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30/12/2007

FACE A L'"INTEGRISME", L'ESPRIT CRITIQUE (suite et fin !)

Bon, c’est la fin de l’année et donc il faut que j’en finisse avec ma Note qui comparait le rapport de la société à la dite « racaille » de banlieue à son rapport aux dits « intégristes » et dits « sectaires ». Mais comme l'an dernier j'avais fait une Note sur Miss France (rappelez vous, c'était une payse à moi qui avait failli avoir la couronne), je dis à tous mes amis de lIle de la Réunion (ceux de l'Université comme ceux de la Ligue des Droits de l'homme) que je suis de tout coeur avec eux dans la défense de leur Miss. Non, mais sans blague, faire tout un schprumf pour des photos aussi anodines,...Bravo à l'évêque de ne pas être tombé dans le panneau.

Et maintenant, retour à la Note: 

Résumé des 2 chapitres précédents : L’idée de cette comparaison m’était venue (je le rappelle) en lisant l’intéressant petit livre De la discrimination négative de Robert Castel, où il montrait qu’il s’opère un déplacement des conflits qui traversent toute société, vers les marges de cette société. Ainsi au lieu d’affronter ces conflits, d’être parfois des « adversaires », on peut produire du consensus social, entre gens normaux, bien ensemble, et ce qui va mal, ce qui provoque un malaise tend à être rejeté sur des asociaux, des marginaux, des non-intégrés, bref des « ennemis de l’intérieur », que l’on rejette dans l’extériorité (Note du 1er décembre et début de la Note du 16 décembre)

Ce que Castel analyse au niveau social, fonctionne aussi, me semble-t-il, analogiquement au niveau du symbolique, et là j’expliquais ce que j’entends par symbolique et en quoi le symbolique englobe le religieux, sans se réduire au religieux. Je posais, in fine, le problème de « l’ordre symbolique juste » (suite de la Note du 16 décembre).

Là-dessus, Sarko est devenu chanoine, interrompant mes élucubrations. Ce n’est pas bien M’sieur l’Président d’interrompre ainsi les gens quand ils parlent !

 Allez, maintenant, vous êtes remis dans le bain, je peux finir. Il le faut d’autant plus que je ne me rappelle plus toutes les idées géniales que je voulais vous livrer gratis pro Deo. Rassurez-vous, il m’en reste quand même une et je vais rebondir à partir de là.

Il y a eu un sondage, en octobre-novembre, commandité par La Croix qui effectuait une enquête, dans plusieurs numéros, sur le christianisme aujourd’hui. Et quelques uns des résultats m’ont particulièrement frappé.

 Ainsi, à la question :  « pensez-vous que « toutes les religions se valent ? »  Réponse : 63% de oui chez les cathos pratiquants ; 65% de oui chez les sans religions. Pour ces derniers, il est logique que le « oui » soit massif ; on pourrait même penser a priori qu’il ferait plus des 2/3 du sous-échantillon. Peut-être chez certains (il ne faut pas se le cacher) la réponse est « non » car ils pensent (c’est ce que certains medias ont tendance à leur mettre dans la tête) que « l’islam » vaut moins que d’autres religions. Mais que le pourcentage de « oui » soit pratiquement le même chez les catholiques pratiquants, voila qui interroge.

 A la question sur « les tâches prioritaires du christianisme au XXIe  siècle » : le triptyque : « Lutter contre la pauvreté ici chez nous » ; « Agir pour la paix dans le monde » ; « Etre présent et disponible dans les moments clefs de la vie », arrive en tête dans toutes les réponses. La seule différence c’est que c’est dans cet ordre pour l’ensemble de l’échantillon et pour les sans religion, alors que les catholiques pratiquants mettent « la paix dans le monde » avant « la pauvreté ici chez nous ».

Les items qui arrivent en tête comme « tâches prioritaires du christianisme » (y compris chez les catholiques pratiquants) n’ont donc rien de « chrétien ». Un membre de n’importe quelle autre religion, un athée convaincu, un agnostique peut très bien considérer ces tâches comme prioritaires. On peut dire que les 2 premières sont des fonctions du politique, appartiennent à la responsabilité citoyenne, et la troisième  relève davantage de la morale personnelle de chacun.

 Bien sûr, le christianisme peut contribuer à ces tâches. Mais, il ne s’agit en rien de tâches spécifiques, de ce qui ferait son identité propre. Or c’est le rôle majeur qui lui est attribué à la fois par la société globale française et par la majorité des catholiques pratiquants français (les orthodoxes et protestants, minoritaires, ne constituant pas, dans le sondage, un sous échantillon).

Arrive dernier des 5 items proposés par le sondage « Faire connaître le message du Christ », dans ensemble de l’échantillon (15%) et chez les sans religions (5%).  Cet item est avant dernier chez les catholiques pratiquants avec 34%, c'est-à-dire un tiers des catholiques pratiquants. Or la formulation : « faire connaître message », est assez light.

Ce n’est pas demander aux gens si parmi les tâches prioritaires du christianisme il y a prêcher la résurrection du Christ ou un Dieu en 3 personnes, ce qui historiquement, constituent des croyances spécifiques transmises au cours des siècles par l’Eglise catholique, les Eglises orthodoxes et la plupart des Eglises protestantes.

 On voit donc, à partir d’un sondage de ce type (et ce n’est pas nouveau, les études d’Yves Lambert notamment allaient tout à fait dans ce sens), à quel point, le fait même d’avoir des convictions qui ne sont rien d’autres que des croyances séculaires de la plupart des Eglises chrétiennes vous rejettent aujourd’hui dans les marges de la société française.

Les sondeurs n’ont pas (à ma connaissance) croisé les réponses « non » à « toutes les religions se valent » et celles qui font de « faire connaître le message du Christ » une des tâches prioritaires, il y a de bonnes chances pour qu’elles se recoupent en grande partie, formant un petit sous-sous-échantillon, un groupe en dissensus avec les valeurs dominantes de la société. Un groupe à distance de la façon dominante dont la société considère les religions en général et le christianisme en particulier, façon intériorisée par la majorité des catholiques pratiquants.

Et très souvent vous entendez de telles personnes (ou d’autres qui leur ressemblent, en ayant des contenus de croyances autres, non chrétiens) être qualifiées d’ « intégristes » ou de « sectaires ».

 Précisons 2 ou 3 choses :

D’abord, ces résultats n’ont rien à voir avec la laïcité. Les enquêtes européennes montrent que des pays à religion établie ou à religion nationale (l’Angleterre, le Danemark par exemple) sont dans une situation analogue. Cette situation est le résultat d’un processus de sécularisation, pas de laïcisation.

Des chrétiens convaincus qui mettraient en cause la laïcité, qui (du coup) succomberaient aux sirènes de la « laïcité positive » sarkozienne se tromperaient de diagnostic (et donc de solution à leur problème). Il est tentant d’accuser la laïcité car du coup, on peut avoir des adversaires à combattre (les « laïcards »), on peut rejeter « la faute » sur quelqu’un. La laïcisation, la laïcité met en jeu le politique, des forces sociales, des laïcisateurs, des partisans de la laïcité.

 
La sécularisation est le résultat (excusez mon jargon de sociologue) de la dynamique sociale, c'est-à-dire d’interactions extrêmement complexes entre l’ensemble des acteurs de la société. Olivier Roy montre, dans ses livres sur l’islam que les partisans de l’islam politique, que les fondamentalistes musulmans sont, souvent des agents sécularisateurs malgré eux.

En fait, je dirai aussi que la laïcisation est le résultat d’interactions entre acteurs sociaux. Il n’empêche, on peut beaucoup plus facilement croire pouvoir désigner l’adversaire, le méchant, dans ce qui relève de la laïcisation, et (de tous côtés !) on ne se fait pas faute de le faire.

Tandis que la sécularisation, l’adversaire est d’autant moins cernable que, dans les sociétés modernes, elle déstabilise tout le monde puis qu’aujourd’hui les grandes institutions qui avaient opéré à leur profit des transferts de religieux (l’école-sanctuaire, la médecine sacralisée,…) sont atteintes par la sécularisation.

D’ailleurs, les chrétiens doivent-ils considérer la sécularisation comme leur « ennemie » ? On vient de fêter Noël (chrétiens ou pas !) qui est la fête d’un petit enfant né dans une étable, et qui finira mort sur une croix. Se retrouver minoritaire, marginal dans une société sécularisée ressemble un chouia plus à cela qu’une société au christianisme triomphateur, non ?

 Ensuite, ce qui est en jeu là, n’est pas la sécularisation en elle-même que la sécularisation jointe à un conformisme social qui fait que des chrétiens convaincus sont rejetés dans les marges socio-symboliques, se trouvent en dissensus avec les valeurs dominantes de la société (par exemple, l’idée « que toutes les religions se valent ; ou que la tâche prioritaire du christianisme est de lutter contre la pauvreté ou de promouvoir la paix). Cela entraîne plusieurs conséquences :

-         ces chrétiens vont devenir a priori suspects d’être « intégristes » ou « sectaires », alors qu’ils peuvent être tout à fait tranquilles, bons citoyens, etc. Le seul fait de ne pas être au diapason des valeurs dominantes les rend implicitement suspects.

-         et a fortiori, encore plus s’il s’agit de personnes convaincues qui n’appartiennent pas au christianisme, mais à d’autres religions socialement et historiquement moins « balisées », parce que moins enracinées dans l’histoire et la culture françaises.

D’où (re jargon de sociologue, je tente de ne pas y recourir souvent, mais parfois il faut utiliser des termes précis) production sociale de « l’intégriste » ou du « sectaire » comme celui qui a un autre univers symbolique que la majorité, qui est hors du quasi consensus symbolique.

Comment repère-t-on ce quasi consensus ? Par des court circuits : ainsi l’idée (très répandue) que si on ne pense pas que toutes les religions se valent, on est intolérant. C’est une idée typique de la religion civile à la Jean-Jacques Rousseau, et vous la rencontrez souvent répétée. Or, elle est particulièrement stupide car elle confond le respect de l’autre (la tolérance, le pluralisme) et l’imposition d’une logique de l’équivalence qui, en fait, est elle-même intolérante : j’ai le droit de choisir une option religieuse (ou irréligieuse) et de l’estimer supérieure aux autres, c’est même ce doit qui est au fondement de la laïcité.

