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26/01/2008

LAÏCITE SECTAIRE? NON LAÏCITE DU XXIe SIECLE

Le grand défi de Nicolas Sarkozy

D’abord un peu de fun, mais du fun authentique, écologique et tout.

La jalousie est un vilain défaut, or Carla est jalouse. Elle trouve que son Nicolas chéri la délaisse : il passe tout son temps à me téléphoner (cf mes Notes du 22 décembre et du 19 janvier, désormais affichées dans toute les Mairies, au dessus du buste de Marianne). Il la délaisse. Alors prenant son courage à huit mains, elle m’a téléphoné et m’a supplié de…..

 

 

Ah non, ce serait trop facile : tout savoir de ma vie privée (privée de complexes naturellement) sans jamais rien payer. Vous trouverez la suite de cette passionnante aventure  (l’idylle Baubérot – Carla B.) dans le prochain numéro des Inrockuptibles, à paraître mardi 29.

Génial, non ? En tout cas, j’en suis ravi : il n’y a pas plus rock que moi ; que toutes celles qui en douteraient viennent danser un rock endiablé avec ma pomme. Elles auront droit à un slow très langoureux en prime.

Bref je suis rock depuis toujours : j’ai passé mon adolescence boutonneuse aux sons de Sweet sixteen de Lonnie Donegan (même qu’un copain vient de trouver le cd), j’ai été fan de Vince Taylor, accroc à l’émission : Les enfants du rock.

Mais, zut, me voilà, comme Sarko, qui me met à parler de mes racines…essentiellement chrétiennes (La chanson « Sweet sixteen » continue par « goes to church,… just to see the boys »)

 

 

Il est temps de passer aux choses sérieuses. Vous allez voir comme je cause bien, quand j’veux. Même qu’on m’a demandé à genoux d’entrer à l’Académie françoise. J’ai répondu aussi sec : « Non, pas maintenant. Je n’en serai que quand vous aurez réalisé la parité femme-homme. » Et ma femme m’a dit alors : « tu as eu tort ; j’ai bien peur qu’avec une telle exigence, tu meurs avant d’être Immortel. »

 

Aujourd’hui donc, cela va être long et sérieux. Le Blog a aussi une fonction de formation permanente. Si vous lisez jusqu’au bout, vous aurez droit la semaine prochaine, à des confidences sur ce que m’a appris mes deux semaines médiatiques. Il y aura du fond, également, mais racontée de façon moins formelle, plus ludique !

 

Bref,allons y : dans l’Humanité Dimanche (24-30 janvier) j’écris : « Sarkozy s’appuie implicitement sur un constat simple que la gauche peine à effectuer : nous sommes au XXIe siècle et non au XVIIIe. » Etant fondamentalement d’accord avec moi-même[1], je développe :

La chrétienté du Moyen Age avait cru pouvoir unifier raison et foi, avec de grands théologiens comme Albert le Grand ou Thomas d’Aquin. La philosophie (Platon, Plotin puis Aristote, grâce à la pensée arabe) servait de propédeutique à la théologie.

Mais, peu à peu, l’idée s’est imposée que la raison est capable, par elle-même, de chercher la vérité sans se référer à la doctrine d’une Eglise. Une certaine interprétation des Lumières (notamment française) a même considéré la religion, selon l’expression de Régis Debray, comme « une maladie infantile de la raison » destinée à ‘reculer’ au fur et à mesure que le règne de la raison ‘avancerait’.

 

Il faut comprendre le pourquoi de cet enchantement de la raison. Longtemps ce qui, ensuite, est devenu science était de l’ordre de la pure spéculation, voire de l’amusement. Que cet ‘amusement’ puisse permettre de mieux maîtriser la nature constitua une découverte qui avait de quoi éblouir.

Il s’en suivit une sécularisation de la notion de bonheur : désormais, celui-ci ne serait plus recherché d’abord dans l’au-delà, mais de façon prioritaire sur terre : « la vie, la liberté, la recherche du bonheur » sont considérés comme des « droits inaliénables » par la Déclaration d’Indépendance américaine (1776). La Constitution française de 1’an 1 de la République (1793) affirme de son côté : « Le but de la société est le bonheur commun ».

