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30/11/2005

CENTENAIRE DE LA LOI DE 1905

SAMEDI 10 DECEMBRE 2005

 Organisé par un collectif d’organisations laïques (Ligue des droits de l’homme, Ligue de l’enseignement,  Maif, Mgen, Mrap, FSU, Sgen-Cfdt, FCPE, Union Rationaliste, etc)

A la BOURSE DU TRAVAIL, 33 Bd du Temple, 75003 Paris,

RENCONTRE

UNE LAÏCITE A L’ECHELLE DU MONDE AU XXIe SIECLE

De 9h à 18h30   samedi 10 Décembre

Avec des invités étrangers (M. Milot, Canada ; R. Blancarte, Mexique ; A. Herzenni, Maroc, V. Pegna, Italie ; N. Schevan, Irlande ; P. Grollet, Belgique ; J. Gunn, Etats-Unis ; N. Chabourov, Russie ; F. Mallimaci, Argentine) et français (G. Liénart, A-M. Franchi, H. Péna-Ruiz, J. Baubérot)

S’inscrire aupres de Antonia Monteiro : fax 0143589734, couriel : amonteiro@laligue.org

VENEZ NOMBREUX.

PS: Après les traductions en espagnol, arabe, vietnamien, la traduction anglaise de la Déclaration internationale sur la Laïcité est prête. La réclamer à declarationlaicite@hotmail.fr

Mon roman Emile Combes et la princesse carmélite, improbable amour (édition de l'Aube) semble bien marcher; on en reparlera.

Vous pourrez me voir dans l'émission "Entre guillemets" sur LCI (plusieurs diffusion ce week-end : vendredi 2 à 13h10, dimanche 4 à 13h40 et 17H10et lundi soir tard)  et le lundi à 11h et 17h (sauf erreur) dans un plateau sur la laïcité; pour les ami(e)s de l'Ouest je donne le fil conducteur d'un passionnant reportage sur la laïcité au quotidien "Sacré Laïcité" réalisé par Ariel Nathan, cela passe sur Fr3 région Ouest, samedi 3 à 16h10 (et cela passera le 31 janvier sur Fr3 national tard dans la soirée), m'écouter sur France Culture, lundi 5 décembre à partir de 7h30 au "Matin de France Culture" et me lire dans le quotidien gratuit Vingt Minutes (normalement)  ce même lundi 5 décembre.

RECORD BATTU EN NOVEMBRE: 5143 VISITES POUR LE BLOG.

 

23:15 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (7)

ONZIEME IMPENSE: LA SEPARATION COMME PACTE LAÏQUE

Tout d’abord je vous présente mes excuses pour le retard du onzième impensé : entre les soutenance de thèse, les cours et autres travaux professionnels, et les participations quasi quotidiennes à des manifestations du centenaire, la tenue de ce Blog est difficile. Je m’accroche cependant car, bien que novembre ait un jour de moins qu’octobre, le record de visites risque fort d’être battu et les 5000 visites mensuelles approchées voire dépassées. Merci de votre fidélité ; merci de l’intérêt que vous manifestez : partout où je vais, je rencontre des gens qui me disent consulter ce blog et y apprendre des choses. J’espère que cela continuera au delà de l’année 2005.

Le onzième impensé va tenter un bilan de la loi de 1905 comme pacte laïque et le douzième, la semaine prochaine, portera sur les suites de la loi, après le refus catholique (vu dans le neuvième impensé) confirmant que les choses ont bien fonctionné selon la logique du pacte laïque.

Ce bilan inclut des propos neufs par rapport aux impensés précédents, et reprend (rapidement) des idées déjà indiquées dans certains impensés antérieurs. Cela d’autant plus que j’écris cet impensé en lien avec le beau film sur la séparation qui va être diffusé vendredi 2 décembre à (malheureusement) 23h20 sur FR3. Je vous le recommande.
L’idée force de cet impensé consiste à dire que si la séparation a pu être un pacte laïque, ce n’est pas parce qu’elle aurait été un moment irénique, mais parce qu’elle représente plusieurs ruptures. Et l’intéressant paradoxe est que le pacte laïque est précisément le résultat de cette pluralité de ruptures.

On peut -pour se lier au film de FR3- concrétiser les ruptures par des discours prononcés lors des débats parlementaires.


La première rupture peut être saisie par le discours de l’abbé Gayraud (interprété par Claude Rich dans le film de FR3) le 21 mars 1903. Il demande à surseoir au débat et à renouer avec le Vatican. Il met en cause (comme d’autres), le principe même de la séparation. Non pas, dit-il, que le Concordat ait été un régime satisfaisant aux exigences d’une saine relation Eglise-Etat. Dans le Concordat en effet « l’Eglise (catholique) est reconnue, non pas comme la vraie religion (ce qu’elle était avant la Révolution) mais tout simplement comme la religion de la majorité des Français ».

Donc déjà, avant la séparation, existait un premier seuil de laïcisation (marqué non seulement par la reconnaissance officielle du pluralisme religieux, la possibilité du « droit à l’indifférence » en matière de religion mais aussi par l’indépendance du politique et la laïcisation de la loi avec le Code civil), une « semi-laïcité » pour parler comme Aristide Briand.

Cependant, poursuit l’abbé Gayraud, la séparation va aller plus loin en faisant en sorte que la France, «première nation catholique » du monde n’ait plus d’identité chrétienne. « L’Eglise (catholique) deviendra, dans ce pays, une association semblable à toute les autres ». Et cela est insupportable à l’abbé-député.

Donc -second seuil de laïcisation-, la séparation va compléter la laïcisation du corps politique en laïcisant l’âme même de la France c'est-à-dire l’identité nationale.

Jugement de valeur mis à part, l’abbé Gayraud est lucide : il a bien vu que la séparation n’a pas la réduction de la religion à la seule sphère privée mais la privatisation de l’institution religieuse qui, dans l’espace public, doit fonctionner comme une association.

Avec la séparation la religion ne surplombe plus non seulement l’Etat (c’était déjà le cas avec le premier seuil) mais la nation, la société civile.

Par ailleurs sa demande d’une entente préalable avec le Saint Siège est rejetée et si la notion de pacte laïque signifiait un accord entre la France et le Vatican, bien sûr que la séparation ne serait pas un pacte laïque. D’ailleurs, dans ce cas, il s’agirait plutôt d’un pacte concordataire. Dans « pacte laïque », il y a « laïque » et cet adjectif est aussi important que le nom de « pacte ».
Cette première rupture est celle du début de l’article 2 de la loi indiquant que « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ».

Seconde rupture, celle de l’article 1 : « La République assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice du culte sous les seules restrictions édictées si après dans l’intérêt de l’ordre public ». Elle peut être symbolisée par deux discours parlementaires, un venant d’un député plus à droite que les auteurs de la loi, l’autre venant d’un député plus à gauche.

