31/10/2010
Un Manifeste anglais du secularism/laïcité
On entend encore très souvent dire que le terme de « laïcité » n’a pas d’équivalent en anglais/américain. Or les textes internationaux traduisent laïcité par secularism et secularism par laïcité.
J’ai déjà noté dans mon « Que sais-je » Les laïcités dans le monde, que des universitaires américains donnent, depuis longtemps (au moins les années 1960), une définition du secularism qui recoupe tout à fait les définitions classiques de la laïcité et, notamment, celle que Ferdinand Buisson donnait en 1883 dans le célèbre Dictionnaire de Pédagogie.
Mais qu’en est-il de l’Angleterre ?
Et doit-on, comme les modernes moutons de Panurge qui préfèrent reprendre à leur compte des stéréotypes dominants au lieu de s’adonner à la tâche difficile de penser, opposer « laïcité française » et « communautarisme anglo-saxon » ?
Et si des Anglais nous donnaient une leçon de laïcité ?
« A SECULARIST MANIFESTO », un manifeste séculariste vient d’être écrit par Evan Harris, et publié dernièrement dans The Gardian (18 septembre 2010).
Né en 1965, Evan Harris a été député du parti libéral démocrate de 1997 à 2010, et il a perdu de très peu son siège aux élections de mai dernier 23730 voix contre 23906 à son adversaire conservateur).
Harris est vice président de la British Humanist Association et de la Gay and Lesbian Humanist Association. Il est aussi le président de la Oxford Secular Society.
Certains des mes amis universitaires, anglais ou spécialistes de l’Angleterre, diront que le manifeste d'Harris effectue parfois des généralisations et des raccourcis un peu vertigineux quand il décrit la situation anglaise[1], ce qui peut noircir le tableau.
Il s’agit bien sûr d’un texte militant, forcément concis, et non d’une étude sociologique.
Mais ce manifeste pointe cependant de réels problèmes de laïcité en Angleterre qui ne sont pas niables, même s’il les présente sous une forme qui parfois force le trait.
D’autre part, il présente une vision de la laïcité qui me semble fondamentale car elle se centre sur la nécessité d’un Etat laïque.
Etat laïque qui, ainsi, peut garantir la liberté et l’égalité des droits de tous les citoyens.
Le cœur du manifeste consiste à affirmer que la laïcité est «un mouvement politique »
qui « vise» à « défendre la liberté absolue des croyances religieuses et autres que religieuses »
et à « mettre fin aux privilèges religieux ou aux persécutions religieuses et à séparer complètement l’Etat de la religion, moyen nécessaire pour cette fin. »
Enfin si le manifeste prône une laïcité combative (et en France aussi il y aurait des combats à mener pour que l’Etat soit complètement laïque), il prend ses distances avec une laïcité qui écorne les libertés.
Avec une note d’humour finale qui est bienvenue.
D’ailleurs, voici ce texte in extenso, jugez vous-même :
« La laïcité[2] est injustement pointée du doigt et attaquée par des dirigeants religieux voulant défendre leurs privilèges.
La laïcité n’est pas l’athéisme (l’absence de croyance en Dieu), et elle n’est pas non plus l’humanisme (un système non religieux de croyances[3]). Il s’agit d’un mouvement politique recherchant un but spécifiquement politique. Nombre de laïques sont des adeptes de religions et nombre de personnes religieuses[4] sont adeptes de la laïcité, en reconnaissant la valeur du maintien de la séparation du gouvernement et de la religion.
La laïcité vise à défendre la liberté absolue des croyances religieuses et autres que religieuses, elle cherche à renforcer la liberté de religion et d’autres croyances et à protéger le droit de manifester ses croyances religieuses dans la mesure où elles ne portent pas atteintes de façon disproportionnée aux droits et aux libertés d’autrui.
Cela est essentiellement le résumé de l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme. De plus, la laïcité vise à mettre fin aux privilèges religieux ou aux persécutions religieuses et à séparer complètement l’Etat de la religion, moyen nécessaire pour cette fin.
