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19/02/2005

SEMAINE DU 19 AU 25 FEVRIER...ET AU 5 MARS

CE WEEK-END (5-6 MARS) DE NOUVELLES NOTES SUR LE BLOG
Excusez moi de n'avoir pas pu l'actualiser la semaine du 26 fevrier au 4 mars.
A très tres bientôt!

Matin du 5 mars: déjà un important ajout:
Celles et ceux qui s'intéressent à Emile Combes TOUVERONT LA SUITE DE L'EPISODE PRECEDENT dans la Note: L'ANTICLERICALISME DE COMBES. Bonne lecture

EDITORIAL
ARGUMENT D’AUTORITE ?



Tout d’abord, grand merci aux visiteurs, chaque semaine plus nombreux. Et rendez-vous pour toutes celles et ceux qui auraient la possibilité de passer 4 jours agréables dans la belle campagne limousine (rrt, formation continue, etc) du 30 mars au 2 avril à l’Université de printemps Laïcité 1905-2005 à Villefavard (Haute-Vienne), il y aura des séminaires, mais aussi une excursion, un concert, etc (cliquer sur la rubrique « Accueil », pour avoir plus d’information).

Notez aussi, pour toutes celles et tous ceux qui s’intéressent aux rapports laïcité-religion dans les TOM-DOM, la Journée d’Etudes que je co-organise avec Jean-Marc Regnault le 18 avril (IESR, 14 rue Ernest Cresson, 75014 Paris).

Nouveautés de la semaine : dans la rubrique Grand Bêtisier, la Note sur Une grave dérive sectaire ; dans la rubrique Emile Combes, la Note sur l’Anticléricalisme de Combes ; dans la rubrique Questions-Réponses, une Note sur Laïcité et Constitution de la Républiqueet enfin une nouvelle rubrique : PROBLEMATIQUE avec comme première Note un texte sur Sécularisation et Laïcisation où j’explique comment j’ai été amené à distinguer ces deux concepts.

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L’idée de cette dernière Note m’est venue à partir d’un commentaire écrit dans la rubrique Grand Bêtisier par Cercamon (cf la Note Rentrée laïque) et de la consultation de son blog (http://michel.p.roland.free.fr:blog).
Un double Merci à Cercamon,
d’abord parce qu’il complète sur son Blog mon Grand Bétisier en indiquant une double affaire de personnes ayant eu des ennuis à cause de leur tenue des femmes à foulard et un prêtre qui avait un col romain (alors que la loi de mars 2004 ne concerne que l’école publique, elle semble avoir engendré ou libéré une montée de l’intolérance quand à l’habillement) ;
ensuite parce que tout en louant mon blog, il m’adresse une critique intéressante : il trouve que mettre « Titulaire de la seule chaire en France consacrée à la laïcité » sent son « argument d’autorité ».

Cher Cercamon, nous naviguons toujours entre deux écueils. Bien sûr le risque existe d’un cléricalisme professoral, de vouloir rendre son propos incontestable en arguant de son statut. J’en suis bien d’accord.
Mais il existe également un autre risque, et je m’y heurte à tout moment, c’est celui de confondre connaissance et opinion. Que chacun ait son opinion sur la laïcité et toutes les questions qui lui sont liées, quoi de plus naturel en démocratie. Et les rubriques Grand Bêtisier ou Point de vue sont de l’ordre de l’opinion.

Mais, malgré tout, si j’ai créé ce Blog, c’est d’abord parce qu’étant payé par la République pour ETUDIER la laïcité, je peux apporter un plus à celles et ceux qui n’ont pas cette chance.
Quand je parle d’Emile Combes, je cherche à être simple et à vulgariser, mais j’ai consulté ses archives personnelles et politiques, j’ai lu des ouvrages de l’époque et d’autres récents sur la période où il était président du Conseil. Etc.
Or tellement de gens parlent de façon péremptoire sur des sujets qu’ils ne CONNAISSENT pas (au sens strict du verbe connaître). Dans ce blog, je ne raconte pas ma vie (pourtant passionnante !) mais fondamentalement je cherche à transmettre des connaissances et c’est cela que veut signaler le titre du Blog.

Cependant, pour répondre au risque de cléricalisme professoral, la Note de cette semaine sur Sécularisation et laïcisation indique comment j’ai construit ma problématique, ce qui permettra plus facilement de la critiquer à toutes celles et ceux qui le veulent.

Bonne semaine à tous et toutes.

20:00 Publié dans EDITORIAL | Lien permanent | Commentaires (0)

GRAVE DERIVE SECTAIRE

DU TRAVAIL POUR LA MIVILUD
JEAN-PIERRE BRARD MEDAILLE D’OR
DU GRAND BETISIER DE LA LAÏCITE


Le matin du dimanche 6 février 2005, Jean-Pierre Brard, député-maire apparenté communiste est intervenu dans différents lieus de cultes protestants, AU MOMENT MÊME OU SE TENAIENT LES OFFICES RELIGIEUX, sous le lamentable prétexte de vérifier le respect des normes de sécurité des bâtiments, Deux communautés protestantes haïtiennes ont dû interrompre leur culte et quitter les lieux sur le champ et deux autres ont pu poursuivre l’office religieux, notamment grâce à l’intervention de l’aumônier général des prisons de la Fédération Protestante de France qui, fort heureusement, était présent.

Depuis le maréchal de Mac-Mahon et la crise du 16 Mai sous la Troisième République c’est, à ma connaissance, la première fois en France que des cultes sont ainsi troublés par un représentant de la puissance publique. Et les Haïtiens qui ont du arrêter de prier ont déclaré que cela leur rappelait, de façon douloureuse, des brimades qu’ils avaient subi a Haïti, alors qu’ils croyaient pouvoir, en France, être à l’abri grâce aux règles de la démocratie.

L’argument de la sécurité est un argument misérable. La sécurité se vérifie, naturellement, en dehors des offices religieux. Quand j’étais président de l’EPHE, il y a eu vérification de la sécurité des locaux, cela s’est fait, bien sûr, quand les cours n’avaient pas lieu, alors même que ce genre de vérification est beaucoup plus difficile puisque des cours avaient lieu de 9h à 20h du lundi au vendredi, ainsi que le samedi matin. Rappelons que l’article 32 de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat puni d’un emprisonnement de 6 jours à 2 mois de prison quiconque aura retardé, empêché ou interrompu l’exercice d’un culte.

Il y a là un abus de pouvoir de la part d’un député, profitant de son immunité parlementaire. Et on peut se demander si ce communiste aurait traité ainsi des bourgeois du XVIe arrondissement.
On sait comment le stalinisme interprétait la liberté religieuse. Il est désolant de constater qu’un députés de la République semble avoir gardé certains habitus qui présentent une analogie avec des schèmes idéologiques que l’on pouvait croire révolus. J’ai la plus grande estime pour Mme Marie-George Buffet, dont la déposition, devant la Commission Stasi a présenté une conception de la laïcité avec laquelle je me sens en forte affinité. J’espère qu’elle saura désavouer cet acte insoutenable.

Plus généralement, je suis inquiet devant le peu de réactions et des autres religions, des partis politiques et des milieux laïques.. Ainsi dans le dernier n° de l'hebdomadaire Réforme (17-23 février, 2005), Bernard Stasi tient des propos surprenants pour tenter de défendre M. Brard, surprenants sur la loi de 1905 qu'il ne semble pas bien connaitre et surprenants sur le protestantisme en parlant d'"Eglise protestante", alors qu'une caractéristique fondamentale du protestantisme est sa pluralité d'Eglises. Que c'est décevant!