Premier discours (qui n’est pas dans le film) celui de Charles Benoist (assez représentatif des propos de nombreux députés du centre et du centre droit) le 27 mars 1905. Il affirme que la séparation qui va être faite sera,  vu le projet le loi, « une séparation extrêmement libérale », ce sera « la séparation dans la liberté » qui ira « jusqu’à l’extrême libéralisme ». Mais s’il est possible de faire une séparation libérale, il ne pense pas qu’il soit possible de la « maintenir » telle dans la durée. L’Eglise catholique est trop éloignée des idéaux républicains et dans son organisation (« monarchique » a dit explicitement l’abbé Gayraud) et dans ses convictions propres.

Donc cette Eglise va être dangereuse pour l’Etat républicain, ce sera « l’Eglise armée dans un Etat désarmé » et les Républicains, « mis en demeure de choisir entre la liberté de l’Eglise ou la souveraineté de l’Etat » se soucieront « peu de la liberté de l’Eglise » et seront fatalement amenés à prendre des mesures répressives.

Autrement Benoist  qui avait combattu le combisme et refusé la réthorique de la « république en danger » se situe quand même dans l’optique d’une incompatibilité entre le catholicisme et la République laïque, il craint qu’une séparation libérale entraîne, en choc en retour de la coercition ; il va jusqu’à dire qu’on a intérêt ni que « l’Eglise soit absolument libre » (projet qui se prépare), ni que « l’Etat soit absolument maître » (choc en retour).

Benoist, finalement, est pour la continuation du contrôle de l’Eglise catholique par l’Etat que permet le système concordataire. La séparation va rompre avec ce gallicanisme d’Etat.
Maurice Allard (admirable Pierre Santini dans le film), dans une optique différente, radicalise la critique de la séparation libérale dans son discours du 10 avril.

Il demande une véritable séparation, c'est-à-dire une séparation qui » amènera la diminution de la malfaisance de l’Eglise et des religions ». Il ne comprend pas qu’au moment d’engager « le combat décisif » de l’anticléricalisme républicain on demande aux Républicains « de déposer les armes et d’offrir à l’Eglise un projet dit libéral, tel qu’elle-même n’aurait jamais osé le souhaiter ».

Pour lui parmi les malfaisances de la future loi, il y a notamment le fait qu’elle donnera la possibilité à l’Eglise catholique de « plaider contre l’Etat » et d’ « ester en justice contre des particuliers » et, particulièrement, précise-t-il, contre «nous, militants de la libre-pensée ». Pour lui, il faut poursuivre l’idée de la Révolution et il faut « achever l’œuvre de la déchristianisation de la France ».

Briand (Pierre Arditi dans le film) réplique en une formule frappante : Vous nous présentez là « un projet de suppression des Eglises par l’Etat », il ajoute : « Je supplie mes amis de la majorité républicaine de résister au désir de  faire (de la séparation) une manifestation anticléricale ». Il précise que la libre pensée doit combattre la religion avec « la seule puissance de la raison et de la vérité » et ne pas demander à l’Etat « de mettre l’Eglise dans l’impossibilité de se défendre ». Autrement dit si la loi de 1905 est, explicitement, la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, elle est aussi, implicitement, une loi de séparation entre la libre-pensée et l’Etat. Cette loi rompt avec l’anticléricalisme d’Etat républicain.

La seconde rupture est donc l’entière liberté de la religion dans les limites d’un ordre public démocratique.

 

La troisième rupture est celle que nous avons vu dans le troisième impensé du centenaire : la rupture avec l’universalisme abstrait républicain. Reportez-vous à ce qui est écrit dans ce troisième impensé (en cliquant sur la Catégorie : « Les quinze impensés du centenaire » et en déroulant les impensés, cela marche à l’envers !). Dans le film, c’est le discours de Jaurès (incarné par l’ex Thierry la Fronde, Jean Claude Drouot) qui rend compte de ce moment clef, dans les séances des 21-22 avril. Mais, en fait, le problème fut sous jacent aux débats parlementaires pendant toute leur durée.

En ajoutant, à partir d’un emprunt anglo-saxon, à l’article 4 de la loi, que les associations cultuelles qui recevraient la dévolution des biens (les églises, temples, synagogues ) devaient « se conformer aux règles générales d’organisation du culte dont elles se proposent d’assurer l’exercice » (= pour les associations cultuelles catholiques d’être en accord avec l’évêque, de ne pas faire de « schisme »), c’est l’universalisme abstrait républicain qui se trouvait remis en cause. En effet, avec l’article 4, au lieu que la liberté collective soit un simple prolongement de la liberté individuelle (ce qui était l’optique de la loi de 1901 sur la liberté d’association), la liberté collective devenait une dimension de la liberté individuelle. D’où la protestation de laïques comme Buisson (à la Chambre des députés) et de Clemenceau (au Sénat).

La culture syndicaliste de Briand (cf. le dixième impensé) le prédisposait sans doute à accepter cette conception de la liberté. Mais il fut remarqué à la Chambre par le député Grousseau, qu’avec cet article 4 « la théorie révolutionnaire en vertu de laquelle il n’y aurait en présence que l’intérêt particulier et que l’intérêt général sans intérêt intermédiaire, cette théorie a fait faillite ». La séparation tourne le dos à l’esprit de la loi Chapelier du 14 juin 1791, loi qui interdit les corporations.

 

La séparation sort d’une optique étroitement individualiste, les communautés religieuses sont, pour elles, des réalités. Mais ces communautés n’étouffent pas l’autonomie de l’individu dans la mesure où la désappartenance à ces collectivités jouit des mêmes droits que l’appartenance.

 

Un intellectuel catholique très connu à l’époque, Brunetière, au départ fort opposé à la séparation va déclarer que « la loi nous (=catholiques) permet de croire ce que nous voulons, et de pratiquer ce que nous croyons » ; c’est cela le pacte laïque .

La laïcité de 1905 en abolissant la distinction entre « cultes reconnus » et « cultes non-reconnus », en garantissant la liberté de tous, en « respectant » (l’expression est souvent revenue dans les débats : on  ne reconnaît pas, mais on respecte) les constitutions des Eglises instaure une laïcité inclusive, une laïcité de pacte, qui rompt avec l’anticléricalisme et le gallicanisme d’Etat antérieur.

 

 

 

 

 


 

24/11/2005

La manfifestation de l'Académie

L'Académie des Sciences Morales et Politiques chargée des manifestations officielles du centenaire tient son 4ème et dernier colloque sur : "LA LAÏCITE, VALEUR COMMUNE DE LA REPUBLIQUE ?" les 28-29-30 novembre prochain.

Les séances ont lieu de 9h15  à 18 h

Le Lundi 28 23, quai de Conti Paris VI:

-La laïcité, questions politiques de 1905 à 205

-Regard des religions sur la laïcitaujourd'hui

Le mardi 29 au 10 rue Alfred de Vigny, Paris VIIIe

-Religion et laïcité entre vie privée et vie publique

-Laîcité et séparation sur le terrain

Le mercredi 30 (même adresse)

-Education et laïcité

-Finalement, comment définir la laïcité.

