Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

28/10/2006

L'OBSCURANTISME FONCTIONNEL DU RAPPORT OBIN (suite)

Tout d’abord, quelques ouvrages qui me semblent fort intéressants.

Ensuite, la suite (cf la Note : « Les carences du Rapport Obin », que vous trouverez ci-après si vous ne l’avez pas déjà lue) de l’analyse du Rapport Obin et de l’ouvrage (L’école face à l’obscurantisme religieux) qui le publie.

Enfin, la réponse à quelques questions et commentaires d’Internautes sur le Blog et sur mon propre ouvrage : L’intégrisme républicain face à la laïcité.

I Quelques ouvrages intéressants

(publicité gratuite !)

Déjà signalé par une Internaute du Blog : une somme de 1200 pages en courts chapitres très lisibles : Histoire de l’islam et des musulmans en France du Moyen Age à nos jours, chez Albin Michel : 72 spécialistes se sont livrés à ce que l’on appelle de la « haute vulgarisation », sous la direction de Mohammed Arkoun. Le prix de lancement est de 49 € : ce n’est pas cher, étant donné la taille de l’ouvrage et ses nombreuses illustrations en noir et en couleur (ce qui fait qu’en plus c’est un beau cadeau pour les fêtes de fin d’années qui arriveront très vite !). De la dite « bataille de Poitiers » à l’actualité d’aujourd’hui, l’islam est présent en France sous diverses formes et on y apprend pleins de choses passionnantes. Je n’en dis pas plus car vous trouverez facilement de substantiels comptes-rendus de presse.

Un complément plus qu’utile pour celles et ceux qui veulent réfléchir à l’attitude de la République française face aux musulmans : Sadek Sellam : La France et ses musulmans. Un siècle de politique musulmane 1895-2005 chez Fayard (en fait l’auteur remonte jusqu’en 1830, date de la conquête de l’Algérie). On y constate une certaine continuité entre la politique religieuse française à l’égard des « département français d’Algérie » et celle qui touche les musulmans vivant dans l’hexagone. L’auteur, très justement, montre notamment comment le refus d’appliquer la loi de 1905 à l’Algérie a eu des conséquences dans la longue durée puis comment le problème de la « citoyenneté », posé depuis 1947 s’est trouvé lié à une gestion policière de l’islam et des musulmans. Bref une indispensable mise en perspective pour toutes celles et ceux qui ne veulent pas se contenter du déversement d’informations (sélectionnées par les médias) sur l’islam et les musulmans en France, mais veulent comprendre ce qui se passe (nous verrons plus loin que ce n’est pas tout à fait le cas des auteurs du Rapport Obin !)

Enfin, puisque nous allons revenir au Rapport Obin, je recommande aussi l’ouvrage collectif très documenté sous la direction de D. Denis et P. Kahn : L’Ecole de la Troisième République en questions. Débats et controverses dans le Dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson, Peter Lang,  2006. Voila une démarche de connaissance sur les fondements intellectuels de l’école publique laïque (Le Dictionnaire de Pédagogie de Buisson a été le livre de chevet des instituteurs, institutrices, voire professeurs des années 1880 (laïcisation de l’école publique) à l’entre-deux guerres. Pierre Nora l’a qualifié de « cathédrale de l’école primaire ». Toutes les contributions sont fort intéressantes. Concernent très spécialement notre sujet la partie sur « Laïcité, spiritualité et religion dans le Dictionnaire et celle sur ses « enjeux politiques et sociaux ». Ce dernière partie comporte un chapitre conclusif de Daniel Denis et Pierre Kahn qui montre très bien la pluralité des conceptions républicaines de l’école, notamment sur les rapports entre instruction et éducation, et la façon dont les « néo-républicains » prennent une de ces traditions pour en faire (démarche typique de l’orthodoxie religieuse), LA conception républicaine de l’école.

II Les carences du Rapport Obin et la mystification opérée par l’ouvrage qui le publie :

Nous avons vu, dans la Note de la semaine dernière comment le rapport Obin prétend suivre une démarche « ethnologique » sur la présence de « signes et de manifestations d’appartenance religieuse dans »… des établissements scolaires de quartiers dits ‘sensibles’ (c’est ce qu’on l’apprend au début du dit Rapport qui multiplie les phrases indiquant que l’ « enquête » effectuée n’a observée les phénomènes qu’elle décrit que dans « un petit nombre d’établissements » et donc qu’elle ne prétend en rien être représentative). Mais pourquoi, alors, le titre du Rapport n’est pas celui que je viens d’indiquer mais parle des « signes et manifestations d’appartenance religieuses dans LES établissements scolaires ». Double discours… où le Rapport lui-même montre qu’il a envie d’être récupéré par des gens peu scrupuleux qui vont effectuer la généralisation que le Rapport, en pseudo innocence virginale, affirme qu’elle ne doit pas être faite.

Nous avons vu également comment ce Rapport préfère (mis à part quelques considérations qui répètent de l’archi-connu sur le contexte socio-économique), de loin, les références à la police politique des RG, au journalisme à la Charlie-Hebdo et aux médias comme pseudo « écho » de la réalité (+ d’autres rapports administratifs : on voit bien à les lire que leur culture est en partie bureaucratique et, de plus, fort influencée implicitement par les médias) à la mise en œuvre et les références à une démarche scientifique du type de celle que tente les sciences humaines. Max Weber définissait la démarche des sciences humaines par la compréhension de l’objet d’études (ici les élèves d’établissements scolaires de quartiers dits ‘difficiles’) et par l’analyse des interactions entre les différents acteurs. Prétendant s’en tenir à de pseudos « constats », le Rapport n’effectue ni une démarche compréhensive ni une démarche d’analyse.

Et je vous avais laissé (exprès : ma perversité bien connue consiste à vous empêcher de dormir !) sur un insoutenable suspens : il y a, à la fin du Rapport, une sorte de « déclaration de guerre au savoir ».

Maintenant je dois concrétiser cette affirmation: ce que je vise se trouve p. 368 (du livre). Nos distingués inspecteurs estiment que les « formations portant sur le thème de la laïcité {qui} se sont développées ces dernières années dans les IUFM » constituent des « apports de connaissances {…} inutiles ». Et pourquoi donc, s’il vous plait ? Parce que, nous disent-ils « elles prennent en général la forme d’un apport de connaissances historiques et/ou philosophiques et sont souvent abstraites ». Et ils commentent en affirmant que les « jeunes professeurs » « ne voient pas en quoi savoir comment se sont conclus il y a un siècle les conflits qui ont opposé la République à l’Eglise catholique peut les aider à traiter les problèmes provoqués par les Frères musulmans, le Tabligh ou le Bétar[1] dans leur classe ».

Alors là, pincez-moi, je rêve, non je cauchemarde….

Hélas, je ne rêve pas. Alors, je sens que je vais devenir méchant car de tels propos sont absolument inacceptables. CE N’EST PAS « L’ECOLE FACE A L’OBSCURANTISME RELIGIEUX », C’EST L’OBSCURANTISME INSPECTORAL FACE A LA LAÏCITE.

Si l’Inspection générale, qui devrait aider et éclairer les dits « jeunes professeurs », ne se rend même pas compte de l’intérêt d’un savoir historique et philosophique sur la laïcité (et  précisément sur l’exemple donné) l’Education Nationale ne va jamais arriver à progresser dans la solution des difficultés rencontrées.