Un manifeste pour un changement par la laïcité pourrait ressembler à ceci :
1 Protéger la libre expression religieuse qui n’incite pas directement à la violence ou à des délits envers les autres ou ne crée pas publiquement et directement une quelconque détresse et inquiétude
C’est pourquoi les laïques :
- Ont mené une bataille contre le projet de loi de Tony Blair sur la haine religieuse largement définie, travaillant aux côtés de personnes religieuses qui réclament la liberté d’attaquer d’autres religions et s’élevant contre certaines organisations religieuses ;
- Ont remporté une réussite notable avec l’abolition de la loi anglaise[5] sur le blasphème qui concernait uniquement le christianisme ;
- Cherchent à abolir les offenses d’ordre public qui conduisent la police à questionner des personnes religieuses ayant donné leur avis, sauf en cas d’insultes manifeste envers autrui
- S’opposent à la loi de diffamation de la religion qui a été proposée à l’ONU par certains Etats à majorité musulmane ;
- S’opposent à l’interdiction de la burqa sauf là où cela est nécessaire pour la sûreté, la sécurité, ou l’octroie effectif de services publics ;
- Soutiennent le droit des musulmans de construire des mosquées, soumises aux règles habituelles de planification.
2 Mettre un terme aux discriminations contre des organisations et des systèmes de croyances non religieuses, en mettant fin à leur exclusion des :
- Tranches horaires d’émissions religieuses (à la radio et à la télévision) protégées (par la loi)
- Comités qui établissent les programmes d’études religieuses ;
- Organismes qui conseillent le gouvernement sur les questions relatives à la religion.
3 Mettre un terme à la discrimination religieuse injustifiée en :
- Arrêtant l’autorisation, pour les écoles confessionnelles, de refuser ou de renvoyer un enseignant à cause de sa religion ou de son statut marital.
- Empêchant, dans les écoles confessionnelles bénéficiant de fonds d’Etat, la ségrégation et la discrimination contre les enfants sur des critères religieux.
- Permettant aux membres de la famille royale de se marier avec des catholiques, en modifiant L’Acte de loi anti-catholique.
4 Quand des organisations religieuses s’associent à d’autres pour assurer des services publics, s’assurer qu’ils le font sans :
- Discrimination envers leurs employés
- Refuser des services aux usagers sur des critères religieux ou sexuels.
- Faire du prosélytisme pendant qu’ils assurent ces services.
5 Limiter le droit des personnes religieuses à l’objection de conscience lorsqu’elles assurent des services publics (par exemple la tenue des registres de mariage, la fonction de juge, de pharmacien ou de travailleur social), pour cantonner celle-ci dans la partie légale de leur travail à des exemptions rares et spécifiques (par exemple l’avortement pour les médecins) agréées par le parlement.
6 Accorder des accommodements raisonnables pour faciliter la pratique religieuse dans le temps et les lieux de travail[6] (par exemple, le turban sikh dans les forces de police, le hijab ou le kara dans les uniformes de police et des espaces de prière sur les lieux de travail) sans les accroître à un ensemble d’exemptions religieuses fondées sur la subjectivité, ni à l’imposition de pratique religieuse à des non-croyants.
7 Faire cesser une inculcation religieuse par l’Etat, en mettant fin aux cérémonies cultuelles obligatoires à l’école et en faisant de l’instruction religieuse l’étude de ce que les religions et d’autres système de croyance croient, plutôt que d’un enseignement en ce qu’ils croient.[7]
8 Détacher la religion de l’Etat en :
-Supprimant l’aspect officiel de l’Eglise d’Angleterre[8] ;
-Mettant à la prière au Parlement et au Conseil ;
-Abolissant la présence automatique d’évêques à la Chambre des Lords. Nous sommes le seul pays en dehors de l’Iran à réserver des sièges au Parlement pour des membres du clergé. Les personnes religieuses peuvent se présenter normalement aux élections, et elles le font.
9 Refuser la présence d’un système fondé sur les Ecritures, doublant le système légal, ou la supposition légale que les personnes religieuses sont plus ou moins morales que les incroyants.
10 Travailler à mettre fin aux séparations entre les gens fondées sur des motifs religieux.
Cela n’a rien à voir avec des questions de doctrines comme les femmes évêques, les pasteurs gays[9] ou la messe en latin, qui sont des questions religieuses. Cela ne doit pas non plus impliquer l’interdiction d’opinions religieuses provenant de l’espace public.
Rien de cela ne concerne ce que font les familles chez elles, ou les autorités religieuses au sein de leur propre famille.
Si vous donnez votre accord à toute ces propositions, vous pouvez être alors un laïque convaincu sans être pour autant « militant »[10] ou « agressif ».
Si vous approuvez seulement la majorité des propositions de ce manifeste, vous pouvez fort bien être un pasteur.
Si vous êtes en opposition complète avec elles, vous êtes probablement de la graine d’archevêque.
Les pire excès effectués au nom de la laïcité -aucun d’eux n’est approuvé par les laïques du Royaume Uni- concernent la proposition d’interdire la burqa en France et les vêtements religieux dans des universités turques.
