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26/01/2008

LAÏCITE SECTAIRE? NON LAÏCITE DU XXIe SIECLE

Le grand défi de Nicolas Sarkozy

D’abord un peu de fun, mais du fun authentique, écologique et tout.

La jalousie est un vilain défaut, or Carla est jalouse. Elle trouve que son Nicolas chéri la délaisse : il passe tout son temps à me téléphoner (cf mes Notes du 22 décembre et du 19 janvier, désormais affichées dans toute les Mairies, au dessus du buste de Marianne). Il la délaisse. Alors prenant son courage à huit mains, elle m’a téléphoné et m’a supplié de…..

 

 

Ah non, ce serait trop facile : tout savoir de ma vie privée (privée de complexes naturellement) sans jamais rien payer. Vous trouverez la suite de cette passionnante aventure  (l’idylle Baubérot – Carla B.) dans le prochain numéro des Inrockuptibles, à paraître mardi 29.

Génial, non ? En tout cas, j’en suis ravi : il n’y a pas plus rock que moi ; que toutes celles qui en douteraient viennent danser un rock endiablé avec ma pomme. Elles auront droit à un slow très langoureux en prime.

Bref je suis rock depuis toujours : j’ai passé mon adolescence boutonneuse aux sons de Sweet sixteen de Lonnie Donegan (même qu’un copain vient de trouver le cd), j’ai été fan de Vince Taylor, accroc à l’émission : Les enfants du rock.

Mais, zut, me voilà, comme Sarko, qui me met à parler de mes racines…essentiellement chrétiennes (La chanson « Sweet sixteen » continue par « goes to church,… just to see the boys »)

 

 

Il est temps de passer aux choses sérieuses. Vous allez voir comme je cause bien, quand j’veux. Même qu’on m’a demandé à genoux d’entrer à l’Académie françoise. J’ai répondu aussi sec : « Non, pas maintenant. Je n’en serai que quand vous aurez réalisé la parité femme-homme. » Et ma femme m’a dit alors : « tu as eu tort ; j’ai bien peur qu’avec une telle exigence, tu meurs avant d’être Immortel. »

 

Aujourd’hui donc, cela va être long et sérieux. Le Blog a aussi une fonction de formation permanente. Si vous lisez jusqu’au bout, vous aurez droit la semaine prochaine, à des confidences sur ce que m’a appris mes deux semaines médiatiques. Il y aura du fond, également, mais racontée de façon moins formelle, plus ludique !

 

Bref,allons y : dans l’Humanité Dimanche (24-30 janvier) j’écris : « Sarkozy s’appuie implicitement sur un constat simple que la gauche peine à effectuer : nous sommes au XXIe siècle et non au XVIIIe. » Etant fondamentalement d’accord avec moi-même[1], je développe :

La chrétienté du Moyen Age avait cru pouvoir unifier raison et foi, avec de grands théologiens comme Albert le Grand ou Thomas d’Aquin. La philosophie (Platon, Plotin puis Aristote, grâce à la pensée arabe) servait de propédeutique à la théologie.

Mais, peu à peu, l’idée s’est imposée que la raison est capable, par elle-même, de chercher la vérité sans se référer à la doctrine d’une Eglise. Une certaine interprétation des Lumières (notamment française) a même considéré la religion, selon l’expression de Régis Debray, comme « une maladie infantile de la raison » destinée à ‘reculer’ au fur et à mesure que le règne de la raison ‘avancerait’.

 

Il faut comprendre le pourquoi de cet enchantement de la raison. Longtemps ce qui, ensuite, est devenu science était de l’ordre de la pure spéculation, voire de l’amusement. Que cet ‘amusement’ puisse permettre de mieux maîtriser la nature constitua une découverte qui avait de quoi éblouir.

Il s’en suivit une sécularisation de la notion de bonheur : désormais, celui-ci ne serait plus recherché d’abord dans l’au-delà, mais de façon prioritaire sur terre : « la vie, la liberté, la recherche du bonheur » sont considérés comme des « droits inaliénables » par la Déclaration d’Indépendance américaine (1776). La Constitution française de 1’an 1 de la République (1793) affirme de son côté : « Le but de la société est le bonheur commun ».

Au XIXe siècle, tandis qu’en France le magistère intellectuel de la philosophie cautionnait le processus de laïcisation, le positivisme d’Auguste Comte ou le matérialisme de Marx constituèrent des tentatives divergentes de bâtir une science qui aurait la capacité d’appréhender l’ensemble de ce qui concerne l’Homme.

 

 

Ce fut le temps de la modernité triomphante. La confiance dans le progrès pouvait rassembler des personnes, aux croyances diverses, dans un agir commun en vue de ce « progrès » qui était à  la fois scientifique, technique, moral et social. L’Eglise catholique, elle-même, bénissait les premières lignes de chemin de fer. Le « bien être » progressait, même si, à la fin du siècle, la structuration du syndicalisme et la contestation socialiste montrent que certains s’estimaient profondément défavorisés dans la répartition des « fruits du progrès ».

Un processus de laïcisation s’est effectué en Europe, dans les Amériques (pas seulement en France, j’insiste la dessus dans mon « que sais-je ? », les laïcités dans le monde) en affinité avec ce triomphe de la modernité.

Depuis lors, des changements considérables ont eu lieu. Les savoirs sur l’Homme se sont développés, mais aussi pluralisés. Ils sont devenus plus rigoureux, mais aussi plus modestes dans leur prétention à une « vérité scientifique ».

Avec les deux guerres mondiales, le progrès s’est avéré œuvre de mort comme œuvre de vie. Aujourd’hui si l’attitude de nos contemporains quand ils entrent dans des édifices religieux n’est pas forcément religieuse -une belle pagode ou une belle cathédrale sont à la fois des lieux de visite (avec appareils photo) et des lieux de recueillement-, dans certains musées comme ceux d’Hiroshima ou de Nagasaki, l’atmosphère de recueillement est intense et prenante ; les visiteurs prennent spontanément une attitude quasi-religieuse.

Mais on pouvait encore, après la seconde guerre mondiale, opposer un ‘bon’ progrès pacifique (le nucléaire civil, par exemple) au ‘mauvais’ progrès guerrier (la bombe H). Nous étions donc toujours dans une modernité établie où, comme l’a indiqué Jean-Paul Willaime à la suite d’Antony Guiddens, le mouvement, le changement social, s’alliait à des certitudes.

L’ambivalence reconnue du progrès ne générait donc pas une incertitude intellectuelle, elle incitait souvent les intellectuels à être dans le ‘bon’ camp, progressiste et pacifique. La situation actuelle, que Willaime qualifie d’ultramodernité est marquée par une « discontinuité » qui provient (je le cite) du « passage d’une logique de certitudes à une logique d’incertitudes lié à la généralisation des deux dimensions essentielles de la modernité : l’individualisation et la réflexivité.

Qu’est-ce à dire ? Autant la modernité fut portée par de fortes croyances modernistes au progrès dans les domaines économiques, scientifico-techniques, politiques, culturels (critique du passé au nom des utopies du futur), autant l’ultramodernité est caractérisée par le doute et le questionnement critique aussi bien vis-à-vis du passé que du futur. »

Personnellement, je qualifierai plutôt notre époque par l’expression de Modernité tardive, de façon analogue aux historiens qui parlent d’ « Antiquité tardive » ou de « Moyen-Âge tardif ». Cela ne signifie nullement qu’il s’agisse de périodes de décadence mais, en revanche, cela veut indiquer l’idée de périodes de basculement.

 

 

J’émets l’hypothèse que, comme à d’autres moments de l’histoire, nous sommes à la fin d’une période historique : c’est un moment où il se produit un épuisement du projet des Lumières, à la fois parce qu’il est globalement réalisé et parce qu’il a généré de nouveaux problèmes et se trouve en décalage face à de nouveaux défis. Le référentiel des Lumières est encore hégémonique, c’est encore un « imperium » (A. Akoun), mais nous avons commencé à basculer vers une autre phase de l’histoire.

Je rejoins donc Willaime quand il caractérise le temps que nous vivons par «le mouvement plus l’incertitude », mais en insistant davantage peut-être sur les effets sociaux déstabilisateurs de cette incertitude, liée à ce basculement. Je reprendrai ses deux critères, la réflexivité et l’individualisation, qui me semblent pertinents.

La réflexivité induit un questionnement généralisé. Dans ce cadre la science se met à questionner ses propres applications techniques ( c’est un renversement par rapport aux Lumières qui, je l’ai indiqué, émergent quand une science d’amusement se met à avoir des effets techniques) : les interrogations actuelles sur le nucléaire (même civil), le réchauffement climatique, les atteintes à la biodiversité, les maladie nosocomiaques, les dilemmes bioéthiques, etc proviennent de débats au sein de savoirs scientifiques actuels (avec de possibles instrumentalisation idéologique, naturellement et les médias qui racontent cela à la manière d’un film catastrophe !).

Nous ne sommes plus dans l’ambivalence du progrès mais dans une véritable déconnection entre un progrès des savoirs scientifiques et un progrès technique, le second étant de plus en plus mis en cause par le premier. En même temps, l’impression domine d’un engrenage où seul un surplus de progrès pourrait résoudre les problèmes induits par le progrès… mais le doute surgit : s’agit-il de solutions ou de nouveaux dilemmes ?

La mutation sociale de la  référence à la « vérité » de la vérité religieuse (et notamment des religions où la vérité est « révélée » et transhistorique) à la vérité scientifique, qui est une vérité en débat et fortement historicisée (la vérité d’aujourd’hui est l’erreur de demain), est profondément déstabilisatrice. Prenons un simple exemple : en France, la médecine du travail a imposé des radiographies obligatoires et leur répétition s’est avérée dangereuse. « On ne savait pas et maintenant on sait » nous expliquent doctement les « docteurs », clercs de la modernité établie. La réponse informulée des patients est la suivante : « et aujourd’hui, que nous impose-t-on de nocif parce qu’on ne le sait pas encore ? »

L’individualisation : au niveau de l’institution religieuse, des Eglises, cette individualisation s’est développée dés la modernité établie, avec la proclamation puis la réalisation progressive de la liberté de conscience. On ne pouvait plus imposer des croyances, elles devenaient « affaire individuelle » (c’est cela la laïcité).

Mais dans la nouvelle conjoncture de la modernité tardive s’instaure un nouveau processus d’individualisation à l’égard d’institutions séculières (médecine, école) qui forment l’encadrement des individus dans la recherche du progrès-bonheur (et qui ont obtenu d’indéniables réussites : pour prendre un exemple la diminution de femmes mortes en couche et de mortalité infantile).

