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30/09/2006

INTEGRISME, VOUS AVEZ DIT INTEGRISME...

Si dessous, vous allez trouver une Note incisive, passionnante (bien sûr) et dont la société dominante ne se remettra pas, sur « Putes et soumises : l’antiféminisme des médias ». Mais auparavant, un peu d’auto-publicité.

Le 5 octobre prochain va avoir lieu un événement dont l’importance historico-mondiale, que dis-je interplanétaire, n’échappera à aucun internaute averti (donc ceux à qui, par malheur, cela échapperait sont mis ipso facto dans l’enfer des non avertis !) : la parution de mon nouveau livre : L’intégrisme républicain contre la laïcité aux éditions de l’Aube, déjà bienheureux éditeurs, en 2005, de mon immortel roman Emile Combes et la princesse carmélite.

Dans cet ouvrage, certains chapitres sont issues de Notes de ce Blog retravaillées (100 fois sur le métier remettez votre ouvrage !) et complétées, d’autres chapitres sont tout à fait inédits. Mais je ne vais pas vous raconter le livre.

Allez, c’est bien parce que c’est vous, je vais quand même vous livrer un extrait de la 4ème de couverture : ainsi mon éditeur ne se sera pas donné du mal pour rien :

« Jean Baubérot dénonce le « double discours » de cet intégrisme républicain qui empêche une lutte réelle contre les discriminations en confondant universalisme et refus de la diversité.  Il aborde les sujets les plus actuels (égalité des sexes, outre-mer, islam, sectes, multiculturalisme, critiques de la laïcité française à l’étranger,…) et propose de résister au choc des civilisations sans transiger sur l’essentiel.

Une « laïcité inclusive » (incluant la diversité), fondée sur la loi de séparation de 1905 et enrichie par les expériences non françaises, permettra de lutter contre les discriminations et de répondre aux défis du XXIe siècle comme le montre une « Déclaration internationale de la laïcité », signée par des universitaires des cinq continents et publiée à la fin de cet ouvrage documenté et citoyen. »

Pourquoi parler d’ « intégrisme républicain » me demanderez vous ?  Petits coquins, vous avez failli m’avoir : tout savoir sans rien payer, hein. Dans le livre, c’est tout expliqué. Donc, vous savez ce qui vous reste à faire... le 5 octobre prochain.

Et maintenant, la Note de la semaine :

"PUTES ET SOUMISES"

L’antiféminisme ordinaire des médias.

Le Monde  du mercredi 27 septembre est plein d’enseignements. D’abord on nous apprend  (page 15) que « moins de 10% des administrateurs et des membres des comités exécutifs des 300 plus grandes capitalisations boursières mondiales sont des femmes » (dans la France laïque et républicaine, qui comme chacun sait, est à la tête de l’émancipation des femmes de l’emprise « intégriste », le pourcentage est de 4,7%, ce qui est en gros deux fois moins  que la moyenne !), information intéressante. Tournons la page et, autre info : « La presse parle trop peu des femmes ». Il s’agit de la presse française et l’étude a été faite par l’Association des femmes journalistes (AFJ).

Il y a 6 ans, une enquête semblable montrait que le pourcentage de citations de femmes dans les colonnes de la presse écrite en France était de 18% (et donc 82% des humains cités étaient des hommes). Il fallait absolument faire quelque chose pour obtenir plus d’égalité entre les genres. Idée lumineuse, l’Etat a promu l’égalité homme-femme, grâce à la loi du 15 mars 2004. Moyennant quoi, le pourcentage de citations de femmes est aujourd’hui de 17%. Bien joué ! A ce rythme, les femmes ont quand même un bon siècle devant elles avant de ne plus être citées du tout. De quoi se plaignent-elles, je vous le demande !

Surtout que, le quantitatif n’est pas tout (comme me le disait ma grand-mère) et la galanterie bien française fait qu’on ne va pas citer les propos d’une femme de la même manière que ceux d’un homme. Non mais, pour qui prenez vous la patrie des droits de…l’homme, illuminée depuis près de 3 siècles par de rayonnantes Lumières.

Voyons alors le qualitatif, il est encore plus édifiant sur l’égalité en marche[1]… arrière. Voila ce qu’indique l’étude de l’AFJ : « Il ressort qu’une femme sur six est anonyme alors que seul un homme sur trente trois l’est. Une fois sur cinq, elle est présentée avec un lien familial (mari, parents, enfants…), ce qui n’est le cas que d’un homme sur seize, et une femme sur cinq est citée sans sa profession contre un homme sur vingt. »

Anonyme ; épouse, fille ou mère ; vie professionnelle non mise en avant : on se demande si on a bien lu ! Non seulement les paroles des femmes sont fort peu citées (c’est dans la rubrique « politique » qu’elles le sont le moins, et dans la rubrique « célébrités » qu’elles le sont le plus : quand elle n’est pas épouse et mère, une femme ça doit faire rêver, non ?) mais l’archétype de la femme soumise fonctionne bel et bien dans la presse française qui pourtant, au niveau de son contenu explicite, fait semblant de considérer l’égalité homme-femme comme une valeur fondamentale. Elle fait plus que faire semblant, d’ailleurs : elle croit sincèrement et en toute bonne conscience  être pour l’égalité des sexes. C’est précisément cela le cléricalisme : quand on a du pouvoir et que l’on en abuse sans même s’en rendre compte.

Et le pire, c’est qu’il est probable que les journalistes femmes elles même citent bien plus souvent  des hommes que des femmes. Je ne sais si l’enquête l’indique explicitement, cela vaudrait le coup de vérifier.

Et le pire du pire, c’est que l’enquête d’il y a six ans devait contenir des résultats analogues qui auraient du alerter la presse et lui faire adopter une politique un tantinet volontariste en la matière. Que nenni. La presse dominante qui critique allègrement tout un chacun, qui informe sur tout, va publier sans problème des enquêtes qui la mettent en cause, puis continuer son chemin, comme si de rien n’était. Cela aussi est un indicateur de cléricalisme.

On a vu que, quand même !, à la rubrique « célébrité », la presse se rappelle que les femmes existent. Anne Steiger, dans un ouvrage fort intéressant[2] et que je vous recommande, raconte que les journaux masculins auxquels elle a participé se veulent « féministes ». Elle cite un de ses collègues, Fabien, ex-étudiant en khâgne et philo devenu journaliste et qui lui assure : « On n’est pas un journal qui renvoie la femme au foyer ! Au contraire… Toutes les starlettes écervelées qu’on interviewe, on se bagarre pour leur donner de l’esprit ! ». « Alléluia » commente Anne Steiger.

Internautes femmes qui surfez sur ce blog, n’étant pas des « starlettes écervelées », vous n’avez aucune chance que le brillant philosophe-journaliste vous interviewe un jour ; vous resterez muettes : cela vous apprendra d’abord à ne pas être des starlettes, ensuite (et surtout) à avoir de la cervelle, non mais !