Au XIXe siècle, tandis qu’en France le magistère intellectuel de la philosophie cautionnait le processus de laïcisation, le positivisme d’Auguste Comte ou le matérialisme de Marx constituèrent des tentatives divergentes de bâtir une science qui aurait la capacité d’appréhender l’ensemble de ce qui concerne l’Homme.

 

 

Ce fut le temps de la modernité triomphante. La confiance dans le progrès pouvait rassembler des personnes, aux croyances diverses, dans un agir commun en vue de ce « progrès » qui était à  la fois scientifique, technique, moral et social. L’Eglise catholique, elle-même, bénissait les premières lignes de chemin de fer. Le « bien être » progressait, même si, à la fin du siècle, la structuration du syndicalisme et la contestation socialiste montrent que certains s’estimaient profondément défavorisés dans la répartition des « fruits du progrès ».

Un processus de laïcisation s’est effectué en Europe, dans les Amériques (pas seulement en France, j’insiste la dessus dans mon « que sais-je ? », les laïcités dans le monde) en affinité avec ce triomphe de la modernité.

Depuis lors, des changements considérables ont eu lieu. Les savoirs sur l’Homme se sont développés, mais aussi pluralisés. Ils sont devenus plus rigoureux, mais aussi plus modestes dans leur prétention à une « vérité scientifique ».

Avec les deux guerres mondiales, le progrès s’est avéré œuvre de mort comme œuvre de vie. Aujourd’hui si l’attitude de nos contemporains quand ils entrent dans des édifices religieux n’est pas forcément religieuse -une belle pagode ou une belle cathédrale sont à la fois des lieux de visite (avec appareils photo) et des lieux de recueillement-, dans certains musées comme ceux d’Hiroshima ou de Nagasaki, l’atmosphère de recueillement est intense et prenante ; les visiteurs prennent spontanément une attitude quasi-religieuse.

Mais on pouvait encore, après la seconde guerre mondiale, opposer un ‘bon’ progrès pacifique (le nucléaire civil, par exemple) au ‘mauvais’ progrès guerrier (la bombe H). Nous étions donc toujours dans une modernité établie où, comme l’a indiqué Jean-Paul Willaime à la suite d’Antony Guiddens, le mouvement, le changement social, s’alliait à des certitudes.

L’ambivalence reconnue du progrès ne générait donc pas une incertitude intellectuelle, elle incitait souvent les intellectuels à être dans le ‘bon’ camp, progressiste et pacifique. La situation actuelle, que Willaime qualifie d’ultramodernité est marquée par une « discontinuité » qui provient (je le cite) du « passage d’une logique de certitudes à une logique d’incertitudes lié à la généralisation des deux dimensions essentielles de la modernité : l’individualisation et la réflexivité.

Qu’est-ce à dire ? Autant la modernité fut portée par de fortes croyances modernistes au progrès dans les domaines économiques, scientifico-techniques, politiques, culturels (critique du passé au nom des utopies du futur), autant l’ultramodernité est caractérisée par le doute et le questionnement critique aussi bien vis-à-vis du passé que du futur. »

Personnellement, je qualifierai plutôt notre époque par l’expression de Modernité tardive, de façon analogue aux historiens qui parlent d’ « Antiquité tardive » ou de « Moyen-Âge tardif ». Cela ne signifie nullement qu’il s’agisse de périodes de décadence mais, en revanche, cela veut indiquer l’idée de périodes de basculement.

 

 

J’émets l’hypothèse que, comme à d’autres moments de l’histoire, nous sommes à la fin d’une période historique : c’est un moment où il se produit un épuisement du projet des Lumières, à la fois parce qu’il est globalement réalisé et parce qu’il a généré de nouveaux problèmes et se trouve en décalage face à de nouveaux défis. Le référentiel des Lumières est encore hégémonique, c’est encore un « imperium » (A. Akoun), mais nous avons commencé à basculer vers une autre phase de l’histoire.