Ce que demande la laïcité, c’est la gymnastique intellectuelle qui fait que, tout en ayant ses propres choix, et y tenant, on tolère, on respecte ceux des autres. Et cette gymnastique intellectuelle là, le minoritaire, celle ou celui qui se trouvent plus ou moins hors du consensus, l’effectuent plus souvent que celle ou celui qui n’ont pas de véritable choix personnel et dont les idées s’imprègnent des idées majoritaires, dominantes.

Les « idées de son temps » dira-t-on plus tard, de façon condescendante, en estimant qu’elles étaient erronées, voire mauvaises (ainsi Hergé avait « les idées de son temps » en écrivant Tintin au Congo !).

 Cela ne signifie nullement qu’il n’existe pas des gens véritablement intolérants, mais que l’on met dans le même sac des tolérants et des intolérants, des minoritaires tranquilles et des extrémistes. Cela est non seulement de l’intolérance, mais aussi de la bêtise. Comment arriver à lutter contre les véritables extrémistes si on les confond avec tous ceux et celles qui sont simplement des gens convaincus qui tendent de vivre selon leurs convictions ?

Cela signifie aussi une sacralisation du social : ce n’est pas par hasard que Rousseau reprend le terme de religion quand il parle de religion civile. Et donc une absence d’esprit critique à l’égard des idées dominantes de la société.

Le problème est là, ce qui me sépare des gens qui me lancent moult injures (moins drôles que celles du capitaine Haddock, malheureusement !) n’est pas une pseudo indulgence vis-à-vis d’extrémistes, c’est le fait que ces gens sont parfaitement à l’aise dans les conformismes sociaux les plus plats.

Il ne s’agit donc pas d’angélisme, ni d’apologie de la désocialisation qui risque toujours conduire à l’enfermement dans une bonne conscience elle aussi abêtissante (même quand elle ne légitime pas la violence). Je signale pour une approche fine, non essentialiste et assez proche de la mienne, de l’intégrisme en islam,le très intéressant petit livre de Dounia Bouzar, L’intégrisme, l’islam et nous paru aux éditions Plon il y a quelques semaines.

 Entre diabolisation et angélisme, l’esprit critique. Nous allons en reparler tout au long de 2008.

Je vous souhaite une Fantastique Année 2008, avec un jour en plus (le 29 février, cadeau à tous les internautes qui consultent ce Blog) pour pouvoir « vivre plus ». 

 

22/12/2007

LE CHANOINE SARKOZY ET LA RELIGION CIVILE A LA FRANCAISE

Où il est montré que le discours de Nicolas (inspiré par des chantres du « républicanisme »), historiquement faux et politiquement dangereux, est nettement moins sympathique que les chansons de Carla !

Sacré Sarko, sacré chanoine ! Je vais quand même être obligé de lui consacrer une Note.

Pourtant j’ai vaillamment résisté. Régulièrement, bien sûr, depuis son élection, il me téléphone et me demande quand est-ce que je vais enfin parler de lui dans mon Blog.

 « Tout le monde parle de moi, m’affirme-t-il, sauf vous. Cela frise le blasphème. » Je réponds derechef que mon Blog n’est pas « pipole » et que, depuis 8 mois, il n’a pas pris position sur la laïcité.

Pas plus tard qu’il y a une semaine, re coup de fil. « Alors cette fois, quand même, vous allez vous y mettre. C’est obligatoire ! ». « Et pourquoi, M’sieur l’Président ? » ai-je demandé. « M’enfin m’a-t-il dit, ne voyez vous pas que, parmi toutes les belles que je fais pâmer, j’ai choisi Miss Bruni, car son doux prénom, Carla, est celui d’une héroïne de votre inoubliable roman ‘Emile Combes et la princesse carmélite’. Alors, heureux ? »

Moi, vous me connaissez, j’ai le sens de la contre attaque. « Ah, c’est comme cela, vous me mêlez à vos amours, mais vous me compromettez, Nicolas. Vous les avez officialisées à Disneyland. Déjà que la méchante Caroline F. m’accuse de prôner une laïcité à l’anglo-saxonne, cela ne va pas du tout arranger mes affaires ! » Et toc[1].

Le président s’est alors fait suppliant : « Je ne vous demande pas de faire mon éloge, simplement de rompre un insupportable silence. Chaque matin, je consulte votre Blog et… toujours rien. Pourtant, de Libé à Gala, je fais la une cette semaine. Cela devient totalement incompréhensible »

Alors là, j’ai été imprudent. Je lui ai dit : « je parlerai de vous, quand vous serez pape ou chanoine ». Et j’ai aussitôt compris ma terrible erreur, car il m’a fait un grand sourire téléphonique et a regagné, tout guilleret, son petit 300 pièces – cuisine élyséen.

Il est donc devenu chanoine, il a été voir le pape ; et me voilà pris au piège : je suis obligé de réaliser le rêve de Sarko en parlant de lui dans mon Blog. Après tout, c’est bientôt Noël, et il faut faire plaisir aux enfants, non ?

Distinguons deux choses. D’abord, la chanoinerie elle-même ; ensuite le discours prononcé à cette occasion.

Sarko, «  premier et unique chanoine d’honneur » de la Basilique Saint Jean de Latran. Vos médias favoris vous ont déjà expliqué pourquoi : en 1604, Henri IV, devenu catholique pour pouvoir être roi de France, fait don à la basilique du Latran de l’abbaye bénédictine de Clairac (aujourd’hui dans le Lot et Garonne)… ainsi que de ses revenus. Le titre de chanoine d’honneur était une façon de dire « merci ». Il faut savoir qu’un laïc peut être chanoine : Copernic l’a été en son temps.

Une « messe pour la France » est célébrée au Latran chaque 13 décembre, jour anniversaire de la naissance du « bon roi » Henry. L’ambassadeur de France près du Saint Siège y représente le président de la République et y reçoit « les honneurs liturgiques ».

Cela appelle à une précision et à un commentaire.

La précision : le Latran a été longtemps le lieu de résidence des papes (jusqu’en 1309 exactement) et l’Eglise latine a tenu 4 conciles au Latran d’1123 à 1215 (ce dernier étant le plus important).

Le commentaire : ce titre de chanoine d’honneur est donc un legs du passé, mais pas de n’importe quel passé. Le passé où il fallait être ou devenir catholique pour pouvoir diriger la France. Le passé où la France était un royaume catholique ; où le catholicisme était une religion nationale. Ok, cela fait partie de l’histoire de France. Est-ce pour autant ce passé là qui doit servir de référence pour aujourd’hui, qui doit être mis en avant ? C’est une autre affaire.

Mitterrand et Pompidou avaient choisi d’assumer ce passé de façon non ostensible. Ils n’avaient pas refusé la charge, mais sans aller prendre possession du titre. De Gaulle avait attendu son second mandat et n’était allé à Rome qu’en 1967. Sarko s’y précipite.

En tout état de cause, j’aimerais bien savoir comment les tenants de la « laïcité exception française » intègrent ce genre de faits dans leur vision d’une séparation qu’ils prétendent radicale. Ces faits ne sont pas « rien ». Sarko le souligne d’ailleurs habilement dans son discours « cette tradition qui fait du Président de la République française le chanoine d’honneur de Saint-Jean de Latran. Saint-Jean de Latran, ce n’est pas rien. C’est la cathédrale du Pape, c’est la « tête et la mère de toutes les églises de Rome et du monde », c’est une église chère au cœur des Romains.»Ces faits témoignent que la situation française n’est pas si éloignée de celle d’autres pays : elle est plus laïque dans certains domaines, moins dans d’autres, la séparation française est une séparation relative; le mythe d’une laïcité qui serait tout à fait spécifique à la France, qui établirait un autre rapport à la religion que partout ailleurs dans les démocraties modernes, est complètement pipeau.

Voyons maintenant le discours, dont « la relecture de l’histoire de France » est, du moins d’après Le Monde (22/12/2007), « d’évidence inspirée par Henri Guaino et Max Gallo, qui faisaient partie de la délégation française à Rome. » Or, et c’est très important, Guaino et Gallo font partie du courant dit « républicain » qui, depuis 20 ans, donne à tout un chacun, des leçons de laïcité, se veut le représentant d’une laïcité pure et dure, de la laïcité française authentique. En plus Gallo se pique d’être historien.

La recomposition de l’histoire faite par le discours est, dés le début, une histoire confessionnelle, non scientifique. Il vaut la peine que l’on s’y attarde un peu car ce n’est pas sans conséquence pour la vision du présent. Le discours de Sarko-Guaino-Gallo affirme : « C’est par le baptême de Clovis que la France est devenue Fille aînée de l‘Eglise. Les faits sont là. En faisant de Clovis le premier souverain chrétien, cet événement a eu des conséquences importantes sur le destin de la France et sur la christianisation de l’Europe. »

« Les faits sont là ». Non, justement. A l’époque de ce baptême (vers 496 dit-on), l’Italie est dominée par les Ostrogoths, l’Afrique latine par les Vandales, l’Espagne et la Gaule méridionale par les Wisigoths, et les Burgondes sont installés dans la vallée du Rhin. Ils sont tous chrétiens. La seule exception est due aux Francs restés païens et le baptême de Clovis et ses guerriers francs va y mettre fin.

Vous n’avez jamais entendu raconter l’histoire ainsi  et pour cause. Exprès, je n’ai pas mentionné une précision : le christianisme des « Barbares » des Ostrogoths aux Burgonde est un christianisme arien qui s’est développé en Occident, utilisant les langues nationales dans la liturgie et la prédication. Schématiquement, Arius, prêtre d’Alexandrie (alors un haut lieu de la chrétienté), voulant sauvegarder l’unicité de Dieu, affirme que Jésus, son « Fils » est une créature subordonnée au « Père » ; il n’est pas lui-même Dieu.

Cette doctrine a été condamnée au Concile de Nicée (325) et déclarée « hérétique ». Catholiques, orthodoxes, protestants sont aujourd’hui des chrétiens nicéens. OK, mais pour une histoire non confessionnelle, scientifique, laïque, l’arianisme constitue une branche du christianisme. Cette branche aurait bien pu triompher. Effectivement le baptême de Clovis marque un tournant dans la lutte entre chrétiens ariens et chrétiens nicéens. Mais il est complètement faux (d’un point de vue scientifique) de prétendre que Clovis fut le « premier souverain chrétien ». C’est adopter un point de vue totalement ecclésiastique, clérical, déniant le titre de « chrétien » aux hérétiques. C’est ériger le dogme chrétien orthodoxe en vérité d’Etat.