Peut-on impunément, en 2005, porter aussi manifestement atteinte à la liberté religieuse sans susciter l'indignation? Jusqu'où ira-t-on: l'intolérance se développe et personne n'est épargné; ainsi on a fait des ennuis à quelqu'un qui souhaitait se faire refaire sa carte d'identité et qui portait, sur sa photographie, un col romain!

Nous nous trouvons là devant une dérive sectaire incontestable. Il faut que la MIVILUDES (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) se saisisse du dossier et nous montre que son action n’est pas unilatérale. Il en va de sa CREDIBILITE.

L'ANTICLERICALISME DE COMBES

L’ANTICLERICALISME DE COMBES


PREMIERE PARTIE : LA LUTTE CONTRE LES CONGREGATIONS

La dernière fois nous avons vu le spiritualisme de Combes, après avoir indiqué qui était Emile Combes et le point de vue (étonnant) de Combes sur l’islam (vous trouverez ces différentes informations les unes à la suite des autres dans la rubrique « Emile Combes »).
Aujourd’hui, nous envisageons l’anticléricalisme de Combes.
Comme pour les autres Notes sur Emile Combes, je conseille à celles et ceux qui veulent en savoir plus de lire l’ouvrage très intéressant, et fondé sur un remarquable travail d’archives, de Gabriel MERLE, Emile Combes, Fayard, 1995.

Sur la carricature ci après
(que vous pouvez agrandir en cliquant)
Combes est représenté en diable cornu
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Je vais résumer à l’extrême. Il s’agit juste de tenter un bilan de sa politique religieuse.

1) L’ARRIVEE AU POUVOIR D’EMILE COMBES
Rappelons que Combes est arrivé au pouvoir en juin 1902, après des élections qui ont été remportées par la gauche. Son ministère, intitulé le « Bloc des gauches », peut être considéré comme le premier exemple d’union de la gauche, avant le Front Populaire, le gouvernement Mollet de 1956 et la victoire de Mitterrand en 1981. Sans participer au gouvernement, le Parti socialiste français de Jaurès le soutenait. Combes a été beaucoup accusé d’être sous l’influence de Jaurès.
Il faut faire la part de la polémique permettant de disqualifier le président du Conseil : Jaurès n’était pas alors cette sorte de saint républicain qu’il est devenu par son assassinat et par la prise de distance du temps. Il pouvait être présenté comme un dangereux « collectiviste » et il était « payant » de prétendre que Combes était l’otage de Jaurès.
Combes a du, plusieurs fois indiquer que, tout en prévoyant de faire des « réformes nécessaires » (qu’accaparé par sa lutte anticléricale il n’effectuera pas) : retraites ouvrières (le « milliard » des congrégations devait servir à cela ; En fait l’Etat ne « récupéra » que 350 millions, dont 290 s’envolèrent en fumée dans une inflation de frais, quand ce n’est pas dans la poche des liquidateurs), impôt sur le revenu, il n’était pas de ceux « qui font peur à l’épargne ».
Le degré d’influence de Jaurès sur Combes est encore un sujet de débat entre historiens. Ce que l’on peut, par contre, affirmer, c’est que Jaurès a approuvé la politique de Combes pendant toute la durée du ministère de ce dernier (un peu plus de 2 ans et demi, ce qui est assez exceptionnel dans l’instabilité politique de la IIIe République).

Combes n’était pas très connu. Ses 2 principaux titres étaient qu’il avait été ministre de l’Instruction publique des Beaux Arts et des Cultes pendant quelques mois (fin 1895-début 1896) et qu’il venait d’être le président de la Commission sénatoriale sur la loi du 1er juillet 1901 sur les associations, loi qui obligeait les congrégations à être autorisées par une loi et leurs établissement par un décret. S’il est devenu président du Conseil, c’est parce que Waldeck Rousseau, l’auteur de la loi, a volontairement quitté le pouvoir et que les 2 principaux ténors du parti radical n’ont pas voulu diriger le gouvernement.

Pourquoi ce peu d’empressement ? Parce que la loi de 1901 était difficile à appliquer, quant aux congrégations : quelles congrégations pouvait-on autoriser ? Quelles congrégations devait-on interdire ? Le premier président du Conseil, issu des élections de 1902 allait devoir tracer la frontière entre autorisation et interdiction, cela à ses risques et périls. Il fallait s’attendre à de violentes oppositions de la part de la droite et des congrégations concernées, ainsi que des reproches de ne pas aller « assez loin », venant de l’autre bord.
Dans cette conjoncture, il pouvait semblait de bonne tactique d’attendre qu’un franc-tireur se casse les dents et décante la situation. Après lui, exercer le pouvoir deviendrait moins difficile et le gouvernement suivant aurait une meilleure espérance de vie.

2) LA LUTTE ANTICONGREGANISTE EN 1902-1903
Combes arriva donc au pouvoir parce que personne ne voulait y aller.
Il commença par fermer les établissements congréganistes qui s’étaient ouverts depuis le 1er juillet 1901 sans autorisation, puis il fit fermer les établissements de congrégations non-autorisées ouverts antérieurement à cette date et qui n’avaient pas demandé d’autorisation, car ils ne pensaient pas tomber sous le coup de la loi. Il y eut des manifestations importantes à Paris et surtout en Bretagne où, pendant le mois d’août 1902, une partie de la populations tenta de s’opposer à l’application de la mesure, élevant des sortes de barricades et jetant de matière fécales aux visages des gendarmes et de la troupe.

Dès ce moment là, la France fut divisée en deux.
Un militantisme républicain et laïque applaudit aux mesures prises par Combes et ne lui ménagea pas son soutien. L’adjectif affectueux de Petit-père témoigne de cette complicité entre la France républicaine et son président du Conseil. Cette France là n’était pas que masculine et quand il quittera le pouvoir Combes pourra se targuer d’avoir été le président du Conseil a qui, de loin, embrassé le plus de femmes, dans l’exercice de ses fonctions.
Le mot d’ordre de « défense de la laïcité » et surtout de « laïcité intégrale » fut souvent mis en avant. Comme nous l’avons vu dans la note sur le spiritualisme de Combes, l’optique dominante tirait la laïcité vers une religion civile rousseauiste (nous reviendrons sur ce problème, en mettant dans ce blog le texte d’une communication sur la religion civile).
Par contre, la France catholique haïssait d’autant plus le président du Conseil qu’à ses yeux (comme ancien séminariste), il était un « renégat ». Les qualificatifs de Néron, Dioclétien, Robespierrot,…quand ce n’est pas Satan et Antéchrist lui furent attribués. Les brochures de « La librairie antisémite » (le titre montre les liens qu’avaient alors un certain catholicisme avec un nationalisme de droite) se montrèrent particulièrement virulentes.

De l’automne 1902 à l’été 1903, le Sénat et la Chambre examinèrent les demandes d’autorisation. Sur les 6 demandes transmises au Sénat, 5 furent acceptées (Combes avait fait exprès de transmettre à la Haute Assemblée les demandes qui lui semblaient les plus acceptables) ; par contre la Chambre des députés, en accord avec le gouvernement, refusa toutes les demandes qui lui fut soumise. Les manifestations furent moins fortes, sauf pour l’expulsion des Chartreux, retracée notamment dans l’ouvrage d’Anne-Marie et jean Mauduit : La France contre la France (Plon, 1984).

