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03/12/2006

VOLTAIRE, ANCETRE DES NEO-REPUBLICAINS?

Tout d'abord: 6250 visite en novembre, soit 208 visites par jour: mieux encore qu'en octobre. Bravo les Internautes. Continuons le débat (ce qui est drôle, c'est que le nombre de commentaires semble inversement proportionnel à la longueur des Notes, si j'en crois ce qui s'est passé pour la dernière Note: peut être qu'avec une Note d'une demi ligne, le record du nombre de commentaires sera battu!!)

Bon, passons aux choses (relativement) sérieuses : 

 

Nous avons vu, il y a une dizaine de jours, que la loi de 1905 se situait dans la filiation du philosophe anglais John Locke, tout en innovant en donnant (elle) une liberté égale aux athées par rapport aux membres des différentes religions. Mais cette filiation est restée largement implicite et le commentaire d’Atchtung-seb (à la suite de la Note) constitue un des nombreux témoignages que la laïcité française a oublié ce qu’elle doit à celles et ceux qui n’ont pas eu l’infinie chance de naître sous le doux soleil français. Les références des militants laïques  ont varié au cours de l’histoire de la laïcité française. Dans les années quatre-vingt et quatre-vingt dix, des courants laïques, qui pouvaient diverger dans leur conception des rapports entre laïcité et islam, se réclamaient pourtant tous de Condorcet, le dernier philosophe des Lumières française, victime du jacobinisme révolutionnaire. Ces dernières années, au sein de la tendance la plus stricte de la laïcité, la référence à Voltaire la supplante largement. Et des affaires récentes, comme celle des caricatures, alimentent cette référence. Il vaut la peine d’examiner cela d’un peu plus prés.

Voltaire qui (un commentaire de la Note de samedi dernier le rappelle, avait séjourné en Angleterre et en avait pris de la graine!) se voulait influencer par le « sage Locke » et a également écrit un ouvrage sur la tolérance, en 1762. A propos de la condamnation à mort d’un protestant Jean Calas pour un crime qu’il n’avait pas commis (il sera réhabilité, post mortem en 1765) Voltaire élargit sa réflexion au problèmes généraux de la liberté de conscience, du pluralisme, aux rapports entre politique et religion, etc.

 

Je vais donc indiquer un peu longuement la trame de ce Traité sur la tolérance. Cela en vaut la peine car cet écrit est à la fois très familier (c’est lui qui donne la notoriété habituelle de Voltaire sur ce sujet) et fort peu connu. On se contente, en effet, en général, de louer Voltaire, d’en faire le champion du bien contre les forces du mal (le fanatisme, l’intolérance, etc) et ce jugement moral dispense d’aller y voir de plus prés. Mais citations seront faites d’après l’édition du Traité de Flammarion.

Voltaire ne nous livre pas, comme Locke, une théorie de philosophie politique aboutissant à séparer le gouvernement civil et l’Etat. Voltaire a l’art du mélange des genres et il se fait tour à tour historien érudit, exégète de la Bible (Ancien et Nouveau Testament), auteur de fables fictives conduisant à une réflexion philosophique sur la « tolérance universelle ». Précisons pour ne plus avoir à y revenir, qu’il a une aussi mauvaise opinion des athées que  celle de Locke : après avoir dit tout le mal possible de la « superstition »  il ajoute « qu’il vaut mieux » pour « le genre humain » d’être « subjugué par toutes les superstitions possibles, pourvu qu’elles ne soient point meurtrières, que de vivre sans religion » car « un athée qui serait raisonneur, violent et puissant, serait un fléau aussi funeste qu’un superstitieux sanguinaire ». Pour lui « il est bien plus raisonnable et plus utile » de « sacrifier aux faunes, au sylvains, aux naïades » que « de ses livrer à l’athéisme » car « partout où une société est établie, une religion est nécessaire ; les lois veillent sur les crimes connus et la religion sur les crimes secrets. »

La grande différence avec Locke est la suivante : Voltaire replace le problème de la tolérance dans une philosophie de l’histoire. Sa philosophie de l’histoire explicite est la marche en avant du progrès : le temps, la raison, la philosophie, le progrès sont là des termes étroitement liés. L’affaire Callas montre, selon lui, que « le fanatisme, indigné depuis peu des succès de la raison, se débat sous elle avec plus de rage », « dans un temps où la philosophie a fait tant de progrès » (p. 35). Autrement dit, on assiste à ses derniers soubresauts, avant la victoire de la raison et de la philosophie qui est le discours de la raison.

 Pour Voltaire, le « fanatisme » était peut être acceptable hier, mais aujourd’hui « le temps, la raison qui fait tant de progrès, les bons livres, la douceur de la société » font leur œuvre (p. 47). Il faut donc « adoucir des édits autrefois peut-être nécessaires, et qui ne le sont plus » car « le régime de la raison (…) éclaire lentement mais infailliblement les hommes. Cette raison est douce, elle est humaine, elle inspire l’indulgence, elle étouffe la discorde, elle affermit la vertu, elle rend aimable l’obéissance aux lois [cela ne sera pas le point de vue de Rousseau], plus encore que la force ne les maintient.» (p. 56). Etc. Précisons que les « édits autrefois nécessaires » = la Révocation de l’Edit de Nantes et ses suites…

Le passé fanatique par excellence, c’est le Moyen Age  et ces « siècles de barbarie » où « il pouvait être pardonnable de présenter des fables au vulgaire, c'est-à-dire à ces seigneurs féodaux, à leurs femmes imbéciles, et aux brutes leurs vassaux  (…) on les repaissait d’histoires de sorciers et de possédés ; ils imaginaient aisément que Saint genou guérissait de la goutte, et que saint Claire guérissait les yeux malades » (p. 130). Temps de « superstitions » et ce passé a engendré les guerres de religions du XVI e siècle avec le massacre de Vassy et la Saint-Barthélemy (p. 45), temps de « fanatisme ».

 

Conclusion : il faut être dans le sens de l’histoire : « Chaque jour la raison pénètre en France, dans les boutiques des marchands comme dans les hôtels des seigneurs. Il faut donc cultiver les fruits de cette raison, d’autant plus qu’il est impossible de les empêcher d’éclore » (p131)

Mais Voltaire développe également une philosophie de l’histoire plus implicite, très claire pourtant qui se dégage du panorama historico-mondial qu’il donne. Cette autre vision est un peu plus complexe que la marche en avant qui va de temps passés intolérants à un temps présent qui a tout pour être tolérant. En effet, s’il a tout pour l’être, il ne l’est pas et l’affaire Callas en est la preuve. Donc Voltaire opère un élargissement du temps (et aussi de l’espace : « sortons de notre petite sphère ») pour expliquer pourquoi la virtualité tolérante du temps présent ne se réalise pas en France.

Et là, il n’y a plus un progrès linéaire de l’histoire mais une sorte d’exception historique occidentale qui se transforme présentement en exception française (« Serons nous les derniers à embrasser les opinions saines des autres nations, elles se sont corrigées : quand nous corrigerons-nous ? », p. 80).

Exception historique occidentale, mes 2 termes sont importants : c’est d’abord une exception historique : les Grecs et les Romains étaient tolérants : « de tous les peuples anciens policés, aucun n’a gêné la liberté de penser » (p. 61), suit des passages fort érudits (par rapport bien sûr, à la connaissance historique du temps) sur l’Antiquité.

 

A propos des Romains, Voltaire démonte facilement des récits édifiants de martyres « composés uniquement par les chrétiens eux-mêmes » (p. 79) et en montre contradictions et invraisemblances, mais il a lui-même parfois une méthode parfois peu rigoureuse d’administration de la preuve : ainsi, il donne un exemple qui va dans son sens, puis ajoute « Mais que cette anecdote soit vraie ou fausse, il demeure certain que… » (idem) ou encore « qu’on juge si la persécution excitée par Galère, après dix-neuf ans d’un règne de clémence et de bienfaits, ne doit pas avoir sa source dans quelques intrigues que nous ne connaissons pas » (p. 75), etc. D’une manière générale il pense, que quand ils ont été persécutés, les chrétiens l’avaient bien cherché : à partir de l’histoire de Polyeucte, il estime que « ce zèle inconsidéré, qui éclata souvent (…) a été probablement la source de toutes les persécutions » (p. 70), persécutions qui eurent au demeurant un caractère modéré et épisodique (p. 71) et furent dues à des motifs politiques et privés et non religieux (p. 74s)

 

Ensuite Voltaire passe a l’Ancien Testament et là il s’efforce de montrer que les Hébreux ont fait cohabiter la croyance en  leur Dieu et la croyance dans l’idolâtrie. Et au moment de Jésus coexistent pharisiens, sadducéens et esséniens. « On ne trouve, dans toute l’histoire de ce peuple aucun trait de générosité, de magnanimité, de bienfaisance ; mais il s’échappe toujours, dans le nuage de cette barbarie si longue et si affreuse, des rayons d’une tolérance universelle » et un spécialiste de Voltaire, Vissière, de commenter qu’ « oubliant son habituelle férocité [contre les Hébreux et l’Ancien Testament cf. Le Dictionnaire philosophique ], il leur accorde exceptionnellement un satisfecit » (p. 12) : en fait on voit là conjuguées ensemble les 2 philosophies de l’histoire : la linéaire puisqu’il y a barbarie longue et affreuse ; la en zigzags puis qu’il y a des rayons d’une tolérance universelle qui vont disparaître ensuite.

 

Cette tolérance disparaît ensuite en Occident et Voltaire parle d’une Chine et d’un Japon tolérants (p. 51), qui ont laissé venir les missionnaires chrétiens, la Chine étant même un modèle de tolérance et de civilité (relation, fictive encore une fois, d’une disputé de controverse en Chine,  chapitre 19, p. 125ss.) Eloge du « sage et vertueux » Confucius (p. 140). On le verra, l’intolérance des Chinois et des Japonais s’inscrit dans le seul cas où pour Voltaire l’intolérance est nécessaire. Continuons notre lecture du Traité :

 

En Occident, l’intolérance (mauvaise) est arrivée avec le christianisme, non pas certes avec Jésus : au contraire et il rapproche la mort de Jésus de celle de Socrate (p. 104). Le lien structurel entre christianisme (« l’Eglise ») et intolérance est la conclusion logique de son propos, même si c’est une conclusion qu’il explicite très brièvement, car si Voltaire nous donne des chapitres sur l’antiquité gréco-latine, les deux testaments, la Chine, etc, il ne nous donne pas de chapitre de l’histoire de l’Occident chrétien et reste allusif sur le constantinisme (c'est-à-dire le système de relations étroites entre politique et religion établi progressivement à la suite de la conversion de l’Empereur romain Constantin au christianisme, au début du IVe siècle de notre ère).

Pourtant ce qu’il nous en dit brièvement est très significatif : quand il met en scène Constantin, c’est pour en faire un homme éclairé qui commence par dire à l’évêque Alexandre et à Arius : « Vous êtes de grands fous  de disputer sur des choses que vous ne pouvez entendre » (p ; 133). Sa faute fut seulement de ne pas persévérer dans sa résolution d’imposer silence aux 2 parties et d’être « flatté de présider à un concile ne long habits rouge, la tête chargée de pierreries » (p. 134) : cela « ouvrait la porte à tous (les) fléaux ». En fait, pour l’ensemble des historiens d’aujourd’hui ce qui se mis en place alors fut un système le « césaropapisme » où l’empereur avait des pouvoirs spirituels, le politique un pouvoir religieux. Ce n’est que plus tard, à certaines périodes du Moyen-Age, que le pouvoir religieux influencera le politique.

 

De même, pour Voltaire, les « barbares » firent moins de mal que les controverses religieuses jusqu’à qu’ils se prêtent « à ces disputes fatales » (. 135). Ailleurs, il rappelle les persécutions du christianisme dominant qui, à ses yeux, furent les pires : « les vaudois, les albigeois, les hussites, les différentes sectes des protestants », « nous les avons égorgés, brûlés en foule, sans distinction ni d’âge ni de sexe. Y a-t-il dans les relations avérées des persécutions anciennes, un seul trait qui rapproche de la Saint-Barthélemy et des massacres d’Irlande ?» (p. 79), massacres de protestants qu’il rapporte avec pas mal de complaisance p. 49 , c'est-à-dire en donnant le plus de détails sanguinolents possibles et, nous l’avons vu, insiste sur les « superstitions ».

 

Selon Voltaire, cette intolérance compromet l’Eglise catholique en son entier : « Le successeur de Saint Pierre et son consistoire (…) approuvèrent, célébrèrent, consacrèrent l’action de la Saint-Barthélemy » (p. 87). Saint-Barthélemy dont les protestants furent les victimes. Certes, ils « imitèrent la cruauté des leurs ennemis » (p. 45), mais au XVIe siècle, les protestants furent des agents du progrès et donc, « malgré leurs erreurs, nous leur devons le développement de l’esprit humain, longtemps enseveli dans la plus épaisse barbarie » (p.44) et les pays protestants, aujourd’hui ont tolérants (cf p. 48, 49, 52).

Voltaire est donc indulgent envers l’intolérance protestante car c‘est le catholicisme qui est essentiellement visé par son propos, et plus exactement, trois formes de catholicisme :

-         le catholicisme de la « populace » (terme qui revient plusieurs fois), de la « province » (« la raison l’emporte à Paris sur le fanatisme, quelque grand qu’il puisse être au lieu qu’en province le fanatisme l’emporte presque toujours sur la raison »  p. 38), des confréries ; c’est sur ce catholicisme là que repose la puissance de l’Eglise, c’est lui qui a fortement influencé la décision des magistrats dans l’affaire Callas.

-         le catholicisme des « superstitions monacales ultramontaines » (p. 132) versus les « libertés de l’Eglise gallicane » ;

-         et surtout, et de façon obsessionnelle : les jésuites. C’est d’autant plus intéressant que ce qu’il dit de la (bonne) Chine a comme source (qu’après il arrange à sa manière) les Lettres édifiantes et curieuses que les jésuites avaient publié sur la Chine. Le chapitre XVII du Traité, pages 118ss. Est constitué par une lettre fictive indiquant un plan de super Saint-Barthélemy contre les protestants (à assassiner dans leurs lits et pas dans la rue : le sang sur la place publique, cela fait désordre !), suivie de castrations (des garçons de 14 ans et plus, pour ne pas perpétuer les protestants) et de conversions et mariages forcés des filles à des catholiques (pour ne pas trop dépeupler la France) ; quant aux jansénistes, le plan de ces ignobles jésuites serait de leur donner des hosties empoisonnées (blasphème religieux absolu pour le catholicisme, en même temps que crime) ce qui est une manière de dire que les jésuites sont sans foi ni loi. Or ce chapitre (qui suit un dialogue déjà imaginé d'un janséniste mourant avec un jésuite bien portant) introduit la justification de l « ’intolérance » contre les jésuites.