Eriger un dogme orthodoxe en vérité d’Etat est plus grave que d’avoir certains liens administratifs entre l’Etat et une religion. Avec Bonaparte, il existait, certes, un Concordat, mais le catholicisme n’était plus vérité d’Etat. Au XXe siècle, il n’y a guère que dans l’Espagne franquiste où le catholicisme ait été vérité d’Etat. Bravo, bravissimo Monsieur Gallo, si vous êtes l’auteur de ce passage, ça c’est digne d’un républicain !

Le discours continue par une longue indication de faits qui prouveraient la « profondeur de l’inscription du christianisme dans notre histoire et dans notre culture », ce qui induirait, en conséquence, que « la France entretient avec le siège apostolique une relation si particulière ». Parmi ces « faits », le fait que Pépin le Bref ait fait du pape un souverain temporel. C’est historiquement exact, mais le Président de la République laïque doit-il mettre ce fait en avant comme un événement positif, alors que la donation de Pépin a fortement renforcé l’imbrication entre politique et religion ? Qu’en pensez-vous M. Gallo ?

Il y a, dans tout le discours, en outre, une mise en équivalence complète du christianisme et du catholicisme. De nombreux passages opèrent un glissement complet.

Je rappelle que, lors d’une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (un écrit polémique à l’égard du pape avait été condamné en France, et la Cour a fort justement indiqué que cela portait atteinte à la liberté d’expression ; j’avais rédigé une Note la dessus à l’époque : c’était en gros au même moment que l’affaire des caricatures !), la dite Cour avait relevé, dans ses attendus, que le pape était qualifié par la décision juridique française de « chef des chrétiens » alors qu’il est le chef des catholiques.

En fait, dans l’ensemble du passage, on trouve la conception sous jacente d’une France comme nation catholique (ou comme nation chrétienne: pour moi, le problème reste exactement le même).

Il n’est pas étonnant, qu’à partir de là, l’établissement de la laïcité par la loi de 1905, soit perçue, selon une interprétation très béni oui-oui, très papiste (papiste plus que catholique, nous allons voir pourquoi). Voilà ce que dit Sarko-Guaino-Gallo : « la laïcité est également un fait incontournable dans notre pays. Je sais les souffrances que sa mise en œuvre a provoquées en France chez les catholiques, chez les prêtres, dans les congrégations, avant comme après 1905. Je sais que l’interprétation de la loi de 1905 comme un texte de liberté, de tolérance, de neutralité est en partie une reconstruction rétrospective du passé»

D’abord, il y a là une grave confusion, qui consiste à mélanger la lutte anti congréganiste et la loi de 1905. J’ai montré qu’elles obéissent à des logiques fort différentes. Et je ne suis pas le seul.

Ensuite, il est complètement faux historiquement que la loi de 1905 n’ait pas été interprétée, dès cette époque, comme « un texte de liberté, de tolérance, de neutralité », y compris par des catholiques. Les « cardinaux verts », c'est-à-dire des membres catholiques des différentes Académies, avaient, alors, envoyé une lettre aux évêques leur demandant d’appliquer une loi qui, disaient-ils explicitement, permet « de croire ce que nous voulons » et « de pratiquer ce que nous croyons ». Et de fait, les évêques français dans leur première assemblée épiscopale depuis l’Ancien régime (le Concordat empêchait de telles réunions, la loi de 1905, « texte de liberté » les autorisait) ont voté des statuts d’associations dites « canonico-lègales », c'est-à-dire à la fois conformes à la loi de 1905 et au droit canon (56 voix contre 18).

 

 

Les évêques furent désavoués par le pape. L’historien Maurice Larkin a montré que ce n’était pas le contenu de la loi mais la peur d’une contagion internationale, la peur de la fin de Concordats en Espagne et Amérique latine qui avait principalement motivé la décision du Saint-Siège. L’espoir aussi qu’une aile dure du catholicisme allait faire échouer la loi. La République, très bonne fille, a répondu par la loi du 2 janvier 1907, dont le but était, selon Briand son rapporteur, « de faire une législation telle que, quoi que fasse Rome, il lui soit impossible de sortir de la légalité », de « mettre l’Eglise catholique dans l’impossibilité, même quand elle le désirerait d’une volonté tenace, de sortir de la légalité ».

J’offre un portrait de Nicolas, non de Carla (c’est plus chouette), à l’internaute qui me trouve une attitude plus tolérante que celle-là !

La vision de l’histoire que les conseillers républicains de Sarko lui ont soufflée est la suivante : « C’est surtout par leur sacrifice dans les tranchées de la Grande guerre, par le partage des souffrances de leurs concitoyens, que les prêtres et les religieux de France ont désarmé l’anticléricalisme. »

Génial : ce n’est donc pas la République qui a su vaincre ses propres démons (l’anticléricalisme des premières années du XXe qui, au départ, il faut le rappeler, provenait de l’attitude dominante catholique dans l’affaire Dreyfus, cet anticléricalisme aboutissait effectivement à écorner des libertés) et qui a su effectuer un tournant démocratique avec les lois de séparation (1905-1908), c’est l’attitude des prêtres pendant la guerre 14-18 ! Encore bravissimo M.M les conseillers, c’est très bien pour des RRRRépublicains de cracher ainsi sur la République !

Soyons précis : la guerre de 1914-1918 a contribué effectivement à la réconciliation des deux France.

Mais d’une part, cette réconciliation est la conséquence d'une double découverte, elle s’est faite des 2 côtés : les poilus ont effectivement découvert que les prêtres ne ressemblaient pas à la caricature diffusée par l’anticléricalisme ; mais, de leur côté, les officiers (qui, pour la plupart étaient allés soit à l’école confessionnelle soit dans les petites classes de lycées et n’avaient donc jamais fréquenté l’école primaire laïque) ont découvert que les soldats, issus de « l’école sans Dieu » n’étaient pas, comme on le leur avait seriné, dépourvus de valeurs morales. Le discours ne retient que le premier aspect ! Déjà le propos sur 14-18 est  donc complètement unilatéral, para calotin.

D’autre part, la loi de 1905, les lois de 1907-1908 avaient déjà transformé la donne et fait œuvre d’apaisement, de pacification : la France de 1912-1914, ne ressemble pas du tout, sur ce plan, à celle de 1902-1904 : le conflit des deux France n’est déjà plus un conflit frontal. C’est d’ailleurs ce qui permet d'effectuer ce que l’on a appelé « l’Union Sacrée ». Elle est possible en 1914, elle aurait été extrêmement plus difficile 10 ans auparavant. La « Grande guerre » s’inscrit dans un processus que la « laïcité de sang-froid » (Briand) qui a présidé à la séparation a mis en route.

Toute la reconstruction historique du discours est ainsi tordue dans un sens précis qui tourne fondamentalement le dos à l’esprit de la loi de 1905, car le message essentiel de cette loi consiste à dire que la France n’est pas une nation catholique ou chrétienne, ou judéo-chrétienne (peu importe), qu’il n’existe pas de dimension religieuse dans l’identité nationale (c’est le sens fondamental de l’article 2) et que la France assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes (article 1).

Faire comme si cette liberté de culte impliquait une quelconque identité religieuse, une quelconque identité chrétienne de la France est doublement dangereux. C’est dangereux car contraire à l’identité laïque et c’est dangereux pour la liberté des cultes elle-même.

Voila ce que dit le discours : « la laïcité ne saurait être la négation du passé. Elle n’a pas le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes. Elle a tenté de le faire. Elle n’aurait pas dû. Comme Benoît XVI, je considère qu’une nation qui ignore l’héritage éthique, spirituel, religieux de son histoire commet un crime contre sa culture, contre ce mélange d’histoire, de patrimoine, d’art et de traditions populaires, qui imprègne si profondément notre manière de vivre et de penser. Arracher la racine, c’est perdre la signification, c’est affaiblir le ciment de l’identité nationale, et dessécher davantage encore les rapports sociaux qui ont tant besoin de symboles de mémoire. »

 

 

Bien sûr, une nation est tissée d’histoire, une société comporte une épaisseur historique. Mais outre que l’histoire de France est beaucoup plus complexe et qu’elle n’a pas qu’une seule sorte de « racines », outre que, nous venons de le voir, la référence à cette histoire est déformée (et très sélective) pour aboutir à cette conclusion, attention de ne pas réduire « la signification », le « ciment de l’identité nationale » et « les rapports sociaux » aux dites « racines ». L’histoire (ou plus exactement la mémoire) dit Gaston Kelman[2] « c’est comme le rétroviseur : il ne faut pas le regarder trop longtemps, sinon on se prend le mur d’en face ! » (interview in Réforme, 20 décembre 2007)

Cette hypertrophie de la « mémoire » (et d’une mémoire très amnésique) ne signifierait-elle pas une faillite du politique, incapable de façonner des projets d’avenir ?

En fait, le discours ne se dérobe pas à cette question de la projection dans l’avenir. Il comporte un passage sur « l’espérance » qui apparaît très ambivalent (intéressant pa:rfois, perniceux ailleurs). Le voici : « fonder une famille, contribuer à la recherche scientifique, enseigner, se battre pour des idées, en particulier si ce sont celles de la dignité humaine, diriger un pays, cela peut donner du sens à une vie. Ce sont ces petites et ces grandes espérances « qui, au jour le jour, nous maintiennent en chemin » pour reprendre les termes même de l’encyclique du Saint Père. Mais elles ne répondent pas pour autant aux questions fondamentales de l’être humain sur le sens de la vie et sur le mystère de la mort. Elles ne savent pas expliquer ce qui se passe avant la vie et ce qui se passe après la mort.

Ces questions sont de toutes les civilisations et de toutes les époques. Et ces questions essentielles n’ont rien perdu de leur pertinence. Bien au contraire. Les facilités matérielles de plus en plus grandes qui sont celles des pays développés, la frénésie de consommation, l’accumulation de biens, soulignent chaque jour davantage l’aspiration profonde des femmes et des hommes à une dimension qui les dépasse, car moins que jamais elles ne la comblent. »

Et le discours continue sur ce thème : « Ma conviction profonde, dont j’ai fait part notamment dans ce livre d’entretiens que j’ai publié sur La République, les religions et l’espérance, c’est que la frontière entre la foi et la non-croyance n’est pas et ne sera jamais entre ceux qui croient et ceux qui ne croient pas, parce qu’elle traverse en vérité chacun de nous. Même celui qui affirme ne pas croire ne peut soutenir en même temps qu’il ne s’interroge pas sur l’essentiel. Le fait spirituel, c’est la tendance naturelle de tous les hommes à rechercher une transcendance. Le fait religieux, c’est la réponse des religions à cette aspiration fondamentale. »

Qu’il y ait une « réponse des religions à cette inspiration fondamentale » ne signifie pas, pour autant, que les religions aient le monopole de la réponse. Pourquoi Sarkozy abandonne-t-il de fait, sitôt, l’avoir émise l’idée d’une quête personnelle ou foi (de multiples fois possibles) et doute s’entremêlent ? Pourquoi ce glissement du symbolique au religieux, puis aux religions, que l’on trouve et dans son livre et dans le discours ? Je renvoie sur ce point à ma Note du 16 décembre : « Pour un ordre symbolique juste » et à ce que j'indiquais du « symbolique », comme espace social plus vaste que le religieux.

