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31/10/2005

LA SEPARATION ET L'OUTRE-MER

SEPTIEME IMPENSE DU CENTENAIRE DE LA SEPARATION :

La loi du 23 février 2005 demande aux historiens de présenter de façon positive la colonisation ; cette loi, avec de nombreux autres collègues historiens, je l’ai dénoncée comme inacceptable (doublement inacceptable : pour son contenu et  pour à sa volonté d’une histoire officielle, dictée par un politique incompétent et qui favorise, hélas, le peu de considération pour les parlementaires en prenant de telles décisions). Elle rend d’autant plus nécessaire d’insister sur un fait, qui n’est peut-être pas autant un impensé que les précédents, mais qui est (malgré tout) peu rappelé : la République était aussi Empire (colonial) et elle a fonctionné de façon différente en tant que République et en tant qu’Empire.

Mais voyons ce qui s’est passé précisément quant à la loi de 1905 à propos de l’Outre-Mer (départements algériens et colonies).

Le président de la Chambre des députés annonce, lors de la séance du 30 juin (la dernière avant le vote final), le dépôt de deux « dispositions additionnelles ». La première émane de César Trouin, député d’Oran, qui votera la loi et la seconde d’Albin Rozet, député de la Haute-Marne, qui se prononcera contre. Elles visent toutes les deux, en termes presque semblables, à renvoyer à un « décret ultérieur » (Trouin) ou à un « règlement d’administration publique » (Rozet) l’application à l’Algérie de la future loi de séparation des Eglises et de l’Etat.

   Aristide Briand, rapporteur de la Commission, au nom de celle-ci et du gouvernement, accepte le principe d’un tel ajout. Il affirme combiner les deux propositions dans la disposition suivante : « Des règlements d’administration publique détermineront les conditions dans lesquelles la présente loi sera applicable à l’Algérie et aux colonies »[1]. Cette formulation, est-il précisé dans le compte-rendu de séance, « donne également satisfaction à un amendement de MM.Clément, Guerville-Réache et Ursieur[2] ainsi conçu : ‘Les dispositions de la présente loi sont applicables aux colonies de la Martinique, la Guadeloupe, la Réunion et la Guyane’. »

   Le ministre de l’Instruction publique et des cultes, Bienvenu Martin, et les deux députés, Trouin et Rozet, indiquent très brièvement qu’ils approuvent le texte. Aucun parlementaire ne demande la parole (alors qu’on le sait, les débats de façon générale furent très fournis); la proposition, « mise aux voix, est adoptée » sans précision donnée sur le vote lui-même. L’ajout devient alors (provisoirement) l’article 35 ter. L’ensemble de la discussion et du vote tient en moins d’une colonne des 16 pages de 3 colonnes qui forment le compte-rendu de cette séance[3].

   Cette brièveté, cette absence de débat apparaît très significative du peu d’importance attachée à la question de l’Outre-mer par les députés. Les quelques minutes de la séance sont cependant révélatrices.D’abord d’un point de vue général elles apportent, s’il en était besoin, deux confirmations : d’une part, la collaboration de certains députés d’opposition à l’élaboration de la loi  (Rozet sur ce point); d’autre part, le rôle prédominant de Briand, reléguant le ministre à faire de la figuration. Mais, concernant la question précise de l’Outre-mer, le télescopage de l’amendement des trois députés des « vieilles colonies » avec les deux propositions sur l’Algérie rend possible un glissement entre la demande d’application pure et simple de la loi et le fait de confier à « des règlements d’administration publique » la façon dont celle-ci sera appliquée. Ce glissement est d’autant plus net que c’est précisément un député défavorable à la séparation qui avait demandé cette adjonction. Aucun des trois députés, auteurs de l’amendement sur les « quatre vieilles colonies » ne prit la parole pour regretter ce changement dénaturant leur proposition qui visait à une application pure et simple de la loi à ces territoires.

   Ainsi, en faisant mine de vouloir appliquer la loi Outre-mer, on se réservait, en fait, le droit de l’appliquer avec retard, de lui donner une application à géométrie variable, voire de ne pas l’appliquer du tout ! C’est sans doute pourquoi, au Sénat, la discussion prend un peu plus de consistance. Dans la séance du 5 décembre, Alcide Treille, sénateur de Constantine et favorable à la loi, propose un amendement de ce qui était devenu, entre temps, l’article 43, 2ème alinéa[4]: « La présente loi est applicable en Algérie ». Mais il s’agissait d’un baroud d’honneur. La loi pour pouvoir être promulguée avant les élections de 1906 devait être ratifiée par le Sénat dans les mêmes termes que l’Assemblée Nationale et, comme l’assure le dicton, le mieux était en conséquence ‘l’ennemi du bien’. L’amendement est donc vite retiré. Notons qu’il ne portait que sur l’Algérie et ne mentionnait nullement les colonies. Le sénateur de Constantine prêche pour sa paroisse en quelque sorte, il n’effectue pas une proposition générale.

   Plus décidé apparaît Eugène Brager de la Ville-Moysan, sénateur d’Ile et Vilaine,  encore jeune (il a 43 ans) et opposant à la loi. Il propose de remplacer le second alinéas par la phrase suivante : « La présente loi n’est pas applicable à l’Algérie et aux colonies françaises ». Il développe une argumentation où il commence par dénoncer le « pur régime d’arbitraire » auquel aboutira l’article 43 : « C’est le bon plaisir des gouverneurs qui détermine quel sera, à un moment donné, le régime relatif aux cultes qui règnera dans notre domaine colonial. », bon plaisir qui s’appliquera à «toute une catégorie de citoyens vivant sous les lois françaises ». Il démonte, ensuite, l’argumentation qui (pour lui) sous-tend  la loi, « le mouvement continu des idées modernes » dont la conséquence serait « la séparation complète des deux pouvoirs ». Il s’interroge alors : « Les indigènes[5] du Congo, de Madagascar ou du Tonkin possèdent-ils un niveau intellectuel susceptible de comprendre ce progrès prétendu des idées modernes ? » (idée du « retard » mais relativisée par l’expression « progrès prétendu ») Enfin, il insiste sur le fait que « dans la plupart (des) colonies l’influence religieuse et l’influence française sont (…) deux choses qui se confondent ». Les missionnaires « sont les premiers pionniers de la devoir dire, le sénateur retire son amendement car, affirme-t-il, il n’a aucune chance d’être civilisation européenne », les « meilleurs agents de l’influence française »[6]. Mais là encore, finalement, il s’agit seulement d’un baroud d’honneur car, après avoir dit ce qu’il estimait adopté. En d’autres points, des amendements qui n’avaient pas plus de chance d’aboutir avaient cependant été mis aux voix. L’opposition ne semble donc guère vigoureuse.

  Ce manque d’attention montre une idée presque consensuelle : l’Algérie et les colonies, bref l‘Empire colonial[7]  fonctionne selon d’autres règles que la République. Les décisions de l’exécutif doivent, là, prendre de fait  le pas sur les dispositions législatives. Le ministre Bienvenu-Martin le souligne d’ailleurs au Sénat : l’article 43 « ne contient rien de nouveau, tout au moins quant à la formule, car l’exercice du culte aux colonies a toujours fait l’objet non de dispositions législatives mais de décrets », s’attirant des « Très bien ! Très bien ! » dans les rangs de la gauche sénatoriale. Il aurait même pu généraliser davantage. Il  est donc possible de conclure des débats, de la loi et des décrets qui s’appliqueront à certains territoires, de l’absence de décrets pour d’autres : « Comme le code civil, (…) la séparation avait ses frontières : la France métropolitaine (…). Outre-mer, c’était selon »[8]

   Brager de la Ville-Moysan avait évoqué une « catégorie de citoyens vivant sous les lois françaises » qui seraient victime d’un « pur régime d’arbitraire », mais les habitants de l’Outre-mer étaient-ils véritablement des « citoyens » ? La seconde République, par le décret du 27 avril 1848, avait  proclamé « l’abolition immédiate de l’esclavage » et avait attribué, sans plus attendre, la citoyenneté aux anciens esclaves. Siègeront à l’Assemblée des députés « de couleur » ce qui est assez remarquable pour l’époque. Si les colons maintiennent leur domination socio-économique, cette instauration du « suffrage universel » (en fait masculin, comme en métropole) permet aux Antilles, surtout sous la IIIe République, à une « bourgeoisie de couleur » de « conquérir le pouvoir politique » et de s’insérer dans des réseaux républicains, notamment francs-maçons[9].