Ce nouveau processus d’individualisation est du au fait que ces institutions sont atteintes par la création d’incertitudes liée à l’avancée de la réflexivité. De là le développement de ce que l’on appelle le « consumérisme » (médical, scolaire, etc) qui est une conséquence de cette prise de distance à l’égard des institutions, de cette individualisation qui atteint l’ensemble des structures institutionnelles.

C’est ce que ne veulent pas comprendre, les tenants du néo-républicanisme qui, du coup ont durci la laïcité à l’école et à l’hôpital donnant une réponse passéiste et crispée (et qui atteint seulement une partie de la population) à des problèmes nouveaux.

A partir de là, je renverserai l’ordre des termes employés par Willaime et je dirai que la modernité tardive c’est ‘l’incertitude plus le mouvement’ : l’incertitude, n’est jamais facile à vivre, mais quand on vit dans une incertitude en mouvement, c’est encore plus difficile car on est entraîné dans un mouvement et l’on ne sait plus où on va (mais on y va !). Le mouvement peut aller dans n’importe quel sens, ce qui devient invivable.

En tout cas, la peur de l’avenir est devenue trop forte pour que la société puisse croire être toujours dans la poursuite du bonheur : il s’est produit un épuisement du programme des Lumières.

Et cela induit une prolifération de discours sur la mémoire, l’héritage, les racines, etc. Faute de pouvoir regarder devant soi, on passe son temps à contempler ce qui est derrière ! Et au lieu de se battre sur des projets d’avenir on se bat sur des mémoires controversés, des racines disputées !

J’ai déjà raconté comment la mort médicalisée à l’hôpital s’est imposée. Cette médicalisation a été synonyme d’une ‘sécularisation transfert’ où le médical s’est revêtu d’habits parareligieux. On a parlé, expression significative, de « miracle des antibiotiques ». On peut dire, de façon plus générale, que la définition de la santé donnée par l’OMS[2] : « un état de complet bien-être physique, psychique et mental » était à la fois quasi religieuse par son aspect utopique (où un tel état peut-il se trouver réalisé sinon dans la Terre pure bouddhique ou au Paradis des monothéismes ?) et révélatrice de la mise en œuvre du projet de progrès-bonheur des Lumières.

Les changements actuels sont nets : pendant très longtemps, l’augmentation de « l’espérance de vie » était l’objectif  par excellence de la médecine (et la reprise du terme d’espérance montrait bien ce mélange de scientificité et de religieux) ; maintenant, l’allongement de la vie (qui continue), et l’acharnement thérapeutique qui lui est parfois lié, change les données du problème.

Outre les problèmes sociaux, dus au vieillissement de la population, on se soucie davantage de la qualité de vie que d’un prolongement indéfini de la vie, et on lance un nouveau mot d’ordre : « le droit à mourir dans la dignité ». La raison était liée à l’insistance sur la « Nature » et sur sa maîtrise. Aujourd’hui la grande question devient la « dignité » de l’être humain (affirmée dés 1948 par la Déclaration universelle des droits). Mais qu’est ce la dignité de l’être humain ? Voilà un beau sujet de débat philosophique…et religieux.

Tout cela n’implique nullement un ‘retour en arrière’, même si la religion, mise en crise par la modernité, retrouve parfois un nouveau rôle quand se produit la montée d’un questionnement où « la rationalité en valeurs » interroge « la rationalité instrumentale », fonctionnelle (pour reprendre les notions de Max Weber).

 

Mais des acquis demeurent. Les novations sociales engendrent une situation bien différente d’avant la modernité. Il existe maintenant une concurrence pour des biens symboliques  (le symbolique étant ce qui est de l’ordre de l’immatériel : l’espérance dont parle Sarko, par exemple) entre des entrepreneurs religieux multiples (la mondialisation favorisant une telle concurrence) et d’autres entrepreneurs de normes symboliques ou de rituels qui n’appartiennent pas à des religions organisées.

Prenons l’exemple des funérailles, un des noyaux dur de la pratique religieuse. Diverses mutations sociales font que la pratique classique des sépultures ne correspond plus forcément aux préoccupations d’aujourd’hui. Existe-t-il alors une sécularisation des funérailles ?

Non et oui. Non et le sociologue japonais Kadowaki Ken a posé une question fondamentale : « si tout sacré était éliminé de nos sociétés, ne devrait-on pas jeter les dépouilles mortuaires des humains dans des poubelles ? » (j’ajouterai : sans aucun rituel). L’impossibilité d’un tel acte est significative. De nouveaux rituels sont inventés (au Japon, en France, dans toutes les sociétés démocratiques modernes)

Oui, car nouveaux rituels, certes, mais leur capacité symbolique apparaît problématique : la symbolisation nécessite un sens partagé et l’individualisation rend plus difficile aujourd’hui qu’autrefois un tel sens partagé.

L’incertitude marque donc même les novations et, dans ce contexte, non seulement on tente de réduire l’incertitude mais on tente aussi de réduire le mouvement.

Trois stratégies, nullement incompatibles, peuvent être utilisées à cette fin :

- le maintien du présent : il s’agit de repousser le futur le plus loin possible, de maintenir une continuité : les éternels étudiants qui repoussent le plus tard possible leur entrée dans le marché du travail, la défense crispée des avantages acquis faute d’espérer une amélioration de sa situation, l’utilisation de la crème qui permet de ne pas avoir de rides, de tous les produits qui vous promettent que, grâce à eux, vous allez rester jeune et beau, etc.

Sur le plan religieux, cela peut s’accorder avec une conception cyclique du temps, où le présent va périodiquement revenir.

- des propositions d’avenir individualisé : la société, on ne sait pas où elle va et cela inquiète. Alors on tente de se construire un futur meilleur, déconnecté de l’avenir collectif. Nous trouvons là aussi bien toutes les offres de formation en vue d’améliorer ou de changer sa situation professionnelle, le développement des multiples formes de loteries, le succès des concours liés à la télé réalité (en France « Star Académie »), mais aussi des conversions religieuses. La réalisation de soi, d’un soi qui ne peut pas s’épanouir par la participation à une collectivité politique, est recherchée. C’est ce que Nadia Garnoussi appelle la « nébuleuse philo-psycho-spirituelle » (le mensuel Psychologie magazine par exemple)

- le resourcement dans un passé fondateur : un avenir meilleur peut advenir, pense-t-on, si on retrouve ce passé fondateur. Les exemples de cette quête sont multiples : le christianisme originel (version progressiste), la société de chrétienté (version cléricale sarkozyiènne), l’islam originel au-delà des traditions des sociétés musulmanes (le « réformisme musulman »), le bouddhisme originel en effectuant un voyage en Inde au-delà de ses transformations par le Grand Véhicule, les valeurs de la République (le courant national-républicain français) au-delà des mutations du temps présent, le Japon éternel au-delà de sa modernité démocratique, la pérennité des institutions (l’école sanctuaire, la nécessaire déférence envers la médecine) au-delà de l’individualisation.

Il s’agit de prendre appui sur le passé (un passé reconstruit) pour avoir des certitudes afin de construire un avenir sur les fondations du passé. 

Ce passé peut être un passé religieux, ou un passé séculier, celui de la sécularisation enchantée. Cela peut entraîner le développement de fondamentalismes, d’intégrismes, de Nouveaux mouvements religieux, etc…mais aussi, en France, de croyants « républicains » de la ‘sécularisation transfert’ atteints par un nouvel anticléricalisme (lié au consumérisme) et réagissant de façon plus ou moins crispée.

Une laïcité du XXIe siècle est donc à construire. Fondamentalement une laïcité de la société civile, et non plus du « despotisme éclairé » de l’Etat selon le schéma issu des Lumières. J’en reparlerai dans de prochaines Notes. Je voulais juste indiquer ici les fondements théoriques de cette laïcité du XXIe siècle (et c’est pourquoi cette Note est un peu compliquée. Mais bon, de temps en temps, cela ne fait pas de mal de se fatiguer un peu les méninges !)

Juste, pour le moment, 4 remarques sur le contexte de cette laïcité XXIe siècle :

Première remarque : la religion civile. Il faut prendre conscience de son existence car elle est souvent implicite ; elle forme la face immergée de  l’iceberg social. Par certains côtés, elle apparaît socialement nécessaire : face au processus accentué d’individualisation, à la montée en puissance d’une sociabilité de type libre et volontaire, face  à la fragilisation du lien social, la religion civile comporte un aspect de « dévotion à l’unité du corps social »[3] qui constitue une tentative de rééquilibrer les choses. Cela ne signifie pas, cependant, que l’on doive abandonner toute réflexion critique et participer béatement à la communion sociale que tente d’instaurer la religion civile.

Il est également nécessaire, d’un point de vue laïque et démocratique, d’apporter  des limites à la religion civile pour éviter des risques de totalisation et des « dérives » nationalistes que l’on peut constater en France comme ailleurs.

Là, les religions, comme d’autres options convictionnelles, peuvent apporter une contribution à l’ethos démocratique si elles résistent à une instrumentalisation trop poussée par la religion civile (comme d’ailleurs par la rationalité instrumentale) et font preuve de vitalité.

Sarkozy lui, propose de fait une sorte de système englobant qui inclut les religions (beaucoup moins les autres options convictionnelles) dans une nouvelle sorte de religion civile. Deux polarités en tension me semblent beaucoup plus démocratique et laïque.

Seconde remarque, bien des mutations entraînées par l’esprit rationnel moderne sont sans doute irréversibles. Les religions historiques elles-mêmes ne peuvent plus être des systèmes de croyance et de rituels obligatoires, même s’il s’agit de croyances et de rituels collectifs, partagés. Cela implique qu’existe une appropriation individuelle différenciée où chacun développe une manière personnelle et de croire, de participer ou pratiquer.

C’est cela que n’ont pas compris nombre de partisans de la laïcité dite ouverte, ouverte à des religions dont le fonctionnement resterait inchangé. C’est pourquoi ils risquent fort d’être attirés par les sirènes de la « laïcité positive » du Président de la république.

Cela me semble relever d’un état d’esprit néo-clérical qui oublie une chose : Les manières personnelles de croire peuvent être quantitativement différentes (rattachement plus ou moins faible ou fort à une religion ou une philosophie), mais également qualitativement différente.

