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05/01/2008

LA "CULTURE DU RESULTAT"

Sarko, bien sûr, mais pas seulement…

Je voulais commencer l’année 2008 par une réflexion sublime (forcément sublime dirait Marguerite) sur Histoire et mémoire. L’année va être riche de commémorations diverses et le débat est très actuel, bref c’était un beau sujet.

Mais ce sacré Sarko, non content de « faire » président ET chanoine (cf. la géniale Note du 22/12/07), voilà maintenant qu’il fait évaluer ses ministres par son collaborateur-souffre douleur favori (peut-être parce qu’il se prénomme François, comme Hollande !).

Je l’ai déjà indiqué, une de mes règles autodécidées pour ce Blog consiste à ne pas commenter l’actu quand j’estime n’avoir rien de très neuf à ajouter au ‘meilleur’ (naturlich) des médias, ou quand je suis surtout dans le ressenti sur des sujets que je ne connais… qu’à travers les médias, justement.

En revanche, je commente quand j’estime (à tort ou raison) avoir quelques petites idées perso sur la question.

C’est le cas sur ce sujet car c’est un problème qui me taraude depuis longtemps. Sur le plan des principes éthiques et sur celui des pratiques sociales.

 

Sur le plan des principes éthiques, il me semble qu’il faut conjuguer ensemble 2 idées en tension.

La première est qu’il est détestable de s’en tenir à « qui veut la fin, veut les moyens ». Les moyens ne sont pas éthiquement neutres. Certains vont directement à l’encontre de la fin proclamée.

Je dis bien « proclamée » et non pas « poursuivie », précisément parce que les moyens utilisés sont tellement contradictoires avec l’objectif affiché que le doute est permis sur la réalité profonde de cet objectif.

Non pas que l’on ait forcément en face de soi un cynique, un manipulateur conscient. Au contraire la personne qui (de fait) nie la fin qu’elle proclame par les moyens qu’elle emploie peut se duper elle-même.

La cause est tellement bonne, tellement pure à ses yeux; ses adversaires lui paraissent tellement mauvais, que cela lui donne (croit-elle) tous les droits.

C’est le cas de ceux qui sont dans le « pas de liberté pour les ennemis de la liberté », ou le « pas de tolérance pour les intolérants », etc. Bref tout ce qui fait qu’au bout du compte on se trouve dans un combat de frères-ennemis ; que l’observateur extérieur peut renvoyer les adversaires dos à dos : « pas un pour racheter l’autre » dit le dicton.

Le plus souvent, alors, les moyens dévorent la fin ; et celle ci se perd en route. Ne reste, de fait, que les détestables moyens. Des moyens aussi nuisibles, aussi horribles (parfois plus encore), que ceux qui avaient motivé le combat initial. Le léninisme puis le stalinisme en sont des exemples types.

En même temps, il faut écouter Péguy quand il parlait des gens qui « n’ont pas les mains sales, parce qu’ils n’ont pas de mains ». Le désir de pureté quant aux moyens, la volonté qu’ils soient aussi beaux que la fin poursuivie conduit souvent à la paralysie, à l’immobilisme et à la bonne conscience.

On n’aboutit à rien (of course), on ne transforme pas les choses, on garde totale l’estime de soi, on est dans la belle (et confortable !) posture d’avoir refusé tout compromis, toute compromission. Et on peut pester contre le monde méchant, mauvais, contre les ‘traîtres’ (ceux qui ont les mains dans le cambouis). On peut critiquer toutes les solutions adoptées, aucune n’étant parfaite.

C’est assez la posture actuelle des médias qui ne veulent pas être complaisants.

Pour prendre un exemple, je lis volontiers Le Canard enchaîné, j’y trouve des informations intéressantes, d’autres qui sont mon ‘pipole’ à moi, des dessins assez souvent drôles.

Mais je ne suis pas dupe, ou du moins je tente de ne pas être dupé. D’abord en me disant : « bon, ils (= les politiques) font ‘blanc’ et sont critiqués, imaginons qu’ils fassent ‘noir’ »… ; il est facile de trouver la critique inverse qui serait alors faite ! Et le truc ‘à tous les coups ça marche’ m’horripile un peu.

Ensuite, parce que si l’on examine, de façon un peu critique, certaines critiques effectuées, elles reviennent à dire que les politiques ne sont pas des ‘saints’. Mais devraient-ils l’être ?

J’attends d’eux qu’ils ne soient pas corrompus et qu’ils ne fassent pas bon marché de la vie des gens. Pour le reste, je réclame de la compétence, de l’efficacité véritable (on en reparlera dans la seconde partie) , une certaine justesse et non de la sainteté.