Je rejoins donc Willaime quand il caractérise le temps que nous vivons par «le mouvement plus l’incertitude », mais en insistant davantage peut-être sur les effets sociaux déstabilisateurs de cette incertitude, liée à ce basculement. Je reprendrai ses deux critères, la réflexivité et l’individualisation, qui me semblent pertinents.

La réflexivité induit un questionnement généralisé. Dans ce cadre la science se met à questionner ses propres applications techniques ( c’est un renversement par rapport aux Lumières qui, je l’ai indiqué, émergent quand une science d’amusement se met à avoir des effets techniques) : les interrogations actuelles sur le nucléaire (même civil), le réchauffement climatique, les atteintes à la biodiversité, les maladie nosocomiaques, les dilemmes bioéthiques, etc proviennent de débats au sein de savoirs scientifiques actuels (avec de possibles instrumentalisation idéologique, naturellement et les médias qui racontent cela à la manière d’un film catastrophe !).

Nous ne sommes plus dans l’ambivalence du progrès mais dans une véritable déconnection entre un progrès des savoirs scientifiques et un progrès technique, le second étant de plus en plus mis en cause par le premier. En même temps, l’impression domine d’un engrenage où seul un surplus de progrès pourrait résoudre les problèmes induits par le progrès… mais le doute surgit : s’agit-il de solutions ou de nouveaux dilemmes ?

La mutation sociale de la  référence à la « vérité » de la vérité religieuse (et notamment des religions où la vérité est « révélée » et transhistorique) à la vérité scientifique, qui est une vérité en débat et fortement historicisée (la vérité d’aujourd’hui est l’erreur de demain), est profondément déstabilisatrice. Prenons un simple exemple : en France, la médecine du travail a imposé des radiographies obligatoires et leur répétition s’est avérée dangereuse. « On ne savait pas et maintenant on sait » nous expliquent doctement les « docteurs », clercs de la modernité établie. La réponse informulée des patients est la suivante : « et aujourd’hui, que nous impose-t-on de nocif parce qu’on ne le sait pas encore ? »

L’individualisation : au niveau de l’institution religieuse, des Eglises, cette individualisation s’est développée dés la modernité établie, avec la proclamation puis la réalisation progressive de la liberté de conscience. On ne pouvait plus imposer des croyances, elles devenaient « affaire individuelle » (c’est cela la laïcité).

Mais dans la nouvelle conjoncture de la modernité tardive s’instaure un nouveau processus d’individualisation à l’égard d’institutions séculières (médecine, école) qui forment l’encadrement des individus dans la recherche du progrès-bonheur (et qui ont obtenu d’indéniables réussites : pour prendre un exemple la diminution de femmes mortes en couche et de mortalité infantile).

Ce nouveau processus d’individualisation est du au fait que ces institutions sont atteintes par la création d’incertitudes liée à l’avancée de la réflexivité. De là le développement de ce que l’on appelle le « consumérisme » (médical, scolaire, etc) qui est une conséquence de cette prise de distance à l’égard des institutions, de cette individualisation qui atteint l’ensemble des structures institutionnelles.

C’est ce que ne veulent pas comprendre, les tenants du néo-républicanisme qui, du coup ont durci la laïcité à l’école et à l’hôpital donnant une réponse passéiste et crispée (et qui atteint seulement une partie de la population) à des problèmes nouveaux.

A partir de là, je renverserai l’ordre des termes employés par Willaime et je dirai que la modernité tardive c’est ‘l’incertitude plus le mouvement’ : l’incertitude, n’est jamais facile à vivre, mais quand on vit dans une incertitude en mouvement, c’est encore plus difficile car on est entraîné dans un mouvement et l’on ne sait plus où on va (mais on y va !). Le mouvement peut aller dans n’importe quel sens, ce qui devient invivable.