 

Nous n’échappons pas, troisième remarque, à certains paradoxes. La religion revendique d’être parlée en terme de « vérité », et c’est sans doute important de poser publiquement la question de la « vérité » dans la société actuelle, qui la fuit. Mais la vérité « même religieuse » (pour parler comme la Déclaration de 1789) est aujourd’hui une vérité livrée à l’individu[4], même à prétention universelle (comme le christianisme, l’islam, le bouddhisme et… le républicanisme) il s’agit d’un universalisme singularisé. Et cela parce que cette vérité n’existe qu’interprétée, réinterprétée[5] de façon personnelle. La religion subit donc le double choc de la réflexivité et de l’individualisation.

 

La pensée des Lumières subit aussi ce double choc. Il est donc logique, et ce sera ma dernière remarque, qu’un dialogue s’instaure non entre pensée rationnelle et pensée religieuse (comme si ces deux pensées étaient forcément exclusives l’une de l’autre), mais entre la réflexion philosophique issue des Lumières et la réflexion théologique de diverses religions.

Un exemple d’un tel dialogue est la rencontre qui a eu lieu, en janvier 2004, entre le philosophe Jürgen Habermas et Joseph Ratzinger (le futur Benoît XVI). Cette rencontre fut de haute tenue, même si on peut avoir un avis différent de chacun des protagonistes. Il est souhaitable que différents dialogues, à divers niveaux, se multiplient.

Ce n’est donc pas une « laïcité sectaire » (Michèle Alliot-Marie) ou figée qu’il faut opposer à Nicolas Sarkozy, mais une laïcité qui, comme par le passé (1905, par exemple) sait construire du nouveau, en réponse aux défis de son temps.

Non mais !



[1] Cela pour répondre au dominicain Philippe Verdin, qui, lors d’un débat à la télé, m’a accusé d’être « schizophrène » !

[2] Organisation Mondiale de la Santé

[3] J.-. P. Willaime dixit.

[4] Ainsi à l’hôpital, une aide religieuse est apportée naturellement que « si le malade le souhaite », même dans les pays démocratiques qui ne sont pas officiellement laïques.

[5] Et les réinterprétations sont multiples ; c’est pourquoi (par exemple) il est particulièrement absurde (c’est, au minimum, se tromper d’époque) de réduire le port du foulard à une seule signification.

23/01/2008

SUITE DES EVENEMENTS

Merci à toutes celles et ceux qui, de diverses manières, ont pris contact avc moi pour approuver, débattre, contester ce que j'ai pu dire et écrire depuis 10 jours sur la laïcité dans divers médias.

La suite c'est d'abord- jeudi 24 un article dans l'Humanité dimanche et le jeudi suivant (le 31) un article dans Réforme

Vendredi une rencontre à la Mairie du IIe arrondissement de Paris (8 rue de la Banque, métro: Palais Royal ou Bourse)à 20 heures

Et, en ce qui concerne le BLog:

-samedi : la fin de la Note sur les 3 Défis à la laïcité (le troisième défi: celui d'une laïcité pour le XXIe siècle)

-la semaine prochaine: réponse à des internautes et bilan, confidences, etc sur ces journée de laïcité médiatisée.

10:35 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (1)

19/01/2008

SCOOP:POURQUOI RIYAD? 3 DEFIS A LA LAÏCITE

Scoop mondial : pourquoi Riyad ?

M’enfin pourquoi ? se demandent les médias.

Pourquoi il en a rajouté plus qu’une louche, il a cité 13 fois Dieu, a oublié qu’un chanoine n’est pas obligatoirement un prédicateur ?

Aucun média ne vous a fourni de réponse.

Seul votre blog favori est en mesure de le faire dans un Hénôrme Scoop Planétaire.

Je vous raconte donc le dessous des cartes.

Comme je vous l’avais expliqué dans ma Note, désormais immortelle, du 22 décembre, depuis 6 mois, Nicolas me suppliait régulièrement de parler de lui dans le Blog. A la suite d’un pari stupide (« je parlerai de vous quand vous serez pape ou chanoine ») j’avais du m’exécuter.

Et, depuis le 22 décembre : plus aucune nouvelle de l’Elysée. J’avais d’abord pensé à la trêve des confiseurs. Puis une horrible vérité m’était apparue : tel Don Juan, Sarkozy, ayant obtenu ce qu’il voulait, me délaissait ostensiblement (pour parler comme les Rrrrépublicains). Séduit et abandonné qu’il était le Baubérot. Ah, il avait bonne mine.

Eh bien j’avais tort. Totalement tort. Ce samedi matin, coup de fil du Président bien aimé. Il était furibard. C’est lui avait attendait depuis des jours et des nuits mon coup de fil. « Vous auriez quand même pu me remercier » m’éructa-t-il et j’entendais la fumée sortir de ses narines.

Je tombais des nues. Je ne comprenais rien. « Ah c’est comme ça, il faut tout vous expliquer, répliqua l’extraordinaire Président. Vous me décevez beaucoup Baubérot, seriez vous bête à ce point ? »

Et le Président adoré de m’affirmer qu’il avait apprécié à sa juste valeur ma fabuleuse Note du 22 décembre : « Vous dites que Carla est belle et cela m’est allé droit au cœur. Bien sûr, vous enrobez cette merveilleuse proposition de considérations intello. très fumeuses. Mais j’ai bien compris que c’était dans le seul but de séduire Dame Laïcité. Entre amoureux, on se comprend, non ? »

Et, poursuivit aussi sec le mirifique Président, « j’ai été terriblement déçu de la réaction des médias. Silence radio-télé. Or je veille sur vous Baubérot, comme je veille sur chacun des 63 millions de Français. Et je me suis dit : à défaut de pouvoir aller chercher la croissance avec les dents, je vais chercher avec les dents, un plan com pour mon ami Baubérot.

« Là j’ai dit à Guaino (qui, soit dit entre nous, n’était pour rien dans le discours du Latran) : aller, il faut faire plus fort. Beaucoup plus fort. Il faut absolument que les médias ne parlent plus que de l’idylle de mon copain Baubérot avec Dame Laïcité.

« Et voila le résultat : admirez mon efficacité : depuis Riyad, tous les médias vous courent après, tous les paparazzi de la bulbe vous demandent une photo, féérique, non ? »

J’avoue que j’étais déstabilisé. Je suis tellement, tellement modeste que l’idée d’un Sarko baubérotique ne m’avait même pas effleuré ; c’est dire. Alors j’ai tenté de tergiverser : « Merci, merci, incomparable Président, mais c’est trop. Pour vivre heureux, vivons caché : mes humbles recherches n’ont pas besoin de l’éclat médiatique et dame Laïcité j’aime tel que je suis. »

« Espèce de faux cul, m’a coupé le fabuleux Président. Vous savez très bien que les médias, comme le pouvoir, c’est aphrodisiaque. Et je perçois, à la tonalité de votre voix, que vous êtes ravi. J’ai d’ailleurs ouï dire qu’à chaque émission de radio ou de télé, à chaque interview ou article de journal, vous recevez des mels émus de charmantes admiratrices, ce qui pimente vos amours laïques. Avouez que ce n’est pas pour des prunes que vous parlez de ‘laïcité inclusive’, petit coquin. »

Alors là, j’étais touché en plein cœur. J’ai bredouillé : « Mais pendant tout le temps que je consacre aux médias, mes recherches ne se font pas. Je prends un retard dramatique. Je ne sais plus comment faire. »

Et là le surprenant Président a objecté, d’un ton sans réplique : « Aucun problème : je sais que vous devez dialoguer avec Henri Guaino lundi soir sur FR3. Amenez lui vos recherches en retard. Il va vous faire cela, vite fait. »

Défi à la laïcité.

Il faut positiver. Ce matin sur France-Inter, Yvan Levail a cité Churchill : « Les pessimistes voient une difficulté dans chaque opportunité ; les optimistes une opportunité dans chaque difficulté ». Pas mal, non ? Eh bien, au lieu d’avoir l’habituelle réaction indignée et de répéter des propos, certes laïques, mais convenus, considérons que Sarkozy nous lance des défis. Et relevons les hardiment.

OK ?

OK.

En effet, il est exact que Sarkozy effectue, dans les 2 discours (le Latran et Riyad), plusieurs accrocs à la laïcité.

Il se situe, délibérément, dans la confusion des rôles. Il manque au devoir de réserve d’un président d’une République laïque. Ce devoir de réserve ne doit pas conduire à être inodore mais à bien avoir dans la tête qu’on est le président de toutes/tous et que l’ensemble des Françaises/Français doit être représenté dans ses propos. Là, il a effectué des choix philosophiques qui peuvent être les siens à titre personnel, mais qui ne respectent pas la « diversité » qu’il met en avant par ailleurs. La diversité, c’est aussi la diversité des convictions, qu’elles soient religieuses ou autres que religieuses. Et, dans toute la mesure du possible, l’égalité de ces convictions, la neutralité de l’Etat à leur égard.

De Gaulle, quand il était dans une église es qualité de Président, par exemple lors de funérailles, ne communiait pas, pour bien montrer qu’il ne faisait pas profession de catholicisme à ce moment là[1].

Quant à l’aspect conservateur, je peux me dispenser de longs commentaires car le dessin de Plantu  du Monde du 17 janvier synthétise toute la question : il porte sur la crise économique actuelle. Le Sarkozy de 2007 dit « J’m’en fous !! J’irai chercher la croissance avec mes petits doigts ! ». Celui de 2008 est à genoux et dit : « Prions ! »

Je ne développe pas, j’ai tellement raconté cela dans divers média depuis mardi que j’ai un peu l’overdose (surtout que je recommence normalement, lundi 21 vers 11 h sur LCI, avec une redif ' à 17 h; à 15 heures avec le chat du Monde,  le soir dans Ce soir ou jamais sur FR3, et mardi 22 vers 15 heures sur France Culture)

Mais, en gros, "la ligne du parti" que j'ai développée est la suivante: halte à la confusion entre liberté et officialité.

Il est juste (au double sens de justice et de justesse) de demander une pleine liberté (dans le cadre d'un ordre public démocratique). Même si cela peut actualiser la loi de 1905 sur quelques points, cette demande est fidèle à l'article 1.

En revanche, aussi bien croyants que non-croyants (qui, en fait, ont d'autres croyances) doivent être d'accord pour refuser toute officialité d'une ou de plusieurs religions. C'est l'article 2 de la loi et c'est la condition basique de la paix civile. De la part des croyants, d'ailleurs, ce n'est pas en apelant à l'aide Papa Etat qu'ils résoudront leurs problèmes. C'est en étant dynamiques et audibles.