Mais, je confesse maintenant à ma grande honte, que j’ai de beaucoup noirci le tableau. En fait, les femmes sont très présente dans la presse : « elles sont très largement majoritaires » en effet dans les « pages de publicité » nous rappelle l’enquête de l’AFJ. Là, on les reluque sous toutes les coutures, et plus ou moins déshabillées c’est encore mieux ! A défaut de tendre l’oreille pour les entendre, on peut toujours se rincer l’œil dans notre belle République. Après tout c’est une longue histoire : longtemps, il n’y a eu que des hommes à l’Assemblée Nationale, encore maintenant il n’y a vraiment pas beaucoup de femmes, mais puisque la République c’est Marie, oh pardon, Marianne bien sûr, et que son buste à la poitrine généreuse est dans toutes les mairies, tout va très bien dans le meilleur des hexagones possibles.

Une ancienne doctorante, jeune mère d’une petite fille me disait qu’elle devait résister à la pression publicitaire qui s’exerce déjà sur son enfant, lui proposant des strings et autres vêtements aguichants : « le message est clair, ajoutais-t-elle, c’est : tu seras pute ma fille ». Après la femme soumise : la (presque) putain. Et cela au cœur de la société globale, au cœur des porteurs du débat démocratique, pas dans ce que l’on appelle « les banlieues ».

Quand nos intégristes républicains invoquent de façon incantatoire (et pour exclure) les « valeurs de la République », ils en oublient une : celle qui implicitement déclare aux femmes : « Tais toi et sois belle ».

Voila ce que je reproche au mouvement « Ni putes ni soumises » : non pas certes d’avoir attiré l’attention sur des situations qui devaient absolument être combattues, mais d’avoir très vite joué un double jeu qui a fait rapidement récupérer ses leaders par la société dominante : d’un côté l’ostracisme envers les jeunes filles portant un foulard, interdites de combat féministe (alors que dans d’autres pays…), de l’autre l’absence de mise en cause du machisme ordinaire de la société dominante, des magazines féminins pseudo-féministes, du féminisme caviar, beaucoup plus caviar que féministe.

 

Je n’ai pas terminé ma petite revue de presse. La Presse Montréal du jeudi 28 septembre consacre un dossier de 4 pages intitulé « Out, les maigres ? », cela à partir d’une décision des « Semaines de la mode de Madrid » de « refuser les mannequins trop maigres ». Toujours indécrottablement  franco-centrique, je me suis particulièrement intéressé à l’article qui a pour titre: « L’initiative madrilène laisse Paris de glace ». Les créateurs parisiens, y est-il indiqué, « réclament avec insistance des gens extrêmement minces pour présenter leurs vêtements », affirmant qu’il s’agit d’un « choix esthétique ».

Ce que conteste une ancienne mannequin qui était tellement obsédée par sa taille qu’à « un certain stade de sa vie » elle souhaitait « développer un cancer pour « bénéficier » de l’effet amaigrissant d’une chimiothérapie » (là encore, vous avez bien lu). Pour elles, les créateurs « n’aiment pas les femmes. Ils préfèrent les femmes androgynes, sans forme. Une femme avec des fesses ou des seins, c’est presque répugnant pour eux » conclut-elle. Renoir, Rodin, réveillez-vous, ils sont devenus fous !

Et, de fait, hyper sexualisées dans beaucoup de pubs, les femmes sont « déféminisées » dans un grand nombre de photos de mode. Déféminisation qui fait dire (selon La Presse) à un psy (et nul besoin d’être psy pour le penser, mais la presse invoque souvent in fine l’autorité !) : « Il serait souhaitable que le milieu de la mode arrive à l’idée qu’il y a plusieurs formes de beauté et (qu’elle) propose un peu de diversité. »

La diversité, en mixité comme en laïcité, on en revient toujours là.

Cette diversité, elle s’est manifestée notamment dans la rencontre de l’UNESCO sur le « féminisme musulman ». Pris par mon travail, je n’ai pas pu assister à toutes les séances mais ce que j’ai entendu m’a fort intéressé. Et j’ai trouvé, une fois de plus, vraiment nulles les attaques outrancières de certaines féministes (pas toutes, loin de là, heureusement. Mais ce sont celles là qui font le plus de bruit)  qui deviennent de plus en plus d’un conformisme confondant. C’est toujours le raisonnement primaire : ce qui n’est pas totalement avec moi et comme moi est forcément un(e) ennemi(e). Et c’est l’approbation béate de l’antiféminisme ambiant par un silence radio étourdissant sur des faits comme ceux que je viens de dénoncer. Mais vous ne vous faites pas avoir : quand les actes de la rencontre de l’UNESCO seront publiés, prenez en connaissance et faites vous votre opinion vous-même. En sachant aussi qu’on peut ne pas être à 100% pour ou contre. C’est justement la plaie du système médiatique de vouloir nous enfermer dans des luttes camp contre camp. Une fois encore, la réalité est plus…diverse.

Bon, un dernier mot : le rapport Machelon : j’arrive du Canada où j’ai beaucoup travaillé et je ne l’ai pas encore lu. J’ai lu sur le blog de Sébastien Fath ses remarques critiques qui m’ont paru stimulantes. J’aimerais qu’il y ait un débat à plusieurs voix. Pour ma part, je me propose (dans une prochaine Note) de prendre le problème par le biais de la « reconnaissance » ou « non reconnaissance » des religions, expressions équivoques s’il en est et souvent invoquées aujourd’hui. Vous verrez qu’il y a plein de choses intéressantes à « ruminer » à ce propos ;

Allez, chao, c’est tout pour aujourd’hui.

Et n’oubliez pas le 5 octobre, de vous précipiter chez votre libraire favori…

PS : Merci aux différents commentaires ; à propos de celui de l’internaute qui signe : « fils d’évêque » et qui croit disqualifier ma Note sur Bayle en me traitant de « petit fils d’évangéliste », au lieu de commenter sur le fond, ma réponse est la suivante : si j’étais « petit fils d’évangéliste », cela ne prouverait rien, ni dans un sens ni dans l’autre. Il se trouve que ce n’est pas le cas et que mon grand père était président du Cercle de la libre pensée à Droux (Hte-Vienne)... Tu vois, pseudo fils d’évêque, ta manière de faire me rappelle un peu celle des antisémites qui traitaient Francis de Pressensé (le défenseur de Dreyfus) de « fils de pasteur » (ce qu’il était effectivement), en en faisant un propos disqualifiant, un quasi-injure (cf. l’ouvrage de Valentine Zuber et moi-même Une haine oubliée, Albin Michel, 2000). Sois plus rationnel, camarade…    



[1] Florence Rochefort et Laurence Klejman me pardonneront, j’espère, de parodier le titre de leur bel ouvrage qui porte sur le féminisme de la Troisième République. Effectivement, une marche a été effectuée, mais aujourd’hui, dans bien des domaines, c’est souvent au minimum du sur-place. Courage camarades, le combat continue !