 

Là, contre les jésuites,  « l’intolérance paraît raisonnable » (p. 123) « de « droit humain » (p. 121) parce que les « erreurs » sont des « crimes » dés que ces erreurs « inspirent le fanatisme ; il faut donc que les hommes commencent par n’être pas fanatiques pour mériter la tolérance ». Comme les jésuites le sont avec leurs « maximes coupables » et « leur institut est contraire aux lois du royaume » alors « on ne peut s’empêcher de dissoudre leur compagnie, et d’abolir les jésuites pour en faire des citoyens ». Mais c’est en quelque sorte là de la bonne intolérance si l’on peut dire car c’est « un mal imaginaire » et « un bien réel pour eux, car où est le mal de porter un habit court au lieu d’une soutane, et d’être libre au lieu d’être esclave. » (cqfd : on libère les jésuites en étant intolérants avec eux !)

 

On voit là qu’il s’agit d’un cas de figure : la libération par l’intolérance impensable dans la pensée de Locke où on ne peut jamais libérer les gens malgré eux : c'est une conception très différente de la liberté.

En revanche, Voltaire plaide pour la tolérance envers les protestants, mais cette tolérance voltairienne semble égale à la non tolérance de Locke envers les catholiques : « je ne dis pas que tous ceux qui ne sont point de la religion du prince doivent partager les places et les honneurs de ceux qui sont de la religion dominante. En Angleterre, les catholiques, regardés comme attachés au parti du prétendant, ne peuvent parvenir aux emplois : ils payent même double taxe ; mais ils jouissent d’ailleurs de tous les droits des citoyens » (p. 49) : l’Angleterre est donc donnée en exemple, y compris dans les limites de sa tolérance ; cela correspond au fait qu’en revanche, la Caroline (de ce qui encore l’Amérique anglaise)  est trop lockéenne pour Voltaire, et la France n’a pas selon lui à imiter cette tolérance générale.

 

Il faut noter que la tolérance limitée en Angleterre s’effectue à partir d’un grief politique précis : « regardés comme attachés au parti du prétendant » (Stuart, alors que depuis 1714 c’était une autre dynastie, les Hanovre, qui régnait). En revanche, la raison donnée par Voltaire de la limitation de la tolérance est le fait de ne pas être de la religion du prince » : la conformité à l’idéologie de l’Etat dirait-on en termes modernes. Voltaire se situe dans la tradition du  gallicanisme (on a vu que le catholicisme ultramontain, c'est-à-dire favorable à la suprématie du pape, était visé) où le roi a un pouvoir temporel sur l’Eglise.

La solution qui permet la tolérance,  dans le Traité de Voltaire, n’est pas le « gouvernement limité », comme chez Locke, mais la « bonté du prince » et la fin des dogmes et des controverses qu’ils entraînent.

-         la solution (à l’affaire Callas ou au problème de l’intolérance ?) : « cet écrit sur la tolérance, écrit Voltaire, à propos de son texte, est une requête que l’humanité présente très humblement au pouvoir et à la prudence. Je sème un grain qui pourra un jour produire une moisson. Attendons tout du temps, de la bonté du roi, de la sagesse de ses ministres, et de l’esprit de raison qui commence à répandre partout sa lumière » (p. 151). Et dans la postface de 1765, trois ans plus tard, il estime que tout est allé beaucoup mieux puisque d’un côté « on chassait les jésuites, on abolissait leur société en France ; ils avaient été intolérants et persécuteurs ; ils furent persécutés à leur tour » (p. 153). (donc il s’agit bien d’une « persécution » et non de l’application des lois d’un Etat de droit, comme le demande Locke) et Paris a remédié à Toulouse, le roi a pris le contre pied de la « populace » et de juges fanatisés : non seulement le jugement a été cassé, mais un don royal a réparé « la ruine de la famille » : « le roi, par cette bonté, mérita, comme par tant d’autres actions, le surnom que l’amour de la nation lui a donné » (p. 156) (=le surnom de Louis XV était Louis le Bien aimé). L’aspect plaidoyer pour une cause contribue donc à l’absence d’une réflexion critique sur le politique. Et si ce n’est pas le politique qui est le responsable de l’intolérance, si ce n’est pas lui qui a à se réformer, quelle est la cause, quel est le remède ?

-         on l’a déjà vu : le texte fonctionne sur des oppositions (qui font du philosophe, par définition « impartial » (p. 154) le juge moral sinon judiciaire). Fanatisme (religieux et non politique quand il s’agit de peuples chrétiens ; au contraire la bonne intolérance est mise dans le politique pour les peuples non chrétiens, peuples antiques et peuples non occidentaux), superstitions, populace de province, catholicisme monastique et ultramontain, jésuitisme, etc sont les causes du mal. Mais même au-delà, ce qui parcourt l’ouvrage c’est que les dogmes et les controverses religieuses que ces dogmes engendrent sont inutiles et même nuisibles. Nous l’avons vu à propos de l’émergence du constantinisme, ce ne sont pas les liens étroits Eglise-Etat que critique Voltaire, c’est le fait que l’Etat n’ait pas imposé silence aux disputes religieuses : il indique « Il sortit de chaque verset contesté une furie armée d’un sophisme et d’un poignard » mais sans établir de lien avec l’instrumentalisation politique de la religion (p. 134s). Formule ramassée de la p. 133 est très claire : « Moins de dogmes, moins de disputes ; et moins de disputes, moins de malheurs : si cela n’est pas vrai j’ai tort ». La solution est donc dans le retour à l’adoration d’un « Dieu clément (…) celui dont toute la loi conduisait en ces paroles : ‘Aimez Dieu et votre prochain’ » ; mais « cette loi pure et sainte » a été surchargée «  de sophismes et de disputes incompréhensibles » (un Dieu généraliste qui se distingue du Dieu de Jésus Christ trop particulier : cf la prière finale au « Dieu de tous les êtres, de tous les mondes, de tous les temps »)

Contrairement à Locke la solution n’est pas donc politique mais théologique (un christianisme où la morale supplante la doctrine) autant que culturelle (les progrès de la raison) : proposition d’une démocratie politiquement libérale au « gouvernement limité » (quant à son pouvoir) chez Locke, manifeste d’anticléricalisme religieux de l’autre. D’une côté une vision pour l’essentiel laïque et séparatiste, de l’autre un gallicanisme anticlérical.

 

POUVONS-NOUS DIRE ALORS QUE LES NEO-REPUBLICAINS SONT (comme ils l'affirment volontiers) DES "VOLTAIRIENS"?

Oui, certes, mais non finalement, CAR.... (à suivre...)

PS: petite réponse au commentaire d'Iloreda: Oui, l'ouvrage La solution laïque et ses problèmes d'Emile Poulat est intéressant. Poulat a écrit plusieurs livres sur la laïcité; je vous recommande plus particulièrement le dernier:

Notre laïcité publique, paru chez Berg International en 2003.

 

 

23/11/2006

LES NEO-REPUBLICAINS FRANCAIS SONT-ILS LES HERITIERS DES LUMIERES?

Dans son dernier ouvrage : Aveuglantes Lumières (Gallimard) Régis Debray  constate un « litanique et revendicateur « Voltaire reviens ! » aussi bien ressassé dans les pages du livre d’or de l’exposition récente : « Lumières ! Un héritage pour demain » que dans de nombreux articles de journaux. Ces derniers temps, cette référence à Voltaire s’est multipliée, effaçant celle à Condorcet, qui a été longtemps consensuelle dans les milieux laïques. D’une manière générale on oppose « l’esprit des Lumières » à…. La situation actuelle qui serait marquée par un obscur obscurantisme…

Cela montre bien qu’on ne peut pas s’empêcher de se référer au passé, à une période fondatrice, alors même que l’on reproche aux religions de  le faire. Il faut savoir alors si c’est avec raison, cela d’autant plus qu’il me semble me souvenir que savoir et raison faisaient partie des idéaux des Lumières.

Nous allons donc examiner cela d’un peu plus prés.

La première chose qui me frappe est que, de Condorcet à Voltaire, la référence est faite aux Lumières françaises. La laïcité serait « gauloise », franco-française, contrairement à la « tolérance » qui serait anglo-saxonne.

Amusons nous un peu : Albert Bayet, qui fut, pendant une partie de la IIIe république et pendant la IVe République, un leader laïque respecté, voyait justement l’origine de la laïcité chez nos « ancêtres les Gaulois ». Je vous raconterai cela une autre fois.

 

Aujourd’hui, je voudrais vous indiquer que s’il existe une (certaine) filiation de la laïcité française, en tout cas de la séparation et de la fameuse loi, unanimement célébrée l’an dernier lors de son centenaire (mais au prix, nous l’avons vu, de nombreux impensés !), cette filiation NE CONCERNE GUERE LES LUMIERES FRANCAISES … mais beaucoup plus un penseur de la ‘perfide Albion’. Mais oui, M’sieurs dames, un Anglais ! Horrible, n’est-ce pas !

En effet, ce que Jean Boussinescq appelle avec justesse, « la philosophie de la loi de 1905 »[1] s’enracine dans les théories séparatistes de John Locke, telle qu’il les a exposées dans sa célèbre Lettre sur la tolérance, publié en 1689,  au moment de l’émergence des Lumières[2]. Il faut préciser que cette notion de « tolérance » est à la fin du XVIIe et au XVIIIe siècle, beaucoup plus globale qu’aujourd’hui et elle peut donner lieux à des réflexions sur les thèmes qui sont maintenant ceux de la laïcité.

Aller, vous prendrez bien un peu de philosophie politique en sirotant votre whisky ou votre jus d’orange (je ne parle pas de coca, je vais déjà assez être accusé de complicité avec ces monstrueux démocrates anglo-saxons, inutile pour moi d'en rajouter)

 

 Locke affirme la « nécessité absolue » de distinguer « ce qui regarde le gouvernement civil de ce qui appartient à la religion et de marquer les justes bornes qui séparent les droits de l’un et ceux de l’autre ».

L’Etat, écrit-il, « est une société d’homme instituée dans la seule vue de l’établissement, de la conservation et de l’avancement de leurs intérêts civils » Ces intérêts civils sont « la vie, la liberté, la santé du corps, la possession des biens extérieurs. ». Le magistrat (= celui qui dispose d’un pouvoir sur les autres) dispose, à cette fin, de la « force extérieure », mais il ne peut l’étendre au-delà : le domaine de la religion est celui de la « persuasion intérieure » ; « le soin des âmes » échappe donc au pouvoir du magistrat. Le pouvoir de ce dernier est déjà limité dans les domaines qui sont pourtant de son ressort (si « les lois s’efforcent de protéger les biens et la santé des sujets (…) nul ne peut être forcé, contre sa volonté à se bien porter ou à s’enrichir »), à fortiori n’en a-t-il aucun pour le domaine du « ciel » qui n’est pas de sa compétence. Voila comment Locke envisage l’Etat, et à l’époque, cela n’a rien d’évident, au contraire.

Or, la loi de 1905, et cela va lui être vivement reprochée,  enlève à l’Etat, de nombreux moyens d’actions à l’égard des Eglises. Pour dire les choses de façon synthétique, on passe d’une surveillance a priori a un contrôle a posteriori, en cas d’infraction à la loi, loi, par ailleurs devenue nettement plus libérale (il s’agit de libéralisme politique, et le terme était positif, jusqu’à ce qu’on n’ose plus parler de « capitalisme » et de critique du capitalisme… et faute de pouvoir et savoir critiquer réellement le capitalisme, on va tomber à bras raccourci sur le « libéralisme anglo-saxon »).

Pour prendre deux exemples, dans le système des « cultes reconnus » antérieur à 1905, un évêque n’avait pas le droit de quitter son département sans l’aval du préfet et les assemblées épiscopales ne pouvaient avoir lieu sans l’autorisation du gouvernement. Or, au cours du XIXe siècle, aucun gouvernement, même les plus cléricaux, n’avait permis la tenue de telles assemblées. L’article un de la loi de séparation où la République s’engage non seulement à assurer la liberté de conscience mais aussi à garantir le libre exercice des cultes, se situe tout à fait dans la ligne définie par Locke.

 

On trouve également chez Locke, une définition de l’Eglise comme organisation religieuse. Chez lui, « absolument distincte et séparée de l’Etat et des affaires civiles, l’Eglise est « une société d’hommes qui se joignent volontairement ensemble  pour servir Dieu en public, lui rendre le culte qu’ils jugent lui être agréable, et propre à leur faire obtenir le salut. » C’est « une société libre et volontaire ». Cette représentation de l’Eglise est marquée par l’effervescence ecclésiale pluraliste qui a marqué la première Révolution anglaise (car, on ne veut pas le savoir en France, mais ce sont les Anglais qui ont les 1èrs jugé, condamné à mort et exécuté un roi, en 1649, et fait la révolution avec toute ses effervescences).

 L’Eglise n’est plus considérée comme une institution dont on naît membre, « autrement, indique Locke, la religion des pères et des mères passerait aux enfants par le même droit que ceux-ci héritent de leurs biens temporels et chacun tiendrait  sa foi par le même titre qu’il jouit de ses terres » on ‘entre’ et on ‘sort’ donc librement d’une Eglise : « chacun se joint volontairement à la société dont il croit que le culte est le plus agréable à Dieu. Comme l’espérance du salut a été la seule cause qui l’a fait entrer dans cette communion, c’est aussi par ce seul motif qu’il continue d’y demeurer. Car s’il vient dans la suite à y découvrir quelque erreur dans sa doctrine, ou quelque chose d’irrégulier dans le culte, pourquoi ne serait-il pas aussi libre d’en sortir qu’il y a été d’y entrer ? »

Explicitation de l’objectif : obtenir le salut ; et chacun est juge personnellement du moyen le plus approprié pour arriver à cette fin. On n’est plus du tout dans une société organique, dans le système de la société de chrétienté (l’individualisation du religieuse : phénomène dit de l’ultramodernité pour beaucoup de sociologues est en fait pensé par Locke, à partir de cette 1ère révolution anglaise). On n’est pas plus dans une perspective de l’utilité sociale de la religion qui va être dominante dans les Lumières françaises, que dans la perspective de la religion auxiliaire et légitimatrice du politique ou dominant celui-ci.

 

Là encore, la loi de séparation française de 1905 correspond  à une telle vision. L’article deux en mettant fin au système des « cultes reconnus » qui distinguaient certains cultes (et notamment l’Eglise catholique, privilégiée par le Concordat) d’autres cultes et leur accordait une reconnaissance publique, rompt avec une vision institutionnelle et statique de la religion où, tendanciellement, on a une appartenance religieuse fixe de sa naissance à sa mort et où l’institution religieuse (au XIXe siècle) est protégée par l’Etat à cause, non plus de sa vérité dogmatique (comme cela était le cas, sous l’Ancien Régime) quand la souveraineté était sacralisée par la religion, mais de son utilité sociale.