En tout cas, la peur de l’avenir est devenue trop forte pour que la société puisse croire être toujours dans la poursuite du bonheur : il s’est produit un épuisement du programme des Lumières.

Et cela induit une prolifération de discours sur la mémoire, l’héritage, les racines, etc. Faute de pouvoir regarder devant soi, on passe son temps à contempler ce qui est derrière ! Et au lieu de se battre sur des projets d’avenir on se bat sur des mémoires controversés, des racines disputées !

J’ai déjà raconté comment la mort médicalisée à l’hôpital s’est imposée. Cette médicalisation a été synonyme d’une ‘sécularisation transfert’ où le médical s’est revêtu d’habits parareligieux. On a parlé, expression significative, de « miracle des antibiotiques ». On peut dire, de façon plus générale, que la définition de la santé donnée par l’OMS[2] : « un état de complet bien-être physique, psychique et mental » était à la fois quasi religieuse par son aspect utopique (où un tel état peut-il se trouver réalisé sinon dans la Terre pure bouddhique ou au Paradis des monothéismes ?) et révélatrice de la mise en œuvre du projet de progrès-bonheur des Lumières.

Les changements actuels sont nets : pendant très longtemps, l’augmentation de « l’espérance de vie » était l’objectif  par excellence de la médecine (et la reprise du terme d’espérance montrait bien ce mélange de scientificité et de religieux) ; maintenant, l’allongement de la vie (qui continue), et l’acharnement thérapeutique qui lui est parfois lié, change les données du problème.

Outre les problèmes sociaux, dus au vieillissement de la population, on se soucie davantage de la qualité de vie que d’un prolongement indéfini de la vie, et on lance un nouveau mot d’ordre : « le droit à mourir dans la dignité ». La raison était liée à l’insistance sur la « Nature » et sur sa maîtrise. Aujourd’hui la grande question devient la « dignité » de l’être humain (affirmée dés 1948 par la Déclaration universelle des droits). Mais qu’est ce la dignité de l’être humain ? Voilà un beau sujet de débat philosophique…et religieux.

Tout cela n’implique nullement un ‘retour en arrière’, même si la religion, mise en crise par la modernité, retrouve parfois un nouveau rôle quand se produit la montée d’un questionnement où « la rationalité en valeurs » interroge « la rationalité instrumentale », fonctionnelle (pour reprendre les notions de Max Weber).

 

Mais des acquis demeurent. Les novations sociales engendrent une situation bien différente d’avant la modernité. Il existe maintenant une concurrence pour des biens symboliques  (le symbolique étant ce qui est de l’ordre de l’immatériel : l’espérance dont parle Sarko, par exemple) entre des entrepreneurs religieux multiples (la mondialisation favorisant une telle concurrence) et d’autres entrepreneurs de normes symboliques ou de rituels qui n’appartiennent pas à des religions organisées.

Prenons l’exemple des funérailles, un des noyaux dur de la pratique religieuse. Diverses mutations sociales font que la pratique classique des sépultures ne correspond plus forcément aux préoccupations d’aujourd’hui. Existe-t-il alors une sécularisation des funérailles ?

Non et oui. Non et le sociologue japonais Kadowaki Ken a posé une question fondamentale : « si tout sacré était éliminé de nos sociétés, ne devrait-on pas jeter les dépouilles mortuaires des humains dans des poubelles ? » (j’ajouterai : sans aucun rituel). L’impossibilité d’un tel acte est significative. De nouveaux rituels sont inventés (au Japon, en France, dans toutes les sociétés démocratiques modernes)

Oui, car nouveaux rituels, certes, mais leur capacité symbolique apparaît problématique : la symbolisation nécessite un sens partagé et l’individualisation rend plus difficile aujourd’hui qu’autrefois un tel sens partagé.

L’incertitude marque donc même les novations et, dans ce contexte, non seulement on tente de réduire l’incertitude mais on tente aussi de réduire le mouvement.