 

 

Certes, à peu prés tout un chacun s’interroge, un jour ou l’autre, sur les questions indiquées par le discours. Il le fait à l’intérieur ou à l’extérieur de traditions religieuses, et cet intérieur peut lui-même comporter une certaine distance avec les positions des autorités religieuses. Des catholiques pratiquants utilisent des moyens contraceptifs, des protestants pratiquants n’ont pas été d’accord quand le président de la FPF a parlé de modifier la loi de 1905

Le discours semble l’admettre puis, en fait, ramène, de façon indue, le symbolique au seul religieux, puis (de fait) à ce qui est nommé « notre religion majoritaire »  et poursuit : « l’intérêt de la République, c’est qu’il y ait beaucoup d’hommes et de femmes qui espèrent. La désaffection progressive des paroisses rurales, le désert spirituel des banlieues, la disparition des patronages, la pénurie de prêtres, n’ont pas rendu les Français plus heureux.»

Suit, alors, une grave dépréciation de la morale laïque et une prise de position qui me semble tout à fait contraire à la neutralité de l’Etat : « s’il existe incontestablement une morale humaine indépendante de la morale religieuse, la République a intérêt à ce qu’il existe aussi une réflexion morale inspirée de convictions religieuses. D’abord parce que la morale laïque risque toujours de s’épuiser ou de se changer en fanatisme quand elle n’est pas adossée à une espérance qui comble l’aspiration à l’infini. Ensuite parce qu’une morale dépourvue de liens avec la transcendance est davantage exposée aux contingences historiques et finalement à la facilité. »

Pour le fun, je précise que cette dépréciation de la morale laïque, est dans la filiation… d’Emile Combes (cf. mon roman). En revanche, elle tourne le dos à Jules Ferry et à l’instauration de l’école laïque. La création de la morale laïque a signifié que l’Etat ne prenait pas parti dans la querelle entre les cléricaux qui affirmait qu’une morale d’essence divine était seule valable et les anticléricaux qui dénonçait la morale religieuse comme essentiellement nocive, mais recherchait ce qui pouvait être commun.

La République a sans doute « intérêt » à ce que les citoyens ne soient pas désespérés, mais elle n’a pas à se prononcer sur la forme ou le contenu de leur espérance ; et (pour ce qui la concerne) elle doit s'occuper de leurs intérêts et de leurs besoins ; elle a « intérêt » à ce que les citoyens ait des valeurs morales, elle ne doit pas prendre parti sur le fait que ces valeurs soient religieuses ou non religieuses ; mais elle a à jouer un rôle d’arbitre pour que ces valeurs ne contreviennent pas aux lois.

Il est quand même assez gonflé de dénoncer le risque de « fanatisme » de la morale laïque, et de prétendre que la religion serait alors le remède, alors que la prétention à détenir une vérité religieuse peut tout autant produire du « fanatisme ». De même prendre parti pour une morale non exposée aux « contingences historiques », c’est quitter son rôle d’arbitre pour adopter une position philosophique officielle, alors qu’elle doit rester libre pour chaque citoyen.

Le président est mieux inspiré quand il affirme que : « Toutes les intelligences, toutes les spiritualités qui existent dans notre pays doivent y prendre part (aux débats éthiques). Nous serons plus sages si nous conjuguons la richesse de nos différentes traditions ». Mais, alors pourquoi avoir, juste avant, privilégié une morale religieuse ?

La « laïcité positive » que prône le président est alors très ambiguë. Certes, il rappelle des valeurs fondamentales : « le régime français de la laïcité est aujourd’hui une liberté : liberté de croire ou de ne pas croire, liberté de pratiquer une religion et liberté d’en changer, liberté de ne pas être heurté dans sa conscience par des pratiques ostentatoires, liberté pour les parents de faire donner à leurs enfants une éducation conforme à leurs convictions, liberté de ne pas être discriminé par l’administration en fonction de sa croyance. »

Là je suis d’accord, à condition de préciser ce qui est entendu par « pratiques ostentatoires », qu’il soit bien clair que ces « pratiques » peuvent être le fait de toutes les religions et convictions et ne visent pas une religion particulière (suivez mon regard !).

 

A ce sujet, l’inquiétude se précise avec la phrase suivante : « le peuple français a été aussi ardent pour défendre la liberté scolaire que pour souhaiter l’interdiction des signes ostentatoires à l’école. » La reprise du terme « ostentatoire » (la loi de 2004 dit « ostensible ») est significative.

Et cette phrase apparaît typique d’une laïcité à géométrie très variable : douce pour le catholicisme (« la liberté scolaire » sous entend, en fait, les subventions que l’on sait aux écoles privées, très majoritairement catholiques), dure pour l’islam (l’interdiction des signes ostentatoires/ostensibles à l’école ; il n’est même pas précisée à l’école publique). Pourtant à la Commission Stasi, Sarkozy, comme Marie-George Buffet, s’était prononcé contre la future loi.

Et, au-delà même d’une laïcité à géométrie variable, C’EST A UNE VERITABLE RELIGION CIVILE CATHO-LAÏQUE que tend un tel discours. Tout l’aspect quasiment normatif qui est donné aux « racines essentiellement chrétiennes » va dans ce sens.

Deux passage sont particulièrement significatifs de cette religion civile catho-laïque, car ils mettent catholicisme et laïcité sur le même plan : « Tout autant que le baptême de Clovis, la laïcité est également un fait incontournable dans notre pays ». Et plus loin : «la laïcité ne saurait être la négation du passé. Elle n’a pas le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes. Elle a tenté de le faire. Elle n’aurait pas dû.(…) C’est pourquoi nous devons tenir ensemble les deux bouts de la chaîne : assumer les racines chrétiennes de la France, et même les valoriser, tout en défendant la laïcité enfin parvenue à maturité. Voilà le sens de la démarche que j’ai voulu accomplir ce soir à Saint-Jean de Latran ».

En fait, on peut relire l’ensemble de ce discours dans cette perspective de religion civile catho-laïque, cela de son historique à sa dépréciation de la morale laïque qui, dans le discours, se trouve en manque par rapport à la morale religieuse : « Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé, même s’il est important qu’il s’en approche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance.» Et un peu plus tard : « Depuis toujours, la France rayonne à travers le monde par la générosité et l’intelligence. C’est pourquoi elle a besoin de catholiques pleinement chrétiens, et de chrétiens pleinement actifs. »

 

 

Et le feu d’artifice, c’est l’analogie entre les sacrifices qu’exige la prêtrise et le terrrrrible sacrifice qui est celui d’être président de la République : « Je mesure les sacrifices que représente une vie toute entière consacrée au service de Dieu et des autres. Je sais que votre quotidien est ou sera parfois traversé par le découragement, la solitude, le doute. (…)Sachez que nous avons au moins une chose en commun : c’est la vocation. On n’est pas prêtre à moitié, on l’est dans toutes les dimensions de sa vie. Croyez bien qu’on n’est pas non plus Président de la République à moitié. Je comprends que vous vous soyez sentis appelés par une force irrépressible qui venait de l’intérieur, parce que moi-même je ne me suis jamais assis pour me demander si j’allais faire ce que j’ai fait, je l’ai fait. Je comprends les sacrifices que vous faites pour répondre à votre vocation parce que moi-même je sais ceux que j’ai faits pour réaliser la mienne. » (quand même, avoir Carla comme gouvernante de curé-président,  cela change les choses, non ?)

Là, vraiment, en lisant ce passage, je me suis bien marré. C’est ce qu’il y a de terrible avec Sarko ; cela fait des années qu’il nous fait rigoler : son combat contre Chirac, c’était souvent très drôle. Et après, avoir mis Christine Boutin et Fadéla Amara ensemble, même dans mes rêves les plus fous, je n’aurais pas osé y penser, j’ai éclaté de rire. Et maintenant, j’aurais bien voulu voire la figure de certains de ses auditeurs quand ce deux fois divorcé (moi, cela m’est égal, mais eux…) leur dit : « on est pareils ».

Mais en même temps, il ne faut pas se laisser avoir par ce côté rigolo. Et, beaucoup plus sérieusement, les laïques qui sont croyants ne doivent pas se faire prendre au piège de la « laïcité positive », de la religion civile catho-laïque, christiano-laïque (le problème reste le même) de Monsieur Sarkozy : la foi doit être un choix personnel et non une affaire d’Etat.

La France n’est pas « chrétienne » et n’a pas à l’être ; ce sont des individus qui le sont et ont la liberté de se regrouper en Eglises, comme ils le souhaitent.

 Les chrétiens (comme les adeptes d’autres religions) doivent réclamer la liberté, toute la liberté (et François. Hollande ferait bien, sur ce sujet, avant de critiquer le discours de ne pas s’allier, contre D. Voynet, à Montreuil, avec un néo-stal qui, en violation de la loi de 1905, a interrompu des cérémonies religieuses). Mais ils ne doivent accepter, pour le christianisme, aucune officialité d’aucune sorte, ou alors ils ne peuvent plus se réclamer de la laïcité.

Je prends un exemple : un chrétien peut parfaitement penser que, pour lui, la morale laïque est insuffisante ; il peut très bien partager, comme individu, les opinions énoncés par M. Sarkozy, sur ce point. Mais, s’il est partisan de la laïcité, il doit trouver choquant qu’un président de la République ès qualité, prône une telle option.

La République française est la République de tous et toutes. Les citoyens ont un doit égal à trouver la morale religieuse nocive ou indispensable. C’est leur affaire. L’Etat n’a certes pas à croire ou à ne pas croire à leur place.

Puisque l’on nous rabat les oreilles avec la « mémoire », rappelons nous que de Théodose à Pinochet, l’Etat chrétien a toujours été une big catastrophe.

