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03/10/2005

LE QUATRIEME IMPENSE DE LA COMMEMORATION

LES AUTEURS D’UNE LOI DE LAÏCITE LIBERALE

SONT D’ANCIENS PARTISANS DE LA  LAÏCITE INTEGRALE

Non seulement la laïcité de la loi de 1905 n’est pas celle de Combes comme certains le soulignent,[1] mais les auteurs de la loi : Aristide Briand et ses deux soutiens principaux : Jaurès et Pressensé, ont été « combistes » et même, pour Jaurès, « ultra-combiste ».

En fait , il est plus rigoureux de ne pas seulement utiliser le terme de « combisme », mais d’employer également un autre terme d’époque, celui de « laïcité intégrale », terme que ,significativement, on a tendance à oublier aujourd’hui.

Par exemple, en 1903, Francis de Pressensé -celui précisément qui va emprunter à la culture politique anglo-saxonne la formule de l’article 4, formule qui éloigne la laïcité de 1905 de l’universalisme abstrait dit « républicain »  (cf le « troisième impensé du centenaire)- dépose un projet de loi de séparation co-signé par Briand et Jaurès. Ce projet commençait par une virulente attaque contre le catholicisme:

« Les (catholiques sont) les ennemis jurés de la liberté, les disciples du Syllabus, les héritiers de la plus formidable entreprise d’asservissement intellectuel, les complices des plus odieuses tentatives d’oppression morale et politique »

Les dispositions du projet soumettent les futures associations formées pour l’exercice d’un culte à des dispositions nettement plus restrictives que  celles prévues par la loi de 1901 sur les associations. Les édifices religieux loués aux ex-cultes reconnus (catholicisme, judaïsme, protestantisme) pourront aussi servir à « célébrer des fêtes civiques nationales ou locales » ce qui peut faire craindre le retour à des pratiques antireligieuses de la révolution, Par ailleurs, il est interdit de rattacher un diocèse à la juridiction d’un « évêque ayant son siège en pays étranger », or le pape est l’évêque de Rome. Etc . [2]

On est a l’opposé du propos que Briand martèle dans la discussion de la loi de séparation en 1905 : il faut faire une loi « acceptable » par l’Eglise catholique. Or Briand est l’ancien collaborateur du journal très anticlérical La Lanterne. et, au départ, il ne semble pas moins anticlérical que Pressensé et Jaurès.

Autre paradoxe : c’est la Chambre qui a soutenu Combes jusqu’au bout, la Chambre qui a  refusé les demandes d’autorisation des congrégations, qui a voté l’interdiction de l’enseignement aux congréganiste, c’est cette Chambre là qui élabore la loi de 1905, dans un climat totalement différent.

Je restitue, dans mon roman, les débats parlementaires et c’est fascinant de constater à quel point les échanges sont vifs, dévient même parfois en pugilat de 1902 à 1904 alors que, une fois le principe de séparation adopté, l’élaboration de la loi s’effectue dans un climat de dialogue, d’écoute, de respect mutuel.

Plus encore, des adversaires du principe de séparation contribuent à l’élaboration de la loi. Le plus important est Alexandre Ribot, républicain du centre, adversaire très déterminé de Combes, et qui peut presque être considéré comme un des co-auteurs de la loi, vu à quel point il a été tenu compte de ses remarques.

Mais d’autres qui sont de centre droit comme Aynard ou franchement de droite comme l’abbé Gayraud peuvent également, à plusieurs reprises, retirer les amendements qu’ils proposent car les modifications qui sont apportées au texte leur donnent satisfaction. Inutile de préciser qu’Aynard et Gayraud étaient des anti-Combes acharnés !

Le 9 juin, alors que l’on va vers la fin des débats à la Chambre  commencés le 21 mars ils se termineront le 3 juillet) Briand peut déclarer : Je me félicite que tous nos collègues de tous les partis soient intervenus loyalement dans cette discussion pour essayer de faire triompher leurs vues et je m’honore d’avoir accepté certaines modifications sous l’influence de leurs arguments, quand ils étaient décisifs. J’ajoute que je serai heureux, lorsque la loi sera votée, qu’elle portât la signature non seulement de ceux qui, dés le début, se sont montrés favorables au principe de la séparation, mais aussi de ceux qui, après l’avoir combattue, se sont efforcés ensuite de l’améliorer »

Et à Ribot en particulier, Briand déclare : « Vous voyez vous-même, monsieur Ribot, que vous avez prise sur cette Assemblée et pourtant vous avez souvent, depuis le début de cette législature, taxé la majorité de jacobinisme étroit et irréductible » Effectivement de 1902 à 1904, le jacobinisme avait été « étroit ». L’œuvre de l’assemblée en 1905 prouve qu’il n’était pas « irréductible ».

