19/01/2008
SCOOP:POURQUOI RIYAD? 3 DEFIS A LA LAÏCITE
M’enfin pourquoi ? se demandent les médias.
Pourquoi il en a rajouté plus qu’une louche, il a cité 13 fois Dieu, a oublié qu’un chanoine n’est pas obligatoirement un prédicateur ?
Aucun média ne vous a fourni de réponse.Seul votre blog favori est en mesure de le faire dans un Hénôrme Scoop Planétaire.
Je vous raconte donc le dessous des cartes.
Comme je vous l’avais expliqué dans ma Note, désormais immortelle, du 22 décembre, depuis 6 mois, Nicolas me suppliait régulièrement de parler de lui dans le Blog. A la suite d’un pari stupide (« je parlerai de vous quand vous serez pape ou chanoine ») j’avais du m’exécuter.
Et, depuis le 22 décembre : plus aucune nouvelle de l’Elysée. J’avais d’abord pensé à la trêve des confiseurs. Puis une horrible vérité m’était apparue : tel Don Juan, Sarkozy, ayant obtenu ce qu’il voulait, me délaissait ostensiblement (pour parler comme les Rrrrépublicains). Séduit et abandonné qu’il était le Baubérot. Ah, il avait bonne mine.
Eh bien j’avais tort. Totalement tort. Ce samedi matin, coup de fil du Président bien aimé. Il était furibard. C’est lui avait attendait depuis des jours et des nuits mon coup de fil. « Vous auriez quand même pu me remercier » m’éructa-t-il et j’entendais la fumée sortir de ses narines.
Je tombais des nues. Je ne comprenais rien. « Ah c’est comme ça, il faut tout vous expliquer, répliqua l’extraordinaire Président. Vous me décevez beaucoup Baubérot, seriez vous bête à ce point ? »
Et le Président adoré de m’affirmer qu’il avait apprécié à sa juste valeur ma fabuleuse Note du 22 décembre : « Vous dites que Carla est belle et cela m’est allé droit au cœur. Bien sûr, vous enrobez cette merveilleuse proposition de considérations intello. très fumeuses. Mais j’ai bien compris que c’était dans le seul but de séduire Dame Laïcité. Entre amoureux, on se comprend, non ? »
Et, poursuivit aussi sec le mirifique Président, « j’ai été terriblement déçu de la réaction des médias. Silence radio-télé. Or je veille sur vous Baubérot, comme je veille sur chacun des 63 millions de Français. Et je me suis dit : à défaut de pouvoir aller chercher la croissance avec les dents, je vais chercher avec les dents, un plan com pour mon ami Baubérot.
« Là j’ai dit à Guaino (qui, soit dit entre nous, n’était pour rien dans le discours du Latran) : aller, il faut faire plus fort. Beaucoup plus fort. Il faut absolument que les médias ne parlent plus que de l’idylle de mon copain Baubérot avec Dame Laïcité.
« Et voila le résultat : admirez mon efficacité : depuis Riyad, tous les médias vous courent après, tous les paparazzi de la bulbe vous demandent une photo, féérique, non ? »
J’avoue que j’étais déstabilisé. Je suis tellement, tellement modeste que l’idée d’un Sarko baubérotique ne m’avait même pas effleuré ; c’est dire. Alors j’ai tenté de tergiverser : « Merci, merci, incomparable Président, mais c’est trop. Pour vivre heureux, vivons caché : mes humbles recherches n’ont pas besoin de l’éclat médiatique et dame Laïcité j’aime tel que je suis. »
« Espèce de faux cul, m’a coupé le fabuleux Président. Vous savez très bien que les médias, comme le pouvoir, c’est aphrodisiaque. Et je perçois, à la tonalité de votre voix, que vous êtes ravi. J’ai d’ailleurs ouï dire qu’à chaque émission de radio ou de télé, à chaque interview ou article de journal, vous recevez des mels émus de charmantes admiratrices, ce qui pimente vos amours laïques. Avouez que ce n’est pas pour des prunes que vous parlez de ‘laïcité inclusive’, petit coquin. »
Alors là, j’étais touché en plein cœur. J’ai bredouillé : « Mais pendant tout le temps que je consacre aux médias, mes recherches ne se font pas. Je prends un retard dramatique. Je ne sais plus comment faire. »
Et là le surprenant Président a objecté, d’un ton sans réplique : « Aucun problème : je sais que vous devez dialoguer avec Henri Guaino lundi soir sur FR3. Amenez lui vos recherches en retard. Il va vous faire cela, vite fait. »
Défi à la laïcité.