Dans cette séance, je donne les "Conclusions générales" de ces colloques

PAR AILLEURS, JE SIGNALE QU'UNE TRADUCTION EN ARABE ET UNE TRADUCTION EN VIETNAMIEN DE la DECLARATION INTERNATIONALE SUR LA LAÏCITE sont desormais disponibles;

les réclamer à declarationlaicite@hotmail.fr

19:30 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (1)

23/11/2005

Le DIXIEME IMPENSE: LE ROLE D'ARISTIDE BRIAND

Avant de voir comment le principal auteur de la loi de séparation, Aristide Briand (1862-1932), a réussi à mettre en œuvre cette séparation, malgré l’encyclique papale (cf. neuvième impensé), il faut (à la demande de plusieurs blogueurs/blogueuses) s’arrêter un peu sur la personnalité du dit  Aristide Briand : quel est cet homme qui a réussi le virage de la poursuite de la « laïcité intégrale » à la construction d’une laïcité libérale ?

En effet, un des paradoxes de ce centenaire est le suivant : il a permis à toutes celles/tous ceux intéressé(e)s par le sujet de savoir que le véritable auteur de la loi est Briand, et non le « petit père Combes », mais sans véritablement s’interroger sur qui était Briand et pourquoi il a réussi cette sorte de mission impossible.

Le rôle de Briand était à la fois bien connu des historiens et minimisé par certains d’entre eux. Ainsi dans son Histoire de l’anticléricalisme français (Mame, 1966 et 1978), A. Mellor écrit ceci : « On a opposé le libéralisme de Briand au sectarisme de Combes et vu dans la séparation, telle qu’il l’a fit adopter par le Parlement, une  œuvre de paix (…). C’était là néanmoins une illusion. La vérité était qu’avec sa souple intelligence, Briand avait compris que seule la diplomatie permettait de parfaire l’œuvre du Combisme. (…) L’habileté de Briand fut de susciter une opposition de gauche (…) ».

Tout y est :  Mellor est obligé de reconnaître le libéralisme de la loi mais c’est pour aussitôt la nier. De même, le conflit interne aux laïques est indiqué et nié en étant réduit à une habileté tactique. En fait l’opposition laïque à Briand n’a pas été « suscitée » par lui mais venait de sa prise de distance avec l’universalisme abstrait républicain, comme je l’ai déjà expliqué.

Qui est Briand ? C’est le fils de Guillaume Briand qui tient un café à Saint Nazaire, et de Magdeleine Boucheau, lingère. Ses origines sont donc très modestes et il est, avec Combes, une des rares hommes politiques important de la troisième République à être issu d’un milieu populaire, ce qui lui vaudra le mépris de certains. Ainsi on l’accusera d’avoir grandi sur les « genoux des prostituées ». La café de Guillaume, fréquenté par des marins, des ouvriers et des artisans, sans être une maison close, devait aussi être un endroit où venait des femmes dites « peu farouches », leurs genoux en valaient bien d’autres !

Sans doute, l’enfance et l’adolescence de Briand (son oncle marin mourut en mer et, alors qu’il voulait lui-même devenir marin, il dut promettre à ses parents d’y renoncer) lui fit fréquenter des gens pour qui la vie était rude et à qui il ne fallait pas en compter. Briand sera célèbre par son humour, ses mots d’esprits, mais outre que souvent ils montraient une acuité lucide, ils étaient peut-être l’envers d’un rapport désillusionné à la vie.

Briand va être ce qu’on appelle un « boursier » (par opposition aux héritiers, nés dans la bonne bourgeoisie) : il va fréquenter le collège de Saint-Nazaire (ou le principal, M. Genty avait des méthodes très modernes, actives d’éducation) puis avoir une bourse pour poursuivre ses études secondaires au lycée de Nantes. A 18 ans il devient bachelier (et il faut préciser que moins d’1% des garçons devenaient alors bachelier, ne parlons pas des filles qui ne pouvaient pas l’être). Puis il va faire des études de droit tout en travaillant comme clerc d’avoué.

Jaurès, qui lui avait fait l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, parlait de « l’ignorance encyclopédique » de Briand. Ce trait d’humour est injuste et manifeste un certain mépris de quelqu’un qui a suivi la filière ‘noble’ de l’acquisition des connaissances pour quelqu’un qui s’est élevé socialement à la force du poignet. Sans doute le savoir de Briand comportait-il des trous. Sans doute a-t-il joué de cette (pseudo) infériorité en se faisant une réputation d’homme qui ne travaillait pas ses dossiers et improvisait souvent ses discours. Mais son intelligence était fine et lucide, et ses mots d’esprit résumaient souvent remarquablement une situation (comme quand il indiquait que « les socialistes se réunissent en scission annuelle »).

Briand commença sa carrière politique dans le journalisme et fut élu comme radical au conseil municipal de Saint-Nazaire en 1888 et battu aux législatives de 1889. Il évolua ensuite rapidement vers le socialisme et fut membre du Parti Ouvrier français de Jules Guesde. Sa carrière faillit finir avant même d’avoir véritablement commencé. Selon l’expression heureuse de l’historien Maurice Larkin, il fut pris en « flagrant délice » dans les près de Toutes Aides avec Jeanne Nouteau-Giraudeau, la femme d’un banquier et les deux amants furent condamnés respectivement à un mois et à dix jours de prison pour « outrage public à la pudeur ».

Mais le procès put être cassé pour vice de forme et il s’avéra qu’un des témoins avait été payé pour assister à la scène. Un acquittement fut finalement prononcé. Cette affaire poursuivra cependant Briand sa vie durant ; ils y eu des propos haineux à son encontre (là encore, il avait socialement transgressé en ‘prenant’ la femme d’un bon bourgeois), d’autres furent plus humoristiques, tel celui qui le définissait comme « un sans-culotte à la recherche d’un pantalon ».

Socialiste, Briand devint, avec son ami Pelloutier (étudié en son temps par Jacques Julliard), un théoricien de la grève générale. Il était proche des milieux syndicalistes et anarchisants et s’opposait, dans les congrès syndicaux et ceux du POF, à Jules Guesde et à Paul Lafargue, le gendre de Karl Marx. Pour lui, la révolution socialiste ne passait pas par une insurrection violente, promise à une répression sanglante, mais par une grève générale réussit, moyen insurrectionnel et légal à la fois.

En 1895, il proposait de la préparer pendant 5 ans et de la faire juste avant l’Exposition Universelle prévue en 1900 à Paris pour lui donner le maximum d’impact.

Briand, qui était devenu parisien, était donc connu des militants socialistes, mais pas des électeurs et il se présenta sans succès aux législatives de 1993 et de 1998 à Paris. Il fut un collaborateur régulier (et un temps rédacteur en chef et même directeur) de La Lanterne, publication fort anticléricale et, au départ, assez friande de faits divers (et quand ces faits divers mettaient en cause le clergé, c’était encore mieux !). Il releva le niveau de ce journal, y tenant une rubrique sociale et y faisant écrire de leaders socialistes (Viviani, Rouanet, Millerand, Jaurès).