D’abord, que signifie ce mépris des connaissances abstraites, cette équivalence mise entre connaissances abstraites et connaissances inutiles, s’agissant, en plus de la formation d’adultes (des étudiants, de presque professeurs) ?

Une des missions principales de la formation des professeurs ne consisterait-elle pas à montrer que des « connaissances abstraites » (et/ou dites telles), se révèlent ensuite des cadres de pensée non seulement « utiles » mais indispensables. Et ne serait-ce pas un des premiers rôles des Inspecteurs généraux d’expliquer cela, de le promouvoir, de défendre l’école comme toutes les tentatives d’en faire un clone de  la télévision, de la (non) pensée-télé,… ?

On voit là un lien étroit entre la façon dont ces Inspecteurs ont mené leur travail (ne pas prendre véritablement connaissance des études déjà disponibles, de « l’état des lieux » ; s’en tenir à de pseudos « constat » sans comprendre ni vraiment analyser) et leur pensée profonde : la connaissance abstraite, la connaissance historique et philosophique ne valent pas un rapport des RG ou une information médiatique. Bien sûr, on va crier et me dire que ce que ce n’est pas ce qu’ils pensent. OK, je veux bien, mais c’est pourtant ainsi qu’ils fonctionnent : « Et pourtant, elle tourne »… comme dirait quelqu’un qui était (lui) passionné de connaissances (alors) on ne peut plus abstraite !

Ensuite, quand je lis l’exemple qui est donné, j’ai le cul qui tombe par terre ! Je vois, en effet, mes pires appréhensions confirmées. Nos Inspecteurs généraux considèrent comme de la « connaissance abstraite » et « inutile », la façon (très concrète) dont la laïcité a résolu les conflits (très concrets) qui l’a opposée à l’Eglise catholique ! Donc en fait, pour eux, semblet-il, tout ce qui ne traite pas de l’immédiat, devient « connaissance abstraite ». Inouï !

On me permettra  d’abord quelques lignes d’auto publicité : dans mon Que sais-je ? Histoire de la laïcité en France (3ème édit., 2005, mais c’est déjà dans la 1ère  parue en 2000)  j’ai un passage (p. 50-53) qui s’intitule : « Pourquoi et comment l’école laïque a-t-elle gagnée ? » où je montre comment l’école laïque a su articuler fermeté et conciliation, a su aussi inscrire sa démarche dans un processus, une durée. Non seulement cela n’a rien d’abstrait, mais cela s’avère fort intéressant pour l’aujourd’hui, à condition de ne pas en faire une recette et du prêt à penser, mais de raisonner par analogie.

La Commission Stasi, a aussi estimé que la connaissance historique n’est ni abstraite ni inutile ; elle  se réfère aux « accommodements raisonnables » effectués, notamment, par Jules Ferry pour concilier neutralité de l’Etat et exercice de la liberté religieuse[2]. Son propos va tout à fait dans le même sens. Tout le débat (démocratique et fort intéressant) consiste à trouver les limites les plus justes (au double sens de justesse et de justice) entre l’accommodement raisonnable et l’accommodement déraisonnable (soit parce qu’il empêcherait l’école, ou toute autre institution de fonctionner, soit parce qu’il mettrait en cause un principe essentiel en démocratie).

 

Pourquoi donc ce refus de savoir comment les conflits mettant en cause la laïcité  scolaire ont été résolus ? Je fais le crédit aux Inspecteurs généraux qu’il ne s’agit pas de défendre l’obscurantisme pour l’obscurantisme (je suis vraiment très très gentils). Non, il s’agit d’un OBSCURANTISME FONCTIONNEL : ils ne veulent pas savoir comment la laïcité est devenue à la fois hégémonique et pacificatrice car cela perturberait trop LEUR laïcité, leurs croyances propres (qui sont donc du type d’une orthodoxie religieuse !). En effet, ils ne veulent pas aller véritablement dans le sens des accommodements raisonnables et, refusant (avec raison, du point de vue de l’accommodement raisonnable) la « stratégie de la paix et du silence à tout prix » (p ; 371), ils ne donnent pas pour autant de piste concrète qui permettrait d’allier fermeté ET conciliation. En demandant, de façon unilatérale de « piloter plus fermement à tous les niveaux » (idem),  ils refusent, en fait, de s’inscrire dans la filiation de la laïcité ferryste. LEUR laïcité est bien davantage proche de la « laïcité intégrale »[3] qui a fleuri juste avant la séparation et à laquelle  la loi de 1905 a tourné le dos. Mais, chut !, il ne faut surtout pas que cela se sache et donc, selon nos Inspecteurs chéris, pas de savoir sur la laïcité, son histoire, la philosophie de la loi de 1905,… dispensé aux futurs professeurs.

Les Inspecteurs prônent de « centrer les apports de connaissances, qui ne sont pas inutiles, sur les religions et les groupes qui influencent aujourd’hui les élèves, et d’organiser une formation pratique centrée sur les études de cas précis » (p. 368). Que signifie cette proposition, à partir du moment où elle s’inscrit CONTRE les « connaissances historiques et/ou philosophiques » sur la laïcité, et non en lien étroit avec elles ? Implicitement mais clairement que ne sera mené aucune réflexion d’ensemble, qu’on n’examinera pas les interactions entre la façon dont on concrétise aujourd’hui la laïcité en France (en la transformant, de façon dominante, en religion civile républicaine) et les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires. Non, on mettra simplement sur la sellette religions et groupes, et finalement on sera incliné à les considérer comme des empêcheurs de tourner en rond[4].

Car derrière cela, il y a l’idée que finalement il n’existait pas de perturbations de la vie scolaire dues à des raisons religieuses, avant que des groupes musulmans ou d’autres minorités religieuses ne s’y mettent. Je suggère à nos bien aimés Inspecteurs de lire, non pas de lire, excusez-moi (ce serait beaucoup trop abstrait, bien sûr), de (re)voir le film La guerre des boutons : les deux bandes d’élèves qui se font la guerre sont issus de l’école laïque d’une part, de l’école catholique de l’autre. Les historiens de l’histoire française contemporaine, ces abstractions faites humains !, savent que les bagarres à coups de poings et à jet de pierres, les mots d’oiseaux et les insultes, liées à la laïcité scolaire furent fréquents.

Ne me faites pas dire qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil. Je dis seulement que le refus inspectoral de la mise en perspective historique (et philosophique : mais là ils n’ont pas donné d’exemple) non seulement contribue à renforcer la méconnaissance sociale induite par la société du scoop, de l’actualité permanente, du toujours nouveau, non  seulement contribue à la dévalorisation du savoir, mais rend incapable de trouver des solutions. Bienvenue, dans 5 ou 10 ans, au Rapport ‘Obin II, le Retour’, qui affirmera doctement que la situation s’est aggravée !

Mais les « Républicains », celles et ceux qui veulent une école de « pur savoir », comment réagissent-ils à un rapport qui va contre le savoir ? C’est ce que nous verrons dans une semaine, avec la suite et la fin de ce (j’espère passionnant) feuilleton.

A plus, les ami(e)s.

 


[1] Deux groupements musulmans et un juif (d’extrême droite) sont donc cités. Je note qu’alors que le Rapport de l’International Crisis Group (organisme international subventionné notamment par la France pour étudier les situations de crise et examiner comment les résoudre) sur La France et ses musulmans met les organisations proches des Frères musulmans du ‘bon’ côté de la frontière démocratique et au contraire le salafisme jihadiste du ‘mauvais’, le Rapport cite les premiers et pas les seconds. Etrange.