Ce n’est pas juste[11] mais compte peu à côté de tout ce que charrient les régimes religieux. »
PS : Prochaines Notes,
-la réponse à la demande de « Soleil » : de quelle manière chaque culture peut-être considérée comme une part d’universel (cf. Commentaire de la Note du 24 octobre).
-L’analyse critique de l’ouvrage très important (mais parfois un peu unilattéral) de Raffaele Simone, Le Monstre doux, Gallimard.
[1] Ainsi l’enseignement de la religion dans les écoles, malgré les demandes de « rechristianisation » de cet enseignement effectuées sous M. Thatcher, est plus diversifié que ne l’indique le manifeste : cf. J.-P. Willaime, avec la collaboration de S. Mathieu (dir.), Des maîtres et de dieux. Ecoles et religions en Europe. Paris, Belin, 2005.
[2] Je traduis « secularism » par « laïcité » et « secularist » par « laïque ».
[3] « a non religious befief system » : à noter que l’utilisation sociale du terme « belief » en anglais connote mieux qu’en français le fait que les croyances peuvent être de toutes sortes, religieuses et non religieuses. Dans les textes internationaux « belief » est souvent rendu par « conviction » quand il s’agit de croyances non religieuses. J’ai gardé le terme de « croyance » quand l’auteur insiste sur le parallélisme entre croyances religieuses et non religieuses.
[4] « religious people » ; écrire en français « les religieux » pourrait faire croire qu’il s’agit de moines. A noter que, là, l’auteur met en opposition « religious people » et « nonbelivers »
[5] Il ne s’agissait donc pas d’une loi britannique.
On sait (ou devrait savoir !) que l’Eglise d’Angleterre est « établie » en Angleterre et séparée en Ecosse, l’Eglise presbytérienne est dans le cas inverse, et toutes les Eglises sont séparées de l’Etat au pays de Galles et en Irlande du Nord. On sait aussi (ou devrait savoir ! qu’en France il y a 8 régimes différents de rapports Eglise-Etat.
[6] « to cater for religious practice in employment and facilities »
[7] « the study of what religions and other belief systems believe, rather than instruction in what to believe. »
[8] « Disestablishing the Church of England ». On sait l’importance dans le monde anglo-saxon de termes de la famille sémantique « d’établissement » : « Eglise établie » (= ayant des liens privilégiés avec l’Etat), « Eglise désétablie » (= séparée de l’Etat). Petit rappel : aux USA le « désétablissement » date de 1791.
[9] Plusieurs Eglises anglicanes acceptent les deux, ce qui provoque un débat interne à l’Anglicanisme, à un niveau international.
De même, la contraception a été acceptée dés les années 1930 (et dans les années 1950 et 1960, les femmes de la France laïque devaient commander, via le Planning familial, des contraceptifs en Angleterre) et l’avortement dés les années 1960, comme étant, dans certaines circonstances, un « moindre mal ». La survie de l’ « établissement » en Angleterre est aussi due à ce libéralisme moral et à ce pluralisme interne de l’Eglise établie. Cela ne signifie nullement, bien sûr, qu’un « désétablissement » ne soit pas nécessaire.
[10] « militant », en anglais, a souvent une connotation un peu péjorative. On pourrait traduire par: "sans être pour autant un laïcard"
[11] « They are wrong »
16:30 Publié dans MONDE ET LAÏCITE | Lien permanent | Commentaires (4)
Commentaires
C'est vrai qu'avec cette ancienne loi anti-catholique, un membre de la famille royale n'a pas le droit d'épouser un catholique ; à l'époque où cette loi a été faite, on n'a interdit que le mariage avec un catholique ?? donc, un souverain anglais aurait pu épouser une juive par exemple ??? et maintenant, un roi anglais pourrait épouser une athée, une juive, une musulmane, une bouddhiste, etc, mais toujours pas une .. catholique ?? Les vieilles lois non abrogées donnent parfois des résultats bizarres ...
Écrit par : Françoise | 01/11/2010
Bonjour,
Ha oui, j'apprécie ce manifeste, et il est d'actualité en france.
Non seulement par rapport à l'islam, mais également par rapport aux croyances dénigrées sous l'appelation secte.
D'après ce que vous en savez, "organisations et des systèmes de croyances non religieuses" est pour ouvrir à qui ?
Merci,
Écrit par : Marianne | 03/11/2010
Je suis d'accord avec toi
Écrit par : E-Wi - Solutions WiFi Professionnelles - E-WiLAN Hotspot, in | 04/11/2010
certainement Merci beaucoup pour cette admirable source de donnee.
Écrit par : site pari sportif bonus | 27/02/2014
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