Quand le gouvernement de l’Ordre Moral, dans les années 1870, avait voulu favoriser les croyances religieuses, le pasteur évangélique Edmond de Pressensé, les avait immédiatement rappeler à l’ordre : « L’honneur d’une religion est qu’on puisse ne pas la pratiquer. »

En fait, le plus significatif est la rencontre entre deux conseillers de la tendance dit « républicaine » et le président Sarkozy. Elle ne doit rien au hasard. Dans mon livre : L’intégrisme républicain contre la laïcité, j’avais émis l’idée que le courant dit républicain allait devenir un courant néo-conservateur à la française et prôner un catholicisme identitaire. On m’avait dit que c’était très excessif ; or nous y sommes !

(entre parenthèse, vous verrez, dans ce livre, que la « laïcité inclusive » que je prône n’est pas la « laïcité positive » du chanoine Sarkozy, elle refuse tout religion civile et toute dimension religieuse de l’identité nationale)

Sacré Sarko, sacré chanoine : il m’a amené à écrire une longue Note et à remettre à la prochaine fois la fin de ma Note du 16 décembre.

 

 

  

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[1] Ceci dit, Carla (choisie dans le cadre de l’ouverture ?) est la seule chance d’un retour de la gauche au pouvoir. Luc Le Vaillant, en dévoile la stratégie dans Libé du 21/12 (« Carla, on compte sur toi ») : elle épuise Nicolas, elle le sèvre brutalement, flirte ostensiblement avec Villepin. Là, en position de force, elle impose à Nicolas de signer une lettre de démission, en échange d’une ultime gâterie. Ca devrait marcher.

[2] Auteur de Je suis noir et je n’aime pas le manioc. Max Milo, 2004.

12:10 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (6)

16/12/2007

DE LA DITE "RACAILLE" AUX DITS INTEGRISTES ET "SECTAIRES"

POUR UN "ORDRE SYMBOLIQUE JUSTE" 

 

Chose promise, chose due : dans mon avant dernière Note sur la « discrimination négative », je vous avais annoncé une suite portant sur les dits « intégristes » et les dits « sectaires » ; cela à partir de l’idée développée par Robert Castel, et argumentée par des exemples historiques : les groupes qui sont aux marges de la société deviennent facilement les « réceptacles des craintes qui traversent l’ensemble de la société » (p59 de La discrimination négative, Seuil). On « déplace, précise Castel, sur des  populations qualifiées d’asociales l’ensemble de la question sociale et de la manière de les traiter » (p.71).

 

 

Plein de gens de gôche, ou ayant une sensibilité sociale sont prêts à entendre ce que dit Castel. Les victimes de la « discrimination négative » ont de nombreux défenseurs, ce qui est heureux. Parfois même certains de ces défenseurs font de l’angélisme, ce qui est moins heureux.

Mais si je paraphrase Castel et si je déclare que « l’on déplace sur des populations qualifiées d’asociales (intégristes, sectaires, etc) l’ensemble de la question symbolique et de la manière de la traiter ». Alors là, je ne vais pas tarder à me retrouver tout seul et… la lapidation ne sera pas loin.

 

 

J’ai précisé tout de suite les groupes visés pour être dans le concret. En effet, première difficulté, on va me dire : « la question symbolique, quelle question symbolique ?  De quoi parlez-vous ? Parlez vous de la question religieuse ? » Oui et non. D’une certaine manière, oui. Mais ce n’est pas un hasard si j’ai effectué un élargissement et utilisé cette expression, non utilisée socialement, de « question symbolique ».

 

 

Je vais prendre un exemple pour me faire mieux comprendre, en me servant précisément du problème des discriminations. L’Institut de sciences politiques de Paris (Sciences-po) a décidé d’ajouter à son recrutement sur concours, des places réservées à des jeunes de lycées classés en ZEP (Zones d’éducation prioritaire) et recrutés par un concours spécial. « Discrimination positive » (aux USA on parlera d’ « affirmative action ») pour compenser un peu les discriminations négatives qui font que le recrutement par concours normal privilégie de fait une couche sociale extrêmement limitée.

Mais au-delà même de la lutte contre les discriminations, l’idée est que la France s’appauvrit intellectuellement si, dans sa reproduction d’élites, elle fait comme si elle comptait 6 millions d’habitants et non 60. Un recrutement plus diversifié donne des apports nouveaux, il constitue donc un enrichissement pour l’institution elle-même d’abord, pour le pays ensuite (et à plus long terme).

 

 

J’ai fait traîner mon oreille du côté de proviseurs de ces lycées qui ont un contrat avec Sciences-po, du côté aussi de doctorants en sociologie qui étudient les quartiers où sont établis ces lycées : le constat est unanime : cette mesure donne un « formidable espoir » non seulement aux élèves qui peuvent penser qu’ils ont une petite chance de réussir ce concours spécifique et qui le préparent, mais « curieusement » (selon un interlocuteur) aussi aux autres qui n’en bénéficieront pas mais ressentent qu’enfin ils « ne sont pas considérés comme de la merde ».

On n’est pas là dans le religieux, mais on se trouve en plein dans le champ symbolique. Le symbolique est plus vaste que ce que l’on appelle habituellement le réel et que,  avec d’autres sociologues, je qualifie de réel empirique.

 

 

Dans le symbolique, il existe toujours un certain lien avec des réalités constatables (là, le fait que quelques élèves issus de ZEP intègrent sciences-po). Mais ces réalités symbolisent quelque chose d’autre, quelque chose de non matériellement constatable (là, l’impression de ces jeunes d’être pris en considération). Le symbolique déborde donc (et de beaucoup, en général) ce qui est matériellement constatable, quantifiable.

Cela, même si certains ont mis du réel symbolique en statistique : par exemple la prolongation de « l’espérance de vie ». Tout ce qui a trait à « l’espérance » appartient au symbolique, puisque (par définition) on ne peut pas constater matériellement ce que l’on espère. La prolongation de l’espérance de vie ne garantit à personne qu’il ne va pas avoir, dans les 24 heures chrono, une crise cardiaque, un accident de voiture, qu’il ne va pas se faire poignardé par son conjoint ou dans la rue. Et pourtant, la médecine a construit sa puissance sur cette espérance là (même si historiens et sociologues de la santé vous disent qu’elle n’a joué un rôle que tardif et partiel dans l’affaire).

 

 

La religion, le religieux, les rituels et les croyances constituent sociologiquement des concentrés de symbolique et c’est pour cela qu’il existe un lien entre symbolique et religieux. Mais le symbolique est beaucoup plus ample que le religieux et souvent moins visible. Woody Allen en a donné une caractéristiques essentielle : « Qui suis-je ? D’où viens-je ? Où vais-je? Et comment vais-je payer mes impôts ? »

Ce court circuit se veut humoristique. Mais en fait, il est très signifiant : des questions essentielles, des questions sans réponses évidentes taraudent, au moins implicitement, tout un chacun. La plupart du temps, la plupart d’entre nous les refoulent pour faire face à des soucis quotidiens, à des craintes routinières. Mais ces dernières prennent peut-être une dimension d’autant plus forte qu’elles sont adossées à de grands problèmes refoulés.

On pourrait parodier Woody Allen  et dire : « Non seulement je ne sais pas qui je suis, mais en plus je ne sais pas comment je vais payer mon tiers imposable qui tombe dans quelques jours ! »

 

 

Longtemps on a prétendu que « l’homme est un animal religieux » ; cela a servi à légitimer les religions et à refuser d’entendre les critiques qui leur était adressées. Tout en se méfiant un peu de considérations aussi générales, qui englobent l’humanité en une formule, il vaut mieux dire, à titre d’hypothèse permettant de découvrir des réalités plus ou moins cachées ou qui se donnent à voir autrement, que « l’humain est un animal symbolique ».

On peut en trouver une petite vérification chez Michel Onfray. Celui-ci, après avoir dit plein de mal des religions (à raison et à déraison, tout est mêlé chez lui) parle de « spiritualité matérialiste ». Tiens donc !

 

 

Dire que l’humain est un animal symbolique présente plusieurs avantages. Je vais en donner deux. Le premier est que cela permet d’éviter toute polémique sur une récupération religieuse des athées et des agnostiques. De fait, ceux-ci se posent des questions de sens, même s’ils le font en dehors de traditions religieuses et cela doit être pris en considération.

J’ai indiqué, à plusieurs reprises (notamment dans un récent article du Monde) que la laïcité française pourrait prendre de la graine à partir de ce qui se passe en Belgique, sur un point important. Dans ce pays, il y a des « conseillers humanistes » dans les prisons, les hôpitaux, etc à côté des aumôniers, et les gens qui (dans des situations difficiles) veulent réfléchir à des « questions existentielles » en dehors des religions, et souhaitent avoir (comme les croyants des « grandes » religions) un vis-à-vis peuvent en bénéficier. En France, en revanche, il n’existe que des aumôneries religieuses.

 

 

Le second avantage d’une telle formule (« l’humain est un animal symbolique ») c’est qu’elle permet de considérer ensemble des attitudes qui se disent ouvertement religieuses et d’autres qui disent qu’elles ne le sont pas. Les rituels par exemple : certains sont religieux, d’autres non ; ils présentent pourtant des caractéristiques communes. Il en est de même des idéaux collectifs. Tout cela, le fondateur de la sociologie en France, Emile Durkheim l’avait bien perçu. Mais il lui a manqué une notion unificatrice pour mener à bien ses analyses.

Il existe donc un ordre symbolique, comme il existe un ordre social. Et, dans les deux domaines, se pose le problème de l’ « ordre juste », pour reprendre la terminologie de Ségolène Royal, qui me semble pertinente, dans une perspective citoyenne.

Il faut donc poser le problème de l’attitude à adopter à l’égard des dits « intégristes » et des dits « sectaires », en posant le problème de l’ordre symbolique juste.

(suite et fin samedi prochain)

 

PS: Un autre ouvrage (après les 2 indiqués par la Note de la semaine dernière), sérieux et intéressant à offrir ou à s'offrir pour les fêtes:

Naissance des dieux, devenir de l'homme.
        Une autre lecture de la religion
par Henri Hatzfeld (professeur émérite de sociologie de l'Université de Nancy)
Voici la quatrième de couverture:              
Les athées portent souvent sur la religion un jugement négatif, sans appel. La religion ne serait qu’illusions, mensonges, un produit de l’infantilisme de l’homme, de sa misère. « Une autre lecture de la religion » est un libre essai sociologique sur le caractère unique, peut-être irremplaçable du symbolique religieux.

