30/09/2006
"PUTES ET SOUMISES"
L’antiféminisme ordinaire des médias.
Le Monde du mercredi 27 septembre est plein d’enseignements. D’abord on nous apprend (page 15) que « moins de 10% des administrateurs et des membres des comités exécutifs des 300 plus grandes capitalisations boursières mondiales sont des femmes » (dans la France laïque et républicaine, qui comme chacun sait, est à la tête de l’émancipation des femmes de l’emprise « intégriste », le pourcentage est de 4,7%, ce qui est en gros deux fois moins que la moyenne !), information intéressante. Tournons la page et, autre info : « La presse parle trop peu des femmes ». Il s’agit de la presse française et l’étude a été faite par l’Association des femmes journalistes (AFJ).
Il y a 6 ans, une enquête semblable montrait que le pourcentage de citations de femmes dans les colonnes de la presse écrite en France était de 18% (et donc 82% des humains cités étaient des hommes). Il fallait absolument faire quelque chose pour obtenir plus d’égalité entre les genres. Idée lumineuse, l’Etat a promu l’égalité homme-femme, grâce à la loi du 15 mars 2004. Moyennant quoi, le pourcentage de citations de femmes est aujourd’hui de 17%. Bien joué ! A ce rythme, les femmes ont quand même un bon siècle devant elles avant de ne plus être citées du tout. De quoi se plaignent-elles, je vous le demande !
Surtout que, le quantitatif n’est pas tout (comme me le disait ma grand-mère) et la galanterie bien française fait qu’on ne va pas citer les propos d’une femme de la même manière que ceux d’un homme. Non mais, pour qui prenez vous la patrie des droits de…l’homme, illuminée depuis près de 3 siècles par de rayonnantes Lumières.
Voyons alors le qualitatif, il est encore plus édifiant sur l’égalité en marche[1]… arrière. Voila ce qu’indique l’étude de l’AFJ : « Il ressort qu’une femme sur six est anonyme alors que seul un homme sur trente trois l’est. Une fois sur cinq, elle est présentée avec un lien familial (mari, parents, enfants…), ce qui n’est le cas que d’un homme sur seize, et une femme sur cinq est citée sans sa profession contre un homme sur vingt. »
Anonyme ; épouse, fille ou mère ; vie professionnelle non mise en avant : on se demande si on a bien lu ! Non seulement les paroles des femmes sont fort peu citées (c’est dans la rubrique « politique » qu’elles le sont le moins, et dans la rubrique « célébrités » qu’elles le sont le plus : quand elle n’est pas épouse et mère, une femme ça doit faire rêver, non ?) mais l’archétype de la femme soumise fonctionne bel et bien dans la presse française qui pourtant, au niveau de son contenu explicite, fait semblant de considérer l’égalité homme-femme comme une valeur fondamentale. Elle fait plus que faire semblant, d’ailleurs : elle croit sincèrement et en toute bonne conscience être pour l’égalité des sexes. C’est précisément cela le cléricalisme : quand on a du pouvoir et que l’on en abuse sans même s’en rendre compte.
Et le pire, c’est qu’il est probable que les journalistes femmes elles même citent bien plus souvent des hommes que des femmes. Je ne sais si l’enquête l’indique explicitement, cela vaudrait le coup de vérifier.
Et le pire du pire, c’est que l’enquête d’il y a six ans devait contenir des résultats analogues qui auraient du alerter la presse et lui faire adopter une politique un tantinet volontariste en la matière. Que nenni. La presse dominante qui critique allègrement tout un chacun, qui informe sur tout, va publier sans problème des enquêtes qui la mettent en cause, puis continuer son chemin, comme si de rien n’était. Cela aussi est un indicateur de cléricalisme.
On a vu que, quand même !, à la rubrique « célébrité », la presse se rappelle que les femmes existent. Anne Steiger, dans un ouvrage fort intéressant[2] et que je vous recommande, raconte que les journaux masculins auxquels elle a participé se veulent « féministes ». Elle cite un de ses collègues, Fabien, ex-étudiant en khâgne et philo devenu journaliste et qui lui assure : « On n’est pas un journal qui renvoie la femme au foyer ! Au contraire… Toutes les starlettes écervelées qu’on interviewe, on se bagarre pour leur donner de l’esprit ! ». « Alléluia » commente Anne Steiger.
