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05/02/2005

Combes spiritualiste

medium_combes_002.4.jpgLA SEANCE DU 26 JANVIER 1903
A LA CHAMBRE DES DEPUTES

Combes : «Quand vous aurez supprimé, par un vote, le budget des cultes, vous aurez jeté le pays dans un grand embarras, embarras qui tournera non seulement contre vous les consciences troublées mais contre la République que vous aurez mise dans le plus grand péril.
Un peuple n’a pas été nourri en vain pendant une longue série de siècles d’idées religieuses, pour qu’on puisse se flatter d’y pouvoir substituer, en un jour, par un vote de majorité, d’autres idées contraires à celles-là. Vous n’effacerez pas d’un trait de plume les quatorze siècles écoulés et avant même de les avoir effacés, il est de votre devoir de connaître d’avance par quoi vous les remplacerez. »

Dejeante : « La Révolution l’a bien fait. »

Combes : « Je ne crois pas, que la majorité, que dis-je ? que la presque unanimité des Français puisse se contenter de simples idées morales telles que… »
(Vifs applaudissements au centre, à droite, sur divers bancs à gauche. Protestations de l’extrême gauche.)

Buisson : « C’est la négation de nos lois scolaires. »

Combes : « Je disais que notre société ne peut se contenter de simples idées morales, telles qu’on les donne actuellement dans l’enseignement superficiel et borné de nos écoles primaires.

Quand nous avons pris le pouvoir, bien que plusieurs d’entre nous comme beaucoup parmi vous sans doute, fussent au point de vue philosophique et théorique, partisans de la séparation des Eglises et de l’Etat, nous avons déclaré que nous nous tiendrions sur le terrain du Concordat. Nous considérons en ce moment les idées morales, telles que les Eglises les donnent -et elles sont les seules à les donner en dehors de l’école primaire- comme des idées nécessaires.

J’aspire comme vous tous, du côté gauche de cette Chambre, à l’époque que je voudrais prochaine, que je voudrais immédiate, mais que la constatation de l’état présent m’oblige à ajourner à quelque temps, où la libre pensée, appuyée sur la doctrine de la raison, pourra suffire à conduire les hommes dans la pratique de la vie. »

Combes quitte alors la tribune et retourne à sa place. Comme un vif brouhaha et la protestation d’une partie de sa majorité continue. Il ajoute alors de sa place:

« Je ne sais pas si la majorité a pris le change sur mes sentiments. J’ai dit à la tribune du Sénat, il y a deux ans, en défendant l’article 14 de la loi des associations, que j’étais un philosophe spiritualiste et que je regardais l’idée religieuse -je l’ai répété aujourd’hui- comme une des forces morales les plus puissantes de l’humanité. La majorité de cette Chambre savait donc très bien qui j’étais, quand elle m’a accepté comme président du Conseil. Si elle trouve que je ne suis pas à ma place, elle n’a qu’à me le dire. »

Mougeot, un de ses ministres, a rapporté qu’un député du centre Périer de Larsan, qui vote habituellement contre le ministère, a laissé échapper, en s’adressant à ses voisins : « C’est le langage d’un brave homme et d’un homme brave. »

COMMENTAIRES:

Ce texte est le compte rendu d’une séance parlementaire qui a eu lieu le 26 janvier 1903 .
Emile Combes était devenu président du Conseil en juin de l’année précédente .Comme nous l’avons vu la semaine dernière (cf .la Note ci-après sur Qui était Emile Combes ?) ce n’était pas encore un personnage politique de premier plan et il n’avait été ministre que durant quelques mois.
Combes est devenu président du conseil que parce que son prédécesseur ( Waldeck Rousseau) a décidé de quitter le pouvoir et que les chefs du parti radical ( Brisson, Bourgeois), parti qui avaient gagné les élections n’ont pas accepté la tâche de président du conseil .

Ce triple refus montre la difficulté de cette tâche .Il fallait appliquer la loi de juillet 1901 sur les associations qui créait un régime spécial pour les congrégations religieuses. Le président du conseil qui se ‘collerait’ ce travail risquait l’impopularité et de diriger un ministère de courte durée. Combes fit donc un travail dont personne ne voulait.

La loi de 1901 obligeait les congrégations à être autorisées par une loi.
Combes va refuser systématiquement cette autorisation.Il estimait d’accord avec sa majorité,que le congréganiste , avec ses vœux d’obéissance, de chasteté et de pauvreté se privait de droits fondamentaux de l’être humain. Nous reparlerons de ce problème lors de la prochaine Note sur Combes.

Aujourd’hui nous constatons à la lecture de cette séance parlementaire que Combes était anticlérical mais n’était ni agnostique ni athée. Il était ce que l’on appelait à l’époque un libre-penseur spiritualiste.
Il croyait à l’existence d’un Infini inconnaissable mais agissant dans l’histoire .

Dans un interview au journal italien La Stampa, le 16 novembre 1915, il déclara : « il est une loi qui gouverne le monde:c’est le progrès.Cette logique commande une volonté intelligente, mystérieuse qui s’affirme constamment dans l’ordre physique comme dans l’ordre moral. Inéluctablement, le progrès sert de règle à l’univers et la cause, au côté de laquelle sont la Justice et le Progrès est destiné à vaincre. Rien ne l’empêchera » ( Archive départementale de la Charente Maritime ).

De même dans son caveau funèbre il a fait graver ces paroles d’Edgar Quinet : « Aimons-nous dans la mort comme dans la vie.Notre cœur nous dit qu’il n’y a pas de séparation éternelle.Nous nous quittons dans l’incertitude, nous nous retrouverons dans la vérité ».

A plusieurs reprises Combes parle de « la force mystérieuse », « la loi inconnue » qui « préside au développement progressif des sociétés humaines et qui adapte à chaque situation l’homme ou les hommes de la situation » ( Mémoires )Ainsi il a vécu son action comme président du conseil comme étant un instrument du Progrès un travail au service de cette force « mystérieuse ». Il était, en fait, partisan d’une « religion civile » telle que la prône Jean-Jacques Rousseau (cf. la Note comparant la séparation des Eglises et de l’Etat aux Etats-Unis et en France, dans la catégorie « Monde et Laïcité »).

C’est d’ailleurs parce qu’il souhaite une religion civile républicaine que Combes est déçu par la morale laïque de son temps qui, globalement, évite de se transformer en religion civile (cf mon ouvrage : La morale laïque contre l’ordre moral, Le Seuil, 1997) et qu’il fait preuve, à cette séance, d’une certaine nostalgie de l’époque où la catholicisme avait une mission de socialisation morale.

On voit là que la personnalité d’Emile Combes plus complexe que l’on dit et la légende noire (qui fait de Combes un esprit « sectaire et borné ») et la légende dorée (qui évacue ou sous-estime la dimension spiritualiste de sa personnalité). Les deux légendes ont ceci de commun qu’elles négligent d’analyser les idées de Combes et son action à partir de son attachement à la religion civile. Or la séance du 26 janvier 1903 ne témoigne pas seulement du « spiritualisme » de Combes, elle montre, avec ses propos dépréciatifs sur la morale laïque, son attachement à la religion civile. Notons que Durkheim, pour une raison analogue, se montrait également critique à l’égard de la morale laïque issue de Jules Ferry. Nous reparlerons bientôt des rapports complexes entre laïcité et religion civile dans un « texte de référence » (cf. sur cette notion, l’édito de cette semaine).


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