L’espèce humaine est placée dans un monde où se trouvent mêlés pour elle ce qu’elle connaît ou peut connaître et ce qui reste inconnaissable. C’est avec son imagination que l’homme assume cette situation ; non pas l’imagination d’un seul, mais l’imagination de tous. De même que la parole de tous donne naissance à l’institution du langage, l’imagination de tous s’exprimant dans les rituels et les mythologies donne naissance à un imaginaire institué où nous pouvons connaître la bienfaisance des divinités secourables et accomplir une part de l’élaboration de nos valeurs et des règles morales qui concourent à notre devenir -humain.

Assurément les temps modernes ont mené contre les religions traditionnelles un double assaut : la science d’abord qui érode les mythes et la théologie; la démocratie ensuite parce qu’elle définit une autre autorité fondatrice des lois que Dieu lui-même.

Or les religions résistent. Elles doivent s’adapter mais elles restent peut-être ce que les hommes ont institué de plus fort pour répondre au défi de l’inconnaissable, s’agissant non seulement de l’avenir du monde, mais aussi de notre identité au cœur de nous-mêmes.

Un ouvrage édité par les Presses Universitaires de Strasbourg

9, place de l'Université - BP 90 020
F - 67084 STRASBOURG CEDEX
(à commander au prix de 19 €)

 

 

07/12/2007

LA SERIE "AVOCATS ET ASSOCIES" ET 2 LIVRES IMPORTANTS

Malheureusement, les soutenances de thèses, réunions de fin d’année, etc, me laissent peu de temps.

Mais assez, quand même pour vous recommander chaleureusement 2 excellents ouvrages pour offrir à vos amis (et à vous-même, pourquoi pas) pour les fêtes de fin d’année. Et ensuite vous parler d’un DVD.

D’abord les deux livres. Ce ne sont pas des livres style conserves de grande surface, mais des ouvrages champagne ou fois gras, c'est-à-dire à déguster en prenant son temps et en appréciant. Ils viennent tout juste de paraître : Je vous donne les 4èmes de couverture, car elles sont bien faites et disent l’essentiel :

La naissance des religions, de la préhistoire aux religions universalistes par Yves Lambert (Armand Colin)

« Voici un livre d’un intérêt exceptionnel pour qui s’intéresse à l’histoire comparée des religions. L’ambition de son auteur était immense : essayer d’expliquer l’évolution des religions depuis les peuples chasseurs-cueilleurs jusqu’à l’époque moderne en la mettant en relation avec les principaux tournants de l’histoire. »

Rien de moins. Frédéric Lenoir, dans sa préface, situe toute la démesure apparente d’une ambition intellectuelle comme notre époque n’en ose plus guère depuis des décennies. Il est vrai que la tâche était immense, le savoir à maîtriser propre à nourrir plusieurs siècles de querelles d’érudits, le risque constant et « fou » en somme pour le chercheur confirmé qu’était Yves Lambert. Il fallait ne pas avoir peur pour tenter cette gageure, ou être de taille à surmonter les pires peurs. Ce qui fut le cas.

Ce livre sans équivalent possible nous plonge au cœur de l’histoire et des préoccupations religieuses de l’humanité. Même inachevé, hélas, il témoigne d’une cohérence et d’une acuité de vision qui donnent à penser que son auteur avait totalement raison, et que seule une ambition aussi exagérée que la sienne pouvait, sur ce sujet, atteindre la simplicité et l’évidence des vérités fondamentales.

Yves Lambert, né en 1946, décédé au terme d’une longue maladie en 2006, a fait une entrée remarquée dans le champ de la sociologie religieuse avec la publication en 1985 de Dieu change en Bretagne. Devenu chercheur puis directeur de recherches au Groupe Société, Religions, Laïcités (CNRS-EPHE), il conçoit dès le début des années 1990 le projet de cet ouvrage de synthèse auquel le reste de sa vie a été voué.

J'ajoute qu'effectivement, c'est l'oeuvre finale, inachevée mais très belle d'un grand sociologue des religions dont tous ses amis se souviennent avec beaucoup d'affection.

 

Des dieux et des fonctionnaires. Religions et Laïcités face au défi de la construction européenne, Rennes, PUR, Collection « Sciences des Religions » par Bérengère Massignon  Préface de Jean-Paul Willaime 

            A l’heure où s’esquisse une Europe politique et où se profile l’adhésion de la Turquie , l’Union européenne n’échappe pas à la question religieuse. Quelle identité ? Quelle frontière pour l’Europe ? Comment faire sens et puissance dans une mondialisation qui exacerbe le sentiment religieux ? Quelle place réserver aux religions au sein de la société civile européenne en gestation ? Ces questions sont complexes et débattues, comme l’ont montré les polémiques autour de la mention des héritages religieux dans les préambules de la Charte des droits fondamentaux et du projet de Traité constitutionnel.

Les groupes religieux, ont pu être un temps rebutés par une construction trop économique et technicienne. Aujourd’hui, ils ne peuvent rester étrangers à la construction d’une l’Europe aux compétences élargies, pas plus que les politiques qui font l’Europe n’échappent au religieux. C’est cette rencontre nécessaire et féconde que présente ce livre à travers l’analyse les relations entre les cinq derniers présidents de la Commission européennes et leurs conseillers en matière religieuse avec les acteurs religieux européens : catholiques, protestants, et, ce qui est nouveau et peu traité, orthodoxes, juifs, musulmans et laïques.

Un « ouvrage de référence » (Jean-Paul Willaime) à propos d’un sujet crucial, mais qui a donné lieu à peu d’études universitaires. S’appuyant sur une documentation souvent inédite, Bérengère Massignon propose une analyse originale et stimulante pour toute personne s’intéressant à l’Europe et aux religions.

Diplômée de Sciences Po (Paris) et Docteure en sociologie de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, Bérengère Massignon est rattachée au Groupe Sociétés, Religions et Laïcités (CNRS-EPHE). Elle enseigne la géopolitique des religions et participe à un projet, financé par la Commission européenne, sur l’enseignement du fait religieux en Europe (REDCo). Elle a travaillé auprès du Conseiller pour les Affaires religieuses du Ministère français des Affaires étrangères et fait un rapport sur les signes religieux en Europe pour la Commission Stasi.

Le premier livre doit se trouver dans toutes les bonnes librairies ou être facile à commander ; le second peut être commandé  aux Presses Universitaires de Rennes, UHB Rennes 2 –campus de La Harpe, 2 rue du Doyen Denis-Leroy, 35044 Rennes Cedex ; www.pur –editions.fr

Passons au DVD. Pour comprendre pourquoi j’en parle, j’indique que le fait que je défends le droit des femmes (dites « musulmanes » pour la société qui pose le problème à leur encontre, mais pour moi le droit des femmes quelle que soit leur religion, conviction, areligion, etc) me vaut régulièrement des critiques, voire des attaques comme si je prônais une société où existerait une séparation entre sexes. « Alors vous allez demander qu’il y ait des guichets de poste pour hommes et des guichets de poste pour femmes » m’a-t-on dit dernièrement à une conférence. On m’a dit aussi qu’il était « absurde » de s’opposer au Haut Conseil à l’Intégration et à sa Charte de la laïcité sur ce point, etc. Le moindre regard critique sur la médecine est vu comme une sorte de sacrilège. J’ai donc été très intéressé par une séquence de la série télévisée « Avocats et associés » dont je vais vous parler maintenant :

Série : « Avocats et associés » DVD 4, Saison 2 : Le prix des Sens

Une des associés, Michèle (jouée par Micky Sebastian) a rendez-vous avec sa docteure. Celle-ci s’est fracturée la jambe et on a collé d’office la dite Michèle au médecin homme qui fait partie du même cabinet médical. Elle dit à la secrétaire qu’elle ne veut pas de médecin homme, mais à peine l’a-t-elle dit que le dit médecin arrive et appelle son nom. Elle n’ose pas partir et entre dans la salle de consultation.

Le médecin lui pose quelques questions pour établir son dossier. Quand il veut l’examiner, elle a une réaction de réticence. Il insiste et lui rétorque: « Je suis médecin ». Mais quand il lui demande de passer dans la pièce à côté et de se déshabiller pour qu’il lui fasse un frotti vaginal ; elle hésite encore puis finalement se décide et lui dit que non, qu’elle ne peut pas se faire examiner par un homme. Le médecin dit alors qu’il comprend et lui annonce qu’il va faire faire une analyse de sang (ou qque chose comme cela) sans examen. Il lui donne une ordonnance pour cette analyse et il la laisse partir.

Plus tard dans le film, le médecin la fait convoquer par sa secrétaire à un nouveau rendez-vous urgent. La dite secrétaire ne peut lui donner la raison de cette convocation, mais lui dit de ne pas s’en faire. Loin de la rassurer, cette dernière phrase jointe au fait qu’on ne lui donne pas le diagnostic qui induit la convocation, l’inquiète. Michèle se demande si elle n’a pas un cancer. Elle est angoissée pendant les 2 jours qui la séparent du rendez-vous. En fait, le médecin la fait convoquer à 19 heures 30, à la fin de ses rendez-vous car il veut l’inviter à dîner (et lui faire la cour).

Intérêt de cette séquence qui est passée à France 2 (à 2 reprises et qui maintenant est donc vendue en DVD)

Personne n’a crié à l’atteinte à la laïcité ! Je note brièvement les différents aspects de cette séquence, très intéressante à condition de savoir la regarder.

- Michèle est, dans cette série télé, une jeune femme a la vie sexuelle « libre », sans croyance religieuse : hypermoderne, et qui n’a pas de problème particulier avec son corps, sa sexualité, son rapport avec les autres, etc. Elle est très compétente dans son métier, ambitieuse, elle ne va pas voire une psy (contrairement à une autre avocate, qui a toujours des histoires malheureuses) elle est plutôt parmi les personnage sympathiques (contrairement à Gladys, autre avocate ambitieuse, plus dans une certaine perversité). Donc c'est une figure "positive", non "coïncée" qui ne veut pas être examinée par un homme.

- Ses hésitations sont révélatrices de la difficulté de s’émanciper de la domination du médecin : dans un premier temps, elle n’ose pas refuser la consultation et elle a failli être examinée contre son grè. Ce n'est qu'au dernier moment qu'elle réussit à revendiquer sa liberté.

- Il faut que son refus de l’examen par un homme soit quelque chose d’important pour elle et non pas un fait accessoire pour qu’en dépit de son embarras, de sa difficulté à oser, elle refuse finalement l’examen

- Le médecin, lui aussi, semble hypermoderne, puis qu’après avoir revendiqué son autorité de médecin, il accepte son refus d’examen sans trop insister. Mais il a d’abord tenté de faire pression.