Cependant, on ne saurait en rester à de simples rappels des principes basiques de la laïcité. Il faut relever les 3 défis que posent les discours de N. Sarkozy.

Premier défi° : Philosophie et Morale.

Les choix  sarkozyiens se situent dans des filiations paradoxales que les médias n’ont guère captées :

-         la mise en cause de la morale laïque, considérée comme inférieure à celle des curés et des pasteurs, rappelle un célèbre discours, celui du 26 janvier 1903 : « Notre société ne peut se contenter de simples idées morales, telles qu’on les donnent actuellement dans l’enseignement superficiel et borné de nos écoles primaires. (…) Nous considérons en ce moment les idées morales telles que les Eglises les donnent (…) comme des idées nécessaires. »  L’auteur ?... Emile Combe (cf mon roman Emile Combes et la princesse carmélite, improbable amour, p. 81-82, cité d’après le JO). Comme je le montre, Combes était partisan d’une religion civile républicaine et c’est, effectivement, une perspective de religion civile.

-         « Dieu transcendant qui est dans la pensée et le cœur de chaque homme » a dit Sarko à Riyad : vous enlevez (plus ou moins) «  transcendant » et vous avez une certaine pensée protestante théologiquement ultra-libérale du XIXe siècle, celle des collaborateurs protestants de Jules Ferry (qui n’étaient pas sur la même longueur d’onde que lui). Je vous renvoie à l’ouvrage de P. Cabanel : Le Dieu de la République. Aux sources protestantes de la laïcité (1860-1900), Presses Universitaires de Rennes, 2003.

Ceci indiqué, l’infériorité de la morale laïque sur la morale religieuse est aussi un thème récurrent de catholiques qui se voulaient ‘ouverts’ (pour les autres, l’école laïque était immorale !) sous la Troisième République. Et le Dieu dans le cœur de chaque humain, un vieux thème de la théologie naturelle catholique.

On a parlé d’une « conception archaïque et résolument conservatrice de la religion » (Joël Roman, La Croix, 18 janvier 2007). Ce n’est pas faux, c’est cependant un peu plus compliqué, comme l’indique la double filiation que je viens d’indiquer. Cela fleure bon la Troisième République, le spiritualisme républicain, le protestantisme libéral, et aussi un certain catholicisme pré-conciliaire.

A cela, on peut opposer une autre filiation, celle de Jules Ferry, pour qui la morale laïque était la morale commune, qui pouvait être complétée, appuyée par différentes morales théologiques et/ou philosophiques, à condition de ne pas confondre les plans.

Chez Ferry la morale laïque peut et doit être religieusement neutre, précisément parce que ce n’est pas une morale totalisante qui prétendrait régir tous les aspects de la vie de tous/toutes. Face à deux catégorie d’« esprits sectaires », Ferry énonce : « j’estime que tous les réconforts, tous les appuis qui peuvent fortifier l’enseignement moral - qu’ils viennent des croyances idéalistes, spiritualistes, théologiques même – tous ces appuis sont bons » (in J. Ferry, La République des citoyens, II, Imprimerie nationale, 1996, p. 37 : c’est un double  recueil de discours publié par Odile Rudelle).

Sarkozy fait une grave confusion, il existe (en laïcité) 2 niveaux quant à la morale :

-         la morale publique qui assure le lien social, celle qu’enseigne (ou devrait enseigner) l’école publique et l’école privée sous contrat, celle que l’on trouve dans le préambule de la Constitution (et c’est une bonne idée de l’actualiser). Cette morale est donc liée à des institutions et, comme elle, possède un caractère plus ou moins contraignant (elle s’inscrit dans des lois, l’organisation de la société s’y réfère ou devrait le faire: que l’on pense à la parité femme-homme par exemple). Le débat politique et social porte sur la meilleure manière de comprendre et de réaliser ces valeurs en tenant compte des contraintes d'une situation donnée.

C'est là que le président de la République (mais aussi les autres leaders politiques) est attendu. Mais seule les sociétés totalitaires ont fait croire que cette morale publique pouvait répondre à toutes les aspirations humaines, en démocratie la morale publique est forcément incomplète, trouée. Il existe donc un second niveau.

-         la morale privée, c'est-à-dire pas seulement la morale de la vie privée, mais les morales qui se diffusent, voire se confrontent dans la société civile et auxquelles les individus peuvent adhérer de façon volontaire et libre (et la transmettre à leurs enfants). L’adoption de cette morale est livrée à des choix individuels, ce qui ne signifie pas qu’elle se réduise à l’individu seul : elle peut se vivre dans des associations diverses, des loges maçonniques, des Eglises,… Elle peut constiituer le « caractère propre » des écoles privées et il faut rappeler à ce sujet que, justement, pour éviter l’imposition d’une philosophie d’Etat, Ferry a défendu l’existence de l’enseignement libre (Cf. l’ouvrage cité, I, p. 456 sq.)

Pour relever ce premier défi, il faut donc bien être au clair sur le fait qu’il n’existe pas deux morales, qui seraient sur le même plan, la laïque et la religieuse, mais bien 2 niveaux différents, celui de la morale publique, la morale qui donne les valeurs du lien social d'une part, et , d'autre part, les morales liées à la liberté de conscience, que la République « assure », dont elle « garantit » le libre exercice, selon les formules de la loi de séparation de 1905.

Les valeurs du lien social sont les valeurs démocratiques, telles qu’à un moment donné on peut les comprendre et les interpréter. Avec quelques nuances dues à des histoires différentes, ce sont les mêmes dans les divers pays démocratiques.

Exemple : j’ai une doctorante qui a effectué une comparaison entre les débats concernant le foulard à l’école, au Québec et en France : sa conclusion est limpide : si les décisions ont été divergentes, les références aux valeurs ont été exactement les mêmes. Le débat est donc interprétatif, il porte sur ce qu’implique ces valeurs. Ce débat existe en France même.

La laïcité sarkozyienne est un boomerang de la laïcité républicaine. Celle-ci a sacralisé la référence aux « valeurs de la République » (française), en les opposant à celles de la démocratie (des autres démocraties) et en les rendant totalisantes. La mise en cause de la morale laïque est aussi une manière de dire : vous voyez bien que cela ne marche pas.

Et de fait, beaucoup de gens constatent que les références incantatoires aux valeurs de la République, au mieux tournent à vide, au pire sont des cache-sexe pour en faire le moins possible dans la lutte contre les discriminations ou masquer d’autres réalités peu ragoûtantes.

C’est toute la perspective nationaliste (et même pourrait-on dire d’un nationalisme messianiste, religieux) de « l’exception française » qui est mise à mal (cf. l’excellent numéro 16 de Cosmopolitiques présenté dans ma Note du 12 janvier).

Si les laïques ne sont pas capables de dépasser la vision d’une laïcité républicaine, exception française, les évocations rituelles des « valeurs républicaines », ils resteront dans la protestation incantatoire et ne seront pas capables de relever ce premier défi.

Deuxième défi : le rapport à l’histoire.

Je ne développe pas car les distorsions, les contre-vérités du discours du Latran, je les ai déjà très longuement commentées (Note du 22/12/07). Et Riyad n’a rien apporté de nouveau sur ce plan. Je rappelle simplement le résultat des courses : une vision confessionnelle, et même catholique, de l’histoire qui ne tient pas compte des apports de l’historiographie. Je dirai que c’est la légende dorée catholique qui, en gros, nous est racontée.

Ce qui est frappant dans le discours du Latran, c'est que 2 séquences se suivent. La première raconte l'histoire des liens de la France avec "l'Eglise" (sous entendu catholique); et cette histoire est racontée sous un mode uniquement positif. Silence est fait sur tout le négatif. Cela y compris quand il s'agit de Pépin le bref et des Etats pontificaux, de la  société de chrétienté. Ensuite, quand Sarkozy se met à dire: "Tout autant que le baptême de Clovis, la laïcité est également un fait incontournable...", le président de la République laïque se met à avoir 3 jugements négatifs de suite sur la laïcité : un sur 1905, qui n'aurait été que rétrospectivement un texte de liberté, un second sur la réconciliation des 2 France qui serait due qu'à l'attitude exemplaire des catholiques pendant la guerre 14-18; un troisième sur le fait que la laïcité aurait tenté de couper la France de ses racines chrétiennes. Et ce serait que, maintenant, grâce à lui sans doute, qu'on en arriverait à "l'avènement d'une laïcité positive". C'est vraiment une manière complètement catho de raconter l'histoire de France, une histoire - mémoire qui est celle de l'une des deux France.

Le discours conservateur et clérical de Nicolas Sarkozy s’appuie implicitement sur un constat simple que la gauche peine à effectuer : nous sommes au XXIe siècle. Le désenchantement à l’égard du marxisme et des espoirs révolutionnaires, résolument tournés vers un avenir à construire, induit des formes de pensée passéistes, privilégiant des discours sur « la mémoire », « les racines ».

Sarkozy nous ramène à un passé lointain (le baptême de Clovis), cherchant (telle la petite madeleine de Proust) à faire revivre d’attendrissants souvenirs d’enfance (la France des patronages, des curés en soutane).

Mais il ne faut pas répondre au discours sur les « racines » en invoquant, de façon passéiste et nostalgique, d’autres racines, les Lumières. Là encore, c’est le boomerang de la paresse intellectuelle de certains néo-républicains, la médiocrité de philosophes dit républicains, qui croient qu’en parlant du passé à partir de leurs souvenirs scolaires ils font de l’histoire. Ces gens là ont le culot de prétendre qu’ils défendent le « pur savoir » alors qu’ils se permettent d’être dans l’obscurantisme le plus niais. Et beaucoup de gogos ont applaudi car ils étaient idéologiquement satisfaits.

Lyssenko pas mort.

La façon identitaire dont actuellement on se réfère, de façon dominante, aux Lumières dans le camp néo-républicain (et malheureusement chez pas mal de journalistes) ne cède en rien au baptême de Clovis dans l’instrumentalisation idéologique. On est dans la même démarche : la recherche nostalgique de « racines » ! On est dans une autre légende dorée.

Et il existe une sore de terrorisme idéologique ou l’on se trouve sommé d’être « pour » ou « contre » les Lumières (prises de façon génériques, mais là encore l‘impensé massif est qu’il s’agit uniquement des Lumières françaises : le lepénisme intellectuel n’est pas loin).

Pour prendre un seul exemple : dans les « tables rondes » de 2005, lors du centenaire de 1905, que de fois ai-je eu  à faire avec des néo-républicains qui faisaient un amalgame entre Lumières et Révolution française, comme si les Lumières étaient mère de la Révolution.