Dix jours plus tard,  Maurice Allard, tout comme Briand socialiste et libre-penseur, mais toujours partisan, lui, d’une « séparation conforme au vieux programme républicain, c'est-à-dire d’une séparation qui désarmât l’Eglise, qui tendit à diminuer sa malfaisance politique et sociale », constate, désabusé et amer, que –contrairement à ce qu’il « croyait », « cette majorité n’existe pas » (pour réaliser une telle séparation). Du coup, il retire son amendement et tous ceux qu’il avait encore en réserve. Il faut dire que, depuis le 10 avril, les amendements qu’il présente sont régulièrement battus à plat de couture !

Cela ne veut pas dire que la séparation soit l’œuvre du centre et de la droite. Quand ceux-ci tentent de pousser très loin leur avantage, Briand et la Chambre, en général, ne les suivent pas. Inversement, on sent poindre à différentes reprises une méfiance du centre et de la droite. Par exemple, dans ce qu’il sera finalement l’article 34, il est question de ne pas « outrager » ou « diffamer » un « citoyen chargé d’un service public ». Protestation, dépôt d’un amendement de l’abbé Lemire, qui demande un peu vivement à Briand, « Ou avez-vous été cherché cette expression ? », pensant qu’il y a là une entourloupe. Briand répond, très calmement : « Dans la loi de 1881 ». Rassuré, Lemire retire son amendement.

Malgré ces nuances, il existe incontestablement un changement structurel, entre les débats de 1902-1904 et ceux de 1905. Poursuite d’une laïcité intégrale d’un côté, élaboration d’une loi de laïcité libérale de l’autre (l’adjectif libéral est largement utilisé, ce qui montre qu’à l’époque personne n’avait peur des adjectifs et il ne régnait pas le petit terrorisme intellectuel  (si l’on peut dire !) de ceux qui, maintenant, voudrait que « laïcité » soit le seul terme de la langue française pour lequel il soit interdit d’accoler un adjectif !)
Nous verrons avec le prochain impensé les raisons de ce changement, occupons nous maintenant de la façon dont beaucoup, lors de cette commémoration, contournent le paradoxe de partisans de la laïcité intégrale devenus les auteurs d’une loi de laïcité libérale. (Et le paradoxe se redouble quand finalement, lors du vote final ceux, à gauche, dont les amendements ont été repoussés votent la loi, tandis qu’au centre et à droite beaucoup de ceux dont les amendements ont été pris en compte ne la votent pas)

Deux discours dominants sont tenus aujourd’hui :

-         selon certains, la loi de 1905 était une manifestation d’anticléricalisme, une loi de combat qui n’est devenue qu’avec le temps une loi d’apaisement. La loi n’aurait pas été libérale dès le départ, les accords de 1923-24 avec le pape, la jurisprudence, les évolutions de ces dernières décennies l’auraient libéralisée.

-         d’autres célèbrent la loi comme libérale, respectueuse de la liberté de conscience et de culte mais ne disent rien sur son contexte. Ils rejettent dans l’impensé toute la lutte anticongréganiste ou, au mieux, la minimisent fortement.

La seconde position pourrait faire croire aux ‘Français moyens’ qui ne sont pas forcément des spécialistes de cette époque (litote !) à une séparation quasi-consensuelle, s’effectuant dans la concorde (sous entendu : qu’on était bien entre « Français de souche », la laïcité et le judéo-christianisme, cela s’harmonise merveilleusement). Les conflits seraient arrivés avec l’islam.  On pose tout le temps la question : « l’islam est-il (théologiquement, philosophiquement) compatible avec la laïcité », sans se rendre compte que lorsque la loi de 1905 a été élaborée, il semblait clair à tous que le catholicisme n’était pas (théologiquement et philosophiquement) compatibles avec la laïcité.

La première position a le mérite de rappeler le contexte, mais le grand tort de faire comme si la loi de séparation était un reflet de son contexte, alors que, précisément, ce qui est marquant dans la loi de séparation, c’est la façon dont les législateurs ont su se dégager de la perspective de la « République menacée » et de la poursuite d’une « laïcité intégrale » qui rendait religieux le rapport à la laïcité. Certes le virage s’est poursuivi ensuite et ses effets ont été rendus peu à peu visible, mais il est bien pris dès 1905. Et cette première position veut nous faire croire soit que la laïcité de 1905 a été « trahie » ensuite (position laïque dure pendant longtemps et assez marginalisée aujourd’hui) soit (position beaucoup plus répandue maintenant) que la position du pape interdisant aux catholiques français de se conformer à la loi et de former des associations cultuelles était justifiée, nous faire croire que c’est grâce à ce refus que la laïcité serait devenue libérale.


[1] A juste titre, au risque cependant (comme je l’indiquerai dans mon roman) de transformer Combes en bouc émissaire et de sous-estimer son rôle dans le processus qui a conduit à la séparation)
[2] Pour une vision plus complète du projet cf. J. Baubérot, Vers un nouveau pacte laïque, Le Seuil, 1990 et R. Fabre, Francis de Pressensé et la défense des droits de l’homme, Presses Universitaires de Rennes, 2004.

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