   Mais la Commission qui prépara en 1848 l’acte d’abolition de l’esclavage et refusa de transformer les anciens esclaves en « demi-citoyens, quarts de citoyens, hermaphrodites politiques », admit cependant, de « ne rien préjuger sur l’état des populations indigènes » en Algérie. « En libérant les esclaves et en les faisant entrer dans la communauté de citoyens, commente avec justesse Emmanuelle Saada, la République produit par défaut l’indigène, sujet de l’Empire colonial, soumis à son statut personnel et exclu des droits politiques. »[10] Alors même que l’Algérie devient,en 1858, un ensemble de trois départements français,  les « indigènes » algériens vont avoir le statut de « ressortissants » français, de « sujet français ». Dans les années 1880, le régime de l’indigénat » consista à l’élaboration d’un ensemble législatif et réglementaire répressif et discrétionnaire[11] pour les colonies institutionnalisant la distinction entre « citoyen » et « sujet ».

Comment la loi sera-t-elle appliquée ?

- en Algérie, le décret du 27 septembre 1907 imposait aux responsables des associations cultuelles d’être citoyens français, ce qui permettait de soustraire l’islam à l’application de la loi et de conserver le contrôle de ces « ministres du cultes ». De fait, ce décret affirme Emile Poulat « étouffa l’application » de la loi beaucoup plus qu’il ne la mit en œuvre. Une indemnité de fonction (temporaire, mais qui sera reconduite) remplaçait le traitement des ministres des cultes.

- aux Antilles et à la Réunion, le décret du 6 février 1911 permettra une séparation « différée et apaisée » comme le constatent aussi bien Ph. Delisle pour les Antilles que Prospère Eve pour la Réunion[12].

- à Madagascar, où une séparation de fait existait déjà et où le gouverneur Augagneur avait durement combattu le protestantisme (considéré comme favorable à l’Angleterre et à l’autonomie des Malgaches), le décret du 11 mars 1913, copie les 2 premiers articles de la loi de 1905.

Au Cameroun, le décret du 28 mars 1933 sera semblable à celui de 1913 pour Madagascar.

Dans le reste des colonies, la séparation ne va pas être appliquée et en Guyane le catholicisme, aux Comores l’islam, à Tahiti le protestantisme, seront (et eux seuls) toujours des cultes reconnus. C’est toujours le cas pour le catholicisme en Guyane. Aujourd’hui  à Mayotte, le « droit personnel » musulman s’applique, avec une vérification de conformité avec les droits fondamentaux.

Pas plus que pour l’Alsace-Moselle, où le régime des cultes reconnus et du Concordat sont toujours en vigueur, les différents régimes de l’Outre-mer ne font l’objet d’un débat lors du centenaire. Ce débat obligerait, en effet, à reconnaître la grande diversité de la situation dans l’ensemble français et à préciser ce que la Constitution entend quand elle énonce que la « République est (…) laïque ». Dommage.


[1] Ce qui, en fait, adoptait la formulation de Rozet et non celle de Trouin.

[2] Honoré Clément était député de la Martinique, Gaston Gerville-Reache de la Guadeloupe et Louis Ursieur de la Guyane. Tous les trois étaient favorables à la loi

[3] Annales de la chambre des députés, Paris, 1905, II, 1185.

[4] Le dernier article avant l’ultime qui clôt la loi par la liste des dispositions abrogées 

[5] Notons l’emploi du terme de « citoyen » pour défendre l’égalité des droits et d’ « indigène » pour établir une différenciation.

[6] Cité par (Y. Bruley), 1905, la séparation des Eglises et de l’Etat, les textes fondateurs, Paris, Perrin, Tempus, 2004, 362ss. Notons que, passage non cité par cet ouvrage, le sénateur mentionne que si certains fonctionnaires sont « fort intelligents et très patriotes » il en est d’autres qui « travaillent à civiliser les indigènes au moyen de la dynamite étrangement employée ».

[7] Et le terme d’Empire, naturellement, est hautement significatif.

[8] E. Poulat, Liberté Laïcité, la guerre des deux France et le principe de la modernité, Paris Cerf-Cujas, 1987, 215.
[9] Ph. Delisle, « Les Antilles : Séparation différée et apaisée », in J.-P. Chantin – D. Moulinet (éds.), La Séparation de 1905, les hommes et les lieux,  Paris, l’Atelier, 2005, 157.
[10] E. Saada, « La République des indigènes », in V. Duclert – Ch. Prochasson (éds.), Dictionnaire critique de la République, Paris, Flammarion, 2002, 365.
[11] Cf. notamment I. Merle, « Retour sur le régime de l’indigénat, genèse et contradictions des principes répressifs dans l’empire français », French Politics, Culture and Society, Vol 20/2, Summer 2002.

[12] Cf pour Ph. Delisle, l’article cité note 9 et son livre L’anticléricalisme dans la Caraïbe francophone, Karthala, 2005 et pour la Réunion, P. Eve, la laïcité en terre réunionnaise, Océan-Editions, 2005.

24/10/2005

25000 VISITES

Quatre nouvelles importantes pour les amis et les amies du blog.

Le roman. Les 25000 visites. Le 6ème impensé. La Déclaration sur la laïcité.

Première critique du roman : quand on publie un livre qui n’est pas lancé comme une marque de savon ou un détergent, quand on ne fait pas partie du réseau de la gauche ou la droite/caviar, on attend avec impatience, des critiques de votre « œuvre »  (votre chef d’œuvre !!!) dans les médias, car pas de médias et vite le livre part aux oubliettes : il y a tellement de publications ... Si les critiques arrivent au bout de 3 mois, il y a fort à parier que le bouquin est devenu difficile à trouver en librairie.

Bon,  cela c’est le schéma général. Il y a quelques exceptions. Ainsi, comme Laïcité 1905-2005 entre passion et raison s’est bien vendu et qu’il y a la dynamique du centenaire de 1905, on le trouve toujours assez facilement, en tout cas dans certaines librairies parisiennes et de province, malgré le grand nombre de livres sur le sujet. Donc si vous ne l’avez pas encore acheté, réparez vite cet impardonnable oubli (THE big péché contre la laïcité !).

Mais un roman, c’est un autre rayon dans les librairies, et là on ignore le centenaire. D’où l’importance de la critique. Plusieurs sont prévues, mais certains attendent la date anniversaire, ce qui fera bien tard. Donc je me réjouis sans vergogne que Le Figaro Littéraire ait ‘tiré’ le premier et, moins d’une semaine après la sortie de Emile Combes et la princesse carmélite, improbable amour (Aube), ait consacré à « mon » roman un substantiel et élogieux compte rendu, qui, j’espère, va faire école.

Cet article, écrit par la critique Astrid de Larminat,  commence par poser la question : « Qui sait que le ‘petit père Combes’, strict dans ses mœurs aussi bien que dans ses convictions républicaines, a séduit sans le vouloir une jeune princesse carmélite alors qu’il avait près de 70 ans ? ». Elle raconte alors le contexte politique (la lutte contre les congrégations) et les début de « l’idylle » qui « gagnera au fil des mois en profondeur et en intensité ».

Ensuite, elle explique en gros qui je suis et le fait que j’ai écrit ce roman, « cette charmante liaison » à partir d’archives et continue ainsi : « Baubérot campe une période charnière de la République, celle qui prélude à la séparation des Eglises et de l’Etat , quand radicaux et socialistes aspiraient à une époque « où la libre pensée, appuyée sur la doctrine de la raison, pourra suffire à conduire les hommes dans la pratique de la vie » selon les propres termes  de Combes, qui n’était pas un positiviste obtus loin de là. Il se définissait même comme un philosophe spiritualiste. Baubérot cite, malicieux, ses recommandations sur l’attitude à adopter vis-à-vis de l’islam dans les colonies. A découvrir… »

Enfin, A. de Larminat ajoute : « Roman historique précis, nuancé, parsemé d’anecdotes et de propos véridiques –on découvre les positions de Jaurès et de Clemenceau sur ces questions- mais aussi roman discrètement engagé, ce récit des luttes intraitables menées contre le catholicisme, considérées à l’époque comme nécessaires pour défendre la république et la liberté, nous amène bien entendu à méditer sur la place des religions dans la France contemporaine. N’est-ce pas le moins que l’on puisse faire en cette année du centenaire de la loi de 1905 ».

Si après cela, vous n’avez pas envie de lire le livre, c’est vraiment à désespérer des valeurs de la République… Et l’ayant lu, faites votre propre commentaire sur le blog.

Le Blog a 10 mois…et a déjà reçu 25000 visites. Créé fin décembre 2004,  le blog a eu un peu plus de 1000 visites par mois jusqu’à fin mars, à approché les 2000 visites mensuelles en avril et mai, dépassé les 4000 en juin, maintenu le cap pendant les ‘vacances’ avec plus de 5000 visites en juillet-août (il est vrai que chacun de ces mois avait 31 jours !), établi son record en septembre avec 4363 visites, et continué sur sa lancée en octobre : 3686 visites pour les 23 premiers jours du mois, ce qui signifie que le record de septembre a toutes les chances d’être égalé et même battu (il suffit qu’il y ait 100 visites par jour, contre une moyenne de 150 jusqu’alors).

