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19/02/2005

L'ANTICLERICALISME DE COMBES

L’ANTICLERICALISME DE COMBES


PREMIERE PARTIE : LA LUTTE CONTRE LES CONGREGATIONS

La dernière fois nous avons vu le spiritualisme de Combes, après avoir indiqué qui était Emile Combes et le point de vue (étonnant) de Combes sur l’islam (vous trouverez ces différentes informations les unes à la suite des autres dans la rubrique « Emile Combes »).
Aujourd’hui, nous envisageons l’anticléricalisme de Combes.
Comme pour les autres Notes sur Emile Combes, je conseille à celles et ceux qui veulent en savoir plus de lire l’ouvrage très intéressant, et fondé sur un remarquable travail d’archives, de Gabriel MERLE, Emile Combes, Fayard, 1995.

Sur la carricature ci après
(que vous pouvez agrandir en cliquant)
Combes est représenté en diable cornu
medium_combes_022.jpg
Je vais résumer à l’extrême. Il s’agit juste de tenter un bilan de sa politique religieuse.

1) L’ARRIVEE AU POUVOIR D’EMILE COMBES
Rappelons que Combes est arrivé au pouvoir en juin 1902, après des élections qui ont été remportées par la gauche. Son ministère, intitulé le « Bloc des gauches », peut être considéré comme le premier exemple d’union de la gauche, avant le Front Populaire, le gouvernement Mollet de 1956 et la victoire de Mitterrand en 1981. Sans participer au gouvernement, le Parti socialiste français de Jaurès le soutenait. Combes a été beaucoup accusé d’être sous l’influence de Jaurès.
Il faut faire la part de la polémique permettant de disqualifier le président du Conseil : Jaurès n’était pas alors cette sorte de saint républicain qu’il est devenu par son assassinat et par la prise de distance du temps. Il pouvait être présenté comme un dangereux « collectiviste » et il était « payant » de prétendre que Combes était l’otage de Jaurès.
Combes a du, plusieurs fois indiquer que, tout en prévoyant de faire des « réformes nécessaires » (qu’accaparé par sa lutte anticléricale il n’effectuera pas) : retraites ouvrières (le « milliard » des congrégations devait servir à cela ; En fait l’Etat ne « récupéra » que 350 millions, dont 290 s’envolèrent en fumée dans une inflation de frais, quand ce n’est pas dans la poche des liquidateurs), impôt sur le revenu, il n’était pas de ceux « qui font peur à l’épargne ».
Le degré d’influence de Jaurès sur Combes est encore un sujet de débat entre historiens. Ce que l’on peut, par contre, affirmer, c’est que Jaurès a approuvé la politique de Combes pendant toute la durée du ministère de ce dernier (un peu plus de 2 ans et demi, ce qui est assez exceptionnel dans l’instabilité politique de la IIIe République).

Combes n’était pas très connu. Ses 2 principaux titres étaient qu’il avait été ministre de l’Instruction publique des Beaux Arts et des Cultes pendant quelques mois (fin 1895-début 1896) et qu’il venait d’être le président de la Commission sénatoriale sur la loi du 1er juillet 1901 sur les associations, loi qui obligeait les congrégations à être autorisées par une loi et leurs établissement par un décret. S’il est devenu président du Conseil, c’est parce que Waldeck Rousseau, l’auteur de la loi, a volontairement quitté le pouvoir et que les 2 principaux ténors du parti radical n’ont pas voulu diriger le gouvernement.

Pourquoi ce peu d’empressement ? Parce que la loi de 1901 était difficile à appliquer, quant aux congrégations : quelles congrégations pouvait-on autoriser ? Quelles congrégations devait-on interdire ? Le premier président du Conseil, issu des élections de 1902 allait devoir tracer la frontière entre autorisation et interdiction, cela à ses risques et périls. Il fallait s’attendre à de violentes oppositions de la part de la droite et des congrégations concernées, ainsi que des reproches de ne pas aller « assez loin », venant de l’autre bord.
Dans cette conjoncture, il pouvait semblait de bonne tactique d’attendre qu’un franc-tireur se casse les dents et décante la situation. Après lui, exercer le pouvoir deviendrait moins difficile et le gouvernement suivant aurait une meilleure espérance de vie.