- La médecine elle-même est vue comme ultramoderne puis qu’en fait une analyse de laboratoire remplace l’examen, le contact direct, la domination directe sur le corps et permet d'éviter l'atteinte à la volonté profonde de cette femme qu'aurait constituer l'examen

- Mais le rapport médecin-patient reste toujours problématique : dans la suite de la séquence il existe un refus potentiel de dire les choses (« de dire la vérité au malade ») qui créé une angoisse chez le patient

- Implicitement la série pointe quand même la possibilité d’un changement du rapport de force : une femme et une patiente sont classiquement en infériorité par rapport à un homme et un médecin, et là c’est l’inverse

- Cela va toutefois de pair avec le maintien d’une certaine domination médicale : le médecin peut vous convoquer à un rendez-vous sans explication ; et en fait il abuse de ce pouvoir puisqu’il n’a pas de raison médicale mais veut pouvoir dîner avec elle sans le lui dire franchement

Etc

Une série télévisée véhicule une représentation culturelle de masse. Il est extrêmement intéressant que, sans du tout vouloir faire une œuvre provocante ou contestataire, cette séquence soit venue à l’esprit du scénariste qui écrit des scripts pour des millions de téléspectateurs, et que son scénario ait été accepté, et que tout cela soit passé inaperçu.

On peut dire qu'il s'agit d'un implicite, un malaise latent que l’auteur fait passer dans le réel  télévisuel grâce à la fiction. Mais cela ne marche que parce que ce fictionnel peut être reconnu par les téléspectateurs (et les téléspectatrices !) comme correspondant soit à leur propre vécu, soit à un vécu plausible, une situation qui, elle-même, peut être décalée par rapport au réel, donc plus ou moins vraisemblable au premier degré, mais qui correspond à du ressenti, à (pourrait-on dire) du réel profond, de la face émergé de l’iceberg. Du ressenti de la vie quotidienne, et la question de la liberté ne se joue pas seulement dans ce qui est pénalisable, mais dans ces mille et une situations où l'on a à subir des pressions, soit disant pour votre bien, mais qui manifestent aussi des rapports de force.

Autrement dit : il n’est pas nécessaire que dans la réalité un nombre très important de femmes osent passer à l’acte du refus d’examen, cela arrive peut-être même que très rarement. Mais il faut que l'envie de refus corresponde à un certain ressenti de beaucoup d'entre elles, que cela n’apparaisse ni incongru ni stupide comme attitude, que la situation soit immédiatement compréhensible pour des millions de téléspectateurs-trices.

Les séries sont extrêmement intéressantes, à condition de les décrypter et ce petit exercice est aussi une invitation à être un téléspectateur actif.

La semaine prochaine : la suite de la Note de la semaine dernière.

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01/12/2007

DE LA DICRIMINATION NEGATIVE

De la discrimination négative et des heurts de banlieue à la relégation symbolique des « intégristes » et autres « sectaires ».

D'abord je signale les 7 et 8 décembre, à l'UNESCO, le Colloque "Identité, appartenances, diversités" organisé par la Commission Islam et laïcité. Pour connaître le programme et savoir comment s'inscrire: http://www.islamlaicite.org

Le début de semaine a été marqué par de nouveaux heurts dans une banlieue française, suite à la mort de deux adolescents dans ce qui est soit un accident soit une « bavure » policière.Je vois trop souvent, dans des banlieues proches de Paris, des jeunes circuler à toute allure à moto, sans casque, parfois à contresens, ou en élevant leur moto à la verticale, etc pour exclure la thèse de l’accident. Mais les conclusions hâtives de la police des polices ne semblent pas présenter (loin de là) toutes les garanties d’une enquête rigoureuse.

Le doute sur cette enquête fait partie du véritable problème qui est le ressenti, non sans raison, de discriminations par une partie de la population et notamment des jeunes. A plusieurs reprises, des chercheurs et des associatifs ont attiré l’attention sur le fait que la situation qui a provoqué les « émeutes » de 2005 perdure et, donc, que le moindre incident grave peut réenclencher un processus analogue, voire plus grave.

A priori je n’ai rien de très original à dire sur le sujet, par rapport à la littérature consistante qui existe. Je crois avoir déjà recommandé l’ouvrage à plusieurs voix publié, il y a maintenant un an, sous la direction de Didier et Eric Fassin : De la question sociale à la question raciale ? Représenter la société française, paru aux éditions La Découverte.

Le problème est présenté sous différents angles par des gens qui ne sont pas forcément d’accord entre eux, mais qui ont vraiment étudié des questions difficiles qui se posent actuellement à la société française. Le livre se termine par un « éloge de la complexité » qui correspond bien à ce que je tente de dire en prônant une prise de distance à l’égard des chevaliers du bien de tous poils.

 

 

Je voudrais, avec cette Note, vous inciter à lire un outre ouvrage, paru il y a environ un mois : celui de Robert Castel : La discrimination négative. Citoyens ou indigènes ? dans « La République des idées » au Seuil. C’est une excellente collection car les ouvrages qui y sont publiés sont courts (150 pages maxi), pas trop chers (11,5 € pour le Castel) et ils apportent toujours du neuf et du solide.

L’ouvrage de Castel me semble être (en 118 pages, augmentée de 30 pages d’annexes), une belle synthèse et mise en perspective de ce problème des discriminations, face auquel la France (et malheureusement notamment la gauche française) a fait longtemps la politique de l’autruche (il paraît d’ailleurs que cette expression insulte ces braves bêtes, car elles ne chercheraient pas à se cacher la réalité en mettant leur tête dans le sable, mais elles me le pardonneront j’espère !!).

Castel a lu pratiquement tous les travaux sur la question et il les articule dans un propos clair, équilibré qui tente de tenir compte des différents aspects. Son diagnostic est d’autant plus accablant qu’il évite tout aspect dénonciateur et prend en compte cette « complexité » dont je viens de parler.

 

 

Un exemple : il cite assez longuement l’étude, non politiquement correcte, de Dominique Lorrain. Ce chercheur a mis systématiquement en relation la situation d’un quartier  de banlieue parisienne et d’un quartier de la périphérie d’une ville moyenne de la Meuse, qui n’a « jamais fait parler de lui ». Et il montre que beaucoup plus d’argent public par habitant a été mis dans le premier cas que dans le second (que cet argent ait été mis là où il le fallait et bien employé est une autre affaire). Castel conclut sur ce point : « si, comme le remarque Dominique Lorrain, une des conditions de l’égalité de traitement des citoyens d’une même nation est l’égalité d’accès aux biens et aux services publics, alors non seulement les habitants de la Meuse, mais ceux de nombreuses zones rurales sont plutôt discriminés négativement par rapport à la plupart des ‘quartiers sensibles’ » (p. 32).

Cela montre que le problème est, pour une part, ailleurs, notamment, montre-t-il, « dans un rapport déçu à la citoyenneté ».

 

 

Castel fait également retour sur l’histoire, notamment les révoltes du XIXe siècle, avant et lors des débuts de l’industrialisation, avant le développement du mouvement syndical.  Il a notamment étudié la question des « vagabonds » et montre ses analogies avec l’actualité.

Cela ne signifie bien sûr pas un « retour en arrière ». Il n’y a jamais de retour en arrière. Mais nous devons nous affranchir d’une conception implicite de l’histoire linéaire, évolutive, évolutionniste, marche en avant du progrès. C’est un héritage de différents courants de la pensée occidentale où se mêlent un certain messianisme religieux (notamment l’aile gauche des puritains lors de la première révolution anglaise), un certain rationalisme des Lumières (sans doute plus poussé en France qu’ailleurs : la comparaison entre Voltaire et Locke à propos de leur vision de la liberté de religion est particulièrement éclairante), un certain positivisme (ainsi vous trouvez cette assurance de la marche du progrès chez Jules Ferry).

 

 

Là encore, il ne faut pas être dans la dénonciation : les effets historiques de ces conceptions plus ou moins entremêlées ont permis de réaliser effectivement des « progrès » (en même temps que de l’ambiguë). L’historien américain, Eugène Weber explique qu’en France la confiance dans le progrès était une croyance tout à fait raisonnable, qui pouvait s’appuyer sur de très nombreux constats, jusqu’à la guerre 14-18.

 

 Mais, depuis lors, les horreurs liées au progrès de la mort industrielle dans les deux guerres mondiales, les nuisances du progrès (dont on nous rabat les oreilles de façon idéologisée : un jour, il faudra que je vous parle du livre de Jean de Kervasdoué : Les pécheurs de l’apocalypse. Pour en finir avec les délires écologiques et sanitaires, paru chez Plon il y a quelques mois[1]), les dilemmes du progrès (cf. la bio-éthique par exemple) a profondément changé la donne. La multiplication des contacts (et frottements parfois) avec d’autres civilisations aussi. Etc. Tout cela induit une mutation culturelle, où nous prenons conscience de cette conception linéaire du temps et de l’histoire a correspondu à un certain espace culturel, à un certain temps historique[2] qui sont devenus anachroniques.

 

 

Du coup, les personnes dont la pensée est restée immobile, figée dans de vieux schémas, imprégnés (à leur insu parfois) par cette conception anachronique du temps de l’histoire, se mettent à multiplier les dénonciations de « retour en arrière » et ceux et celles qui seraient, selon cette optique, responsables et coupables d’un tel retour en arrière.

Il existe des constantes en histoire. On pourrait parler de « constantes analogiques » en ceci d’une structure est identique, mais ses modalités sont différentes, puisqu’on se trouve dans des situations autres.

 

 

 

Castel met à jour une de ces constantes en parlant (et je vais concrétiser cela) de nombreux exemples dans l’histoire de « dynamique de déplacement de la conflictualité sociale vers les marges » (p. 66). Une sentence exprimait un peu cela : « battre le chien devant le loup » : faute de pouvoir s’en prendre au cœur du problème, on s’en prend à ses marges. Dans l’exemple des « vagabonds », comme dans celui des « prolétaires » (moins extérieurs que les vagabonds, mais cependant sur les marges de la société du XIXe siècle), il se passe (écrit Castel) « un processus de fixation de la conflictualité sociale sur une classe dangereuse » (p. 68), classe qui « inspire la peur » et, ajoute-t-il, « un véritable racisme anti-ouvrier qui fixait sur la condition prolétarienne l’image effrayante de l’asociabilité au sein même de cette société » (p. 69)

Cela me semble très juste, je regrette seulement un peu que Castel parle de « bourgeoisie bien pensante » à ce propos. Cette façon dépréciative risque de nous faire croire indemne de ce genre de processus, de rendre peu ou prou ‘coupables’ les gens qui se situaient dans ce racisme là. Or, il faut rompre avec tout ce qui prête le flanc à une approche moralisatrice pour pouvoir véritablement examiner froidement le problème.