Il faut positiver. Ce matin sur France-Inter, Yvan Levail a cité Churchill : « Les pessimistes voient une difficulté dans chaque opportunité ; les optimistes une opportunité dans chaque difficulté ». Pas mal, non ? Eh bien, au lieu d’avoir l’habituelle réaction indignée et de répéter des propos, certes laïques, mais convenus, considérons que Sarkozy nous lance des défis. Et relevons les hardiment.
OK ?
OK.
En effet, il est exact que Sarkozy effectue, dans les 2 discours (le Latran et Riyad), plusieurs accrocs à la laïcité.
Il se situe, délibérément, dans la confusion des rôles. Il manque au devoir de réserve d’un président d’une République laïque. Ce devoir de réserve ne doit pas conduire à être inodore mais à bien avoir dans la tête qu’on est le président de toutes/tous et que l’ensemble des Françaises/Français doit être représenté dans ses propos. Là, il a effectué des choix philosophiques qui peuvent être les siens à titre personnel, mais qui ne respectent pas la « diversité » qu’il met en avant par ailleurs. La diversité, c’est aussi la diversité des convictions, qu’elles soient religieuses ou autres que religieuses. Et, dans toute la mesure du possible, l’égalité de ces convictions, la neutralité de l’Etat à leur égard.
De Gaulle, quand il était dans une église es qualité de Président, par exemple lors de funérailles, ne communiait pas, pour bien montrer qu’il ne faisait pas profession de catholicisme à ce moment là[1].
Quant à l’aspect conservateur, je peux me dispenser de longs commentaires car le dessin de Plantu du Monde du 17 janvier synthétise toute la question : il porte sur la crise économique actuelle. Le Sarkozy de 2007 dit « J’m’en fous !! J’irai chercher la croissance avec mes petits doigts ! ». Celui de 2008 est à genoux et dit : « Prions ! »
Je ne développe pas, j’ai tellement raconté cela dans divers média depuis mardi que j’ai un peu l’overdose (surtout que je recommence normalement, lundi 21 vers 11 h sur LCI, avec une redif ' à 17 h; à 15 heures avec le chat du Monde, le soir dans Ce soir ou jamais sur FR3, et mardi 22 vers 15 heures sur France Culture)
Mais, en gros, "la ligne du parti" que j'ai développée est la suivante: halte à la confusion entre liberté et officialité.
Il est juste (au double sens de justice et de justesse) de demander une pleine liberté (dans le cadre d'un ordre public démocratique). Même si cela peut actualiser la loi de 1905 sur quelques points, cette demande est fidèle à l'article 1.
En revanche, aussi bien croyants que non-croyants (qui, en fait, ont d'autres croyances) doivent être d'accord pour refuser toute officialité d'une ou de plusieurs religions. C'est l'article 2 de la loi et c'est la condition basique de la paix civile. De la part des croyants, d'ailleurs, ce n'est pas en apelant à l'aide Papa Etat qu'ils résoudront leurs problèmes. C'est en étant dynamiques et audibles.
Cependant, on ne saurait en rester à de simples rappels des principes basiques de la laïcité. Il faut relever les 3 défis que posent les discours de N. Sarkozy.
Premier défi° : Philosophie et Morale.
Les choix sarkozyiens se situent dans des filiations paradoxales que les médias n’ont guère captées :
- la mise en cause de la morale laïque, considérée comme inférieure à celle des curés et des pasteurs, rappelle un célèbre discours, celui du 26 janvier 1903 : « Notre société ne peut se contenter de simples idées morales, telles qu’on les donnent actuellement dans l’enseignement superficiel et borné de nos écoles primaires. (…) Nous considérons en ce moment les idées morales telles que les Eglises les donnent (…) comme des idées nécessaires. » L’auteur ?... Emile Combe (cf mon roman Emile Combes et la princesse carmélite, improbable amour, p. 81-82, cité d’après le JO). Comme je le montre, Combes était partisan d’une religion civile républicaine et c’est, effectivement, une perspective de religion civile.