3) LA RADICALISATION DE LA LUTTE ANTICONGREGANISTE ET LA LOI DE 1904.

A la rentrée de 1903, plus de 10000 établissements congréganistes avaient été fermés, mais la moitié s’était rouvert avec des laïcs ou/et des prêtres catholiques. La question à l’ordre du jour était l’abrogation de la loi Falloux permettant la liberté de l’enseignement.
Le gouvernement avait, un an auparavant déposé un projet de loi interdisant l’enseignement aux congrégations non-autorisées. Un député avait rédigé un amendement élargissant cette interdiction à toutes les congrégations et aux prêtres.
Le congrès du parti radical avait demandé l’instauration du monopole de l’Etat sur l’enseignement malgré l’opposition de Buisson. Les arguments échangés dans ce débat sont très significatifs de deux types de laïcité qui se sont alors affrontés, une laïcité qui se reconnaissait à l’époque « autoritaire » et où on trouve un mode de raisonnement très proche de ceux qui se prétendent aujourd’hui « républicains » (comme s’ils avaient le monopole de la République !) et une laïcité tout autant laïque, mais libérale et qui ne veut surtout pas devenir une contre-religion.

Je renvoie pour en savoir plus sur cet important débat aux pages 90ss de mon ouvrage Laïcité 1905-2005 entre passion et raison (Le Seuil).

Combes chercha une position médiane entre ces deux positions et il déposa un nouveau projet de loi interdisant l’enseignement à tous les degrés (primaire, secondaire, supérieur) aux congrégations. Il limita au maximum le nombre d’articles car son gouvernement avait déjà plus d’un an d’existence et certains anciens ministres de Waldeck-Rousseau piaffaient d’impatience et voulaient reprendre le pouvoir.

Cette opposition se traduisit notamment, en mars 1904 par une offensive du socialiste Millerand qui présidait la Commission du Travail de l’assemblée nationale. Il affirma que Combes se montrait si obstiné dans la lutte contre les congrégations qu’il ne prenait pas les mesures sociales impatiemment attendues, notamment l’instauration des retraites ouvrières.
A l’époque, c’était souvent à l’occasion de ce genre d’attaque, faite à l’improviste, que le gouvernement en place était mis en minorité. Là Jaurès contra Millerand : avec qui allait-il renverser Combes ? Avec les députés de droite. Et Jaurès, cinglant, ajoutait : « Quand la majorité actuelle sera brisée, quand le fantôme de la laïcité sera exorcisé, ils ne vous donneront pas vos réformes sociales ». Le gouvernement l’emporta de 10 voix.
En juillet 1904, le projet de loi d’Emile Combes fut voté et promulgué et l’enseignement devenait interdit pour tous les membres d’une congrégation. Les seules dérogations concernaient l’Outre-Mer.

SECONDE PARTIE : LAÏCISATION ET DEMOCRATIE

La lutte contre les congrégations, engagée à partir de 1901 (avant Combes donc) pose le problème des relations entre laïcisation et démocratie. Nous allons voir pourquoi.

Les congrégations atteintes étaient également, pour la première fois depuis la Révolution, des congrégations de femmes. Les religieux et les religieuses n’avaient plus que deux possibilités l’exil ou la sécularisation.


Environ 30000, selon les estimations les plus sérieuses des historiens, choisirent l’exil soit dans les pays limitrophes de la France, soit dans des régions plus lointaines comme le Proche Orient ou le Quebec. Cet exil avait commencé après l’adoption de la loi de juillet 1901, actualisant (même si cela était moins grave) celui qui avait eu lieu lors de la Terreur politico-religieuse de la Révolution a donné (il ne faut pas se le cacher) à la laïcité française une réputation d’ »intolérance » dont elle a du mal, aujourd’hui à se défaire.

La sécularisation signifiait que les religieux et les religieuses quittent leurs habits spécifiques et ne vivent plus « hors du monde ». Les religieux qui étaient prêtres pouvaient devenir des prêtres séculiers, sous l’autorité de l’évêque de leur diocèse. Normalement un congréganiste sécularisé recouvrait tous ses droits. Mais comme cette « sécularisation » était en fait contrainte, on pouvait suspecter sa sincérité. C’est toujours la même histoire : quand on oblige les gens à se « libérer » de leurs « erreurs », rien n’indique, qu’au fond d’eux-mêmes ils les considèrent comme telles. Ainsi les juifs convertis de force au christianisme en Espagne furent considérés comme des « marranes », continuant à pratiquer en secret des prescriptions juives, et après la Révocation de l’Edit de Nantes, les protestants, devenus officiellement des « nouveaux catholiques », restaient toujours suspects de protestantisme.

Des mesures furent donc prises contre les « sécularisés » : par circulaire, Combes voulut les empêcher de prêcher et un projet de loi leur interdit d’enseigner là où ils le faisaient auparavant. Votée par la Chambre, il fut arrêté au Sénat, à cause notamment de l’opposition de Clemenceau qui le considéra comme attentatoire aux droits de l’homme.
En effet, au-delà de la mesure pratique, cela signifiait que le simple fait d’avoir été congréganiste vous rendait citoyen de seconde zone. Ce n’était plus seulement un rôle social (être membre d’une congrégation) qui était visé (ce qui paraissait déjà contestable à certains républicains), mais la personne elle-même.

Au point où il était parvenu, le processus de laïcisation posait donc question.
Non qu’il ne fut pas justifié. Il faut se souvenir qu’une partie de l’Eglise catholique, notamment en ses éléments congréganistes soit était toujours opposée à la République, soit s’y était ralliée avec la ferme intention d’abolir les lois laïques et de refaire de la France la « fille aînée de l’Eglise ».

Certes, on pourrait dire qu’après tout l’alternance est légitime en démocratie et que des citoyens avaient bien le droit de souhaiter des changement législatifs. Mais cette opposition conduisait ces milieux catholiques à opposer la « République des honnêtes gens » (sous entendu les catholiques) à celle qui serait investie par « les juifs, les protestants, les francs-maçons », minorités « anti-françaises ». Plusieurs brochures hostiles à Combes étaient publiées par une librairie qui s’intitulait elle-même : « La librairie antisémite ».

ON PEUT DIRE QUE, de façon tendancielle, ON MAJORE UN DANGER AU MOMENT OU IL EXISTE, ON LE MINORE 50 OU 100 ANS PLUS TARD.

Donc les mesures prises par Combes, et réclamée par une large partie de l’opinion publique républicaine (certains trouvaient même que le « Petit Père » n’allait pas assez loin), n’étaient pas sans fondement et il serait trop facile d’être dans l’indignation primaire et moraliste. Il n’empêche, la laïcisation opérée de 1901 à 1905 prenait une tournure qui apparut problématique à certains leaders républicains.

Pourquoi ? Parce que, comme l’horizon, la laïcisation s’éloigne quand on croit s’en approcher. On n’atteint jamais une laïcisation complète. Dès lors, jusqu’où aller dans la laïcisation ?
La réponse n’est pas simple puisque chaque mesure laïcisatrice fait percevoir la nécessité d’en prendre une autre, de continuer la route, l’horizon ne se trouvant pas atteint : la loi de 1901 est vite apparue insuffisante et la loi de 1904 a voulu la compléter. Mais le projet d’interdire partiellement l’enseignement aux sécularisés montrait que la loi de 1904 elle-même ne donnait pas la solution.