2) LA LUTTE ANTICONGREGANISTE EN 1902-1903
Combes arriva donc au pouvoir parce que personne ne voulait y aller.
Il commença par fermer les établissements congréganistes qui s’étaient ouverts depuis le 1er juillet 1901 sans autorisation, puis il fit fermer les établissements de congrégations non-autorisées ouverts antérieurement à cette date et qui n’avaient pas demandé d’autorisation, car ils ne pensaient pas tomber sous le coup de la loi. Il y eut des manifestations importantes à Paris et surtout en Bretagne où, pendant le mois d’août 1902, une partie de la populations tenta de s’opposer à l’application de la mesure, élevant des sortes de barricades et jetant de matière fécales aux visages des gendarmes et de la troupe.

Dès ce moment là, la France fut divisée en deux.
Un militantisme républicain et laïque applaudit aux mesures prises par Combes et ne lui ménagea pas son soutien. L’adjectif affectueux de Petit-père témoigne de cette complicité entre la France républicaine et son président du Conseil. Cette France là n’était pas que masculine et quand il quittera le pouvoir Combes pourra se targuer d’avoir été le président du Conseil a qui, de loin, embrassé le plus de femmes, dans l’exercice de ses fonctions.
Le mot d’ordre de « défense de la laïcité » et surtout de « laïcité intégrale » fut souvent mis en avant. Comme nous l’avons vu dans la note sur le spiritualisme de Combes, l’optique dominante tirait la laïcité vers une religion civile rousseauiste (nous reviendrons sur ce problème, en mettant dans ce blog le texte d’une communication sur la religion civile).
Par contre, la France catholique haïssait d’autant plus le président du Conseil qu’à ses yeux (comme ancien séminariste), il était un « renégat ». Les qualificatifs de Néron, Dioclétien, Robespierrot,…quand ce n’est pas Satan et Antéchrist lui furent attribués. Les brochures de « La librairie antisémite » (le titre montre les liens qu’avaient alors un certain catholicisme avec un nationalisme de droite) se montrèrent particulièrement virulentes.

De l’automne 1902 à l’été 1903, le Sénat et la Chambre examinèrent les demandes d’autorisation. Sur les 6 demandes transmises au Sénat, 5 furent acceptées (Combes avait fait exprès de transmettre à la Haute Assemblée les demandes qui lui semblaient les plus acceptables) ; par contre la Chambre des députés, en accord avec le gouvernement, refusa toutes les demandes qui lui fut soumise. Les manifestations furent moins fortes, sauf pour l’expulsion des Chartreux, retracée notamment dans l’ouvrage d’Anne-Marie et jean Mauduit : La France contre la France (Plon, 1984).

3) LA RADICALISATION DE LA LUTTE ANTICONGREGANISTE ET LA LOI DE 1904.

A la rentrée de 1903, plus de 10000 établissements congréganistes avaient été fermés, mais la moitié s’était rouvert avec des laïcs ou/et des prêtres catholiques. La question à l’ordre du jour était l’abrogation de la loi Falloux permettant la liberté de l’enseignement.
Le gouvernement avait, un an auparavant déposé un projet de loi interdisant l’enseignement aux congrégations non-autorisées. Un député avait rédigé un amendement élargissant cette interdiction à toutes les congrégations et aux prêtres.
Le congrès du parti radical avait demandé l’instauration du monopole de l’Etat sur l’enseignement malgré l’opposition de Buisson. Les arguments échangés dans ce débat sont très significatifs de deux types de laïcité qui se sont alors affrontés, une laïcité qui se reconnaissait à l’époque « autoritaire » et où on trouve un mode de raisonnement très proche de ceux qui se prétendent aujourd’hui « républicains » (comme s’ils avaient le monopole de la République !) et une laïcité tout autant laïque, mais libérale et qui ne veut surtout pas devenir une contre-religion.