[2] Laïcité et République, Commission présidée par B. Stasi, La Documentation française, 2004,  53-54. Le terme québécois/canadien d’accommodements raisonnables est utilisé à 4 reprises dans le rapport de cette Commission. Il s’agit d’une méthode qui permet de sortir de la logique (désastreuse) du tout ou rien. Beaucoup d’enseignants pratiquent en fait l’accommodement raisonnable intuitivement, mais pour en savoir plus, je vous renvoie à mon ouvrage, Laïcité 1905-2005 entre passion et raison (Seuil, 2004), pages 236-240.

[3] Là encore, je suis (délicieusement) obligé à renvoyer à mes œuvres immortelles : « la laïcité intégrale » je raconte ce que c’est soit de façon romancée (dans Emile Combes et la princesse carmélite : improbable amour, Aube, 2005) soit de  façon plus classique (dans L’intégrisme républicain contre la laïcité, Aube, 2006, la seconde partie : « Les impensées du centenaire de la loi de 1905 et leurs conséquences pour aujourd’hui »). Mais, bon, je ne suis pas le premier (et, j’espère, pas le dernier !) à en parler.

[4] Le fait qu’aucune des allusions à des disfonctionnements de l’institution (notamment le fait que ce sont de jeunes professeurs, professionnellement non expérimentés, qui doivent faire face aux situations les plus difficiles)

ne donne lieu à des propositions de changement corrobore, bien sûr, le fait qu’on ne veut pas prendre en compte une situation globale et les interactions qu’elle comporte dans la recherche des solutions.

21/10/2006

LES CARENCES DU RAPPORT OBIN

J’aimerais parler de choses plus agréables. J’aimerais pouvoir faire mon travail d’historien et de sociologue de la laïcité dans la sérénité. C’est impossible car il faudrait ignorer ce qui occupe le devant de la scène médiatique. Entre autres, le « rapport choc » (sic, la couverture) dit « Rapport Obin » concernant « les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires » (titre officiel), publié sous le titre significatif « L’école face à l’obscurantisme religieux ». Pas besoin de vous faire un dessin je suppose….

 

Ce Rapport est le résultat  d’une « enquête » (on le verra, le terme n’est pas vraiment approprié) menée d’octobre 2003 à mai 2004 par 9 inspecteurs généraux ou chargés de mission de l’Education Nationale.

Me taire est d’autant plus impossible que je suis mis en cause, mis en scène dans ce livre d’une façon vraiment significative du type de manipulations opéré ; cela m’autorise à dire que ce qui est « inquiétant » (qualificatif  de la 4ème de couverture) c’est d’abord le rapport obscurantiste au savoir qui se manifeste à diverses reprises, avec une parfaite bonne conscience.

 

L’ouvrage est construit de façon très significative : on vous livre ce que pensent « vingt personnalités » du Rapport AVANT le Rapport lui-même, afin que vous sachiez ce qu’il faut en penser, afin de vous  imprégner d’une interprétation alarmiste. Bref, la cause est entendue avant les propos relativement prudents donnés au début du Rapport lui-même.

 

Comparons : Jean-Pierre Obin écrit au début de son Rapport : « Le panel d’établissements visités ne constitue en aucun cas un échantillon représentatif des établissements français, ni sur le plan de l’étude ni d’ailleurs sur aucun autre ». Et un peu plus loin : « Cette étude ne peut prêter à généralisation et à dramatisation excessive : les phénomènes observés l’ont été dans un petit nombre d’établissements.»  

Cette citation…. pages 299-300 du livre après les 20 commentaires (dont la grande majorité penche, devinez où…) ; le premier, du à Alain Seksig, coordinateur de l’ouvrage, commence ainsi : « Ces dernières années, au nom de la ‘liberté religieuse’, on a assisté, au sein même des établissements scolaires, à une véritable surenchère de passages à l’acte et de revendications » et suit une accumulation d’exemples (je vais revenir sur cette ‘méthode’) qui ont pour but, précisément, de générer généralisation et dramatisation. Véritable opération de transsubstantiation  (opération religieuse s’il en est…et qui devrait être absolument interdite à un inspecteur de l’éducation nationale) !

 

 Nous nous trouvons donc avec une fusée à deux étages.

Premier étage : le Rapport Obin lui-même, avec ses carences, son rapport parfois obscurantiste au savoir, rapport « inquiétant » en ceci que, déjà, à la lecture, on se dit que si des inspecteurs généraux de l’éducation nationale en sont là, l’école en France ne pourra jamais s’en sortir. Cela est vraiment déprimant !

Second étage : l’ouvrage qui publie le Rapport et qui, selon l’astuce mille fois utilisée prétend défendre une école dispensant du savoir, une école refusant d’être le reflet de la société, tout en se moulant dans les procédés médiatiques de dramatisation émotionnelle, de mise en spectacle, de combat des bons contre les méchants,… en n’effectuant pas une démarche de savoir. C'est encore plus "inquiétant"!

 

Bref, l’arroseur prétend être arrosé. Et, naturellement, certains médias, reconnaissant là leurs frères et sœurs en société du spectacle, frétillent d’aise, en rajoutent encore une louche : à une émission de télévision, les anecdotes devenaient de l'inflation idéologique. J’ai du imposer presque physiquement mon propos à l’animateur (qui voulait tout le temps m’interrompre) pour pouvoir indiquer quelques éléments basiques. La situation médiatique est telle, qu’on se demande toujours s’il faut aller ou pas dans ce genre d’émissions : ne pas y aller signifie laisser prospérer la pensée unique ; y aller implique souvent de faire face à des traquenards.

Voyons d’un peu plus prés les choses. Pour ne pas sombrer dans la dépression, je vais faire preuve d’un peu d’humour (avant de redevenir sérieux, vous me connaissez quand même !). Il faut dire que l’on me tend (involontairement) la perche : les inspecteurs généraux du Rapport ont, selon son auteur, suivi une démarche « ethnologique » p. 305). Ont-ils reçu une formation d’ethnologues ? Que nenni. Mais si aujourd’hui, on ne s’improvise pas ethnologue, on reçoit des années durant une formation appropriée, il n’en était pas de même au XIXe siècle, lors des débuts de l’ethnologie quand de courageux explorateurs allaient, à leurs risques et périls, dans des contrées lointaines peuplées d’être humains inconnus et étranges.

 

Reprenant cette démarche, nos courageux inspecteurs, ont visité des établissements, qui (à défaut d’être représentatif de l’ensemble) « constituent, sans doute, un panel assez représentatif (…. de ceux) des quartiers dont  la ‘ghettoïsation’ est largement entamée, voire achevée » (p. 300). Comme les premiers ethnologues, ils ne sont guère entrés directement en contact avec la population qu’ils voulaient ethnologiser (trop dangereux peut-être) mais ont choisi des informateurs, et en premier lieu des « chefs d’établissement » dont, précise une note, la connaissance en matière de géographie religieuse du quartier provient « le plus souvent » des « renseignements généraux » (pour les internautes canadiens, belges, japonais[2] et autres qui n’ont pas la chance de vivre en République, et doivent se contenter d’une piteuse démocratie, voila comment l’Encyclopaedia Universalis, ouvrage très subversif je le reconnais, commence son paragraphe sur les RG : « Très curieusement la police politique, après avoir été clouée au pilori sous le règne de son théoricien, Napoléon III s’exerce aujourd’hui au grand jour, sans que la plupart des Français s’en aperçoivent vraiment. »[3] ).