Briand était un militant de la libre-pensée depuis les années 1880 (il avait représenté sa section en 1885 aux obsèques de Victor Hugo). Il a écrit plusieurs articles anticléricaux, et en même il avait un rapport distancié à l’anticléricalisme (comme plus généralement au politique). On raconte qu’il téléphonait en pleine nuit à un autre collaborateur de La Lanterne, spécialisé dans l’anticléricalisme de bas étage et quand ce dernier demandait qui était à l’appareil, il répondait : « Je suis le péril clérical ».

Ce rapport distancié à la vie lui a permis de sauver Jaurès (qu’il avait suivit au Parti Socialiste français, différent du Parti Socialiste de France de J. Guesde) d’une situation fâcheuse. La fille de Jaurès avait fait sa première communion, ce qui, s’ajoutant à d’autres désaccords (Millerand était devenu ministre socialiste du gouvernement « bourgeois » de Waldeck Rousseau) semblait à des militants la goutte d’eau qui faisait déborder le vase. Jaurès devait donc affronter une assemblée houleuse et semblait près d’être mis en minorité. Il expliquait, assez piteusement que c’était sa femme qui avait voulu que leur fille fasse sa première communion, et qu’il ne pouvait pas faire de sa femme ce qu’il voulait (piteusement car c’était très mal vu alors pour un homme d’avouer qu’il ne portait pas la culotte dans son ménage !!). Au milieu des huées, un militant dans la salle crie « Moi, j’aurais étrangler ma femme ». Briand alors de dire : « Parfait, au moins vous auriez pu ainsi l’enterrer civilement ». Toute la salle éclate de rire et la tension retombe complètement.

Sans doute parce qu’il n’était pas doctrinaire, mais se positionnait par rapport à une situation, Briand était un remarquable tacticien. On pourrait en donner mille exemples. Un seul ici, justement à propos du conflit sur Millerand. Au congrès du PSF, une motion est rédigée disant que Millerand « s’est lui-même placé hors du parti », ce qui est la manière habituelle d’exclure quelqu’un. Briand déclare alors qu’il faut une formulation plus précise et écrit que Millerand « s’est placé hors du contrôle du parti », ce qui change le sens : Millerand n’est pas exclu, simplement le parti n’est pas engagé par sa participation. Cela fut voté.

Tacticien ou stratège ? On a reproché à Briand d’être avant tout un ambitieux, de manquer de conviction. Mais alors, il aurait eu tout intérêt à rester radical plutôt que se marginaliser en participant aux petits groupements socialistes. En fait, je pense qu’il avait quelques convictions fortes et pas mal de réalisme. Ainsi, dans son opposition à Guesde, il voyait loin. Guesde, en bon marxiste, affirmait que la révolution aboutirait à la dictature impersonnelle du prolétariat. Briand rétorquait que la dictature n’aurait rien d’impersonnel et que ses premières victimes ne seraient pas chez l’ « ennemi de classe » bourgeois, mais bel et bien dans les rangs socialistes eux-mêmes. L’histoire de l’URSS a démontré la justesse de ce point de vue.

En même temps Briand a exercé sa profession d’avocat défendant des journalistes, des syndicalistes, etc. L’affaire la plus connue est celle du Pioupiou de l’Yonne (pioupiou = soldat) où Briand défendit Gustave Hervé poursuivit pour appel à la désertion, propagande antimilitariste dans les casernes, apologie de l’antipatriotisme. Il le fit acquitter.

En 1902, en mai,-à sa quatrième tentative- devient député de Saint-Étienne. Il entre ainsi au Parlement où il est parfaitement inconnu. Et en moins d’une législature il va devenir un homme politique de premier plan, à tel point que sa réussite fulgurante va provoquer des jalousies dans son propre camp.

Cette ascension rapide, Briand le doit à son talent et aussi à deux circonstances où il fut l’homme de la situation. La première fut, dés l’automne 1902, une grève des mineurs qui eut lieu dans toute la France. Près de Saint Etienne, le 11 octobre, un gendarme, bousculé par des grévistes, tira et tua l’un d’entre eux. La colère montait et l’enterrement risquait fort de donner lieu à des affrontements. C’était le premier gouvernement d’union de la gauche (avec soutien socialiste sans participation). Combes demanda conseil à Jaurès qui le renvoya sur Briand. Briand convainquit Combes de retirer la troupe. A l’enterrement pas un soldat ne se montra, Briand fit assurer le service d’ordre par les mineurs eux-mêmes et malgré l’affluence et l’émotion tout, y compris la dispersion, se passa dans le calme.

A cette occasion, Briand fit un discours rappelant qu’un ouvrier était mort, que sa famille avait droit à des réparations et que le gendarme devait être sanctionné. Non seulement le discours était remarquable mais il renvoyait à autre chose que lui-même : Briand avait su prendre des risques et fabriquer du non événement. Il avait tiré le Bloc des gauches d’une situation épineuse.

La seconde occasion fut l’élection de la Commission sur la séparation des Eglises et de l’Etat en juin 1903. Les radicaux la boudèrent, le socialiste Francis de Pressensé (alors beaucoup plus connu que Briand, vu le rôle éminent qu’il avait joué pendant l’affaire Dreyfus) ne fut pas élu. L’abstention des radicaux fit que les socialistes se trouvaient sur représentés. Le radical socialiste, Ferdinand Buisson, figure emblématique (ancien adjoint de jules Ferry lors de la laïcisation de l’école publique) fut nommé président. Il fallait un socialiste comme rapporteur. Jaurès, qui l’avait vu à l’œuvre, proposa Briand.

Celui-ci bénéficia donc du fait qu’en juin 1903, la séparation n’était pas encore vraiment  à l’ordre du jour. Beaucoup de députés n’y croyaient pas. Maurice Larkin écrit que la Commission devait être un cimetière plus qu’un atelier. De ce cimetière, Briand fit un atelier. Christophe Bellon qui prépare une thèse sur le rôle de Briand à cette époque souligne le fait que plusieurs membres de la Commission étaient de nouveaux députés, ce qui rendait plus facile peut-être le dépassement des clivages habituels.

En tout cas, dès ce moment, Briand arriva à donner un esprit collectif à une Commission où 17 membres étaient favorables à la séparation et 16 opposés. Il instaura une méthode de travail où les avis des uns et des autres étaient pris en compte. Mais quand on y pense, c’est assez extraordinaire de songer qu’au même moment il y a avait du quasi pugilat sur la « question religieuse », le problème des congrégations, dans les débats de la chambre et cette Commission qui travaillait calmement, sereinement pour bâtir une proposition de loi sur le sujet brûlant de la séparation. Il faut lire à ce sujet l’article de Ch. Bellon  (dans la revue XXe siècle, juillet –septembre 2005) sur « Aristide Briand du travail en commission au vote de la loi ».

Certains reprochent à Briand ce qu’ils appellent son « habileté ». Mais je crois que cela va plus loin que de la simple habileté. Briand a un sens aigu  de la complexité des choses. Il déteste les doctrinaires et le sectarisme. C’est un passionné de politique, mais il ne se laisse pas englobé par la politique. Par ailleurs, il est libre penseur mais il est aussi Breton : il sait que l’attachement au catholicisme déborde le cercle des pratiquants. Ferry était lorrain, Briand breton. Ce n’est sans doute pas un hasard.