Je m’en réjouis d’autant plus que la création du blog avait reçu un accueil divers parmi mes collègues, profs du supérieurs. Certains ont trouvé qu’il s’agissait d’une très bonne idée, d’autres se montraient plus réticents devant cette porte ouverte hors de l’univers scientifico-universitaire. Moi-même, j’ai commencé par diffuser des textes de fond assez ‘académiques’ (que l’on peut toujours consulter en naviguant sur le blog), et je crois me mettre peu à peu dans l’ambiance plus décontractée et perso des blogs, tout en gardant son ambition de diffuser des choses sérieuses.

Qu’en pensez-vous ? Souhaitez-vous une évolution du blog après la date fatidique des 9-11 décembre  (les jours centenaires de la loi de séparation) ? Laquelle ? Toutes les idées réalisables par un non-doué de l’informatique seront les bienvenues…

En tout cas, merci à toutes celles, tous ceux qui apprécient ce blog, continuez à le faire connaître, parlez en à vos ami(e)s.

Sixième impensé : la laïcité de 1905 se préoccupait déjà de tenues ostensibles mais avait donné une autre réponse à la question. Bien sûr, ce n’est pas « neutre » de ressortir cet aspect bien ignoré de l’élaboration de la loi. Il n’empêche, il est plus ‘objectif’ de l’indiquer que de le cacher. Bien sûr, la situation n’est pas la même qu’aujourd’hui. Bien sûr, c’était la rue et maintenant c’est l’école. Bien sûr, il ne faut pas se servir du passé comme un argument péremptoire d’autorité. OK. Mais quand même, lisez ce 6ème impensé et vous allez être frappé je pense (comme je l’ai été moi-même) par la similitude de certains arguments. Mais je ne vous en dis pas plus, sinon : « bonne lecture ».

La Déclaration internationale sur la laïcité. Vous la trouverez  en cliquant sur la catégorie « Monde et laïcité ». Je rappelle qu’elle est destinée à être signée, d’abord  les universitaires (au sens large), ensuite par les responsables associatifs (également dans un sens large), enfin par tous les êtres humains (ces animaux bizarres qui ne marchent pas à quatre pattes, vous avez du déjà en entendre parler)  . Je suis prêt à parier ma chemise que vous entrez au moins dans une des 3 catégories ! Signez en envoyant un mel à declarationlaicite@hotmail.fr en indiquant vos nom et prénom, votre nationalité,  votre institution ou association de rattachement (même si vous ne l’engagez nullement en signant, c’est juste pour vous situer).

Aller, bisous aux dames et cordiale poignée de main...à ceux qui n'ont pas cette chance!


 

 

 

 
 

 

 
 

09:00 Publié dans ACCUEIL | Lien permanent | Commentaires (1)

1905 ET LES TENUES OSTENSIBLES

 

SIXIEME IMPENSE  DU CENTENAIRE DE LA SEPARATION :

 

Savez-vous que, dans les débats parlementaires de la loi de séparation, s’est posé le problème de ce que l’on appelle aujourd’hui « les tenues religieuses ostensibles » ? Sans doute non, car on se garde bien de l’indiquer. Pourtant, le 26 juin 1905, l’Assemblée Nationale a discuté d’un problème de nouveau d’actualité, celui de la « tenue religieuse », ou plus exactement du  « costume ecclésiastique.

 

Je ne vais pas faire l’inverse de ce que je reproche à la commémoration dominante, c'est-à-dire que j e vais pas ‘plaquer’ sur 2004-2005 ce qui c’est fait alors, en disant c’est pareil et en faisant de l’attitude adoptée alors la norme obligatoire pour l’attitude à adopter aujourd’hui. Mais quand même, entre le rien et le tout, il y a la connaissance. Il me semble important de savoir comment les laïques de 1905, dont on magnifie d’autant plus facilement la loi que l’on garde secret  beaucoup d’aspects de son élaboration, ont abordé, lors de la rédaction de la loi, le problème des tenues religieuses.

 

Je vais donc me borner à vous donner les principaux points du débat parlementaire sur la question. Libre à chacune et à chacun de faire ou non des rapprochements avec l’actualité. Le but de ce blog est de favoriser le débat et non de prôner une orthodoxie quelconque, fut-elle non-conformiste. Vous pouvez d’ailleurs estimer qu’il a de l’analogie entre le problème de la tenue religieuse tel qu’il s’est posé en 1905 et celui des signes et tenues religieuses tel qu’il est posé aujourd’hui (analogie = ressemblances et différences). Pour ma part, position personnelle, je pense que l’analogie est forte. A vous de juger.

 

Le 26 juin 1905 s’engage donc le débat sur le « costume ecclésiastique » suite à un amendement de Charles Chabert, député radical-socialiste de la Drome, ainsi conçu :

« Les ministres des différents cultes ne pourront porter un costume ecclésiastique que pendant l’exercice de leurs fonctions ».

 

Une remarque immédiate s’impose : l’amendement à une portée générale mais en fait c’est une seule religion qui est visée : le catholicisme. Et de fait les débats vont se focaliser sur le port de la soutane. C’est cet habit qui est visé (rappelons aux ami(e)s du blog qui ne le sauraient pas que la soutane est une grande et ample robe noire que les prêtres catholiques portaient alors sur leurs vêtements habituels. Cette robe noire les faisaient d’ailleurs traiter de « corbeaux » par les anticléricaux. Après Vatican II, la plupart des prêtres ont abandonné la soutane ; on ne voit plus guère aujourd’hui en soutane que des prêtres traditionalistes ou intégristes.

 

Seconde remarque : il y avait déjà eu un mouvement de maires (70 à 75 selon les débats de la Chambre) qui avaient tenté d’interdire le port de la soutane dans leur commune. Mais l’arrêté de l’un d’eux avait été cassé au motif qu’il comportait « des appréciations complètement en dehors du droit conféré aux maires » et donc se trouvait entaché « d’excès de pouvoir ». L’affaire n’avait donc pas été tranchée quant au fond. La soutane étant une robe, elle était accusée de contrevenir à la « dignité masculine » et, de plus, de permettre une attitude hypocrite : encore dans les années 1950 un ouvrage à succès s’intitulait : La soutane devant l’amour.

 

Voyons maintenant les principaux arguments développés par Chabert :

 

-         la soutane n’est pas une obligation pour les ecclésiastiques : jusqu’au VIe siècle ceux-ci s’habillaient comme tout le monde et actuellement (=1905) en Suisse, en Angleterre, en Amérique les prêtres ne la portent pas ce qui n’empêche pas la religion catholique de s’exercer librement.

 

-         la soutane est donc une tenue plus cléricale que religieuse : d’ailleurs la Révolution l’avait interdite et la loi qui avait ratifiée le Concordat en avait limité le port. Ce n’est que par excès de tolérance que cette limitation est tombée en désuétude : de napoléon à la monarchie de Juillet, on préférait « l’habit à la française » au « costume ecclésiastique romain ». Le port généralisé de la soutane est lié à la montée de l’ultramontanisme. Commentaire : il faut savoir que ce terme d’ultramontanisme signifie au XIXe siècle, un catholicisme étranger, intolérant, fanatique, obscurantisme, à l’opposé du bon catholicisme « gallican », à la française, bien de chez nous.

 

 

-         la soutane est « une prédication vivante, un acte permanent de prosélytisme ». C’est « une manifestation confessionnelle » permanente dans l’espace public. A ce titre elle porte atteinte à l’ordre public car elle induit des « manifestations diverses » soit « de sentiments religieux parfois même fanatiques » soit de « sentiments absolument contraires ».  Elle porte à faire croire que les prêtre sont « autre chose et plus que des hommes ». C’est pourquoi interdire le port de la soutane en dehors des lieux de culte  loin d’être une manifestation d’intolérance, est « une œuvre de paix, d’union, d’honnêteté, de logique, d’humanité ».

 

-         la soutane rend le prêtre « prisonnier », « prisonnier de sa longue formation cléricale, prisonnier de son milieu étroit, prisonnier de sa propre ignorance ». La « soutane modifie la marche de celui qui la porte, son allure, son attitude et par suite son état d’âme et sa pensée ».

 

 

-         la soutane est un signe de soumission « d’obéissance (…) directement opposée à la dignité humaine ». Pourquoi « les évêques tiennent si fort à ce que leurs prêtres portent la soutane » ? Pour 2 raisons. D’abord « afin que les prêtres ne puissent échapper à la surveillance de leurs supérieurs » ; ensuite « afin de maintenir comme une barrière infranchissable entre eux et la société laïque ». Sans soutane, le prêtre « échappe à son supérieur, s’évade de cette tyrannie monstrueuse de tous les instants. »

 

-         il faut donc interdire la soutane, si on est « soucieux de la liberté et de la dignité humaines ». Si  vous « ôtez sa robe » au prêtre, vous lui permettrez de « respirer, lever la tête, causer avec n’importe qui  (…). C’est ainsi que vous lui ferez faire un pas immense, que vous libérerez son cerveau ». En « l’habillant comme tous le monde » faisons de « cet adversaire de la société moderne, un partisan de nos idées, un serviteur du progrès. De ce serf, de cet esclave, faisons un homme ».