Depuis l’article programmatique de Denis Richet : « Autour des origines idéologiques lointaines de la Révolution française : élites et despotisme », paru dans les Annales E.S.C. en 1969, et les travaux des historiens anglo-saxons (oh là là, j’oubliais qu’ils sont anglo-saxons, leurs travaux doivent donc être diaboliques !) des années 1970 (Robert Darnton, William Doyle, William Sewell Jr, et d’autres), et largement confirmés depuis, on sait qu’il n’en est rien.[2]

Quand, dans ces tables rondes, je voulais rectifier, on me rétorquait : pinaillage, détail d’érudition, etc. Il est mal séant de montrer sa (petite) science : cela fait prétentieux ! On m’a aussi rétorqué ‘pinaillage’ après ma Note du 22 décembre indiquant que tous les rois barbares étaient chrétiens avant même la conversion de Clovis, chrétiens ariens.

 

 

Ce n’est pourtant pas du pinaillage car il y a toute une légitimation idéologique derrière ces « erreurs ».

En fait, on se permet alors de fausser l’histoire pour tromper idéologiquement son monde, et après on déblatère contre le « créationnisme ». Mais c’est exactement pareil. Pire même, puisqu’on se permet aussi  de faire semblant d’être du côté de la science, du savoir, de la raison.

Il y a donc 2 tromperies pour le prix d’une !

Bref, tant qu’on en restera à une vision des Lumières comme racines identitaires, qu’on sera dans la nostalgie, dans le récit légendaire légitimant son propre camp, dans le passéisme (les gens des Lumière regardaient l’avenir et ne se tournaient pas vers le passé, eux); tant l’on refusera de prendre en compte les acquis actuels des sciences historiques, on ne relèvera pas le second défi, celui du rapport de la France à son histoire, celui de la dimension historique de la France d’aujourd’hui..

Et alors on aura les ambiguïtés actuelles sur l’identité de la France.

La réponse à faire, en effet, c’est que le politique n’a pas à écrire (ou réécrire) l’histoire, ce n’est pas de sa compétence. Il a à s’occuper des problèmes du présent, et de la construction de l’avenir.

C’est pourquoi, dans Libé, j’ai dit que l’insistance sur les « racines chrétiennes » de la France (mais aussi de toutes les racines possibles et imaginables) est une « intériorisation » par le politique de son « impuissance » quant à son propre champ d’action, comme l’ont été « les lois mémorielles votées par le Parlement. » Mais il faut alors être logique avec cette position et arrêter aussi les constructions idéologiques.

Troisième défi : celui de la laïcité du XXIe siècle.

Une laïcité vivante est en mouvement, elle ne saurait être figée dans une période donnée de l’histoire. Et que l’on ne me fasse pas la sempiternelle querelle (stupide) du sacrilège que constituerait le fait d’ajouter un adjectif au mot « laïcité ». Quand je parle de « laïcité vivante », cela signifie (bien sûr) : une représentation vivante de la laïcité. Il n’y a naturellement pas de laïcité morte, mais, en revanche, pas mal de gens qui ont une représentation suicidaire de la laïcité ! C’est donc eux qui sont en cause, et c’est leur propre remise en question qu’ils fuient. Derrière une apparente sacralisation de la laïcité (seul mot de la langue française qui ne pourrait recevoir d’adjectif), c’est leur propre sacralisation qu’ils recherchent, parce que quand leur discours n’est pas sacralisé, il s’écroule lamentablement.

En fait, Sarkozy a fort bien compris un certain nombre de mutations qui se sont produites ces dernières décennies (et, notamment, de 1968 à 1989 ; ce que j’appelle le passage au troisième seuil de laïcisation). Il a, quant au constat, plusieurs métros d’avance sur ce pauvre PS. Il s’en sert au profit d’une stratégie néo-cléricale de re-liaison du religieux et du politique, d’instrumentalisation du religieux par le politique.

Mais si l’on ne se montre pas capable de construire une alternative réellement laïque, fondée sur des analyses un peu rigoureuse de la société actuelle, si là encore, on est dans un déni obscurantiste, comme le sont des philosophes dit républicains, cela par corporatisme absolu (ils ont peur que l’on remplace le cours de philo au lycée par un cours de sciences humaines), alors on a 10 fois mérité de subir la laïcité néocléricale sarkozyienne.

Alors si on a le boomerang, digitus in occulo, on n’a qu’a s’en prendre à son propre refus d’être un peu lucide.

En quoi le constat de Sarko a quelques métros d’avance ? (mais, bien sûr, pas ce qu'il propose)...

Qu’elle est l’analyse qui peut être faite pour construire la laïcité du XXIe siècle.

Ah, dites vous, enfin: ça va commencer à être intéressant.

Eh bien, vous le saurez la semaine prochaine.

Non mais.

PS : Donc Guaino n’aurait pas écrit le discours du Latran, mais par contre celui de Riyad. Quant à Max Gallo, on ne sait trop. Mais sur France-Inter (mercredi ou jeudi dernier) il s’est déclaré très largement d’accord avec ce discours. La critique faite dans la Note du 22 décembre a donc sa pertinence. Rappelons que les néo-conservateurs ne sont pas du tout personnellement religieux et sont d’anciens intellectuels de gauche, souvent immigrés et qui en rajoutent dans la glorification de la République (américaine).


[1] Sarkozy, semble-t-il, a communié lors des funérailles de l’abbé Pierre. Mais comme il est 2 fois divorcé, le prêtre se serait fait remonter les bretelles par sa hiérarchie et, après un avertissement discret, Sarkozy n’aurait pas communié lors de l’enterrement de Lustiger.

[2] Je pourrais écrire les mêmes choses sur le refus (idéologique) d’admettre un premier seuil de laïcisation alors que pratiquement tous les historiens sont d’accord sur l’existence d’un Etat laïque, séparé des Eglises (même si les dernières ne sont pas, elles, séparées de l’Etat) de façon stable à partir du début du XIXe siècle.

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16/01/2008

UNE TENTATIVE NEO-CLERICALE

REBELOTTE

Après Sarko chanoine, Sarko imam? Il vient de remettre cela, sur un registre complémentaire à Riyad. Et demain jeudi, il reçoit les "autorités religieuses" (c'est habituel, mais que va-t-il dire?). Néocléricalisme? Oui, mais le discours répétitif et ringard sur la laïcité ne suffit pas pour relever le défi que Sarko lance à tous les partisans de la laïcité.

Lizez mon interview dans Libé de ce jour, mercredi 16, (Catherine Coroller a très bien résumé ce que je lui ai dit)  et l'ensemble du dossier en attendant, d'ici la fin de la semaine, des développements plus importants sur le Blog.

PS: pour patienter, vous pouvez lire ou relire la Note du 22 décembre sur le "chanoine Sarkozy"... ainsi que les quelques 238 Notes que vous trouvez sur ce Blog, Notes écrites depuis sa création fin décembre 2004!

2ème PS: Merci aux commentateurs de la Note du 12 janvier sur la "culture du résultat": je voulais lancer un débat, il est enrichi par leurs contributions. Juste, pour le moment une toute petite réponse: je n'ai jamais écrit que j'étais pour une note administrative, comme "culture du résultat". Mais là encore, il y a un défi que lka gauche ne relèvera pas avec la répétition de propos convenus. Les internautes s'en éloignent, tant mieux. Mais ils savent bien que beaucoup de discours officiels....

 

09:40 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (4)

12/01/2008

ENCORE LA LAÏCITE, LA GAUCHE PITOYABLE FACE A LA CULTURE DU RESULTAT

D’abord, intense activité intellectuelle autour de la laïcité :

1) Pas moins de 3 livres passionnants viennent de paraître en ce début d’année 2008.

- La laïcité de Micheline Milot. A lire d’urgence par toutes les personnes qui croient encore que la laïcité est une exception française… et par toutes les autres aussi. Micheline Milot est une sociologue canadienne/québécoise. Depuis de nombreuses années elle travaille à la fois sur la laïcité en général et sur la laïcité dans son pays.

En 128 pages elle répond de façon claire, synthétique (mais comme peut seule le faire une grande spécialiste) à 25 questions qui touchent aussi bien à la manière dont la laïcité s’est construite dans l’histoire, aux différents types de laïcités, aux rapports entre laïcité et démocratie ou laïcité et religions (« un croyant peut-il être favorable à la laïcité ? », « l’expression publique de la laïcité menace-t-elle la religion ? »,…), etc

Je ne sais si on pourra facilement se procurer l’ouvrage en France. Je donne le site Web de l’éditeur : www.novalis.ca

- Pierre-Jean Luizard, Laïcités autoritaires en terre d’islam chez Fayard. En analysant l’histoire de différents pays qui ont connu de forts courants laïcisateurs : Algérie, Tunisie, Egypte, Irak, Iran, Syrie et Turquie (ce dernier étant le seul où la laïcité a été culturellement intégrée), Luizard pose une question clef : « la laïcité peut-elle être un vecteur de démocratisation dans les pays musulmans ? »

- Florence Rochefort (éd.) Le pouvoir du genre. Laïcités et religions 1905-2005, aux PUM (Presses Universitaires du Mirail). Comme son titre l’indique ce livre, issu d’un colloque tenu en 2005, explore de plusieurs manières, les rapports entre laïcités et religion d’une part, la construction sociale de la différence entre sexes de l’autre. On y trouvera, entre autre, des contributions passionnantes sur l’entrée des femmes en politique.

2)Ensuite, un numéro de Cosmopolitiques (n° 16) (www.cosmopolitiques.com) sur  « Une exception si française » avec 4 articles qui se complètent très très bien sur la laïcité : celui de Yan Moulier-Boutang : « Aux origines de l’exception française : la Contre-réforme et la minorité protestante » ; celui de Françoise Lorcerie, « La République aime l’école » (c’est une citation, bien sûr) ; celui de Isabelle Agier-Cabannes : « la laïcité, exception libérale dans le modèle français » (lumineuse démonstration juridique et philosophique que la laïcité française n’est nullement ce que les Rrrrrépublicains en disent) et le mien sur « la représentation de la laïcité comme exception française ». L’ensemble du numéro est à lire, mais j’ai particulièrement apprécié ceux de François Dubet (« le goût national de l’exception ») et de Nacira Guénif-Souliamas (« ‘Sans distinction d’origine, de race ou de religion’…Un certain goût de la distinction en régime d’exception »).