Désormais, les Eglises sont considérées comme des réalités associatives, où l’engagement et le désengagement sont « libres et volontaires ». La proximité de la loi de 1905 avec celle de 1901 est très significative à cet égard.

 

La loi de séparation de 1905 est d’inspiration lockéenne sur plusieurs autres points. Si vous êtes pas fatigué (reprenez un peu de whisky ou de jus d’orange pour tenir le coup), acceptez que je mentionne deux d’entre eux :

Locke conserve aux Eglises le pouvoir d’excommunier leurs membres, c'est-à-dire d’exclure  celui qui, « malgré les avertissements, s’obstine à pécher contre les lois établies dans cette société ». Autrement dit : une Eglise, pour le philosophe, n’est pas une simple juxtaposition d’individus, elle a sa consistance propre en tant qu’ensemble collectif à condition, précise-t-il, qu’il ne soit fait « à l’excommunié aucun tort civil. » ce qui sauvegarde la logique séparatiste. Chaque être humain, quels que soient la religion ou les rites qu’il pratique doit avoir comme « des droits sacrés (…) tous ses droits d’homme et de citoyen ».  Cette logique est tout à fait celle du fameux article 4 (on en a beaucoup causé l’an dernier et si vous voulez une piqûre de rappel, lisez cet ouvrage que, nul ne sait pourquoi je vous recommande régulièrement : vous savez il s’appelle L’intégrisme républicain contre la laïcité).

Bref l’article 4 de la loi de 1905 demande la conformité avec « les règles générales d’organisation du culte » et il a provoqué les débats entre Buisson et Clemenceau  pour qui l’instauration d’une instance collective libre devait être compris comme le prolongement de la liberté individuelle, et Briand et Jaurès, qui conçoivent cette instance collective comme une dimension de la liberté individuelle.

 

Locke applique à la religion une règle simple : elle consiste à la mettre dans le droit commun aussi bien pour ce qui est permis que pour ce qui est interdit. Cela signifie une large liberté, une certaine égalité des religions (égalité dans la liberté, une non discrimination). Locke ne parle du fait qu’une religion puisse avoir des avantages positifs que d’autres n’auraient pas et ce silence peut être interprété de 2 manières = ce qui va être la manière anglaise et ce qui va être la manière américaine. Mais on peut retenir que la tolérance chez Locke inclut cette égalité dans la liberté (à la différence de Voltaire)

Egalité dans la liberté :

- Pour ce qui est permis : « est-il permis d’adorer Dieu à la façon de Rome ? précise Locke, Que cela soit permis aussi bien qu’à la façon de Genève. Est-il permis de parler latin en public ? Que cela soit aussi permis dans les temples (…) Et que tout ce que l’on est libre de faire dans la vie commune conformément à la loi, que chacun, à quelque église qu’il appartienne, demeure libre de le faire dans le culte divin ».

Locke met au bénéfice de la liberté des opinions (qu’il dit juger, ainsi que l’opinion anglaise largement dominante) « fausses ou absurdes » comme celle du « papiste {qui} croit que ce qu’un autre appelle du pain est le corps du Christ » n’ont pas à être réprimées car « les lois ne veillent pas à la vérité des opinions, mais à la sécurité et à l’intégrité des biens de chacun et de l’Etat.» Par ailleurs « l’idolâtrie » est peut-être un « péché » (tout le monde ou presque le pensait à l’époque) mais la loi ne punit pas l’avarice, l’absence de charité ou la paresse qui sont pourtant « tenues pour des péchés d’un consentement universel. » Si une « discrimination » était faite contre « ceux qui ont des cheveux noirs ou des yeux gris » ne deviendraient-ils pas des séditieux ? Loin de croire que l’on se défend légitimement contre une menace par la répression, il faut supprimer l’hostilité aux assemblées religieuses pour leur enlever tout danger.

- Pour ce qui est interdit : « Si quelque agitation se produit dans une assemblée religieuse contre la paix publique, elle doit être réprimée, non pas autrement, mais de la même façon que si cela s’était produit dans une foire. Si au cours d’un prêche, il est dit ou fait quelque chose de séditieux, cela doit être puni comme si cela était arrivé sur la place publique. »

Cette règle s’applique aussi aux actes du culte : immoler un enfant ou s’adonner à des prostitutions rituelles sont des actes interdits dans la vie civile et donc n’ont pas à être tolérées dans une assemblée religieuse ; par contre il doit être permis d’immoler un veau puisqu’on aurait tout aussi bien pu le consommer dans un festin.

La loi de 1905, suit cette règle, pas toujours de façon absolue car la propriété publique des édifices cultuelles empêche de réaliser une séparation aussi totale que celle prônée par Locke, mais, pour l’essentiel, la religion est bien mise dans le droit commun, alors que cela n’était pas le cas dans la situation antérieure.

 

En revanche, la loi de 1905 est plus libérale que Locke quand au danger politique entraîné  par l’allégeance au pape du catholicisme. Contrairement à une opinion courante, Locke est favorable à la liberté du culte et du dogme catholique, mais, à partir de son refus des empiétements politiques d’une religion contre le pouvoir civil, il ne pense pas possible que le magistrat accepte que des citoyens soient « ipso facto au service et dans l’obédience d’un autre prince ». Il s’agit naturellement du pape, chef temporel  (inséré dans des jeux d’alliances au niveau international) et spirituel à la fois et qui avait, à partir de cette confusion des pouvoirs, excommunié et déposé la royauté anglaise en 1570.

Contrairement à certains projets antérieurs, la loi de 1905 n’impose pas de limitations aux rapports du catholicisme français avec le Saint Siège. Il est vrai qu’entre temps (plus de 2 siècles), le pape a perdu ses Etats et que Léon XIII avait admis la légitimité du régime républicain. La différence semble très explicable.

 

Cette différence entre la loi de 1905 et Locke est beaucoup plus structurelle (je cause bien quand je veux) en ce qui concerne les athées. Locke, au contraire de Bayle (dont nous avons déjà parlé), écrit : « la parole, le contrat, le serment d’un athée ne peuvent former quelque chose de stable et de sacré, et cependant ils forment les liens de toute société humaine ; au point que la croyance en Dieu elle-même supprimée, tout se dissout ».

Il faut remarquer que là avec la fin de la citation donnée sur l’athéisme, le raisonnement de Locke bascule. On n’est plus en effet, comme cela était indiqué pour le catholicisme romain dans une allégeance à un chef d’Etat étranger, on n’est plus  non plus dans une dialectique où on a le droit de choisir n’importe quelle voie (y compris à travers des « opinions fausses ou absurdes »). La logique de ce droit devrait poser la question du droit de ne pas vouloir son salut, et conduire à répondre qu’en effet, c’est un droit.

Mais Locke, de façon illogique, retrouve le lien qu’il avait pourtant distendu du politique, du social et du religieux : le lien social chez lui n’est certes plus assuré par aucune institution religieuse, il reste assuré cependant par une croyance consensuelle en Dieu, déconnectée de l’institution religieuse, puisqu’à partir du moment où l’on croit, on peut croire dans n’importe quelle Eglise (et elles sont multiples !).

Peut-être que Locke a fait là une concession à la mentalité ultra dominante du temps, car une pensée, pour être crédible doit toujours avoir un point d’accroche avec cette mentalité dominante. Il n’empêche, on constate là une congruence entre la pensée de Locke, l’univers mental des auteurs des Déclarations des droits américaines et une situation socio-culturelle qui persiste jusqu’à aujourd’hui aux Etats-Unis où la pensée dominante a toujours de la peine à considérer l’athéisme comme légitime (et bien sûr, cela est nettement plus craignos qu’en 1689 !).

 

La loi de séparation de 1905, en affirmant que la République assure la liberté de conscience établit (quoi qu’implicitement) la liberté égale de croire et de ne pas croire. Non seulement plus de deux siècles après la rédaction de l’écrit de Locke, mais la Révolution française et la radicalisation du conflit des deux France dans la seconde moitié du XIXe siècle a donné à l’athéisme une légitimité culturelle que celui-ci possède moins dans d’autres pays.

Ouf, quand même, je savais bien que les Français ne pouvaient être que les meilleurs (c’est un don du ciel, en toute laïcité !), mais cela fait du bien de le constater à nouveau. Allez, pour fêter cela, un peu de whisky ou de jus d’orange supplémentaire, plus quelques amuses gueule.

Mais, avouez (si vous avez la chance infinie d’être Français) que vous avez transpiré : où nous mène-t-il ce Baubérot de malheur. Il va quand même pas nous faire croire que l’universelle France a été à la remorque de la particulariste Angleterre !

J’ai une circonstance atténuante : La Lettre de Locke a été écrire en fait en 1686, quand Locke était exilé en Hollande. Elle a été publiée en 1689, au moment de la seconde révolution anglaise. Ah, merdrrre, cela signifie que les Anglais on fait deux révolutions, avant que la seule légitime ne commence en 1789. Damned !

 

Bon, OK pour Locke et 1905 : mais Voltaire… (À suivre).



[1] J. Boussinescq, La laïcité, mémento juridique, Le Seuil, 1994.

[2] Vous la trouverez, en version française, éditée soit chez Flammarion, soit aux PUF (avec l’original en latin, pour celles et ceux que cela tente !)

13/11/2006

"BONNET D'ANE": LE DOUBLE JEU DE L'INTEGRISME REPUBLICAIN

APRES DEMAIN JEUDI 23 NOVEMBRE: UNE NOUVELLE NOTE: LES NEO-REPUBLICAINS SONT-ILS LES "HERITIERS" DES LUMIERES ?

ET QUE PEUVENT NOUS "APPRENDRE" LES LUMIERES SUR NOTRE AUJOURD'HUI? 

 

Depuis la parution de mon ouvrage sur L’intégrisme républicain contre la laïcité (L’Aube) j’ai reçu beaucoup de questions, d’échos, soit à l’occasion de signatures (comme à Blois pour les Rencontres de l’histoire ou samedi dernier à Marseille pour les Rencontres d’Averroès), soit indirectement, ou sur mon mel, etc. Je regrette que mes interlocuteurs ne se soient pas plus exprimés sur le Blog lui-même à propos de l’ouvrage. Il comporte un aspect de forum de discussion. Mais qu’importe.

Je passe sur les éloges, toujours agréables à entendre ; je mentionne juste, au-delà de cet aspect, que les propos tenus montrent que ce livre aide bien des lecteurs à vérifier leurs intuitions, à informer et structurer leurs idées. J’en viens aux remarques critiques.

D’abord le titre a fait…tiquer. Des personnes qui n’avaient pas encore lu l’ouvrage m’ont reproché d’ « abandonner  le plan scientifique » pour céder à la polémique. Par contre d’autres, au vu de ce titre, s’attendaient à un pamphlet, à des attaques personnelles dont ils auraient fait leurs choux gras, ils ont été déçus de trouver un contenu « sérieux », ne s’attardant pas à la polémique même si elle n’est pas absente.

Je voudrais dire d’abord que l’optique fondamentale du livre est très simple : la France aujourd’hui est beaucoup plus obsédée  par le « communautarisme » que par les discriminations, par les « dérives religieuses » que par le racisme. Je crois que tant qu’il en sera ainsi non seulement discriminations et racisme pullulent, et la lutte contre ces fléaux n’est pas véritablement engagée, mais qu’en plus, on ne se met pas en posture pour faire face efficacement au dit communautarisme et aux dites dérives religieuses.

Les raisons de cette obsession contre productive sont, à mon sens, à rechercher dans un discours, une vulgate qui fait semblant d’être LE discours républicain, alors qu’il n’en est rien. Ce républicanisme exacerbé, cette référence aux pires erreurs de la Révolution française (comme la loi Le Chapelier refusant tout intermédiaire entre l’individu et l’Etat qui était une loi antisociale) n’est certes pas le discours des fondateurs de la laïcité (faut-il le rappeler : Jules Ferry considérait le jacobinisme comme aussi dangereux que le bonapartisme, et j’ai suffisamment parlé, dans le Blog, en 2005, de Briand, pour qu’il ne soit pas la peine d’y revenir) mais plutôt d’adversaires jusqueboutistes qui n’ont eu aucune efficacité historique et contre qui la laïcité a du lutter pour pouvoir triompher. Quand à une période plus récente, beaucoup s’y réfèrent de façon idyllique à partir … de leurs souvenirs, mais n’importe quel « historien du temps présent » (c’est maintenant une spécialité de la science historique) vous dira que cela ne correspond pas à la réalité.

Surtout, cela montre un rapport au savoir assez délirant. On va y revenir.

Pour le moment, deux mots sur le titre : d’abord, il veut attirer l’attention sur un durcissement du discours. Durcissement de plus en plus grand au fur et à mesure que ce discours est décalé à l’égard de la réalité. Ensuite, employer le terme d’intégrisme, au départ, n’est pas ma tasse de thé. Je suis plutôt sobre sur ce point. Mais puisque le terme est utilisé à tort et à travers partout, je me suis dis : allons y, faisons notre travail de sociologue qui peut consister à prendre des notions utilisées socialement et à réfléchir aux conditions qui peuvent les rendre pertinentes. J’ai donc défini ce que peut être, pour un sociologue, les caractéristiques d’un discours intégriste (cf. le chapitre introductif, pages 15 à 25), sa façon de fonctionner.

Cela est valable quelque soit le contenu. Ce contenu peut être religieux, et il est possible de se servir du portrait robot, de l’instrument de mesure (de l’idéal type en langage sociologique) ainsi dégagé pour évaluer des discours religieux et savoir s’ils sont « intégristes » ou, plus exactement, s’ils sont plus ou moins intégristes. Au nom de quoi, le discours néo-républicain échapperait lui, par miracle, par un coup de baguette magique de la fée Clochette, à cette évaluation des discours ? Parce qu’il s’agit là du discours des « bons » alors que le discours religieux est celui des « méchants » ? Amis néo-républicains, vous regardez trop la télé !

J’ai parlé de « discours plus ou moins intégriste » : en effet le portrait robot construit est un instrument d’évaluation. Il n’aboutit pas à avoir un regard communautariste sur qui que ce soit, qu’il s’agisse d’adeptes de discours religieux ou d’adeptes d discours néo-républicains.

Là encore qu’est-ce qu’un regard communautariste ? Celui qui englobe l’individu, qui le classe en le réduisant à une de ses caractéristiques devenue englobante. Le discours communautariste fige les gens, essentialise c'est-à-dire fait comme si leur existence, leurs actions et leurs propos divers n’étaient que les manifestations concrètes d’une essence fixe et figée. L’intégriste serait tel en tous lieux, sur tous les sujets, et quoiqu’il fasse, qu’il dise, quelle que soit ses évolutions, il resterait toujours un (sal) intégriste. S’il tient des propos qui manifestement ne le sont pas, ce ne peut être que ruse, perversité,et cela le rend d’autant plus dangereux.