Briand va, ensuite, être 22 fois ministre et 10 fois président du Conseil. Son action en faveur d’une réconciliation franco-allemande et d’une construction de l’Europe lui vaudra le prix Nobel de la paix en 1926. Il est mort en 1932 et… l’année suivante, Hitler arrivait au pouvoir en Allemagne. A court terme son action a donc été un échec, mais elle peut retrouver aujourd’hui une certaine actualité.

Est sans doute également actuel sa façon distanciée de faire de la politique et son rapport à la vie qui font qu’on ne peut en parler que de façon un peu paradoxale : son premier biographe, G. Suarez, auteur d’une vie de Briand en 6 volumes (1938-1952), intitule le 1er : « le révolté circonspect » et le second : « le faiseur de calme ». G. Unger, qui vient de faire paraître une biographie de Briand chez Fayard le qualifie de « ferme conciliateur ».

Le centenaire de la loi de 1905 marque une réévaluation sociale du rôle de Briand à cette époque. C’est peut être le point de départ d’une réévaluation plus générale de son œuvre. 

En même temps, cette réévaluation du rôle de Braind dans la'élaboration de la loi et sa mise en oeuvre pose une nouvelle fois la question de l'importance de l'individu et du conteingent en histoire  : supposons qu'il ait été une nouvelle fois battu en 1902, la loi de 1905 et ses suites auraient-elles été ce qu'elles ont été. On peut se poser la question tant il fut "faiseur de calme".

 

21/11/2005

Semaine du 22 au 28 novembre

Cher(e)s Ami(e)s du Blog

Je suis juste de retour après une dizaine de jours passés à Tokyo pour une passionnante comparaison entre laïcité française et laïcité japonaise, dans le contexte de ce qui se passait en France et qui (au début du séjour du moins) faisait les gros titres de la télévision japonaise. On reviendra sur ces événements pour les ‘ruminer’, il est possible de dire tout de suite que cela montre la faillite de l’universalisme abstrait, qui n’a (en fait) rien de vraiment universaliste. En tout cas, vu de l’étranger, la faillite du « modèle français » est patente, même si cela ne va pas forcément beaucoup mieux ailleurs. Plus que jamais la conjuguaison de l'unité et de la diversité est à l'ordre du jour; plus que jamais  les contradictions d'une société qui pousse à croire que le bonheur est dans la consommation, alors même qu'elle multiplie les injustices sociales, culturelles et (il faut bien employer le mot car son refus est un alibi) "ethniques", ces contradictions sont également patentes.

 

Par ailleurs, j’ai appris que des étudiants japonais interessés par la laïcité sont des surfeurs réguliers du blog. Je les salue amicalement

Vu tout ce que j’ai trouvé comme travail en rentrant à Paris, je ne peux vous donner un nouvel Impensé aujourd’hui lundi 21. Mais rassurez-vous ce sera chose faite mercredi 23.

En attendant, le centenaire de la loi de 1905 bat son plein, il y a des manifestations partout en France. Hélas, je ne peux que répéter aux blogeuses et blogeurs qui souhaiteraient m’inviter que je suis archi, archi pris jusques et y compris janvier. Cela a été la déferlante et il y a quand même le travail professionnel a assurer d’abord.

Cette semaine, je vous signale :

-Je débats avec Jacky Simon (médiateur de l’Education nationale) sur « Ethique de la laïcité dans l’espace public », à l’Espace Quartier Latin, 37 rue Tournefort, Paris V le JEUDI 24 NOVEMBRE à 20 H.30

-Samedi 26, je suis a NICE où il y a un colloque sur la Laïcité les 25 et 26 novembre (renseignements : Commission du Centenaire de la loi de 1905, tel : 0493886570, courriel : gf.prtl.06@wanadoo.fr

-Dimanche 27 novembre, dans le cadre de la SEMAINE DE LA LAÏCITE du 27 novembre au 2 décembre, Mairie de Paris, Mairie du 12° arrondissement, à l’Espace Reuilly, 21 rue Hénard, PARIS XII. Colloque toute la journée, je participe, avec J. Costa-Lascoux et J-M Quillardet à la séance du matin (10h-12h30) sur l’Historique de la loi de 1905.

Le 30 novembre, au matin, je serai à Poitiers, mais nous en reparlerons.

Enfin, je vous signale une manifestation également importante: celle organisée par la Ligue de l'enseignement au Salon de l'Education, le 27 novembre au matin (au même moment donc que le colloque de la Mairie du XIIe) sur Laïcité de l'Ecole et diversité culturelle et religeuse. S'inscrire par fax: 014040 79 26 ou par courriel: sbiache@laligue.org

Bonne semaine, et à mercredi pour le dixième Impensé

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12/11/2005

LE NEUVIEME IMPENSE DU CENTENAIRE

Nous avons vu, dans les précédents Impensés du centenaire, que la loi de 1905 marque la victoire des accommodateurs et sur les laïques intransigeants (Allard, Vaillant,…) qui souhaitaient une séparation qui continue l’anticléricalisme d’Etat, et sur les laïques strictement républicains (Buisson, Clemenceau,…) qui voulaient que la République, à partir du moment où la séparation était faite, ne tienne pas compte des spécificités des Eglises (et surtout de l’Eglise catholique).

Briand, au contraire, a martelé, durant les débats parlementaires, qu’il fallait que la loi soit « acceptable » par elle(s). Le projet de la Commission, que d’aucuns trouvaient déjà trop libéral, a été assez largement amendé en tenant compte des objections présentées par l’opposition.

Nous reviendrons sur certains aspects importants de la loi. Ce nouvel Impensé veut, tout de suite, traiter d’une question souvent posée lors des manifestations du Centenaire : « mais alors, pourquoi la loi a-t-elle été rejetée par les catholiques ? »

 

Question fondamentale dont la réponse est la suivante : malgré ce que l’on dit, trop rapidement, la loi de 1905 n’a pas été rejetée par les catholiques. En fait, elle a été l’objet d’un conflit interne entre catholiques.

 

Voyons cela de plus prés : votée le 3 juillet par les députés (341 voix contre 233) et le 6 décembre par les sénateurs (179 voix contre 103) Elle est signée le 9 décembre par le président Loubet et paraît le 11 au Journal Officiel. Des articles importants, comme celui qui assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice du culte ou celui qui donne la jouissance gratuite des lieux de culte (églises, temples, synagogues), qui sont propriété publique, aux associations créées pour l’exercice des différents cultes (=religions) ont été votées à la quasi unanimité.

 

Il semblait donc que la loi serait appliquée. Ainsi la gratuité des locaux coupait court à la stratégie de refus de payer un loyer qui était suggérée au pape par des catholiques jusque boutistes : si, grâce à ce refus, disaient certains, « nous sommes réduits à dire la messe dans des refuges improvisés, alors l’illusion (= de la liberté de culte) ne sera plus, la persécution sera évidente »[1]. Dans cette optique, la séparation était considérée comme une persécution implicite, sournoise ; il valait donc mieux la rendre implicite, manifeste.

