendre un pouvoir sanitaire et moral trop étendu, religion et féminisme conjugués y mettront bon ordre et les médecins seront vaincus. La médecine n’est nullement « sacralisée », comme cela fut (et est encore, dans une certaine mesure) le cas en France.

En effet, en France va dominer une logique de laïcisation, c'est-à-dire d’intervention (conflictuelle) du politique pour réduire le pouvoir, l’influence, la surface sociale de la religion et promouvoir des institutions séculières.

La loi française d’exercice illégal de la médecine date de 1803, c'est-à-dire AVANT le décollage scientifique et technique de la médecine (en retard, par ailleurs, alors sur la médecine anglaise), à une époque où les médecins ne guérissent pas plus que les « charlatans », que les Diafoirus ridiculisés par Molière. Et encore sous la Monarchie de juillet, les médecins gagnent des procès, grâce à la loi de 1803, mais sont hués par le public parce que ce dernier accorde plus de confiance à ceux qui (selon lui) guérissent qu’au fait d’avoir un diplôme de médecine.
Pourquoi cela ?
Claude Nicolet répond : parce que « nulle part ailleurs qu’en France le recours à la médecine ne deviendra aussi nettement une obligation morale liée à la nature d’un régime politique précis ». Pour Nicolet, ce régime est la République, objet de son investigation historique. Mais on peut dire la même chose de TOUS les régimes qui se réclament de 1789, qui ne disposent pas de la légitimation religieuse attachée à la Monarchie des Bourbons et qui donc ont besoin d’une autre légitimation. En France, de plus en plus, au XIXe siècle, les médecins seront anticléricaux.
La laïcisation dominera la sécularisation et on peut même se demander si elle ne la limitera pas d’une certaine manière par une conception « enchantée » et un peu magique de la médecine dont le pouvoir et l’autorité seront longtemps plus importantes qu’ailleurs.

Il en reste quelques traces : je garderai toute ma vie le souvenir de l’indignation primaire et, de mon point de vue, peu intelligente, qui a saisi la Commission Stasi au récit de 2 personnes (soigneusement choisies par le Rapporteur de la Commission) a propos de femmes ne souhaitant pas se déshabiller et se faire examiner par des médecins hommes. Tout le monde trouve normal que dans les aéroports, les fouilles au corps, même superficielles, soient faites par des personnes du même sexe. Mais quant il s’agit de médecine, poser un problème analogue relève du blasphème !
C’est même parfois l’inverse (cf la catégorie « Le grand bêtisier de la laïcité », la note « Premier bêtisier »). On est, comme l’a montré Jean-Pierre Valabréga cf La relation thérapeutique, Flamarion), dans une conception chamanique du médecin où le médecin est un homme sans être un homme.

On pourrait faire, naturellement faire une analyse analogue pour l’école.

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Résultat des courses : en Angleterre, au Danemark, etc, vous avez des pays sécularisés, c'est-à-dire des pays où la culture commune, la morale publique se réfèrent peu à la religion et pourtant où il continue d’exister une religion nationale, une religion officielle et un lien fort entre l’Etat et la religion.

Est-ce plus clair ? Je l’espère. Je vous signale que l’ouvrage qui explique le plus clairement, et de la façon la plus détaillée, cette différence entre sécularisation et laïcisation est le livre de poche que j’ai écrit avec Séverine Mathieu : Religion, modernité et culture au Royaume Uni et en France, Le Seuil, collection : Points-Histoire, paru en 2002. Celles et ceux que la question intéresse peuvent s’y référer pour mieux comprendre la différence de processus entre la france (où la laïcisation englobe la sécularisation) et la grande Bretagne (où la sécularisation englobe la laïcisation).

Et maintenant, une autre question de ma part : la notion de « religion civile » qui est également importante dans mon livre est-elle claire ? Si vous le voulez, on peut en reparler dans 15 jours.
En attendant bonne lecture.

18:20 Publié dans EDITORIAL | Lien permanent | Commentaires (5)

Commentaires

Bonjour, en effet la notion de religion civile m'a posé problème. Ce que vous appelez "nouvelle religion civile" (à la fin du chapitre X de votre ouvrage "laïcité 1905-2005, entre passion et raison") me laisse dans un flou artistique...
Je vous remercie par avance, c'est très sympa de votre part de consacrer du temps aux visiteurs de votre blog.

