Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

07/09/2006

CE QU'IMPLIQUE LA LAÏCITE

Quelques propositions de clarification

Sur ce qu’implique ou n’implique pas la laïcité

1)      Ne pas confondre « religion civile » et laïcité,  « tolérance doctrinale » et « tolérance civile ».

2)      Ne pas confondre sphère institutionnelle et sphère publique, vie sociale

3)      Ne pas confondre le civil et le religieux dans les institutions

4)      Sortir de l’alternative « individualisme abstrait » - « communautarisme »

5)      Etre dans la dialectique règles communes – valeurs partagées

6)      Inclure l’aire arabo-musulmane dans notre vision de« l’Occident ».

 

Ne pas confondre « religion civile » et laïcité,  « tolérance doctrinale » et « tolérance civile ».  

Les sociologues (Bellah, Coleman, etc) ont défini la religion civile comme un ensemble de croyances, symboles et rites relatifs aux choses sacrées,  institutionnalisés au sein d’une société  et qui dérobent au débat les fondements ultimes de l’ordre social. L’un d’entre eux, Willaime, insiste sur la conjugaison, dans la religion civile, d’une dimension de religion civique, de « dévotion à l’unité du corps social » et de religion commune, « ensemble diffus des croyances, représentations et évaluations qui définit l’univers philosophico-religieux et éthique d’une population ». On sait que cette notion de « religion civile » provient de Jean-Jacques Rousseau (fin du Contrat social) qui insiste sur la « nécessité pour l’Etat » que « chaque citoyen ait une religion qui lui fasse aimer ses devoirs » et indique que les « dogmes » de la religion civile se rapportent à la morale sociale. Pour Rousseau, il existe un lien entre l’intolérance doctrinale (c'est-à-dire la croyance que sa religion est la seule vraie, seule apporte le salut et donc l’attachement aux dogmes et prescriptions de cette religion) et l’intolérance civile c'est-à-dire le non respect de l’autre et de ses convictions propres. D’où cette phrase qui porte en germe le conflit politico-religieux qui va exister lors de la Révolution française : « quiconque ose dire : hors de l’Eglise pas de salut doit être chassé de l’Etat. » Au contraire, la laïcité telle qu’elle s’est réalisée en France (par exemple) avec la loi de séparation de 1905, postule, contrairement à Rousseau, qu’ « il n’est pas impossible de vivre en paix avec des gens que l’on croit damnés » ; elle renonce (par l’article 4, notamment) à favoriser un « catholicisme républicain » et « respecte » (terme utilisés à de nombreuses reprises dans les débats) l’Eglise catholique telle qu’elle était alors dans ses dogmes (d’avant Vatican II) et son organisation (que catholiques et républicains considéraient comme « monarchique »)[1]. On n’évite pas la ‘tentation’ de la religion civile quant on demande aux religions de s’acclimater aux valeurs dominantes d’une société donnée, à un moment donné de son histoire. Mais alors, on s’éloigne alors de la laïcité qui implique une séparation et une autonomie réciproques. Un exemple permettra de concrétiser cela : une religion a parfaitement le droit de dire que l’avortement est un « meurtre » et l’homosexualité un « péché » (non tolérance doctrinale). Elle n’a pas le droit, par contre, d’inciter ses membres à aller troubler les cliniques où se pratiquent des interruptions volontaires de grossesse et de tenir des propos homophobes (tolérance civile). Seule cette tolérance civile, gage de la liberté de chacun et du vivre-ensemble pacifique de tous, est imposée socialement par la laïcité.

Ne pas confondre sphère institutionnelle et sphère publique, vie sociale.

On dit que la laïcité réduit la religion à la sphère privée. C’est un peu plus compliqué ! Historiquement, il est exact que la construction de la laïcité s’est inscrite dans la distinction opérée par des penseurs comme John Locke entre sphère publique, neutre à l’égard des croyances et sphère privée où chacun devait être libre en matière de croyance. Locke est le penseur du « gouvernement limité » contre tout absolutisme d’Etat (monarchie absolue, république absolue,…) et l’idée de sphère privée libre signifiait donc la fin d’un système où l’Etat imposait une religion à ses citoyens.

Depuis lors, la situation a changé et (par exemple) la notion de « société civile » complète celle d’Etat et d’individu. Les obligations imposées par l’Etat ne se confondent plus avec la sphère publique. Il s’agit d’obligations juridiques (respect des lois), administratives, et souvent scolaires (obligations de l’instruction), médicales (aspects obligatoire de certaines vaccinations, etc),… Cet ensemble peut-être qualifié de sphère institutionnelle. La laïcité signifie que la religion n’est pas imposée par l’Etat (ou ne s’impose pas à l’Etat) et ne se situe pas dans son prolongement institutionnel. Par contre, les religions peuvent participer à la vie publique, et au niveau de leurs déclarations et au niveau de leur action (notamment caritative et sociale), à condition que ces déclarations et actions s’effectuent de façon respectueuse de la liberté de chacun (différence nécessaire entre l’action caritative et l’action de conversion, par exemple). La laïcité ne rejette donc pas les religions hors de la vie publique.