 

Le 11 février 1906, le pape Pie X adresse à l’ensemble des Français une Encyclique Vehementer Nos. Pour lui « la promulgation de la loi, en brisant violemment les liens séculaires par lesquels votre nation était unie au Saint Siège apostolique, crée à l’Eglise catholique, en France, une situation indigne d’elle et lamentable à jamais ». Il est clair que la fin de toute  dimension catholique dans l’identité nationale française est particulièrement insupportable au pape.

La séparation, poursuit Pie X, est « une abrogation unilatérale du concordat » et « la négation très claire de l’ordre surnaturel ». En effet, elle limite « l’action de l’Etat à la seule poursuite de la prospérité publique » sans s’occuper de « la béatitude éternelle proposée à l’homme quand cette vie si courte aura pris fin ». Enfin, le contenu de la loi est sévèrement critiqué, sans qu’il soit tenu compte de l’article 4. Cependant le pape ne se prononce pas sur ce qu’il faut faire[2]. Et à une forte condamnation de principe pouvait correspondre une acceptation de fait.

Briand comptait sur cette double réponse et il avait affirmé : “ La réforme ainsi faite (sera) d’une application facile. ” L’avenir immédiat va lui donner tort. De grands laïcs catholiques, certains cardinaux et évêques paraissent bien disposés. Certains catholiques, membres des différentes Académies, vont demander à leur hiérarchie d’accepter une loi qui, disent-ils,  ne nous empêche « ni de croire ce que nous voulons ni de pratiquer ce que nous croyons » (Le Figaro, 26 mars 1906).

 

D’anciens congréganistes, la presse catholique et le peuple catholique de l’Ouest, au contraire, estiment que le libéralisme de la nouvelle loi constitue un leurre : son application sera “ persécutrice ”. En effet, on avait prétendu en 1901 que l’autorisation des congrégations serait la règle, ensuite elle fut systématiquement refusée. Il faut donc résister de façon préventive. La querelle éclate sur une mesure transitoire prise à la demande de députés catholiques : l’inventaire des biens, effectué conjointement par les deux parties pour éviter tout vol (art. 3). Cette décision d’inventaire, suite à une circulaire fort malhabile, fut considérée par certains comme pouvant entraîner un viol d’objets sacrés. Des affrontements ont lieu, d’abord dans 2 paroisses parisiennes, puis notamment là où la résistance à la Constitution civile du clergé de 1790 avait été la plus vive[3]  On déplore un mort en mars 1906. La troupe est intervenue et les images et photographies publiées par la presse ressemblent à celles des années 1902-1903, au moment le plus chaud de la lutte contre les congrégations.
 
La crise des inventaires entraîne la formation d’un nouveau cabinet dont le ministre de l’Intérieur, Clemenceau, a une réputation de laïque très strict. Il indique pourtant aux préfets d’opérer l’inventaire que lorsqu’il “ pourra s’accomplir sans conflit ”.
Ce nouvel apaisement républicain favorise la victoire du “ Bloc des gauches ” aux élections de mai 1906 : la séparation est donc validée par le « suffrage universel »  (en fait seul les hommes votent).
Cette victoire des « séparatistes » aurait pu pousser le pape vers la conciliation. Elle renforce, au contraire, son intransigeance car elle signifie qu’il n’obtiendra pas  un renoncement  légal à cette séparation.

 

Pourtant, usant des libertés nouvelles permises par la loi de séparation, le pape a nommé 14 nouveaux évêques dits « nés pour la guerre » (avant 1905, les évêques étaient nommés par le gouvernement). Pendant ce temps, Mgr Chapon, évêque de Nice, agit, lui, pour l’application de la loi.
Fin mai 1906, l’épiscopat français se réunit pour la première fois depuis la Révolution (une assemblée d’évêques ne pouvait avoir lieu, avant la séparation, qu’avec l’autorisation du gouvernement et aucun gouvernement, même les plus « cléricaux », n’avait donné d’autorisation).
Après avoir condamné le principe de la loi (72 voix contre 2), les évêques pensent, malgré les pressions de Rome, « possible d’instituer des associations cultuelles à la fois canoniques et légales » (48 contre 26) et  ils approuvent un projet de statut présenté par Mgr Fulbert-Petit, archevêque de Besançon (59 contre 17). A l’accommodation républicaine répond donc une accommodation catholique. Mais ce vote reste secret.

 

Il vaut la peine de regarder de près ce que prévoyaient les statuts proposés par les évêques. Maurice Larkin l’a fort bien résumé : « Aucune association ne pouvait être instituée sans l’accord de l’évêque et le fondateur devait être un prêtre  agréé par lui. Elle devait non seulement faire partie de l’union diocésaine de l’évêque mais toute décision importante était sujette au consentement de ce dernier. Chacun des membres devait faire une déclaration d’allégeance à la hiérarchie et prouver à l’évêque qu’il était catholique pratiquant. Par ailleurs, les fonctions de l’association étaient strictement limitées aux questions financières et administrative, laissant intacte l’autorité spirituelle de l’évêque »[4]

 

Voila qui verrouille la situation et aurait du rassurer le Saint Siège. Cela d’autant plus que Briand, dès le débat parlementaire, avait prévu que l’Eglise catholique donnerait aux associations « une formule, un statut qui sera uniforme dans la France entière » et assurerait sa pérennité. Mais le pape estime que son prestige international est mis à mal par la dénonciation du Concordat et, l’ouvrage cité de Maurice Larkin le montre très bien, il craint une contagion de l’exemple français en Espagne, Portugal et Amérique latine (Bolivie notamment). La résistance qui a eu lieu face aux inventaires permet à Pie X d’espérer un sursaut du « peuple catholique » au détriment d’une hiérarchie jugée trop molle.
Dans cette optique, une franche « persécution » lui semble préférable à des « accommodements trompeurs », aux « misérables avantages matériels de la loi de séparation ». L’heure est donc à la résistance contre « toutes les forces du mal », les ennemis extérieurs comme « la maçonnerie internationale », mais aussi les adversaires internes comme le modernisme théologique et la démocratie chrétienne[5]
 
L’Encyclique Gravissimo Officii (10 août 1906) donne donc l’ordre aux catholiques de ne pas se conformer à la loi. Cette encyclique[6], destinée une nouvelle fois au peuple français, refuse toute forme d’associations canonico-légales et affirme « Nous (=pape) devons pleinement confirmer de notre autorité apostolique la délibération presque unanime de (l’)assemblée (= des évêques) ». Tour de passe-passe (« mensonge de fort calibre » dira même Mgr Lacroix) puisque cette « condamnation presque unanime », en fait, n’était qu’une affirmation de principe et qu’ensuite un projet de statut avait été adopté à une forte majorité.
 