 

-         les prêtres eux-mêmes attendent de l’Etat républicain qu’il les libère de la soutane : « j’ai reçu, affirme Chabert, des confidences intimes » et s’il y a des prêtres qui ne veulent pas quitter leur habit, « un plus grand nombre d’entre eux –et ce sont les plus intelligents, les plus instruits- ATTENDENT AVEC ANXIETE CETTE LOI QUI LES RENDRA LIBRES ». Chabert ajoute qu’il pourrait citer des noms (et même des noms d’évêques). Bref, des « prêtres parmi les plus honorables et les plus convaincus (…) qui se consoleront de voir votée la loi de séparation, si en même temps vous supprimez la robe sous laquelle ils se sentent mal à l’aise ».

 

A différentes reprises, Chabert est  applaudi « sur divers bancs à gauche et à l’extrême gauche » tandis qu’il y a des « exclamations et bruit à droite ».

 

A cette interprétation de la tenue religieuse comme habit de soumission et de ce devoir de l’Etat républicain et laïque d’émanciper, par la loi, les prêtres de la soutane, Briand répond que c’est à la suite « d’une délibération mûrement réfléchie » que la Commission a estimer que ce serait encourir les reproches « d’intolérance » et même de « ridicule » (« applaudissements et rires au centre et à droite ») «que de vouloir, par une loi qui va « instaurer dans le pays un régime de liberté » d’imposer aux prêtre « l’obligation de modifier la coupe de leurs vêtements ». Et il poursuit : « Votre commission, messieurs, a pensé qu’en régime de séparation la question du costume ecclésiastique ne pouvait se poser. CE COSTUME N’EXISTE PLUS POUR  NOUS AVEC SON CARACTERE OFFICIEL. (…) LA SOUTANE DEVIENT, DES LE LENDEMAIN DE LA SEPARATION, UN VETEMENT COMME LES AUTRES, ACCESSIBLE A TOUS LES CITOYENS, PRETRES OU NON ».

 

Résultat des courses : l’amendement Chabert est repoussé par 391 voix contre 184.

 

Prochainement sur le blog : le septième impensé : La Séparation républicaine n’est pas celle de l’Empire (colonial)

En attendant, deux livres récents fort intéressants sur d’anciennes colonies devenues DOM :

-         Prosper Eve, La laïcité en terre réunionnaise, origine et originalité. Océan éditions, 2005.

-         Philippe Delisle : L’anticléricalisme dans la Caraïbe francophone, Un « article importé » ?, Karthala, 2005.

18/10/2005

LE CINQUIEME IMPENSE DE LA COMMEMORATION

LA SEPARATION ACCOMPLISSEMENT OU CONTRAIRE DE LA REVOLUTION ?

Quand Emile Combes avait défendu le Concordat le 26 janvier 1903, il avait déclaré ceci : « J’aspire comme vous tous, du côté gauche de cette Chambre, à l’époque que je voudrais prochaine, que je voudrais immédiate, mais que la constatation de l’état présent m’oblige à ajourner à quelque temps, où la libre-pensée, appuyée sur la doctrine de la raison, pourra suffire à conduire les hommes dans la pratique de la vie ». Le propos est clair, et il est étonnant que les historiens de la séparation n’aient pas plus insisté sur ce fait : la séparation est perçue comme l’avènement d’un temps où la vie sociale française se déroule sous l’égide de la libre pensée. C’est cela la séparation, pas autre chose.

Et le plus remarquable est que personne alors, ni à la Chambre, ni dans la polémique  et la campagne de presse qui fait rage jusqu’au 4 février (cf. mon roman  où je raconte en détails cette déclaration de Combes et ses suites) n’écrit des propos tels que : « mais la séparation, ce n’est pas du tout cela, c’est l’Etat dégagé de tout caractère religieux et garantissant le libre exercice des cultes, étant religieusement neutre, ne prenant pas partie entre la religion et la libre-pensée, qui luttent ainsi à armes égales pour convaincre les gens de la vérité de leurs propos ». C’est en substance ce que va dire, ce que va répéter Briand, tout au long de la discussion parlementaire au printemps 1905. Mais en 1903, personne ne défend la conception de la neutralité religieuse de l’Etat comme fondement de la séparation. L’Etat républicain émancipe de la religion, il n’est pas religieusement neutre.

Au contraire : quand, quelques semaines plus tard, Francis de Pressensé (le futur père de l’article 4 modifié, l’accommodateur par excellence en 1905) présente le premier projet de loi consistant de séparation, ce projet commence par un Préambule qui dénonce « les ennemis jurés de la liberté, les disciples du Syllabus, les héritiers de la plus formidable entreprise d’asservissement intellectuel, les complices des plus odieuses tentatives d’oppression morale et politique ». Nous sommes bien dans une perspective où la séparation prend sens dans un combat contre le catholicisme. Et le projet de Pressensé est contresigné notamment…par Jaurès et Briand.

La séparation est là, l’aboutissement de la Révolution, c'est-à-dire que son projet de « régénération », de création d’un « homme nouveau » (cf. les travaux de Mona Ozouf), en arrachant cet homme nouveau à ses traditions, ses habitudes, son passé qui l’insère dans le « fanatisme » et la « superstition » pour le mettre dans les « lumières » de la raison (et de la science, ajoute le XIXe siècle). Certes, ce projet là, ce n’est pas la laïcité de Jules Ferry, qui déclarait « je suis l’élu d’un peuple attaché à la République et attaché à ses processions » et…prenait son parti de ce double attachement. Mais justement, le thème de la « laïcité intégrale » prône la rupture avec la laïcité ferryste dont les accommodements lui semble autant de compromissions.

L’idée de la séparation comme accomplissement de la Révolution va perdurer durant les débats de 1905. C’est la conviction profonde des Républicains séparatistes. Et ils n’ont certes pas complètement tort : d’une part parce que la séparation est beaucoup plus dans la logique des principes laïques, tels qu’ils ont été formulés de 1789 (Déclaration des droits) à 1791 (Constitution) que la Constitution civile du clergé (1790) où, à fortiori, les cultes révolutionnaires de 1793 ; d’autre part parce que la Révolution a tenté elle-même une séparation en 1795. Mais cette séparation là, elle ne l’a pas réussie car elle n’a pas pu désimbriquer le politique et le religieux (retour de la répression en 1797) et elle n’a pas voulu renoncer à des tentatives de fabrication d’un homme nouveau, en rupture avec l’ancien (culte décadaire, théophilantropie,…).

Jaurès lui-même, quand il défendra l’article 4 modifié (par l’ajout Pressensé), le fera en se réclamant (paradoxalement mais significativement) du radicalisme révolutionnaire : « Toute notre histoire proteste contre je ne sais quelle tentation de substituer les compromis incertains et tâtonnants du schisme (il s’agissait en fait de ne pas empêcher le développement d’un « catholicisme républicain » qui se séparerait de Rome) à la marche délibérée de l’esprit vers la pleine lumière, la pleine science et l’entière raison ». Mais, comme toujours il ne faut pas être dans le premier degré : l’inflation lyrique de Jaurès a précisément pour mission de flatter la gauche républicaine dans le sens du poil, au moment où on l’amène à accepter un accommodement réclamé par le centre et la droite.
En fait, la séparation qui est construite du travail de la Commission aux débats de la Chambre est, de plus en plus, une séparation qui diverge profondément de l’optique révolutionnaire.  Certes, il y a rupture des liens concordataires, certes, il y a la construction d’un régime nouveau. Mais, contrairement à la Révolution, le nouveau se construit en tenant le plus grand compte de l’ancien.
Il est remarquable de constater que la Chambre du Blog des gauches, se met à parler positivement des traditions et des coutumes ! Un partisan de la séparation (E. Flandin) déclare qu’il faut faire très attention au sort que l’on réserve à la « vieille église » car  aussi bien les croyants que «  beaucoup parmi ceux qui depuis longtemps ont désappris le chemin de l »église, qui ne verraient pas sans un sentiment pénible  troubler des habitudes séculaires et profondément respectables » (séance du 8 juin). On prend conscience que l’église, le cimetière sont à la fois des lieux où on adore Dieu et où on entretient un certain rapport avec les morts.

Jaurès lui-même affirme : « Je ne méconnais pas que des millions de citoyens (…) sont attachés à la religion traditionnelle et au culte traditionnel » et qu’il y aurait « injustice et violence si nous adoptions une seule disposition qui fit réellement obstacle à la liberté de conscience et à la liberté de culte » (21 avril). Et Briand affirme de son côté : « Beaucoup de catholiques français désirent n’être pas troublés dans leur traditions, dans leurs habitudes, veulent garder la liberté (…) d’exprimer leurs sentiments religieux. Vous n’avez pas le droit de les brimer, d’inquiéter leur conscience » (25 mai). Et l’on pourrait multiplier les citations.