Ne pas confondre le civil et le religieux dans les institutions ; Cela signifie-t-il, alors, la neutralisation de la religion dans les institutions ? La encore, le simplisme ne doit pas amener une réponse univoque. Une neutralisation est nécessaire à l’égard de tout prosélytisme : les prétoires, les lieux administratifs, les écoles, les hôpitaux ne sont pas les endroits où les diverses religions vont avoir une action prosélytes. Il y a bien « neutralisation » de la sphère institutionnelle en ce sens là. Par impératif d’ « ordre public », de « paix civile » Mais quand Jules Ferry a laïcisé l’école publique en France, il a exigé qu’elle s’arrête un jour par semaine, outre le dimanche, pour faciliter la tenue du catéchisme. Cela signifie que les institutions doivent tenir compte les impératifs de la liberté de conscience. Les institutions ne sont donc pas neutres par rapport à la liberté de conscience qu’elles doivent garantir  A ce niveau, elles tiennent comptent, dans une certaine mesure, de ce qu’implique la liberté religieuse. En fait, comme les institutions constituent ; un lieu de contact entre l’Etat-nation (avec les contraintes du vivre ensemble) et de l’individu (avec le droit à la liberté) ; elles constitue un espace où doivent s’élaborer des solutions qui tiennent compte et du vivre-ensemble et de la liberté de chacun.[2] C’est pourquoi les institutions qui, sans même y réfléchir, tiennent comptent des croyances majoritaires (cf. le calendrier scolaire et social en France et les fêtes catholiques) ne peuvent ni ne doivent être dans la logique du tout ou rien par rapport aux croyances minoritaires. Le « tout » ne tiendrait compte que de la liberté de chacun ; le « rien » que des exigences du vivre ensemble. Il faut arriver à conjuguer les deux parce que les Québécois appellent des « accommodements raisonnables ».

Sortir de l’alternative : « individualisme abstrait » ou « communautarisme ».

La laïcité est souvent confondue avec l’individualisme abstrait, qui relève plutôt, en fait, de la « religion civile » républicaine française. On fustige alors tout ce qui ne se situe pas dans la perspective de cet individualisme abstrait en parlant de « communautarisme ». En fait, on peut distinguer 4 cas de figure type.

          individualisme abstrait : on ne tient pas compte des appartenances culturelles, religieuses qui sont libres dans la sphère privée mais doivent être neutralisées dans la sphère publique où la seule appartenance « légitime » est l’appartenance citoyenne, qui relève du politique. On serait dans le face-à-face entre des individus « libres et égaux » et l’Etat-nation, les « groupements intermédiaires » se trouvant dévalorisés.

          individualisme concret: l’appartenance collective est possible dans la sphère publique comme un prolongement de la liberté individuelle : en France, c’est l’esprit de la loi de 1901 sur les associations. On sait que la France possède un très riche tissu associatif.

          pluralisme : l’appartenance collective (culturelle, religieuse) est une dimension de la liberté individuelle et pas seulement son prolongement possible. La liberté de l’individu est mutilée sans cette dimension d’appartenance culturelle ou religieuse (à une ou des communautés autres que politiques). Le collectif est, là, pris en compte comme un enrichissement de l’individu (et inversement, quand il y a cette prise en compte, cela signifie qu’au moins implicitement, on considère que le collectif est une dimension de l’individu). L’article 4 de la loi de séparation française de 1905 se situe dans cette optique

        communautarisme : l’individu est englobé par une appartenance culturelle ou

religieuse (mais aussi de genre, d’orientation sexuelle,…). Celle-ci le définit socialement de façon dominante. Cela peut (mais pas nécessairement) se concrétiser par une différence de régime juridique avec les autres citoyens et avec une législation qui traduirait juridiquement cet englobement. Dans tous les cas, l’englobement induit une clôture. Il faut ne pas oublier, quand on parle de communautarisme, trois choses. D’abord, ne pas confondre « communautés » et « communautarisme ». Ensuite, ne pas être sourd aux critiques faites à l’approche libérale de l’individu (par exemple, celle d’un philosophe comme Charles Taylor). Enfin savoir que c’est souvent le regard de l’autre (individu ou collectivité) qui « communautarise ».

La laïcité s’accorde avec l’individualisme concret comme avec le pluralisme. C’est ce dernier cas de figure qui me semble le mieux s’accorder avec la situation actuelle liée à la globalisation.