En effet, seconde idée en tension avec la première, les résultats effectifs, réels de toute action ne sont pas éthiquement neutres.

Et cette affirmation a, au moins deux conséquences.

-         on ne peut pas s’absoudre de résultats catastrophiques en invoquant le fait que les moyens étaient bons, les intentions étaient bonnes.

-         on ne peut encore moins s’absoudre de l’absence de résultats en invoquant les mêmes raisons.

Les bonnes intentions, l’enfer en est pavé.

Ne pas avoir les mains sales, parce qu’on n’a pas de mains, ou plus exactement, parce qu’on les a gardé dans ses poches alors qu’il fallait les tremper dans une eau de bain pas vraiment propre, pour sauver l’enfant, c’est éthiquement nul !

La métaphore de ‘l’enfant et de l’eau du bain’ fonctionne dans ce cas là aussi.

Les beaux parleurs, les critiqueurs professionnels et systématiques, etc ont tout faux. C’est d’ailleurs pourquoi, à l’encontre de beaucoup, étant de gauche, je préfère quand la gauche est au pouvoir, qu’elle peine, qu’elle sue, qu’elle se confronte au réel et s’y blesse, que lorsqu’elle exerce son pseudo « ‘ministère de la parole » où elle fusille des choses qu’elle aurait à peu près faites, et où elle énonce des programmes qu’elle ne réalisera jamais.

Et, du coup, d’ailleurs, à prôner des objectifs impossibles, elle ne réalise pas le possible quand elle est ‘aux affaires’ : la HALDE, les ministres issus de la « diversité », ce n’est pas elle. Elle ferait bien de le ruminer !

Et, malgré le diagnostic lucide de Rocard il y a 20 ans, sur les retraites, cela a été : « courage, fuyons » !Quant à l’ultra gauche, elle a le discours de ceux qui ne seront jamais au pouvoir, ou qui, si jamais ils y étaient, ne pourrait poursuivre leurs objectifs que par des moyens totalitaires et…ne les atteindrait pas, loin s’en faut.

L’absence de résultats, la poursuite de chimères est éthiquement condamnable. Cela, même si le problème est compliqué, car le possible ne s’atteint pas, non plus, sans une part d’utopie.

Quand je parle de « résultats effectifs », je veux dire des résultats durables, stables. L’important d’une Révolution, ce sont moins ses novations effervescentes, que l’acquis final quand elle est terminée. Avec deux aspects à examiner :

-         la manière dont cet acquis est stabilisé (c’est pourquoi mon différent avec les « républicains » sur la prise en compte ou non de l’œuvre de Napoléon Bonaparte en matière de laïcité est fondamentale. S’aveugler sur ce point me semble totalement révélateur)

-         le prix qui a été payé pour obtenir ce changement acquis, les aspects contre productifs eux aussi durables (ou récurrents) qui ont été façonnés.

A partir de là, il faut comparer réformisme, et révolution, et cela à différents niveaux ; il faut analyser, etc.

J’ai pris l’exemple du politique, car c’est ce qui permet le plus facilement de rendre sa parole communicable. Mais plus fondamentalement, dans la Note d’aujourd’hui, ce qui est en cause est le problème du pouvoir.

Le pouvoir est un élément fondamental de la vie sociale, de la vie quotidienne. Rien n’échappe aux rapports de pouvoir, pas même l’amour à un certain niveau. Pour autant, la ‘tentation’ actuelle consiste à dire (implicitement) : « caca le pouvoir » ; comme, à une autre époque, on disait : « caca la sexualité ».

Le pouvoir est, à la fois, pouvoir de (responsabilité) et pouvoir sur (domination). Ne voir qu’un aspect des choses consiste à se mettre le digitus in occulo !

Etre conscient de la présence structurelle, permanente, de ces 2 éléments est fondamental (cf les débats sur l’école et les profs, la médecine et les soignants,… mais aussi la nécessité de penser un peu sa vie perso et professionnelle)

Voila quelques réflexions baubérotesques (sinon baubérotiques) sur les principes éthiques. Pour la suite (la pratique sociale de cette « culture du résultat » et la décision sarkozienne d’évaluation ministérielle), il va falloir patienter une semaine, mes chéri(e)s.

Sinon, j’entends déjà mes doctorants (pourtant charmants et patients !) : « il n’a pas le temps de lire nos chapitres de thèses, mais il trouve bien le temps d’écrire des notes interminables sur son Blog ». Et toc, autant pour moi !

Et itou, de la part de celles et ceux envers qui j’ai des envois d’articles en retard. Les éditeurs (au sens « scientifique » du terme = les coordinateurs, si vous voulez), c’est comme les créanciers des pièces de théâtre : cela vous talonne, ne vous lâche pas. Pire que les mafieux quand on a des dettes de jeu !