Ensuite, même si l’actualité nous entraîne, dans son flux perpétuel, à passer d’un sujet à l’autre, je continue (et termine) ma Note du 5 janvier sur la « culture du résultat ». Merci aux remarques critiques des internautes. Je répondrai à Wilfred que, chez Sarko, la culture du résultat peut être effectivement aussi ce qu'il dit (et dont il faudrait parler plus longuement: les gens ne sont pas des saints; on ne peut nier que certains glandouillent, ou font leur travail au minimum, dans le système actuel, comme je vais le montrer, il arrive qu'ils soient privilégiés)  mais que sa proposition d’évaluer ses ministres ne peut être balayée, comme l’a fait le PS, en affirmant simplement que c’est « pitoyable ».

Toutes celles, tous ceux, qui me font l’amitié de me lire savent

-         d’une part que je me situe à gauche,

-         d’autre part que tout suivisme à l’égard des partis en général, du PS en particulier m’est étranger.

 

Si j’approfondis un peu cette question de la « culture du résultat », c’est que je trouve… pitoyable la réponse du PS. C’est avec des réponses de ce genre que ce parti est actuellement en manque de crédibilité, ce qui doit inquiéter non seulement ses membres et ses sympathisants, mais toutes les personnes attachées au jeu démocratique.

Je voudrais, après avoir traité le 5 janvier de ce problème au niveau des principes, l’aborder sous l’angle de la pratique sociale. Cela à partir de ma triple expérience de prof, d’ex président d’un grand établissement et, surtout, d’ex conseiller d’une ministre.

Mais il est clair que je n’engage que moi.

1) L’évaluation (et donc soi disant la culture du résultat) existe déjà, bien sûr et c'est se masquer la face de croire que l'on peut se dispenser de s'interroger sur les résultats. Si vous avez des ponts qui ne s'effondrent pas, c'est notamment à cause de cela, quand même!

Mais l'évaluation est faite de façon particulièrement stupide et pernitieuse  dans l’éducation nationale pour les profs du primaire et du secondaire. En tant que prof du supérieur, j’ai eu beaucoup de doctorants qui étaient ou avaient été profs dans le secondaire.

Certains d’entre eux voulaient, au départ, rester des profs du secondaire. Ils estimaient avoir une « vocation » à s’adresser à des adolescents, à un âge capital pour la formation de leur personnalité.

Ils ont été rapidement écoeurés. Ils se donnaient entièrement à leur profession, complétaient leur enseignement en organisant sorties pédagogiques, la construction d’exposition avec leurs élèves, et d’autres activités. Ces derniers étaient passionnés. Cela marchait du tonnerre, leur chef d’établissement les félicitait… et quand il s’est agi des les noter, il leur a mis 15 ou 16/20, alors qu’un collègue qui faisait le strict minimum, ou même un peu moins, obtenait 20/20.

 

Et quand ces jeunes profs sont allés demander une explication, invariablement on leur a répondu que cela était normal et que, comme les copains, leur note augmenterait au fur et à mesure de leur ancienneté.

On sait aussi, que sont mis dans des collèges particulièrement difficiles de jeunes agrégés, que l’on a pas formé à faire face à ce genre de situation, parce qu’ils ont…moins de points (moins d’ancienneté, schématiquement) que des enseignants ayant plus d’expérience, de bouteille. Certains font face (et se retrouvent avec leur 15, 16), d’autres sont vite dégouttés, parce qu’on les a mis dans une situation impossible.

Une autre forme d’évaluation est l’inspection. J’ai recueilli moins de témoignages à ce sujet, mais quand même plusieurs m’ont indiqué que l’Inspection générale de philosophie est réputée pour son dogmatisme, crossant facilement ce qu’elle qualifie d’ « originalité » et les profs qui intégreraient trop, à son goût, les démarches des sciences humaines, évaluant les carrières au nom d'une orthodoxie souvent étouffante.

Je note d’ailleurs que les philosophes dit républicains nous bassinent depuis 20 ans de la phrase : « il faut un maître pour se passer de maître », citation de l’ancien inspecteur Mugluoni. Mais si ces philosophes en étaient arrivés à « se passer de maître », à réfléchir un tantinet par eux-mêmes, bêleraient-ils encore les formules du Maître ? la sélection par la pseudo évaluation actuelle ne favoriserait-elle pas les disciples conformistes, par rapport aux esprits libres, capables d’examen critique et de novation intellectuelle ?

2) Quand j’ai été président d’un grand établissement de l’enseignement supérieur, j’avais à noter le personnel administratif[1]. J’ai tenté de faire la part du feu entre mes convictions et les habitudes que je connaissais fort bien. Ainsi, j’ai mis 18/20 à une administrative nouvelle qui était sur compétente pour le poste qu’elle occupait, se montrait d’un dévouement exemplaire et ne comptait ni son énergie ni son temps. J’ai mis la même note à quelqu’un qui devait avoir 20 ans d’ancienneté, mais, un peu trop souvent…attendait que cela se passe.

Eh bien l’instance supérieure a rétrogradé la première note et a mis 16. Elle a augmenté la seconde note, en mettant 20 : Motif : on ne peut pas diminuer la note de quelqu’un qui a déjà 20 depuis plusieurs années !

Je croyais avoir fait un compromis qui permette que cela passe. Eh bien, même pas.

Les évaluations, cela existe donc déjà. Mais à la Courteline, pas à la culture du résultat.

Il y a là un système à changer profondément, pour qu’il soit moins injuste, qu’il ne décourage pas les personnes compétentes et qui en veulent. Pour moins produire de gâchis.

Pour que le message ne soit pas : fais en le moins possible, l’essentiel, dans la fonction publique, c’est de vieillir. Et ça, cela vient tout seul !

Certains me trouveront excessif. Mais ces pratiques me révoltent ; elles sont tout sauf de gauche. Et si l’action syndicale est, oh combien nécessaire, si je connais beaucoup de syndicalistes qui la mènent avec passion et intelligence, je regrette d’autant plus le silence radio sur cette question.

Et les personnalités de « gôche », ne pourraient-ils pas mettre ces problèmes sur la place publique au lieu de, tout le temps, avoir des propos convenus, totalement prévisibles. A tel point que souvent, ils pourraient faire du play-back ou se faire avantageusement remplacer par un perroquet.

Mais je dérape, j’insulte les perroquets maintenant !

Exemple sur un sujet différent, mais qui, lui aussi, concerne certaines habitudes. Et tant que j’y suis,… Une femme de ménage faisait les bureaux de 6 à 9. Elle travaillait 15 heures par semaine en étant payé à plein temps. La raison était double : des horaires très matinaux, l’impossibilité de faire le ménage quand les bureaux étaient occupés.

J’ai négocié avec elle et j’ai fait passer son service de 15 à 30 heures, soit de 6 heures à midi. J’ai estimé que des horaires matinaux justifiaient une réduction de son service à 30 heures, mais pas à 15. Et que, de 9 heures à midi, elle pouvait faire des photocopies ou des activités de cet ordre. 

Cela soulageait d’autres agents (certains profs, notamment, sont des spécialistes de demandes de photocopie que des agents, qui sont en train d’accomplir un autre travail, devraient tirer toutes affaires cessantes,). Cela aussi mettait fin à l'idée que certains avaient des "privilèges", ce qui ne favorise pas une bonne ambiance dans un service.

Protestation immédiate d’un syndicat (pas de tous). Je convoque une réunion entre ses représentants, la personne concernée et moi. Cette réunion débute de façon un peu agressive : les avantages acquis, le doublement insupportable des heures de travail et, en plus !, des tâches confiées qui ne correspond pas au cahier des charges d’une femme de ménage. J’ai tout faux !

Je réponds simplement qu’il faut entendre ce qu’a à dire la personne intéressée. Elle prend la parole et dis : « Depuis ce changement, je suis heureuse. Avant, je partais quand les autres arrivaient, je ne voyais personne, je restais seule chez moi à regarder la télé toute la journée. Maintenant, je parle avec des étudiants et des collègues, je déjeune avec des collègues à la cantine,… »

La réunion s’est arrêtée là.

 

Je pourrais donner d’autres exemples de ma pratique de président. Ainsi, on était normalement obligé, pour imprimer notre Annuaire, de passer par l’Imprimerie Nationale. Avec un appel d’offre, j’ai obtenu la même qualité, bien meilleur marché. Je ne respectais pas les règles… bureaucratiques. Mais là, les règles du marché permettaient de mieux utiliser l’argent public. Alors,…

 

3) Allez, je passe à ma troisième expérience, celle de conseiller de la ministre. J’étais chargé de la formation à la citoyenneté. Vaste programme que j’ai abordé avec beaucoup d’enthousiasme. La ministre avait plein d’idées fort passionnantes, et elle se montrait réceptive aux suggestions que je pouvais lui faire.

En gros, cela se passait ainsi : je lui rédigeais, à sa demande (à celle du dir’cab aussi) ou à mon initiative, une Note sur un sujet précis, une action à entreprendre, à réaliser. Si elle avait des remarques, on en discutait et je recommençais ma copie. Sinon, elle validait la Note de façon manuscrite. Et quand cela était fait, je devais travailler avec l’appui des services concernés de l’administration à la réalisation concrète du contenu de la Note.

Comme je l’ai dit, la ministre débordait d’idées et moi aussi.

Et, de plus, je trouvais un peu grisant d’avoir à faire un travail qui pouvait avoir un impact à l’échelle de la France, d’avoir à exercer une responsabilité auprès « des Français » qui, sous un président de droite, avaient élu une majorité de gauche (nous étions en 1997), donc opté pour le changement.

Au début, tout baignait dans l’huile. Mes interlocuteurs de l’administration m’apparaissaient des gens charmants, compétents, expérimentés, et j’était sur qu’on allait, ensemble, faire du bon travail, changer beaucoup de choses.

Dans ma naïveté profonde, je leur ai tenu, en substance, ce discours : Vous aviez à servir une majorité de droite, vous avez fait ce qu’on vous demandait de faire. Fort bien. Je vous en donne quitus. Maintenant, une autre majorité a été élue pour faire une autre politique, et donc je compte sur vous pour m’aider à réaliser le changement nécessaire, dans mon domaine de compétence.

Oui, naïveté profonde ! Je voudrais me garder de mettre tout le monde dans le même sac. Certains, certaines surtout, ont agi loyalement. Je leur en sais gré. Mais j’ai rapidement compris qu’avec mon petit discours j’étais totalement à côté de la plaque. Beaucoup de gens de l’administration se considèrent comme l’Etat incarné. Les ministres passent, eux restent. Ils assurent « la continuité de l’Etat », c'est-à-dire, en français courrant : l’immobilisme, la continuation routinière de l’existant, l’échec de tout changement, de toute réforme.