- « Dieu transcendant qui est dans la pensée et le cœur de chaque homme » a dit Sarko à Riyad : vous enlevez (plus ou moins) « transcendant » et vous avez une certaine pensée protestante théologiquement ultra-libérale du XIXe siècle, celle des collaborateurs protestants de Jules Ferry (qui n’étaient pas sur la même longueur d’onde que lui). Je vous renvoie à l’ouvrage de P. Cabanel : Le Dieu de la République. Aux sources protestantes de la laïcité (1860-1900), Presses Universitaires de Rennes, 2003.
Ceci indiqué, l’infériorité de la morale laïque sur la morale religieuse est aussi un thème récurrent de catholiques qui se voulaient ‘ouverts’ (pour les autres, l’école laïque était immorale !) sous la Troisième République. Et le Dieu dans le cœur de chaque humain, un vieux thème de la théologie naturelle catholique.
On a parlé d’une « conception archaïque et résolument conservatrice de la religion » (Joël Roman, La Croix, 18 janvier 2007). Ce n’est pas faux, c’est cependant un peu plus compliqué, comme l’indique la double filiation que je viens d’indiquer. Cela fleure bon la Troisième République, le spiritualisme républicain, le protestantisme libéral, et aussi un certain catholicisme pré-conciliaire.
A cela, on peut opposer une autre filiation, celle de Jules Ferry, pour qui la morale laïque était la morale commune, qui pouvait être complétée, appuyée par différentes morales théologiques et/ou philosophiques, à condition de ne pas confondre les plans.
Chez Ferry la morale laïque peut et doit être religieusement neutre, précisément parce que ce n’est pas une morale totalisante qui prétendrait régir tous les aspects de la vie de tous/toutes. Face à deux catégorie d’« esprits sectaires », Ferry énonce : « j’estime que tous les réconforts, tous les appuis qui peuvent fortifier l’enseignement moral - qu’ils viennent des croyances idéalistes, spiritualistes, théologiques même – tous ces appuis sont bons » (in J. Ferry, La République des citoyens, II, Imprimerie nationale, 1996, p. 37 : c’est un double recueil de discours publié par Odile Rudelle).
Sarkozy fait une grave confusion, il existe (en laïcité) 2 niveaux quant à la morale :
- la morale publique qui assure le lien social, celle qu’enseigne (ou devrait enseigner) l’école publique et l’école privée sous contrat, celle que l’on trouve dans le préambule de la Constitution (et c’est une bonne idée de l’actualiser). Cette morale est donc liée à des institutions et, comme elle, possède un caractère plus ou moins contraignant (elle s’inscrit dans des lois, l’organisation de la société s’y réfère ou devrait le faire: que l’on pense à la parité femme-homme par exemple). Le débat politique et social porte sur la meilleure manière de comprendre et de réaliser ces valeurs en tenant compte des contraintes d'une situation donnée.
C'est là que le président de la République (mais aussi les autres leaders politiques) est attendu. Mais seule les sociétés totalitaires ont fait croire que cette morale publique pouvait répondre à toutes les aspirations humaines, en démocratie la morale publique est forcément incomplète, trouée. Il existe donc un second niveau.
- la morale privée, c'est-à-dire pas seulement la morale de la vie privée, mais les morales qui se diffusent, voire se confrontent dans la société civile et auxquelles les individus peuvent adhérer de façon volontaire et libre (et la transmettre à leurs enfants). L’adoption de cette morale est livrée à des choix individuels, ce qui ne signifie pas qu’elle se réduise à l’individu seul : elle peut se vivre dans des associations diverses, des loges maçonniques, des Eglises,… Elle peut constiituer le « caractère propre » des écoles privées et il faut rappeler à ce sujet que, justement, pour éviter l’imposition d’une philosophie d’Etat, Ferry a défendu l’existence de l’enseignement libre (Cf. l’ouvrage cité, I, p. 456 sq.)