Mais je les comprends d’autant mieux qu’il m’arrive d’être dans leur rôle et c’est tuant car on ne peut envoyer un livre collectif ou un numéro de revue à l’éditeur, que quand on a reçu la dernière contribution.

Alors, très belle année : faites de beaux rêves, prenez du plaisir à vivre, effectuez ce que vous avez à faire avec un talent d’artiste, câlinez vos proches, faites vous câliner et soyez, comme d’hab., au rendez-vous du Blog dans une semaine.

Bye, bye.

PS : Frank me demande la raison du fait que le président de la République française est chanoine honoraire du Latran : cela remonte a Henry IV, celui-ci, après s’être converti au catholicisme pour pouvoir devenir « roi de France » a fait don de l’abbaye de l’abbaye bénédictine de Clairac. Ce que j’avais d’ailleurs (je crois) mentionné. Ce que je n’avais pas dit, c’est que ce titre avait été abandonné (quand exactement ? sans doute sous la IIIe République, mais je n’ai pas vérifié) et c’est René Coty, le second président de la IVe République) qui l’a remis en ‘honneur’

.2e PS : à lire (et voir car il y a de belles photos qui me rendent horriblement jaloux !) dans le « Weblog scientifique et citoyen » de Sébastien Fath (http://blogdesebastienfath.hautetfort.com), non seulement des indications sur le discours de notre chanoine national, mais de très intéressantes informations sur « Barack Obama et le vote religieux ».

 

16:30 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (5)

Commentaires

Deux réflexions qui me viennent à la lecture de votre billet.

Sur le Canard Enchaîné et les récriminations du PS, certes l'opposition systématique n'est pas idéale, mais au vu des moyens de communications employées par le camp d'en face, cela reste une plaisanterie. Alors, on peut penser que répondre à la propagande par la propagande conduit à la catastrophe mais ce qui est certain c'est que TF1 ne va pas se lancer dans l'information objective même si le PS devient honnête.

Sur la culture du résultat des ministres, il me semble très naïf de penser que cette évaluation pèse bien lourd dans le casting qu'imposera le prochain remaniement ministériel. Des chiffres et des critères, ça se caviarde, quand on veut faire valser les maroquins. Ces évaluations relèvent de la pure com' et par conséquent méritent-elles qu'on s'interrogent plus avant sur leur sujet ? À terme, ne sont-elles pas là seulement pour faire accepter la généralisation de la culture du résultat à la fonction publique ?

Écrit par : Wilfried | 05/01/2008

mieux vaut tard que jamais!
Merci à J.Baubérot de prendre le temps dans un emploi du temps des plus chargés de nous offrir ce blog et bien entendu tous mes meilleurs voeux pour cette nouvelle année. Qu'enfin nous ne vivions pas aux rythmes frénétiques de la "scénarisation" du "politique" inspirée par des "communicants" "néo-cons"!
sur cette dernière note: elle me ravit, certes!
Une question ( en attendant la suite!): ne faut-il pas remettre en cause cette "culture du résultat" ? Non qu'il ne faille pas "évaluer", obtenir des résultats sur des objectifs déterminés .Mais pour prendre un exemple simple qui me tient à coeur: celui du domaine de l'éducation , de la recherche et de la culture. Qui peut se permettre de juger des résultats sur des élèves, étudiants , citoyens de ce qui fait son petit bonhomme de chemin pendant des années, une vie même ? La "culture de l'évaluation, du résultat" en arrive à de telles caricatures , contradictions qu'il me semble dans bien des domaines essentiels qu'elle en arrive à totalement faire le déni ( typiquement technocratique) de "l'humain", en perpétuel devenir .
Lequel "humain" ne peut être réduit à des "chiffres" et ce n'est sans doute pas tout à fait un hasard si nos "gouvernances" combinent ces cultures du résultats à des manipulations de l'imaginaire, du symbolique dont ont besoin les humains. J'ai cru éclater de rire en lisant par exemple les nouveaux critères de fonctionnement de l'etat ( Woerth) dans un jargon ubuesque et ce qu'on sait des bulletins de notes de nos ministres. On n'est même plus dans la problématique de "la fin et des moyens" , politique et éthique, mais dans celle d'apprentis-sorciers prétendant substituer à des siècles d'inventions de compromis sociaux et politiques des esbrouffes de jeux avec des "chiffres" censés impressionner des citoyen(ne)s non-"experts" et d'épisodes de feuilletons rompant avec tous les "tabous".
Pour clore: je serai plus sévère que J.B.avec notre P.S.!
Ce que moi et d'autres lui reprochent ( et j'ai essayé, essaye d'avoir des mains!) c'est d'avoir peu à peu et de plus en plus jeté le bébé avec l'eau du bain, de singer ceux et celles qu'il disait combattre en renonçant aux valeurs qu'il disait vouloir défendre. D'avoir laissé le terrain , faute de s'occuper d'autre chose que de campagnes électorales et de carrières personnelles de la "pensée" aux autres; d'avoir plus que découragé, vilipendé qui en son sein et/ou en x boulots courageux, pragmatiques de terrains cherchaient à inventer ...
Je regrette personnellement que Rocard pour qui j'ai toujours eu une grande estime en vienne ( cf son dernier bouquin et x positions) paraisse d'abord règler ses comptes avec x,y,z , pratiquer une certaine "gérontocratie"...
Les mic-macs des municipales ne sont pas tristes...Il y a des lignes jaunes que l'on ne franchit pas: après vérifications et bien qu'en pense le parti socialiste de l'ouverture à Marseille par Guerini à un monsieur, alors encore du bureau national de l'UMP, tendance "droite libre", pure "néo-con" laïque à la mode Sarkozy, connu pour certaines croisades du choc des civilisations. Faut le faire à Marseille. C'était réponse certes au ralliement d'un "républicain" ex-socialiste qui rejoignait Gaudin...lassé, à juste titre, d'avoir en vain prôné luttes contre corruption, clientélismes, pour candidats de la "diversité", pour politique non consensuelle ( UMP et majorité du PS) en défaveur des populations " pauvres", "exclues" . Mais il est vrai que la laîcité à Marseille et dans le Sud-Est relève de feuilletons assez ahurissants . Ouf ...connaissant ou non vos travaux bien des militants de terrains pratiquent la laîcité telle que vous la défendez en x compromis, ça va de soi!
Mais pour qui vont voter ou ne pas voter des citoyen(ne)s même les plus engagés ( suivant la loi de leur conscience)
quand ils et ne peuvent plus faire confiance...dans les "élu(e)s au vu des "résultats" ou "non-résultats" dans leur vie quotidienne comparés à x discours...
je me suis laissée emballer! veuillez m'en excuser!

