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31/07/2006

LES SUITES DE LA SEPARATION (suite) : LE CONFLIT INTERNE DANS LE CATHOLICISME

L'ASSEMBLEE DES EVEQUES (30 mai-1er juin 1906) 

 

Les Notes du Blog du 18 mai, 30 juin et 14 juillet, ont permis de suivre le déroulement (et la signification) de la crise des inventaires, la victoire électorale, en mai 1906, des partis favorables à la séparation et la crise interne du camp catholique (cf, la Catégorie : « Les nouveaux impensés de l’après centenaire »).

En particulier, à la fin de la Note du 14 juillet, alors que le pape semblait chercher à obtenir un refus d’appliquer la loi par l’épiscopat français (nomination de 14 nouveaux évêques, « en général des prêtres pleinement en accord avec le Saint Siège et dont beaucoup avaient été écartés de l’épiscopat pendant les années précédentes. (…) Par cette nomination très rapide Pie X provoque ainsi un rééquilibrage au sein de l’épiscopat français »[1]…susceptibles de faire basculer la majorité lors des votes), les « cardinaux verts » (c'est-à-dire des laïcs catholiques de la bonne société, dont plusieurs Académiciens), en revanche, demandaient aux évêques de se conformer à la qui n’empêche « ni de croire ce que nous voulons ni de pratiquer ce que nous croyons. »

C’est dans cette situation de conflit interne au catholicisme que les évêques français se réunissent en assemblée, peu après la victoire électorale de la gauche, les 30 mai et 1er juin 1906.

Il faut noter qu’aussi bien la nomination par le seul pape de nouveaux évêques que la possibilité pour l’épiscopat français de se réunir sont des libertés nouvelles rendues possibles précisément par la loi de séparation (« espace de liberté sans précédent » écrit Boudon). Au niveau donc des libertés acquises grâce à la loi, la séparation fonctionne.

A l’ouverture des travaux des évêques, le cardinal Richard (archevêque de Paris) lit une lettre du pape du 4 mars 1906 (adressée pour la réunion de la Commission préparatoire à l’assemblée) qui mentionne les consignes données aux 2 nouveaux archevêques et aux 14 nouveaux évêques. Pour le pape, il est nécessaire que ces indications soient connues des évêques, afin que ceux-ci puissent s’inspirer de la pensée pontificale dans les résolutions qu’ils prendront. Autrement dit, implicitement, le pape demande aux évêques de prendre sur eux, et d’assumer devant les catholiques français, les décisions que lui, pape, veut leur voir prendre.

En effet, les consignes données sont implicitement très claires (selon le PV de la séance) : la Lettre du pape demande aux évêques de:

  

-         se souvenir que « nous sommes nés pour la guerre »,

-         tenir compte de l’opinion et du jugement des « vrais catholiques de France » (ceux qui résistent aux inventaires)

-         sauvegarder les principes de justice et les « droits de l’Eglise »,

-         avoir présent à l’esprit, non seulement le jugement de Dieu mais aussi celui du monde qui « nous jugera très sévèrement si nous oublions la dignité de notre mission ».

En conséquence, les évêques devront examiner :

      -         « si l’acceptation (de la loi de séparation) faite en vue des avantages temporels qu’elle peut offrir ne serait pas de nature à   déconsidérer ceux qui paraîtraient avoir renoncé pour elle aux droits sacrés de la religion »,

-         « si une condescendance trop facile aux concessions hypocrites du gouvernement ne l’engagera pas à aller plus loin et à tout enlever, même les églises, quand l’émotion sera calmée et qu’il n’y ara plus à craindre de soulèvement populaire ».

En conclusion la lettre indiquait en substance : « Notre Seigneur demandera peut-être de grands sacrifices, mais ne devons nous pas tout lui sacrifier ? »

Au-delà du genre littéraire et de ses manipulations (ce n’est pas « le Seigneur », mais le pape qui réclame de « grands sacrifices » et qui veut que l’on lui sacrifie tout !), la manière même de poser les questions indique fortement quelles sont les bonnes réponses. On pense à la plaisanterie : « J’ai une réponse, qui a une question ? »

On le comprend facilement : les évêques sont accablés en entendant la lecture de cette lettre. Mais le staff joue finement. Le président élu de l’Assemblée, Mgr Fulbert-Petit, favorable à l’acceptation de la loi, rappelle que la lettre date de 3 mois et affirme que les circonstances ont changé (manière de relativiser très fortement l’autorité de ce texte). D’ailleurs, l’évêque auxiliaire de Paris, Mgr Amette, a demandé au pape si les évêques étaient libres de prendre leur décision et le pape a répondu « oui » (il pouvait difficilement répondre « non » !).

Il faut noter que l’argument donné (la date de la lettre) est un argument ad hoc. En effet, d’une part, sur le moment même, cette lettre n’avait nullement empêché la Commission préparatoire d’envisager une acceptation de la loi (elle avait adopté un avant-projet de statut dont nous allons reparler) ;  d’autre part si la publication du Règlement d’administration publique, confirmant la loi, pouvait rassurer, d’un autre côté le pape avait fait repousser la tenue de l’assemblée des évêques à une date postérieure aux élections législatives. Cela signifiait qu’en cas de victoire des modérés une position conciliante pouvait être prise, mais, la gauche ayant gagné, la situation (du point de vue du pape) était mauvaise et à l’affrontement plus qu’à la conciliation.

Cependant, comme c’est souvent le cas, ce n’est pas la valeur rationnelle de l’argument  qui comptait mais le fait de trouver un argument. Beaucoup d’évêques ne demandaient qu’à être persuadés qu’ils gardaient une liberté de décision et donc tout argument qui allait dans ce sens…

Les votes furent secrets, chaque évêque rendant un bulletin où était marqué « oui » ou « non ».La première question était : « Peut-on accepter pratiquement les associations cultuelles telles qu’elles ont été établies par la loi de séparation ? ». Réponse massive : « Non » par 72 voix contre 2.