Pour eux, mettre un pied dans l’eau, quelle aventure !… On ne sait jamais ce qu’il peut y avoir sous 20 cm de flotte, c’est peut être dangereux !

Tout cela se passe dans le non-dit, naturellement. Il a fallu, une fois, en pousser un dans ses derniers retranchements, pour qu’il me dise explicitement qu’il n’allait pas obéir aux « lubies » de la ministre ! Il s’agissait d’un problème extrêmement sérieux, pourtant.

Le plus souvent, deux tactiques  sont utilisées :

. D’abord, la résistance passive, la pièce sois disant qui manque et empêcherait d’exécuter l’ordre reçu, les « on voudrait bien » mais il existe mille et une impossibilités techniques, les retards qui permettent de gagner du temps, et d’user celui du conseiller : après tout, il partira avant nous !

Bref, je suis vraiment injuste en parlant de « résistance passive », certains font preuve, au contraire, de beaucoup d’inventivité et d’énergie pour trouver des raisons qui retardent, qui rendent impossible, qui déforment l’application des ordres reçus, sans jamais s’y opposer explicitement, bien sûr.

. Ensuite, seconde tactique, la moulinette administrative qui a l’art de transformer de vrais changements en… rien du tout. Vous leur donnez une véritable bombe (c’est une image bien sûr !), et…, par des mains très expertes, cela devient un petit pétard inoffensif, quand il n’est pas complètement mouillé. Vraiment, certains s’avèrent de véritables virtuoses en la matière, des magiciens de l’escamotage.

Bref, j’ai du très vite, revoir mes ambitions à la baisse ; faire des compromis (du style des 2 Notes 18 dont il est questions plus haut !), me jurer à moi-même que, sur tel ou tel dossier, je passerai le temps qu’il faudrait, je mettrais toute l’énergie nécessaire, mais que, sur ces dossiers là,  « ils ne m’auraient pas ».

Et même les compromis, cela n’a pas été de la tarte de les obtenir ! Il m’est arrivé de piquer des colères homériques, moi pourtant si gentil, si doux, si délicieux, si agréable à vivre, et si modeste en plus !

Je me souviens d’une réunion où l’on me démontrait par a + b que chacune des actions que proposait ma Note (validée, comme il se doit, par la ministre), était merveilleuse, au plan de l’idée, mais… irréalisable pour les fameuses « raisons techniques ». Je tenais bon, et la séance n’en finissait pas.

A un moment, une interlocutrice me dit : « Monsieur, nous sommes le 13 juillet, il est plus de 20 heures, et j’ai des enfants qui m’attendent chez moi. » J’ai répliqué : « Madame, la réunion ne se terminera pas sans un compromis, je veux bien que tout ne soit pas réalisable, mais je refuse que rien ne le soit. Votre travail consiste à trouver comment réaliser les objectifs politiques du Cabinet.»

Ce soir là, j’ai effectivement obtenu mon compromis. Mais je vous assure, c’est usant, énervant. Et au bout du compte, le changement devient quand même rabougri.

Ceci écrit, j’ai aussi beaucoup circulé à travers la France et rencontré des chefs d’établissements et des enseignants faisant un travail admirable. Je garde de cela un très bon souvenir.

La ministre, elle, m’a toujours soutenu, y compris quand des personnes de l’administration venaient se plaindre de moi auprès d’elle. Mais un/une ministre n’est pas tout puissant, ne peut être partout et ne peut pas tout faire. Et tous les échos que j’ai eus m’ont convaincu que la situation était largement analogue ailleurs, dans les autres ministères.

J’aurais d’ailleurs d’autres anecdotes qui le montreraient, mais peu importe : l’essentiel est que je trouve tout à fait ahurissant que des leaders socialistes qui sont parfaitement au courant de ces problèmes, s’en tiennent à un pitoyable…« pitoyable ».

Si on fait la part de la déformation de présentation médiatique, et on sait très bien que les médias déforment la réalité pour la rendre piquante, on peut interpréter la demande faite aux ministres d’une « culture du résultat » comme étant, pour une part en tout cas, une aide apportée à ces ministres pour faire pression sur leur administration, afin qu’elle soit moins contreproductive.

On peut très bien ne pas être du tout  d’accord (c’est mon cas) avec beaucoup d’éléments du programme de Nicolas Sarkozy. Mais, il a été élu et on ne saurait lui reprocher de prendre des mesures pour réaliser son programme.

On ferait mieux de se demander si ces mesures ne peuvent pas favoriser des changements de mentalité qui aideront la gauche à réaliser un peu plus son propre programme le jour où elle reviendra « aux affaires ».

A moins de considérer un programme politique comme étant de la poudre aux yeux pour gogos, on ne peut pas ne pas se poser la question : comment obtenir des résultats, comment tenir le plus possible ce que l’on a promis ?

Alors, bien sûr, les critères d’évaluation doivent être soigneusement construits, examinés. « Faire du chiffre » ? C’est le gros risque. Il ne faut pas sacraliser les chiffres, car cela est réducteur et conduit souvent à truquer. Il ne faut pas les diaboliser non plus, et parfois les récuser conduit  à refuser d’affronter la réalité.

Donner un chiffre à atteindre pour les reconduites à la frontière, c’est horrible. On est là dans un domaine qui doit être très soigneusement du cas par cas, tenir compte de chaque situation. Un domaine où le qualitatif doit être préféré à tout quantitatif En revanche, connaître la fréquentation gratuite des musées, ce n’est pas idiot, s’il s’agit d’un critère parmi d’autres.

Pourquoi ? Parce que cela met à jour une réalité non médiatique, et que l’évaluation peut précisément servir à cela.

Quand je repense à l’action de « ma » ministre, cette action comportait un aspect médiatisé, un autre ( qui accaparait l’essentiel de son temps) qui échappait à toute médiatisation. Et j’étais parfois en décalage complet avec les gens avec qui je discutais. Ils ne connaissaient que les aspects médiatisés, et pour eux, en fait, sans qu’ils en aient forcément conscience, tout ce qui n’était pas médiatisé, n’existait pas.

Le pire c’est qu’ils lui reprochaient d’être trop médiatique, sans se rendre compte, ni vouloir admettre que :

      -     n’était médiatisée, dans son travail, que la face émergée de l’iceberg

-         la médiatisation est une contrainte de l’action des politiques

-         que cette contrainte, ils en sont eux-mêmes co-responsables en réduisant l’appréciation de son travail à la partie médiatisée.

Morale de l’histoire : je suis désolé mais, en lançant l’idée d’une « culture du résultat », Sarko a lancé un pavé dans la mare, dont il ne faut pas se gausser de manière paresseuse et idiote. J’y en a marre d’avoir la gauche « la plus bête du monde » !

Que, bien sûr, cela ne signifie pas du tout avaler tout cru ce que fait Sarko. Il faut proposer des choses intelligentes, justes (au double sens de justesse et de justice) quand à la méthode et aux critères.

Je rappellerai, quand même, que la candidate, Ségolène Royale, s’était, elle aussi, située dans une « culture du résultat », quand elle avait proposé des « jurys populaires ».

Peut-être que l’expression n’était pas des plus heureuses : no body is perfect. Mais il y avait derrière la belle idée de ne pas réduire l’exercice de la démocratie au rituel du vote. D’avoir à rendre compte, de ce que l’on fait. Et là aussi, créer des instances d’évaluation aurait pu contribuer à changer certaines mentalités. Au lieu de comprendre cela, les pseudos amis de la candidate, lui ont tiré une balle dans la jambe.

Maintenant, ils ont Sarko. Ils peuvent multiplier les critiques. Pour moi (inconsciemment peut-être) ils l’ont voulu, ils l’ont eu.

Nous aussi avec !

Alors maintenant, trions et au lieu d’être dans le réflexe pavlovien de distribuer des noms d’oiseau à chaque occasion, faisons preuve d’un peu de culture (c’est quand même héénorme que tous les énarques du PS ait mis plusieurs jours à apprendre que l’expression « politique de civilisation » venait d’Edgar Morin. Cela aurait été du BHL ou d’autre intello show-biz, ils l’auraient su tout de suite), d’un peu d’intelligence, d’un peu de créativité.

PS : Ce qui est terrible avec sarko, c’est que l’on a toujours un métro de retard : j’ai hésité à continuer ma Note sur « la culture du résultat » ou en faire une autre sur la suppression de la pub à la télé publique. J’en reparlerai peut-être un jour, notamment à partir de mon expérience d’ex-membre de la Commission sur la violence à la télévision. Elle m’a « édifié » !

En attendant, juste dire que j’ai trouvé…pitoyables les propos de Philippe Val sur France Inter (vendredi 11), comparant d’abord la pub à un petit îlot de résistance (implicitement : le village gaulois d’Asterix) contre les valeurs sociales dominantes (à ses yeux) de l’égalité homme-femme, et du non englobement de l’individu par son sexe. La pub, c’est plutôt les légions de césar qui envahissent tout, avec quelques îlots de résistance, Non ?

Ensuite, Val a fait sa chochotte, style la suppression de la pub, cela va être une aubaine pour TF1 et M6. Cette suppression, camarade val, c’est d’abord la condition nécessaire (pas suffisante bien sûr) pour une télé publique enfin un peu intelligente, et qui ne soit pas la sœur de la télé commerciale.

Télé élitiste ? J’assume puisque cet « élitisme » serait offert en permanence à tous, alors qu’actuellement l’élitisme existe et est… la chasse gardée les « élites ».

 

 



[1] Les enseignants du supérieur échappent à une évaluation (sauf passage de Maître de conf. A prof,  prime d’encadrement doctoral, programme de recherches,…). Il est très difficile (il faut être excellent + avoir de la chance) d’obtenir un poste. Mais une fois obtenu, après un an de stage (où, sauf exception, il faut tuer mère et mère, et encore sur le lieu de travail, pour que le stage ne soit pas validé), ils deviennent titulaires à vie.

Je considère depuis longtemps qu’il vaudrait mieux recruter plus et remettre en jeu les postes, par exemple tous les 10ans (puisque des recherches peuvent être de longue durée).

11:25 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (3)

05/01/2008

LA "CULTURE DU RESULTAT"

Sarko, bien sûr, mais pas seulement…

Je voulais commencer l’année 2008 par une réflexion sublime (forcément sublime dirait Marguerite) sur Histoire et mémoire. L’année va être riche de commémorations diverses et le débat est très actuel, bref c’était un beau sujet.