 

Après un long processus, l’Etat a mis en place un Conseil national et des Conseils Régionaux du Culte Musulman qui, contrairement à l'encadrement de certains autres cultes, sont issus d’élections. L’idée est de pouvoir plus facilement se concerter. Comme la majorité des cas visés par le Rapport sont référés à l’islam, il eut été peut-être plus utile de s’adresser à des représentants élus qu’à des membres de la police politique. Qu’en pensez-vous chers internautes ? Je ne fais que suggérer timidement : devant d’aussi distingués ethnologues, on est forcément très prudent….

 

J’aurais pu bien sur pousser le bouchon de ma comparaison plus loin et dire, en clair, que cela manifeste une mentalité néo-coloniale inconsciente. Je n’irai pas jusque là, ce serait tourner au procès d’intention.

Pour moi, se manifeste surtout une naïveté épistémologique (excusez le gros mot) que l’on retrouve dans d’autres passages. Si les inspecteurs se sont prétendus ethnologues et non sociologues c’est peut-être parce qu’ils sont au courant que des études sociologiques concernent d’assez prés leur sujet ( ne pouvant  tout citer je donnerai quelques noms : Nacira Guérif-Souilamas, Farhard Khosrokhavar, Françoise Lorcerie, Bérengère Massignon -exactement sur le même sujet ![4]- Nancy Venel, etc ; pour ne pas parler des sociologues de la religion[5])… et que ces Messieurs-dames ne voulaient pas en tenir compte. Or, la première chose à faire quand on veut traiter une question sérieusement consiste à dresser un « état des lieux »: ce qui a été déjà fait et sur lequel on peut s’appuyer. Or le Rapport se contente au tout début (p. 296) de citer quelques ouvrages très généraux (un seul sur la laïcité) sans en tirer d’analyses[6].

Ensuite, quand il s’agit de traiter des « évolutions religieuses », le Rapport a une fâcheuse tendance à confondre journalistes de Charlie-Hebdo et directeurs de recherche au CNRS (cf. p. 312). Sans doute veulent-ils participer à cette « culture jeune » qu’ils dénoncent par ailleurs (p. 341)! En fait, les références à la sociologie ne sont pas complètement évitées (cf. p. 310, où les politiques publiques sont critiquées), elles restent très marginales et se cantonnent au contexte socio-économique.

 

Car le principal défaut du Rapport consiste à énoncer des faits déjà connus (ils « ne m’ont rien appris de nouveau » écrit B. Lefebvre p. 65), avec toujours la même erreur de méthode (présente en pire dès le 1er commentaire d’A. Seksig) : outre qu’on juxtapose des faits rares et d’autres qui le sont moins, outre que l’on ne hiérarchise pas la gravité de ces faits (on ne distingue pas les formes « licites » des formes « illicites » ! p. 304), on n’effectue pas d’analyse, de mise en perspective qui permettrait de comprendre et de saisir à partir de quelles interactions ces faits prennent sens. Je nuance tout de suite mon propos : ce qui distingue quand même le Rapport du texte de Seksig et de la littérature de dénonciation dont on nous abreuve, c’est une attention à la ghettoïsation socio-économique (« quartiers de souffrance et en souffrance » et les propos des pages 308-310), des notations qui ne manquent pas d’intérêt (on va y revenir) et un ton relativement serein.

 

Donc acte. Mais je suis très loin d’être satisfait pour autant. Cela pour deux raisons. D’abord parce qu’à des problèmes de l’ordre du symbolique, il est totalement insuffisant de se contenter d’une mise en perspective socio-économique. Il faut donner des pistes d’analyse de  ce qui se passe actuellement au niveau du symbolique. Et là,… pratiquement rien à se mettre sous la dent. Ensuite, les notations intéressantes sont oubliées quand le Rapport passe aux propositions. Là apparaît un choix idéologique conscient, puisque le Rapport énonce une sorte de déclaration de guerre au savoir.

 

Première raison : l’absence de mise en perspective du symbolique, de l’expression par le symbolique, l’absence de décryptage de ces fameux « faits » qu’on nous répète à satiété. Pour faire vite, un seul exemple mais caractéristique : les « prescriptions rigoureuses » que, pour le Rapport (ce n’est pas faux, mais il faudrait complexifier : c’est parfois aussi un choix des jeunes filles elles même et, là, c’est plus perturbant), les « frères » imposent aux élèves filles : « comme le maquillage, la jupe et la robe sont interdites, le pantalon est sombre, ample style « jogging », la tunique doit descendre suffisamment bas pour masquer toute rondeur » (p. 315). Et le Rapport complète ceci par une remarque plus générale : « l’obsession de la pureté est sans limite » (p. 318).

Franchement, peut-on faire comme si cela se passait dans un vide socio-symbolique ? Comme s’il ne s’agissait pas d’une imprégnation, d’une dépendance et d’une réaction (extrême) à une société d’exposition marchande des corps, une société de construction médiatique d’une ‘culture porno’, et plus largement d’une sexualité marchande. Je renvoie, notamment, aux ouvrages de Michèle Marzano (du CNRS et non de Charlie Hebdo, elle, il est vrai)[7] qui montre comment s’impose socialement un imaginaire pornographique. On peut compléter cela par l’ouvrage d’Anne Steiger, La vie sexuelle des magazines (Michalon, 2006) qui montre de façon très précise comment se construit socialement une libido formatée, pour le plus grand profit (dans tous les sens du terme !) de certains. Ne serait-il pas possible de se poser ne serait-ce qu’une fois la question : et si la société dominante avait la contestation qu’elle mérite ?

Car, naturellement, ceux qui n’ont pas vécu avant le développement social de cet imaginaire, ceux qui ont comme culture dominante les input d’un univers médiatisé sont d’autant plus imprégnés, dépendants, et parfois réactifs (et bien sûr les 3 peuvent être liées). Ne pas replacer les faits cités dans les transformations de l’intimité, des représentations sociales de la sexualité, de l’amour et de l’érotisme dans les sociétés de la modernité tardive, c’est je l’écris tout net, extrêmement inquiétant. Arrêtons de faire comme si la sexualité était « libre » dans notre société et que seulement « l’islam » (ou les religions) avait des problèmes de ce côté-là. C’est franchement débile !

Puisque le Rapport tire des constats du « simple fait de déambuler aux abords d’une école ou d’un collège » (p. 314), les inspecteurs généraux pourraient faire un pas de plus : feuilleter chez les marchands de journaux  Choc, Entrevue, GutsNewlook (qui vise de + en + une clientèle d’ados), etc, etc. Ils ne parleraient plus alors de « culture jeune » mais d’une culture médiatiquement imposée. A lire cette presse, à regarder et écouter des émissions de radios et de télé, ils s’étonneraient moins de la banalisation de la grossièreté et des injures dans les établissements scolaires et ils poseraient peut-être des questions à la société globale. En fait, dans le Rapport, « les médias » constituent une référence (plus que le CNRS !) et sont considérées comme un « écho » de la réalité (p. 341), et non comme un paramètre important de la construction sociale de cette réalité. La démarche des sciences sociales n’est pas prise en compte.

