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10/10/2005

DECLARATION SUR LA LAÏCITE

DÉCLARATION INTERNATIONALE
SUR LA LAÏCITÉ

Chère Madame, Cher Monsieur,

Vous allez trouver ci après une déclaration  sur la laïcité. Fruit d’une idée lancée au départ par trois universitaires de trois continents différents, cette Déclaration, a été rédigée à la suite d’un processus collectif  auquel ont participé des dizaines d’universitaires de différents pays. Il est donc normal que personne ne puisse être en accord à 100% avec l’ensemble du texte. Celui-ci constitue, notamment, la résultante entre celles et ceux qui souhaitaient un énoncé analytique et ceux et celles qui désiraient une proclamation solennelle.

Ce texte constitue donc une déclaration non péremptoire qui, en fait, veut essentiellement susciter des réflexions, des débats. Surtout il vise (c’est son objectif premier) à se déconnecter de la situation française ou même européenne ou occidentale et, en la lisant, il faut se rappeler que ce qui peut avoir valeur d’évidence en France ou en Occident, n’est pas forcément un acquis pour l’ensemble de la planète. Nous avons voulu proposer des pistes sans nous poser en donneurs de leçons.
Y avons-nous réussi? Nous le dira l’ampleur des réponses, le nombre de celles et ceux qui voudront bien signer ce texte. Précisons la règle du jeu : la signature n’implique pas un accord avec la lettre des formules mais avec les grandes orientations du texte, l’état d’esprit général et la volonté de trouver un accord qui puisse rassembler des individus de différents pays, de différents continents.
Par ailleurs, la signature peut se trouver accompagnée de commentaires et/ou de remarques critiques. Ces commentaires et ces remarques seront considérés comme des annexes de la Déclaration. Elles l’enrichiront et manifesteront que le soutien au texte n’a rien d’inconditionnel, ne fait perdre à personne son individualité propre (ce qui est en accord avec le texte lui-même). Signatures, commentaires et remarques sont à envoyer à l’adresse mel suivante : declarationlaicite@hotmail.fr
La signature du texte est d’abord réservée aux Universitaires, au sens large de toutes celles et de tous ceux qui travaillent dans l’Université[1]: professeurs, chercheurs, ingénieurs, administratifs, doctorants, post-doctorants rattachés à un laboratoire ou à une formation de recherche. Chacun est prié d’indiquer son institution de rattachement (même si, naturellement, il ne l’engage pas) et surtout sa nationalité. Mais, répondant à de nombreuses demandes, nous avons décidé de l’élargir dès maintenant à toutes celles et tous ceux qui le souhaitent et particulièrement aux militants associatifs (prière d’indiquer l’association dont on fait partie, même si on ne l’engage pas)
 
N’hésitez pas non plus à diffuser largement cette Déclaration auprès de toutes celles et tous ceux susceptibles d’être intéressés. Sachez qu’une version du texte en anglais, espagnol et arabe est en cours de préparation. Les volontaires pouvant traduire le texte dans d’autres langues seront les bienvenus. Une traduction en espagnol existe, des traductions en anglais et en arabes sont sur le point d’être achevées.
Le 9 décembre 2005, jour anniversaire du centenaire de la loi française de séparation des Eglises et de l’État, cette Déclaration sera présentée à la presse, à Paris, dans une salle du Sénat, le 17 décembre, elle sera présentée à Bruxelles (et pourquoi pas dans d’autres pays, l’Italie l’envisage déjà pour début 2006) munie de  signatures de personnes de nationalités très diverses.
Nous espérons donc à la fois promouvoir une certaine idée de la laïcité, critique, en cette année du centenaire de la séparation (française) des Eglises et de l’État, avec toute conception de la laïcité « exception française ». Nous voulons aussi promouvoir un dialogue, un débat international sur la laïcité (où la chose est plus importante encore que le mot). Nous espérons que vous voudrez bien participer à cette initiative.
Jean Baubérot (Ecole Pratique des Hautes-Etudes)
Roberto Blancarte (Collegio de Mexico)
 Micheline Milot (Université du Québec à Montréal)
EMBARGO  (pour les médias seulement) JUQU’AU 9 DECEMBRE 2005
(à faire circuler pour recueillir des signatures)
DECLARATION UNIVERSELLE
SUR LA LAÏCITE AU XXIe SIECLE
Préambule