Aux moments chauds des affaires de foulards, plusieurs néo-républicains m’ont déclaré que Dounia Bouzar était plus dangereuse que les femmes voilée puisqu’elle avait accepté de dialoguer avec l’une d’entre elles dans l’ouvrage L’une voilée, l’autre pas (elle était la non voilée de ce dialogue). Et quand j’indiquais qu’elle disait des choses qui me semblaient intéressantes, on me répondait que ce n’était pas le problème, au contraire. Quand on envisage les gens comme des ennemis a priori, plus ils sont intelligents, plus ils sont dangereux, surtout (ajouterais je, avec ma méchanceté bien connue !) quand soi-même on ne brille pas de mille feux sur ce plan là !

Oui, effectivement, je pense qu’à force de raisonner de façon complètement idéologique, à force de diviser le monde en deux camps, et de se croire les chevaliers du bien combattant pour la vérité et la justice, on risque fort de s’abêtir. C’est pourquoi, il ne s’est pas agis pour moi de traiter les néo-républicains comme ils considèrent eux-mêmes leur ennemis. Si j’emploie à leur égard le terme neutre de « néo-républicains » (on est bien obligé de désigner ceux dont on parle, n’est-ce pas) c’est parce que je ne veux pas les qualifier, les figer, les englober par le terme d’intégrisme, bien que certains fassent (presque) tout pour mériter cette appellation. Voilà d’ailleurs ce que j’écris dans mon livre à ce sujet :

« Il faut espérer que les dits « républicains » sont autres que les stéréotypes éculés et répétitifs qui peuvent sortir de leur bouche laisse à entendre. Que lorsqu’ils vivent une relation amoureuse, ils parlent vraiment, inventent des phrases merveilleuses qui leur appartiennent. Qu’ils savent faire l’amour en artistes. Qu’ils sont souvent joyeux et plein d’humour. Que sur des tas de sujets ils tiennent des propos passionnants[1]. C’est tout le mal que je leur souhaite. Je ne les considère nullement comme mes « ennemis ». Je pense même que désabsolutisés, désintégrisés (néologismes nécessaires), et en triant, on peut trouver du grain à moudre dans leurs dire. Ils parlent tellement de république et de laïcité qu’il leur arrive même, entre des oukases insupportables, d’énoncer des choses justes. Etonnant, non ? » (page 24).

Il ne s’agit donc pas de tomber dans le piège des frères ennemis et ceux et celles qui ont cru, au vu du titre, que cela m’arrivait en seront pour leur frais. Il ne s’agit pas de retourner un dogmatisme contre un autre, un sectarisme contre un autre. Il ne s’agit pas de discalifier la totalité d’un discours sous prétexte qu’il comporte des aspects déconnants. Trions camarades, trions : c’est cela la laïcité de l’intelligence. Et cela n'empêche pas la polémique, à condition de garder un peu d'humour (l'humour désabsolutise).

Car un des reproches que l’on peut faire aux néo-républicains, sans invalider totalement leur discours, c’est le fait qu’ils pratiquent le double discours. Un exemple : ils se veulent les hérauts du savoir contre le vécu, le pédagogisme, etc. Le savoir n’est pas tout certes, mais effectivement on peut dire que dans la société du tout média, du scoop et du sensationnel, dans la « société du spectacle pour reprendre l’expression de Guy Debord, le savoir est menacé et que le défendre est nécessaire. Seulement, à partir de là, nos néo-républicains ont tendance à tricher. Et la vulgate intégriste[2] dont ils se servent très souvent consiste à défendre, dans le lieu très précis de l’école, un certain savoir, celui d’une culture franco-classique, connaisseuse des humanités grecque et latine puis des écrivains et philosophes français (là encore pour indiquer un schéma, et après on évalue si les individus collent plus ou moins à ce schéma) et à piétiner allègrement tous les savoirs qu’ils ne maîtrisent pas, à les mépriser, à refuser de les prendre en compte et… tout à coup, à transformer en savoirs leurs propres souvenirs, leur vécu (alors qu’ils reprochent au « pédagogisme » de le privilégier), leurs réminiscences scolaires, les vagues informations qu’ils peuvent avoir sur tel ou tel sujet et qui, pour des spécialistes de ces questions, sont le plus souvent archi-fausses.

Je ne leur reproche pas, naturellement, de ne pas tout savoir, je leur reproche d’une part de ne pas savoir qu’ils ne savent pas, d’autre part (pour employer un français soutenu) de s’en foutre comme de l’an quarante car au bout du compte, ce qui leur importe c’est le combat idéologique, c’est de disqualifier l’adversaire.

Exercice pratique : pour savoir si un néo-républicain tient un discours qui est plus ou moins dans cette vulgate intégriste, soyez attentifs, quand vous le lisez, à remarquer s’il cite ou non des historiens, des acquis actuels de la démarche historique quand il parle du passé : bref s’il en parle sérieusement, en se situant par rapport au savoir d’aujourd’hui sur les questions dont il parle, où s’il fonctionne à partir  de vagues souvenirs scolaires ou des stéréotypes colportés allègrement par les médias. Vous trouverez une histoire de la laïcité, faite par un non historien, qui réussit le tour de force de ne jamais citer d’historien et de ne pas prendre en compte leurs travaux.

Vous pouvez faire le même exercice à partir du discours tenu sur la société actuelle et notamment la société française, par rapport aux travaux des sociologues, des spécialistes de sciences humaines. Quand un néo-républicain parle de l’islam, si les travaux des islamologues sont pris en compte, etc…

Et il ne s’agit pas là de défendre le savoir pour le savoir : cette ignorance qui s’ignore, qui veut s’ignorer, ces Docteurs es-ignorance, du coup ont des ennemis boucs-émissaires : le « communautarisme » (non défini), l’islam, les sectes, le protestantisme évangélique assimilé aux dites sectes. Dans mon ouvrage (il faut bien revenir à un peu de pub !) je montre que « l’islam » ou « un certain islam » n’est nullement la cause de « ce qui va mal », mais bien plus une caisse de résonance de difficultés engendrées par des mutations sociales non maîtrisées. Et comment voulez-vous les maîtriser si vous vous obstinez à ne pas les connaître ? Alors certains, acceptent de les connaître plus ou moins au niveau socio-économique (cf. le Rapport Obin, par exemple), mais dès qu’il s’agit de mutations culturelles, institutionnelles, politiques, alors là, on ne veut plus rien savoir. Tout comme on prône la raison, le rationnel, mais dès qu’il s’agit de sectes...; (cf le chapitre 4 : « Aborder rationnellement le problème des sectes »).

Et le refus de savoir, le double jeu ne tarde pas à tourner à la mauvaise foi.

Pour terminer deux exemples qui me concernent :

D’abord celui de l’affaire Redeker : on noie le problème que j’ai soulevé dans ma tribune du Monde en parlant du droit de « critiquer l’islam » Cf. entre autres un internaute en commentaire de la Note sur ce sujet.  Mais si seulement il s’agissait de « critique »,… Et nulle part personne ne m’a répondu sur mon argument clef : un professeur qui a tronqué, et interprété de façon intellectuellement non soutenable, un écrit de Maxime Rodinson. Qui est allé comparer le texte de Rodinson et les citations qui en sont faites par Redeker ? C’est vraiment au poil d’être un chevalier du bien, cela dispense de tout travail intellectuel : on a priori raison, pas la peine de se prendre la tête !

Et d’une manière générale, vous pouvez examiner, dans les commentaires de ce Blog, ceux qui argumentent, discutent, et ceux qui procèdent par insinuation, tentent de mettre un soupçon global, faute d’être capables discuter de ce qui est écrit.

Ensuite, parfois cela devient : « Calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose… »

Un exemple précis, la perle que me signale un Internaute : Dans son Blog, J. Cl Brigheli écrit (21 octobre) dans une Note intitulée : « Pour solde de tout compte »  les propos suivants :

« Dialoguant avec Jean Baubérot, spécialiste officiel de la laïcité, le seul à ne pas avoir voté le rapport final de la Commission Stasi sur les signes religieux à l’école (voir le Point du 19 octobre), j’ai appris -un peu stupéfait tout de même- que la République ne respectait pas les femmes, puisqu’elle ne les distinguait pas en tant que femmes. Mais qu’une religion qui est voile, ou qui les engloutit sous une burka, qu’elle les reconnaît comme femmes, quand elle ne les lapide pas, les respecte davantage… » Un peu plus loin : « Et je m’étonne que des féministes convaincues, qui brûlaient leurs soutiens-gorge à l’aube des années 1970 parce qu’elles y voyaient un signe d’aliénation, tolèrent tant de voiles sur la tête des jeunes femmes d’aujourd’hui. Le progrès, ces temps-ci, avance à reculons (….) Encore un effort, et nous retournerons à l’âge de pierre. » Et il conclut en citant Laclos : « les vices se sont changés en mœurs » et en annonçant, face à ses détracteurs : « j’abandonnerai ce blog après les élections, parce que j’en ai un peu marre de me faire insulter par des cloportes. »

Quel beau commentaire de texte, les profs peuvent proposer à leurs élèves à partir de cette anthologie !

D’abord, si vous vous reportez à l’article cité du Point, vous ne trouverez pas bien sûr, le moindre début de commencement des propos qui me sont attribués. Brighelli fait donc référence à son souvenir (non vérifiable) de la partie de la discussion non publiée (elle a duré près de 2 heures, et la journaliste disposait de 2 pages) et son souvenir est complètement faux (ce qui donne à penser sur les autres,…) : on peut facilement le vérifier en lisant le passionnant, le sublime, le magnifique chapitre 1 de mon livre (que j’ai résumé, puisque c’était le deal de l’entretien : chacun résumait les thèses de son ouvrage) : « la laïcité est-elle gage d’égalité des sexes » (p.29-54, et je reviens sur le sujet notamment aux chapitres 3 sur l’islam et 5 sur le multiculturalisme à la française)

Ensuite : quel bel exemple de pensée figée : le féminisme consisterait à répéter ce qui s’est fait il y a 30, 35 ans sans tenir compte des mutations sociales arrivées depuis (et dont parle le merveilleux livre que je ne saurais trop vous recommander, et que Brighelli venait pourtant de lire ce qui le rend naturellement d’autant plus impardonnable). En fait, il raisonne à partir d’un pseudo sens de l’histoire, conçu à la façon simpliste d’un progrès linéaire. Il devrait lire quelques ouvrages sérieux sur la question, cet homme… (il est « trop », ce Brighelli : d’habitude on nous menace seulement du Moyen Age, là c’est carrément l’âge de la pierre : il lit trop Rahan, le fils des âges farouches…, la BD de Pif)

Enfin, ce grand défenseur du savoir se garde bien de signaler ma compétence intellectuelle (là encore, je ai déjà signalé la même chose à propos de Seksig et son L’école face à l’obscurantisme religieux : c’est significatif de retrouver les mêmes procédés): le fait d’être titulaire de la chaire « histoire et sociologie de la laïcité » à l’EPHE et d’avoir écrit plusieurs ouvrages sur la question. Il parle de « spécialiste officiel » : extraordinaire aveu : pour ne pas prendre en compte le savoir, on en fait un discours officiel, comme si j’avais été nommé à mon poste par des politiques et non élu par des universitaires, à partir d’un dossier scientifique, de doctorats, et selon les procédures de recrutement ! Quelle mauvaise foi. Ensuite, il mentionne ce qui pour lui est discalificateur a priori : ma position lors de la Commission Stasi sans s’apercevoir qu’il se contredit : car cette position est justement le contraire de celle d’un « spécialiste officiel » ! Mais qu’importe les contradictions quand on est un chevalier du bien !

Enfin (bis), je laisse aux Internautes bien-aimés qui me font l’honneur de me lire, d’ apprécier les qualités de grand humaniste d’un auteur de Blog qui traite de « cloportes » ceux qui le lisent en ayant l’outrecuidance blasphématoire de le contredire. Les injures sont révélatrices : Frèche a parlé de « sous hommes », lui de « cloportes ». Bravissimo.

Ah j’oubliais : le Blog de Brighelli s’intitule : « Bonnet d’âne »… avec un dessin le représentant. Mais pourquoi donc a-t-il oublié son bonnet ?

PS: le nec plus ultra des néo-républicains consiste à se proclamer "voltairien". Nous allons examiner cela de plus près...

 

 



[1] Etant frimeur comme pas d’eux, je ne résiste pas (longtemps) à rapporter le propos (très complaisant, of course) d’un ami : « mais c’est tout toi que tu décris là ». Merci, merci. J’aime bien les fleurs.

[2] J’explique bien sûr dans l’ouvrage ce que j’entends par là : je ne vais quand même pas tout vous dévoiler ici !

07/09/2006

CE QU'IMPLIQUE LA LAÏCITE

Quelques propositions de clarification

Sur ce qu’implique ou n’implique pas la laïcité

1)      Ne pas confondre « religion civile » et laïcité,  « tolérance doctrinale » et « tolérance civile ».

2)      Ne pas confondre sphère institutionnelle et sphère publique, vie sociale

3)      Ne pas confondre le civil et le religieux dans les institutions

4)      Sortir de l’alternative « individualisme abstrait » - « communautarisme »

5)      Etre dans la dialectique règles communes – valeurs partagées

6)      Inclure l’aire arabo-musulmane dans notre vision de« l’Occident ».

 

Ne pas confondre « religion civile » et laïcité,  « tolérance doctrinale » et « tolérance civile ».  

Les sociologues (Bellah, Coleman, etc) ont défini la religion civile comme un ensemble de croyances, symboles et rites relatifs aux choses sacrées,  institutionnalisés au sein d’une société  et qui dérobent au débat les fondements ultimes de l’ordre social. L’un d’entre eux, Willaime, insiste sur la conjugaison, dans la religion civile, d’une dimension de religion civique, de « dévotion à l’unité du corps social » et de religion commune, « ensemble diffus des croyances, représentations et évaluations qui définit l’univers philosophico-religieux et éthique d’une population ». On sait que cette notion de « religion civile » provient de Jean-Jacques Rousseau (fin du Contrat social) qui insiste sur la « nécessité pour l’Etat » que « chaque citoyen ait une religion qui lui fasse aimer ses devoirs » et indique que les « dogmes » de la religion civile se rapportent à la morale sociale. Pour Rousseau, il existe un lien entre l’intolérance doctrinale (c'est-à-dire la croyance que sa religion est la seule vraie, seule apporte le salut et donc l’attachement aux dogmes et prescriptions de cette religion) et l’intolérance civile c'est-à-dire le non respect de l’autre et de ses convictions propres. D’où cette phrase qui porte en germe le conflit politico-religieux qui va exister lors de la Révolution française : « quiconque ose dire : hors de l’Eglise pas de salut doit être chassé de l’Etat. » Au contraire, la laïcité telle qu’elle s’est réalisée en France (par exemple) avec la loi de séparation de 1905, postule, contrairement à Rousseau, qu’ « il n’est pas impossible de vivre en paix avec des gens que l’on croit damnés » ; elle renonce (par l’article 4, notamment) à favoriser un « catholicisme républicain » et « respecte » (terme utilisés à de nombreuses reprises dans les débats) l’Eglise catholique telle qu’elle était alors dans ses dogmes (d’avant Vatican II) et son organisation (que catholiques et républicains considéraient comme « monarchique »)[1]. On n’évite pas la ‘tentation’ de la religion civile quant on demande aux religions de s’acclimater aux valeurs dominantes d’une société donnée, à un moment donné de son histoire. Mais alors, on s’éloigne alors de la laïcité qui implique une séparation et une autonomie réciproques. Un exemple permettra de concrétiser cela : une religion a parfaitement le droit de dire que l’avortement est un « meurtre » et l’homosexualité un « péché » (non tolérance doctrinale). Elle n’a pas le droit, par contre, d’inciter ses membres à aller troubler les cliniques où se pratiquent des interruptions volontaires de grossesse et de tenir des propos homophobes (tolérance civile). Seule cette tolérance civile, gage de la liberté de chacun et du vivre-ensemble pacifique de tous, est imposée socialement par la laïcité.