Pour relever ce premier défi, il faut donc bien être au clair sur le fait qu’il n’existe pas deux morales, qui seraient sur le même plan, la laïque et la religieuse, mais bien 2 niveaux différents, celui de la morale publique, la morale qui donne les valeurs du lien social d'une part, et , d'autre part, les morales liées à la liberté de conscience, que la République « assure », dont elle « garantit » le libre exercice, selon les formules de la loi de séparation de 1905.
Les valeurs du lien social sont les valeurs démocratiques, telles qu’à un moment donné on peut les comprendre et les interpréter. Avec quelques nuances dues à des histoires différentes, ce sont les mêmes dans les divers pays démocratiques.
Exemple : j’ai une doctorante qui a effectué une comparaison entre les débats concernant le foulard à l’école, au Québec et en France : sa conclusion est limpide : si les décisions ont été divergentes, les références aux valeurs ont été exactement les mêmes. Le débat est donc interprétatif, il porte sur ce qu’implique ces valeurs. Ce débat existe en France même.
La laïcité sarkozyienne est un boomerang de la laïcité républicaine. Celle-ci a sacralisé la référence aux « valeurs de la République » (française), en les opposant à celles de la démocratie (des autres démocraties) et en les rendant totalisantes. La mise en cause de la morale laïque est aussi une manière de dire : vous voyez bien que cela ne marche pas.
Et de fait, beaucoup de gens constatent que les références incantatoires aux valeurs de la République, au mieux tournent à vide, au pire sont des cache-sexe pour en faire le moins possible dans la lutte contre les discriminations ou masquer d’autres réalités peu ragoûtantes.
C’est toute la perspective nationaliste (et même pourrait-on dire d’un nationalisme messianiste, religieux) de « l’exception française » qui est mise à mal (cf. l’excellent numéro 16 de Cosmopolitiques présenté dans ma Note du 12 janvier).
Si les laïques ne sont pas capables de dépasser la vision d’une laïcité républicaine, exception française, les évocations rituelles des « valeurs républicaines », ils resteront dans la protestation incantatoire et ne seront pas capables de relever ce premier défi.
Deuxième défi : le rapport à l’histoire.
Je ne développe pas car les distorsions, les contre-vérités du discours du Latran, je les ai déjà très longuement commentées (Note du 22/12/07). Et Riyad n’a rien apporté de nouveau sur ce plan. Je rappelle simplement le résultat des courses : une vision confessionnelle, et même catholique, de l’histoire qui ne tient pas compte des apports de l’historiographie. Je dirai que c’est la légende dorée catholique qui, en gros, nous est racontée.
Ce qui est frappant dans le discours du Latran, c'est que 2 séquences se suivent. La première raconte l'histoire des liens de la France avec "l'Eglise" (sous entendu catholique); et cette histoire est racontée sous un mode uniquement positif. Silence est fait sur tout le négatif. Cela y compris quand il s'agit de Pépin le bref et des Etats pontificaux, de la société de chrétienté. Ensuite, quand Sarkozy se met à dire: "Tout autant que le baptême de Clovis, la laïcité est également un fait incontournable...", le président de la République laïque se met à avoir 3 jugements négatifs de suite sur la laïcité : un sur 1905, qui n'aurait été que rétrospectivement un texte de liberté, un second sur la réconciliation des 2 France qui serait due qu'à l'attitude exemplaire des catholiques pendant la guerre 14-18; un troisième sur le fait que la laïcité aurait tenté de couper la France de ses racines chrétiennes. Et ce serait que, maintenant, grâce à lui sans doute, qu'on en arriverait à "l'avènement d'une laïcité positive". C'est vraiment une manière complètement catho de raconter l'histoire de France, une histoire - mémoire qui est celle de l'une des deux France.
Le discours conservateur et clérical de Nicolas Sarkozy s’appuie implicitement sur un constat simple que la gauche peine à effectuer : nous sommes au XXIe siècle. Le désenchantement à l’égard du marxisme et des espoirs révolutionnaires, résolument tournés vers un avenir à construire, induit des formes de pensée passéistes, privilégiant des discours sur « la mémoire », « les racines ».
Sarkozy nous ramène à un passé lointain (le baptême de Clovis), cherchant (telle la petite madeleine de Proust) à faire revivre d’attendrissants souvenirs d’enfance (la France des patronages, des curés en soutane).