Le jugement de Maurice Larkin est sévère : « L’historien demeure surpris qu’un homme de la qualité morale de Merry del Val (=le conseiller de Pie X, rédacteur de l’encyclique) ait eu recours à un tel procédé, et il se demande pourquoi Pie X, futur saint de l’Eglise, a apposé sa signature au bas d’une encyclique à la sincérité aussi ambiguë. Si Rome n’était pas prêt à admettre une différence d’appréciation avec les évêques, il aurait mieux valu que l’encyclique ne fît aucune mention de l’assemblée ». Et il cite une phrase du pape qui donne peut-être la clef de cette affaire : « Les catholiques français sont lâches et ils ont la tête aussi dure que les Allemands, ce qui n’est pas peu dire »[7].

 

Nous le verrons au prochain impensé, la soumission des catholiques français à l’ordre du pape de ne pas se conformer à la loi sera d’autant plus nette que le gouvernement, après quelques hésitations, n’encouragea aucunement les velléités de résistance. Mais cela ne doit pas faire oublier que ce ne sont pas les catholiques français, ni même les évêques, qui ont décidé de ne pas se conformer à la loi. C’est le pape qui le leur a ordonné. En fait, au conflit entre laïques a correspondu un conflit entre catholiques. Les accommodateurs laïques l’ont emporté ; grâce au pape, les intransigeants catholiques ont gagné. La victoire de ces intransigeants ne remet-elle pas en cause le succès des premiers ? Une séparation accommodante est-elle encore possible après l’encyclique ? C’est ce que nous verrons avec le prochain Impensé. A suivre….

 

 



[1]Cité par M. Larkin, L’Eglise et l’Etat en France, 1905 : la crise de la séparation, Privat, 2004, 167. Comme nous l’avons déjà indiqué, cet ouvrage d’un historien britannique est unanimement considéré par les historiens français comme étant le meilleur ouvrage sur la séparation
[2]On trouvera les principaux passages de cette encyclique dans D. Moulinet, Genèse de la laïcité, Cerf, 2005, 170-178.
[3]P. Cabanel, La révolte des inventaires,  J .-P. Chantin - D. Moulinet (éd.), La séparation de 1905, Les Ed. de l’Atelier, 2005, 102.

[4] M. Larkin, ouvrage cité, 189s.

[5] Cf. M. Larkin, ouvrage cité, 213-217, 229.

[6] Principaux passages dans D. Moulinet, ouvrage cité, 182-184, mais, malheureusement, avec un chapeau erroné.

[7] M. Larkin, ouvrage cité, 227, 228.

07/11/2005

HUITIEME IMPENSE: L'INFLUENCE DE L'ORIENT

Avec ce huitième impensé, je m’aventure un peu. J’ose poser la question : la laïcité, cette soi-disant exception française n’aurait-elle pas bénéficié d’une certaine influence orientale qui aurait favorisé la mutation culturelle que représente la loi de 1905 ?

 

A moment de l’élaboration de la morale laïque, Jules Ferry trouve dans l’exemple du bouddhisme la possibilité de dissocier morale et christianisme : « Cette religion encore si vivace, affirme-t-il, a une morale, des principes, un idéal véritablement pour le moins aussi pur, aussi exquis que l’idéal chrétien le plus exigeant et le plus raffiné. (…) Dans la morale bouddhiste, on étend la charité jusqu’aux animaux et aux plantes. Cela prouve qu’une morale fondée sur la pratique la plus exigeante, la morale du dévouement par excellence,  peut exister avec des dogmes qui ne ressemblent en rien aux dogmes chrétiens. Dans le bouddhisme il n’y a ni peines ni récompenses. »

Ce dernier point est à référer à l’opposition de Jules Ferry aux « dogmes » de la « religion civile » selon Jean-Jacques Rousseau où la récompense des justes et la punition des méchants dans l’au-delà permet de réconcilier morale et justice, puisque l’on constate que, sur terre, des méchants prospèrent et des justes ne sont guère socialement récompensés de leurs ‘bonnes actions’.

A noter que dans les leçons de la morale laïque, les « devoirs envers les animaux » seront enseignés à une époque où l’on y était moins sensibles qu’aujourd’hui (la Société protectrice des animaux venait de se fonder)

 

« Dans le bouddhisme il n’y a ni peines ni récompenses ». Des spécialistes du bouddhisme m’ont indiqué leur désaccord avec cette affirmation. Mais peu importe : l’important pour moi est l’intérêt de Ferry pour le bouddhisme, la légitimité qu’il lui donne à une époque où, certes, il y avait un attrait pour l’Orient chez des artistes et quelques intellectuels, mais où prédominaient des discours sur la « supériorité de la race blanche sur les autres races ».

Or Ferry lui pensait que l’on pouvait apprendre quelque chose de l’Orient ; preuve en est qu’avant de rendre l’instruction obligatoire il avait demandé à son ministère d’enquêter sur les pays où l’obligation était déjà réalisée dont le Japon qui venait de l’instaurer.

 

La volonté de prendre ses distance avec la morale chrétienne et sa « charité », ainsi que de la manière dont morale et justice se réconciliait dans l’au-delà pour la religion civile amena les inventeurs de la morale laïque à élaborer ce que l’on appela alors la « doctrine de la solidarité ». Une de ses références en fut Confucius.

La morale laïque insiste sur les « biens » que nous trouvons à notre naissance : maisons, outils, nourriture, livres, etc, bref un ensemble de « richesses » dues à un travail séculaire. Il s’agit des « bienfaits des morts », car la plupart des personnes qui ont œuvré pour obtenir un tel degré de civilisation sont décédés.

La morale laïque affectionne cette maxime : « les morts sont morts mais le bien qu’ils ont fait ne meurt pas ».  

Après de semblables leçons, quand l’instituteur demande : « à qui devons nous de la reconnaissance ? » l’élèves parle de diverses catégories d’adultes (parents ; maîtres d’école, …) puis il cite les « ancêtres » : grâce à leurs « bienfaits », les morts acquièrent ce statut. Référence peut être alors faite à Confucius : on parle de « vénération des ancêtres » ; il est même parfois dit que « le culte des ancêtres » est un « culte légitime ». Dans cette optique le passé, loin de représenter quelque chose d’archaïque dont il faudrait se détourner,  est le temps de l’amélioration progressive de la société, grâce au travail de ces « ancêtres » qui ont amené la société française à l’état de civilisation où elle se trouve. Les ancêtres ont été les agents du progrès.

 

Une citation de Confucius est mise pour clore le très populaire Manuel d’éducation morale civique et sociale signé « E. Primaire ». Un autre manuel très utilisé , celui de Dès, insiste sur le fait que la morale confucéenne estime que la règle d’or de la morale est la réciprocité et se caractérise par l’absence d’invocation d’une rétribution dans l’au-delà. La conscience du rôle joué par les ancêtres, la dette que l’on a contracté à leur égard, la considération de l’éducation comme facteur d’amélioration constante, les nécessités de la vie sociale doivent suffire à fonder la morale.

 

Dans la vision de l’histoire de la morale laïque on trouve une sorte de ‘confucianisme républicain’. C’est une façon d’indiquer que si morale et justice ne réconcilient pas toujours au niveau de chaque individu, cela s’effectue au niveau de la société comme ensemble collectif d’individus solidaires. Le « bien » effectué par chacun contribue à l’amélioration de la société (dont tous bénéficient) ; le « mal » contribue à sa détérioration et, au bout du compte, tous en pâtissent.