[2] A. Steiger, La vie sexuelle des magazines. Comment la presse manipule notre libido et celle des ados,  Edit. Michalon, 2006

21/09/2006

TOLERANCE, LIBERTE, LAÏCITE

A PROPOS DE PIERRE BAYLE

Cette année est celle du troisième centenaire de la mort de Pierre Bayle (1647-1706). Qui était Bayle ? Un précurseur des Lumières dit-on, je dirai plutôt qu’il est avec John Locke le philosophe de l’émergence des Lumières et le premier théoricien d’une liberté de conscience pour tous. Vous allez pouvoir constater, avec le texte qui suit que parler de Bayle peut être un levier pour mettre en question les conformismes d’aujourd’hui et continuer à aborder le problème des évidences sociales (cf. la Note précédente).

Mais d’abord, quelques renseignements sur la vie et l’œuvre de Bayle.

Dans son ouvrage Dieu et Marianne (PUF), Henri Pena-Ruiz met des phrases de Bayle en exergue de deux de ses chapitres. Il a raison car Bayle, fait rare à l’époque, étendait la tolérance aux athées. Locke partageait encore l’idée (qui va rester dominante dans la philosophie des Lumières) que l’athée est un être asocial, dangereux pour la morale publique et ne peut donc être toléré. Dans la situation anglaise, où le pape avait excommunié le roi d’Angleterre et délié ses sujets de leur devoir d’obéissance, Locke refusait également la tolérance pour les catholiques. Il la refusait, non pas à cause de leur doctrine (contrairement à Rousseau qui était contre la tolérance des catholiques à cause de leur intolérance théologique), mais parce qu’ils ne pouvaient pas (selon lui) être de bons sujets vu le conflit de pouvoir entre le pape et le roi d’Angleterre.

Bayle, fils de pasteur, s’était converti au catholicisme en 1669, alors qu’il était élève du collège de jésuite de Toulouse. Mais il s’aperçu que, de son point de vue, il s’était trompait et redevint protestant 18 mois plus tard. Or, Louis XIV interdisait le retour au protestantisme. Considéré comme « relaps » Bayle va donc être passible de poursuites judiciaires. Il échappa à ces poursuites, d’abord en changeant l’orthographe de son nom (devenu Bêle), ensuite en se réfugiant en Hollande, à Rotterdam où il enseigna la philosophie et l’histoire. Il publia aussi le périodique  Les Nouvelles de la République des Lettres. Son histoire personnelle lui fit comprendre l’absurdité de la contrainte en matière de conscience.

Bayle écrivit plusieurs ouvrages qui le rendirent célèbre et fit qu’il fut très lu tout au long du XVIIIe siècle (Voltaire le cite souvent). Entre autres Pensées diverses sur la comète (qui, en attaquant la ‘superstition’ cherche à atteindre le catholicisme) en 1682, Ce que c’est que la France toute catholique sous le règne de Louis le grand et le Commentaire philosophique sur ces paroles de Jésus-Christ « contrains-les d’entrer » en 1686, peu après la révocation de l’Edit de Nantes, critique virulente du refus du pluralisme et de la liberté de conscience, plaidoyer pour les droits de la « conscience errante » (ces ouvrages entraînèrent, par représailles, l’arrestation et la mort de son frère Jacob), Dictionnaire historique et critique (1ère édition 1696, 2ème 1701) qui fut son œuvre la plus célèbre.

Les ouvrages de Bayle circulèrent clandestinement en France où ils étaient interdits. Ainsi la lecture du Dictionnaire ne fut autorisée qu’en 1720.

Bayle, exilé, se brouilla avec son ami le pasteur Jurieu et d’autres pasteurs du refuge huguenot car ces derniers espéraient que les adversaires de la France, les coalisés de la Ligue d’Augsbourg allaient vaincre Louis XIV et l’obliger à rétablir l’Edit de Nantes. Bayle jugeait cela complètement irréaliste, et  les écrits qui allaient dans ce sens dangereux  pour les néo-catholiques (= les protestants obligés d’être en apparence catholiques) restés en France. Jurieu appliquait les prophéties de l’Apocalypse à la situation de son époque et Bayle avait un raisonnement plus rationnel et critique.

Ce préambule était nécessaire pour comprendre le texte qui suit. En effet, il s’agit d’une intervention que j’ai faite à une table ronde publique d’un colloque sur Pierre Bayle, et qui a eu lieu les 15 et 16 septembre dernier et elle est forcément un peu allusive. Mais, grâce aux informations que je viens de vous donner, vous devriez facilement vous y retrouver.

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Avant d’envisager le rapport de Bayle à la laïcité, il est intéressant de l’inscrire dans la lignée des fils de pasteurs qui, dans les pays de culture protestante, ont joué un rôle historique important dans le processus de sécularisation. Juristes, médecins, éducateurs, intellectuels, ces fils de pasteurs (et peu à peu aussi des filles de pasteurs, à une période plus récente) se sont montrés des médiateurs entre un univers culturel religieux (et plus spécifiquement biblique) et les mutations culturelles de la société (par exemple : au XIXe siècle, le médecin Simpson, fils d’un pasteur méthodiste, inventeur de l’accouchement sans douleur, affirmant que la bonne traduction de la Genèse est : « tu accoucheras avec effort » et  faisant de Dieu, le 1er anesthésiste quand il endormit Adam).

Dans les pays de culture protestante, le rôle de ces enfants de pasteurs constitua une contribution décisive à la dominante du processus de sécularisation sur celui de la laïcisation. Dans le 1er cas, les changements sont dus avant tout à la dynamique sociale ; dans le second à un combat politique. Non que les pays où la sécularisation fut dominante soient des pays de consensus, tendanciellement, il exista des conflits internes (parfois durs) au champ religieux, ou internes au champ politique et civil mais, grâce aux différentes médiations, il n’existe pas  d’affrontement global entre la société religieuse et la société politique et civile. Le conflit entre Bayle et Jurieu et d’autres pasteurs est typique du conflit interne. Mais il se place en exil, aux marges de la société française et Bayle, en fait, a du subir et le conflit interne de la sécularisation et l’affrontement politico-social du refus de la laïcisation (« la France toute catholique »).

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Faute d’avoir su et pu changer par le processus réformateur de sécularisation, la France a donc connu, de façon dominante, la laïcisation avec des périodes d’effervescences révolutionnaires, et d’autres de retour conservateur. Le résultat est non seulement une coupure plus importante entre la culture religieuse et la culture globale, une situation plus marginale des institutions religieuses, mais aussi (et peut-être surtout) un transfert aveugle de religieux dans la culture globale, et spécialement une sacralisation d’institutions séculières, d’institutions de socialisation comme la médecine ou l’école. Il n’est pas étonnant dés lors, qu’à l’époque de la modernité tardive où la sacralisation et la sanctuarisation de l’école et la médecine ne peuvent plus fonctionner, la France a (ou croit avoir) des « problèmes de laïcité » dans ces (et « ses ») institutions.