Je renvoie pour en savoir plus sur cet important débat aux pages 90ss de mon ouvrage Laïcité 1905-2005 entre passion et raison (Le Seuil).

Combes chercha une position médiane entre ces deux positions et il déposa un nouveau projet de loi interdisant l’enseignement à tous les degrés (primaire, secondaire, supérieur) aux congrégations. Il limita au maximum le nombre d’articles car son gouvernement avait déjà plus d’un an d’existence et certains anciens ministres de Waldeck-Rousseau piaffaient d’impatience et voulaient reprendre le pouvoir.

Cette opposition se traduisit notamment, en mars 1904 par une offensive du socialiste Millerand qui présidait la Commission du Travail de l’assemblée nationale. Il affirma que Combes se montrait si obstiné dans la lutte contre les congrégations qu’il ne prenait pas les mesures sociales impatiemment attendues, notamment l’instauration des retraites ouvrières.
A l’époque, c’était souvent à l’occasion de ce genre d’attaque, faite à l’improviste, que le gouvernement en place était mis en minorité. Là Jaurès contra Millerand : avec qui allait-il renverser Combes ? Avec les députés de droite. Et Jaurès, cinglant, ajoutait : « Quand la majorité actuelle sera brisée, quand le fantôme de la laïcité sera exorcisé, ils ne vous donneront pas vos réformes sociales ». Le gouvernement l’emporta de 10 voix.
En juillet 1904, le projet de loi d’Emile Combes fut voté et promulgué et l’enseignement devenait interdit pour tous les membres d’une congrégation. Les seules dérogations concernaient l’Outre-Mer.

SECONDE PARTIE : LAÏCISATION ET DEMOCRATIE

La lutte contre les congrégations, engagée à partir de 1901 (avant Combes donc) pose le problème des relations entre laïcisation et démocratie. Nous allons voir pourquoi.

Les congrégations atteintes étaient également, pour la première fois depuis la Révolution, des congrégations de femmes. Les religieux et les religieuses n’avaient plus que deux possibilités l’exil ou la sécularisation.


Environ 30000, selon les estimations les plus sérieuses des historiens, choisirent l’exil soit dans les pays limitrophes de la France, soit dans des régions plus lointaines comme le Proche Orient ou le Quebec. Cet exil avait commencé après l’adoption de la loi de juillet 1901, actualisant (même si cela était moins grave) celui qui avait eu lieu lors de la Terreur politico-religieuse de la Révolution a donné (il ne faut pas se le cacher) à la laïcité française une réputation d’ »intolérance » dont elle a du mal, aujourd’hui à se défaire.

La sécularisation signifiait que les religieux et les religieuses quittent leurs habits spécifiques et ne vivent plus « hors du monde ». Les religieux qui étaient prêtres pouvaient devenir des prêtres séculiers, sous l’autorité de l’évêque de leur diocèse. Normalement un congréganiste sécularisé recouvrait tous ses droits. Mais comme cette « sécularisation » était en fait contrainte, on pouvait suspecter sa sincérité. C’est toujours la même histoire : quand on oblige les gens à se « libérer » de leurs « erreurs », rien n’indique, qu’au fond d’eux-mêmes ils les considèrent comme telles. Ainsi les juifs convertis de force au christianisme en Espagne furent considérés comme des « marranes », continuant à pratiquer en secret des prescriptions juives, et après la Révocation de l’Edit de Nantes, les protestants, devenus officiellement des « nouveaux catholiques », restaient toujours suspects de protestantisme.