Ne pas confondre sphère institutionnelle et sphère publique, vie sociale.

On dit que la laïcité réduit la religion à la sphère privée. C’est un peu plus compliqué ! Historiquement, il est exact que la construction de la laïcité s’est inscrite dans la distinction opérée par des penseurs comme John Locke entre sphère publique, neutre à l’égard des croyances et sphère privée où chacun devait être libre en matière de croyance. Locke est le penseur du « gouvernement limité » contre tout absolutisme d’Etat (monarchie absolue, république absolue,…) et l’idée de sphère privée libre signifiait donc la fin d’un système où l’Etat imposait une religion à ses citoyens.

Depuis lors, la situation a changé et (par exemple) la notion de « société civile » complète celle d’Etat et d’individu. Les obligations imposées par l’Etat ne se confondent plus avec la sphère publique. Il s’agit d’obligations juridiques (respect des lois), administratives, et souvent scolaires (obligations de l’instruction), médicales (aspects obligatoire de certaines vaccinations, etc),… Cet ensemble peut-être qualifié de sphère institutionnelle. La laïcité signifie que la religion n’est pas imposée par l’Etat (ou ne s’impose pas à l’Etat) et ne se situe pas dans son prolongement institutionnel. Par contre, les religions peuvent participer à la vie publique, et au niveau de leurs déclarations et au niveau de leur action (notamment caritative et sociale), à condition que ces déclarations et actions s’effectuent de façon respectueuse de la liberté de chacun (différence nécessaire entre l’action caritative et l’action de conversion, par exemple). La laïcité ne rejette donc pas les religions hors de la vie publique.

Ne pas confondre le civil et le religieux dans les institutions ; Cela signifie-t-il, alors, la neutralisation de la religion dans les institutions ? La encore, le simplisme ne doit pas amener une réponse univoque. Une neutralisation est nécessaire à l’égard de tout prosélytisme : les prétoires, les lieux administratifs, les écoles, les hôpitaux ne sont pas les endroits où les diverses religions vont avoir une action prosélytes. Il y a bien « neutralisation » de la sphère institutionnelle en ce sens là. Par impératif d’ « ordre public », de « paix civile » Mais quand Jules Ferry a laïcisé l’école publique en France, il a exigé qu’elle s’arrête un jour par semaine, outre le dimanche, pour faciliter la tenue du catéchisme. Cela signifie que les institutions doivent tenir compte les impératifs de la liberté de conscience. Les institutions ne sont donc pas neutres par rapport à la liberté de conscience qu’elles doivent garantir  A ce niveau, elles tiennent comptent, dans une certaine mesure, de ce qu’implique la liberté religieuse. En fait, comme les institutions constituent ; un lieu de contact entre l’Etat-nation (avec les contraintes du vivre ensemble) et de l’individu (avec le droit à la liberté) ; elles constitue un espace où doivent s’élaborer des solutions qui tiennent compte et du vivre-ensemble et de la liberté de chacun.[2] C’est pourquoi les institutions qui, sans même y réfléchir, tiennent comptent des croyances majoritaires (cf. le calendrier scolaire et social en France et les fêtes catholiques) ne peuvent ni ne doivent être dans la logique du tout ou rien par rapport aux croyances minoritaires. Le « tout » ne tiendrait compte que de la liberté de chacun ; le « rien » que des exigences du vivre ensemble. Il faut arriver à conjuguer les deux parce que les Québécois appellent des « accommodements raisonnables ».

Sortir de l’alternative : « individualisme abstrait » ou « communautarisme ».

La laïcité est souvent confondue avec l’individualisme abstrait, qui relève plutôt, en fait, de la « religion civile » républicaine française. On fustige alors tout ce qui ne se situe pas dans la perspective de cet individualisme abstrait en parlant de « communautarisme ». En fait, on peut distinguer 4 cas de figure type.

          individualisme abstrait : on ne tient pas compte des appartenances culturelles, religieuses qui sont libres dans la sphère privée mais doivent être neutralisées dans la sphère publique où la seule appartenance « légitime » est l’appartenance citoyenne, qui relève du politique. On serait dans le face-à-face entre des individus « libres et égaux » et l’Etat-nation, les « groupements intermédiaires » se trouvant dévalorisés.

          individualisme concret: l’appartenance collective est possible dans la sphère publique comme un prolongement de la liberté individuelle : en France, c’est l’esprit de la loi de 1901 sur les associations. On sait que la France possède un très riche tissu associatif.

          pluralisme : l’appartenance collective (culturelle, religieuse) est une dimension de la liberté individuelle et pas seulement son prolongement possible. La liberté de l’individu est mutilée sans cette dimension d’appartenance culturelle ou religieuse (à une ou des communautés autres que politiques). Le collectif est, là, pris en compte comme un enrichissement de l’individu (et inversement, quand il y a cette prise en compte, cela signifie qu’au moins implicitement, on considère que le collectif est une dimension de l’individu). L’article 4 de la loi de séparation française de 1905 se situe dans cette optique

        communautarisme : l’individu est englobé par une appartenance culturelle ou

religieuse (mais aussi de genre, d’orientation sexuelle,…). Celle-ci le définit socialement de façon dominante. Cela peut (mais pas nécessairement) se concrétiser par une différence de régime juridique avec les autres citoyens et avec une législation qui traduirait juridiquement cet englobement. Dans tous les cas, l’englobement induit une clôture. Il faut ne pas oublier, quand on parle de communautarisme, trois choses. D’abord, ne pas confondre « communautés » et « communautarisme ». Ensuite, ne pas être sourd aux critiques faites à l’approche libérale de l’individu (par exemple, celle d’un philosophe comme Charles Taylor). Enfin savoir que c’est souvent le regard de l’autre (individu ou collectivité) qui « communautarise ».

La laïcité s’accorde avec l’individualisme concret comme avec le pluralisme. C’est ce dernier cas de figure qui me semble le mieux s’accorder avec la situation actuelle liée à la globalisation.

 

Etre dans la dialectique règles communes – valeurs partagées

Un colloque qui va se tenir bientôt met en avant la notion de « valeurs partagées » : ce sont de valeurs auxquelles tout le monde se rattache sans forcément les interpréter et les exprimer de la même façon, dans les deux rives de la Méditerranée. notamment Et ces valeurs partagées sont distinguées des « valeurs communes » qui s’imposeraient à tous.

Pour ma part, je radicaliserai le propos de deux manières. D’abord, en indiquant que le débat interprétatif sur les valeurs existe à l’intérieur même de toute société. Il est lié à l’exercice même de la démocratie. S’il existe des dominantes suivant les lieux et les époques, il n’y a jamais unanimisme, comme le montrent les études sociologiques et  historiques. Par exemple, il y a des différences d’interprétation sur la notion de liberté, avec des dominantes aux Etats-Unis et en France, mais aussi (quand on écoute bien) des tonalités différentes au sein même de ces deux pays. En conséquences, pour moi, il n’existe socialement que des « valeurs partagées » et non pas des valeurs communes qui s’imposeraient à tous avec une signification évidente et temporellement immobile. Le débat interprétatif est, d’ailleurs, lié à la liberté de chacun et à ses caractéristiques propres.

En revanche, les exigences du vivre-ensemble font qu’on ne peut en rester au débat interprétatif qui est sans fin. Il faut bien des règles du jeu social (comme il y en a du jeu sportif !) Au niveau national et, maintenant, international, existe nécessairement des règles communes. Ces règles s’imposent, tant qu’elles n’ont pas été changées, même si elles ne correspondent pas à la position personnelle de tel ou tel individu où au point de vue spécifique de telle ou telle nation. Implicitement, il existe d’ailleurs des règles communes dans toute collectivité (et cela commence par le couple et la famille !).

Inversement, je suis contre le fait de dire qu’il n’existe que des règles communes, car ces règles ne tiennent pas en l’air, elles renvoient à des valeurs. Ainsi le Préambule de la Constitution française se réfère à un certain nombre de valeurs que l’on peut qualifier de « valeurs partagées », mais implicitement objet de débat et sur leur interprétation et sur ce qu’elles impliquent pour être concrétisées comme règles communes.

 

Inclure l’aire arabo-musulmane dans notre vision de l’ « Occident ». Je terminerai par une proposition précise, issue d’une discussion que j’ai eue avec un collègue japonais. Ce dernier m’a dit, à la fin d’un débat sur ces questions : « Finalement, vous n’arriverez pas à résoudre vos problèmes de laïcité tant que vous mettrez les pays arabes et l’islam dans l’Orientalisme. Le jour où vous considèrerez qu’ils font partie de l’Occident, vous aurez la moitié de la solution ».

J’ai trouvé ce propos plein de justesse. C’est à une révolution mentale qu’il appelle pour nous tous (anciens Français –« Gaulois »- comme Français plus récents) que j’aimerais que ce blog contribue, .à son modeste niveau.

 

PS: Comme d'habitude je tenterai de répondre en bloc aux remarque des internautes dans une prochaine Note. Merci de votre patience!



[1] Je résume ici à l’extrême un des thèmes importants de mon prochain ouvrage L’intégrisme républicain contre la laïcité, édit de l’Aube (diffusion : Seuil), à paraître le 05 octobre. L’intégrisme républicain contre la laïcité, édit de l’Aube (diffusion : Seuil), à paraître le 05 octobre. (on retrouvera aussi, dans cet ouvrage, des développement qui recoupent les autres propositions).

[2] C’est ce que faisait, en France, le Conseil d’Etat entre 1989 et 2004 : les signes religieux étaient admis tant qu’ils ne s’accompagnaient pas de manifestations de prosélytisme et ne troublaient pas le fonctionnement de l’institution scolaire.

25/04/2006

COMMENTAIRE SUR LE RAPPORT: LA FRANCE FACE A SES MUSULMANS

1er mai: Record battu, archibattu pour votre Blog favori: 8001 vistes pour le mois d'avril. Grosses bises sur les deux joues aux 2 internotes qui ont fait passer au blog le cap des 8000 visiteurs. Et d'ici quelques jours ( jeudi)une Note provoquante: La Déclaration des droits de 1789 n'est pas un texte universaliste.

Comme promis, voici quelques commentaires sur le rapport « La France face à ses musulmans » de l’International Crisis Group.

D’abord, je voudrais répondre à quelques questions qui m’ont été posées par des amis qui ont consulté les deux Notes où j’ai résumé ce rapport. On m’a demandé des précisons sur l’ICG, dont j’ai déjà indiqué qu’il est une ONG multinationale à but non lucratif dont l’objectif consiste à (autant que faire se peut !) prévenir et à résoudre les conflits meurtriers, grâce à des analyses de situation de haut niveau et des recommandations indépendantes destinées aux « décideurs internationaux ».

L’ICG a été fondé en 1994 et son président fondateur est George Mitchell, ancien leader des sénateurs démocrates américain. Dans son Conseil d’Administration de 40 membres, il y a notamment les anciens premiers ministres australien et français M. Fraser et M. Rocard, ainsi que Ted Turner, président de CNN. Son budget bénéficie de subventions publiques (16 pays dont les pays scandinaves, le Japon, Taiwan, la Suisse, le Canada, les USA et la France) et de subventions privées (Charities Aid Foundation, Federal Express, Nippon Foundation, Rockfellers Brothers, Soros Fund, Winston Foundation,…). Cette ONG a construit sa légitimité notamment en étant une des principales sources de renseignements et d’analyses sur le conflit dans l’ex Yougoslavie.

On peut dire que l’ICG partage les idéaux des démocraties occidentales et livre des informations fiables, dans cette perspective, en étant attentive à ce qui pourrait être « contre productif ». Les réformes sont considérées comme plus réalistes que la répression. Ainsi, pour prendre un rapport sur l’Islamisme, rédigé il y a un an,  la politique américaine était qualifiée d’ « approche bulldozer », risquant de produire 2 « effets indésirables » :

-         « le rapprochement des différents courants de l’activisme islamique, atténuant ainsi les divergences qui auraient pu être exploitées de façon fructueuse »

-         « la mise hors-jeu des tendances modernistes et non violentes par les djihadistes ».

On retrouve ces préoccupations dans le rapport concernant « la France face à ses musulmans ». L’élaboration de ce rapport a été co-dirigé par Robert Malley, ancien conseiller de Bill Clinton pour le Moyen-Orient et par Patrick Haenni, chercheur en sciences politiques suisse, dont la thèse sur les banlieues périurbaines du Caire (soutenue à Sciences-Po, Paris sous la direction de Jean Leca) a reçu le prix de la meilleure thèse française sur le monde musulman (EHESS). P. Henni a, notamment, publié au Seuil : L’islam de marché, l’autre révolution conservatrice en 2005. On a là quelqu’un qui se trouve dans un rapport de proximité et de distance par rapport à la France, ce qui est une bonne situation pour effectuer une analyse ayant une bonne objectivité.

Le rapport cite les travaux des spécialistes français très connus de l’islam et de l’immigration, d’orientations différentes comme B. Etienne et M. Tribalat ou O. Roy et G. Kepel, mais aussi de spécialistes plus jeunes et moins connus, comme A. Boubekeur (auteure de la très intéressante étude sur Le voile de la mariée, L’Harmattan, 2004) , S. Amghar ou M. Khedimellah  (dont j’ai apprécié l’étude sur les jeunes prédicateurs du mouvement Tablîgh, paru dans Socio Anthropologie, n° 10). D’après les indications précises données sur les entretiens et les observations faites, l’enquête de terrain a été menée, pour l’essentiel, du début de septembre à la mi décembre 2005 dans plusieurs villes de France (Dreux, Le Bourget, Le Man, Lyon, Marseille, Paris,…); les « jacqueries des banlieues », selon l’expression du rapport ayant éclaté pendant l’enquête et des entretiens téléphoniques complémentaires ont eu lieu au début de 2006, sans doute. Visiblement les moyens n’ont pas manqué.