A continuer dans cette voix, non seulement on serait amené à instaurer le monopole de l’enseignement, mais il faudrait faire la chasse aux « cléricaux déguisés » dans l’enseignement public, et certains prônaient déjà cette sorte de mesures.

Face à de telles dérives, Clemenceau prononça, dés novembre 1903, un grand discours sur le risque d’ « omnipotence de l’Etat laïque » : « pour éviter la congrégation, nous faisons de la France une immense congrégation (…). Nous chassons Dieu, comme disent ces messieurs de la droite, vive l’Etat-Dieu ! » Et il affirmait : « Parce que je suis l’ennemi du roi, de l’empereur et du pape, je suis l’ennemi de l’Etat omnipotent, souverain, maître de l’humanité. »
(lire les principaux extraits de ce discours dans l’ouvrage 1905, La séparation des Eglises et de l’Etat. Les textes fondateurs publié par les éditions Perrin).

A suivre
(Le prochain épisode parlera de la mise en route du processus de séparation des Eglises et de l’Etat sous le ministère Combes et de la fin de ce ministère. Ensuite nous aborderons les débats parlementaires de 1905 autour de la proposition de loi présentée par la Commission).
























LAÏCITE ET CONSTITUTION

LA LAÏCITE ET LA CONSTITUTION
DE LA REPUBLIQUE


QUESTION : « De mémoire, il me semble bien que le mot « laïque » m’apparaisse en 1946 que dans le préambule de la Constitution à propos de l’école. A contrario, la Constitution de 1958 indique dans son Article I que la France est une « République laïque ». Il a donc fallu attendre la Ve République pour que la laïcité de l’Etat soit affirmée. EST-CE EXACT ?"

REPONSE : Non, pas vraiment. Vous avez raison de dire que dans le Préambule de la Constitution de 1946, apparaît l’adjectif « laïque » à propos de l’école.
Voici exactement la phrase où ce mot s’insère : « L’organisation d’un enseignement public, gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’Etat »(à noter que, quand il s’agit de laïcité, l’adjectif laïque s’écrit avec à la fin que, même quand il est au masculin)
Mais l’article Ier du titre Ier de la Constitution de 1946déclare :
« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».

La laïcité de l’Etat est donc devenue constitutionnelle dés la IVe République et la Constitution de « notre » République actuelle n’a fait que reprendre cette définition avec des ajouts.
Voici en effet ce que déclare l’article 2 du titre Ier :
« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. »

DEUX REMARQUES :

1) Quand la laïcité de l’Etat est devenue constitutionnelle, le gouvernement était tripartite : communiste, socialiste, MRP. Le président du Conseil était MRP (Mouvement Républicain Populaire), or ce parti était d’obédience démocrate-chrétienne. Il s’agit là d’un intéressant paradoxe. Il faut noter que le MRP s’est cru autorisé à accepter la constitutionnalisation de la laïcité de l’Etat à cause d’une Déclaration de l’Assemblée des Cardinaux et Archevêques de France (13 novembre 1945) qui accepte une laïcité non antireligieuse (le parti communiste partageait le pouvoir et regardait vers l’URSS de Staline, avec son athéisme d’Etat, mis en sourdine pendant la guerre, mais qui n’allait pas tarder à resurgir) et qui condamne le cléricalisme.

2) L’égalité devant la loi étant reconnue dés la Déclaration de 1789 (devenue, elle aussi, constitutionnelle en 1946), la nouveauté introduite par la Constitution de 1946 est le fait que la République « respecte toutes les croyances ». D’autres pays mentionnent la laïcité dans leur Constitution, mais (sauf erreur de ma part) sans cette précision. Maintenant, ce respect est-il toujours effectif ? C’est une autre histoire. L’intervention d’un député-maire lors de cultes, sous prétexte de sécurité permet d’en douter (cf. « Une incontestable dérive sectaire » dans le Grand Bêtisier de cette semaine).



Sécularisation et Laïcisation

LAÏCISATION ET SECULARISATION
MODE D’EMPLOI « A LA FRANCAISE »

Jean Baubérot (GSRL-EPHE)


(Communication présentée au Centro di Alti Studi in Scienze Religiose)
4 novembre 2004

Le titre qui m’a été proposé mentionne en outre : « point de vue d’un historien ». En fait, je ne me pense pas comme un pur historien et je tente d’articuler la discipline historique (effectivement ma discipline d’origine) à la sociologie. Ma démarche est donc une démarche de sociologie historique. Mais comme ce « point de vue d’un historien » est mis en contraste avec le « point de vue d’un philosophe », il me semble que l’on peut, sans problème, réunir histoire et sociologie. Je vais donner à ce petit exposé une tournure un peu subjective, car l’intitulé qui m’a été demandé me pousse à indiquer pourquoi j’ai construit la notion de « seuils de laïcisation » et comment je tente de faire fonctionner cette notion.

Quand, précisément, après ma thèse de doctorat de troisième cycle qui était de l’histoire « classique », j’ai voulu bénéficier de l’apport de la sociologie, de sa capacité de théorisation, la problématique de la sécularisation était dominante. Peter Berger, David Martin, Bryan Wilson constituaient des références, et au-delà de ces contemporains, naturellement, Weber et Troeltsch.
Quelle était ma préoccupation ? Je commençais une thèse sur « Le protestantisme face à la laïcisation de la société française ». J’avais donc dans l’idée que ce qui est couramment appelé, en France, « la laïcité » (et existe au XXe siècle) est le résultat d’un processus historique de laïcisation (opéré au XIXe siècle).
Un peu naïvement, je pensais trouver une historiographie sur laquelle j’aurais pu m’appuyer pour effectuer un travail de première main concernant le protestantisme. Or, même si des études « sérieuses » existaient, il s’agissait d’îles de scientificité dans un Océan où la mémoire l’emportait sur l’histoire. Et, peu à peu ma perspective va précisément consister à vouloir passer de la mémoire à l’histoire …historienne (cf. la problématique de P. Nora, 1984, qui m’a beaucoup aidé à expliciter ce que j’étais en train de faire plus ou moins intuitivement).

Deux mémoires conflictuelles (catholique militante et laïque militante), telle des sœurs-ennemies, racontaient la même histoire, l’une sur le mode de la conquête laïque, l’autre sur celui de la persécution religieuse. Pour prendre un exemple, l’aspect conflictuel (indéniable) de la laïcisation se trouvait majorée par rapport à ses aspects d’accommodement. Pour dire les choses rapidement : les conflits étaient amplement rapportés par la presse, les accommodements devaient être cherchés dans les archives, car, ils avaient d’autant mieux réussi que peu de gens avaient été mis au courant. Les jugements de valeurs m’apparaissaient comme un écran ; ils ne se bornaient pas à colorer le récit historique ils formaient, dans une large part le cadre implicite de la narration. Une érudition, parfois impressionnante (cf, par exemple, les travaux de l’historien anticlérical Debidour ou ceux du chanoine Capéran), se fondait sur une problématique axiologiquement engagée, où fonctionnait l’idée d’un combat entre bons et méchants, entre le bien et le mal.

