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14/03/2006

DE LA LOI DE 1905 A LA CRISE DES INVENTAIRES

Cette semaine dans le Blog :

2 Notes

La première sur les "Nouveaux impensés » : on fait comme si l’année du centenaire étant fini, on n’avait pas à s’intéresser à la manière dont la séparation a été appliquée. Or cette manière est pleine d’enseignement. Ne reculant devant aucun sacrifice, votre Blog favori va vous raconter, tout au long de l’année, comment et pourquoi la séparation a réussi à être appliqué, malgré mille difficultés.

La seconde continue les aventure de Mag et de Clara : ce que le roman Emile Combes et la princesses carmélite, improbable amour (éditions de l’Aube) ne vous a pas dit.

Et n’oubliez pas, pour les Internautes parisiens et parisiennes

La grande soirée autour du roman

(dialogue entre Jean Baubérot et Catherine Portevin, journaliste à Télérama)

le MERCREDI 22 MARS A 19 HEURES

A L’IESR, 14 rue Ernest Cresson (en fait la Porte cochère tout de suite après le 14, et c’est au fond de la cour), Paris XIV, tout près du métro Denfert-Rochereau

Ne ratez pas cette occasion de dialogue et de prendre un pot convivial ensemble.

 

                                             Du vote de la loi

A la crise des inventaires

Au moment où la loi de séparation va être promulguée (8 décembre 1905) Albert de Mun, député catholique rallié, membre de l’Académie française, écrit dans le quotidien La Croix, un article très virulent où il compare cette loi à la mise à mort du Christ. Cela lui permet d’ailleurs d’utiliser une expression qui relie l’antisémitisme chrétien (l’accusation de « déicide », d’avoir tué Dieu) et l’antimaçonnisme catholique, en parlant de la sentence portée par « le Sanhédrin maçonnique ».

Quel est le « crime » commis ? Comme je l’ai déjà expliqué c’est la perte de la dimension catholique de l’identité nationale (que les catholiques considéraient être conservée grâce au Concordat) qui est très douloureusement ressentie : « l’apostasie officielle de la France est proclamée » affirme Mun. Selon lui, le but de la loi est d’ « anéantir l’Eglise de France »

Mais, en fait, implicitement Mun est obligé de reconnaître que la loi est libérale : au milieu de ses invectives, il écrit en effet : « Nous avons le cou dans le nœud coulant. Doucement, progressivement, (…) dans quelques mois (…on) serrera la corde pour l’étranglement décisif. »

Mun et d’autres catholiques annoncent donc des catastrophes à venir, puisqu’ils ne peuvent démontrer qu’elles existent déjà. En effet, ce qui frappe l’observateur c’est le calme avec lequel le pays a suivi les débats parlementaires et le vote de la loi par les députés puis les sénateurs. Après les années chaudes du gouvernement d’Emile Combes (plusieurs Notes du Blog vous en parlent), la situation semble dépassionnée. Il n’y a pas d’enthousiasme laïque (les militants ont compris que l’on s’était éloigné de la poursuite de la « laïcité intégrale »), il n’y a pas de crainte quant à la disparition de la liberté religieuse chez ceux que l’on pourraient appeler les ‘consommateurs de catholicisme’ ou les ‘catholiques intermittents’. Par contre, les catholiques pratiquants sont partagés. Pour une partie de l’élite, la loi est acceptable si le processus de son application ne l’aggrave pas. L’abbé Gayraud, autre député catholique, recommande « la souplesse du roseau ». Mais, l’éditorial de Mun nous l’a montré, d’autres  pensent qu’il faut faire preuve d’une « féconde intransigeance » et que l’Eglise catholique va se régénérer par la souffrance et le martyre.

La crise des inventaires va être provoquée par cette catégorie de personnes qui veulent mettre à jour l’aspect (selon eux) implicitement spoliateur de la loi.

Les inventaires étaient prévus par l’article 3 de la loi et, au moment de leur vote, n’avaient pas soulevés de difficulté. Au contraire, c’était un député du centre-droit, Alexandre Ribot qui, semble-t-il, avait demandé à Briand de prévoir cela pour éviter la disparition d’objets et les contestations lors du processus d’affectation des églises aux associations qui devaient se former pour pourvoir à l’exercice du culte.

Mais le climat était à la suspicion réciproque : certains élus et maires craignaient que des curés fassent disparaître des objets précieux, susceptibles ensuite de leur procurer des ressources. En revanche, pour des catholiques militants, les inventaires pouvaient être le prélude à des mesures de confiscation (on est toujours dans l’optique d’une préparation d’une future persécution).

