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14/07/2006

LA LOI LAÏQUE, LA CONSCIENCE ET LA RELIGION

(Suite de la Note du 30 juin sur « Les Nouveaux Impensés »)

Introduction : Ces dernières années, il y a existé tout un débat (qui n’est pas fini) sur les exigences de la loi face à la religion. La loi doit toujours s’imposer, même quand elle contredit les normes religieuses, a-t-on dit de façon péremptoire. C’est cela la laïcité. Oui et non.

- Oui, car  la laïcité, c’est effectivement que les normes religieuses ne s’imposent pas à la société tout entière, ou fassent partie, si peu que ce soit,  des obligations légales de chaque individu. Cela signifie que les lois civiles et les normes religieuses sont différentes, dissociées, séparées, comme l’est la citoyenneté et l’appartenance religieuse.

  se trouve, selon moi, la limite du multiculturalisme, de la diversité culturelle : c’est ce qui est arrivé, au bout du compte, quand l’Ontario a renoncé (à juste titre, de mon point de vue) à créer  des tribunaux islamiques. Il  s'est produit un fort débat social à ce sujet ; les diverses opinions ont pu s’exprimer sans être diabolisées dés le départ (comme cela arrive trop souvent en France, dés que l’on n’est pas sur les positions dites « républicaines ») et ce débat démocratique a permis de faire émerger la frontière entre multiculturalisme et communautarisme et de rester dans le multiculturalisme sans verser dans le communautarisme.

- Non si, du coup, on refuse de se poser la question de la « conscience » : la loi doit tenir compte qu’elle ne s’applique pas à des animaux (même s’il s’agit anatomiquement de mammifères !) mais à des êtres humains dont on postule qu’ils possèdent une « conscience ». Bien sûr, il n’est pas possible d’accepter de façon illimitée l’objection de conscience : cela désorganiserait la société ; mais une chose serait de faire cela, une autre (bien différente) consiste à se poser la question de la conscience des individus sur de grandes questions la mettant directement en jeu.

Ainsi la loi Jules Ferry du 28 mars 1882 laïcisant l’école publique oblige cette école à s’arrêter un jour par semaine (outre le dimanche) pour faciliter la tenue du catéchisme et ainsi bien respecter la liberté de conscience. Le rapport de la Commission Stasi indique qu’il s’agit d’un « accommodement raisonnable ».

Autre accommodement raisonnable : la loi Weil de 1975 sur l’interruption volontaire de grossesse : les médecins qui considèrent l’avortement comme un « meurtre » ne sont pas obligés de le pratiquer. Ils restent des personnes privées, même dans leurs activités médicales. Cela doit signifier, à mon sens, aussi qu'une femme qui ne veut pas se déshabiller devant un médecin homme (ou vice versa) en a parfaitement le droit. Il n'ya pas que le médecin qui a droit à la liberté de conscience.

Ainsi la loi laïque n’est pas la tyrannie de la majorité ; elle est (démocratiquement) à la fois la décision de la majorité et le respect de la minorité, les individus minoritaires. C’est cela même, d’ailleurs, le principe de l’accommodement raisonnable[1].

Il est important de savoir que le débat sur la religion et la loi n’a pas commencé ces dernières années avec l’islam ou d’autres minorités religieuses. Ce fut un problème crucial de l’après séparation, et là le catholicisme était en jeu. La Note d’aujourd’hui, continuant celles de la rubrique : « Les nouveaux impensés de l’après centenaire », va vous plonger dans ce débat, tel qu’il a eu lieu il y a un siècle. Significativement, le centenaire a célébré le contenu de la loi, indiquant qu’il s’agissait d’une loi de liberté, mais il a soigneusement rejeté dans l’impensé ce qui s’est passé en 1906 et 1907, autour de la question cruciale : la religion, la conscience et la loi.  Voici le premier acte de ce débat : 

                                      

Je vous avais laissé sur un terrrrible suspens : le Règlement d’Administration  Publique (dont peu d’historiens parlent) confirme les dispositions (politiquement) libérales de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, alors que la crainte de certains catholiques était que la loi donne d’une main des libertés que le Règlement Administratif reprendrait de l’autre. Donc, les choses sembleraient aller vers l’apaisement. Sauf que, d’un autre côté, les incidents des inventaires poussaient le pape à l’intransigeance.

J’avais signalé, dans la 1ère des 3 Notes consacrées à la crise des inventaires, que le pape Pie X, avec l’encyclique Vehementer Nos avait vivement condamné la loi de séparation (11 février 1906). Cela semblait annoncer une attitude intransigeante. Quoique que le pape n’avait donné aucune directive pratique. Depuis 1802, le Saint Siège condamnait les Articles Organiques (qui avaient orienté de façon gallicane l’application du Concordat) ; cela n’empêchait nullement ces Articles de s’appliquer et d’être respectés par l’épiscopat et l’Eglise catholique en France.