C’est la volonté d’avoir des bases solides pour effectuer une démarche historique qui m’a amené à me tourner vers la sociologie. J’ai ressenti le besoin de travailler ce terme de « laïcisation » que j’avais, de façon imprudente !, mis dans mon titre de projet de thèse et qui me semblait devoir être analysé d’abord comme une mutation de la société. Cela, naturellement, a pris de nombreuses années et n’ai pas encore terminé, même si mon dernier ouvrage (J. Baubérot, 2004) peut être considéré comme une synthèse provisoire de cette recherche. Rappelons qu’elle m’a fait progressivement glisser d’une spécialité d’ « histoire et sociologie du protestantisme » à une nouvelle spécialité, jusqu’alors non représentée dans l’enseignement supérieur français, d’ « histoire et sociologie de la laïcité » (1990-1991).

SECULARISATION ET LAÏCISATION
Une des caractéristiques majeures de la sécularisation, à la lecture des sociologues, m’a semblé être la différenciation entre institutions et l’autonomisation des institutions séculières par rapport à la religion. Cela a constitué un angle d’approche objectivant pour étudier l’évolution des rapports entre la religion comme institution particulière et la société française globale. Mais à partir du moment où il se produisait une différenciation institutionnelle, se posait le problème de la légitimité spécifique de chaque institution et peut-être une hiérarchisation entre institutions.

Quel était le champ institutionnel (considéré comme) légitime de la religion ? Les débats récurrents à propos de l’école et de sa laïcisation, m’obligeaient à aborder de front cette question.
Et cela m’obligeait aussi à m’apercevoir que c’était, en France du moins, le politique, l’Etat qui définissait l’espace légitime d’intervention de chaque institution et la subordination ou l’autonomisation d’une institution par rapport à une autre. En outre, étudiant le protestantisme français, je me trouvais devant un problème spécifique, où l’historien se distinguait du sociologue, même quand celui-ci s’intéresse au passé et en parle à sa manière.
David Martin (1978), dont la démarche sociologique intégrait l’histoire, distinguait les pays à culture protestante et les pays à culture catholique ; la France se rangeant dans ces derniers. Effectivement. Mais il articulait ce critère à un autre critère : la différence entre les pays où une religion s’est trouvée historiquement en situation de monopole et ceux qui sont historiquement bi-confessionnels, voire multi-confessionnels.
La France appartient à ce premier cas de figure. D’un point de vue sociologique, c’est incontestable. Il n’empêche : à partir de 1802 (et jusqu’en 1905), le protestantisme, dans deux de ses formes (la luthérienne et la réformée) est un « culte reconnu », à égalité formelle avec le catholicisme. Il y a donc une production politique du pluralisme religieux (dans un contexte de quasi-monopole religieux), typique de cette étape de la laïcisation française.

Cette insistance sur le rôle de l’Etat m’éloignait quelque peu des théories de la sécularisation, qui se focalisaient bien davantage sur la société en tant que telle.
Un sociologue, Karel Dobbelaere (1981), distinguant trois dimensions de la sécularisation, a qualifié l’une d’elle -celle qui concerne le processus de différenciation structurelle et fonctionnelle des institutions- de « laïcisation ».
L’étude du cas français (et le fait que les sociologues se plaignent régulièrement de l’extension trop vaste donnée à la notion de sécularisation) conduit à distinguer plus structurellement deux notions, celle de sécularisation et celle de laïcisation. Plus circonscrite, la sécularisation concernerait avant tout le rôle de la dynamique sociale et impliquerait une relative perte de pertinence sociale, culturelle (et, en conséquence, individuelle) des univers religieux par rapport à la culture commune (ce qui n’est pas, d’ailleurs, sans impact sur les institutions). Ceux-ci sont moins (ou ne sont plus) des cadres normatifs orientant les conduites sociales dans de nombreux secteurs. La laïcisation, en revanche, concerne avant tout la lace et le rôle social de la religion dans le champ institutionnel, la diversification et les mutations sociale de ce champ en relation avec l’Etat et le politique (et aussi la société civile).

Cette dissociation de notions entre sécularisation et laïcisation apparaît spécialement pertinente dans le cas français, mais elle ne semble pas limitée au cas français. Micheline Milot (2002) l’effectue aussi à partir de l’étude d u cas québécois. Elle écrit : « l’analyse sous le seul angle du processus de sécularisation met moins en lumière les aménagements structurels, notamment juridiques, décidés par l’Etat et les rapports de force entre groupes sociaux qui sont partie prenante à ces décisions ». La laïcisation, poursuit-elle, « introduit dans le politique une mise à distance institutionnelle de la religion dans la régulation globale de la société, notamment en contexte pluraliste. Cette régulation se trouve traduite dans l’univers juridique ». Enfin, elle précise que
»la laïcisation se déroule rarement sans engendrer des rapports de force et susciter des débats politiques puisqu’elle modifie le fonctionnement des institutions, tant religieuses que politiques ».

LA CONSTRUCTION DE LA NOTION DE LAÏCISATION
Mais la constitution de la notion de laïcisation comme cadre conceptuel autonome comporte aussi d’autres conséquences. Ainsi une socio-histoire de la laïcisation dans différents pays compléter les axes d’analyse de David Martin par d’autres critères. D’abord celui des rapports historiques entre l’Etat et la nation, la religion et l’identité nationale. On va rencontrer différents cas de figure.
L’Etat peut avoir précédé la nation et avoir voulu (ou non) « émanciper » la nation d’une emprise (considérée comme) trop forte de la religion. C’est le cas de la France
et il donne des caractéristiques spécifiques par rapport aux processus de laïcisation effectués (avec des différences et des ressemblances, des décalages temporels aussi) dans d’autre pays.
La nation peut, au contraire, avoir existé avant le développement de l’Etat (Allemagne, Italie par exemple), ce qui impose d’examiner le rôle joué par la religion au moment de l’émergence de l’Etat.
La religion peut aussi avoir représenté la nation en l’absence d’Etat lors d’une domination étrangère (Irlande, Pologne).

Pour ce qui concerne la France, j’ai été de plus en plus conduit à rattacher le « conflit des deux France » à la question et du rapport Etat-nation et de la représentation de l’identité nationale : deux conceptions différentes de la France s’affronte. L’école est alors le lieu stratégique du conflit dans la mesure où deux France différentes sont (censées être) enseignées dans les « deux écoles ». Cela explique à la fois, l’appui longtemps donné à la lutte contre les congrégations enseignantes, mais aussi le revirement de l’opinion manifesté dans le conflit de 1982-1984 : après le concile de Vatican II, la majeure partie de l’opinion publique ne pensait plus que l’école privée (catholique) enseignait une autre France que l’école laïque. La sécularisation (et notamment la sécularisation interne) avait modifié les règles du jeu du processus de laïcisation. Cet exemple (un parmi d’autres) montre qu’il ne s’agit pas de « passer » de la notion de sécularisation à celle de laïcisation, mais (au contraire) de mettre en perspective chacune de ces deux notions grâce à l’autre.

Le processus de laïcisation s’effectuant dans le contexte de modernité et du développement de la démocratie (même si ce développement peut comporter des zigzags), un autre critère est celui du rapport historique dominant de la religion par rapport aux droits de l’être humain et aux valeurs de la modernité. Cet aspect peut, partiellement, recouper le premier critère de Martin (la différence de culture religieuse). Mais ce n’est pas forcément le cas. Ainsi le rôle du catholicisme belge dans la construction de la modernité libérale en Belgique fut plus fort que celui du catholicisme français (même si le rôle de ce dernier est plus complexe, plus diversifié que ne le croit la mémoire laïque militante).

Il ne s’agit ici que de pistes destinées à montrer qu’une approche par le biais de la laïcisation ne reste pas forcément englobée par une approche par le biais de la sécularisation.