Point n’en est besoin ; il suffit de constater que le 27 juin contre le député radical (et protestant) Eugène Réveillaud, la Chambre refuse de maintenir les dispositions de l’article 45 de la loi de germinal an X (1802, celle qui avait établi le système du Concordat et des « cultes reconnus ») limitant le droit de faire des processions (ce qui montre d’ailleurs que, séparée de l’Etat, la religion peut se déployer plus librement dans l’espace public). On ne saurait être plus « ferryste », moins révolutionnaire ou dans l’état d’esprit de la « laïcité intégrale » » !!!

QUEL PARADOXE : cette Chambre élue en pleine exacerbation du combat des deux France, cette Chambre représentant le progrès contre la tradition, a fini par faire la louange des "traditions et des habitudes respectables", a pris grand soin de ne pas les heurter ! Mais ce paradoxe est signifiant : c’est justement grâce à cela que cette Chambre a construit un NOUVEAU DURABLE. Ses mesures antérieures, celles qui ne tenaient compte ni des « habitudes » ni des « traditions », les mesures anticongréganistes n’ont pas duré plus de 10 ans. De même la séparation opérée par la Révolution n’avait durée que 7 ans. Pour « achever » ce que la Révolution n’avait pas réussit à faire, pour l’ « accomplir », il fallait, d’une certaine manière, faire le contraire (au niveau de la méthode, de l’état d’esprit). DONC LA LOI DE SEPARATION EST, A LA FOIS, L'ACCOMPLISSEMENT DE LA REVOLUTION ET SON CONTRAIRE.

10/10/2005

UN AMOUR DE PRINCESSE

Voici, comme promis, les raisons de mon roman et surtout, dans la Catégorie Monde et laïcité, une Déclaration Internationale sur la laïcité que vous pouvez signer et faire signer. A lire absolument !

Pour les gens qui me demandent de venir participer à un débat: Merci, mais d’ici la fin de l’année, c’est archi, archi complet, je ne sais pas déjà comment je vais faire face. Rassurez-vous, la laïcité sera encore à l’ordre du jour en 2006, et consolez-vous en lisant le roman (et mes autres livres sur la laïcité, bien sûr!!)

POURQUOI J’AI ECRIT: EMILE COMBES ET LA PRINCESSE CARMELITE. IMPROBABLE AMOUR.

Aimez-vous les histoires de princesse? Moi, j’adore. Il était une fois  une belle et riche princesse de 34 ans qui, dans une improbable aventure, rencontre un vieil homme de 68 ans, issu d’un milieu d’ouvriers tailleurs. Cette princesse était une religieuse qui aurait du rester enfermée dans son couvent et l’homme un anticlerical farouche qui fermait les couvents les uns après les autres. C’est d’ailleurs à cause de cela qu’ils se sont rencontrés. Elle venait implorer l’intraitable vieillard. Et qu’arriva-t-il? Un coup de foudre réciproque, une double passion, aussi troublante pour la jeune carmélite qui n’a le droit de fréquenter aucun homme que pour le laïque intransigeant, jusqu’alors mari fidèle et qui continue sans faiblir sa lutte contre les congrégations religieuses!

L’histoire est si étonnante qu’on éprouve quelque peine à la croire vraie. Pourtant c’est le cas, comme en témoignent  les lettres, douces et enflammées, que Jeanne Bibesco (la princesse carmélite) a envoyées à Emile Combes[i]. Les réponses de ce dernier ont, comme par hazard!, disparu. Cela laisse tout loisir d’imaginer chez le président du Conseil (= premier minister de l’époque, avec plus de pouvoir) l’éternel masculin à la dérive[ii].

Quel merveilleux sujet pour un téléfilm! C’est d’abord de ce côté là que je me suis orienté, recherchant un réalisateur intéressé. Mal introduit dans ce milieu, je n’ai trouvé personne.

J’ai toujours estimé que la démarche historique est un mélange de science et de fiction. Le travail d’archives, l’étude des documents de l’époque, l’examen critique des productions des autres historiens tirent l’histoire vers la science. Mais la fiction est également présente: certains faits ont existé sans que des documents en portent témoignage, certains documents sont perdus (là, les lettres de Combes), etc. L’historien doit travailler à partir d’indices, dresser un tableau qu’il sait incomplet. Le roman historique peut, lui, compléter et tenter de reconstituer du réel grace à l’imaginaire, tel est son intéressant paradoxe.

Je donnais, alors,des cours à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes sur Combes et le Combisme. Pour cela j’effectuais un travail d’historien et je disposais d’un certain savoir. Je me suis jeté à l’eau et lancé dans l’écriture, à partir des dossiers que j'avais engrengés, d’un roman sur les amours tumultueuses de Combes et Jeanne Bibesco. Si la tentative aboutissait, ce serait mon vingtième livre et il me plaisait de penser qu’il serait d’un autre genre littéraire que les précédents. Il me plaisait également, moi qui suis un des historiens qui ont insisté sur les différences entre le projet de séparation de Combes et la loi de 1905, concoctée par Briand[iii], moi qui ait une representation de la laïcité (et de la vie et du monde) si différente de Combes, de tenter de me mettre à sa place, d’imaginer comment il pouvait vivre tout ce qu’il lui arrivait et rendre compte, en meme temps de son action politique[iv].

Je me suis lancé dans cette aventure sans aucune obligation de résultat. Pour la première fois depuis plus de 20 ans, je n’avais pas passé de contrat préalable avec un éditeur, je pouvais donc m’arréter dés que je le désirais si j’avais le sentiment que ce que j'avais entrepris me conduisait dans une impasse ou que le temps pris sur le sommeil était trop lourd. Je me suis pris au jeu car j’ai eu l’impression d’accéder à une nouvelle dimension de l’histoire: l’histoire subjective. De plus, le travail d’imagination, d’écriture libérée de contraintes de type universitaire, la possibilité de mélanger anecdotes d’époque, clins d’oeil et mise en scène de personnages historiques, etc, tout cet ensemble m'a amené à prendre beaucoup de plaisir dans l'écriture de ce roman. J’espère que ce plaisir sera communicatif et que lecteurs et lectrices en éprouveront également.

A propos de lecteurs et lectrices, j’ai été amené par la logique de l’histoire à insister sur les rapports homme-femme. D’abord cet amour est assez emblématique de ces rapports: un vieil homme et une jeune femme, mais en meme temps, il inverse l’habitude (ce n’est pas le prince et la bergère mais la princesse et de fils de l’ouvrier tailleur, il est vrai que ce fils est devenu president du Conseil). Certains faits (le mariage de Combes avec une fille de 16 ans qui ne le rencontre que quand on a déjà décidé pour elle qu’elle l’épouserait) était l’occasion de revenir sur la condition et la representation de “la” femme à la belle époque, theme déjà present dans mes ouvrages précédents[v]. Je publie notamment un très beau texte féministe jusqu’alors inconnu (légèrement postérieur, mais un roman permet de courcircuiter quelque peu les dates) et très significatif. Les affrontements de 1902-1904 entre “cléricaux” et “anticléricaux” sont l’occasion d’une entrée des femmes en politique (des deux côtés), aspect que j’ai aimé souligner un peu. Enfin, les rapports homme-femme sont centraux, en 2005 comme en 1905 et j’ai tenté de le dire à ma manière. Laquelle? Vous le verrez bien!

Oeuvre de fiction, ce roman est délibérément à tiroirs. Il commence ainsi : “Il s’agirait d’un film.” Dans ce film imaginaire, un sociologue de la médecine (Combes était médecin)  découvre un journal intime de Combes et le retranscrit sur son ordinateur portable. Mais pendant que lectrices et lecteurs ont leur attention focalisée sur les aventures politiques et sentimentales de Combes, ce petit coquin de Mag en profite pour rencontrer Carla, la charmante directrice des ressources humaines de l’université où il va donner quelques cours. Elle ressemble à Jeanne. De multiples rebondissements sont à prévoir, les 2 histoires vont peut-être finir par s’entrecroiser.

Je ne vous en dis pas plus. A partir de vendredi 14 octobre, le roman (qui paraît aux éditions de l’Aube) doit se trouver dans toutes les librairies dignes de ce nom.



[i] Conservées à la bibliothèque de Pons, ces lettres ont été publiées par le grand spécialiste de Combes, Gabriel Merle chez Gallimard, en 1994.

[ii] Je m’amuse, ayant lu sous la plume d’un journaliste dans un article sur un film, que l’actrice manifestait  « l’éternel féminin à la dérive »

[iii] cf not. mon Vers un nouveau pacte laïque, Seuil, 1990, pages 49-99.