L’épiscopat avait décidé de tenir une Assemblée des Evêques de France : une telle réunion, interdite jusqu’à la loi de séparation sans autorisation du gouvernement (aucun, même les gouvernements les plus cléricaux, ne l’avait accordé) pouvait désormais se tenir librement. En vue de cette Assemblée, des personnalités catholiques vont plaider pour une acceptation de la loi.

On appelle leur texte habituellement : La lettre des cardinaux verts, elle est publiée par Le Figaro, le 26 mars 1906. Pourquoi « les cardinaux verts » ? Parce que 6 des 23 signataires étaient membres de l’Académie française (et 5 autres membres d’autres Académies de l’Institut de France). Les autres sont également des Messieurs (il n’y a que des messieurs) fort distingués. Il y a (notamment) parmi eux des juristes et des députés.

Le principal  rédacteur de la Lettre était Ferdinand Brunetière. C’est un converti, il vient de l’autre camp : il a été très féru de philosophie positiviste. Il est donc bien placé pour mesurer l’ampleur du tournant effectué par la loi de 1905 par rapport à l’anticléricalisme d’Etat. Il avait cru que la séparation serait une accentuation de cet anticléricalisme d’Etat ; les libertés données par la loi sont pour lui une heureuse surprise. Dans la Revue des Deux Mondes (très célèbre à l’époque) qu’il dirige, il a déjà plaidé pour une acceptation de la loi (n° du 1/12/1905). Certes, indique-t-il, des associations cultuelles comprenant des laïcs contrôleront les ressources, mais c’est ce qui se pratique aux Etats-Unis : « il y a donc lieu de croire que ce qui a pu se faire aux Etats-Unis ne sera pas impossible en France » et que le pape fera quelques concessions à l’élément laïc, qui ne sont pas plus importantes que « celles qu’on a dû faire, en d’autres temps, à l’élément politique ».

Ceci dit, au début et à la fin de leur Lettre, les « cardinaux verts » affirment leur obéissance  au pape : « catholiques convaincus et fidèles, nous ne saurions avoir sur le caractère et l’esprit de (la) loi (de séparation) d’autre opinion que celle qu’exprimait le Souverain Pontife (= le pape) dans son éloquente encyclique du 11 février » : voilà pour le début. Et à la fin, rebelote : «…une loi dont nous protestons encore une fois que nous pensons tout ce que le Souverain Pontife en a dit solennellement ».

Voilà le genre de propos qui faisait sauter au plafond les laïques : comment, ces ‘grand esprits’ déclarent ne pas penser par eux-mêmes et laisser le pape penser à leur place !

Certes, mais ne nous laissons pas abuser par l’apparence : les  ‘cardinaux verts’ sont plus audacieux qu’ils en ont l’air : ils affirment que dans les « discussions » qui ont eu lieu entre catholiques depuis le vote de la loi « les objections qu’on opposait (aux associations cultuelles prévues par la loi) se rapportaient presque toutes au texte primitif de la loi de Séparation, mais non pas au texte définitif ».

Or c’est précisément ce que fait l’encyclique Vehementer Nos ; et comme la Lettre a été écrite juste après l’Encyclique, il est clair que cette Encyclique est implicitement visée. Et cela, curieusement, les historiens ne le mentionnent pas.

Par ailleurs, de quelle modification est-il question ? L’ajout de l’article 4 : l’obligation pour les associations cultuelles de se conformer aux « règles générales » de leur culte ; donc pour les associations catholiques, de respecter la hiérarchie et la constitution « monarchique » de leur Eglise, mettant fin aux espoirs d’un « catholicisme républicain ». Les cardinaux verts précisent : « Cela veut dire (…) qu’une association cultuelle catholique sera légalement celle dont les membres seront « en communion » avec leur curé, ce curé avec son évêque, et l’évêque lui-même avec le Souverain Pontife. » Donc cela est clair (alors qu’il y a encore des personnes qui soutiennent que les catholiques n’ont obtenu cette disposition qu’avec les accords de 1923-1924[2]

 

Nous avons déjà vu cela lors du centenaire, dans la rubrique : « Les impensés de la loi de séparation ». Je reprends le problème dans l’ouvrage que je publie début octobre aux éditions de l’Aube : L’intégrisme républicain contre la laïcité (avec plein d’autres sujets : l’égalité des sexes, l’islam, le multiculturalisme, les sectes, les laïcités non françaises, etc).

Les signataires attirent l’attention des évêques sur les dangers d’un refus :

-         « nous réduirons le catholicisme (français) à l’état de religion privée, et l’exercice du culte à une pratique réservée désormais aux seuls privilégiés de la fortune »

-         « les inventaires prendront (alors) toute leur signification ; et de par la loi, dans un avenir plus ou moins prochain, la conséquence de cette résolution sera la confiscation des biens de l’Eglise par l’Etat » et « sans doute » aussi la réalisation du « vœu de quelques sectaires » : « la maison de Dieu transformée en grenier à foin ou en salle de danse ».