UNE SOCIOLOGIE HISTORIQUE DE LA LAÏCITE
Cette distinction entre sécularisation et laïcisation permet donc d’autonomiser la sociologie historique de la laïcité par rapport à la sociologie de la religion, même si des interférences demeurent.
Ainsi les sociologues de la religion focalisent tout naturellement leurs études sur cette dernière. Ils se préoccupent beaucoup moins d’autres institutions, à partir du moment où elles se sont nettement différenciées de la religion. Elles semblent, en effet, sortir de leur champ d’études. Par ailleurs, étant sociologues, le processus socio-historique auquel ils se réfèrent, comme à une toile de fond, leur importe moins que les résultats actuels de ce processus. Sauf exception, ils étudient principalement ce que devient la religion dans une société sécularisée. Cette attention aux résultats actuels aux dépens du processus socio-historique peut rendre certains trop perméables, à mon sens du moins, aux évolutions conjoncturelles, à ce que l’on appelle « l’actualité ». C’est du moins ainsi que j’évalue les revirements récents de Peter Berger (1999) et sa notion présente de « désécularisation ».

Une sociologie historique (ou une sociohistoire) de la laïcité adopte une démarche différente. Elle ne peut limiter son intérêt à la religion mais doit aussi se préoccuper des institutions qui lui étaient subordonnées ou peu distinctes d’elles. On peut émettre l’hypothèse que l’institution militaire s’est différenciée tôt de la religion, même si cette dernière donnait (donne toujours peut-être au niveau de la religion civile) une légitimation sacrée à la guerre. Peut-être cela doit-il être référé au fait que l’armée gère de la violence physique.
Au contraire, les institutions qui fonctionnent avec de la violence symbolique comme la médecine ou l’école présente une proximité plus forte avec l’institution religieuse. Elles ont été longtemps des institutions embryonnaires, plus ou moins subordonnées (médecine) à l’institution religieuse ou même englobées (école) par elle. L’étude du processus de laïcisation prend forcément en compte l’évolution différenciée des institutions qui ont un rôle important de socialisation et dont l’instrument de domination est essentiellement la violence symbolique.

A cela, s’ajoute une autre prise de distance. Démarche de sociologie historique, l’étude du processus de laïcisation s’intéresse forcément aux mutations des différentes institutions, à la façon dont elles interagissent les unes envers les autres, en lien avec les mutations de l’Etat-nation et de la société. Une périodisation (découpage du temps en périodes historiques) -entreprise liée à une vision historienne- doit donc compléter l’utilisation de notions comme sécularisation ou laïcisation (ou d’autres comme celles de religion civile ou de pacte laïque).

DES PERIODES HISTORIQUES
Des périodes types doivent être distinguées, périodes où les logiques dominantes à l’œuvre dans le champ institutionnel sont structurellement différentes.
Je veux indiquer par là qu’il se produit, dans le processus de laïcisation, non seulement des évolutions mais des mutations dans les relations et les interactions entre institutions. Ainsi les rapports entre école et religion, mais aussi entre médecine et religion changent structurellement entre le début des années 1880 et le début du XXe siècle. Ce changement est marqué par des lois (dans les deux cas) qui en sont à la fois la conséquence et la cause.
Il ne s’effectue pas en un jour, d’où l’idée de périodes charnières où se produisent des « basculements » (il s’agit, bien sûr, d’une métaphore) dans les relations et les interactions entre institutions. D’où la proposition de classer ces périodes en seuils distincts de laïcisation.

Pendant longtemps j’ai essentiellement formalisé deux seuils (J. Baubérot, 1985).
Le premier s’est construit de la Déclaration de 1789 et la Révolution français au Consulat et aux débuts de l’Empire (établissement du système des cultes reconnus, loi de 1803 impulsant une institution médicale autonome, Code civile, création de l’Université).
Le second s'est construit, lui,de la création de l’école laïque et des mesures de laïcisation des années 1880 à la séparation des Eglises et de l’Etat de 1905.
Ensuite j’ai indiqué que l’on était sans doute parvenu à un troisième seuil, mais qu’il me semblait prématuré de le formaliser car la prise de distance temporelle n’était pas suffisante (« être acteur du troisième seuil », J. Baubérot, 1990).
Cette manière de voir manifeste sans doute une vision qui accorde beaucoup d’importance à l’épaisseur historique du social. Cependant, j’ai fini par franchir le Rubicon et j’estime aujourd’hui qu’un troisième seuil a émergé de 1968 (Mai 1968) à 1989 (chute du mur de Berlin et première affaire de foulard) avec, entre temps, notamment la loi sur l’IVG (1975) (J Baubérot, 2000, 2004).

Le fait de saisir les basculements à partir d’événements, de lois et de conflits politiques auxquelles elles ont donné lieu montre que l’angle d’approche privilégié est bien celui de la laïcisation. Mais le lien avec la dynamique sociale (et donc avec la sécularisation) ne peut être oublié. Une comparaison entre différents pays (par exemple, la France et le Royaume Uni, J. Baubérot-S. Mathieu, 2002), permet de saisir des différences et dans le processus de laïcisation (différence entre le Foster Act de 1870 et les lois françaises de laïcisation scolaire de 1882 et 1886) mais aussi dans le processus de sécularisation (maintien d’un arrière-fond biblique quasi-consensuel au Royaume Uni, alors même que la confiance en la science et la croyance au progrès existent, à cette époque, de manière globalement analogue à celle de la France, sauf que, justement, l’interaction entre science, progrès et religion n’est pas la même).

Il semble qu’en France, le processus de laïcisation se soit fait, conjointement, par un reflux social de la religion (une restriction de l’espace institutionnellement couvert par la religion, lors du premier seuil, une désinstitutionalisation légale de la religion lors du second seuil) et un transfert de religieux plus important qu’ailleurs (cf. notamment la médecine).
Le troisième seuil étant celui du déclin des institutions séculières, il se produit de nouvelles mutations. Notons, à ce propos, que l’intérêt d’avoir typifier un troisième seuil de laïcisation permet de corriger l’impression d’une perspective évolutionniste donnée auprès de certains tant qu’il n’était question que des deux premiers seuils. Ce troisième seuil, en effet, s’il ne nous ramène en aucune façon au premier seuil de laïcisation reprend, de façon totalement nouvelle, certaines préoccupations de ce premier seuil.

Ainsi si on analyse le rapport à la mort, la manière dont l’acte de mourir s’effectuait apparaissait (encore) importante à certains pendant le premier seuil : il s’agissait, pour eux, de mourir de telle manière que l’on optimise ses chances d’aller au paradis. Et recevoir les « derniers sacrements » était alors plus important que de prolonger un peu la vie elle-même. Tel n’était pas l’avis des médecins (croyants ou non) pour qui « l’espérance de vie importait plus que l’espérance de l’au-delà. La représentation médicale de la mort et de la vie est devenue largement dominante lors du seconde seuil de laïcisation et le rapport à l’au-delà a été une « affaire privée ».
Maintenant la revendication du « droit de mourir dans la dignité » relativise de nouveau (mais, bien sûr, tout autrement) l’objectif médical d’un prolongement indéfini de la vie. Et parler de « mourir dans la dignité » met en jeu une conception philosophique ou religieuse de l’être humain. Il ne faut donc pas s’étonner que les « questions de sens » redeviennent importante dans la sphère publique. Mais il ne s’agit pas d’un « retour en arrière » : quand on circule en voiture et que la route monte, les virage vous amènent à revoir des paysages déjà aperçus, pourtant vous avez continué votre itinéraire. Il en est ainsi, me semble-t-il, du déroulement du temps : il n’est ni linéaire, ni cyclique, mais on peut faire appel à ces deux manière de parler, en les conjuguant ensemble, pour bien le comprendre.