 

Or la pensée de Bayle peut servir d’analyseur pour décrypter des éléments de la crise actuelle de la laïcité et trouver des pistes qui permettraient de sortir des ornières dans les quelles elle se perd.

 

En premier lieu, en restant sur le plan des institutions séculières, rappelons que chez Bayle il n’existe aucun sens de l’histoire, celle-ci est « un véritable jeu de bascule ; tour à tour on y monte et on y descend ». Voila qui contraste avec la pensée d’un Condorcet  où les progrès déjà historiquement accompli apparaissent comme des gages des progrès futurs, d’une « perfectibilité indéfinie » de l’espèce humaine. La sacralisation, la sanctuarisation des institutions a été liée à cette croyance dans le progrès, dans la conjonction des différents progrès, où (comme l’affirmait Victor Hugo) en ouvrant une école on fermait une prison et où la prolongation de l’espérance (le terme est significatif) de vie remplaçait socialement l’espérance de l’au delà. Comme la cigale de la fable, les institutions scolaire et médicale en France se trouvèrent fort dépourvues, quand la désillusion fut venue. Elles le sont toujours.

 

En second lieu, la vision de Bayle d’une histoire en zigzags s’accompagne du refus de l’absolutisation de l’éthique, du refus d’une posture où l’on croirait pouvoir se situer dans la pure éthique de conviction, faisant fi de l’éthique de responsabilité. « Telle est la condition du genre humain, affirme Bayle, qu’il n’y a pas a choisir entre le bien et le mal mais entre le mal et le pire ». Aujourd’hui pullulent de petits chevaliers du bien, qui, en dépit de leur faible capacité d’analyse, prospèrent dans la société caviar, en se situant dans la pure dénonciation de la « tentation obscurantiste », du « tir croisé » des intégrismes, et il suffit d’être seulement un croyant orthodoxe pour se trouver ainsi diabolises.

Ces idéologues ignorent l’avertissement de Pascal : « qui veut faire l’ange fait la bête » et émettent des prophéties auto réalisatrices où ils contribuent à faire advenir ce qu’ils prétendent dénoncer.

En même temps, ils profèrent un double discours constant, car ils ne dénoncent que le mal qui se situe dans les marges de la société, ou dans des tentatives plus ou moins extrêmes de contre société. Mais le mal, le pire qui gît au cœur du social ne les dérangent guère. Prendre une distance critique serait socialement bien trop coûteux.

La position de Bayle est exactement l’inverse ; il en a payé le prix et par l’exil et par l’inconfort intellectuel de la solitude au sein même de cet exil. Il affirme que « l’énorme bigarrure de sectes défigurant la religion qu’on prétend qui naît de la tolérance » est « un moindre mal ». Il inclut, contrairement à Locke, les athées dans la tolérance. Or, il faut tenter d’imaginer à quel point, à l’époque, l’athée pouvait être épistémologiquement considéré comme un être asocial et dangereux.

Bayle peut renverser l’argument affirmant que la tolérance est un signe de faiblesse car il ne se situe nullement dans le combat manichéen (et forcément hypocrite, multipliant des impensés boomerang) du bien contre le mal mais dans le réalisme éthiquela tolérance du mal, peut permettre d’éviter le pire. Le pire, c’est « Ce qu’est la France toute catholique sous le règne de Louis le Grand », persuadé d’avoir regagné les territoires perdus de la monarchie et conjurer la menace hérétique (l’hérétique étant, hier, le nom de ‘l’intégriste’ ou sois disant tel), le pire, ce sont les bons chrétiens qui appliquent le « contrains les d’entrer » à la manière de Saint Augustin, en toute bonne conscience puisqu’ils partagent les valeurs dominantes du temps. Le pire gît donc au cœur de la légitimité politique, sociale, religieuse. Le pire c’est ce qu’occulte le combat du ‘bien’ contre le ‘mal’,  aujourd’hui comme du temps de Bayle.

 

Certes, aujourd’hui le pire n’est plus la persécution ; le pire c’est la manipulation publicitaire, journellement assénée partout, pour vous obliger à croire que l’accomplissement de l’être humain se trouve dans la consommation, le pire ce sont les pseudo humoristes, comme le sinistre Guy Carlier, qui sévit sur France-Inter, débitant chaque matin des stéréotypes de débile. Le pire c’est le rien érigé en modèle de société, quitte ensuite, comble de bêtise, à s’étonner des durcissements identitaires.

 

En troisième lieu, la posture de Bayle ne le conduit nullement à prôner le relativisme : « faire preuve de tolérance ne revient pas à juger équivalents tous les systèmes de valeurs, commente Hubert Bost, c’est admettre que quelqu’un ne change pas d’idée s’il est persuadé de la vérité de ce qu’il croit. » Bayle défend les droits de la « conscience errante ».

La théologie glosait sur « l’errance » plus que sur les droits de la conscience. La loi de 1905 a proclamé, elle, la « liberté de conscience », sans garder l’adjectif « errante ». Cela devrait signifier qu’il n’y a pas de vérité d’Etat et, certes, c’est cela la laïcité. Mais le risque est grand de croire alors que nulle vérité n’existe. Qu’il n’y a donc pas d’errance, de cheminement possible à ses risques et périls, puisqu’il n’y a nul espace-temps ou rechercher la vérité. Tout un chacun doit donc emprunter les autoroutes bien balisées de l’information, et du conformisme social qui y circule à haute dose.

Significativement, l’expression de « conscience errante » ne fut guère comprise du temps même de Bayle, pas vraiment reprise par les Lumières et ne fut jamais  socialement utilisée. Elle est incompréhensible pour un média de masse qui ne connaît que les opinions. Ce n’est pas Bayle mais notre société qui se montre totalement relativiste dans son cercle de légitimité sociale, quitte à être d’autant plus dogmatique et sectaire envers sa périphérie.

La quête de la vérité appartient à la grandeur de l’être humain, alors même que (dit Bayle) l’on peut « embrouiller les vérités les plus capitales ». Aussi bien Bayle ne construit pas un système, une pensée qui pourrait localiser et englober une vérité sagement immobile, il est dans la « pluralité des grilles interprétatives », il avance « certains arguments que l’on croit alors définitifs », pour les « combattre aussi librement ensuite ». Son anthropologie est « existentiellement éclatée » voire « écartelée », nous dit encore Hubert Bost. A mon sens, il s’agit moins d’un écartèlement, que de la nécessité de se déplacer mentalement, d’être intellectuellement mobile, de changer plusieurs fois d’angles de vue puisque, Husserl nous le rappelle, d’aucun angle on ne peut voir un cube dans sa totalité, surtout si ce cube se déplace. La vérité est métaphoriquement un cube mobile : il faudrait un Calder pour la symboliser.