[iv] Si, dans les documents d’archives, Combes ne parle pas de sa relation avec Jeanne, il a tenté de justifier son Ministère en 1907 (manuscrit publié par Maurice Sorre chez Plon en 1956).  Si cela a été une source d’inspiration, le manuscrit se perd un peu trop dans les détails et fleure souvent le règlement de compte. J’ai essayé de synthétiser et de resituer l’action de Combes dans ses grands enjeux, d’imlaginer aussi comment il pouvait vivre, en même temps, son action politique et sa relation amoureuse

[v] En particulier, La morale laïque contre l’ordre moral, Une haine oubliée, Laïcité 1905-2005 entre passion et raison et le « que sais-je » sur l’Histoire de la laïcité en France, surtout dans sa 3ème édition)

DECLARATION SUR LA LAÏCITE

DÉCLARATION INTERNATIONALE
SUR LA LAÏCITÉ

Chère Madame, Cher Monsieur,

Vous allez trouver ci après une déclaration  sur la laïcité. Fruit d’une idée lancée au départ par trois universitaires de trois continents différents, cette Déclaration, a été rédigée à la suite d’un processus collectif  auquel ont participé des dizaines d’universitaires de différents pays. Il est donc normal que personne ne puisse être en accord à 100% avec l’ensemble du texte. Celui-ci constitue, notamment, la résultante entre celles et ceux qui souhaitaient un énoncé analytique et ceux et celles qui désiraient une proclamation solennelle.

Ce texte constitue donc une déclaration non péremptoire qui, en fait, veut essentiellement susciter des réflexions, des débats. Surtout il vise (c’est son objectif premier) à se déconnecter de la situation française ou même européenne ou occidentale et, en la lisant, il faut se rappeler que ce qui peut avoir valeur d’évidence en France ou en Occident, n’est pas forcément un acquis pour l’ensemble de la planète. Nous avons voulu proposer des pistes sans nous poser en donneurs de leçons.
Y avons-nous réussi? Nous le dira l’ampleur des réponses, le nombre de celles et ceux qui voudront bien signer ce texte. Précisons la règle du jeu : la signature n’implique pas un accord avec la lettre des formules mais avec les grandes orientations du texte, l’état d’esprit général et la volonté de trouver un accord qui puisse rassembler des individus de différents pays, de différents continents.
Par ailleurs, la signature peut se trouver accompagnée de commentaires et/ou de remarques critiques. Ces commentaires et ces remarques seront considérés comme des annexes de la Déclaration. Elles l’enrichiront et manifesteront que le soutien au texte n’a rien d’inconditionnel, ne fait perdre à personne son individualité propre (ce qui est en accord avec le texte lui-même). Signatures, commentaires et remarques sont à envoyer à l’adresse mel suivante : declarationlaicite@hotmail.fr
La signature du texte est d’abord réservée aux Universitaires, au sens large de toutes celles et de tous ceux qui travaillent dans l’Université[1]: professeurs, chercheurs, ingénieurs, administratifs, doctorants, post-doctorants rattachés à un laboratoire ou à une formation de recherche. Chacun est prié d’indiquer son institution de rattachement (même si, naturellement, il ne l’engage pas) et surtout sa nationalité. Mais, répondant à de nombreuses demandes, nous avons décidé de l’élargir dès maintenant à toutes celles et tous ceux qui le souhaitent et particulièrement aux militants associatifs (prière d’indiquer l’association dont on fait partie, même si on ne l’engage pas)
 
N’hésitez pas non plus à diffuser largement cette Déclaration auprès de toutes celles et tous ceux susceptibles d’être intéressés. Sachez qu’une version du texte en anglais, espagnol et arabe est en cours de préparation. Les volontaires pouvant traduire le texte dans d’autres langues seront les bienvenus. Une traduction en espagnol existe, des traductions en anglais et en arabes sont sur le point d’être achevées.
Le 9 décembre 2005, jour anniversaire du centenaire de la loi française de séparation des Eglises et de l’État, cette Déclaration sera présentée à la presse, à Paris, dans une salle du Sénat, le 17 décembre, elle sera présentée à Bruxelles (et pourquoi pas dans d’autres pays, l’Italie l’envisage déjà pour début 2006) munie de  signatures de personnes de nationalités très diverses.
Nous espérons donc à la fois promouvoir une certaine idée de la laïcité, critique, en cette année du centenaire de la séparation (française) des Eglises et de l’État, avec toute conception de la laïcité « exception française ». Nous voulons aussi promouvoir un dialogue, un débat international sur la laïcité (où la chose est plus importante encore que le mot). Nous espérons que vous voudrez bien participer à cette initiative.
Jean Baubérot (Ecole Pratique des Hautes-Etudes)
Roberto Blancarte (Collegio de Mexico)
 Micheline Milot (Université du Québec à Montréal)
EMBARGO  (pour les médias seulement) JUQU’AU 9 DECEMBRE 2005
(à faire circuler pour recueillir des signatures)
DECLARATION UNIVERSELLE
SUR LA LAÏCITE AU XXIe SIECLE
Préambule

Considérant la diversité religieuse et morale croissantes, au sein des sociétés actuelles et les défis

que rencontrent les États modernes pour favoriser le vivre- ensemble harmonieux; considérant également la nécessité de respecter la pluralité des convictions religieuses, athées, agnostiques, philosophiques, et l’obligation de favoriser, par divers moyens, la délibération démocratique pacifique; considérant enfin que la sensibilité croissante des individus et des peuples aux libertés et aux droits fondamentaux invite les États à veiller à l’équilibre entre les principes essentiels qui favorisent le respect de la diversité et l’intégration de tous les citoyens à la sphère publique, nous, universitaires et citoyens de différents pays, proposons à la réflexion de chacun et au débat public, la déclaration suivante:

Principes fondamentaux
Article 1. Tous les êtres humains ont droit au respect de leur liberté de conscience et de sa pratique individuelle et collective. Ce respect implique la liberté d’adhérer à une religion ou à des convictions philosophiques (notamment l’athéisme et l’agnosticisme), la reconnaissance de l’autonomie de la conscience individuelle, de la liberté personnelle des êtres humains des deux sexes et leur libre choix en matière de religion et de conviction. Il implique également le respect par l’État, dans les limites d’un ordre public démocratique et du respect des droits fondamentaux, de l’autonomie des religions et des convictions philosophiques.
Article 2. Pour que les États soient en mesure d’assurer un traitement égal des êtres humains et des  différentes religions et convictions (dans les limites indiquées), l’ordre politique doit être libre d’élaborer des normes collectives sans qu’une religion ou conviction particulière ne domine le pouvoir et les institutions publiques. L’autonomie de l’État implique donc la dissociation de la loi civile et des normes religieuses ou philosophiques particulières. Les religions et les groupes de convictions peuvent librement participer aux débats de la société civile. En revanche, ils ne doivent en aucune façon, surplomber cette société et  lui imposer a priori des doctrines ou des comportements.
Article 3. L’égalité n’est pas seulement formelle, elle doit se traduire dans la pratique politique par une vigilance constante pour qu’aucune discrimination ne soit exercée contre des êtres humains, dans l’exercice de leurs droits, en particulier de leurs droits de citoyens, quelle que soit leur appartenance ou leur non-appartenance à une religion ou à une philosophie. Pour que soit respectée la liberté d’appartenance (ou de non appartenance) de chacun, des « accommodements raisonnables » peuvent s’avérer nécessaires entre les traditions nationales issues de groupes majoritaires et des groupes minoritaires.
 
La laïcité comme principe fondamental des États de droit
Article 4; Nous définissons la laïcité comme l’harmonisation, dans diverses conjonctures socio-historiques et géo-politiques, des trois principes déjà indiqués : respect de la liberté de conscience et de sa pratique individuelle et collective; autonomie du politique et de la société civile  à l’égard des normes religieuses et philosophiques particulières; non-discrimination directe ou indirecte envers des êtres humains.
Article 5. En effet, un processus de laïcisation émerge quand l’État ne se trouve plus légitimé par une religion ou une famille de pensée particulière et quand l’ensemble des citoyens peuvent délibérer pacifiquement, en égalité de droits et de dignité, pour exercer leur souveraineté dans l’exercice du  pouvoir politique. En respectant les principes indiqués, ce processus s’effectue en lien étroit avec la formation de tout État moderne qui entend assurer les droits fondamentaux de chaque citoyen. Des éléments de laïcité apparaissent donc nécessairement dans toute société qui veut harmoniser des rapports sociaux marqués par des intérêts et des conceptions morales ou religieuses plurielles.
 
