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17/04/2006

ISLAM EN FRANCE II La suite d'un rapport explosif

LA FRANCE FACE A SES MUSULMANS (suite et fin)

La semaine dernière, j’ai commencé à vous résumer un rapport très important effectué par l’International Crisis Group, organisation non gouvernementale de haut niveau effectuant des « analyse de terrain » dans un "but de prévention et de résolution des conflits". Ces rapports analytiques, qui se veulent rigoureux, sont « destinés aux décideurs internationaux ». Vous trouverez cette première partie à la suite de la présente Note.

Nous avons vu, dans cette Ière partie, l’historique que fait l’ICG du passé récent de la présence des musulmans en France, de l’échec de « l’islam politique » et de nouvelles formes de revendications sécularisées. Mais montent aussi, dans les banlieues, deux formes différentes de salafisme.

La première, est le salafisme shaykhiste, fondamentaliste et apolitique qui prône la « hijra » et rivalise avec le Tablîgh,  courant piétiste (également implanté dans les banlieues, mais lui depuis plus longtemps) dont « l’austérité est trop contradictoire par rapports aux valeurs consuméristes qui dominent dans les quartiers »

D’anciens membres du Tablîgh passent au salafisme dans une logique de bande (le groupe, les amis du quartier). La bande est repensée comme un réseau de « purs » et le salafisme shaykhiste se situe à la fois dans la globalisation, par son usage d’Internet et ses contacts avec des prédicateurs saoudiens et dans le réseau local (la bande) en s’intéressant peu au national. Par ailleurs, alors que le Tablîgh s’intégrait à l’ordre familial, le salafisme le perturbe car, prônant la rupture avec ce qui n’est pas musulman, il peut inverser les lignes traditionnelles de l’autorité et faire que des femmes s’affirment contre des hommes,des cadets contre les aînés, etc. C’est l’islam des jeunes contre l’islam des familles. C’est également un islam adapté à une population individualisée.

Ces derniers temps, il se produit une certaine banalisation de cette forme d’islam : la petite bourgeoisie salafiste ayant réussie dans le petit commerce, le salafisme d’autodidactes convertis à la lecture individuelle par les écrits salafistes, tout cela implique un minimum d’ascension sociale ou socio-culturelle qui aboutit à « quelque peu altérer la sévérité du dogme ». Bref il se produit une renonciation de fait à la hijra et, visant un avenir en France, le mouvement shaykhiste, devient « plus pragmatique et prêt au compromis avec la société d’accueil ».

Ainsi dans une « Lettre aux musulmans de France » (2004), Mahdy Ihn Salah  plaide pour une réforme où le groupe des sauvés s’élargit. La figure du jeune musulman orthodoxe urbain s’inscrit dans une trajectoire professionnelle ascendante, s’investissant dans une « religiosité de repli » sur l’individu ou la bande.

Au total, bien intégré à la culture des banlieues qu’il ne conteste pas mais encadre par des normes islamiques (cf. le « McHalal »), le salafisme ne s’oppose pas à la l’américanisation et le port conjoint de la gandoura et des Nike n’a rien de contradictoire dans sa logique. La micro-économie salafiste fonctionne également dans la culture de masse. Ainsi en ne s’opposant pas au consumérisme, en s’inscrivant dans une sorte de fatalisme, en prônant la rupture avec les institutions, en valorisant la richesse, ce mouvement offre « une sorte d’éthique islamique parfaitement en phase avec la réalité sociale des banlieues : précarité, flexibilité, dévalorisation des diplômes, vision à court terme de l’existence, forte consommation, le tout sur un fond de défiance envers tout ce qui relève de l’administration et de l’Etat ».

Et quand il réalise la hijra, le salafiste le fait si possible vers des pays musulmans à forte croissance comme la Malaisie ou les Emirats et Dubaï. Là « le rêve américain rejoint le rêve arabe ».