Et je pourrais continuer longtemps en prenant d’autres exemples. Mais, vous l’avez compris, mon propos c’est en substance : « arrêtez de nous abreuver de faits bruts et chercher à comprendre, à analyser, occupez-vous de la signification de vos pseudos ‘constats’ »

 

Seconde raison : plus ou moins allusivement, le Rapport est parsemé de notations qui pourraient, si elles étaient structurées, décrire une partie du contexte. Par exemple :

-         l’existence pour le catholicisme d’aumôneries et d’écoles privées (p. 303),

-         la moyenne d’ancienneté des professeurs inférieure à 3 ans dans des collèges particulièrement difficiles (p. 319), les « jeunes professeurs » y sont nombreux (p. 353), « mal préparés à affronter ces situations, laissés sans directive ni soutien » (p. 362)

-         le calendrier scolaire « qui intègre les principales fêtes catholiques et ne laisse aucune place aux fêtes et jours fériés d’autres religions » (c’est «le 1er objet de contestation »)  (p. 333),

-         les chapelles catholiques « sises le plus souvent à l’intérieur de lycées prestigieux, et où se dit régulièrement la messe » (p. 335),

-         Ben Laden comme « figure emblématique d’un Islam conquérant, assurant la revanche symbolique des laissés-pour-compte du développement » (p. 345). Ben Laden = nouveau Staline : s’il avait été jusque là, le Rapport aurait du se poser d’épineuses questions : une partie du corps enseignant a été plus ou moins stalinienne, et la France n’en est pas morte !

-         Les chefs d’établissements, recteurs, inspecteurs d’académie sont « mal » ou « très inégalement informés» de ce qui se passe dans les classes (p. 363)

Etc.

 

Pourtant ces diverses observations ne conduisent pas à des « propositions » qui remettraient si peu que ce soit en cause l’inégalité entre les cultes (que B. Massignon montre encore plus clairement dans son article) – bien au contraire[8]. Elles ne conduisent pas davantage à réformer cette école dite républicaine, en fait largement encore napoléonienne, sa hiérarchie figée, le système désastreux qui conduit à mettre de jeunes nouveaux profs dans les endroits les plus difficiles, système pourtant largement responsable des difficultés actuelles. Non, les propositions faites ne sont en rien une prise en compte de la situation globale et de ses interactions, elles visent à « régénérer chez ces jeunes le sentiment d’une appartenance à un ensemble politique capable de transcender leurs autres appartenances » (p. 366). L’emploi de 2 termes très religieux (« régénérer » et « transcender ») est-il conscient ? En tout cas, il ne doit rien au hasard : le Rapport prétend « défendre la laïcité », en fait il prône une religion civile républicaine, comme cela se fait depuis 16 ans avec le succès que l’on sait.

Et cette religion civile ne fait pas bon ménage avec une démarche de connaissance. Il y a, à la fin du Rapport, une déclaration de guerre au savoir. (A SUIVRE)

 PS :Pour les internautes que cela intéresserait, on peut lire dans Le Point paru jeudi 19 octobre (n° 1779), pages 74-76, un débat entre J-P. Brighelli et moi, où je réfute ses thèses sur l'école et la laïcité.

[1] A. Seksig, instituteur puis directeur d’école à Paris 20e, fut conseiller du Ministre Jack Lang (2000-2002) et est maintenant inspecteur de l’Education Nationale.

[2] Si, si, il y en a et je les salue.

[3] Encyclopaedia Universalis, Police et société, par M. Le Clère, tome 18, p. 539, édit de 1992 (si vous vouliez une édition plus récente, chers internautes, il fallait me l’offrir !)

[4] B. Massignon, « Laïcité et gestion de la diversité religieuse à l’école publique en France », Social Compass, n° 47/3, 2000, p. 353-366 ; cet article se fonde sur un DEA plus développé : Laïcité  et gestion de la diversité religieuse : la prise en compte des demandes d’expressions des appartenances religieuses dans les établissements secondaires publics, EPHE, 1999 (bien sûr, personne ne sait tout… mais l’auteur du Rapport me connaît et il aurait suffit qu’il me demande ce qui existait sur le sujet). B. Massignon a également fait, fin 2003, (cad au moment même du début de l’enquête) un rapport pour le Ministère des affaires étrangères donnant une comparaison internationale sur le port des signes religieux dans les écoles publiques.

[5] J’y reviens presque tout de suite

[6] Ainsi le rapport cite L’Islam mondialisé d’O. Roy (Le Seuil) sans s’en servir ensuite.

[7] Penser le corps (PUF, 2002), La pornographie ou l’épuisement du désir (Buchet Chastel, 2003), Malaise dans la sexualité (JC Lattès, 2006)

[8] Comme le Rapport propose de durcir la laïcité à l’égard d’adeptes de religions minoritaires sans corriger en rien les inégalités signalées au passage (ainsi la proposition de la Commission Stasi sur la modulation des jours fériés n’est pas reprise alors même qu’il est dit que le calendrier scolaire est le 1er problème), en fait adopter ces propositions aboutirait à aggraver les injustices : comme on le constate, il s’agit donc de solutions morales et réalistes !

16/10/2006

LIBERTE D'EXPRESSION, INFLATION MEDIATIQUE ET LIBERTE DE PENSER

De « l’affaire Redeker » à une réflexion beaucoup plus générale.

Par ma tribune dans Le Monde (cf la Note : « La liberté d’expression et les chiens de Pavlov ») et mon intervention à « Ce soir ou jamais », j’ai contribué à un débat. Le débat suppose l’absence d’unanimisme, de pensée unique et aussi de pensée dominante qui étouffe ou délégitime toute contestation. Cela on le clame partout et on ajoute que c’est précisément la possibilité d’exercer son esprit critique qui distingue la démocratie du totalitarisme et de l’intégrisme.

Et pourtant, à la première difficulté, les choses fonctionnent tout autrement. J’en ai fait l’expérience, de plusieurs manières, avec la prise de position que j’ai prise :

D’abord, des dizaines et des dizaines de gens sont venus me dire (notamment à Blois, aux Journées de l’Histoire, au hasard de rencontres aussi), m’écrire, m’envoyer des mels pour me dire : « vous avez entièrement raison », etc. Beaucoup de « bravo » que je ne sollicitais pas. Mais significativement, certains ont ajouté : « Vous avez dit tout haut ce que nous sommes nombreux à penser tout bas. »

En général, ce dernier propos émanait de personnes qui s’expriment dans les médias. Pourquoi, sauf exception (une personne avait eu un article refusé ; la Ligue des droits de l’homme a publié un communiqué auquel peu de place a été accordé,…), ces individus se taisent-ils sur un tel sujet ? Quelqu’un a répondu franchement à mon interrogation en me rétorquant : « Tu es naïf ou quoi ? As-tu idée de la puissance médiatique des signataires de la lettre ouverte que tu as critiquée ? ». Et il m’a regardé d’un air un peu triste, comme si je m’étais suicidé en tant qu’auteur qui a, comme les autres, besoin de comptes-rendus pour que les lecteurs potentiels aient connaissance de ses écrits. D’autres  interlocuteurs ont été plus allusifs, mais cela revenait au même.

Non, je n’étais pas tout à fait naïf, je savais bien qu’il était plus confortable de se taire. Mais plusieurs m’ont donné des détails montrant que, dans certains cas, c’était pire que ce que j’imaginais. Comme quoi, on apprend toujours quelque chose… Mais cela ne signifie-t-il pas que, comme l’iceberg, la liberté d’expression a 9/10 de ses aspects qui sont immergés ? Attention donc à ne pas réduire la réalité à l’écume des choses.