Et maintenant quelques commentaires :

Ce rapport contient beaucoup d’informations importantes et sa thèse indiquant que l’on est plus dans la conjoncture des années 1990, mais dans une conjoncture nouvelle où « les territoires de la radicalisation sont de moins en moins les lieux de culte » me semble tout à fait intéressante. On apprend plein de choses : ou on a des confirmations ainsi sur un point qui concerne la laïcité, le fait que le résultat de la loi du 15 mars 2004, interdisant le port de « signes religieux ostensibles » à l’école publique, entraîne des collectes pour la création d’écoles privées musulmanes confirme ce que j’avais dit dés l’époque de la Commission Stasi. C’est un aboutissement logique. On peut se demander s’il ne rend pas la loi contre productive, même du point de vue laïque le plus militant.

J’ai, cependant, une petite insatisfaction : le rapport veut traiter de l’interface entre la France et les musulmans ; en fait il s’intéresse essentiellement aux musulmans qui habitent dans les « banlieues » (terme géoéconomique : il est clair que Neuilly n’est pas une « banlieue » en ce sens là !), au risque parfois d’établir une équivalence implicite entre habitants des banlieues et musulmans. A plusieurs reprises, il est questions de « classes moyennes », de « public éduqué », etc. Mais on a l’impression alors que ces musulmans là quittent le champ de vision du rapport qui reste focalisé sur les « quartiers ». Cela est du au fait que l’analyse vise à élucider le degrés de dangerosité politique et sociale et le titre du rapport est limité par le sous titre : « Emeutes, jihadisme et dépolitisation ». Mais c’est un peu dommage.

Car, seconde observation, ce qui transparaît du rapport c’est qu’aussi bien l’UOIF que les Jeunes musulmans proches de Tariq Ramadan, et même le salafisme shaykhiste dans une certaine mesure, ont une évolution analogue : leurs adeptes sont d’abord surtout des membres des classes populaires (ces fameuses « classes dangereuses », bien connues des historiens),  ensuite il s’agit plutôt de classes moyennes (je schématise, naturellement, pour faire vite). Cette évolution semble à la fois due

1/au fait que ces mouvements constituent une voie d’ascension sociale pour certains de leurs membres et

2/qu’ils ne recrutent pas exactement dans les mêmes milieux à 10 ou 20 ans de distance.

On aimerait en savoir plus.

En effet, le 1er aspect, s’il est réel, relativise l’idée d’échecs à répétition présent dans le rapport (l’échec de l’islamisme politique rend la voie libre au  salafisme shaykhiste, puis au jihadisme ou à la révolte des banlieues).  Si les mouvements musulmans jouent un rôle d’ascension sociale  pour une partie de leurs militants, alors on peut les rapprocher, à ce niveau, du Pentecôtisme protestant (un ami sociologue mexicain me disait que c’était pratiquement la seule réelle possibilité d’ascension sociale dans son pays) et d’autre mouvements protestants évangéliques (à ce propos, je vous signale la récente création d’un blog par un historien-sociologue spécialiste de ces mouvements : Sébastien Fath, auteur notamment de : Dieu bénisse l’Amérique, la religion de la Maison-Blanche, au Seuil). Son blog contient beaucoup d'informations et d'analyses intéressantes sur l'actualité en général et sur des sujets spévcialisés: le pluralisme religieux, l'ultramodernité et le protestantisme évangélique. L'adresse: http://blogdesebastienfath.hautefort.com/

Quant au 2ème aspect, il semblerait indiquer le (au moins relatif) développement d’une classe moyenne ‘musulmane’ en France (plus nombreuse qu’il y a 20 ou même 10 ans ?) puisqu’on peut recruter des adeptes en son sein. Je ne suis pas assez spécialiste de ces questions pour dire les choses de façon trop affirmative, mais ce que j’ai lu ici ou là me fait penser qu’il y a des indices dans ce sens.

Ma troisième remarque sera de souligner la complexité du problème : j’étais au Canada il y a peu de temps pour une série de conférences (je vous en reparlerai) et j’ai été frappé par une différence forte : la proximité (historique et géographique) de la France avec les lieux centraux du conflit : non seulement le Moyen-Orient, problème permanent, mais, outre l’histoire coloniale, la guerre civile algérienne dont on a peut-être pas assez souligné à quel point elle a contribué à engluer les affaires de foulards et dont le rapport de l’ICG montre qu’elle a empoisonné les relations entre les jeunes musulmans et les autorités administratives. Je comprends tout à fait les sentiments d’injustice et de rancœur que peuvent éprouver beaucoup de musulmans, et notamment les responsables associatifs qui ont lutté et luttent pour l’insertion et la reconnaissance mutuelle, mais mon travail consiste à tenter d’expliquer les choses et donc à souligner ces difficultés objectives.

Elles sont fortes car, autre remarque qui relativise également l’impression d’échec généralisé donné par le rapport : si (comme il l’indique) la menace terroriste n’a pas disparu et ne disparaîtra pas, en  France (comme ailleurs) tant que les « drames politiques internationaux » actuels alimenteront le jihadisme, le rapport mentionne aussi qu’il n’y a pas eu d’attentat terroriste (dans notre pays) depuis 1996. Des arrestations préventives ont eu lieu : cela signifie une action efficace des services la police, dont on doit, certes, dénoncer les dérapages (et qui peut apparaître détestable à celles et ceux qui sont soupçonnés à tort), mais dont on ne peut nier ni la difficulté ni la nécessité.

Ceci écrit, l’aspect contre-productif qui est résulté, le rapport le montre bien, est la méfiance (voire plus) qui règne à l’égard des personnes qui peuvent jouer un rôle de médiateur et qui sont dans une position médiane entre une assimilation ‘béni oui-oui’ et le rejet systématique du mode de vie et de pensée occidental (là aussi en schématisant pour faire vite). Je suis profondément d’accord avec le rapport quand il indique que rechercher « à promouvoir un Islam modéré et contrôlable » est « inopérant » et qu’il est souhaitable d’ « adopter une attitude constructive par rapport aux formes d’affirmation politiques susceptibles de naître dans le prolongement du soulèvement des banlieues de 2005 ». Cela fait des années, que je répète que l’intégration des Polonais, Italiens, Espagnols, etc si souvent donnée en exemple, s’est effectuée souvent, au cours du XXe siècle, grâce aux deux forces qui contestaient les valeurs dominantes françaises : les mouvements catholiques intransigeants qui avaient des projets de « nouvelle chrétienté » et le Parti communiste et les mouvements qui lui étaient liés, à l’époque où ce Parti était stalinien.
Le rapport est également très intéressant par l’inversion qu’il effectue : les musulmans sont beaucoup plus individualistes qu’on ne le croit généralement, la radicalisation, elle-même, « n’est pas dans l’exacerbation d’un repli communautaire » mais « dans la rupture avec la communauté » ;  par contre, l’action des pouvoirs publics se situe, souvent, dans un « communautarisme républicain » qui, non seulement est contraire aux principes affichés, mais en plus « s’avère inadapté à la gestion de populations où l’individualisme domine et où les demandes à l’égard de l’Etat restent élevées ». Mais, parfois, le rapport me semble mélanger deux niveaux : celui (effectivement) d’un communautarisme où l’individu se trouve englobé par sa communauté (réelle ou supposée), et un autre niveau où l’appartenance communautaire constitue une dimension de l’individu. Autant je pense que les politiques publiques, comme le regard que tout un chacun porte sur celui qui, d’une manière ou d’une autre, lui semble ‘autre que lui, ne doit pas céder au communautarisme, à cet englobement ; autant il me semble nécessaire, pour pouvoir résister à l’englobement par la massification marchande, que l’appartenance communautaire (les appartenances, car elles peuvent multiples puisque l’individualité de chacun n’est, dans ce cas de figure, réductible à aucune d’entre elles) puisse être une dimension de l’individu.
Enfin, à lire le rapport et ces recommandations, je trouve la confirmation de ce que j’appelle une laïcité inclusive. La stratégie de l’ICG me semble clair : isoler le jihadisme. Au contraire, on doit malheureusement dire que l’obscurantisme républicain actuel va dans le sens inverse d’une laïcité exclusive qui confond le combat et le débat et a tendance à anathématiser celles et ceux qui voient les choses autrement qu’eux-mêmes. 

17/04/2006

ISLAM EN FRANCE II La suite d'un rapport explosif

LA FRANCE FACE A SES MUSULMANS (suite et fin)

La semaine dernière, j’ai commencé à vous résumer un rapport très important effectué par l’International Crisis Group, organisation non gouvernementale de haut niveau effectuant des « analyse de terrain » dans un "but de prévention et de résolution des conflits". Ces rapports analytiques, qui se veulent rigoureux, sont « destinés aux décideurs internationaux ». Vous trouverez cette première partie à la suite de la présente Note.

Nous avons vu, dans cette Ière partie, l’historique que fait l’ICG du passé récent de la présence des musulmans en France, de l’échec de « l’islam politique » et de nouvelles formes de revendications sécularisées. Mais montent aussi, dans les banlieues, deux formes différentes de salafisme.

La première, est le salafisme shaykhiste, fondamentaliste et apolitique qui prône la « hijra » et rivalise avec le Tablîgh,  courant piétiste (également implanté dans les banlieues, mais lui depuis plus longtemps) dont « l’austérité est trop contradictoire par rapports aux valeurs consuméristes qui dominent dans les quartiers »

D’anciens membres du Tablîgh passent au salafisme dans une logique de bande (le groupe, les amis du quartier). La bande est repensée comme un réseau de « purs » et le salafisme shaykhiste se situe à la fois dans la globalisation, par son usage d’Internet et ses contacts avec des prédicateurs saoudiens et dans le réseau local (la bande) en s’intéressant peu au national. Par ailleurs, alors que le Tablîgh s’intégrait à l’ordre familial, le salafisme le perturbe car, prônant la rupture avec ce qui n’est pas musulman, il peut inverser les lignes traditionnelles de l’autorité et faire que des femmes s’affirment contre des hommes,des cadets contre les aînés, etc. C’est l’islam des jeunes contre l’islam des familles. C’est également un islam adapté à une population individualisée.

Ces derniers temps, il se produit une certaine banalisation de cette forme d’islam : la petite bourgeoisie salafiste ayant réussie dans le petit commerce, le salafisme d’autodidactes convertis à la lecture individuelle par les écrits salafistes, tout cela implique un minimum d’ascension sociale ou socio-culturelle qui aboutit à « quelque peu altérer la sévérité du dogme ». Bref il se produit une renonciation de fait à la hijra et, visant un avenir en France, le mouvement shaykhiste, devient « plus pragmatique et prêt au compromis avec la société d’accueil ».

Ainsi dans une « Lettre aux musulmans de France » (2004), Mahdy Ihn Salah  plaide pour une réforme où le groupe des sauvés s’élargit. La figure du jeune musulman orthodoxe urbain s’inscrit dans une trajectoire professionnelle ascendante, s’investissant dans une « religiosité de repli » sur l’individu ou la bande.

Au total, bien intégré à la culture des banlieues qu’il ne conteste pas mais encadre par des normes islamiques (cf. le « McHalal »), le salafisme ne s’oppose pas à la l’américanisation et le port conjoint de la gandoura et des Nike n’a rien de contradictoire dans sa logique. La micro-économie salafiste fonctionne également dans la culture de masse. Ainsi en ne s’opposant pas au consumérisme, en s’inscrivant dans une sorte de fatalisme, en prônant la rupture avec les institutions, en valorisant la richesse, ce mouvement offre « une sorte d’éthique islamique parfaitement en phase avec la réalité sociale des banlieues : précarité, flexibilité, dévalorisation des diplômes, vision à court terme de l’existence, forte consommation, le tout sur un fond de défiance envers tout ce qui relève de l’administration et de l’Etat ».

Et quand il réalise la hijra, le salafiste le fait si possible vers des pays musulmans à forte croissance comme la Malaisie ou les Emirats et Dubaï. Là « le rêve américain rejoint le rêve arabe ».

Mais ce salafisme là ne prenant plus en charge certaines demandes, que l’islamisme politique d'autre part ne s’avère plus capable de canaliser, ces demandes ont tendances, alors, à s’affirmer « par le radicalisme jihadiste ou la révolte de banlieue »

 

Selon l’ICG, s’il n’y a plus d’action spectaculaire depuis les attentats de 1995 et 1996, « l’activisme violent à référence islamique est bien présent dans le sol français ». Ce qui a changé, depuis les années 1980 et 1990, c’est ,d’une part, que l’action n’est plus liée à une cause territorialisée (Liban, Algérie) mais « à un djihad global » et que le combat ne vise plus l’établissement d’un Etat islamique dans un pays donné mais « une confrontation plus large avec les ennemis d’une communauté musulmane résolument transnationale »

Par ailleurs, « la radicalisation est une expérience avant tout politique ». Elle « peut trouver une formalisation théologique », mais le plus souvent a posteriori. Le basculement vers l’action violente, selon le rapport, provient de la conjonction de deux facteurs :

-         d’une part le contact d’expérience d’injustice ou de violence

-         d’autre part les cassettes de propagande mettant en scène l’oppression en Palestine, Bosnie, Tchétchénie ou les exactions américaines en Irak.
Et l’ICG note une différence : alors que dans le monde musulman le radicalisme religieux recherche souvent la « purification religieuse des espaces locaux » ; en Occident, on trouve « une dimension anti-impérialiste dans le choix des cibles ». Les arrestations opérées en France ces dernières années montre que « ce n’est pas l’Occident licencieux qui pose problème, mais l’Occident impérialiste ».

Par ailleurs, la radicalisation n’est pas dans l’exacerbation du repli communautaire, elle se fait au contraire dans la rupture avec la communauté. Elle n’est pas liée non plus à un durcissement de la religiosité.

On l’a vu, en plus de l’identification du militant aux victimes musulmanes d’autres régions du monde, c’est « la relégation sociale (qui) est un élément clef des processus de radicalisation »
En fait, les différentes arrestations opérées depuis plusieurs années montre une conjonction de personnes vivant dans la pauvreté et de membres de classes moyennes en proie au déclassement social et professionnel. Et cela s’articule avec l’économie informelle de banlieues : délinquance, braquages, reproduction de cartes de crédits, contrefaçon de vêtements de marques. La prison est un espace stratégique de radicalisation.

Au total, selon le rapport, c’est « la cité comme espace d’expérimentation  de l’injustice sociale, de l’accentuation des processus de ségrégation, et du blocage de la revendication de reconnaissance sociale et politique des populations issues de l’immigration musulmane et des cités » qui fait problème.