Trois stratégies, nullement incompatibles, peuvent être utilisées à cette fin :

- le maintien du présent : il s’agit de repousser le futur le plus loin possible, de maintenir une continuité : les éternels étudiants qui repoussent le plus tard possible leur entrée dans le marché du travail, la défense crispée des avantages acquis faute d’espérer une amélioration de sa situation, l’utilisation de la crème qui permet de ne pas avoir de rides, de tous les produits qui vous promettent que, grâce à eux, vous allez rester jeune et beau, etc.

Sur le plan religieux, cela peut s’accorder avec une conception cyclique du temps, où le présent va périodiquement revenir.

- des propositions d’avenir individualisé : la société, on ne sait pas où elle va et cela inquiète. Alors on tente de se construire un futur meilleur, déconnecté de l’avenir collectif. Nous trouvons là aussi bien toutes les offres de formation en vue d’améliorer ou de changer sa situation professionnelle, le développement des multiples formes de loteries, le succès des concours liés à la télé réalité (en France « Star Académie »), mais aussi des conversions religieuses. La réalisation de soi, d’un soi qui ne peut pas s’épanouir par la participation à une collectivité politique, est recherchée. C’est ce que Nadia Garnoussi appelle la « nébuleuse philo-psycho-spirituelle » (le mensuel Psychologie magazine par exemple)

- le resourcement dans un passé fondateur : un avenir meilleur peut advenir, pense-t-on, si on retrouve ce passé fondateur. Les exemples de cette quête sont multiples : le christianisme originel (version progressiste), la société de chrétienté (version cléricale sarkozyiènne), l’islam originel au-delà des traditions des sociétés musulmanes (le « réformisme musulman »), le bouddhisme originel en effectuant un voyage en Inde au-delà de ses transformations par le Grand Véhicule, les valeurs de la République (le courant national-républicain français) au-delà des mutations du temps présent, le Japon éternel au-delà de sa modernité démocratique, la pérennité des institutions (l’école sanctuaire, la nécessaire déférence envers la médecine) au-delà de l’individualisation.

Il s’agit de prendre appui sur le passé (un passé reconstruit) pour avoir des certitudes afin de construire un avenir sur les fondations du passé. 

Ce passé peut être un passé religieux, ou un passé séculier, celui de la sécularisation enchantée. Cela peut entraîner le développement de fondamentalismes, d’intégrismes, de Nouveaux mouvements religieux, etc…mais aussi, en France, de croyants « républicains » de la ‘sécularisation transfert’ atteints par un nouvel anticléricalisme (lié au consumérisme) et réagissant de façon plus ou moins crispée.

Une laïcité du XXIe siècle est donc à construire. Fondamentalement une laïcité de la société civile, et non plus du « despotisme éclairé » de l’Etat selon le schéma issu des Lumières. J’en reparlerai dans de prochaines Notes. Je voulais juste indiquer ici les fondements théoriques de cette laïcité du XXIe siècle (et c’est pourquoi cette Note est un peu compliquée. Mais bon, de temps en temps, cela ne fait pas de mal de se fatiguer un peu les méninges !)

Juste, pour le moment, 4 remarques sur le contexte de cette laïcité XXIe siècle :

Première remarque : la religion civile. Il faut prendre conscience de son existence car elle est souvent implicite ; elle forme la face immergée de  l’iceberg social. Par certains côtés, elle apparaît socialement nécessaire : face au processus accentué d’individualisation, à la montée en puissance d’une sociabilité de type libre et volontaire, face  à la fragilisation du lien social, la religion civile comporte un aspect de « dévotion à l’unité du corps social »[3] qui constitue une tentative de rééquilibrer les choses. Cela ne signifie pas, cependant, que l’on doive abandonner toute réflexion critique et participer béatement à la communion sociale que tente d’instaurer la religion civile.

Il est également nécessaire, d’un point de vue laïque et démocratique, d’apporter  des limites à la religion civile pour éviter des risques de totalisation et des « dérives » nationalistes que l’on peut constater en France comme ailleurs.

Là, les religions, comme d’autres options convictionnelles, peuvent apporter une contribution à l’ethos démocratique si elles résistent à une instrumentalisation trop poussée par la religion civile (comme d’ailleurs par la rationalité instrumentale) et font preuve de vitalité.