-         « si nous ne formons pas d’associations cultuelles (…) c’est la guerre civile qui se trouvera déchaînée. Le voulons nous vraiment dans le fond de nos cœurs ? Et sommes nous prêts à en prendre la responsabilité ? »

Après ces indications très claires (qu’il faut retenir et qu’il sera nécessaire d’avoir à l’esprit quand nous aborderons la suite des événements) sur l’aspect irresponsable d’un refus de la loi, les ‘cardinaux verts’ s’interrogent : « jusqu’où pousserons nous l’obéissance à la loi ? » A cette question, ils disent répondre « franchement » que « comme chrétiens » ils se sentent « tenus de la pousser plus loin que d’autres » et que « comme citoyens », ils doivent « non pas accepter mais subir la loi, jusqu’au point où son application violerait ouvertement les droits de notre conscience et les règles de notre religion. »

Les cardinaux verts indiquent donc une limite (elle aussi) très clair et qui correspond à ce que nous avons dit. Il y en a que cela choque et qui croient que c’est contraire à la laïcité : ces gens là ne se rendent pas compte qu’ils sont dans une vision absolutiste de la loi et qu’en leur temps ils auraient désavoué la campagne pour Dreyfus ou la résistance des protestants à la révocation de l’Edit de Nantes : la République absolue n’est pas plus démocratique que la Monarchie absolue.

Ayant tracé cette frontière, les cardinaux verts indique, de façon tout aussi clair, que la loi de 1905 ne l’a pas franchie : la loi, indiquent-ils nous permet « de croire ce que nous voulons » et de « pratiquer ce que nous croyons »  (c’est le bout de phrase souvent cité). Et ils précisent :

-         la hiérarchie subsiste « tout entière »,

-         le droit des évêques de communiquer avec Rome « s’exerce librement »,

-         les édifices du culte catholique demeurent « à la disposition d’associations formées et dirigées par l’évêque » Ils proposent donc de « négliger aucun moyen légal de faire abroger ou modifier cette loi ». Là encore, ils se situent tout à fait dans le cadre d’une démocratie laïque où des citoyens ont le droit d’essayer de faire légalement changer les lois. On peut penser qu’ils espèrent obtenir encore quelques aménagements, mais surtout le propos comporte un aspect tactique : dans l’espace de liberté du discours catholique d’alors, pour qu’une parole soit entendue (et n’oublions pas qu’il s’agit de laïcs au sens de non clerc, s’adressant à des clercs épiscopaux), il faut être en accord avec le pape et celui-ci a condamné la loi : ils naviguent donc très habilement entre plusieurs récifs.

 C’est pourquoi, ils affirment : « nous devons profiter, si restrictives soient-elles, de toutes les possibilités d’organisation que cette loi nous laisse » et ainsi « nous travailleront dans l’intérêt de la patrie et de la religion. »

C’est aussi à ce moment là de la Lettre qu’ils réaffirment qu’ils pensent de la loi la même chose que le pape ; mais entre les déclarations de soumission du début et de la fin, le propos a été audacieux. On peut même dire qu’il a été une leçon de laïcité à destination des évêques et (indirectement) du pape.

Ainsi des personnes de la (très) bonne société catholiques, marqués à droite, comportant parmi elles quelques comte et marquis, ont intériorisé les règles essentielles de la laïcité. Par ailleurs, elles indiquent les conséquences logiques d’un refus de la loi de la part de l’Eglise catholique.

Cette intériorisation de la laïcité n’est, bien sûr, pas faite par le Saint-Siège : le pape retarde la tenue de l’Assemblée des évêques ; il nomme 14 nouveaux évêques de tendance intransigeante, en leur disant (en plus !) qu’ils sont « nés pour la guerre ». Bref, il apparaît clair qu’il fait pression pour un refus d’appliquer la loi : QUE VONT FAIRE LES EVEQUES FRANÇAIS ?

Le terrrrrible suspens continue !!!

(à suivre)

 

 



[1] Cf, notamment M. Milot, in J. Baubérot, La Laïcité à l’épreuve, Universalia, 2004.

[2] Dont nous parlerons dans la dernière Note consacrée aux nouveaux Impensés. Patience….

Commentaires

Bonjour,
je suis étudiante en pédagogie des religions à l'université de Brême en Basse Saxe. Le Land de Brême a une Constitution qui prévoit la séparation Église/État, ce qui a permis à Brême fin des années 70 de fonder une faculté d'enseignement des religions non confessionelle. Malheureusement, les forces politiques qui se nomment "chrétiennnes" sont très actives et essaient de trouver, à l'aide des églises, la faille qui leur permettrait de réclamer par exemple l'appartenance à une église pour y étudier. Ces forces recoivent maintenant une aide inattendue de la philosophie avec Monsieur Hans Jörg Sandkühler, qui est directeur de la chaire parisienne de philosophie à l'Unesco et professeur de philosophie à Brême. Nous ne nous y attendions vraiment pas! Je suis lectrice de vos parutions et très attentive au débat laique en France. Vu d'ici, il est encore plus intéressant...

Écrit par : Catherine Szczesny | 17/07/2006

http://mazenkerblog.blogspot.com/
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Écrit par : a friend | 19/07/2006

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Écrit par : a friend | 19/07/2006

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