Considérant la diversité religieuse et morale croissantes, au sein des sociétés actuelles et les défis

que rencontrent les États modernes pour favoriser le vivre- ensemble harmonieux; considérant également la nécessité de respecter la pluralité des convictions religieuses, athées, agnostiques, philosophiques, et l’obligation de favoriser, par divers moyens, la délibération démocratique pacifique; considérant enfin que la sensibilité croissante des individus et des peuples aux libertés et aux droits fondamentaux invite les États à veiller à l’équilibre entre les principes essentiels qui favorisent le respect de la diversité et l’intégration de tous les citoyens à la sphère publique, nous, universitaires et citoyens de différents pays, proposons à la réflexion de chacun et au débat public, la déclaration suivante:

Principes fondamentaux
Article 1. Tous les êtres humains ont droit au respect de leur liberté de conscience et de sa pratique individuelle et collective. Ce respect implique la liberté d’adhérer à une religion ou à des convictions philosophiques (notamment l’athéisme et l’agnosticisme), la reconnaissance de l’autonomie de la conscience individuelle, de la liberté personnelle des êtres humains des deux sexes et leur libre choix en matière de religion et de conviction. Il implique également le respect par l’État, dans les limites d’un ordre public démocratique et du respect des droits fondamentaux, de l’autonomie des religions et des convictions philosophiques.
Article 2. Pour que les États soient en mesure d’assurer un traitement égal des êtres humains et des  différentes religions et convictions (dans les limites indiquées), l’ordre politique doit être libre d’élaborer des normes collectives sans qu’une religion ou conviction particulière ne domine le pouvoir et les institutions publiques. L’autonomie de l’État implique donc la dissociation de la loi civile et des normes religieuses ou philosophiques particulières. Les religions et les groupes de convictions peuvent librement participer aux débats de la société civile. En revanche, ils ne doivent en aucune façon, surplomber cette société et  lui imposer a priori des doctrines ou des comportements.
Article 3. L’égalité n’est pas seulement formelle, elle doit se traduire dans la pratique politique par une vigilance constante pour qu’aucune discrimination ne soit exercée contre des êtres humains, dans l’exercice de leurs droits, en particulier de leurs droits de citoyens, quelle que soit leur appartenance ou leur non-appartenance à une religion ou à une philosophie. Pour que soit respectée la liberté d’appartenance (ou de non appartenance) de chacun, des « accommodements raisonnables » peuvent s’avérer nécessaires entre les traditions nationales issues de groupes majoritaires et des groupes minoritaires.
 
La laïcité comme principe fondamental des États de droit
Article 4; Nous définissons la laïcité comme l’harmonisation, dans diverses conjonctures socio-historiques et géo-politiques, des trois principes déjà indiqués : respect de la liberté de conscience et de sa pratique individuelle et collective; autonomie du politique et de la société civile  à l’égard des normes religieuses et philosophiques particulières; non-discrimination directe ou indirecte envers des êtres humains.
Article 5. En effet, un processus de laïcisation émerge quand l’État ne se trouve plus légitimé par une religion ou une famille de pensée particulière et quand l’ensemble des citoyens peuvent délibérer pacifiquement, en égalité de droits et de dignité, pour exercer leur souveraineté dans l’exercice du  pouvoir politique. En respectant les principes indiqués, ce processus s’effectue en lien étroit avec la formation de tout État moderne qui entend assurer les droits fondamentaux de chaque citoyen. Des éléments de laïcité apparaissent donc nécessairement dans toute société qui veut harmoniser des rapports sociaux marqués par des intérêts et des conceptions morales ou religieuses plurielles.
 