 

Là encore, nous sommes renvoyé à une laïcité laïque et non sacralisée. Celle que Ferdinand Buisson (l’ex adjoint de Jules Ferry) défendait, en 1903, contre les partisans du monopole de l’enseignement laïque. La laïcité, affirmait-il, implique que l’être humain  puisse « penser par lui-même », n’accorder « ni foi ni obéissance à personne », puisse finalement « chercher la vérité et non pas la recevoir toute faite d’un maître ». On entend tout de suite la réplique des religieux de la laïcité : Mais seule l’école laïque réalise cela, elle est le lieu où « le maître apprend aux élèves à se passer de maître ».

Le maître qui apprend à se passer de maître ! Que de fois cette phrase a été ressassée, ramassée dans une poubelle de la non-pensée pour être jeter en pâture à des humains formatés en clones.  Or ce qu’énonce Buisson est que même le meilleur maître n’éveille pas à la liberté s’il n’inclut pas son contraire. Ainsi l’école laïque devait supporter l’école catholique, qu’elle considérait alors comme dogmatique et obscurantiste, pour être réellement l’école de la liberté. Buisson se montre là très proche de Bayle.

 

En effet, quatrième point, tant qu’on refuse l’errance au risque de se perdre, la liberté sera fort limitée par tout un ensemble d’évidences sociales. Le débat ne s’effectue pas dans le vide. Il est préconstruit. A l’époque, on qualifiait ce soubassement de « consentement des peuples ». Bayle se méfie d’une tel consensus aussi bien théologiquement (on évacue ainsi, selon lui, le péché originel que l’on affirme croire par ailleurs) que scientifiquement  (le système de Copernic, rappelle t-il, était contraire à « l’opinion générale »). Bayle met en question ce conformisme mimétique. L’universalité d’un propos, son évidence sociale ne constitue en rien une preuve de sa véracité.

Cela le conduit à adopter des points de vues très novateurs comme celui d’affirmer (contrairement à ce que sera la pensée dominante des Lumières) qu’un athée peut être moral, propos alors à la limite du blasphème et qu’il est pratiquement seul à dire. Mais il a le courage de penser que la vérité est le plus souvent minoritaire.

Pourtant, malgré ses positions d’avant-garde, quand les protestants du XIXe siècle, réintégrant la société française, ont voulu démontrer (parfois laborieusement) qu’ils avaient été parmi les précurseurs de la liberté de conscience et de la démocratie,  ils ne se sont nullement référés à Bayle.

Pourquoi ? Sans doute, en bonne part, parce que sa défense de la monarchie absolue apparaissait gênante. Bayle n’est là nullement original et reprend à sa manière une idée reçue de l’époque. Mais, fidèle à la méthode de Bayle, il est possible de défendre les évidences sociales après les avoir fortement critiquées. On vit en se servant d’elles comme points d’appui, car il est impossible d’exister à tout moment dans une contestation tous azimuts. La vie quotidienne, le vivre-ensemble serait impossible sans pensées et comportements routiniers. Toute relation avec autrui comporte de l’acquis, du commun stéréotypé.

La vision de l’absolutisme de Bayle constitue son point de contact avec les idées reçues de son époque[1]. Elle lui permet de ne pas s’enfermer -comme Jurieu- dans la pure utopie et doit, à mon sens, être interprétée, en cohérence interne avec le reste de ses dires, comme étant le mal qui prévient le pire : un pouvoir fort seul peut empêcher un cléricalisme persécuteur. Mais ce pouvoir fort est également, chez Bayle, un gouvernement dont action ne concerne que le temporel, ce qui (implicitement) constitue une façon de la limiter. Cependant, dans son ordre propre, il a le droit d’exiger, hier le loyalisme, aujourd’hui le civisme, et de punir crimes et délits. Ces actions punissables, Locke le dira plus explicitement encore, ne peuvent être au bénéfice de la liberté de conscience. C’est la même limite qui permet aujourd’hui de réclamer la liberté pour les mouvements religieux qui apparaissent bizarres ou crédules sans admettre pour autant les atteintes à un ordre publique démocratique.

 

En fait, pour revenir au XVIIe siècle, il s’avérait impossible de revendiquer la liberté pour la conscience errante, d’affirmer que les croyances des huguenots ne comportent aucun danger pour une monarchie qui renonce à régenter les consciences et de se déclarer antimonarchique. Si la pure utopie constitue, elle aussi,  du pire à éviter, la raison en est simple : son radicalisme unilatéral en fait une menace virtuelle, exact négatif de  la répression conservatrice qu’elle conteste, car elle ne pourrait se réaliser que par un bouleversement total d’une violence extrême. La position de Jurieu se situe dans le mimétisme des violences, alors que celle de Bayle cherche à rompre avec cet engrenage liberticide. Son réalisme est, paradoxalement, un part importante de sa radicalité. Et sa défense de la monarchie absolue, étant donné le contexte français d’alors, la condition même pour pouvoir penser véritablement la liberté de conscience.

 

En définitive, Bayle nous invite à nous distancer de toute pensée globale, totalisante car une telle forme de pensée non seulement ne chemine pas, est sans risque d’errance, mais elle n’est même pas une production de la conscience. Tout au plus une intériorisation fadasse d’un univers mental prêt à penser. Là ce ne sont pas seulement les extrémismes politiques et religieux qui se trouvent en cause, c’est aussi et surtout, la douceur totalitaire de l’extrême centre.

 

PS : On annonce ce matin la très prochaine publication du rapport Machelon. Naturellement, ce blog sera l’occasion d’en parler à partir du problème de la « reconnaissance ». Mais je voudrais le lire avant, et non pas me fier à quelques extraits que vont en donner les medias.

 



[1] C’est la méthode qu’il adopte dans son Dictionnaire où les notices elles-mêmes ont un contenu classique, convenu, alors que les notes (qui sont beaucoup plus longues que ce texte lui-même) pétillent de mises en doute, de contestations souvent radicales.

14/09/2006

REGARD CRITIQUE SUR LA SOCIETE ?

Les internautes habitués de ce blog peuvent le constater : le blog a été « relooké ».

Nouvelle mise en page, et nouveau sous-titre. Certes, je suis toujours « titulaire de la seule chaire en France consacrée à la laïcité » (comme l’indiquait le sous titre précédent), mais (ainsi que je l’ai annoncé dans la Note du 30 août), l’année du centenaire de la séparation s’éloignant, le blog doit se montrer en mouvement pour être toujours intéressant. Il y sera toujours question de laïcité, mais le lien entre laïcité et regard critique sur la société sera plus explicite.