Écrit par : anne-marie lepagnol | 06/01/2008

@A-M Lepagnol :

Et si la "culture du résultat" n'était qu'une justification commode pour réduire l'enveloppe des augmentations de salaires et faciliter les dégraissages ? C'est ce qui se pratique communément dans le privé : officiellement, on augmente seulement les plus "méritants" et on débarque seulement les moins "performants", officieusement on fait simplement des économies.

J'espère être paranoïaque mais enfin, le fatras déversé par les services de communication de qui-vous-savez sur le sujet ressemble tout de même davantage à un écran de fumée masquant la mise au pas des services publics qu'à une idéologie réelle.

Écrit par : Wilfried | 09/01/2008

à Wilfred,
totalement d'accord! mais , même si ça relève d'analyses et de notions dies "archaîques" je posais cette question à J.B, car je pense qu'il s'agit bien d'une "idéologie"!!! Joli tour de "magie" ( celle de la "propagande", de la "novlangue") consistant à faire passer des intérêts fort peu "généraux" , "publics" pour des " vérités" incontestables . Les "chiffres" dont abusent toutes les logiques "technocratiques" , "libérales-autoritaires" des "experts"étant censés clouer le bec à qui oserait raisonner en termes de "valeurs humanistes" , de "services publics"! Donc , oui, "écran de fumée" mais relevant de toute une stratégie des experts en "communication"
Pour sourire: avez-vous remarqué l'envol des actions des télés privées dont TF1 dès "l'annonce" du Président de la suppression de la publicité sur les chaînes encore "publiques" . . Je me permets de rappeler que les purs et durs libéraux dès les années 75 ont clairement écrit qu'il fallait que la "droite" s'inspire de Gramsci, Althusser et d'autres pas particulièrement "marxistes archaîques " ( cf E.Morin bien malgré lui engagé dans le combat pour la "civilisation" !) : pour prendre et garder le pouvoir il faut élaborer un "discours", un contrôle des moyens d'information , de la pensée, des croyances ...tel que les citoyens en viennent à toutes les "servitudes volontaires" ( La Boétie) . Et que des analyses actuelles font le rapprochement entre nos "communicants" et ceux des "néocons" conseillant Bush !

Écrit par : anne-marie lepagnol | 09/01/2008

veuillez m'excuser d'avoir écorché votre nom, WILFRIED, malgré mon éducation fort "germaniste"!
A ce propos: deux superbes films en plein dans le blog!
La graine et le mulet et L'autre côté!
et citation des "feuillets d'hypnos" de René Char:
"Ne t'attarde pas à l'ornière des résultats"

Écrit par : anne-marie lepagnol | 09/01/2008

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