05/02/2005

Du 5 au 18 février

QUINZAINE DU 05 AU 18 FEVRIER 2005


AMIES ET AMIS,

La première nouvelle est que le blog a franchi et de beaucoup le cap des 1000 visites. Depuis le 20 décembre, il y a eu un total de 1442 visites effectuées par 641 visiteurs qui ont téléchargé 6270 pages. Je suis très heureux de ce succès qui me prouve que le temps passé pour faire et actualiser ce blog n’est pas du temps perdu (je cours après le temps !), loin de là. Plusieurs centaines de visiteurs qui, en moins de deux mois ont effectué, en moyenne, plus de 2 visites et qui ont téléchargé (toujours en moyenne) près de 10 pages chacun ; cela montre l’intérêt pour les questions abordées par ce blog.
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C’est l’occasion de faire le point sur la structure du blog. Il est constitué de RUBRIQUES qui, chacune, peut avoir une ou plusieurs NOTES. Au départ, les Rubriques n’avaient en général qu’une seule Note, cela est de moins en moins le cas.

D’autre part, ce blog comprend deux sortes de Rubriques. D’abord celles qui comportent des textes d’informations et de prises de positions et qui donnent lieu à des Notes assez courtes. Les Rubriques Accueil Actualité, Editorial, Emile Combes, Grand bêtisier, Ouvrages de Jean Baubérot, Points de vue et Questions- réponses sont des Rubriques de cet ordre.
A noter aussi: A propos où vous trouverez mon curriculum vitae (on me le demande souvent!)

Ensuite d’autres Rubriques comportent des « textes de référence » : conférences ou articles publiés dans des revues ou des ouvrages collectifs. Ce sont des textes qui vont plus au fond des choses et donc sont parfois un peu plus difficiles à lire. Mais comme on retrouve de l’un à l’autres un certain nombre de thèmes, un texte devrait en éclairer un autre.

Pour le moment certaines de ces dernières Rubriques comportent un seul texte, c’est le cas des Rubriques Europe et Laïcité et Laïcité et diversité culturelle .

D’autres rubriques comportent déjà 2 textes. Ainsi la rubrique Laïcité et Identité Française où est rajouté aujourd’hui un texte sur Laïcité et sectes ; la rubrique Evènements consacrée à la Commission Stasi, où il est ajouté aujourd’hui un article publié dans Libération ( « la Laïcité le chêne et le roseau ») juste après la fin du travail de cette Commission.

Autres rubriques avec deux textes : Laïcité Française qui comporte une interview à Ouest –France, définissant la laïcité et un texte sur la laïcité française dans le contexte de la mondialisation ; la Rubrique Laïcité, Ecole, Médecine qui comporte un article sur l’enseignement du fait religieux à l’école publique et un autre sur la laïcisation de la médecine en France ; enfin la Rubrique Monde et Laïcité comporte également deux textes : la Laïcité à l’épreuve des Droits de l’Homme , la Séparation des Eglises et de l’Etat aux Etats–Unis et en France .

Autres ajouts d’aujourd’hui : une mise à jour de la rubrique Actualité, une nouvelle Note sur Emile Combes et une nouvelle Rubrique intitulée Questions-Réponses qui vous permettra, si vous le voulez, de poser des questions
(« tout ce que vous voulez savoir sur la laïcité sans oser le demander » !).
Dans la Rubrique Accueil vous trouverez de nouvelles informations sur une UNIVERSITE DE PRINTEMPS qui aura lieu dans un charmant village de la Haute-Vienne du 30 mars au 2 avril.

Je suis temporairement handicapé par une périarthrite douloureuse, une étudiante a bien voulu taper cet éditorial et les Nouvelles notes de ce blog, mais je vous donne rendez-vous dans 15 jours, c’est le moment où j’espère être rétabli pour pouvoir rédiger de nouvelles Notes .
BONNE VISITE A TOUTES ET TOUS

18:00 Publié dans EDITORIAL | Lien permanent | Commentaires (1)

Liberté-égalité-propositions de sens

Le 03février, j’ai donné une conférence à La Rochelle devant un très nombreux public (chaises rajoutées, personnes assises par terre,…) et je n’ai pas pu répondre à toutes les questions . On m’a alors suggéré d’y répondre par le moyen de mon blog. C’était une très bonne idée qui m’a amené à créer cette nouvelle rubrique QUESTIONS-REPONSES qui partira soit de questions posées lors de conférences, soit des questions que vous poserez vous-même, visiteurs du blog, au moyen de la rubrique Commentaires . Ainsi le blog pourra être un outil de dialogue en cette année du centenaire de la loi 1905.

REPONSE A UNE DES QUESTIONS POSEES A LA ROCHELLE

« Que faites-vous des simples individus qui ne revendiquent d’appartenir à aucune sorte de « religion » ou « philosophie » et qui n’ont d’autre prétention que d’exister dans leur simple Nature d’Humains, vivant dans la société et dans l’espace naturel terrestre . Peut-on être un interlocuteur social et politique si on appartient à un groupe installé autour de ses « croyances ».
(question posée par écrit)
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Réponse : cette question provenait d’un moment de ma conférence où j’avais tenté d’expliquer que des questions de sens se posaient de nouveau dans l’espace public (par exemple les problèmes liés à la bioéthique ou à l’environnement) et qu’elles pouvaient donner lieu à des débats pluralistes où des religions et des philosophies non religieuses avaient le droit de faire librement des « propositions de sens ». J’insistais sur la nécessité de ne pas faire de ces questions l’apanage des seules religions mais de traiter à égalité des philosophies non religieuses. Je donnais l’exemple de la Belgique où il existe des « conseillers humanistes » à côté des aumôniers dans les hôpitaux, prisons, etc.

Je comprends cette question comme la crainte d’une inégalité de traitement pour des « simples individus »,comme le dit mon interlocuteur, qui n’estimeraient pas être représentés par les religions ou les philosophies non religieuses dont il vient d’être question .

Mais je poserai à mon tour trois questions .

Première question : si le droit à l’abstention, à la désappartenance doit être respecté ce droit peut-il limiter l’expression des autres sous prétexte d’égalité ? Je ne le pense pas, le droit à la non parole ne prive pas autrui du droit de parler. Vous pouvez vous abstenir d’aller au théâtre ou au café, pas réclamer leurs suppressions.

Deuxième question : les personnes qui veulent s’abstenir de tout référent religieux ou philosophique ne peuvent-elles pas avoir la curiosité intellectuelle de connaître des propositions de sens présentées au libre choix de chacun par diverses familles de pensée ? L’essentiel, me semble-t-il est que ces propositions de sens ne soient en aucune manière des normes imposées à qui que ce soit.

Troisième question : est-il vraiment possible de vivre sans avoir aucune référence religieuse ou philosophique explicite ou implicite ? Je ne le pense pas. Je constate que mon interlocuteur parle de la « Nature d’Humains » et réemploie le terme de nature en parlant tout de suite après « d’espace naturel terrestre ». Il s’agit là d’une option philosophique, certes implicite et toute aussi respectable qu’une autre mais réelle. La majuscule mise à nature est significative. Nous ne trouvons donc pas là dans une impossible neutralité absolue.