Article 6. La laïcité, ainsi conçue, constitue un élément clef de la vie démocratique. Elle  imprègne inéluctablement le politique et le juridique, accompagnant en cela l’avancée de la démocratie, la reconnaissance des droits fondamentaux et l’acceptation sociale et politique du pluralisme.
Article 7. La laïcité n’est donc l’apanage d’aucune culture, d’aucune nation, d’aucun continent. Elle peut exister dans des conjonctures où le terme n’a pas été traditionnellement utilisé. Des processus de laïcisation ont eu lieu, ou peuvent avoir lieu, dans diverses cultures et civilisation, sans être forcément dénommés comme tel.
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Des débats de la laïcité
Article 8. L’organisation publique du calendrier, les cérémonies officielles d’enterrement, l’existence de « sanctuaires civiques » liés à des formes de religion civile et, d’une manière générale, l’équilibre entre ce qui est issu de l’héritage historique et ce qui est accordé au pluralisme actuel en matière de religion et de conviction dans une société donnée, ne peuvent  être considérés comme réglés de façon immuable et rejetés dans l’impensé. Cela constitue, au contraire, l’enjeu d’un débat laïque, pacifique et démocratique.
Article 9. Le respect concret de la liberté de conscience, l’autonomie du politique et de la société à l’égard de normes particulières, la non-discrimination doivent s’appliquer aux nécessaires débats concernant les rapports du corps à la sexualité, à la maladie et à la mort, à l’émancipation des femmes, aux questions de l’éducation des enfants, aux mariages mixtes, à la condition des adeptes de minorités religieuses ou non religieuses, des « incroyants » et de ceux qui critiquent la religion.
Article 10. L’équilibre entre les trois principes constitutifs de la laïcité constitue également un fil directeur pour les débats démocratiques sur le libre exercice du culte, la liberté d’expression, de manifestation des convictions religieuses et philosophiques, le prosélytisme et ses limites par respect de l’autre, les interférences et les distinctions nécessaires entre les divers domaines de la vie sociale, les obligations et les accommodements raisonnables dans la vie scolaire ou professionnelle.
Article 11. Les débats sur ces différentes questions mettent en jeu la représentation de l’identité nationale, les règles de santé publique, les conflits possibles entre la loi civile, les représentations morales particulières et la liberté de choix individuel, le principe de compatibilité des libertés. Dans aucun pays ni aucune société il n’existe de laïcité absolue; pour autant les diverses réponses apportées ne sont nullement équivalentes en matière de laïcité.
La laïcité et les défis du XXIe siècle
Article 12. En effet, la représentation des droits fondamentaux a beaucoup évolué depuis les premières proclamations des droits (à la fin du XVIIIe siècle). La signification concrète de l’égale dignité des êtres humains et de l’égalité des droits est en jeu dans les réponses données. Or le cadre étatique de la laïcité fait face aujourd’hui aux problèmes des statuts spécifiques et du droit commun, des divergences entre la loi civile et certaines normes religieuses et de conviction, de la compatibilité entre les droits des parents et de ce que les conventions internationales considèrent comme les droits de l’enfant, ainsi que du droit au « blasphème ».
.Article 13. Par ailleurs, dans différents pays démocratiques, le processus historique de laïcisation, semble être arrivé, pour de nombreux citoyens, à une spécificité nationale dont la remise en cause suscite des craintes. Et plus le processus de laïcisation a été long et conflictuel, plus la peur du changement peut se manifester. Mais de profondes mutations sociales s’effectuent et la laïcité ne saurait être rigide ou immobile. Il faut donc éviter crispations et phobies, pour savoir trouver des réponses nouvelles aux défis nouveaux.
Article 14. Là où ils ont eu lieu, les processus de laïcisation ont correspondu historiquement à un temps où les grandes traditions religieuses constituaient des systèmes d’emprise sociale. La réussite de ces processus a engendré une certaine individualisation du religieux et du convictionnel, qui devient alors une dimension de la liberté de choix personnel. Contrairement à ce qui est craint dans certaines sociétés, la laïcité ne signifie pas l’abolition de la religion mais la liberté de choix en matière de religion. Cela implique aujourd’hui encore, là où cela est nécessaire, de déconnecter  le religieux des évidences sociales et de toute imposition politique. Mais qui dit liberté de choix dit également libre possibilité d’une authenticité religieuse ou convictionnelle.
 