Quelques mots sur ce nouveau sous titre : que signifie « regard critique sur la société » ? Je vais le préciser en prenant un contre-exemple . Certains internautes écoutent le matin France-Inter et j’ai déjà fait allusion à cette chaîne de radio. Il y a, dans la tranche du 7-9, un nouveau rédacteur  fort sympathique (Nicolas Demorand). Mais, je ne sais si vous êtes comme moi, je suis horripilé par la chronique de Guy Carlier. Cela se veut une sorte de propos critique  et humoristique sur la société, de chronique non-conformiste, impertinente. En fait c’est du persiflage pire que vide (les internautes vivant ailleurs qu'en France trouveront facilement des équivalents dans leur propore pays).

Le propos de Carlier revient à ressortir tous les stéréotypes caricaturaux sur les uns et les autres,  à démolir tout le monde, à prétendre implicitement donc que tout le monde est nul (sauf, bien sûr, l’humoriste qui, ne disant jamais rien de positif, ne faisant aucune proposition de sens, est lui à l’abri de toute critique).

C’est pire que du rien, puis que le rien au moins n’occupe ni le temps ni l’espace. Et bien sûr, j’ai pris un contre-exemple qu’il est possible de généraliser. Voyez ce que sont devenus les « Guignols de l’info » de Canal+, regardez ou écoutez les émissions dites d’humour … des medias de masse, c’est en général la même chose. On vous sert de la critique stéréotypé et vide, on vous débite du rien à haute dose. Parfois, au milieu du n’importe quoi arrive une sortie bien sentie, mais vraiment c’est fort rare. Et l’on s’indigne ensuite que les gens aient soif de certitudes, on fustige doctement « tous les intégrismes », alors même que le trop vide induit forcément du trop plein.

Je ne voudrais pas verser dans trop de nostalgie, mais Brassens, Brel ou Raymond Devos, c’était quand même tout autre chose. La preuve, ils existent toujours comme références, on les voient et écoutent encore volontiers, alors que les inepties des pseudo humoristes actuels, c’est du vite usé, vite jeté. Pourquoi ? Parce que chez Brassens, Brel, Devos existait une véritable critique de la société, un véritable regard. Et le propos critique en même temps était source d’enrichissement, de plaisir, voire parfois de bonheur. Virtuellement, une autre société, d’autres rapports sociaux plus humains, un véritable art de vivre se trouvaient présent. Bref, il s’agissait d’artistes…

Je ne prétends en rien être un artiste, mais je pense qu’il est urgent de restaurer une fonction critique qui ne soit pas dans le rien. Trouver un regard qui prend quelque distance avec les stéréotypes, avec les propos mille fois ressassés et qui font le succès de leurs auteurs parce que, sous couverts de critique de l’extrémisme, de refus d’une « tentation obscurantiste », ils collaborent avec l’idéologie dominante partagée par la droite comme par la gauche caviar (on ne parle jamais de la droite caviar, sans doute parce que l’association est naturelle ! mais la droite caviar, ce n’est pas mieux que la gauche caviar !!). Avec maintenant d’ailleurs un féminisme caviar qui vient donner une super bonne conscience à peu de frais intellectuel, c'est-à-dire en dispensant de faire preuve d’intelligence.

Beaucoup de celles et ceux qui avaient peut-être commencé par une démarche contestataire s’y laissent prendre. C’est tellement agréable d’être récupéré, applaudi par les « gens biens », les personnes installées dans la société et qui disposent de pouvoir politique ou médiatique.

Dans la conjoncture d’aujourd’hui, il suffit en effet d’avoir un peu de style, de faire régulièrement sa petite crotte médiatique, et, hop, on est très vite encensé par celles et ceux qui veulent insidieusement nous persuader que l’on vit dans la meilleure société possible, qui y arrivent très facilement même si les pseudos humoristes viennent de faire rire par des propos qui signifie que l’on vit entouré de nuls (voire de « pourris »).

Par un tour de passe passe, la démolition par le vide permet de réenchanter illico presto tout ce que l’on a prétendu complètement nul. Puisque c’était du rien, du vide, juste pour ricaner un peu, cette pseudo démolition n’a pas  (en fait) tiré à conséquence. Redevenu (en apparence) sérieux, il suffit de prononcer, très sentencieusement, quelques expressions toutes faites qui traînent dans toutes les poubelles de la non pensée, style (pour ce qui concerne la laïcité) « communautarisme anglo-saxon », « intégrisme religieux », « laïcité avec adjectif » (sans jamais vraiment argumenter) pour que ce qui était nul deux secondes auparavant, devienne inattaquable, prenne la figure du bien combattant le mal. On se moque de Bush, et pourtant l’on fait exactement pareil, en invoquant de façon incantatoire et sacrale les « valeurs de la République », comme lui invoque « Dieu ». Ces « valeurs » et ce « Dieu » sont là des expressions et mots feuilles de vigne de réalité que l’on veut rejeter dans l’impensé.

Je ne suis pas Brassens, Brel ou Devos, mais je voudrais apprendre d’eux à savoir être à la fois ludique et sérieux, à attaquer ce qui domine véritablement nos sociétés modernes, c'est-à-dire non pas les extrémismes (certes détestables) mais l’extrême centre, la douceur totalitaire qui instaure un conformisme mimétique où vous devez suivre les modes, des habits que vous portez à votre  pensée et à vos comportements.

Paradoxalement peut-être, une critique radicale ne déclare jamais : « c’est nul ». Elle doit comprendre ce qu’elle critique, afin de le critiquer de manière à la fois plus véridique et plus efficace.

Mais attention, comprendre comporte aussi le risque de trouver tellement de circonstances atténuantes, que finalement on accepte. On accepte d’autant plus quand on ne voit pas comment échapper à l’emprise de ce que l’on voudrait récuser. Ainsi, l’emprise de la publicité est globalement beaucoup plus forte que celle des « sectes ». Si l’on fait 2 poids, 2 mesures, c’est parce qu’il est facile de combattre les sectes, il l’est beaucoup moins d’échapper, si peu que ce soit, à l’emprise de la publicité.

Alors, on a tendance à se bercer d’illusion, à croire que cette emprise n’a rien de totalitaire, qu’on est si intelligent qu’on sait y échapper,… D’ailleurs, qu’il ne s’agit même pas d’une emprise. Bref, on est prêt à croire tout ce qui va rassurer, permettre de ne pas être lucide. C’est pourquoi une véritable critique doit comprendre le pourquoi de ce qui existe,  mais aussi parfois cogner fort sur ce qui s’impose de façon trop évidente, proposer quelques pistes pour s’en sortir.

Aujourd’hui j’ai cogné (un peu). Ma prochaine Note, qui poursuivra la réflexions sur les « idées reçues » cherchera à la fois à comprendre pourquoi elles ont un tel impact (pourquoi tout ce que je viens d’indiquer fonctionne), et à faire deux propositions pour pouvoir concrètement prendre de la distance avec ces idées reçues, ne pas vivre complètement dominées par elles.