Combes spiritualiste

medium_combes_002.4.jpgLA SEANCE DU 26 JANVIER 1903
A LA CHAMBRE DES DEPUTES

Combes : «Quand vous aurez supprimé, par un vote, le budget des cultes, vous aurez jeté le pays dans un grand embarras, embarras qui tournera non seulement contre vous les consciences troublées mais contre la République que vous aurez mise dans le plus grand péril.
Un peuple n’a pas été nourri en vain pendant une longue série de siècles d’idées religieuses, pour qu’on puisse se flatter d’y pouvoir substituer, en un jour, par un vote de majorité, d’autres idées contraires à celles-là. Vous n’effacerez pas d’un trait de plume les quatorze siècles écoulés et avant même de les avoir effacés, il est de votre devoir de connaître d’avance par quoi vous les remplacerez. »

Dejeante : « La Révolution l’a bien fait. »

Combes : « Je ne crois pas, que la majorité, que dis-je ? que la presque unanimité des Français puisse se contenter de simples idées morales telles que… »
(Vifs applaudissements au centre, à droite, sur divers bancs à gauche. Protestations de l’extrême gauche.)

Buisson : « C’est la négation de nos lois scolaires. »

Combes : « Je disais que notre société ne peut se contenter de simples idées morales, telles qu’on les donne actuellement dans l’enseignement superficiel et borné de nos écoles primaires.

Quand nous avons pris le pouvoir, bien que plusieurs d’entre nous comme beaucoup parmi vous sans doute, fussent au point de vue philosophique et théorique, partisans de la séparation des Eglises et de l’Etat, nous avons déclaré que nous nous tiendrions sur le terrain du Concordat. Nous considérons en ce moment les idées morales, telles que les Eglises les donnent -et elles sont les seules à les donner en dehors de l’école primaire- comme des idées nécessaires.

J’aspire comme vous tous, du côté gauche de cette Chambre, à l’époque que je voudrais prochaine, que je voudrais immédiate, mais que la constatation de l’état présent m’oblige à ajourner à quelque temps, où la libre pensée, appuyée sur la doctrine de la raison, pourra suffire à conduire les hommes dans la pratique de la vie. »

Combes quitte alors la tribune et retourne à sa place. Comme un vif brouhaha et la protestation d’une partie de sa majorité continue. Il ajoute alors de sa place:

« Je ne sais pas si la majorité a pris le change sur mes sentiments. J’ai dit à la tribune du Sénat, il y a deux ans, en défendant l’article 14 de la loi des associations, que j’étais un philosophe spiritualiste et que je regardais l’idée religieuse -je l’ai répété aujourd’hui- comme une des forces morales les plus puissantes de l’humanité. La majorité de cette Chambre savait donc très bien qui j’étais, quand elle m’a accepté comme président du Conseil. Si elle trouve que je ne suis pas à ma place, elle n’a qu’à me le dire. »

Mougeot, un de ses ministres, a rapporté qu’un député du centre Périer de Larsan, qui vote habituellement contre le ministère, a laissé échapper, en s’adressant à ses voisins : « C’est le langage d’un brave homme et d’un homme brave. »

COMMENTAIRES:

Ce texte est le compte rendu d’une séance parlementaire qui a eu lieu le 26 janvier 1903 .
Emile Combes était devenu président du Conseil en juin de l’année précédente .Comme nous l’avons vu la semaine dernière (cf .la Note ci-après sur Qui était Emile Combes ?) ce n’était pas encore un personnage politique de premier plan et il n’avait été ministre que durant quelques mois.
Combes est devenu président du conseil que parce que son prédécesseur ( Waldeck Rousseau) a décidé de quitter le pouvoir et que les chefs du parti radical ( Brisson, Bourgeois), parti qui avaient gagné les élections n’ont pas accepté la tâche de président du conseil .

Ce triple refus montre la difficulté de cette tâche .Il fallait appliquer la loi de juillet 1901 sur les associations qui créait un régime spécial pour les congrégations religieuses. Le président du conseil qui se ‘collerait’ ce travail risquait l’impopularité et de diriger un ministère de courte durée. Combes fit donc un travail dont personne ne voulait.

La loi de 1901 obligeait les congrégations à être autorisées par une loi.
Combes va refuser systématiquement cette autorisation.Il estimait d’accord avec sa majorité,que le congréganiste , avec ses vœux d’obéissance, de chasteté et de pauvreté se privait de droits fondamentaux de l’être humain. Nous reparlerons de ce problème lors de la prochaine Note sur Combes.

Aujourd’hui nous constatons à la lecture de cette séance parlementaire que Combes était anticlérical mais n’était ni agnostique ni athée. Il était ce que l’on appelait à l’époque un libre-penseur spiritualiste.
Il croyait à l’existence d’un Infini inconnaissable mais agissant dans l’histoire .

Dans un interview au journal italien La Stampa, le 16 novembre 1915, il déclara : « il est une loi qui gouverne le monde:c’est le progrès.Cette logique commande une volonté intelligente, mystérieuse qui s’affirme constamment dans l’ordre physique comme dans l’ordre moral. Inéluctablement, le progrès sert de règle à l’univers et la cause, au côté de laquelle sont la Justice et le Progrès est destiné à vaincre. Rien ne l’empêchera » ( Archive départementale de la Charente Maritime ).

De même dans son caveau funèbre il a fait graver ces paroles d’Edgar Quinet : « Aimons-nous dans la mort comme dans la vie.Notre cœur nous dit qu’il n’y a pas de séparation éternelle.Nous nous quittons dans l’incertitude, nous nous retrouverons dans la vérité ».

A plusieurs reprises Combes parle de « la force mystérieuse », « la loi inconnue » qui « préside au développement progressif des sociétés humaines et qui adapte à chaque situation l’homme ou les hommes de la situation » ( Mémoires )Ainsi il a vécu son action comme président du conseil comme étant un instrument du Progrès un travail au service de cette force « mystérieuse ». Il était, en fait, partisan d’une « religion civile » telle que la prône Jean-Jacques Rousseau (cf. la Note comparant la séparation des Eglises et de l’Etat aux Etats-Unis et en France, dans la catégorie « Monde et Laïcité »).

C’est d’ailleurs parce qu’il souhaite une religion civile républicaine que Combes est déçu par la morale laïque de son temps qui, globalement, évite de se transformer en religion civile (cf mon ouvrage : La morale laïque contre l’ordre moral, Le Seuil, 1997) et qu’il fait preuve, à cette séance, d’une certaine nostalgie de l’époque où la catholicisme avait une mission de socialisation morale.

On voit là que la personnalité d’Emile Combes plus complexe que l’on dit et la légende noire (qui fait de Combes un esprit « sectaire et borné ») et la légende dorée (qui évacue ou sous-estime la dimension spiritualiste de sa personnalité). Les deux légendes ont ceci de commun qu’elles négligent d’analyser les idées de Combes et son action à partir de son attachement à la religion civile. Or la séance du 26 janvier 1903 ne témoigne pas seulement du « spiritualisme » de Combes, elle montre, avec ses propos dépréciatifs sur la morale laïque, son attachement à la religion civile. Notons que Durkheim, pour une raison analogue, se montrait également critique à l’égard de la morale laïque issue de Jules Ferry. Nous reparlerons bientôt des rapports complexes entre laïcité et religion civile dans un « texte de référence » (cf. sur cette notion, l’édito de cette semaine).