Article 6. La laïcité, ainsi conçue, constitue un élément clef de la vie démocratique. Elle  imprègne inéluctablement le politique et le juridique, accompagnant en cela l’avancée de la démocratie, la reconnaissance des droits fondamentaux et l’acceptation sociale et politique du pluralisme.
Article 7. La laïcité n’est donc l’apanage d’aucune culture, d’aucune nation, d’aucun continent. Elle peut exister dans des conjonctures où le terme n’a pas été traditionnellement utilisé. Des processus de laïcisation ont eu lieu, ou peuvent avoir lieu, dans diverses cultures et civilisation, sans être forcément dénommés comme tel.
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Des débats de la laïcité
Article 8. L’organisation publique du calendrier, les cérémonies officielles d’enterrement, l’existence de « sanctuaires civiques » liés à des formes de religion civile et, d’une manière générale, l’équilibre entre ce qui est issu de l’héritage historique et ce qui est accordé au pluralisme actuel en matière de religion et de conviction dans une société donnée, ne peuvent  être considérés comme réglés de façon immuable et rejetés dans l’impensé. Cela constitue, au contraire, l’enjeu d’un débat laïque, pacifique et démocratique.
Article 9. Le respect concret de la liberté de conscience, l’autonomie du politique et de la société à l’égard de normes particulières, la non-discrimination doivent s’appliquer aux nécessaires débats concernant les rapports du corps à la sexualité, à la maladie et à la mort, à l’émancipation des femmes, aux questions de l’éducation des enfants, aux mariages mixtes, à la condition des adeptes de minorités religieuses ou non religieuses, des « incroyants » et de ceux qui critiquent la religion.
Article 10. L’équilibre entre les trois principes constitutifs de la laïcité constitue également un fil directeur pour les débats démocratiques sur le libre exercice du culte, la liberté d’expression, de manifestation des convictions religieuses et philosophiques, le prosélytisme et ses limites par respect de l’autre, les interférences et les distinctions nécessaires entre les divers domaines de la vie sociale, les obligations et les accommodements raisonnables dans la vie scolaire ou professionnelle.
Article 11. Les débats sur ces différentes questions mettent en jeu la représentation de l’identité nationale, les règles de santé publique, les conflits possibles entre la loi civile, les représentations morales particulières et la liberté de choix individuel, le principe de compatibilité des libertés. Dans aucun pays ni aucune société il n’existe de laïcité absolue; pour autant les diverses réponses apportées ne sont nullement équivalentes en matière de laïcité.
La laïcité et les défis du XXIe siècle
Article 12. En effet, la représentation des droits fondamentaux a beaucoup évolué depuis les premières proclamations des droits (à la fin du XVIIIe siècle). La signification concrète de l’égale dignité des êtres humains et de l’égalité des droits est en jeu dans les réponses données. Or le cadre étatique de la laïcité fait face aujourd’hui aux problèmes des statuts spécifiques et du droit commun, des divergences entre la loi civile et certaines normes religieuses et de conviction, de la compatibilité entre les droits des parents et de ce que les conventions internationales considèrent comme les droits de l’enfant, ainsi que du droit au « blasphème ».
.Article 13. Par ailleurs, dans différents pays démocratiques, le processus historique de laïcisation, semble être arrivé, pour de nombreux citoyens, à une spécificité nationale dont la remise en cause suscite des craintes. Et plus le processus de laïcisation a été long et conflictuel, plus la peur du changement peut se manifester. Mais de profondes mutations sociales s’effectuent et la laïcité ne saurait être rigide ou immobile. Il faut donc éviter crispations et phobies, pour savoir trouver des réponses nouvelles aux défis nouveaux.
Article 14. Là où ils ont eu lieu, les processus de laïcisation ont correspondu historiquement à un temps où les grandes traditions religieuses constituaient des systèmes d’emprise sociale. La réussite de ces processus a engendré une certaine individualisation du religieux et du convictionnel, qui devient alors une dimension de la liberté de choix personnel. Contrairement à ce qui est craint dans certaines sociétés, la laïcité ne signifie pas l’abolition de la religion mais la liberté de choix en matière de religion. Cela implique aujourd’hui encore, là où cela est nécessaire, de déconnecter  le religieux des évidences sociales et de toute imposition politique. Mais qui dit liberté de choix dit également libre possibilité d’une authenticité religieuse ou convictionnelle.
 
Article 15. Religions et convictions philosophiques constituent alors socialement des lieux de ressources culturelles. La laïcité du XXIe siècle doit permettre d’articuler diversité culturelle et unité du lien politique et social, tout comme les laïcités historiques ont dû apprendre à concilier les diversités religieuses avec l’unité de ce lien. C’est à partir de ce contexte global qu’il faut analyser l’émergence de nouvelles formes de religiosités, qu’il s’agisse de bricolages entre  traditions religieuses, de mélanges de religieux et de non-religieux, de nouvelles expressions religieuses, mais aussi de formes diverses de radicalismes religieux. C’est également dans le contexte de l’individualisation qu’il faut comprendre pourquoi il est difficile de réduire le religieux au seul exercice du culte et pourquoi la laïcité comme cadre général d’un vivre- ensemble harmonieux  est plus que jamais souhaitable.
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Article 16. La croyance que le progrès scientifique et technique pouvait engendrer du progrès moral et social se trouve, aujourd’hui, en déclin; cela contribue à rendre l’avenir incertain, la projection dans cet avenir plus difficile, les débats politiques et sociaux moins lisibles. Après les illusions du progrès, on risque de privilégier unilatéralement les racines. Cette situation nous incite à faire preuve de créativité, dans le cadre de la laïcité, pour inventer de nouvelles formes du lien politique et social capables d’assumer cette nouvelle conjoncture, de trouver de nouveaux rapports à l’histoire que nous construisons ensemble.

Article 17. Les  différents processus de laïcisation ont correspondu aux différents développements des États. Les laïcités ont pris, d’ailleurs, des formes diverses suivant que l’État se montrait centralisateur ou fédéral. La construction de grands ensembles supra étatiques et le relatif mais réel détachement du juridique par rapport à l’étatique créent une nouvelle donne. L’État, cependant, se trouve peut-être plus dans une phase de mutation que de véritable déclin. Tendanciellement, il agit moins dans la sphère du marché et perd, au moins partiellement, le rôle d’État providence qu’il a plus ou moins revêtu dans beaucoup de pays. En revanche, il intervient dans des sphères jusqu’alors considérées comme privées, voire intimes et répond peut-être encore plus que par le passé à des demandes sécuritaires, dont certaines peuvent menacer les libertés. Il  nous faut donc inventer de nouveaux liens entre la laïcité et la justice sociale,  la garantie et l’amplification  des libertés individuelles et collectives.

Article 18. Tout en veillant à ce que la laïcité ne prenne elle-même, dans ce nouveau contexte, des aspects de religion civile où elle se sacraliserait plus ou moins, l’apprentissage des principes inhérents à la laïcité peut contribuer à une culture de paix civile. Ceci exige que la laïcité ne soit pas conçue comme une idéologie anticléricale ou intangible. C’est une conception laïque, dynamique et inventive qui donnera une réponse démocratique aux principaux défis du XXIe siècle. Cela lui permettra d’apparaître réellement comme un principe fondamental du vivre-ensemble dans des contextes où la pluralité des conceptions du monde ne doit pas apparaître comme une menace mais plutôt comme une véritable  richesse.



[1] Ce qui, en France, inclut naturellement les IUFM.

03/10/2005

Imbrobable roman

LA POSSIBILITE D’UN COMBES

Plus que quelques jours à attendre, le 14 octobre, vous devez trouver dans toutes les ‘bonnes’ librairies, le roman du centenaire, un roman plein d’amour, de laïcité et d’eau fraîche. Une histoire "vraie" où la réalité dépasse la fiction.

EMILE COMBES ET LA PRINCESSE CARMELITE, IMPROBABLE AMOUR
(éditions de l’Aube)
Lundi 10 octobre, je vous expliquerai pourquoi, moi qui ne suis pas « combiste » j’ai voulu remettre en valeur la personnalité de Combes, qui n’est en rien le « sectaire » que l’on croit. Je vous dirai tout sur les raisons qui m'ont conduit à écrire ce roman.

LE QUATRIEME IMPENSE DE LA COMMEMORATION

LES AUTEURS D’UNE LOI DE LAÏCITE LIBERALE

SONT D’ANCIENS PARTISANS DE LA  LAÏCITE INTEGRALE

Non seulement la laïcité de la loi de 1905 n’est pas celle de Combes comme certains le soulignent,[1] mais les auteurs de la loi : Aristide Briand et ses deux soutiens principaux : Jaurès et Pressensé, ont été « combistes » et même, pour Jaurès, « ultra-combiste ».

En fait , il est plus rigoureux de ne pas seulement utiliser le terme de « combisme », mais d’employer également un autre terme d’époque, celui de « laïcité intégrale », terme que ,significativement, on a tendance à oublier aujourd’hui.