Mais il ne faut pas répondre au discours sur les « racines » en invoquant, de façon passéiste et nostalgique, d’autres racines, les Lumières. Là encore, c’est le boomerang de la paresse intellectuelle de certains néo-républicains, la médiocrité de philosophes dit républicains, qui croient qu’en parlant du passé à partir de leurs souvenirs scolaires ils font de l’histoire. Ces gens là ont le culot de prétendre qu’ils défendent le « pur savoir » alors qu’ils se permettent d’être dans l’obscurantisme le plus niais. Et beaucoup de gogos ont applaudi car ils étaient idéologiquement satisfaits.
Lyssenko pas mort.
La façon identitaire dont actuellement on se réfère, de façon dominante, aux Lumières dans le camp néo-républicain (et malheureusement chez pas mal de journalistes) ne cède en rien au baptême de Clovis dans l’instrumentalisation idéologique. On est dans la même démarche : la recherche nostalgique de « racines » ! On est dans une autre légende dorée.
Et il existe une sore de terrorisme idéologique ou l’on se trouve sommé d’être « pour » ou « contre » les Lumières (prises de façon génériques, mais là encore l‘impensé massif est qu’il s’agit uniquement des Lumières françaises : le lepénisme intellectuel n’est pas loin).
Pour prendre un seul exemple : dans les « tables rondes » de 2005, lors du centenaire de 1905, que de fois ai-je eu à faire avec des néo-républicains qui faisaient un amalgame entre Lumières et Révolution française, comme si les Lumières étaient mère de la Révolution.
Depuis l’article programmatique de Denis Richet : « Autour des origines idéologiques lointaines de la Révolution française : élites et despotisme », paru dans les Annales E.S.C. en 1969, et les travaux des historiens anglo-saxons (oh là là, j’oubliais qu’ils sont anglo-saxons, leurs travaux doivent donc être diaboliques !) des années 1970 (Robert Darnton, William Doyle, William Sewell Jr, et d’autres), et largement confirmés depuis, on sait qu’il n’en est rien.[2]
Quand, dans ces tables rondes, je voulais rectifier, on me rétorquait : pinaillage, détail d’érudition, etc. Il est mal séant de montrer sa (petite) science : cela fait prétentieux ! On m’a aussi rétorqué ‘pinaillage’ après ma Note du 22 décembre indiquant que tous les rois barbares étaient chrétiens avant même la conversion de Clovis, chrétiens ariens.
Ce n’est pourtant pas du pinaillage car il y a toute une légitimation idéologique derrière ces « erreurs ».
En fait, on se permet alors de fausser l’histoire pour tromper idéologiquement son monde, et après on déblatère contre le « créationnisme ». Mais c’est exactement pareil. Pire même, puisqu’on se permet aussi de faire semblant d’être du côté de la science, du savoir, de la raison.
Il y a donc 2 tromperies pour le prix d’une !
Bref, tant qu’on en restera à une vision des Lumières comme racines identitaires, qu’on sera dans la nostalgie, dans le récit légendaire légitimant son propre camp, dans le passéisme (les gens des Lumière regardaient l’avenir et ne se tournaient pas vers le passé, eux); tant l’on refusera de prendre en compte les acquis actuels des sciences historiques, on ne relèvera pas le second défi, celui du rapport de la France à son histoire, celui de la dimension historique de la France d’aujourd’hui..
Et alors on aura les ambiguïtés actuelles sur l’identité de la France.
La réponse à faire, en effet, c’est que le politique n’a pas à écrire (ou réécrire) l’histoire, ce n’est pas de sa compétence. Il a à s’occuper des problèmes du présent, et de la construction de l’avenir.
C’est pourquoi, dans Libé, j’ai dit que l’insistance sur les « racines chrétiennes » de la France (mais aussi de toutes les racines possibles et imaginables) est une « intériorisation » par le politique de son « impuissance » quant à son propre champ d’action, comme l’ont été « les lois mémorielles votées par le Parlement. » Mais il faut alors être logique avec cette position et arrêter aussi les constructions idéologiques.
Troisième défi : celui de la laïcité du XXIe siècle.