 

Etre dans la dialectique règles communes – valeurs partagées

Un colloque qui va se tenir bientôt met en avant la notion de « valeurs partagées » : ce sont de valeurs auxquelles tout le monde se rattache sans forcément les interpréter et les exprimer de la même façon, dans les deux rives de la Méditerranée. notamment Et ces valeurs partagées sont distinguées des « valeurs communes » qui s’imposeraient à tous.

Pour ma part, je radicaliserai le propos de deux manières. D’abord, en indiquant que le débat interprétatif sur les valeurs existe à l’intérieur même de toute société. Il est lié à l’exercice même de la démocratie. S’il existe des dominantes suivant les lieux et les époques, il n’y a jamais unanimisme, comme le montrent les études sociologiques et  historiques. Par exemple, il y a des différences d’interprétation sur la notion de liberté, avec des dominantes aux Etats-Unis et en France, mais aussi (quand on écoute bien) des tonalités différentes au sein même de ces deux pays. En conséquences, pour moi, il n’existe socialement que des « valeurs partagées » et non pas des valeurs communes qui s’imposeraient à tous avec une signification évidente et temporellement immobile. Le débat interprétatif est, d’ailleurs, lié à la liberté de chacun et à ses caractéristiques propres.

En revanche, les exigences du vivre-ensemble font qu’on ne peut en rester au débat interprétatif qui est sans fin. Il faut bien des règles du jeu social (comme il y en a du jeu sportif !) Au niveau national et, maintenant, international, existe nécessairement des règles communes. Ces règles s’imposent, tant qu’elles n’ont pas été changées, même si elles ne correspondent pas à la position personnelle de tel ou tel individu où au point de vue spécifique de telle ou telle nation. Implicitement, il existe d’ailleurs des règles communes dans toute collectivité (et cela commence par le couple et la famille !).

Inversement, je suis contre le fait de dire qu’il n’existe que des règles communes, car ces règles ne tiennent pas en l’air, elles renvoient à des valeurs. Ainsi le Préambule de la Constitution française se réfère à un certain nombre de valeurs que l’on peut qualifier de « valeurs partagées », mais implicitement objet de débat et sur leur interprétation et sur ce qu’elles impliquent pour être concrétisées comme règles communes.

 

Inclure l’aire arabo-musulmane dans notre vision de l’ « Occident ». Je terminerai par une proposition précise, issue d’une discussion que j’ai eue avec un collègue japonais. Ce dernier m’a dit, à la fin d’un débat sur ces questions : « Finalement, vous n’arriverez pas à résoudre vos problèmes de laïcité tant que vous mettrez les pays arabes et l’islam dans l’Orientalisme. Le jour où vous considèrerez qu’ils font partie de l’Occident, vous aurez la moitié de la solution ».

J’ai trouvé ce propos plein de justesse. C’est à une révolution mentale qu’il appelle pour nous tous (anciens Français –« Gaulois »- comme Français plus récents) que j’aimerais que ce blog contribue, .à son modeste niveau.

 

PS: Comme d'habitude je tenterai de répondre en bloc aux remarque des internautes dans une prochaine Note. Merci de votre patience!



[1] Je résume ici à l’extrême un des thèmes importants de mon prochain ouvrage L’intégrisme républicain contre la laïcité, édit de l’Aube (diffusion : Seuil), à paraître le 05 octobre. L’intégrisme républicain contre la laïcité, édit de l’Aube (diffusion : Seuil), à paraître le 05 octobre. (on retrouvera aussi, dans cet ouvrage, des développement qui recoupent les autres propositions).

[2] C’est ce que faisait, en France, le Conseil d’Etat entre 1989 et 2004 : les signes religieux étaient admis tant qu’ils ne s’accompagnaient pas de manifestations de prosélytisme et ne troublaient pas le fonctionnement de l’institution scolaire.

Commentaires

Bonjour,
Juste un: "merci Jean" pour cette mise au point et en particulier pour l'explication des individualismes / pluralisme / communautarisme.
Bonne continuation pour la suite de ce blog.
Arnaud

Écrit par : Arnaud Lépine | 07/09/2006

En effet, merci pour ces mises au point fort utiles...

Par ailleurs, il me semble que la révolution mentale proposée par votre collègue japonais est tout à fait intéressante... et c'est une piste à creuser à mon sens ! La tâche s'annonce difficile, mais je vous rejoins : pleine de justesse

Écrit par : Achtungseb | 09/09/2006

Cher monsieur Baubérot, persuadé depuis longtemps de l'urgence de la "révolution mentale", je ne m'étais jamais formulé l'objectif aussi clairement que vous le faites ici. Je me suis permis de vous citer longuement sur mon blogue. Merci pour la clarté, l'intelligence et le courage de votre travail.

Écrit par : Cercamon | 10/09/2006

Les commentaires sont fermés.