Ensuite, bien sûr, j’ai aussi reçu des critiques… et eu des échos de critiques qui s’effectuaient derrière mon dos. Je passe sur les injures, genre un dessin représentant 2 cochons : un musulman et moi.... Je passe aussi, sur les critiques qui, en fait, tordaient complètement la lecture de mon article puisque je m’associais pleinement à la défense de la sécurité de Redeker et je protestais, moi aussi, contre la suppression de son traitement si elle a eu lieu[1]. Je ne réclamais aucune censure, je contestais seulement le fait que la défense de Redeker inclut la sanctuarisation de ses idées (« quel que soit le contenu de l’article »).

Les critiques ‘sérieuses’ tournaient autour de 2 idées forces : « la défense de la liberté d’expression est inconditionnelle » et « il faut hiérarchiser les problèmes et ce n’était vraiment pas le moment de dire ce que vous avez dit ».

Qu’entend-on par « défense inconditionnelle de la liberté d’expression » ? Encore une fois le débat porte sur le fait suivant : doit-on pour soutenir R. R.  vouloir ignorer ce qu’il a dit ou bien : le soutenir peut-il, doit-il, s’accompagner du libre-examen de ses propos ? Si on supprime le droit au libre-examen des propos de quelqu’un, à raison que quelques fous le menacent sur Internet, alors qu’en est-il de la liberté d’expression ? Elle n’est certainement plus inconditionnelle.

Certains de mes interlocuteurs critiques l’ont bien compris, et c’est pourquoi ils ont placé leur argumentation non sur les principes (car là, la liberté d’expression des uns ne va pas sans la liberté d’expression des autres) mais sur l’opportunité : il n’est pas opportun de critiquer quelqu’un quand il est menacé ; ce n’est vraiment pas le moment.

Je reçois tout à fait cette critique. Je m’étais moi-même posé ce genre de question avant d’écrire mon propos. Je ne prétends nullement à l’infaillibilité, mais je voudrais expliquer pourquoi j’ai choisi quand même de m’exprimer dans la mesure où cela conduit à une réflexion qui dépasse de beaucoup l’affaire Redeker.

Un premier aspect est que l’on n’a pas vraiment le choix. Supposons que l’on fasse silence en se disant qu’effectivement, « ce n’est pas le moment ». On se réserve donc pour s’exprimer dés que, l’affaire sera retombée et que Redeker reprendra une vie normale (ce que, bien sûr, j’espère pour très bientôt). Mais là, quel quotidien, ayant une audience équivalente au Figaro va publier une réfutation  de l’article de Redeker? Aucun : car, alors, ce ne sera plus le moment. La réflexion, dans le système de communication de masse n’existe pas en soi et ne se fait pas à froid. Elle n’est effective qu’accrochée à l’événement. L’événement une fois passé, vos dires n’intéressent plus personne. Mille fois, je me suis heurté à ce mur de verre, en voulant laisser décanter les choses et je ne suis certes pas le seul !

L’événement n’est pas seulement roi, il est tyran.  Si ce n’est pas le moment quand les propos de Redeker sont d’actualité (et que la menace qu’il subit contribue à ce qu’ils soient diffusés, connus le plus largement possible), ce ne sera jamais le moment. Le système de communication de masse est très contraignant et, dans les contraintes qu’il génère, la liberté d’expression est très relative. Je me suis exprimé à ce moment là parce que c’était le seul moment où je pouvais le faire et, vraiment, j’aimerais beaucoup qu’il en soit autrement.

Surtout que le système de communication de masse (et dans ce système il y a, à égalité, les producteurs de la consommation de masse, avec leur hiérarchie interne, et les consommateurs de ce système, c'est-à-dire nous tous) privilégie tout ce qui provoque un choc. Que de fois des journalistes m’ont dit (ou on dit à des collègues) : « vos propos sont très intéressants, mais trop subtils (variante : trop nuancés, pas assez émotionnels, etc) pour mon rédac’chef ».

Le type d’article qu’à écrit Redeker est lui typiquement médiatique, car il cogne. Et, actuellement, cogner sur l’islam = audimat garanti ! L’organisation du débat (et, bien sûr, nettement plus encore à la télévision que dans la presse écrite ; mais la télévision donne implicitement la norme) ressemble de plus en plus à un match de catch, du moins pour ce qui concerne des questions dites de « société ». Ceux qui ont regardé « Ce soir ou jamais », et ont vu (oui, il faut employer le verbe « voir » et non pas « entendre ») Romain Goupil m’insulter et m’empêcher de parler, en ont eu là un bon exemple. Mais, pour ne pas quitter le service public pour lequel nous payons une redevance, le magazine de Stéphane Bern « L’arène de France », « incroyablement affligeant » (Télérama, n° du 4 octobre), fait systématiquement ce qui n’a été peut-être (j’espère en tout cas) qu’un accident de parcours de « Ce soir ou jamais ».

De plus en plus, vous avez un double discours : la laïcité, la république française, ce serait l’esprit critique, les Lumières, le débat dans le respect des personnes (versus l’intégrisme religieux et spécialement musulman)… et, en fait, dans la réalité concrète, c’est exactement l’inverse : silence l’esprit critique, place aux propos les plus extrêmes possibles car ils sont « vendeurs » (et là, notre responsabilité de « consommateurs » est engagée) ; silence à la réflexion, place au pur émotionnel, aux petits reportages dont la mise en scène et le montage sont fait exprès pour dramatiser, place aux indignations primaires, etc.

Cela à haute dose, cela chaque jour. N’avons-nous pas, dans cette inflation médiatique, dans ce formatage d’une non-pensée, la menace la plus grande pour la liberté d’expression ? Si on continue, le jour viendra (il n’est peut-être pas loin) où toute pensée tant soit peu rationnelle ne pourra plus s’exprimer publiquement. Trop nuancée, impropre à l’audimat. Avec une pensée rationnelle, les plages publicitaires ne peuvent être vendues au prix que leur donne une bonne émotion, une bonne peur !

Par ailleurs, j’avais quelque chose à dire à propos duquel je n’ai reçu aucune critique. Au contraire, toutes les personnes qui m’ont critiqué ont fait comme si ce passage de mon texte n’existait pas. Il s’agit de la manière dont Redeker a transformé l’article de Maxime Rodinson dans l’Encyclopaedia Universalis en charge haineuse contre l’islam. Rodinson, qui a été un des éminents professeurs de l’établissement que j’ai présidé[2],  est mort récemment. Je suis persuadé que jamais une lecture aussi fallacieuse n’aurait pu être écrite du vivant de Rodinson, sans s’attirer une réplique cinglante de ce dernier. Je suis persuadé que ce n’est pas un hasard si c’est après sa mort que l’on tord ainsi ses propos.

Il existe des règles élémentaires de lecture des textes et ce fut précisément l’objectif de l’école laïque de les enseigner pour instruire à la liberté de penser. Qu’un professeur de philosophie, arguant de son titre, tronque ainsi et la forme et le contenu d’un texte, est-ce admissible ?  A cette question personne ne veut répondre parmi celles et ceux qui critiquent mon texte. Tous jouent à « cacher cette question que je ne saurais entendre ». Cherchez l’erreur !