On pourrait croire que la ‘messe était dite’ et que les évêques avaient très massivement refusé d’appliquer la loi. Tel n’était pourtant pas le cas, comme les questions suivantes vont le montrer. En fait, ce premier vote se voulait une « question de pure forme censée entraîner un non catégorique démontrant ainsi la solidarité des évêques avec le pape »[2] et avec condamnation de la loi portée par l’Encyclique Vehementer Nos. Dans le « telles qu’elles ont été établies par la loi de séparation », il fallait comprendre : les associations réduites à ce qui était indiqué dans la loi, sans y ajouter des garanties d’orthodoxie catholique dans les statuts des associations (ce que la loi rendait tout à fait possible).

Seconde question, la question décisive : « Est-il possible d’instituer des associations cultuelles à la fois canoniques et légales ? ». 

« Canonique », c'est-à-dire conforme au droit canon de l’Eglise catholique, « légale », c'est-à-dire conforme aux dispositions de la loi de 1905. On le voit, cette seconde question donnait bien une interprétation restrictive à la première. Or, le résultat fut net : 48 « Oui » et 26 « Non ». Il semble que tous les cardinaux et  archevêques aient voté « oui » et que dans les 26 « non », il y ait eu les 13 évêques présents des 14 nouveaux évêques que le pape venait de nommer.

Toutes les précautions oratoires avaient été prises pour que ce vote positif n’apparaisse pas comme une offense au pape : il s’agissait d’éloigner des « malheurs redoutables » ; des « esprits sincères et éclairés » estimaient que « l’on pourrait à la rigueur user des associations cultuelles », à la condition qu’elles fussent « validement baptisées et organisées de façon à ne pas compromettre aucune des essentielles et légitimes exigences de l’Eglise ». Mais c’était également dire que, pour pratiquement les 2/3 des évêques (malgré le ‘rééquilibrage’ censé avoir été opéré par les nouvelles nominations), une telle conciliation était possible. En fait, il y avait une impertinence implicite car ces « esprits sincères et éclairés » n’étaient pas les « vrais catholiques » mentionnés dans la lettre papale et les « avantages temporels », les « concessions hypocrites » fustigés par cette dernière étaient pris en compte sans craindre que cela n’engagerait le gouvernement  « à aller plus loin ».

En tout cas, comme les ‘cardinaux verts’, la majorité des évêques ne considéraient pas qu’il existait conflit insoluble entre la loi (de 1905) et la conscience des catholiques.

Après une troisième question proposant le nom d’ « associations fabriciennes » pour de telles associations cultuelles (49 « Oui » contre 25 « Non ») (sous le régime concordataire existaient des « Conseils de fabrique » où siégeaient des laïcs et on voulait marquer la continuité), une quatrième et ultime question portait sur des projets de statuts élaborés par Mgr Fulbert-Petit et avalisés par le Commission préparatoire. La majorité fut encore plus nette : 59 « Oui » et 17 « Non ». Cela signifie que 9 des 26 opposants à la seconde question ne voulaient pas avoir l’air de désavouer le pape au niveau des principes, mais se ralliaient à une formule d’application pratique. Les irréductibles formaient moins d’un quart de l’épiscopat.

L’assemblée des évêques avait donc nettement tranché pour l’acceptation de la loi et démontré concrètement, en adoptant des projets de statut, qu’une telle acceptation (comme l’avaient indiqué les ‘cardinaux verts’) n’avait rien d’incompatible avec la doctrine et, plus précisément, l’ecclésiologie (= doctrine de l’Eglise) catholique. Une des raisons de son choix fut un mémoire confidentiel remis aux évêques sur les associations cultuelles en Allemagne. Son auteur, Mgr Fuzet, archevêque de Rouen, montrait que le Saint-siège, sous Pie IX, s’était accommodé, en 1875, d’une législation allemande (prussienne, en fait) nettement plus rigoureuse que la législation française de 1905[3]. Cependant, et à tort de mon point de vue (où le conflit des deux France a été avant tout un conflit sur l’identité nationale), les historiens ne notent pas le fait que l’Allemagne n’était pas considérée par le Saint-siège comme une « nation catholique », la « fille aînée de l’Eglise ».

Il n’en reste pas moins que les évêques se sont clairement prononcés pour une organisation conforme à la loi. Ils ont encore six mois pour le faire et mettre en place des associations régies selon les statuts qu’ils ont votés à une très large majorité (plus des ¾). Sauf que, les résultats des votes étaient secrets, le pape avait annoncé dans Vehementer Nos qu’il donnerait en son temps des instructions  pratiques et qu’il fallait maintenant qu’il accepte les décisions des évêques. Que va-t-il faire ?                            (à suivre)

DEMAIN OU APRES DEMAIN : une dernière Note (de dialogue avec des internautes qui ont mis des commentaires) avant une coupure d’été (reprise dans la deuxième moitié du mois d’août).

 

 



1[1] J.-O. Boudon, « Les évêques français face à la séparation », in Ph. Boutry et A. Encrevé, Vers la liberté religieuse : la séparation des Eglises et de l’Etat, Paris, Editions Bière, 2006, 275.

2   M. Larkin,  L’Eglise et l’Etat en France ; 1905 : la crise de la séparation, Toulouse, Privat, 2004,  218

3  On trouvera des extraits de ce rapport, que Mgr Fuzet publiera en 1913, dans J.-M. Mayeur,  La séparation des Eglises et de l’Etat, 3ème édit.,  Paris, Ed. de l’Atelier, 2005, 172s.

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