 

C’est un problème que l’on ne rencontre pas seulement dans les rapports entre catégories sociales. Je lisais dernièrement un ouvrage du début du XXe siècle : Les religions laïques du R.P. Dom Besse. Dans ce livre, se mêlent des informations souvent exactes pour l’historien et des phrases qui reprennent des thèmes antisémites, antiprotestants, antimaçons qui peuvent paraître délirants, si ce n’est qu’ils manifestent une peur de celui qui est autre, de celui qui a d’autres valeurs, d’autres référents symboliques.

Ce qui est très intéressant dans ce livre, c’est que contrairement à des libelles antisémites, antiprotestants, antimaçons de la même époque, il n’y a pas vraiment d’accusations imaginaires, et (de notre point de vue) délirantes, portées contre l’autre. Non, il existe même des chapitres dont l’historien peut recommander la lecture à quelqu’un qui ne connaîtrait pas bien l’époque et voudrait en savoir plus. Par exemple, il suffit d’enlever quelques phrases au chapitre sur l’Union de libres penseurs et de libres croyants, (organisation qui à l’époque réunissait des libres-penseurs, des protestants, des juifs et des catholiques dissidents), pour que ce chapitre constitue une excellente description de cette association.

 L’auteur effectue un passage de l’information sérieuse aux propos haineux, par le fait de se sentir personnellement (et collectivement) menacé d’envahissement par cet autre. « Nous voilà donc tous menacés de nous trouver juifs d’ici quelques temps » écrit Don Besse (p.114), avant de passer à la page suivante à la dénonciation des « infiltrations protestantes ».

Non seulement l’auteur était persuadé d’une telle « menace », sans être un esprit excité pour autant, mais ses propos rencontraient les mêmes résonances chez ses lecteurs. De même, en 1985, un quotidien affirmait que la France serait musulmane dans trente ans. On y est presque, et (fait bizarre !) le nombre de musulmans dans la société française n’a pas eu de croissance exponentielle.

Remarquer aussi qu’il n’existe pas de prosélytisme dans le judaïsme et que cela n’empêchait Dom Besse et ses lecteurs de se croire menacés d’être judaïsés malgré eux.

 

Alors l’autre, celui qui est ainsi stigmatisé, victime d’une propos dénonciateur, qui apparaît raisonnable, crédible, n’est pas un saint pour autant. Contrairement aux accusations faites à ceux qui, hier, défendaient les juifs et aujourd’hui défendent les musulmans, on n’a nullement besoin d’être dans l’angélisme. Les victimes sont des humains tout autant contestables, ambivalents que les autres, ni plus ni moins (peut-être parfois autrement qu’eux). Leur façon de se comporter peut même être énervante (et c’est pour cela que j’ai commencé ma note en parlant de jeunes qui, effectivement, peuvent énerver dans leur manière de se conduire).

 

Leur façon d’agir peut même être délictueuse, et il y a, à juste titre des lois pour réprimer les délits. La répression, la condamnation des délits n’a pas à s’accompagner de stigmatisation. Je vais être encore politiquement incorrect : il y a un quotidien qui n’a pas marché dans l’affaire du RER D : rappelez-vous, cette personne qui avait prétendu être victime d’une agression antisémite de jeunes de banlieues, alors qu’elle s’était agressée elle-même, parce qu’elle avait perdu son argent et sa carte bleue et craignait l’engueulade de son compagnon. Tout le monde avait alors démarré au quart de tour, Chirac avait exprimé sa vive émotion, la ministre concernée s’était complètement investie dans la défense de cette femme quand des doutes étaient apparus, les médias s’étaient emballées, sauf… La Croix. Pourquoi ? Si on consulte attentivement ce quotidien, la réponse est assez simple : il ne se sert jamais d’un fait-divers pour stigmatiser.

On peut échapper et à la stigmatisation et à l’angélisme, à condition de ne pas être dans les propos convenu. Je me suis toujours différencié d’un certain angélisme de gauche qui peut prendre plusieurs formes.

Rapidement, j’indique 2 d’entre elles : La 1ère consiste à ne pas voir plus loin que le bout de son nez socio-économique, et notamment à faire comme si le symbolique n’existait pas. La CMU, couverture maladie universelle en est un bon exemple. Médecine totalement gratuite à des gens pauvres. Cela semble un progrès social. Sauf que, ce qui ne coûte rien, ne vaut rien, d’où l’incitation sociale à des conduites irresponsables. Des médicaments gaspillés, des traitements pas suivis, des équipes médicales qui attendent la personne qui ne vient pas s’en s’être décommandé et qui, si on le leur fait remarquer, rétorque qu’on a rien à dire, on n’a qu’à compter la séance et se faire payer par la sécurité sociale.

 

 

Deuxième forme : le mépris du basique, de l’élémentaire, considéré comme bébête, pas assez sophistiqué pour ces M’sieurs dames. Il y a 10 ans, quand Ségolène Royale était ministre déléguée à l’enseignement scolaire, elle insistait sur l’apprentissage des formes élémentaires de respect : « bonjour », « merci », etc. Bref des codes sociaux de base, des contraintes élémentaires pour un respect mutuel (et elle insistait aussi sur le respect des élèves par les enseignants). Et je rencontrais plein de gens de gauche qui ricanaient, qui trouvaient cela trop simpliste, voire réac. Et ils s’étonnaient qu’étant son conseiller, moi universitaire à bac + 15, je sois d’accord avec cela. Ils attendaient de moi, puisque j’étais chargé de la formation à la citoyenneté, une élaboration théorique très sophistiquée sur ce sujet. Je leur répondais qu’ils étaient comme des  membres d’un Comité d’éthique dans un hôpital qui passerait son temps à s’affronter à des problèmes bioéthiques très complexe sans vouloir se rendre compte qu’il y a du placenta qui traîne dans les couloirs, de la poussière dans les chambre des malades, et des médecins qui ne se lavent pas les mains entre chaque visite.

 

 

La socialisation est contraignante, elle ne doit pas être rigide, mais sa perte a un coût symbolique et social très élevé. Castel insiste sur l’importance du manque de respect ressenti par de nombreux jeunes de banlieues. Il rappelle qu’un collectif « Banlieues-respects » s’était constitué lors des émeutes de 2005. Il cite Denis Merklen qui parle « paroles de pierre » pour qualifier des explosions de violences collectives. On retrouve là tout le problème des discriminations. Quand on vous refuse un logement ou un emploi à cause de la sonorité de votre nom ou de la couleur de votre peau, c’est comme si l’on vous rendait coupable d’exister, d’être vous, et il y a de quoi hurler ou avoir « la rage ».

Mais il faut aussi ajouter qu’il existe, chez certains, une quête éperdue de respect, quasiment impossible à satisfaire. « Tu me cherches, tu me nargues » sous prétexte qu’on les aurait regardé alors qu’on a cherché à lire ce qui était écrit sur une affiche derrière eux. Cette quête vient en partie d’une histoire non élucidée (d’où l’inflation mémorielle, qui a ses raisons mais aussi ses aspects contre productifs) et vient aussi d’une perte de la socialisation élémentaire au respect.

 

Cette socialisation élémentaire est un élément fort de pacification sociale. Quand le respect basique existe, on ne s’en rend même pas compte. Mais (par exemple) si quelqu’un refuse de vous serrer la main (geste élémentaire, routinier, effectué sans y penser la plupart du temps), vous allez prendre cela comme une sorte de déclaration de guerre. C’est anodin quand cela existe, et devient terriblement important si cela manque.

Quand, dans cette fonction de conseiller de la ministre, je discutais avec des professeurs des écoles ou des profs tout court, beaucoup de celles et ceux qui, au départ, avaient prétendu que cette socialisation au respect élémentaire ne devait pas faire partie de leur travail, qui était plus ‘noble’, admettaient volontiers, au bout d’un moment, que « si, malgré tout », cela était à prendre en compte. Mais la plupart ajoutaient qu’ils étaient découragés, que leurs efforts ne servaient à rien. Je les interrogeais sur le pourquoi de la chose, au moins 2 interlocuteurs sur 3 m’expliquaient que leurs élèves écoutaient et regardaient des émissions de radio et télévision « où on débite systématiquement de la grossièreté ». Leur autorité, ajoutaient-ils, n’étaient rien à côté de celle des animateurs de ces émissions. Ces animateurs constituent des modèles et, puisqu’ils sont grossiers, eh bien il faut l’être.

 

 

Bon comme on m’a dit que mes notes étaient trop longues, et que j’ai du travail sur le feu qui m’attend, je continue cette note la semaine prochaine. Et je vous expliquerai notamment pourquoi, à partir de ce que je viens de dire, je suis un affreux, sale et méchant qui refuse de communier à la dénonciation consensuelle des « intégristes » et des « sectaires ». Et en plus, quel culot !, au nom de la laïcité.

Aller, sans rancune aux messieurs, et (surtout) bisoux bisoux aux dames.

 

PS: Je signale la création du blog de l'association artistique La Pierre et l'Oiseau.

Pour les internautes que cela intéresse, l'adresse est http://lapierreetloiseau.blogspirit.com

2ème PS: Prochainement sur le Blog: Des cadeaux de Noël intelligents: présentation de livres et indication d'un DVD (dans la série "Avocats et associés") qui, naturellement sans le vouloir et le savoir, permet de percevoir la bêtise du Haut conseil à l'Intégration et de sa Charte de la laïcité. Ce sera la révélation du siècle!! Qu'on se le dise!

 

 



[1] Même si Kervasoué n’a pas forcément raison sur tout, c’est une bonne antidote à la transformation idéologico-médiatique de questions pertinentes en messages catastrophes

[2] Comme aucune métaphore ne sera vraiment pertinente, il faut avoir recours à plusieurs d’entre elles. On peut ne pas abandonner toute image évolutionniste, à condition de prendre conscience de sa forte ambiguïté et de la relativiser par d’autres images comme celle du zig-zag : j’ai proposé, pour ma part, la métaphore de la route qui fait des lacets : les personnes qui sont dans la voiture pourraient avoir l’impression d’un « retour en arrière » (d’une marche arrière), puisque le lacet fait revenir sur du paysage déjà vu. Mais cette impression serait fausse : on a continué la route.

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