Par exemple, en 1903, Francis de Pressensé -celui précisément qui va emprunter à la culture politique anglo-saxonne la formule de l’article 4, formule qui éloigne la laïcité de 1905 de l’universalisme abstrait dit « républicain »  (cf le « troisième impensé du centenaire)- dépose un projet de loi de séparation co-signé par Briand et Jaurès. Ce projet commençait par une virulente attaque contre le catholicisme:

« Les (catholiques sont) les ennemis jurés de la liberté, les disciples du Syllabus, les héritiers de la plus formidable entreprise d’asservissement intellectuel, les complices des plus odieuses tentatives d’oppression morale et politique »

Les dispositions du projet soumettent les futures associations formées pour l’exercice d’un culte à des dispositions nettement plus restrictives que  celles prévues par la loi de 1901 sur les associations. Les édifices religieux loués aux ex-cultes reconnus (catholicisme, judaïsme, protestantisme) pourront aussi servir à « célébrer des fêtes civiques nationales ou locales » ce qui peut faire craindre le retour à des pratiques antireligieuses de la révolution, Par ailleurs, il est interdit de rattacher un diocèse à la juridiction d’un « évêque ayant son siège en pays étranger », or le pape est l’évêque de Rome. Etc . [2]

On est a l’opposé du propos que Briand martèle dans la discussion de la loi de séparation en 1905 : il faut faire une loi « acceptable » par l’Eglise catholique. Or Briand est l’ancien collaborateur du journal très anticlérical La Lanterne. et, au départ, il ne semble pas moins anticlérical que Pressensé et Jaurès.

Autre paradoxe : c’est la Chambre qui a soutenu Combes jusqu’au bout, la Chambre qui a  refusé les demandes d’autorisation des congrégations, qui a voté l’interdiction de l’enseignement aux congréganiste, c’est cette Chambre là qui élabore la loi de 1905, dans un climat totalement différent.

Je restitue, dans mon roman, les débats parlementaires et c’est fascinant de constater à quel point les échanges sont vifs, dévient même parfois en pugilat de 1902 à 1904 alors que, une fois le principe de séparation adopté, l’élaboration de la loi s’effectue dans un climat de dialogue, d’écoute, de respect mutuel.

Plus encore, des adversaires du principe de séparation contribuent à l’élaboration de la loi. Le plus important est Alexandre Ribot, républicain du centre, adversaire très déterminé de Combes, et qui peut presque être considéré comme un des co-auteurs de la loi, vu à quel point il a été tenu compte de ses remarques.

Mais d’autres qui sont de centre droit comme Aynard ou franchement de droite comme l’abbé Gayraud peuvent également, à plusieurs reprises, retirer les amendements qu’ils proposent car les modifications qui sont apportées au texte leur donnent satisfaction. Inutile de préciser qu’Aynard et Gayraud étaient des anti-Combes acharnés !

Le 9 juin, alors que l’on va vers la fin des débats à la Chambre  commencés le 21 mars ils se termineront le 3 juillet) Briand peut déclarer : Je me félicite que tous nos collègues de tous les partis soient intervenus loyalement dans cette discussion pour essayer de faire triompher leurs vues et je m’honore d’avoir accepté certaines modifications sous l’influence de leurs arguments, quand ils étaient décisifs. J’ajoute que je serai heureux, lorsque la loi sera votée, qu’elle portât la signature non seulement de ceux qui, dés le début, se sont montrés favorables au principe de la séparation, mais aussi de ceux qui, après l’avoir combattue, se sont efforcés ensuite de l’améliorer »

Et à Ribot en particulier, Briand déclare : « Vous voyez vous-même, monsieur Ribot, que vous avez prise sur cette Assemblée et pourtant vous avez souvent, depuis le début de cette législature, taxé la majorité de jacobinisme étroit et irréductible » Effectivement de 1902 à 1904, le jacobinisme avait été « étroit ». L’œuvre de l’assemblée en 1905 prouve qu’il n’était pas « irréductible ».

Dix jours plus tard,  Maurice Allard, tout comme Briand socialiste et libre-penseur, mais toujours partisan, lui, d’une « séparation conforme au vieux programme républicain, c'est-à-dire d’une séparation qui désarmât l’Eglise, qui tendit à diminuer sa malfaisance politique et sociale », constate, désabusé et amer, que –contrairement à ce qu’il « croyait », « cette majorité n’existe pas » (pour réaliser une telle séparation). Du coup, il retire son amendement et tous ceux qu’il avait encore en réserve. Il faut dire que, depuis le 10 avril, les amendements qu’il présente sont régulièrement battus à plat de couture !

Cela ne veut pas dire que la séparation soit l’œuvre du centre et de la droite. Quand ceux-ci tentent de pousser très loin leur avantage, Briand et la Chambre, en général, ne les suivent pas. Inversement, on sent poindre à différentes reprises une méfiance du centre et de la droite. Par exemple, dans ce qu’il sera finalement l’article 34, il est question de ne pas « outrager » ou « diffamer » un « citoyen chargé d’un service public ». Protestation, dépôt d’un amendement de l’abbé Lemire, qui demande un peu vivement à Briand, « Ou avez-vous été cherché cette expression ? », pensant qu’il y a là une entourloupe. Briand répond, très calmement : « Dans la loi de 1881 ». Rassuré, Lemire retire son amendement.

Malgré ces nuances, il existe incontestablement un changement structurel, entre les débats de 1902-1904 et ceux de 1905. Poursuite d’une laïcité intégrale d’un côté, élaboration d’une loi de laïcité libérale de l’autre (l’adjectif libéral est largement utilisé, ce qui montre qu’à l’époque personne n’avait peur des adjectifs et il ne régnait pas le petit terrorisme intellectuel  (si l’on peut dire !) de ceux qui, maintenant, voudrait que « laïcité » soit le seul terme de la langue française pour lequel il soit interdit d’accoler un adjectif !)
Nous verrons avec le prochain impensé les raisons de ce changement, occupons nous maintenant de la façon dont beaucoup, lors de cette commémoration, contournent le paradoxe de partisans de la laïcité intégrale devenus les auteurs d’une loi de laïcité libérale. (Et le paradoxe se redouble quand finalement, lors du vote final ceux, à gauche, dont les amendements ont été repoussés votent la loi, tandis qu’au centre et à droite beaucoup de ceux dont les amendements ont été pris en compte ne la votent pas)

Deux discours dominants sont tenus aujourd’hui :

-         selon certains, la loi de 1905 était une manifestation d’anticléricalisme, une loi de combat qui n’est devenue qu’avec le temps une loi d’apaisement. La loi n’aurait pas été libérale dès le départ, les accords de 1923-24 avec le pape, la jurisprudence, les évolutions de ces dernières décennies l’auraient libéralisée.

-         d’autres célèbrent la loi comme libérale, respectueuse de la liberté de conscience et de culte mais ne disent rien sur son contexte. Ils rejettent dans l’impensé toute la lutte anticongréganiste ou, au mieux, la minimisent fortement.

La seconde position pourrait faire croire aux ‘Français moyens’ qui ne sont pas forcément des spécialistes de cette époque (litote !) à une séparation quasi-consensuelle, s’effectuant dans la concorde (sous entendu : qu’on était bien entre « Français de souche », la laïcité et le judéo-christianisme, cela s’harmonise merveilleusement). Les conflits seraient arrivés avec l’islam.  On pose tout le temps la question : « l’islam est-il (théologiquement, philosophiquement) compatible avec la laïcité », sans se rendre compte que lorsque la loi de 1905 a été élaborée, il semblait clair à tous que le catholicisme n’était pas (théologiquement et philosophiquement) compatibles avec la laïcité.

La première position a le mérite de rappeler le contexte, mais le grand tort de faire comme si la loi de séparation était un reflet de son contexte, alors que, précisément, ce qui est marquant dans la loi de séparation, c’est la façon dont les législateurs ont su se dégager de la perspective de la « République menacée » et de la poursuite d’une « laïcité intégrale » qui rendait religieux le rapport à la laïcité. Certes le virage s’est poursuivi ensuite et ses effets ont été rendus peu à peu visible, mais il est bien pris dès 1905. Et cette première position veut nous faire croire soit que la laïcité de 1905 a été « trahie » ensuite (position laïque dure pendant longtemps et assez marginalisée aujourd’hui) soit (position beaucoup plus répandue maintenant) que la position du pape interdisant aux catholiques français de se conformer à la loi et de former des associations cultuelles était justifiée, nous faire croire que c’est grâce à ce refus que la laïcité serait devenue libérale.


[1] A juste titre, au risque cependant (comme je l’indiquerai dans mon roman) de transformer Combes en bouc émissaire et de sous-estimer son rôle dans le processus qui a conduit à la séparation)
[2] Pour une vision plus complète du projet cf. J. Baubérot, Vers un nouveau pacte laïque, Le Seuil, 1990 et R. Fabre, Francis de Pressensé et la défense des droits de l’homme, Presses Universitaires de Rennes, 2004.