Les mêmes causes sont, dit l’ICG à l’origine de « l’embrasement des banlieues » de l’automne 2005, effectué « sans acteurs religieux » et lié « à l’essoufflement de toute forme de militance ». Le retour au calme a davantage été le résultat de l’action des comités de quartier, des mobilisations du voisinage et des rondes d’assistants sociaux de la mairie et, surtout, de l’épuisement d’une révolte non encadrée que des appels au calme d’autorités musulmanes.

Le rapport parle ensuite de la révolte, de ses causes immédiates (politique d’inflation sécuritaire, affaiblissement de la police de proximité, réduction des budgets pour la médiation sociale et les associations en général)  et de ses manifestations (demande de reconnaissance sociale, choix des cibles où l’Etat est accusé dans ses manquements et les institutions de reproduction des inégalités sociales sont visées, voiture brûlée comme langage protestataire).

En définitive, le rapport estime qu’alors que « l’on craignait des tensions entre l’ordre communautaire supposé réguler les populations de culture musulmane » d’un côté et « l’individualisme républicain » de l’autre, le problème est « exactement inverse » : « les musulmans de France s’avèrent finalement bien plus individualistes que prévu. A l’inverse, il y a bien un communautarisme républicain qui s’inscrit dans la tradition française de ghettoïsation sociale et d’instrumentalisation clientéliste des élites religieuses ».

Cette thèse est soutenue de la manière suivante.

1)      Il n’y a pas de communautarisme musulman :

-  le taux de mariages mixtes, y compris chez les femmes dans la population musulmane    d’origine maghrébine, de divorces et donc de familles monoparentales est élevé

-  alors qu’il y a beaucoup de lycées catholiques et juifs, il n’existe que 2 écoles musulmanes

-  les projets individuels ou de petits groupes (mosquée de quartier, boucherie hallal, organisation de pèlerinage,…) marchent mieux que de grands projets collectifs

-   la cité fait souvent office de repoussoir et le rêve secret de beaucoup est de partir

- dans les élections politiques, les listes communautaires, sauf exception, tournent au fiasco

2)      Il y a un « communautarisme français » organisant des pratiques sociales et politiques « en dépit du dogme républicain » :

-         l’ordre social en France est, au moins en partie, « un ordre ethnique » (délit de faciès, discriminations raciales à l’embauche ou dans l’accès au logement)

-         au niveau administratif, il existe une « ethnicisation de l’espace urbain par les commissions d’attribution du logement social »

-         au niveau politique, existent des « opérations de séduction des élus et des candidats en direction des leaders communautaires dans une logique de clientélisme assez classique » ; parfois après avoir été contre l’érection de mosquées par peur d’une poussée de l’extrême droite, certains maires se lancent dans une politique volontariste en faveur de l’exercice du culte musulman « dans la perspective d’un hypothétique vote musulman

-         les consulats sont sollicités par les mairies pour résoudre des tensions inter-musulmanes. Pour certaines questions, on a fait appel à l’université d’al-Azar au détriment de structures françaises ou européennes  comme le Conseil européen de la fatwa.

L’International Crisis Group, à partir de ses analyses, propose diverses recommandations. Je les reproduis intégralement.

Au gouvernement français :

1)      Diminuer la présence coercitive de l’Etat dans les banlieues en :

a)       insistant sur la formation de la police, y compris par l’application de sanctions fortes à l’égard des abus de pouvoir, en particulier de nature raciale ; et

b)      reconstruisant des formes des médiation non autoritaire entre les autorités et la population, par exemple en redynamisant l’animation sociale et repensant la police de proximité

2)      Réduire la discrimination sociale et en particulier :

a)      revoir l’allocation de logement social en veillant au brassage ethnique ;

b)      appliquer de façon rigoureuse la loi Solidarité et renouveau urbain destinée à assurer une plus égale répartition de logements sociaux entre les différentes communes ; et

c)      mener des campagnes vigoureuses et constantes contre les discriminations raciales et ethniques

3)      Réformer les formes de représentation politique de la population musulmane, et en particulier :

a)        renoncer à l’idée que l’institutionnalisation du culte musulman puisse faire barrage à la tentation jihadiste

b)       définir clairement les attributions du Conseil français du culte musulman comme organe de gestion du culte et non comme organe représentatif des musulmans de France

c)        freiner les politiques de nature clientéliste et communautaires à tous les niveau de l’Etat ; et

d)       privilégier au niveau local et régional le dialogue avec les acteurs ls plus « autochtones » de l’islam de France, c'est-à-dire les mobilisations des jeunes nés sur le sol français ; et

e)        adopter une attitude constructive par rapport aux formes d’affirmation politique susceptibles de naître dans le prolongement du soulèvement des banlieues de 2005

4)      Dynamiser le tissu associatif, et en particulier :

a)        revenir sur les coupes sévères qui ont frappé le financement des associations depuis 2002 et ne pas délaisser les associations affichant des objectifs directement politique au profit d’associations plus socio-culturelles ;

b)        inscrire les financements dans la durée ; et

c)        mieux contrôler l’usage qui est fait de cet argent

Aux forces politiques nationales :

    

5)      Revitaliser l’implantation politique dans les banlieues précarisées en :

a)        répondant aux demandes de participation des jeunes musulmans, y voyant une forme possible de sécularisation de leur engagement militant. L’exemple des Verts[1] pourrait être suivi sur ce terrain ; et

b)       mobilisant les syndicats sur le front de la lutte contre les discriminations, particulièrement celles touchant à l’emploi et au logement.

Aux militants de l’immigration et des cités :

6)      Accroître les possibilités de mobilisation des jeunes musulmans dans les partis politiques et les associations afin de faire concurrence au salafisme et au jihadisme, ce qui suppose :

a)           de la part de l’Union des organisations islamistes de France, ouvrir ses structures militantes aux musulmans nés en France, y compris au niveau des postes dirigeants, et développer un discours en phase avec la réalité de la banlieue ; et

b)          de la part des associations héritières de la mobilisation des jeunes musulmans, se réengager dans l’action sociale, intervenir dans les quartiers, continuer de renforcer les partenariats en dehors des acteurs se référant à l’islam.

La semaine prochaine : Mes commentaires



[1] Selon le rapport, les Verts ont été le seul parti ouvert aux « jeunes issus de l’immigration musulmane ».

 

 

 

09/04/2006

ISLAM EN FRANCE: Un rapport explosif

D'abord quelques (bonnes) nouvelles du Blog:

Quand il a ete créé en decembre 2004, c'était en vue de contribuer de cette maniere au centenaire de la loi de separation des Eglises et de l'Etat de 1905, centenaire qui était l'occasion d'une débat sur la laicite. Effectivement le Blog a monté en puissance en 2005 passant de 3675 visites au premier trimestre a 17372 au quatrieme. Il etait logique de penser que, le centenaire fini, il y allait avoir une retombée. Or ce n'est nullement ce qui est arrivé puisque avec 18036 visites le Blog a fait mieux au premier trimestre 2006 qu'au dernier de 2005. Avec 7255 visites, le mois de mars a égalé le record de decembre, mois anniversaire ou plusieurs medias avaient signalé l'adresse du Blog. Et avril est tres bien parti avec 2235 visites pour les 8 premiers jours.

Cela me fait penser qu'il faut continuer. Vous allez trouver ci apres la première partie du résumé d'un tres important rapport concernant " La france face a ses musulmans". La fin de ce résumé et mes commentaires personnels seront donnés dans une semaine. D'autres Notes sont egalement prévues pour avril: une réflexion sur la France est-elle une démocratie malade?, la suite des événements de l'annee 1906 (l'apres separation), etc

Bonne visite

"La France a un probleme avec ses musulmans, mais ce n'est pas celui qu'elle croit" ainsi commence un rapport explosif de International Crisis Group, groupe d'experts internationaux ( occidentaux, en fait) de haut vol suite a une enquête dont la conclusion étonnera plus d'un (mais sans doute pas celles et ceux qui ont lu des études sociologiques sur le sujet) : en effet, selon le ICG, les musulmans en France sont beaucoup plus individualistes qu'on ne le croit, par contre il existe un "communautarisme autoritaire de la Republique".

Ce rapport n'est pas écrit par des militants pro-islamiques ni par de "naifs" (pretend on) intellectuels mais par des personnes expertes qui examinent, pour les "élites" occidentales et leurs gouvernements, les diverses tensions qui existent dans la planete et les divers moyens de les prévenir et de les limiter. Autrement dit ses auteurs n'ont aucune complaisance (c'est le moins que l'on puisse écrire) pour l'islamisme radical. Simplement  leur rapport n'est pas un produit mediatique ou l'on repete des stéréotypes qui font vendre parce qu'ils font peur, il est destiné aux décideurs. Mais votre Blog favori a décidé que vous etes tous des décideurs, et donc il va vous en donner la 'substantifique moelle'.

Le rapport commence par indiquer que la révolte des banlieues de l'automne dernier n'est nullement due a un "choc des civilisations", mais provient des discriminations socio-economiques, de la présence de l'Etat toujours plus coercitive, des campagnes politiques et médiatiques contre certains representants musulmans (le rapport note l'existence de 6 ouvrages contre Tarik Ramadan) et l'échec des diverses formes de représentation politique.

Apres avoir retracé brievement l'histoire (différente insistent les auteurs) de l'islam et des musulmans en France et note que, pour ces derniers, l'expérience de l'insertion va être bien souvent une expérience de la discrimination, le rapport en vient au présent marqué, dit-il, par "l'épuisement de l'islamisme politique". Attention, il importe de bien noter ce que, en accord avec les sciences politiques, les auteurs qualifient d'islamisme politique: il s'agit d'un activisme de groupes qui ont une vision précise du politique, une action politique pratique et sont organisés en mouvement social ou parti politique.

Le rapport remarque que les autorites francaises ont craint que cet islam politique soit un vecteur de radicalisation, or c'est exactement l'inverse qui s'est produit: les déclin de l'islam politique a favorisé d'une part la révolte des banlieues, d'autre part le jihadisme radical. Ainsi un mouvement comme l'UOIF a renoncé progressivement a une stratégie conflictuelle pour s'engager dans une stratégie de reconnaissance et émettre un discours toujours plus orienté vers les classes moyennes et éduquées.  Cette Union des Organisations Islamique des France, qui revendique de regrouper environ 250 associations a mécontenté sa base par sa modération. Les principaux reproches qui lui sont faits sont l'approche humanitaire de la question palestinienne, son profil bas face a la loi du 15 mars 2004 sur les signes ostensibles,  sa discrétion relative dans l'affaire des caricatures.

Par ailleurs, sur le plan religieux, l'UOIF évolue vers une vision plus souple du dogme, la promotion de valeurs individualistes et l'attestation religieuse de la reussite sociale. La capacité de mobilisation de l'UOIF -manifestée chaque année notamment par le grand rassemblement qu'elle organise au Bourget, est plus socio-culturelle  que politique. On va vers une prise d'autonomie de l'islam de France. La notion de "sharia des minorites" de l'imam de la mosquée de Bordeaux et celle de "foi engagée" (qui couple la foi et l'engagement citoyen, pas forcement religieux et politiquement de gauche) de Tariq Ramadan, vont dans le meme sens.

Divers mouvements, et notamment l'UJM (l'Union des Jeunes Musulmans, proche de T. Ramadan) occupent une position médiane entre l'intégration forcée et exclusion; ils cherchent a defendre le cadre islamique tout en respectant le cadre republicain.  Des sources européennes de l'islam sont egalement recherchées. Mais, note le rappport, au même moment commence la guerre civile en Algerie, le FIS (Front Islamique du Salut) cherche a s'implanter en France et cela sème la confusion. Par ailleurs, un acces de fixation s'effectue sur le port du foulard et, en France (contrairement a tous les autres pays démocratiques ajouterai-je) le port du foulard va se trouver automatiquement lié par l'ideologie dominante à un radicalisme islamique.

Bref, la revendication d'islam étant de plus en plus lourde a porter socialement, inversement des mosquées et salles de prières finissant peu à peu par se créer, cet islam politique s'essoufle (je dirai aussi qu'il apparait entre 2 chaises, puisque les medias font comme s'il s'agissait d'un mouvement extremiste alors que ce n'est pas du tout le cas, et au contraire des jeunes ont l'impression d'etre "trahis" par des militants trop 'moderes', alors que la culture mediatique ne pousse ni a l'accommodement ni a la patience).

Il se produit donc une nouvelle sécularisation de la militance (la premiere etait celle de la "Marche des beurs pour l'egalite", en 1983 et le mouvement Beur important pendant les annees 1980) ou des mouvements proposent une claire division du travail dans la lignée d'une separation entre religion et politique. Le rapport cite notamment l'Aube, proche de l'UJM qui, depuis 2001 se concentre sur des programmes sociaux et les Indigènes de la république qui dénoncent les formes resurgentes de gestion coloniale des populations des citées.

Ce rapport indique aussi que l'épuisement de l'islamisme politique coincide avec la montée du salafisme ou il existe une "attente messianique" (on qualifie ainsi l'attente d'une régénération a la fin des temps). Ce salafisme existe sous deux formes  différentes, d'abord le salafisme shaykhiste et ensuite le jihadisme.

Le salafisme shaykhiste prone une vision apolitique et non violente de l'islam, fondée sur la volonte d'aligner sa vie sur les fatwas de savants saoudiens. Il n'a pas, dans ce mouvement fondamentaliste, de contestation de l'autorité politique car on craind l'anarchie. la solution proposée est la "hijra" (en reference a la démarche adoptée par le prophete Muhammad lui même), porte de sortie theologique, voire politique dans certains cas, a multiples usages. On peut, pense-t-on, régler la question palestienne par une hijra vers les pays du Golf; régler le probleme des discriminations en France par une hijra vers les pays musulmans,  régler l'autoritarisme de pays musulmans par une hijra vers des sociétés occidentales non répressives.

Le rêve de la hijra se realise rarement, faute de moyens notamment, mais il place le musulman, et notamment le jeune, dans une position attentiste, avec le mythe d'appartenir a la "communautee sauvée". Il s'en suit, non une contestation radicale mais une dépolitisation, l'etouffement des engagements civiques et citoyens, voire professionnels et scolaires et une érosion du rapport aux institutions.

C'est avec le Tabligh, seul courant islamiste d'apres nos auteurs a avoir encore une action significative en France dans les banlieues, que la rivalité est la plus forte.

La suite la semaine prochaine...

12/12/2005

LA COMMEMORATION CONTINUE

EN 2006, DE NOUVEAUX IMPENSES, CETTE FOIS SUR LA SOCIETE FRANCAISE

La commémoration continue : brièvement, pour ce qui me concerne, vous pouvez lire le chat sur le site du Monde (n° daté du 13 décembre), je serai à Poitiers (Espace Mendès France) mercredi 14 matin, à l’Assemblée nationale à une table ronde à 16 h l’après midi, en colloque à Carcassonne le vendredi 16 et à Bruxelles, pour un autre colloque, organisé par l’ULB, le samedi 17. Article es également à paraître dans l’International Herold Tribune et dans L’Hebdo des socialistes.