Le  décret du 29 décembre 1905 intervient dans un faux climat de sérénité. Il prescrit à l’administration des Domaines de procéder à un inventaire « descriptif » et « estimatif » des biens. C’est là que l’affaire se corse. Guillaume Tronchet[1] indique que le préfet devait, pour faire procéder aux inventaires, coordonner des personnels et des directives issus de 5 ministères (ce qui montre bien la complexité administrative française !) ; les ministères :

-des cultes (d’où émanait la directive)

-de l’Intérieur (ministère de tutelle du préfet)

-de la guerre (des troupes étaient mises à disposition)

-de la Justice (présence d’officiers de police judiciaire)

- des Finances (qui prenaient en charge les dépenses occasionnées par les inventaires et auxquels se rattachaient les agents d’Enregistrement).

C’est justement de ce dernier service  (la Direction générale de l’Enregistrement) que va émaner une circulaire qui va alourdir le contexte : le 2 janvier cette circulaire dit qu’il faudra demander aux prêtre l’ouverture des tabernacles. Les tabernacles sont de petites armoires placées au milieu de l’autel d’une église catholique et qui contiennent les vases sacrés (« ciboire ») où l’on conserve les  hosties consacrées. On sait que dans la religion catholique, il y a une « présence réelle » du Christ dans ces hosties consacrées. Donc certains crient à la « profanation ».

Briand est furieux ; il estime que cette demande témoigne d’une « brutalité aussi inutile que malveillante » et trouve cette « prescription superflue (…) des plus suspecte ». Il se demande s’il ne s’agit pas d’une provocation.

Ce n’est pas impossible. Mais il est plausible aussi que cela soit un exemple (parmi beaucoup d’autres !!) d’œillères administrativesLe bureaucrate suit imperturbablement sa logique sans se préoccuper du reste : comme ces armoires sont fermées à clef, on peut y enfermer des choses, et donc…

Bref, la presse catholique s’indigne, crie au « sacrilège » ; des interpellations ont lieu à la Chambre (19 janvier). Le sous-secrétaire d’Etat aux cultes -Merlou- cherche à rassurer : ce sera aux curés d’ouvrir les tabernacles avec toutes les précautions nécessaires ; en aucun cas ils seront crochetés (autrement dit : si les curés ne les ouvrent pas, tant pis ; d’ailleurs l’archevêque de Paris va donner comme instruction aux curés de donner à l’agent d’Enregistrement le nombre de vases sacrés contenus dans les tabernacles, mais en aucun cas de les ouvrir).

Les premiers inventaires s’effectuent sans incident en province. Il va en être autrement à Parisdes heurts ont lieu lors des inventaires des églises de sainte Clotilde et Saint Pierre du Gros Caillou. Dans la première, la police mettra plus de 4 heures pour enfoncer les grilles et pénétrer à l’intérieur en brisant des verrières et en se passant les chaises que les manifestants (qui lancent des projectiles sur les forces de l’ordre) ont amoncelés derrière la porte. Ces manifestants sont de jeunes royalistes de l’Action Française et des jeunes du mouvement Le Sillon. Ils sont étrangers à la paroisse et le curé démissionne considérant que son « autorité » a été « bafouée ». Il est particulièrement heurté par l’attitude combative de certaines femmes : aussi bien lors du combisme que dans la crise des inventaires, c’est l’entrée de femmes dans l’action politique.

Le gouvernement est présidé par Rouvier (centre gauche) qui ne s’est guère investi dans le processus de séparation et qui ne se montre pas à la hauteur des événements. Des ordres contradictoires vont êtres donnés. D’abord, on ordonne d’être ferme (« on ne négocie pas avec des rebelles quand on a la loi pour soi ») ; ensuite est demander de différer les inventaires quand on se rend compte qu’ils vont créer des difficultés ; enfin on demande d’hâter les opération, pour qu’elles soient finies à la mi-mars (les élections législatives étant en mai 2006). On demande à la fois d’intimider et d’éviter tout incident !