En attendant, un peu d’humour quand même, un scoop, en première mondiale, avant que Paris-Match ou Gala ne s’en emparent. Une photographie commentée qui révèle tout.

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Le professeur Baubérot est très fier d’avoir donné des cours et des conférences sur la laïcité dans 30 pays des 5 continents (dont dans certains pays : Japon, Canada, Etats-Unis, Russie, Mexique,… a moult reprises). Il frime à mort. Mais ce qu’il ne nous cache soigneusement, et que PROUVE cette photographie, c’est que, dans ses voyages, il exige d’avoir l’avion pour lui tout seul. Halte au professorat caviar !

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07/09/2006

CE QU'IMPLIQUE LA LAÏCITE

Quelques propositions de clarification

Sur ce qu’implique ou n’implique pas la laïcité

1)      Ne pas confondre « religion civile » et laïcité,  « tolérance doctrinale » et « tolérance civile ».

2)      Ne pas confondre sphère institutionnelle et sphère publique, vie sociale

3)      Ne pas confondre le civil et le religieux dans les institutions

4)      Sortir de l’alternative « individualisme abstrait » - « communautarisme »

5)      Etre dans la dialectique règles communes – valeurs partagées

6)      Inclure l’aire arabo-musulmane dans notre vision de« l’Occident ».

 

Ne pas confondre « religion civile » et laïcité,  « tolérance doctrinale » et « tolérance civile ».  

Les sociologues (Bellah, Coleman, etc) ont défini la religion civile comme un ensemble de croyances, symboles et rites relatifs aux choses sacrées,  institutionnalisés au sein d’une société  et qui dérobent au débat les fondements ultimes de l’ordre social. L’un d’entre eux, Willaime, insiste sur la conjugaison, dans la religion civile, d’une dimension de religion civique, de « dévotion à l’unité du corps social » et de religion commune, « ensemble diffus des croyances, représentations et évaluations qui définit l’univers philosophico-religieux et éthique d’une population ». On sait que cette notion de « religion civile » provient de Jean-Jacques Rousseau (fin du Contrat social) qui insiste sur la « nécessité pour l’Etat » que « chaque citoyen ait une religion qui lui fasse aimer ses devoirs » et indique que les « dogmes » de la religion civile se rapportent à la morale sociale. Pour Rousseau, il existe un lien entre l’intolérance doctrinale (c'est-à-dire la croyance que sa religion est la seule vraie, seule apporte le salut et donc l’attachement aux dogmes et prescriptions de cette religion) et l’intolérance civile c'est-à-dire le non respect de l’autre et de ses convictions propres. D’où cette phrase qui porte en germe le conflit politico-religieux qui va exister lors de la Révolution française : « quiconque ose dire : hors de l’Eglise pas de salut doit être chassé de l’Etat. » Au contraire, la laïcité telle qu’elle s’est réalisée en France (par exemple) avec la loi de séparation de 1905, postule, contrairement à Rousseau, qu’ « il n’est pas impossible de vivre en paix avec des gens que l’on croit damnés » ; elle renonce (par l’article 4, notamment) à favoriser un « catholicisme républicain » et « respecte » (terme utilisés à de nombreuses reprises dans les débats) l’Eglise catholique telle qu’elle était alors dans ses dogmes (d’avant Vatican II) et son organisation (que catholiques et républicains considéraient comme « monarchique »)[1]. On n’évite pas la ‘tentation’ de la religion civile quant on demande aux religions de s’acclimater aux valeurs dominantes d’une société donnée, à un moment donné de son histoire. Mais alors, on s’éloigne alors de la laïcité qui implique une séparation et une autonomie réciproques. Un exemple permettra de concrétiser cela : une religion a parfaitement le droit de dire que l’avortement est un « meurtre » et l’homosexualité un « péché » (non tolérance doctrinale). Elle n’a pas le droit, par contre, d’inciter ses membres à aller troubler les cliniques où se pratiquent des interruptions volontaires de grossesse et de tenir des propos homophobes (tolérance civile). Seule cette tolérance civile, gage de la liberté de chacun et du vivre-ensemble pacifique de tous, est imposée socialement par la laïcité.

Ne pas confondre sphère institutionnelle et sphère publique, vie sociale.

On dit que la laïcité réduit la religion à la sphère privée. C’est un peu plus compliqué ! Historiquement, il est exact que la construction de la laïcité s’est inscrite dans la distinction opérée par des penseurs comme John Locke entre sphère publique, neutre à l’égard des croyances et sphère privée où chacun devait être libre en matière de croyance. Locke est le penseur du « gouvernement limité » contre tout absolutisme d’Etat (monarchie absolue, république absolue,…) et l’idée de sphère privée libre signifiait donc la fin d’un système où l’Etat imposait une religion à ses citoyens.

Depuis lors, la situation a changé et (par exemple) la notion de « société civile » complète celle d’Etat et d’individu. Les obligations imposées par l’Etat ne se confondent plus avec la sphère publique. Il s’agit d’obligations juridiques (respect des lois), administratives, et souvent scolaires (obligations de l’instruction), médicales (aspects obligatoire de certaines vaccinations, etc),… Cet ensemble peut-être qualifié de sphère institutionnelle. La laïcité signifie que la religion n’est pas imposée par l’Etat (ou ne s’impose pas à l’Etat) et ne se situe pas dans son prolongement institutionnel. Par contre, les religions peuvent participer à la vie publique, et au niveau de leurs déclarations et au niveau de leur action (notamment caritative et sociale), à condition que ces déclarations et actions s’effectuent de façon respectueuse de la liberté de chacun (différence nécessaire entre l’action caritative et l’action de conversion, par exemple). La laïcité ne rejette donc pas les religions hors de la vie publique.

Ne pas confondre le civil et le religieux dans les institutions ; Cela signifie-t-il, alors, la neutralisation de la religion dans les institutions ? La encore, le simplisme ne doit pas amener une réponse univoque. Une neutralisation est nécessaire à l’égard de tout prosélytisme : les prétoires, les lieux administratifs, les écoles, les hôpitaux ne sont pas les endroits où les diverses religions vont avoir une action prosélytes. Il y a bien « neutralisation » de la sphère institutionnelle en ce sens là. Par impératif d’ « ordre public », de « paix civile » Mais quand Jules Ferry a laïcisé l’école publique en France, il a exigé qu’elle s’arrête un jour par semaine, outre le dimanche, pour faciliter la tenue du catéchisme. Cela signifie que les institutions doivent tenir compte les impératifs de la liberté de conscience. Les institutions ne sont donc pas neutres par rapport à la liberté de conscience qu’elles doivent garantir  A ce niveau, elles tiennent comptent, dans une certaine mesure, de ce qu’implique la liberté religieuse. En fait, comme les institutions constituent ; un lieu de contact entre l’Etat-nation (avec les contraintes du vivre ensemble) et de l’individu (avec le droit à la liberté) ; elles constitue un espace où doivent s’élaborer des solutions qui tiennent compte et du vivre-ensemble et de la liberté de chacun.[2] C’est pourquoi les institutions qui, sans même y réfléchir, tiennent comptent des croyances majoritaires (cf. le calendrier scolaire et social en France et les fêtes catholiques) ne peuvent ni ne doivent être dans la logique du tout ou rien par rapport aux croyances minoritaires. Le « tout » ne tiendrait compte que de la liberté de chacun ; le « rien » que des exigences du vivre ensemble. Il faut arriver à conjuguer les deux parce que les Québécois appellent des « accommodements raisonnables ».