Une laïcité vivante est en mouvement, elle ne saurait être figée dans une période donnée de l’histoire. Et que l’on ne me fasse pas la sempiternelle querelle (stupide) du sacrilège que constituerait le fait d’ajouter un adjectif au mot « laïcité ». Quand je parle de « laïcité vivante », cela signifie (bien sûr) : une représentation vivante de la laïcité. Il n’y a naturellement pas de laïcité morte, mais, en revanche, pas mal de gens qui ont une représentation suicidaire de la laïcité ! C’est donc eux qui sont en cause, et c’est leur propre remise en question qu’ils fuient. Derrière une apparente sacralisation de la laïcité (seul mot de la langue française qui ne pourrait recevoir d’adjectif), c’est leur propre sacralisation qu’ils recherchent, parce que quand leur discours n’est pas sacralisé, il s’écroule lamentablement.
En fait, Sarkozy a fort bien compris un certain nombre de mutations qui se sont produites ces dernières décennies (et, notamment, de 1968 à 1989 ; ce que j’appelle le passage au troisième seuil de laïcisation). Il a, quant au constat, plusieurs métros d’avance sur ce pauvre PS. Il s’en sert au profit d’une stratégie néo-cléricale de re-liaison du religieux et du politique, d’instrumentalisation du religieux par le politique.
Mais si l’on ne se montre pas capable de construire une alternative réellement laïque, fondée sur des analyses un peu rigoureuse de la société actuelle, si là encore, on est dans un déni obscurantiste, comme le sont des philosophes dit républicains, cela par corporatisme absolu (ils ont peur que l’on remplace le cours de philo au lycée par un cours de sciences humaines), alors on a 10 fois mérité de subir la laïcité néocléricale sarkozyienne.
Alors si on a le boomerang, digitus in occulo, on n’a qu’a s’en prendre à son propre refus d’être un peu lucide.
En quoi le constat de Sarko a quelques métros d’avance ? (mais, bien sûr, pas ce qu'il propose)...
Qu’elle est l’analyse qui peut être faite pour construire la laïcité du XXIe siècle.Ah, dites vous, enfin: ça va commencer à être intéressant.
Eh bien, vous le saurez la semaine prochaine.
Non mais.
PS : Donc Guaino n’aurait pas écrit le discours du Latran, mais par contre celui de Riyad. Quant à Max Gallo, on ne sait trop. Mais sur France-Inter (mercredi ou jeudi dernier) il s’est déclaré très largement d’accord avec ce discours. La critique faite dans la Note du 22 décembre a donc sa pertinence. Rappelons que les néo-conservateurs ne sont pas du tout personnellement religieux et sont d’anciens intellectuels de gauche, souvent immigrés et qui en rajoutent dans la glorification de la République (américaine).[1] Sarkozy, semble-t-il, a communié lors des funérailles de l’abbé Pierre. Mais comme il est 2 fois divorcé, le prêtre se serait fait remonter les bretelles par sa hiérarchie et, après un avertissement discret, Sarkozy n’aurait pas communié lors de l’enterrement de Lustiger.
10:30 Publié dans ACTUALITE | Lien permanent | Commentaires (7)
Commentaires
Jean, fripon, va
Écrit par : Dame Laïcité | 19/01/2008
Et si Nicolas - l'homme - pas le personnage politique qui a décidé, après subi plusieurs défaites politiques de montrer à sa mère qu'il serait le plus fort des deux frères, n'adoptait tout simplement qu'un comportement pragmatique, de celui qui veut conquérir le pouvoir et qui veut le garder au delà de tout ce que nous sommes capables de penser! Car au final, la question qui me taraude : à quoi lui sert tout cela? Je pense qu'il agit dans une vision utilitariste du monde matériel et aussi celui des idées,
Mais certainement que votre analyse est la plus pertinente
Écrit par : Citoyen | 19/01/2008
Vos analyses de l'histoire de la laïcité sont tendencieuses. Si la laïcité s'est pacifiée en France, c'est d'abord parceque les religieux expulsés sont rentrés en France en 1914 pour se faire tuer dans les tranchées avec les autres. Quand le Cartel des gauches a voulu relancer le laïcardisme en 1920, il s'est heurté à la fédération des prêtres et religieux anciens combattants. Ce n'est pas l'ouverture d'esprit des laïcards, mais le sacrifice des "cléricaux" pour leur patrie qui a ramené la paix. Sarkozy a raison dans son discours du Latran.