Des mesures furent donc prises contre les « sécularisés » : par circulaire, Combes voulut les empêcher de prêcher et un projet de loi leur interdit d’enseigner là où ils le faisaient auparavant. Votée par la Chambre, il fut arrêté au Sénat, à cause notamment de l’opposition de Clemenceau qui le considéra comme attentatoire aux droits de l’homme.
En effet, au-delà de la mesure pratique, cela signifiait que le simple fait d’avoir été congréganiste vous rendait citoyen de seconde zone. Ce n’était plus seulement un rôle social (être membre d’une congrégation) qui était visé (ce qui paraissait déjà contestable à certains républicains), mais la personne elle-même.

Au point où il était parvenu, le processus de laïcisation posait donc question.
Non qu’il ne fut pas justifié. Il faut se souvenir qu’une partie de l’Eglise catholique, notamment en ses éléments congréganistes soit était toujours opposée à la République, soit s’y était ralliée avec la ferme intention d’abolir les lois laïques et de refaire de la France la « fille aînée de l’Eglise ».

Certes, on pourrait dire qu’après tout l’alternance est légitime en démocratie et que des citoyens avaient bien le droit de souhaiter des changement législatifs. Mais cette opposition conduisait ces milieux catholiques à opposer la « République des honnêtes gens » (sous entendu les catholiques) à celle qui serait investie par « les juifs, les protestants, les francs-maçons », minorités « anti-françaises ». Plusieurs brochures hostiles à Combes étaient publiées par une librairie qui s’intitulait elle-même : « La librairie antisémite ».

ON PEUT DIRE QUE, de façon tendancielle, ON MAJORE UN DANGER AU MOMENT OU IL EXISTE, ON LE MINORE 50 OU 100 ANS PLUS TARD.

Donc les mesures prises par Combes, et réclamée par une large partie de l’opinion publique républicaine (certains trouvaient même que le « Petit Père » n’allait pas assez loin), n’étaient pas sans fondement et il serait trop facile d’être dans l’indignation primaire et moraliste. Il n’empêche, la laïcisation opérée de 1901 à 1905 prenait une tournure qui apparut problématique à certains leaders républicains.

Pourquoi ? Parce que, comme l’horizon, la laïcisation s’éloigne quand on croit s’en approcher. On n’atteint jamais une laïcisation complète. Dès lors, jusqu’où aller dans la laïcisation ?
La réponse n’est pas simple puisque chaque mesure laïcisatrice fait percevoir la nécessité d’en prendre une autre, de continuer la route, l’horizon ne se trouvant pas atteint : la loi de 1901 est vite apparue insuffisante et la loi de 1904 a voulu la compléter. Mais le projet d’interdire partiellement l’enseignement aux sécularisés montrait que la loi de 1904 elle-même ne donnait pas la solution.

A continuer dans cette voix, non seulement on serait amené à instaurer le monopole de l’enseignement, mais il faudrait faire la chasse aux « cléricaux déguisés » dans l’enseignement public, et certains prônaient déjà cette sorte de mesures.

Face à de telles dérives, Clemenceau prononça, dés novembre 1903, un grand discours sur le risque d’ « omnipotence de l’Etat laïque » : « pour éviter la congrégation, nous faisons de la France une immense congrégation (…). Nous chassons Dieu, comme disent ces messieurs de la droite, vive l’Etat-Dieu ! » Et il affirmait : « Parce que je suis l’ennemi du roi, de l’empereur et du pape, je suis l’ennemi de l’Etat omnipotent, souverain, maître de l’humanité. »
(lire les principaux extraits de ce discours dans l’ouvrage 1905, La séparation des Eglises et de l’Etat. Les textes fondateurs publié par les éditions Perrin).

A suivre
(Le prochain épisode parlera de la mise en route du processus de séparation des Eglises et de l’Etat sous le ministère Combes et de la fin de ce ministère. Ensuite nous aborderons les débats parlementaires de 1905 autour de la proposition de loi présentée par la Commission).
























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