Sarkozy lui, propose de fait une sorte de système englobant qui inclut les religions (beaucoup moins les autres options convictionnelles) dans une nouvelle sorte de religion civile. Deux polarités en tension me semblent beaucoup plus démocratique et laïque.

Seconde remarque, bien des mutations entraînées par l’esprit rationnel moderne sont sans doute irréversibles. Les religions historiques elles-mêmes ne peuvent plus être des systèmes de croyance et de rituels obligatoires, même s’il s’agit de croyances et de rituels collectifs, partagés. Cela implique qu’existe une appropriation individuelle différenciée où chacun développe une manière personnelle et de croire, de participer ou pratiquer.

C’est cela que n’ont pas compris nombre de partisans de la laïcité dite ouverte, ouverte à des religions dont le fonctionnement resterait inchangé. C’est pourquoi ils risquent fort d’être attirés par les sirènes de la « laïcité positive » du Président de la république.

Cela me semble relever d’un état d’esprit néo-clérical qui oublie une chose : Les manières personnelles de croire peuvent être quantitativement différentes (rattachement plus ou moins faible ou fort à une religion ou une philosophie), mais également qualitativement différente.

 

Nous n’échappons pas, troisième remarque, à certains paradoxes. La religion revendique d’être parlée en terme de « vérité », et c’est sans doute important de poser publiquement la question de la « vérité » dans la société actuelle, qui la fuit. Mais la vérité « même religieuse » (pour parler comme la Déclaration de 1789) est aujourd’hui une vérité livrée à l’individu[4], même à prétention universelle (comme le christianisme, l’islam, le bouddhisme et… le républicanisme) il s’agit d’un universalisme singularisé. Et cela parce que cette vérité n’existe qu’interprétée, réinterprétée[5] de façon personnelle. La religion subit donc le double choc de la réflexivité et de l’individualisation.

 

La pensée des Lumières subit aussi ce double choc. Il est donc logique, et ce sera ma dernière remarque, qu’un dialogue s’instaure non entre pensée rationnelle et pensée religieuse (comme si ces deux pensées étaient forcément exclusives l’une de l’autre), mais entre la réflexion philosophique issue des Lumières et la réflexion théologique de diverses religions.

Un exemple d’un tel dialogue est la rencontre qui a eu lieu, en janvier 2004, entre le philosophe Jürgen Habermas et Joseph Ratzinger (le futur Benoît XVI). Cette rencontre fut de haute tenue, même si on peut avoir un avis différent de chacun des protagonistes. Il est souhaitable que différents dialogues, à divers niveaux, se multiplient.

Ce n’est donc pas une « laïcité sectaire » (Michèle Alliot-Marie) ou figée qu’il faut opposer à Nicolas Sarkozy, mais une laïcité qui, comme par le passé (1905, par exemple) sait construire du nouveau, en réponse aux défis de son temps.

Non mais !



[1] Cela pour répondre au dominicain Philippe Verdin, qui, lors d’un débat à la télé, m’a accusé d’être « schizophrène » !

[2] Organisation Mondiale de la Santé

[3] J.-. P. Willaime dixit.

[4] Ainsi à l’hôpital, une aide religieuse est apportée naturellement que « si le malade le souhaite », même dans les pays démocratiques qui ne sont pas officiellement laïques.

[5] Et les réinterprétations sont multiples ; c’est pourquoi (par exemple) il est particulièrement absurde (c’est, au minimum, se tromper d’époque) de réduire le port du foulard à une seule signification.