Car la forme du propos (et le type de contenu) de l’article de Redeker ne sont nullement isolés et c’est la dernière raison qui faisait que je ne pouvais me taire. De plus en plus, il se joue un autre double jeu que je tente d’analyser dans mon ouvrage sur L’intégrisme républicain contre la laïcité[3] : d’un côté on clame que l’on défend une école enseignant le (pur) savoir, on prétend faire de cette école un lieu de résistance à la société globale où règne le libéralisme marchand, bref on prône des choses excellentes à condition de ne pas être proférées de façon unilatérale (dans mon livre j’explique que « l’école doit former à l’exigence intellectuelle en tenant compte de la diversité des élèves : si elle abandonne un des deux objectifs, elle trahit sa mission ») et, à côté de cela, une partie des mêmes jouent le jeu de la dramatisation émotionnelle, du spectaculaire, du propos tranché, quand ce n’est pas du propos purement et simplement faux, notamment quand on invoque l’histoire de la laïcité (nous en reparlerons d’ailleurs). Ce ne sont même plus des intellectuels médiatiques, l’heure est venue des pseudo professeurs show-biz. L’heure est venue du mépris triomphant de la pensée. Et, selon une recette éculée, plus c’est gros, plus cela marche.

Enfin, je voudrais dire à Fabien, internaute roumain qui a écrit plusieurs commentaires critiques que, si je comprends son propos par rapport au totalitarisme que la Roumanie a vécu jusqu’à une date récente, la démocratie est, comme l’indiquait Churchill « le pire des régimes excepté tous les autres » (et le totalitarisme est en très bonne place parmi ces autres !). Et donc, pour être vivante, la démocratie a besoin de critique interne sur son fonctionnement.

Je ne connais pas assez la Roumanie pour en parler, mais je sais qu’en Bulgarie, pays voisin et qui sort lui aussi du communisme, on a tellement voulu protéger les liberté individuelles et les droits des accusés que l’on se retrouve avec un problème grave : des pratiques mafieuses prospèrent sans que l’on arrive à condamner leurs auteurs, trop bien protégés par ces mesures prises dans d’excellentes intentions. Eh bien, voyez vous, cher Fabien, c’est un peu ce qui, à un autre niveau, risquerait arriver en France si l’on n’y prenait pas garde : des personnages douteux qui instrumentaliseraient la liberté d’expression, en imposant une FORME D’EXPRESSION qui est la négation de la liberté de penser.

PS: Merci aux différents commentateurs. Certains sont très argumentés et fort intéressants. Tous, en tout cas, montrent que ce blog peut également servir à une libre discussion, y compris entre ceux et celles qui le fréquentent. Une seule règle: chercher à expliciter sereinement sa position et l'argumenter la plus rationnellement possible. C'est cela la culture laïque. Et il ne s'agit pas d'adorer une Déesse Raison pour autant, c'est pourquoi il s'agit d'une "laîcité inclusive": qui inclut dans le débat la diversité religieuse et culturelle. 

 
    


   


   




[1] Honnêtement, j’aimerais que ce point soit vérifié : ayant été président d’établissement, je sais d’expérience à quel point la machine administrative est lourde et longue à se mettre en route. Une suppression dans d’aussi courts délais m’étonne. Raison de plus pour protester si jamais celle-ci a eu lieu.

[2] L’Ecole Pratique des Hautes Etudes.

[3] L’article de Redeker étant lui-même une illustration presque parfaite du portrait robot que je fais dans cet ouvrage du discours intégriste, et son contenu une illustration également presque parfaite de ce que j’analyse : la montée d’un courant néo-conservateur à la française.

15/10/2006

DEMAIN LUNDI

Nombreux commentaires sur les deux dernières Notes du Blog. Merci

De même j'ai eu beaucoup d'échos (à la fois des soutiens et des questions) par d'autres biais

J'ai rencontré aussi des lectrices/lecteurs aux Journées d'histoire de Blois.

Je rumine tout cela et

Demain lundi, vous aurez un nouvelle Note.

08/10/2006

LA LIBERTE D'EXPRESSION ET LES CHIENS DE PAVLOV

Article publié par Le Monde, le 6 octobre 2006 (PUBLIE CI APRES AVEC, ENSUITE UN COMMENTAIRE)

NON AUX PROPOS STREREOTYPES

Défendre la libre expression de Robert Redeker n'implique pas de
soutenir la bêtise haineuse

Jean Baubérot
Historien,
spécialiste de l'histoire de la laïcité à l'Ecole pratique des hautes études

Nous cheminons sur une route bordée de deux gouffres profonds. Je
crains que les intellectuels signataires de l'" appel en faveur de
Robert Redeker " (Le Monde du 3 octobre) n'aient vu qu'un seul
précipice et qu'ils reculent horrifiés devant lui au risque de tomber
au fond du ravin qu'ils n'ont pas voulu voir.

Mon accord avec eux est complet en ce qui concerne la défense vigilante
de la liberté d'expression. Je me joins tout à fait à leur appel
solennel " aux pouvoirs publics afin, non seulement, qu'ils continuent
de protéger comme ils le font déjà Robert Redeker et les siens, mais
aussi que, par un geste politique fort, ils s'engagent à maintenir son
statut matériel tant qu'il est en danger ". Je signe des deux mains et
je veux, moi aussi, résister à " une poignée de fanatiques - qui -
agitent de prétendues lois religieuses " pour remettre en question "
nos libertés les plus fondamentales ".

Mais déjà là, je me demande si ces intellectuels mesurent bien
l'ampleur du gouffre. Cette " poignée de fanatiques " n'existe
malheureusement pas dans un vide social. Alors que la fin de la guerre
froide, l'effondrement du mur de Berlin aurait pu augmenter la qualité
du débat démocratique en le rendant moins manichéen, c'est le contraire
qui s'est produit. De divers côtés, on assiste à la multiplication
d'indignations primaires, de propos stéréotypés qui veulent prendre
valeur d'évidence en étant mille fois répétés par le moyen de la
communication de masse. L'évolution globale est inquiétante, et cela
est dû à la fois à la montée d'extrémismes se réclamant de traditions
religieuses (au pluriel) et d'un extrême centre qui veut s'imposer
socialement comme la (non-)pensée unique et rejette tout ce qui ne lui
ressemble pas.

Il faut donc regarder de plusieurs côtés à la fois. On peut, on doit
défendre les droits élémentaires d'une personne sans abandonner tout
esprit critique à son égard. " Quel que soit le contenu de l'article de
Robert Redeker " écrivent les signataires sans autre précision. Je
regrette, là je ne peux plus du tout les suivre. Combattre le gouffre
de l'intolérance n'implique pas de se coucher devant la bêtise
haineuse. Au contraire, les deux combats n'en font qu'un. La Ligue des
droits de l'homme l'a compris, qui défend Robert Redeker tout en
refusant ses " idées nauséabondes ". Son article prône, en effet, une
reprise, contre l'islam dans son ensemble, du discours maccarthyste
contre le communisme. L'Occident est le " monde libre ", paré de toutes
les vertus face à un islam monolithique et diabolisé. Et naturellement,
l'auteur dénonce les " intellectuels qui incarnent l'oeil du Coran,
comme ils incarnaient l'oeil de Moscou, hier " et " ne s'opposent pas à
la construction de mosquées ".