Mais ce sacré Sarko, non content de « faire » président ET chanoine (cf. la géniale Note du 22/12/07), voilà maintenant qu’il fait évaluer ses ministres par son collaborateur-souffre douleur favori (peut-être parce qu’il se prénomme François, comme Hollande !).

Je l’ai déjà indiqué, une de mes règles autodécidées pour ce Blog consiste à ne pas commenter l’actu quand j’estime n’avoir rien de très neuf à ajouter au ‘meilleur’ (naturlich) des médias, ou quand je suis surtout dans le ressenti sur des sujets que je ne connais… qu’à travers les médias, justement.

En revanche, je commente quand j’estime (à tort ou raison) avoir quelques petites idées perso sur la question.

C’est le cas sur ce sujet car c’est un problème qui me taraude depuis longtemps. Sur le plan des principes éthiques et sur celui des pratiques sociales.

 

Sur le plan des principes éthiques, il me semble qu’il faut conjuguer ensemble 2 idées en tension.

La première est qu’il est détestable de s’en tenir à « qui veut la fin, veut les moyens ». Les moyens ne sont pas éthiquement neutres. Certains vont directement à l’encontre de la fin proclamée.

Je dis bien « proclamée » et non pas « poursuivie », précisément parce que les moyens utilisés sont tellement contradictoires avec l’objectif affiché que le doute est permis sur la réalité profonde de cet objectif.

Non pas que l’on ait forcément en face de soi un cynique, un manipulateur conscient. Au contraire la personne qui (de fait) nie la fin qu’elle proclame par les moyens qu’elle emploie peut se duper elle-même.

La cause est tellement bonne, tellement pure à ses yeux; ses adversaires lui paraissent tellement mauvais, que cela lui donne (croit-elle) tous les droits.

C’est le cas de ceux qui sont dans le « pas de liberté pour les ennemis de la liberté », ou le « pas de tolérance pour les intolérants », etc. Bref tout ce qui fait qu’au bout du compte on se trouve dans un combat de frères-ennemis ; que l’observateur extérieur peut renvoyer les adversaires dos à dos : « pas un pour racheter l’autre » dit le dicton.

Le plus souvent, alors, les moyens dévorent la fin ; et celle ci se perd en route. Ne reste, de fait, que les détestables moyens. Des moyens aussi nuisibles, aussi horribles (parfois plus encore), que ceux qui avaient motivé le combat initial. Le léninisme puis le stalinisme en sont des exemples types.

En même temps, il faut écouter Péguy quand il parlait des gens qui « n’ont pas les mains sales, parce qu’ils n’ont pas de mains ». Le désir de pureté quant aux moyens, la volonté qu’ils soient aussi beaux que la fin poursuivie conduit souvent à la paralysie, à l’immobilisme et à la bonne conscience.

On n’aboutit à rien (of course), on ne transforme pas les choses, on garde totale l’estime de soi, on est dans la belle (et confortable !) posture d’avoir refusé tout compromis, toute compromission. Et on peut pester contre le monde méchant, mauvais, contre les ‘traîtres’ (ceux qui ont les mains dans le cambouis). On peut critiquer toutes les solutions adoptées, aucune n’étant parfaite.

C’est assez la posture actuelle des médias qui ne veulent pas être complaisants.

Pour prendre un exemple, je lis volontiers Le Canard enchaîné, j’y trouve des informations intéressantes, d’autres qui sont mon ‘pipole’ à moi, des dessins assez souvent drôles.

Mais je ne suis pas dupe, ou du moins je tente de ne pas être dupé. D’abord en me disant : « bon, ils (= les politiques) font ‘blanc’ et sont critiqués, imaginons qu’ils fassent ‘noir’ »… ; il est facile de trouver la critique inverse qui serait alors faite ! Et le truc ‘à tous les coups ça marche’ m’horripile un peu.

Ensuite, parce que si l’on examine, de façon un peu critique, certaines critiques effectuées, elles reviennent à dire que les politiques ne sont pas des ‘saints’. Mais devraient-ils l’être ?

J’attends d’eux qu’ils ne soient pas corrompus et qu’ils ne fassent pas bon marché de la vie des gens. Pour le reste, je réclame de la compétence, de l’efficacité véritable (on en reparlera dans la seconde partie) , une certaine justesse et non de la sainteté.

En effet, seconde idée en tension avec la première, les résultats effectifs, réels de toute action ne sont pas éthiquement neutres.

Et cette affirmation a, au moins deux conséquences.

-         on ne peut pas s’absoudre de résultats catastrophiques en invoquant le fait que les moyens étaient bons, les intentions étaient bonnes.

-         on ne peut encore moins s’absoudre de l’absence de résultats en invoquant les mêmes raisons.

Les bonnes intentions, l’enfer en est pavé.

Ne pas avoir les mains sales, parce qu’on n’a pas de mains, ou plus exactement, parce qu’on les a gardé dans ses poches alors qu’il fallait les tremper dans une eau de bain pas vraiment propre, pour sauver l’enfant, c’est éthiquement nul !

La métaphore de ‘l’enfant et de l’eau du bain’ fonctionne dans ce cas là aussi.

Les beaux parleurs, les critiqueurs professionnels et systématiques, etc ont tout faux. C’est d’ailleurs pourquoi, à l’encontre de beaucoup, étant de gauche, je préfère quand la gauche est au pouvoir, qu’elle peine, qu’elle sue, qu’elle se confronte au réel et s’y blesse, que lorsqu’elle exerce son pseudo « ‘ministère de la parole » où elle fusille des choses qu’elle aurait à peu près faites, et où elle énonce des programmes qu’elle ne réalisera jamais.

Et, du coup, d’ailleurs, à prôner des objectifs impossibles, elle ne réalise pas le possible quand elle est ‘aux affaires’ : la HALDE, les ministres issus de la « diversité », ce n’est pas elle. Elle ferait bien de le ruminer !

Et, malgré le diagnostic lucide de Rocard il y a 20 ans, sur les retraites, cela a été : « courage, fuyons » !Quant à l’ultra gauche, elle a le discours de ceux qui ne seront jamais au pouvoir, ou qui, si jamais ils y étaient, ne pourrait poursuivre leurs objectifs que par des moyens totalitaires et…ne les atteindrait pas, loin s’en faut.

L’absence de résultats, la poursuite de chimères est éthiquement condamnable. Cela, même si le problème est compliqué, car le possible ne s’atteint pas, non plus, sans une part d’utopie.

Quand je parle de « résultats effectifs », je veux dire des résultats durables, stables. L’important d’une Révolution, ce sont moins ses novations effervescentes, que l’acquis final quand elle est terminée. Avec deux aspects à examiner :

-         la manière dont cet acquis est stabilisé (c’est pourquoi mon différent avec les « républicains » sur la prise en compte ou non de l’œuvre de Napoléon Bonaparte en matière de laïcité est fondamentale. S’aveugler sur ce point me semble totalement révélateur)

-         le prix qui a été payé pour obtenir ce changement acquis, les aspects contre productifs eux aussi durables (ou récurrents) qui ont été façonnés.

A partir de là, il faut comparer réformisme, et révolution, et cela à différents niveaux ; il faut analyser, etc.

J’ai pris l’exemple du politique, car c’est ce qui permet le plus facilement de rendre sa parole communicable. Mais plus fondamentalement, dans la Note d’aujourd’hui, ce qui est en cause est le problème du pouvoir.

Le pouvoir est un élément fondamental de la vie sociale, de la vie quotidienne. Rien n’échappe aux rapports de pouvoir, pas même l’amour à un certain niveau. Pour autant, la ‘tentation’ actuelle consiste à dire (implicitement) : « caca le pouvoir » ; comme, à une autre époque, on disait : « caca la sexualité ».

Le pouvoir est, à la fois, pouvoir de (responsabilité) et pouvoir sur (domination). Ne voir qu’un aspect des choses consiste à se mettre le digitus in occulo !

Etre conscient de la présence structurelle, permanente, de ces 2 éléments est fondamental (cf les débats sur l’école et les profs, la médecine et les soignants,… mais aussi la nécessité de penser un peu sa vie perso et professionnelle)

Voila quelques réflexions baubérotesques (sinon baubérotiques) sur les principes éthiques. Pour la suite (la pratique sociale de cette « culture du résultat » et la décision sarkozienne d’évaluation ministérielle), il va falloir patienter une semaine, mes chéri(e)s.

Sinon, j’entends déjà mes doctorants (pourtant charmants et patients !) : « il n’a pas le temps de lire nos chapitres de thèses, mais il trouve bien le temps d’écrire des notes interminables sur son Blog ». Et toc, autant pour moi !

Et itou, de la part de celles et ceux envers qui j’ai des envois d’articles en retard. Les éditeurs (au sens « scientifique » du terme = les coordinateurs, si vous voulez), c’est comme les créanciers des pièces de théâtre : cela vous talonne, ne vous lâche pas. Pire que les mafieux quand on a des dettes de jeu !

Mais je les comprends d’autant mieux qu’il m’arrive d’être dans leur rôle et c’est tuant car on ne peut envoyer un livre collectif ou un numéro de revue à l’éditeur, que quand on a reçu la dernière contribution.

Alors, très belle année : faites de beaux rêves, prenez du plaisir à vivre, effectuez ce que vous avez à faire avec un talent d’artiste, câlinez vos proches, faites vous câliner et soyez, comme d’hab., au rendez-vous du Blog dans une semaine.

Bye, bye.

PS : Frank me demande la raison du fait que le président de la République française est chanoine honoraire du Latran : cela remonte a Henry IV, celui-ci, après s’être converti au catholicisme pour pouvoir devenir « roi de France » a fait don de l’abbaye de l’abbaye bénédictine de Clairac. Ce que j’avais d’ailleurs (je crois) mentionné. Ce que je n’avais pas dit, c’est que ce titre avait été abandonné (quand exactement ? sans doute sous la IIIe République, mais je n’ai pas vérifié) et c’est René Coty, le second président de la IVe République) qui l’a remis en ‘honneur’

.2e PS : à lire (et voir car il y a de belles photos qui me rendent horriblement jaloux !) dans le « Weblog scientifique et citoyen » de Sébastien Fath (http://blogdesebastienfath.hautetfort.com), non seulement des indications sur le discours de notre chanoine national, mais de très intéressantes informations sur « Barack Obama et le vote religieux ».

 

16:30 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (5)