Commentaires

Qui n'a rien à voir avec l'article : pour information ce billet que je viens de mettre sur mon très modeste deblog.notes et où je cite votre nom (commentaire à supprimer donc après lecture)

BAUBEROT ET CONSORTS
Pour ceux qui n’auraient pas encore compris où je me situe, cette citation issue d’un torche-cul virtuel intitulé « Riposte laïque » : « Faudrait-il aller jusqu’à applaudir l’ineffable pape de la laïcité ouverte, Baubérot*, qui, dans « Le Monde » gémit que Sarkozy va trop loin, et remet en cause la laïcité ? Pourtant, Baubérot fut le seul membre de la commission Stasi à avoir voté contre une loi contre les signes religieux à l’école. Il a condamné les dessinateurs danois, et ceux qui, en France, soutenaient les caricatures du prophète, au nom de la liberté d’expression.
Ce sont pourtant les Baubérot et consorts qui ont préparé la « laïcité positive » de Nicolas Sarkozy. Elle n’est que le prolongement de la laïcité « ouverte », « dynamique », « moderne » « apaisée », « rénovée », que plein d’associations dites de gauche, comme le Mrap, la LDH, la Ligue de l’Enseignement, la FCPE, les Verts, la LCR, le PCF, de nombreux élus socialistes et bien d’autres ont mise en avant, depuis plus de vingt ans ».
Tout y est ou presque : attaque ad hominem, d’abord. Il faut défendre farouchement la liberté d’expression, sauf pour Baubérot qui n’a d’ailleurs pas voté contre (non pas la loi, c’est le parlement qui la vote, mais la proposition de faire une loi de la commission Stasi) mais s’est abstenu (lâchement commenteront les amis de ces forcenés). Il n’a pas, sauf preuves contraires, condamné quoi que ce soit, mais il lui fut reproché, à propos de Redecker (au fait qui a encore entendu parler de ce faux martyr) d’avoir appliqué le précepte attribué à Voltaire : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. » Ce qu’il a écrit dans Le Monde est-il juste ou pas, nul ne le saura : il gémit…
La suite est encore plus croustillante : « ce sont les Baubérot et consorts » qui sont finalement complices de notre chanoine du Latran. Suivent quelques adjectifs dont on ignore qui les a émis. Et la liste des consorts est finalement flatteuse pour l’horrible Baubérot puisque on y trouve la Ligue des Droits de l’Homme (née en 1898 avec l’affaire Dreyfus) et la Ligue de l’enseignement créée en 1866 et qui se battait pour une école gratuite, obligatoire et laïque !
S’il fallait choisir, on aura compris que je me trouve infiniment mieux du côté de ces consorts que de celui de ces soi-disant laïcs qui, par leurs outrances délibérées, font le jeu de ceux qu’ils feignent de combattre (les grands Républicains plumes du nabot : Guaino et Gallo).
Non, cette prétendue laïcité n’a rien à voir avec celle d’un Aristide Briand, le maître d’œuvre de la loi de 1905.

* Dans une discussion un peu tendue avec un ami de presque 40 ans, celui-ci n’hésita pas à qualifier Baubérot d’« intégriste » : provocation peut-être, mais quand même indice d’une totale incapacité à passer de l’anathème à l’argumentation : je fréquente le blog de « l’intégriste » et n’hésite pas à y mettre quelques commentaires, que je crois, à tort ou à raison, argumentés. J’ai reçu (et fait suivre) les commentaires de la LDH sur le discours du chanoine de Latran : j’attends que l’on m’explique en quoi ils sont complaisants. Sur ce blog, j’ai exprimé tout le mal que je pensais des propos de notre Ouf 1er, pour autant je n’adhère pas à la nouvelle « croisade » anti-voile que certain(e)s faux(sses) laïques sont en train de fomenter (voir Sus à la Halde).