Pour ouvrir les portes sans les défoncer à la hache, il faut avoir recours à des ouvriers serruriers. On cherche parmi les serruriers « républicains », mais ceux-ci reçoivent des lettres de menaces et, dénoncés par certains journaux, voient fondre leur clientèle aisée. Le ministère de l’Intérieur propose alors d’utiliser des militaires. Comme certains désobéissent, le Ministère de la guerre ne veut plus de cette solution et propose de faire venir des serruriers éloignés du lieu où s’effectue l’inventaire. Mais c’est alors le Ministère des finances qui ne veut pas payer les déplacements. Bref, comme l’indique justement Tronchet, « les instances gouvernementales cherchent à se débarrasser du problème en le faisant circuler d’un ministère à l’autre. »

Et là, quelques préfet se disent : « mais en fait, nous avons des spécialistes sous la main ! »

Devinez de qui il s’agit ? Vous donnez votre langue au chat ? C’est pourtant simple : des crocheteurs de serrure, on en trouve à la pelle….. en prison !

Et contre une promesse de réduction de peine, voila en quelques endroits que l’on commence à utiliser ces talents jusqu’alors inemployés. La presse catholique, qui qualifiait déjà de « cambrioleurs » les agents requis pour faire les inventaires, jubile : Le gouvernement s’adjoint le « concours de l’immoralité ». « Nos régiments doivent servir de garde (…) aux vagabonds louches, (…) à ceux que la société à rejeter »[2].

Après que, par l’Encyclique Vehementer Nos, le pape ait condamné la loi de séparation (sans indiqué encore quel comportement les catholiques devaient adopter (on reviendra sur ce sujet), la carte des violences liées aux inventaires ressemble à la carte des curés réfractaires (les prêtres qui n’avaient pas accepté, en 1791, de prêter serment à la Constitution civile du clergé). Les principales régions sont l’Ouest breton et vendéen, le Sud-est du Massif Central, avec en plus le département du Nord, le pays Basque et quelques poches dans les Alpes.

C’est, écrit Patrick Cabanel, « la France  (…) des chrétientés rurales, parfois montagnardes, toujours périphériques, parlant des dialectes ou langues régionales »[3]. Et Cabanel montre que la poursuite de la « laïcité intégrale » jusqu’en 1904 a mis de véritables bombes à retardement en faisant entrer cette France là « dans une forme de dissidence dont il ne faut pas sous-estimer l’ampleur ».

En plusieurs endroits donc, des incidents violents se produisent.

Le 3 mars 1906, à Montregard, dans la Haute-Loire, une foule surexcitée, armée de gourdins et de fourches, poursuit le percepteur et les 3 gendarmes qui l’accompagnent. Ceux-ci se réfugient à la mairie, mais des bagarres éclatent, un manifestant menace le brigadier, un gendarme tire. Un manifestant est grièvement blessé : il décèdera le 24 mars.

A Boeschepe, dans les Flandres, l’opération se déroule d’abord dans le calme. Le percepteur est son fils sont accompagnés de gendarmes et de Dragons. Arrivée de 150 à 300 manifestants (selon les sources !) qui forcent les barrages, brisent la porte de la sacristie, font irruption dans l’église. Le percepteur est renversé, piétiné, blessé. Paniqué, son fils tire…et tue un boucher de 35 ans.Nous sommes le 6 mars.

Le lendemain, séance houleuse à la Chambre ; le gouvernement est renversé (267 voix contre 234). Cela a quelques semaines des élections.

Le pari d’une séparation pacifique semble perdu. Le pays va-t-il penser que « la religion » est menacée ? Des catholiques espèrent qu’après la Chambre de la séparation, va arriver « la Chambre de la réparation ».

(à suivre !!!)

  



[1] « Le cabinet Rouvier et l’administration préfectorale dans la crise des inventaires », Communication au colloque : « Nouvelles approches de l’histoire de la laïcité », Paris, novembre 2005.

[2] Le Pèlerin, 1/4/1906, cité par J.-M. Duhart, La France dans la tourmente des inventaires,Alan Sutton, 2001, 54.
[3] P. Cabanel, « La révolte des inventaires », J.-P. Chantin – D. Moulinet, La séparation de 1905, Ed. de l’Atelier, 2005, 94.

Commentaires

On aime les "nouveaux impensés" !! Vivement la suite

Écrit par : Achtungseb | 16/03/2006

M. Baubérot,
je n'ai pu venir vous voir ce soir, mais j'aurais souhaité vous contacter par mail. Y a-t-il un moyen pour vous joindre ?
N'hésitez pas à m'envoyer un mail à
vice-president@jeunes-europeens.org
Vous remerciant par avance,

Fabien Cazenave

Écrit par : Fabien | 22/03/2006

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