Pour masquer sa propre ignorance, M.Redeker cite des extraits de
l'article " Muhammad " écrit par Maxime Rodinson dans l'Encyclopaedia
Universalis et en conclut : " Exaltation de la violence : chef de
guerre impitoyable, pillard, massacreur de juifs, polygame, tel se
révèle Mahomet à travers le Coran. " Il suffit de se reporter à
l'article du grand savant pour constater à quel point et le ton et le
contenu lui-même sont d'une autre planète. On pourrait, avec plus de
citations encore, tirer de cet article une apologie de Muhammad.
Rodinson écrit par exemple : Muhammad " montra, en bien des cas, de la
clémence et de la longanimité, de la largeur de vues et fut souvent
exigeant envers lui-même. Ses lois furent sages, libérales (notamment
vis-à-vis des femmes), progressives par rapport à son milieu ".

Naturellement je donne cette citation comme un contre-exemple et
seulement pour montrer à quel point M. Redeker effectue un usage
inadmissible, par son caractère tronqué et unilatéral, des dires de M.
Rodinson. Ce dernier n'a écrit ni une dénonciation haineuse ni une
apologie. La lecture de texte qu'opère Redeker est inadmissible
s'agissant d'un professeur de philosophie dont le devoir professionnel
serait d'enseigner l'objectivation, la prise de distance à l'égard de
ses affects, l'analyse critique. Le soutenir doit donc s'accompagner de
la mise en cause du contenu et de la forme de ses propos.

Non, je ne comprends vraiment pas le " quel que soit le contenu de
l'article " et je ressens cela comme une grave menace pour la liberté
de penser elle-même. J'imagine la situation en 1894 ; supposons une
minute qu'ait existé alors un groupe d'extrémistes menaçant Edouard
Drumont ou un autre publiciste antisémite (qui lisaient les textes
exactement de la même manière), pouvons-nous concevoir ceux que
l'affaire Dreyfus allait faire qualifier d'intellectuels écrivant pour
défendre le publiciste attaqué : " quel que soit le contenu des
articles de La Libre Parole - l'organe de Drumont - ... " ? La
recherche historique montre que tous les thèmes antidreyfusards
circulaient avant l'affaire Dreyfus. De tels stéréotypes sont
permanents ; seules changent les minorités qu'ils transforment en boucs
émissaires. La lutte contre l'intolérance ne dispense pas de la lutte
contre la bêtise haineuse.

Quelques commentaires sur l’article du Monde :
 
Donc il y a eu un article de Robert Redeker qui lui a valu des menaces et je soutiens qu’on doit le défendre comme individu, sans cautionner son propos en faisant silence sur son contenu.

Redeker s’était déjà fait remarquer par des articles dénonçant les personnes critiques à l’égard de l’envahissement publicitaire comme étant des ennemis de la « gaîté » et par un autre texte fustigeant toute critique de l’Amérique. OK, ce sont ses idées et il les partage. Mais la moindre des choses est également que l’on garde le droit de critiquer aussi de tels propos à l’emporte pièce. Surtout que, le piège est que des personnes faisant ainsi de l’inflation idéologique ravissent certains médias qui les publient, alors que celles et ceux qui font des analyses plus fines n’arrivent pas à être publiés (où dans des médias confidentiels). Il y a là aussi une sorte d’atteinte à la liberté d’expression.

Quant il s’agit de l’islam, Redeker franchi allègrement un pas supplémentaire. Je ne pouvais pas relever toutes les accusations haineuses contenues dans son article, je n’aurais plus eu le temps d’indiquer mon propre commentaire. Mais, puisque dans mon blog, j’ai un peu plus de place, sachez que l’article commence par affirmer que « l’interdiction du string à Paris-Plage » traduit une « islamisation des esprits », ainsi que la « non-interdiction du port du voile dans la rue » (M. Redeker veut-il mettre un policier derrière chaque femme musulmane pour les obliger à être tête nue ?), que le Coran est un « livre d’inouïe violence », etc, etc.

Bref, comme me l’écrit, une des dizaines de personnes qui m’ont envoyées des messages de soutien : « On se demande pourquoi R. Redeker écrit dans le Figaro alors qu’il pourrait être éditorialiste à Minute ».

A propos de ce qu'il écrit du Coran, je voudrais donner une précision supplémentaire par rapport à mon article du Monde : les pamphlets antisémites de la fin du XIXe siècle et qui ont crée le climat qui a donné l’affaire Dreyfus, attaquaient Le Talmud (qui, pour le judaïsme, complète la Tora dans l’accès à la vérité religieuse), Talmud qu’ils opposaient aussi sommairement à la Bible, que le fait Redeker qui oppose un Jésus douçâtre (n’a-t-il jamais entendu parler de Jésus chassant les vendeurs du temple ?) à un Mahomet « maître de haine ».

Ce précédent historique très important incite à la réflexion : on ne peut pas, aussi sommairement que le font les gens de Charlie Hebdo et d’autres, dire que les attaques contre les religions n’ont jamais rien à voir avec le racisme et qu’en conséquence parler d’islamophobie est une atteinte à la liberté. En fait à chaque cas, il faut savoir distinguer droit à la critique et invective haineuse.

 On a le droit de critiquer les religions, comme le reste. Mais supporterait-on que l'on parle de Condorcet, Jaurès ou de gaulle comme Redeker parle de Muhammad? La critique n'est pas la bêtise haineuse. Dans le cas de Redeker, nous sommes clairement dans le second cas de figure. Et le fait qu'il soit victime d'une intolérance fanatique qu'il faut aussi combattre (et que de nombreux musulmans ont déjà désavouée) ne blanchit pas son article sale.

Redeker s’insurge contre ceux qui « s’élevaient contre  l’inauguration du Parvis  Jean-Paul II et ne s’oppose pas à la construction de mosquées. N’allez pas croire pour autant que Redeker soit catholique. Pas le moins du monde. Il se croit républicain laïque !!! (belle illustration de ce que j’écris dans mon livre sur l’intégrisme républicain°)[1] Il s’inscrit en fait, dans la tradition maurassienne (de Charles Maurras) où, bien qu’agnostique, on prône un catholicisme identitaire. Chez Maurras, c’était le catholicisme, champion des peuples latins contre les trois R : Réforme (protestante), Révolution (française), Romantisme (allemand) et aussi contre les juifs et les francs-maçons. Chez Redeker, c’est le catholicisme (ou le christianisme, peu importe) champion de l’Occident contre l’islam. L’instrumentalisation réactionnaire est la même.

Alors il faut résister à la tentation d’être transformé en chien de Pavlov sous prétexte de défense de la liberté d’expression.

Vous savez, ce chien tellement conditionné qu’il salivait     
 avant même qu’on le nourrisse. Le chien salivait à voir le plat où on mettait la nourriture ou la personne qui la lui donnait. Et donc, la nourriture pouvait être, en fait, de la merde, il salivait quand même.  Et bien, pour certains l’expression « liberté d’expression » fonctionne comme un réflexe conditionné et ils refusent de regarder s’il s’agit de merde intellectuelle.

Non de même que l’on critique des idées sans attaquer les personnes, on doit défendre les personnes sans renoncer à attaquer les idées nauséabondes.

Les inconditionnels de Redeker écriraient-ils, si Faurisson (l’auteur révisionniste) était  menacé par fou : « Quelles que soient ses idées.. .» ? Moi pas.

 

|

 

|

 



[1] ° Dans L’intégrisme républicain contre la laïcité (L’Aube, octobre 2006), je note que les intégristes  républicains français  ont une évolution qui ressemble de plus en plus à celle des néo-conservateurs américains.