Écrit par : J. F. Launay | 28/01/2008

A J.F.Launay,
Belotte et rebelotte!
J'ai consulté le site: " Riposte laîque"...par curiosité...
Bref: nouvel avatar (expliqué par les auteurs du site) de "Respublica". C'est la méthode traditionnelle de ces "républicains" purs et durs laïcs de changer de nom pour envahir medias, blogsphère et diverses organisations avec, toujours les mêmes "têtes de turcs", les mêmes désinformations, rumeurs , anathèmes...et sommations de prendre parti sur leurs slogans..., hors de toute possibilité d'argumenter...Je remarque dans un de leurs articles, en plus de ce que vous citez une nouvelle récurrence de leur drôle de laîcité : toujours spécifiquement ciblée sur les périls de l'"islamisation" et des "sectes" avec toujours les mêmes "histoires"( dont une attaque contre un "propalestinien" ) Je remarque aussi, mais rien de nouveau sous le soleil, leur éloge de Pierre Boussel alias Lambert , grand militant laïc, ( paix à son âme!), grand expert en divers "entrismes" de taupes rouges en x organisations et campagnes , croisades et alliances des plus étranges .
Bref: m'est avis que ce n'est sans doute pas tout à fait un hasard si, dans la situation actuelle des plus confuses des campagnes municipales et cantonales ressurgissent ces croisades sur la "république laïque" ...
Honte à moi! Promis, juré...j'ai vraiment réagi en téléspectatrice ( LCI) estomaquée par la prestation de P.Verdin , dominicain, mais j'ignorais alors qu'il fût le "copain" de Nicolas, l'accompagnant au Vatican, et auteur avec lui de bouquin sur République, laïcité et espérance, enfin "professionnellement" chargé de responsabilités à Lourdes...ville éminemment laîque !
Je conseille vivement la lecture de Christian Salmon: Storytelling( La découverte)...
Ca me repose car ça devient lassant , ça oui, d'essayer de discuter avec des très proches , pourtant des plus "informés" et "formés" , qui par (?) provocations ou parti-pris, règlements de comptes (in) conscients (?) entre "intellectuels" ont beau jeu de profiter du fait qu'on tâtonne, en pleines interrogations pour traiter de tous les noms les "droits d'l'hommistes" ( bizarre que des historiens modernes semblent oublier que ce fut le qualificatif inventé par des propagandes des plus sulfureuses entre les deux guerres ) et, ça va de soi, "Baubérot et consorts". Tristes choix: mieux vaut arrêter de discuter, changer de sujet , ou risquer à son tour de rentrer dans des logiques de polémiques caricaturales et blessantes "pour un oui ou pour un non" comme l'écrivait magistralement N.Sarraute dans une pièce admirable!!!
conclusion: ces laîcs républicains font le lit du sarkozisme et ne nous étonnons pas du tout de certaines alliances électorales et mediatiques a priori des plus paradoxales!!!
par des droites des plus sulfureuses

Écrit par : anne-marie lepagnol | 29/01/2008

Un peu honte de jouer le coucou sur le site de J. Baubérot ; je mets votre réponse en commentaire sur mon blog ; si vous n'êtes pas d'accord : jf.launay at wanadoo.fr.
En tout cas merci pour ce mot.

Écrit par : J. F. Launay | 29/01/2008

Je suppose que J.B. n'est pas du genre à nous culpabiliser de jouer aux coucous sur son site.
Fun: historiquement dans les débats qui nous agitent ce fut E.Maire qui, avant de laisser l'héritage de la CFDT, déclara "coucous" des drôles d'oiseaux qui persistaient encore dans des utopies pragmatiques et réalistes dont celle de collaborations en x terrains entre intellectuelle)s, artistes, associatif(ve)s, syndicalistes...et citoyen(ne)s encarté(e)s ou non mais qui ressentaient l'urgence d'inventer...une pensée-action socialiste, démocratique correspondant à nouvelles données...OK il y avait toutes les espèces de coucous, puis de moutons noirs puis de...mais quels gâchis...
3/ merci de votre délicatesse...Mais quand j'essaye d'écrire, de signer car la moutarde me monte au nez et bien j'essaye de peser mes mots et...inch allah ( pour sourire...car dès qu'on s'informe un peu sur le sens de cette expression on découvre qu'après tout elle correspond à bien des sagessses de la terre humaine...!)
il me reste à découvrir votre blog...mais diable que de choses à lire, regarder, écouter, vivre...en échanges et partages "rééls" !

Écrit par : anne-marie lepagnol | 30/01/2008

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