Écrit par : B.H. | 22/01/2008
Je viens d'écouter le débat sur France Culture, avec Henri Pena-Ruiz et Philippe Verdin. C'est incroyable comme ça passe vite, une heure ! On en ressort un peu frustré car la fin montre bien que des débats importants restent en jeu. Lorsque HPR dit que l'état se désengage des hôpitaux (et des banlieues et des écoles), ce n'est pas pour s'engager dans le financement des lieux de culte alors que PV soutient que Nicolas Sarkozy ne va pas en rester là dans sa promotion de la religion, on voit resurgir le conflit des deux France. Vous avez souligné que NS avait, au Latran, ranimé un vieux combat du passé, mais le risque me semble encore plus réel après ce débat. Qu'en pensez-vous ?
Écrit par : Matthieu | 22/01/2008
Paradoxe encore : c'est chez Catherine Kintzler (qui écrit parfois dans une "newsletter" rrrrépublicaine des plus bornées) que j'irai puiser une définition de la laïcité : "c'est un principe minimaliste qui dit que la loi, la puissance publique, les affaires politiques sont disjointes de toute croyance et de toute incroyance".
Donc - outre le fait que le représentant suprême de cette puissance publique (mais en a-t-il jamais été conscient notre Ouf 1er dont l'âge mental frôle juste les 14 ans) a sérieusement manqué à ce "devoir d'abstention - il ne peut être question au nom de la laïcité de trancher sur des questions "métaphysiques" qui relèvent d'un autre plan, non pas privé mais en dehors de cette sphère de la puissance publique, l'espace civil comme dit C. Kintzler, où chacun peut avoir et défendre son point de vue sur "l'espérance" ou, comme il dit, "l'essentiel" (qui, comme disait Saint-Exupéry, est "invisible aux yeux").
Et il n'est pas besoin d'espérer pour résister ! Par exemple sur les dernières lois "victimaires" de Mme Dati (ou plutôt de son patron).
Écrit par : J. F. Launay | 22/01/2008
Je vous suggère un point de vue inhabituel, mais pas contradictoire :
Pourquoi Sarkozy est-il, à ce point, inféodé à la religion ?
Apparemment, sa lettre aux éducateurs était pourtant un plaidoyer en faveur de la laïcité ! Mais il est clair à présent qu’il ne l’a pas rédigée lui-même ... Par ses discours au Vatican et à Riyad, le président confirme un fait d'observation sociologique et psycho-neuro-physiologique : une éducation religieuse précoce, fondée sur la confiance et l’exemple des parents, confortée par l’influence des éducateurs et celle d’un milieu croyant, tous forcément unilatéraux, laisse des traces indélébiles dans le « cerveau émotionnel » qui sont pour le moins susceptibles d'influencer le « cerveau rationnel » et donc l'esprit critique ultérieur, indépendamment de l'intelligence et de l'intellect, du moins dès qu'il est question de religion ... A des degrés divers, certes, selon le degré de soumission exigé.
Une "laïcité positive " qui, soi-disant, laisserait "la liberté de croire ou de ne pas croire" n'est donc qu'un « voeu pieux » et même hypocrite puisqu'en pratique, cette liberté est inversement proportionnelle à l'importance de l'imprégnation religieuse, presque toujours inconsciente ... « Dieu transcendant qui est dans la pensée et dans le cœur de chaque homme (…) » ! Mais non ! Il n’y est que si on l’y a mis ! Tous les parents incroyants l'ont constaté a contrario : en l'absence d'éducation religieuse et d'un milieu croyant, la foi n'apparaît pas spontanément ... (ce qui n'exclut pas la nécessité d'un minimum de culture religieuse : "la Trinité n'est pas qu'une station de métro"! Cela pose évidemment la question de la responsabilité morale des parents : à notre époque de pluralisme des cultures et des convictions, ont-ils encore moralement le droit, fût-il constitutionnel, de continuer à donner à leurs enfants la même éducation unilatérale que celle qu'ils ont reçue ? Heureusement, les mentalités évoluent, du moins sous nos latitudes !