Internautes femmes qui surfez sur ce blog, n’étant pas des « starlettes écervelées », vous n’avez aucune chance que le brillant philosophe-journaliste vous interviewe un jour ; vous resterez muettes : cela vous apprendra d’abord à ne pas être des starlettes, ensuite (et surtout) à avoir de la cervelle, non mais !
Mais, je confesse maintenant à ma grande honte, que j’ai de beaucoup noirci le tableau. En fait, les femmes sont très présente dans la presse : « elles sont très largement majoritaires » en effet dans les « pages de publicité » nous rappelle l’enquête de l’AFJ. Là, on les reluque sous toutes les coutures, et plus ou moins déshabillées c’est encore mieux ! A défaut de tendre l’oreille pour les entendre, on peut toujours se rincer l’œil dans notre belle République. Après tout c’est une longue histoire : longtemps, il n’y a eu que des hommes à l’Assemblée Nationale, encore maintenant il n’y a vraiment pas beaucoup de femmes, mais puisque la République c’est Marie, oh pardon, Marianne bien sûr, et que son buste à la poitrine généreuse est dans toutes les mairies, tout va très bien dans le meilleur des hexagones possibles.
Une ancienne doctorante, jeune mère d’une petite fille me disait qu’elle devait résister à la pression publicitaire qui s’exerce déjà sur son enfant, lui proposant des strings et autres vêtements aguichants : « le message est clair, ajoutais-t-elle, c’est : tu seras pute ma fille ». Après la femme soumise : la (presque) putain. Et cela au cœur de la société globale, au cœur des porteurs du débat démocratique, pas dans ce que l’on appelle « les banlieues ».
Quand nos intégristes républicains invoquent de façon incantatoire (et pour exclure) les « valeurs de la République », ils en oublient une : celle qui implicitement déclare aux femmes : « Tais toi et sois belle ».
Voila ce que je reproche au mouvement « Ni putes ni soumises » : non pas certes d’avoir attiré l’attention sur des situations qui devaient absolument être combattues, mais d’avoir très vite joué un double jeu qui a fait rapidement récupérer ses leaders par la société dominante : d’un côté l’ostracisme envers les jeunes filles portant un foulard, interdites de combat féministe (alors que dans d’autres pays…), de l’autre l’absence de mise en cause du machisme ordinaire de la société dominante, des magazines féminins pseudo-féministes, du féminisme caviar, beaucoup plus caviar que féministe.
Je n’ai pas terminé ma petite revue de presse. La Presse Montréal du jeudi 28 septembre consacre un dossier de 4 pages intitulé « Out, les maigres ? », cela à partir d’une décision des « Semaines de la mode de Madrid » de « refuser les mannequins trop maigres ». Toujours indécrottablement franco-centrique, je me suis particulièrement intéressé à l’article qui a pour titre: « L’initiative madrilène laisse Paris de glace ». Les créateurs parisiens, y est-il indiqué, « réclament avec insistance des gens extrêmement minces pour présenter leurs vêtements », affirmant qu’il s’agit d’un « choix esthétique ».
Ce que conteste une ancienne mannequin qui était tellement obsédée par sa taille qu’à « un certain stade de sa vie » elle souhaitait « développer un cancer pour « bénéficier » de l’effet amaigrissant d’une chimiothérapie » (là encore, vous avez bien lu). Pour elles, les créateurs « n’aiment pas les femmes. Ils préfèrent les femmes androgynes, sans forme. Une femme avec des fesses ou des seins, c’est presque répugnant pour eux » conclut-elle. Renoir, Rodin, réveillez-vous, ils sont devenus fous !
Et, de fait, hyper sexualisées dans beaucoup de pubs, les femmes sont « déféminisées » dans un grand nombre de photos de mode. Déféminisation qui fait dire (selon La Presse) à un psy (et nul besoin d’être psy pour le penser, mais la presse invoque souvent in fine l’autorité !) : « Il serait souhaitable que le milieu de la mode arrive à l’idée qu’il y a plusieurs formes de beauté et (qu’elle) propose un peu de diversité. »
La diversité, en mixité comme en laïcité, on en revient toujours là.Cette diversité, elle s’est manifestée notamment dans la rencontre de l’UNESCO sur le « féminisme musulman ». Pris par mon travail, je n’ai pas pu assister à toutes les séances mais ce que j’ai entendu m’a fort intéressé. Et j’ai trouvé, une fois de plus, vraiment nulles les attaques outrancières de certaines féministes (pas toutes, loin de là, heureusement. Mais ce sont celles là qui font le plus de bruit) qui deviennent de plus en plus d’un conformisme confondant. C’est toujours le raisonnement primaire : ce qui n’est pas totalement avec moi et comme moi est forcément un(e) ennemi(e). Et c’est l’approbation béate de l’antiféminisme ambiant par un silence radio étourdissant sur des faits comme ceux que je viens de dénoncer. Mais vous ne vous faites pas avoir : quand les actes de la rencontre de l’UNESCO seront publiés, prenez en connaissance et faites vous votre opinion vous-même. En sachant aussi qu’on peut ne pas être à 100% pour ou contre. C’est justement la plaie du système médiatique de vouloir nous enfermer dans des luttes camp contre camp. Une fois encore, la réalité est plus…diverse.