Sortir de l’alternative : « individualisme abstrait » ou « communautarisme ».

La laïcité est souvent confondue avec l’individualisme abstrait, qui relève plutôt, en fait, de la « religion civile » républicaine française. On fustige alors tout ce qui ne se situe pas dans la perspective de cet individualisme abstrait en parlant de « communautarisme ». En fait, on peut distinguer 4 cas de figure type.

          individualisme abstrait : on ne tient pas compte des appartenances culturelles, religieuses qui sont libres dans la sphère privée mais doivent être neutralisées dans la sphère publique où la seule appartenance « légitime » est l’appartenance citoyenne, qui relève du politique. On serait dans le face-à-face entre des individus « libres et égaux » et l’Etat-nation, les « groupements intermédiaires » se trouvant dévalorisés.

          individualisme concret: l’appartenance collective est possible dans la sphère publique comme un prolongement de la liberté individuelle : en France, c’est l’esprit de la loi de 1901 sur les associations. On sait que la France possède un très riche tissu associatif.

          pluralisme : l’appartenance collective (culturelle, religieuse) est une dimension de la liberté individuelle et pas seulement son prolongement possible. La liberté de l’individu est mutilée sans cette dimension d’appartenance culturelle ou religieuse (à une ou des communautés autres que politiques). Le collectif est, là, pris en compte comme un enrichissement de l’individu (et inversement, quand il y a cette prise en compte, cela signifie qu’au moins implicitement, on considère que le collectif est une dimension de l’individu). L’article 4 de la loi de séparation française de 1905 se situe dans cette optique

        communautarisme : l’individu est englobé par une appartenance culturelle ou

religieuse (mais aussi de genre, d’orientation sexuelle,…). Celle-ci le définit socialement de façon dominante. Cela peut (mais pas nécessairement) se concrétiser par une différence de régime juridique avec les autres citoyens et avec une législation qui traduirait juridiquement cet englobement. Dans tous les cas, l’englobement induit une clôture. Il faut ne pas oublier, quand on parle de communautarisme, trois choses. D’abord, ne pas confondre « communautés » et « communautarisme ». Ensuite, ne pas être sourd aux critiques faites à l’approche libérale de l’individu (par exemple, celle d’un philosophe comme Charles Taylor). Enfin savoir que c’est souvent le regard de l’autre (individu ou collectivité) qui « communautarise ».

La laïcité s’accorde avec l’individualisme concret comme avec le pluralisme. C’est ce dernier cas de figure qui me semble le mieux s’accorder avec la situation actuelle liée à la globalisation.

 

Etre dans la dialectique règles communes – valeurs partagées

Un colloque qui va se tenir bientôt met en avant la notion de « valeurs partagées » : ce sont de valeurs auxquelles tout le monde se rattache sans forcément les interpréter et les exprimer de la même façon, dans les deux rives de la Méditerranée. notamment Et ces valeurs partagées sont distinguées des « valeurs communes » qui s’imposeraient à tous.

Pour ma part, je radicaliserai le propos de deux manières. D’abord, en indiquant que le débat interprétatif sur les valeurs existe à l’intérieur même de toute société. Il est lié à l’exercice même de la démocratie. S’il existe des dominantes suivant les lieux et les époques, il n’y a jamais unanimisme, comme le montrent les études sociologiques et  historiques. Par exemple, il y a des différences d’interprétation sur la notion de liberté, avec des dominantes aux Etats-Unis et en France, mais aussi (quand on écoute bien) des tonalités différentes au sein même de ces deux pays. En conséquences, pour moi, il n’existe socialement que des « valeurs partagées » et non pas des valeurs communes qui s’imposeraient à tous avec une signification évidente et temporellement immobile. Le débat interprétatif est, d’ailleurs, lié à la liberté de chacun et à ses caractéristiques propres.

En revanche, les exigences du vivre-ensemble font qu’on ne peut en rester au débat interprétatif qui est sans fin. Il faut bien des règles du jeu social (comme il y en a du jeu sportif !) Au niveau national et, maintenant, international, existe nécessairement des règles communes. Ces règles s’imposent, tant qu’elles n’ont pas été changées, même si elles ne correspondent pas à la position personnelle de tel ou tel individu où au point de vue spécifique de telle ou telle nation. Implicitement, il existe d’ailleurs des règles communes dans toute collectivité (et cela commence par le couple et la famille !).

Inversement, je suis contre le fait de dire qu’il n’existe que des règles communes, car ces règles ne tiennent pas en l’air, elles renvoient à des valeurs. Ainsi le Préambule de la Constitution française se réfère à un certain nombre de valeurs que l’on peut qualifier de « valeurs partagées », mais implicitement objet de débat et sur leur interprétation et sur ce qu’elles impliquent pour être concrétisées comme règles communes.

 

Inclure l’aire arabo-musulmane dans notre vision de l’ « Occident ». Je terminerai par une proposition précise, issue d’une discussion que j’ai eue avec un collègue japonais. Ce dernier m’a dit, à la fin d’un débat sur ces questions : « Finalement, vous n’arriverez pas à résoudre vos problèmes de laïcité tant que vous mettrez les pays arabes et l’islam dans l’Orientalisme. Le jour où vous considèrerez qu’ils font partie de l’Occident, vous aurez la moitié de la solution ».

J’ai trouvé ce propos plein de justesse. C’est à une révolution mentale qu’il appelle pour nous tous (anciens Français –« Gaulois »- comme Français plus récents) que j’aimerais que ce blog contribue, .à son modeste niveau.

 

PS: Comme d'habitude je tenterai de répondre en bloc aux remarque des internautes dans une prochaine Note. Merci de votre patience!



[1] Je résume ici à l’extrême un des thèmes importants de mon prochain ouvrage L’intégrisme républicain contre la laïcité, édit de l’Aube (diffusion : Seuil), à paraître le 05 octobre. L’intégrisme républicain contre la laïcité, édit de l’Aube (diffusion : Seuil), à paraître le 05 octobre. (on retrouvera aussi, dans cet ouvrage, des développement qui recoupent les autres propositions).

[2] C’est ce que faisait, en France, le Conseil d’Etat entre 1989 et 2004 : les signes religieux étaient admis tant qu’ils ne s’accompagnaient pas de manifestations de prosélytisme et ne troublaient pas le fonctionnement de l’institution scolaire.