 Le ‘confucianisme républicain’ cherche donc un équilibre entre la valorisation du passé et la projection dans l’avenir ; et également entre l’individu et la société.

 

Il faut savoir que cette « doctrine de la solidarité » n’est pas seulement enseignée aux écoliers, c’est une morale d’adultes qui est diffusée à haute dose pendant les premières années du XXe siècle. Dés lors, on ne peut que constater une affinité entre cette morale et la manière dont (comme nous l’avons vu dans ce précédents Impensés du centenaire) les débats de la séparation valorisent les « traditions respectables » et se situent dans une perspective où la liberté collective est une dimension de la liberté individuelle et non son simple prolongement ; perspective qui, nous l’avons vu, rompt avec l’universalisme abstrait républicain.

 

Sans vouloir majorer la chose (en faire une cause unique), il est donc possible de dire

1)      qu’il y a eu une nette référence à l’Orient dans la morale laïque

2)      que cette référence a contribuer à créer un climat culturel favorable aux originalités de la loi de 1905 par rapport aux lois précédentes.

 

Dernière précision : comment les pères fondateurs de la morale laïque connaissaient-ils Confucius ? Via les Lumières, par les écrits du jésuite italien Matteo Ricci (1552-1610) qui, le premier a attiré l’attention de l’Occident sur ce savant chinois. N’est-ce pas paradoxal que cette référence confucéenne puise aux écrits d’un jésuite, alors que les jésuites ont été les bêtes noires des laïcisateurs  et que l’antijésuitisme a été leur tasse de thé!

Double leçon : la laïcité française s’est construite en partie grâce à ce que les historiens appellent les transferts culturels ; parmi les passeurs de culture on trouve ceux que l’on considérait alors aussi mal que les « intégristes » et autres « membres des sectes » aujourd’hui !

 

Sur la morale laïque et ses sources : J. Baubérot, La morale laïque contre l’ordre moral, Le Seuil, 1997

Sur l’antijésuitisme : (notamment) M. Leroy, Le mythe jésuite de Béranger à Michelet, PUF, 1992

 

PS : un mot sur ce qui est en train de se passer dans certaines banlieues. Le rapport de la Commission Stasi contenait quelques excellentes pages sur les « discriminations rampantes » (p106-108) et  exprimait le souhait « que la politique de lutte contre les discriminations urbaines soit une priorité nationale » (p. 116). Que n’a-t-on écouté cela !

 

2ème PS : petit rappel : la présentation du roman Emile Combes et la princesse carmélite, improbable amour le vendredi 11 novembre à 18H15 sur FR3 dans l’émission « Un livre, un jour ».

 

 

 

 

01/11/2005

BLOG, CENTENAIRE ET AUTRES JOYEUSETES

D’abord, hip hip hip hourra, record largement battu pour la consultation de ce blog : 4974  en octobre (précédents records : septembre : 4383 et juin : 4162). Pas mal pour un blog sérieux qui n’est pas celui d’un ex-premier ministre ou d’une beauté se montrant en photos parée comme au jour de sa naissance !

Il faut dire que la commémoration bat son plein, sans tambour ni trompette mais à partir du riche réseau associatif en France métropolitaine (j’étais à Caen il y a peu, cf d’autres déplacements ci après), Outre-mer (j’ai présidé à Saint-Denis de la Réunion un passionnant colloque sur « la laïcité dans l’Océan indien ») et à l’étranger (depuis 5 semaines je suis allé à Tallahassee, capitale de la Floride, Montréal, New York, Sofia -sans voir Sylvie Vartan, hélas-, Moscou et Berlin ; en novembre j’irai à Tokyo, en décembre à Bruxelles et Bratislava).

Ensuite, quelques nouvelles du roman Emile Combes et la princesse carmélite, Improbable amour (l’Aube) : il est signalé dans le numéro de novembre de Ca m’intéresse parmi les 3 livres à lire pour le centenaire de la séparation des Eglises et de l’Etat, il est également signalé dans le mensuel de nos amis laïques belges  (n° d’octobre) Espace de liberté (qui comporte également une bonne critique de mon autre ouvrage : La Laïcité à l’épreuve, religions et libertés dans le monde) ; je le présenterai sur FR3 le vendredi 11 novembre à 18 heures 15 dans l’émission Un livre un jour. J’ai donné des interviews à Vingt minutes et à France-Info mais je ne sais pas encore quand elles paraîtront. A suivre

Enfin, notez sur vos tablettes :

-         les 4-5 novembre à Nîmes le colloque : « Un siècle pour vivre ensemble, la loi de séparation des Eglises et de l’Etat a 100 ans », au Carré d’Art (organisé par la Ligue des droits de l’homme, le cercle Condorcet, le Cercle Crémieux, le Service  Incroyance et Foi de l’Eglise catholique, la Société d’histoire du protestantisme). Renseignements : catherine.bernie-boissard@wanadoo.fr

-         le lundi 7 novembre à 20h,  au Forum-104, 104, rue de Vaugirard, 75006 Paris (tel 0145440187), je donne une conférence : « Dans la république laïque, quel espace pour le religieux ? » (Attention, c’est payant car il y a une collation)

-         du 10 au 12 novembre, les fameux ENTRETIENS D’AUXERRE. Pour une fois il ne sera pas question de la séparation et de l’avenir de la laïcité (on en a parlé l’an dernier et je vous recommande les Actes parus aux éditions de l’Aube) mais d’un autre sujet très important : Disposer de la vie, disposer de la mort. Renseignements : collographe@club-internet.fr

En attendant ces différentes festivités, voici  juste après cette petite Note, LE 7èME IMPENSE DU CENTENAIRE DE LA SEPARATION/ La séparation et l'Outre-mer. Et je vous convie à  surfer pour relire les 7 Notes sur Combes (cf. catégorie Emile Combes. Je rappelle que le Blog se déroule à l’envers et donc cela commence par la septième  et finit par la 1ère !) et les 2 Notes sur Les Débats à la Chambre, ensuite relisez tous les impensés, et cela vous fait pratiquement un (excellent, bien sûr !) ouvrage gratuit sur le processus de la séparation, avec en plus le terrible suspens sur les prochains impensés ! Comment arrivez-vous encore à dormir ?

N'oubliez pas non plus si vous travaillez dans une université, dans un IUFM, au CNRS ou équivalent, en france ou ailleurs, si vous animez une association, ou simplement si vous etes intéressé(e) que vous pouvez participer au débat lancé par la Déclaration internationale sur la laïcité ET SIGNER LE TEXTE, FAIRE DES REMARQUES, etc. Cliquez sur la catégorie "Monde et laïcité" pour avoir le texte de la Déclaration. Envoyez vos observations et votre signature à declarationlaicite@hotmail.fr et faites connaître ce texte.

Dernier conseil : ne soyez pas égoïste : signalez ce blog à vos ami(e)s, qu’ils en profitent également.

10:05 Publié dans ACCUEIL | Lien permanent | Commentaires (4)