Bon, un dernier mot : le rapport Machelon : j’arrive du Canada où j’ai beaucoup travaillé et je ne l’ai pas encore lu. J’ai lu sur le blog de Sébastien Fath ses remarques critiques qui m’ont paru stimulantes. J’aimerais qu’il y ait un débat à plusieurs voix. Pour ma part, je me propose (dans une prochaine Note) de prendre le problème par le biais de la « reconnaissance » ou « non reconnaissance » des religions, expressions équivoques s’il en est et souvent invoquées aujourd’hui. Vous verrez qu’il y a plein de choses intéressantes à « ruminer » à ce propos ;
Allez, chao, c’est tout pour aujourd’hui.
Et n’oubliez pas le 5 octobre, de vous précipiter chez votre libraire favori…
PS : Merci aux différents commentaires ; à propos de celui de l’internaute qui signe : « fils d’évêque » et qui croit disqualifier ma Note sur Bayle en me traitant de « petit fils d’évangéliste », au lieu de commenter sur le fond, ma réponse est la suivante : si j’étais « petit fils d’évangéliste », cela ne prouverait rien, ni dans un sens ni dans l’autre. Il se trouve que ce n’est pas le cas et que mon grand père était président du Cercle de la libre pensée à Droux (Hte-Vienne)... Tu vois, pseudo fils d’évêque, ta manière de faire me rappelle un peu celle des antisémites qui traitaient Francis de Pressensé (le défenseur de Dreyfus) de « fils de pasteur » (ce qu’il était effectivement), en en faisant un propos disqualifiant, un quasi-injure (cf. l’ouvrage de Valentine Zuber et moi-même Une haine oubliée, Albin Michel, 2000). Sois plus rationnel, camarade…
[1] Florence Rochefort et Laurence Klejman me pardonneront, j’espère, de parodier le titre de leur bel ouvrage qui porte sur le féminisme de la Troisième République. Effectivement, une marche a été effectuée, mais aujourd’hui, dans bien des domaines, c’est souvent au minimum du sur-place. Courage camarades, le combat continue !
[2] A. Steiger, La vie sexuelle des magazines. Comment la presse manipule notre libido et celle des ados, Edit. Michalon, 2006
19:25 Publié dans LA DOUCEUR TOTALITAIRE | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
Bonjour Monsieur,
je tiens à saluer votre article paru dans le "Monde" du 05 / 10/2006, étant musulmane, l'article de Redeker m'a paru davantage haineux que voulant justifier une position ou un point de vue, un blog que je fréquente fréquemment a publié l'article et j'ai essayé d'y répondre du mieux que je pouvais mais une expression dans votre journal a attiré mon attention (ou plutôt celle des administrateurs du site ) , il s'agit de """""""""" L’évolution globale est inquiétante, et cela est dû à la fois à la montée d’extrémismes se réclamant de traditions religieuses (au pluriel) et d’un ***extrême centre*** qui veut s’imposer socialement comme la (non-)pensée unique et rejette tout ce qui ne lui ressemble pas."""""""""”
le site (blog) auquel je fais référence est www.extremecentre.org
je voulais savoir si vous y faites référence vu sa position et son soutien inconditionnel à Redeker et surtout à son article ou s'agit-il juste d'une coincidence !!!!
en tout cas je vous invite à visiter ce site !!!! on peut l'aimer ou le haïr, on peut le trouver objectif ou raciste !!!! on peut porter différents jugements mais une chose est sûre, il ne vous laissera pas indifférent !!!!
Merci de bien vouloir me répondre sur le site ou via mon mail : islam.paix@yahoo.fr
PS : j'utilise le même pseudo sur le site ''Islam''
Écrit par : Islam | 06/10/2006
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