Écrit par : Lucas | 13/06/2005

Bonjour M. Baubérot,
je voudrait déjà réagir sur le fait que j'espère qui ni Sarah, ni Myriam ni Marion ne vont tenter le concours commun à l'entrée des Sciences Po d'Aix Lyon et Grenoble, parce que dans ce cas là, ne pas avoir compris la différence entre sécularisation et laïcisation à la simple lecture de votre livre me paraît un problème, même si elles sembent être curieuses et intéressées, ce qui leur vaut quand même mon respect. Je pense que c'est déjà très bien expliqué dans l'ouvrage (notamment p.53)...enfin bon, n'étant pas méchant par nature, je leur souhaite quand même bonne chance si jamais elles passent le concours, et leur conseil de se référer à la page 53.
Ensuite, je voudrais aussi insister, au risque de vous décevoir un peu, sur le fait que, comme un "ami blogeur" ( je dirais d'ailleurs plutôt "blogUeur") l'a souligné dans la rubrique succès, le succès du livre est en partie dû au fait que l'ouvrage ait été choisi pour "l'épreuve sur ouvrage" du concours commun d'entrée à Sciences Po Aix Lyon et Grenoble 2005, sachant que le nombre de candidats se situe entre 4000 et 5000 candidats (je n'ai pas les chiffres exacts, mais celà pourrait même dépasser les 5000). Celà n'enlève en rien le fait que j'ai trouvé que c'est un très bon livre.
Enfin, en ce qui concerne la notion de religion civile, je pense avoir compris cette notion, mais l'expliquer par écrit (même oralement d'ailleurs) assez brièvement me semble très difficile. Comme je passe le concours, et que je pense qu'une question comme celle-la pourrait tomber, je voulait savoir s'il était possible que vous donniez une définition ( en environ 200 mots si c'est possible ) assez brève de ce que l'auteur ( celà ne devrait pas être trop difficile pour vous lol) appelle "la religion civile". Au passage, si vous pouviez faire pareil pour "le conflit des deux France", ça serait parfait. J'espère que Sarah, Myriam et Marion pourront aussi profiter de vos explications.
Par contre, ça serait parfait si vous pouviez répondre le plus vite possible et pas dans 15 jours comme vous l'avez écrit, parce que le concours est le 2 juillet, donc si vous répondez le 27 juin, ce serait assez limite pour étudier votre réponse.
Merci beaucoup d'avance ! Et bonne chance à tous pour le concours!

Écrit par : Laïcisator | 14/06/2005

Rectification : je VoudraiS, avec 1 S lol, c'est vraiment honteux je sais , excusez-moi!!

Écrit par : Laïcisator | 14/06/2005

Cher Monsieur Baubérot...cela fait maintenant quelques semaines que je vais quotidiennement sur votre site.
Je tenais à vous remercier de vos commentaires et explications récurrentes.
par ailleurs Votre Humour Remet un peu de fantaisie dans la révision des concours Sc po...Qui esT..........je m'arrête là...je ne Voudrais pas être VulgaiRe & désobligeante ! ( =
bref...MERci BEAucoUp !

Écrit par : Emilie ARds de Mille Sabords | 14/06/2005

Bonjour,
Je suis actuellement en classe préparatoire en sciences politiques à Strasbourg. Comme vous le savez votre ouvrage sur la laïcité est le sujet du concours d'Aix en Provence. Je ne pourrais, malheureusement pas, participer à votre conférence à Paris.
J'aimerai donc avoir quelques précisions sur votre livre et vous remercie d'avance de bien vouloir me consacrer un peu de votre temps pour répondre aux questions suivantes :
1/ Quel est le rapport entre la laïcité et le livre : Le tour de la France par deux enfants ?
2/ Que signifie "la pratique québecoise de l'accomodement raisonnable" ?
3/ Pouvez vous m'expliquer le rapport entre l'identité nationale et la religion civile ?
4/ Pouvez vous me rappeler la théorie de Ferdinand BUISSON sur la laïcité? (est-ce que c'est le triangle de la laïcité?).
Salutations

Écrit par : M'BOLO | 17/06/2005

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