Comment Nicolas Sarkozy ose-t-il dire notamment que " la morale laïque risque toujours de s'épuiser ou de se changer en fanatisme quand elle n'est pas adossée à une espérance qui comble l'aspiration à l'infini " ? ! Quelle ignorance de ce que sont les principes, les valeurs, les fondements et les objectifs de l'humanisme laïque ! Comme si la « foi (entendez la confiance) en l'homme » des laïques (du moins s'il est placé dans des conditions favorables) n'existait pas ! Comme si « l’espérance » en un avenir plus humain et la « spiritualité » étaient l'apanage des seules religions ! Comme si les religions étaient capables d'éradiquer la violence, elles qui ont de tous temps fait la preuve de leur piètre aptitude à développer la conscience morale et le respect de la dignité humaine ... Comme si enfin le sens des valeurs, le respect de l'autre et de sa différence, etc ..., pouvaient s'acquérir autrement que par une éducation "humanisante", fondée, non sur des "commandements" mais sur l'apprentissage des limites et du respect, sur l'exemple des parents et des éducateurs, sur des expériences affectives, vécues ou suggérées par empathie, parfois a contrario, sur l'autonomie, l'esprit critique, la responsabilité individuelle,
la recherche d'un consensus de valeurs universelles, ...
Le président, lui, en est toujours à penser que la laïcité philosophique est antireligieuse, qu'elle cherche encore à contester le droit élémentaire de croire en un dieu. En fait, elle souhaite seulement que, par simple honnêteté intellectuelle, les jeunes soient mieux informés de l'existence d'alternatives laïques non aliénantes, et qu'ils puissent choisir, aussi librement et aussi tard que possible, de croire ou de ne pas croire.
Hélas, actuellement, aussi bien en France qu'en Belgique ou au Québec, la laïcité politique, implicitement philosophique, n'assure pas une telle information (excluant bien sûr tout prosélytisme). Elle pourrait pourtant proposer ainsi une alternative à la "quête de sens" engendrée par la déconfiture des religions, (sauf l'islam !) et par la "déconfessionnalisation" croissante (ce dont profitent bien évidemment les sectes !). Une politique mondiale de promotion des valeurs laïques universelles serait pourtant une solution ...
Encore faudrait-il commencer par s'opposer activement à la volonté présidentielle de redorer le blason du catholicisme, et de lui faire prendre conscience de son élémentaire devoir de neutralité et de réserve ! La France est le seul pays au monde dont la Constitution sépare l'Eglise et l'Etat. Mais pour combien de temps encore, si l'on ne réagit pas suffisamment fort ? Pire, Sarkozy favorise, comme son homologue et ami américain, le "choc des civilisations" ... Mais il a été élu démocratiquement ... Reste à savoir si la majorité démocratique a nécessairement toujours raison ... Mais ceci est un autre débat !
Un croyant de son âge est généralement imperméable aux arguments rationnels. Il est donc à craindre que Sarkozy maintiendra son cap et que les dés soient jetés pendant encore quatre ans ! Ensuite, comme toujours, il faudra reconstruire ce que détruisent l’usure du temps et la folie des hommes … !
Michel THYS, Waterloo.
Via Google : « Croire ou Ne pas croire, that ‘s the question »,
ou via le lien :
http://atheisme.free.fr/Contributions/Croire_ou_pas_croire.htm
michelthys@tele2allin.be
Écrit par : THYS Michel | 23/01/2008
Bonjour,
Plus qu'une laïcité ''vivante'' je souhaiterais une laïcité ''active'' pour défendre cette spécificité que la France a réussi à mettre en place difficilement.
Les discours de ce président me font plus penser à une volonté de communautariser, de segmentariser les français, qu'a une volonté de ''recatholiser'' le pays.
Diviser pour regner est une vieille habitude du pouvoir , par ailleurs l'alliance du goupillon et du sabre reste une valeur d'avenir. Utiliser les prêtres qu'ils soient curés, pasteurs, imams, mollah ou gourous quelconques a toujous été pour les puissants une façon de se proteger du peuples et de le manipuler à leur avantage.
Lairderien
Écrit par : Lairderien | 24/01/2008
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