Mais ce salafisme là ne prenant plus en charge certaines demandes, que l’islamisme politique d'autre part ne s’avère plus capable de canaliser, ces demandes ont tendances, alors, à s’affirmer « par le radicalisme jihadiste ou la révolte de banlieue »

 

Selon l’ICG, s’il n’y a plus d’action spectaculaire depuis les attentats de 1995 et 1996, « l’activisme violent à référence islamique est bien présent dans le sol français ». Ce qui a changé, depuis les années 1980 et 1990, c’est ,d’une part, que l’action n’est plus liée à une cause territorialisée (Liban, Algérie) mais « à un djihad global » et que le combat ne vise plus l’établissement d’un Etat islamique dans un pays donné mais « une confrontation plus large avec les ennemis d’une communauté musulmane résolument transnationale »

Par ailleurs, « la radicalisation est une expérience avant tout politique ». Elle « peut trouver une formalisation théologique », mais le plus souvent a posteriori. Le basculement vers l’action violente, selon le rapport, provient de la conjonction de deux facteurs :

-         d’une part le contact d’expérience d’injustice ou de violence

-         d’autre part les cassettes de propagande mettant en scène l’oppression en Palestine, Bosnie, Tchétchénie ou les exactions américaines en Irak.
Et l’ICG note une différence : alors que dans le monde musulman le radicalisme religieux recherche souvent la « purification religieuse des espaces locaux » ; en Occident, on trouve « une dimension anti-impérialiste dans le choix des cibles ». Les arrestations opérées en France ces dernières années montre que « ce n’est pas l’Occident licencieux qui pose problème, mais l’Occident impérialiste ».

Par ailleurs, la radicalisation n’est pas dans l’exacerbation du repli communautaire, elle se fait au contraire dans la rupture avec la communauté. Elle n’est pas liée non plus à un durcissement de la religiosité.

On l’a vu, en plus de l’identification du militant aux victimes musulmanes d’autres régions du monde, c’est « la relégation sociale (qui) est un élément clef des processus de radicalisation »
En fait, les différentes arrestations opérées depuis plusieurs années montre une conjonction de personnes vivant dans la pauvreté et de membres de classes moyennes en proie au déclassement social et professionnel. Et cela s’articule avec l’économie informelle de banlieues : délinquance, braquages, reproduction de cartes de crédits, contrefaçon de vêtements de marques. La prison est un espace stratégique de radicalisation.

Au total, selon le rapport, c’est « la cité comme espace d’expérimentation  de l’injustice sociale, de l’accentuation des processus de ségrégation, et du blocage de la revendication de reconnaissance sociale et politique des populations issues de l’immigration musulmane et des cités » qui fait problème.

Les mêmes causes sont, dit l’ICG à l’origine de « l’embrasement des banlieues » de l’automne 2005, effectué « sans acteurs religieux » et lié « à l’essoufflement de toute forme de militance ». Le retour au calme a davantage été le résultat de l’action des comités de quartier, des mobilisations du voisinage et des rondes d’assistants sociaux de la mairie et, surtout, de l’épuisement d’une révolte non encadrée que des appels au calme d’autorités musulmanes.

Le rapport parle ensuite de la révolte, de ses causes immédiates (politique d’inflation sécuritaire, affaiblissement de la police de proximité, réduction des budgets pour la médiation sociale et les associations en général)  et de ses manifestations (demande de reconnaissance sociale, choix des cibles où l’Etat est accusé dans ses manquements et les institutions de reproduction des inégalités sociales sont visées, voiture brûlée comme langage protestataire).

En définitive, le rapport estime qu’alors que « l’on craignait des tensions entre l’ordre communautaire supposé réguler les populations de culture musulmane » d’un côté et « l’individualisme républicain » de l’autre, le problème est « exactement inverse » : « les musulmans de France s’avèrent finalement bien plus individualistes que prévu. A l’inverse, il y a bien un communautarisme républicain qui s’inscrit dans la tradition française de ghettoïsation sociale et d’instrumentalisation clientéliste des élites religieuses ».

Cette thèse est soutenue de la manière suivante.

1)      Il n’y a pas de communautarisme musulman :

-  le taux de mariages mixtes, y compris chez les femmes dans la population musulmane    d’origine maghrébine, de divorces et donc de familles monoparentales est élevé

-  alors qu’il y a beaucoup de lycées catholiques et juifs, il n’existe que 2 écoles musulmanes

-  les projets individuels ou de petits groupes (mosquée de quartier, boucherie hallal, organisation de pèlerinage,…) marchent mieux que de grands projets collectifs

-   la cité fait souvent office de repoussoir et le rêve secret de beaucoup est de partir

- dans les élections politiques, les listes communautaires, sauf exception, tournent au fiasco

2)      Il y a un « communautarisme français » organisant des pratiques sociales et politiques « en dépit du dogme républicain » :

-         l’ordre social en France est, au moins en partie, « un ordre ethnique » (délit de faciès, discriminations raciales à l’embauche ou dans l’accès au logement)