Mais surtout il faut penser à la suite : deux choses importantes

-         pour toutes celles et ceux qui pensent que la laïcité n’est pas que française et que certaines façons d’en parler relèvent plus du ‘national universalisme’ que de la laïcité, la Déclaration Internationale sur la laïcité (cliquer sur la catégorie : Monde et laïcité pour pouvoir la lire) peut être signée par tous (pour le moment environ 250 universitaires de 32 pays et une cinquantaine de responsables associatifs). Des versions en anglais, arabe, espagnol, vietnamien existent. Une version en néerlandais est envisagée.

-         Les Impensés du Centenaire vont se poursuivre jusqu’à fin décembre (le prochain : mercredi soir 14). En 2006, dès janvier, vous allez bénéficier en première mondiale, du nouveau feuilleton : Les Impensés II, Le retour. Il s’agit, à partir du levier de la laïcité (comprise au sens large), d’effectuer une critique de la société française. Une critique inédite. En effet, chères blogeuses et chers blogeurs, ne le répéter pas mais je viens d’inventer une machine à traverser le temps. J’ai ainsi rencontré un historien travaillant, en 2106, sur la société française de 2006. Et je me suis glissé dans son bureau pour lire l’ouvrage qu’il est en train de rédiger sur ce sujet. Vous verrez, c’est stupéfiant ! Avant de revenir dans notre temps à nous, je lui ai piqué son manuscrit et je vais vous en faire bénéficier.
En attendant, je vous livre l’interview publiée par le quotidien Les Echos (vendredi 9 décembre). On y trouve, en résumé synthétique et très lisible, beaucoup des thèmes que j’ai déjà livrés dans ce blog, mais de façon plus compliquée. Les deux journalistes (Carine Fouteau et Françoise Fressoz) m’ont fait parler pendant un peu plus de deux heures et en effectué, ensuite, un remarquable travail de mise en forme.
Voici cette interview  (en vous priant de m'excusez sur les tailles des caractères que je n'arrive pas à maîtriser!):

On célèbre aujourd’hui le centenaire de la loi de 1905 portant séparation des églises et de l’Etat. Mais l’histoire de la laïcité en France a commencé en réalité bien plus tôt….

Tout a commencé avec la Révolution française, pourrait- on dire pour simplifier mais ce ne serait pas complètement exact. Car il ne faut pas négliger, avant la Révolution, l’influence du gallicanisme, la prétention qu’a le roi de France de jouer un rôle important dans la Chrétienté et d’être en France, le chef temporel de l’Eglise. C’est cette tradition qui débouchera en 1790 sur la Constitution civile du clergé : les Constituants organisent  les diocèses et les paroisses à la manière de circonscriptions administratives. Ils font élire le clergé. Ils refont l’Eglise à l’image de l’Etat.

Qu’apporte, concrètement, la Révolution française ?

Elle apporte les principes de la laïcité mais elle est en même temps incapable de les faire appliquer. Le premier de ces principes  c’est la liberté de conscience. L’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme indique : “ nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses ”, à condition que “ leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ”. Le problème, c’est que l’ordre public révolutionnaire ne sera pas un ordre public démocratique. La religion et l’opposition à la Révolution sont trop intimement liées. Lorsque Bonaparte arrive au pouvoir, les  catholiques pratiquants sont  suspects de terrorisme. 

L’autre grand principe laïque c’est l’article 3 de la Déclaration des droits de l’homme qui dit que “ la souveraineté vient de la Nation ”, alors qu’auparavant elle provenait de Dieu.

C’est, pour l’époque, une très grosse rupture.

Oui et une rupture tellement importante que la Révolution ne réussira pas en réalité à couper le cordon ombilical entre le politique et le religieux. Elle tentera, avec la Constitution civile du clergé, une sorte de nationalisation de l’Eglise catholique afin que celle- ci puisse attester la Révolution. Lorsque cette tentative échouera, elle essayera  de s’auto-légitimer religieusement avec le calendrier et les cultes révolutionnaires. Mais là encore ce sera l’échec : on ne crée pas une religion par décret.

C’est en fait Napoléon qui réussit à instaurer ce que vous appelez le premier seuil de laïcisation …

Sur les principes, Napoléon est en retrait par rapport à la Révolution mais dans les faits c’est lui qui parvient à faire vivre, pour la première fois, en France ce qu’on pourrait appeler, avec Aristide Briand une « semi laïcité ». L’Etat ne dépend plus du religieux. Napoléon le symbolise bien : il veut être sacré par le pape mais c’est lui même qui se coiffe de la couronne. La loi reste laïcisée puisque le Code civil, élaboré entre 1800 et 1804, ne comporte  aucune norme religieuse. Le pluralisme des cultes est garanti  – sauf cas d’instabilité politique_  mais  la légitimité sociale de la religion est reconnue : elle est  source de la morale qui permet le vivre ensemble. Elle exerce, à ce titre, une mission de service public,  sous la protection et la surveillance  de l’Etat.
Comment ces principes fonctionnent- ils dans la société?

Au XIXème siècle, les  Français, dans leur majorité ne sont ni des catholiques à 100% ni des athées convaincus. Ils veulent pouvoir avoir l’Eglise catholique à leur disposition quand ça leur plait et ne pas trop lui obéir pour autant. Dans ce rapport ambivalent, la femme maintient  la proximité et  l’homme la distance. Ce partage des rôles familiaux explique en partie pourquoi le droit de vote des femmes a été si tardif en France. Entre les deux guerres, le Sénat, contrôlé par le parti radical, le leur  a toujours refusé parce qu’il pensait qu’elles étaient sous « influence cléricale ».

A partir de Napoléon, la médecine et, dans une moindre mesure l’éducation commencent  à s’émanciper de la religion. Pourquoi ?

C’est une évolution fondamentale, dictée par des raisons politiques : à  partir du moment où ils ne pouvaient  plus se légitimer par la religion, les régimes politique qui se sont réclamé de 1789  ont tous cherché  à le faire par l’idéologie des Lumières, c’est-à-dire par le progrès de la science et de la raison .Il fallait que cela se traduise, pour le Français moyen, par des avancées en terme de savoir et de santé. La médecine et l’école sont devenues des instances de légitimation  politique fortes. Napoléon a commencé par créer des lycées publics parce c’est la formation des élites qui l’intéressait. Mais progressivement, l’école primaire a, elle aussi, cherché à s’émanciper du religieux : la  loi Guizot de 1833 crée l’instituteur et lui assure une certaine condition sociale. La loi Falloux de 1850, même si elle est  considérée comme cléricale, améliore la condition de l’instituteur et oblige les communes à entretenir une école de fille. 

Quel rapport l’école primaire laïque entretient- elle avec la religion ?

Les cours d’histoire, de mathématiques sont de la responsabilité de l’instituteur laïque. Mais ce qui reste au cœur de l’école, c’est l’enseignement de la morale religieuse. C’est un héritage de  Napoléon et de Portalis qui pensaient  que la religion, avec le désir du paradis et la crainte de l’enfer, était un bon éducateur moral : elle aidait à supporter les douleurs de la vie et les inégalités sociales. Cette légitimité morale donnée à la religion, a été constamment battue en brèche au XIXème siècle par le camp laïque et l’extrême gauche qui la jugeait totalement réactionnaire.

Constate-t-on,  à l’époque, les mêmes tensions dans le reste de  l’Europe ?

Non. Si l’ on prend la Grande- Bretagne, par exemple, l’équilibre entre la sécularité et le religieux a été beaucoup plus facilement assuré sans doute parce que l’anglicanisme a toujours été une religion plus libérale que le catholicisme. Un exemple : là  bas, c’est un fils de pasteur qui a inventé le procédé de l’accouchement sans douleur. Il  connaissait  l’hébreu  et il a pu réinterpréter la fameuse phrase “ tu accoucheras dans la douleur ” par “tu accoucheras avec effort ” car le mot hébreu a les deux sens. Des pasteurs ont évidemment protesté mais la bataille a été gagnée lorsque la reine Victoria, chef temporelle de l’Eglise anglicane, a accouché sans douleur en 1853.

Dans la “ guerre des deux France ” qui a agité tout le XIXème siècle, qui étaient les principaux acteurs ?

Il y avait d’un côté une minorité de catholiques, les intégralistes qui voulaient que le catholicisme englobe tous les aspects de leur vie. Le pape les a soutenus à partir de l’échec des révolutions de 1848 parce qu’il craignait que le trouble s’installe dan ses propres Etats. Il y avait, de l’autre côté, une minorité de militants libre penseurs qui se sont radicalisés lorsqu’ils ont vu Napoléon III qui se réclamait  du drapeau tricolore, faire alliance avec l’Eglise catholique.  Cela  les a profondément heurtés. Cette querelle des deux France s’est ensuite exacerbée au moment de l’affaire Dreyfus, traduisant à mon avis  une querelle sur l’identité nationale. La France est-elle fille aînée de l’Eglise? Est - elle fille de la Révolution ? La plupart des Français se situaient entre les deux. Mais le conflit s’est tellement radicalisé qu’ils ont été  sommés de choisir leur camp. Et pendant un temps assez court mais très dense, de 1899 à 1904, la République  s’est sentie tellement menacée qu’elle a été tentée par une laïcité intégrale, sans concession.  Mais plus le gouvernement prenait des mesures anti-cléricales, plus il suscitait des troubles en retour. Il fallait sortir de ce cercle vicieux
On en arrive à cette fameuse loi de 1905  qui débouche sur ce que vous appelez le second seuil de laïcisation, c'est-à-dire la laïcité.

Cette loi doit beaucoup au rapporteur de la commission Aristide Briand, qui est parvenu à se dégager du climat passionnel de l’époque pour synthétiser les attentes de la société. Ce franc-tireur génial a compris que la population française, encore à majorité paysanne, voulait plus de liberté sans pour autant renoncer aux secours de la religion. Il a su trouver le juste équilibre en se dégageant des pressions de tous bords. Cette loi est un pacte laïque. Elle rompt le lien concordataire avec Rome, ce qui est une vraie révolution. Mais elle  met en même temps un terme au contrôle que l’Etat exerçait sur les Eglises _ elles seront  plus libres après la loi de 1905 qu’avant _. Et  elle débouche sur une séparation implicite de la libre pensée et de l’Etat.

Qu’est-ce qui, concrètement, change ?

L’institution religieuse s’est retrouvée privatisée au sens socio-économique du terme. De service public, comme La Poste, les Eglises sont devenues des services privés, ce qui ne les a évidemment pas empêchés de s’exprimer dans l’espace public. Au contraire ! La religion est devenue un choix privé, concurrent de la libre pensée. Et comme la libre pensée était très liée à l’Etat, c’est plutôt elle qui a accusé le coup de la nouvelle configuration. Sur le papier, le changement était plutôt brutal mais le mouvement s’est en réalité opéré en douceur :  les Eglises ont perdu le budget de l’Etat, mais elles ont continué à  bénéficier d’avantages en terme de terrains et de réparations. Les curés  ont été “ licenciés ”, mais le “ plan social ” s’est étendu sur huit ans.

La loi de 1905 a été une loi d’apaisement au sens où pendant des années, le compromis a tenu. On a quand même vu ressurgir la querelle scolaire en 1984  et en 1994

En 1984  l’idée de Pierre Mauroy et de son ministre Alain Savary  était de promouvoir, derrière ce qu’ils appelaient le grand service public de l’éducation, une école de la diversité. Ils considéraient, à juste titre,  que ce qui menace l’école aujourd’hui n’est plus le catholicisme mais l’uniformité massificatrice. Dans leur projet, certains établissements pouvaient enseigner des langues régionales, comporter une référence à des valeurs religieuses… Les laïques purs et durs ont très mal réagi entraînant une forte riposte des défenseurs du privé. La réforme avortée a coûté son poste à Pierre Mauroy. En 1994 François Bayrou  voulait, lui, assurer l’égalité de traitement entre l’enseignement laïque et catholique.  Il a  du à son  tour reculer en raison de l’ampleur des manifestations. Tant que la France restera dans un modèle d’enseignement dualiste et non pluraliste, les lignes auront du mal à bouger.
En 1989, on a vu apparaître les premières tensions liées au  port du voile islamique à l’école. La laïcité a été bousculée par la mise en lumière d’une religion avec qui elle n’avait pas l’habitude de traiter.

C’est vrai mais il faut rappeler qu’il y a un siècle, l’islam avait meilleure réputation auprès des laïques que le catholicisme. De par sa sobriété dogmatique, cette religion leur apparaissait moins plus proche du « spiritualisme républicain ». Malgré cela, la loi de 1905 n’a pas été appliquée en Algérie. Les musulmans ont eu le statut de « nationaux mais pas de  citoyen français. Cela fait partie du passif. 

Le port du voile a heurté parce qu’il traduit une revendication identitaire forte qui s’inscrit dans une nouvelle étape de la laïcité, un troisième seuil moins assuré que le second. Le tournant s’est opéré en  mai 1968, lorsque les institutions et les pouvoirs de toute nature ont été contestés. La politique, mais aussi la médecine et l’école, ont perdu de leur sacralité. La société est aujourd’hui en quête de sens et elle navigue entre deux écueils : exclure les religions de la sphère publique, au risque de l’aseptiser et de favoriser, par choc en retour, les intégrismes. Ou  au contraire déléguer aux seules religions les problèmes de sens.

Vous n’étiez pas favorable à la loi interdisant le port du voile à l’école. Pourquoi ?

Le débat rappelle ce qui s’était passé en 1905 à propos du port de la soutane.A l’époque certains laïques voulaient  qu’il soit interdit en ville en le voyant comme un signe de soumission au cléricalisme. Briand a répondu que la  laïcité ne consistait pas à interdire la soutane mais à considérer qu’elle était un vêtement comme un autre, pouvant être porté par tous ceux qui le souhaitaient. Je me suis abstenu car je pense, comme l’avait déclaré le Conseil d’Etat, qu’il faut réprimer des comportements agressifs et pas un port discret du foulard. Les musulmans, comme les catholiques, les protestants, les juifs, etc. n’ont pas à choisir entre l’attachement à la République et leur pratique religieuse. Les immigrations précédentes, espagnoles et portugaises, elles aussi mal vues en leur temps, sont souvent passées par des instances de socialisation telles que la religion (le catholicisme) ou la politique (le communisme stalinien). L’intégration ne s’est pas toujours faite dans la pure ligne républicaine. Elle a pu se faire au travers d’instances alors contestataires.  Il faut savoir l’admettre.

La laïcité est-elle aujourd’hui menacée ?

Je ne le pense pas. Le seul danger qui la guette est d’être trop dure, trop rigide.  Elle ne doit pas se laisser  manipuler par ni par ceux qui, à droite sont en fait anti-musulmans, ni par ceux qui, à gauche cherchent à se fabriquer une crédibilité en étant des laïques arque boutés.