Article 15. Religions et convictions philosophiques constituent alors socialement des lieux de ressources culturelles. La laïcité du XXIe siècle doit permettre d’articuler diversité culturelle et unité du lien politique et social, tout comme les laïcités historiques ont dû apprendre à concilier les diversités religieuses avec l’unité de ce lien. C’est à partir de ce contexte global qu’il faut analyser l’émergence de nouvelles formes de religiosités, qu’il s’agisse de bricolages entre  traditions religieuses, de mélanges de religieux et de non-religieux, de nouvelles expressions religieuses, mais aussi de formes diverses de radicalismes religieux. C’est également dans le contexte de l’individualisation qu’il faut comprendre pourquoi il est difficile de réduire le religieux au seul exercice du culte et pourquoi la laïcité comme cadre général d’un vivre- ensemble harmonieux  est plus que jamais souhaitable.
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Article 16. La croyance que le progrès scientifique et technique pouvait engendrer du progrès moral et social se trouve, aujourd’hui, en déclin; cela contribue à rendre l’avenir incertain, la projection dans cet avenir plus difficile, les débats politiques et sociaux moins lisibles. Après les illusions du progrès, on risque de privilégier unilatéralement les racines. Cette situation nous incite à faire preuve de créativité, dans le cadre de la laïcité, pour inventer de nouvelles formes du lien politique et social capables d’assumer cette nouvelle conjoncture, de trouver de nouveaux rapports à l’histoire que nous construisons ensemble.

Article 17. Les  différents processus de laïcisation ont correspondu aux différents développements des États. Les laïcités ont pris, d’ailleurs, des formes diverses suivant que l’État se montrait centralisateur ou fédéral. La construction de grands ensembles supra étatiques et le relatif mais réel détachement du juridique par rapport à l’étatique créent une nouvelle donne. L’État, cependant, se trouve peut-être plus dans une phase de mutation que de véritable déclin. Tendanciellement, il agit moins dans la sphère du marché et perd, au moins partiellement, le rôle d’État providence qu’il a plus ou moins revêtu dans beaucoup de pays. En revanche, il intervient dans des sphères jusqu’alors considérées comme privées, voire intimes et répond peut-être encore plus que par le passé à des demandes sécuritaires, dont certaines peuvent menacer les libertés. Il  nous faut donc inventer de nouveaux liens entre la laïcité et la justice sociale,  la garantie et l’amplification  des libertés individuelles et collectives.

Article 18. Tout en veillant à ce que la laïcité ne prenne elle-même, dans ce nouveau contexte, des aspects de religion civile où elle se sacraliserait plus ou moins, l’apprentissage des principes inhérents à la laïcité peut contribuer à une culture de paix civile. Ceci exige que la laïcité ne soit pas conçue comme une idéologie anticléricale ou intangible. C’est une conception laïque, dynamique et inventive qui donnera une réponse démocratique aux principaux défis du XXIe siècle. Cela lui permettra d’apparaître réellement comme un principe fondamental du vivre-ensemble dans des contextes où la pluralité des conceptions du monde ne doit pas apparaître comme une menace mais plutôt comme une véritable  richesse.



[1] Ce qui, en France, inclut naturellement les IUFM.

Commentaires

Merci !
Oui un grand merci pour nous donner encore du baume au coeur pour savoir apprécier les réalisations d'aujourd'hui qui semblaient êstre de grandes utopies hier mais restent à développer pour demain.
Avec Tous mes voeux de réussite.

Ronan LE JONCOUR

Écrit par : LE JONCOUR | 20/10/2005

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