-         au niveau administratif, il existe une « ethnicisation de l’espace urbain par les commissions d’attribution du logement social »

-         au niveau politique, existent des « opérations de séduction des élus et des candidats en direction des leaders communautaires dans une logique de clientélisme assez classique » ; parfois après avoir été contre l’érection de mosquées par peur d’une poussée de l’extrême droite, certains maires se lancent dans une politique volontariste en faveur de l’exercice du culte musulman « dans la perspective d’un hypothétique vote musulman

-         les consulats sont sollicités par les mairies pour résoudre des tensions inter-musulmanes. Pour certaines questions, on a fait appel à l’université d’al-Azar au détriment de structures françaises ou européennes  comme le Conseil européen de la fatwa.

L’International Crisis Group, à partir de ses analyses, propose diverses recommandations. Je les reproduis intégralement.

Au gouvernement français :

1)      Diminuer la présence coercitive de l’Etat dans les banlieues en :

a)       insistant sur la formation de la police, y compris par l’application de sanctions fortes à l’égard des abus de pouvoir, en particulier de nature raciale ; et

b)      reconstruisant des formes des médiation non autoritaire entre les autorités et la population, par exemple en redynamisant l’animation sociale et repensant la police de proximité

2)      Réduire la discrimination sociale et en particulier :

a)      revoir l’allocation de logement social en veillant au brassage ethnique ;

b)      appliquer de façon rigoureuse la loi Solidarité et renouveau urbain destinée à assurer une plus égale répartition de logements sociaux entre les différentes communes ; et

c)      mener des campagnes vigoureuses et constantes contre les discriminations raciales et ethniques

3)      Réformer les formes de représentation politique de la population musulmane, et en particulier :

a)        renoncer à l’idée que l’institutionnalisation du culte musulman puisse faire barrage à la tentation jihadiste

b)       définir clairement les attributions du Conseil français du culte musulman comme organe de gestion du culte et non comme organe représentatif des musulmans de France

c)        freiner les politiques de nature clientéliste et communautaires à tous les niveau de l’Etat ; et

d)       privilégier au niveau local et régional le dialogue avec les acteurs ls plus « autochtones » de l’islam de France, c'est-à-dire les mobilisations des jeunes nés sur le sol français ; et

e)        adopter une attitude constructive par rapport aux formes d’affirmation politique susceptibles de naître dans le prolongement du soulèvement des banlieues de 2005

4)      Dynamiser le tissu associatif, et en particulier :

a)        revenir sur les coupes sévères qui ont frappé le financement des associations depuis 2002 et ne pas délaisser les associations affichant des objectifs directement politique au profit d’associations plus socio-culturelles ;

b)        inscrire les financements dans la durée ; et

c)        mieux contrôler l’usage qui est fait de cet argent

Aux forces politiques nationales :

    

5)      Revitaliser l’implantation politique dans les banlieues précarisées en :

a)        répondant aux demandes de participation des jeunes musulmans, y voyant une forme possible de sécularisation de leur engagement militant. L’exemple des Verts[1] pourrait être suivi sur ce terrain ; et

b)       mobilisant les syndicats sur le front de la lutte contre les discriminations, particulièrement celles touchant à l’emploi et au logement.

Aux militants de l’immigration et des cités :

6)      Accroître les possibilités de mobilisation des jeunes musulmans dans les partis politiques et les associations afin de faire concurrence au salafisme et au jihadisme, ce qui suppose :

a)           de la part de l’Union des organisations islamistes de France, ouvrir ses structures militantes aux musulmans nés en France, y compris au niveau des postes dirigeants, et développer un discours en phase avec la réalité de la banlieue ; et

b)          de la part des associations héritières de la mobilisation des jeunes musulmans, se réengager dans l’action sociale, intervenir dans les quartiers, continuer de renforcer les partenariats en dehors des acteurs se référant à l’islam.

La semaine prochaine : Mes commentaires



[1] Selon le rapport, les Verts ont été le seul parti ouvert aux « jeunes issus de l’immigration musulmane ».

 

 

 

Commentaires

Merci d'avoir résumé et commenté ce rapport, effectivement très important car il tord le cou à nombre d'idées reçues que l'on entend si souvent !

Écrit par : Achtungseb | 18/04/2006

nice blog, interesting themes.

Écrit par : Michele | 25/04/2006

Les commentaires sont fermés.